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P. 30 — Messenger PIERRE –COURSIER PARISIEN – – ~ – INTERVIEW JEANNE ABLY - PHOTOGRAPHY FRÉDÉRIC MARGUERON – — Ni enseigne lumineuse ni uniforme, les coursiers à vélo sillonnent les rues de nos cités quasi incognito. Seul signe distinctif : des mollets de premier danseur. En tous cas, selon l’Agence De l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie (ADEME), la bicyclette est le moyen de locomotion le plus rapide pour livrer un colis à moins de six kilomètres. Un peu d’histoire : née selon certains avec l’apparition du vélo, pour d’autres dans les années 30 avec les premiers livreurs de journaux, la cyclo messagerie, vulgairement appelée livraison à vélo, revient en force dans les pays anglo-saxons puis dans des villes telles que Tokyo ou Berlin à la fin des années 70 ; à l’issue des Trente Glorieuses qui ont vu l’apothéose de l’automobile. Le phénomène va de pair avec la résurgence du pignon fixe. Délesté de freins, dérailleurs et autres mécaniques soumises à trop rude épreuve, le vélo de piste permet, aux messengers qui le recyclent, de parcourir une centaine de kilomètres par jour au mépris d’une météo parfois quinteuse. Trente minutes pour avaler le trajet Boulogne-Châtelet, treize pour faire Vanves-le Bon marché, la course à vélo (à ne pas confondre avec la course de vélo) devient à Paris un vrai métier, reléguant quelque peu les deux-roues à moteur, plus polluants et astreints à un respect plus tatillon du code de la route. Sans parler des embouteillages, moins faciles à déjouer, et de la pollution sonore qu’ils engendrent. Les scooters et motos défendent tant bien que mal leur monopole dans notre capitale ; mais le vélo, rapide, écologique, économique, pratique, fiable, propre, silencieux, malin, leur taille de plus en plus des croupières. Insensible à la hausse du prix du carburant, poussé aussi par la vague écologiste qui déferle sur nos sociétés de bien-pensants, il devient le moyen de livraison préféré des entreprises soucieuses de l’environnement. Rencontre dans son atelier Pistar, avec Pierre Seguin, passionné de vélo et coursier chez “Coursier.fr” depuis deux ans. * Parisian bike messenger — Neither neon, nor uniform, the bicycles couriers roam our cities’ streets incognito. Only one detail: dancer’s calves. For the ADEM (agency for the environment and the waste of energy), Riding is the fastest way to deliver something less than 6 kilometers away. A little bit of history: born with the creation of the bike, for some, for others in the 30’s with the newspaper delivery boys, the “cyclomail”, mostly known under the name of bike delivery, came back in force in Anglo–Saxon countries, then in cities such as Tokyo or Berlin, at the end of the 70’s. This phenomenon came back with the resurgence of the fixed gear. Relieved of brakes and other mechanics, the track bike helps the messengers do over a hundred kilometers a day… even if the weather is not good. Thirty minutes to reach “Boulogne-Chatelet”, thirteen to “Vanves-le Bon Marché”, the bike delivery (don’t be mislead we’re not talking about a bike race) has become a real job in Paris. It’s even better than with a motorcycle, less pollution and easier with the heavy traffic. Motorcycles try to defend themselves the best they can, but the bike delivery stays more economical, practical, sure, more discreet, clean, quiet… not to mention that with the up-going price of petrol, it has become the favorite delivery system for companies that are concerned about our environment. Meeting with Pierre Seguin in his Pistar’s workshop, passionate for bikes and messenger at the ”coursier.fr” company for 2 years. Par quel hasard – si c’en est un – êtes-vous devenu coursier à vélo ? Faites-vous partie de ces gens qui plaquent tout pour leur passion ? J’ai toujours été passionné par le vélo, ne me déplaçant qu’avec lui et pratiquant le hockey sur glace depuis l’âge de six ans. Autrement, rien ne me destinait à devenir coursier. Fils d’architecte, j’ai reproduit le schéma familial en obtenant à mon tour mon diplôme d’architecture – et non de mécanicien. Mais voilà qu’un beau jour, alors que je vivais au Japon où je travaillais depuis trois ans, je me suis retrouvé à un feu rouge à côté d’un type – un coursier, certainement - qui à disparu aussi vite qu’il était apparu sur son vélo « de course », sorti de nulle part sans frein ni rien du tout, un mirage ! Tout s’est enchaîné : j’ai plaqué boulot et femme, sans me soucier du qu’en-dira-t-on. Cette passion pour le vélo et plus particulièrement pour le fixie s’était révélée et il fallait que je la vive jusqu’au bout. Sans regrets : même si le métier est parfois dur, je ne me suis jamais senti aussi libre de ma vie. What made you become a bicycle messenger? Did you quit your last job only for your passion? I’ve always had a passion for bikes... I went everywhere with my bike to practice hockey on ice since the age of six. I wasn’t meant to be a bicycle messenger. As my dad was an architect… I became an architect. But one day, whilst living in Japan for three years, I stopped my car near a guy, certainly a messenger, who disappeared as quick as he appeared on his “race bike” with no brakes… like a mirage! Everything happened very quickly. I quit my job, broke up with my wife, without thinking about what people would say. My passion for bikes and particularly for fixies came out, and I had to live it! No regrets, even if the job is hard sometimes, I’ve never felt so free! Quel est le profil du coursier à vélo ? Il n’existe pas, même si les coursiers ont en général entre vingt et trente ans et qu’ils sont tous forcément sportifs, eu égard à la difficulté physique du métier. On trouve aussi bien des architectes ou autres diplômés déchus, comme moi, que des pères de familles ou des étudiants qui ont besoin d’arrondir leurs fins de mois. Dans la société pour laquelle je travaille, nous sommes quarante en CDI dont les trois quarts, d’après moi, sont de réels passionnés, entretenant, avec la dépense physique, un rapport vital. En ce qui me concerne, j’ai besoin de m’endormir rassasié. Rassasié de kilomètres parcourus à vélo, ou d’autre chose, mais rassasié : repu. Comment le coursier à vélo se différencie-t-il de monsieur tout le monde ? A-t-il un style, un état d’esprit particulier, au même titre qu’il existe une mentalité propre aux rappeurs ou aux dandys ? Le coursier a son propre style, qui n’en finit pas d’inspirer la mode. C’est le style “fakenger”, du nom des faux coursiers qui l’ont inventé pour se chambrer entre eux. En été, le fakenger porte un jean slim roulé aux trois quarts, des Vans à carreaux aux pieds, une chemise de bûcheron. Sans oublier les Wayfarers au nez, la casquette retroussée et la sacoche contenant un kit de réparation. Dans tous les cas, le vélo est assorti aux vêtements : il est une extension de sa personnalité. Concernant son état d’esprit, le coursier est avant tout un marginal, voire un poète qui, d’une manière ou d’une autre, refuse la société dans laquelle il vit. Il refuse la voiture, le fait d’être assis derrière un bureau et plus généralement le confort matériel. Et c’est là le paradoxe du personnage : toute la journée, il livre des articles de luxe, des plis d’avocat ultra-confidentiels, des vêtements de mode, tout ce qui favorise une société de consommation qu’il rejette. Question vocabulaire enfin, il y a cette expression qui revient et dont je ne saurais avouer l’origine: “chistole”, qui exprime l’état d’esprit festif et pas bagarreur pour un sou du coursier. Pouvez-vous décrire le quotidien d’un coursier à vélo ? C’est simple, chez nous (Coursier.fr) la journée commence à 9 h, heure à laquelle chaque coursier, au saut du lit, passe un coup de fil au centre de dispatch pour connaître son itinéraire de ramassage, et elle finit à 18 h, et ce, quatre jours sur sept. Un kit de réparation, ainsi qu’un plan de Paris en poche, (surtout pas de GPS, qui rend la mémoire paresseuse), on roule toute la journée avec une pause-déjeuner obligatoire d’une heure, calée entre deux tournées bouclées. L’idée est de se retrouver à deux ou trois pour manger sur le pouce. Dans un parc, quand il fait beau, sous un porche quand il pleut. En tout cas, pas question de bouffer un kebab ou quelque junk-food que ce soit. Le coursier mange impérativement sain et entretient sa ligne même s’il grignote toute la journée pour tenir le coup. Faut dire qu’il parcourt en moyenne 85 km par jour pour un salaire mensuel d’à peu près 1500 euros. Alors oui, ça ne fait pas beaucoup à la fin du mois, surtout en hiver et on a parfois un peu le sentiment de mériter plus. Mais finalement le métier nous éloigne tellement des tentations matérialistes qu’on finit par s’y retrouver d’une façon ou d’une autre. À la fin de la journée, qu’elle ait été très bonne ou très mauvaise, les coursiers aiment se retrouver entre eux, en l’occurrence chez Urban cycle, la première société de coursiers à vélo qui ait vu le jour à Paris, pour aller boire des Picon bières – leur boisson fétiche. Ils s’y réchaufferont, se raconteront les anecdotes de la journée et se réconforteront les uns les autres. What is the profile of the bike messenger? There is no specific profile even if messengers are mainly between 20 and 30 years old and of course very athletic. You can find architects and others, old graduated people like me, daddies and students who need money. In the firm I work for we are about 40 working with a permanent working contract, and most of us are real enthusiasts. As for myself I need to come back home exhausted by all the kilometers I did. What is the difference between the Bicycle messenger and a regular person? Does he have a style, a special state of mind like rappers or dandies? The messenger has his own style and inspires fashion. We are talking about “fakenger” (fake messengers). In the summer, the fakenger wears slim fitted jeans, checkered Vans, a lumberjack shirt, a pair of Wayfarers sunglasses, a cap and a bag with a repair kit. Clothes go with the bike… it’s just an extension of his personality. Concerning his state of mind, the messenger is a marginal and a poet who rejects the society he is living in. He refuses to work in an office, have a car and on a general scale material comfort. Here is the paradox because he delivers luxurious items; confidential files all day long… everything that makes our society… everything he denies.In his vocabulary, there is a word that we often hear: “chistole”… this word is used to describe the messenger’s festive and totally unaggressive state of mind. Can you describe the daily life of the bicycle messenger ? It’s quite simple, at « coursier.fr » the day starts at 9am, the messenger gives a call to the company to check his schedule, and he finishes his day at 6pm. This, 4 days a week. He only brings with him a repair kit and a map of Paris (No GPS, it makes the memory lazy). We ride all day so we always try to get together (2 or 3 messengers) and grab something to eat for lunch. No fast food or junk food allowed. The messenger eats well and pays attention to his weight even if he eats more than 3 times a day. Just to let you know, he does 85km a days for only 1500€/month…It’s not a lot of money at the end of the month and we deserve to earn more during winter. But, the job keeps us so far away from the material world that in the end we find ourselves one way or another. At the end of the day, good or bad, messengers like to gather at « Urban Cycle » the first bike company which opened in Paris, just to drink a “Picon” beer, their ‘mascot’ drink. They comfort one another with their daily events. Talking about that, I do believe that there is a real solidarity between messengers, like in every job. Can we talk about a “community” and does it include scooter messengers too? It’s more than a community, we can talk about a worldwide brotherhood. And even if in France solidarity funds do not exist like in Switzerland, couriers are very supportive. Just to say, I went to the last worldwide championship in Poland and I brought back bicycles for American messengers that I did not even know, and I still have them in my workshop. For the motorcycle messengers, it’s different. We say hello if we work for the same company, but we don’t have so many things in common. But still, we are from the same family, “street workers”. À ce propos, j’imagine qu’il existe une solidarité entre coursiers, comme dans tous métiers. Peut-on parler de “communauté” et englobe-t-elle les coursiers à scooter ? Mieux que d’une communauté, on peut parler de confrérie mondiale. Et même si en France il n’existe pas de fonds de solidarité des coursiers comme en Suisse – la Mecque du vélo – les coursiers se serrent véritablement les coudes. Moyennant quoi, j’ai rapporté des derniers championnats du monde en Pologne, des vélos à des coursiers américains que je ne connaissais même pas... Je les ai d’ailleurs toujours là, dans mon atelier. Avec les coursiers à scooter, c’est une autre histoire : on se salue si on fait partie de la même boîte, mais on n’a pas souvent d’atomes crochus. Pour autant, on peut considérer quand même qu’on fait partie de la même famille, celle des travailleurs de la rue regroupant un tas de professions, comme on peut l’imaginer. Quels sont les lieux (bars, boutiques, places, etc.) et les évents (compétitions, courses, alleycats) qui vous rassemblent ? Il y a les rassemblements officiels que sont les compétitions nationales et internationales et qui nous amènent à rouler entre potes comme on part en colonie de vacances. Plus de différence d’âge qui vaille : j’ai 38 ans et traîne sans problèmes avec des types de 22. Et puis il y a aussi les rassemblements non officiels comme les alleycats qui permettent de garder la forme et de ne pas laisser rouiller la mécanique tout au long de l’année. La légende veut que les coursiers à vélo new-yorkais aient remis le fixie sur le devant de la scène. Les coursiers à vélo utilisent-ils tous nécessairement le pignon fixe, ou bien retrouve-t-on sous leur selle toutes sortes de vélos ? Les coursiers utilisent toutes sortes de vélo. Chez Coursier.fr, nous sommes un sur quatre à utiliser le fixie, que se sont en effet réattribué les messengers new-yorkais en 1978. Pour ma part, j’ai assemblé un cadre de vtt, plus robuste, avec un groupe et des roues de piste, de façon à retrouver la géométrie et l’esthétique du pignon fixe sans sa fragilité. C’est plus fort que moi : je trafique chaque vélo que j’ai entre les mains, ici, dans mon atelier. Faut dire que le cyclisme, le vrai, a plutôt mauvais goût. Sans parler du fait, je le répète, que le vélo doit être à l’image de chacun… Vous dites que la cyclo messagerie est le plus beau métier du monde. Considérez-vous néanmoins que c’est un métier à risques ? Oui, bien sûr, du seul fait que nous sommes toute la journée sur la route. Après, le coursier est constamment à la recherche de la trajectoire idéale. Il prendra donc bien garde de ne gêner personne et de contourner les piétons. Nous signons par ailleurs un contrat qui nous oblige à respecter le code de la route. Enfin, le port du casque est obligatoire. Le mot de la fin ? Je prétends que quand on fait du vélo, on ne peut pas foncièrement être con ! (Rire) Eh oui, à vélo, on prend le temps de réfléchir sur soi et sur le reste. L’esprit voyage et on est mieux à même de se remettre en question et se poser les bonnes interrogations. Bref, tout le monde devrait s’y mettre. Where do you meet up (pubs, shops, places…)? For which event do you gather (competitions, alleycats…)? There are official gatherings like national and international competitions that bring us to ride between friends as if we were in summer camp. There is no problem with age. I am 38 and I can totally ride with someone who is 22. There are also non-official ridings like the “alleycats” that keep us healthy all year long. The legend says that the American messengers gave to the “ fixed gear” a second birth. Do all messengers use a “fixed gear” or do they use all kind of bikes? Messengers use all kind of bikes. At “coursier.fr” 1 out of 4 couriers use a fixie that the Americans re-lighted in 1978. As for myself, I took an ATV frame and put track bike wheels on it… so I kept the “fixed gear” look and geometry while giving it more strength. I can’t help it, I have to work on every bike I have… As I said before, the bike looks like his owner. You told us that the “Cyclomail “ is the best job ever. Do you consider it a dangerous job? Of course, we’re riding all day long; always looking for the right way to go. So we have to be careful of cars and pedestrians. We’ve signed a contract! The helmet use is mandatory. A last word? I just want to say that when you ride, you cannot be an idiot! (Laughs). On our bike, we think about ourselves, our lives, and all the rest! The spirit of traveling… Good conditions to question yourself and take a step back on things. I think everyone should go for it.