Télécharger en PDF

Transcription

Télécharger en PDF
)LSNPX\L)LSNPw
777)
)9<?
)*
n° agr. P913051
Mieux comprendre ce qui secoue les familles
Bimensuel n°9 mars - avril 2013
Ne paraît pas en juillet et août – Prix de vente : 5 €
Interview d’Édith Goldbeter Merinfeld
Dossier : Mères porteuses
Progrès social ou ventres à louer ?
Témoignage
Dix minutes par mois
Actu
© Le loup qui voulait être un mouton, Mario Ramos, Pastel / École des loisirs, 2008.
Expéditeur : Filiatio – 53 rue de l’Été – 1050 Bruxelles
Hébergement égalitaire : enquête au tribunal
P. 06-08
P. 09-13
P. 14-16
P. 20-24
Édito P. 2
Brèves d’actu P. 3
Agenda P. 4
Si la presse m’était contée P. 4
Revue de presse européenne P. 5
Interview P. 6-8
Dossier P. 9-13
Témoignage P. 14-16
Hors champ P. 17
Socio P. 18-19
Actu P. 20-24
Sexe au logis P. 25
Où sex’ a fait mal P. 26
Cinéma P. 26
Tribunalités P. 27
En lisant P. 28-31
Planche de Jannin P. 32
Retrouvez-nous sur www.filiatio.be
et sur
les réseaux
Filiatio
n°9 – marssociaux
/ avril 2013
1
ÉDITO
Débats mouvants à promouvoir !
Poussée par un enthousiasme
innovant et créateur, notre équipe
2013 s’est élancée à fond les
manettes. À tel point que, comme
dans les mirages provoqués
par la vitesse, certaines pages
du précédent numéro se sont
dédoublées ou se sont glissées à des places incongrues…
La rédaction de Filiatio profite de cet édito pour présenter
ses excuses à celles et ceux qui, nous les espérons
peu nombreux, auraient eu à pâtir de cette improbable
démultiplication et pour vous informer de ce qui nous anime
et agite à la rédaction tandis que « nos cœurs et le monde
bougent », comme le chantait un poète.
Si, entre nous, on aura rigolé de voir qu’ils ne sont pas fanés,
les stéréotypes qui suggèrent chaque quatorze février des
transactions de roses à sens unique, on se sera demandé
aussi, et surtout, comment face aux faits de société que
surexposent continuellement les médias, éviter l’écueil des
réponses par trop réflexes afin de s’offrir l’opportunité de
questionner encore et toujours nos relations à l’autre.
Des questionnements qui se traduisent par : une étude ;
un dossier ; un sondage ; une interview ; un témoignage ;
une analyse juridique ; et plus…
Sans compter les débats annexes ou connexes, souvent
passionnés, en interne, sur des sujets aussi brûlants
et intemporels que l’attachement ou les liens filiaux…
Sous des formes diverses et complémentaires, l’objectif
majeur des membres de Filiatio est de découvrir quel
serait le contexte social ou les conditions rituelles les plus
adéquates pour que puisse émerger, et être perçue dans les
faits cette profonde humanité qui nous caractérise tous –
vous et nous, elle et il, tu et je…
En son temps, nous avons coupé la Galette des Rois et
autour de celle-ci, bien que la fève n’ait échu qu’à une seule
personne, chacun a partagé ses parts de rêve. Et comme ce
rêve est moteur et se traduit en actions concrètes, je vous
Au sommaire
du prochain numéro
❱❱ Rencontre
avec Serge Hefez
❱❱ Dossier
Le 9/5, ce grand inconnu
❱❱ Association
Centre de Prévention du Suicide
❱❱ En Lisant
Rencontre avec Bart Moeyaert
Filiatio est un périodique publié par Smala!*. Il est envoyé chaque
mois aux parlementaires, aux avocats, aux juges et aux professionnels en charge de la famille, des rôles parentaux, des processus
d’éducation et de l’égalité hommes-femmes. Il est aussi disponible
pour le grand public par abonnement. Pour plus d’infos, pour témoigner, réagir ou agir, rendez-vous sur www.filiatio.be
❱❱ Ont collaboré à ce numéro
Sabine Panet, Céline Lefèvre, David Besschops,
Éléonore Correnc, Isabelle Scrève, Nathalie Mayor,
Georges Zouridakis, Pascale Soudey et Gauthier Burny.
* L’ASBL Smala! soutient la parentalité et la famille au sens
large, l’égalité hommes-femmes au sein de la famille et dans
la société à travers toutes activités d’éducation, d’accompagnement, de plaidoyer, de communication et de recherche.
❱❱ Éditeur responsable
Dominique Brichet
❱❱ Adresse
rue de l’Été 53 – 1050 Bruxelles – Belgique
❱❱ Contact
[email protected] ou www.filiatio.be
Filiatio est imprimé chez JCBGAM
sur Multioffset, papier blanchi sans chlore.
N° d’agr. : P913051
❱❱ Suivez-nous aussi sur
https://www.facebook.com/Filiatio
http://twitter.com/Filiatio
Abonnez-vous !
propose d’en prendre connaissance au travers des différents
articles du magazine que vous tenez entre les mains.
Excellente lecture !
David Besschops
2
Filiatio n°9 – mars / avril 2013
❱❱ 02 265 43 58
❱❱ www.filiatio.be/abonnez-vous
2
1
BRÈVES D’ACTU
Enfants : fruits
de l’amour ou
pommes de
discorde ?
L’ a s b l P a r o l e
d’Enfants a édité
les actes de sa
conférence de mai
2012 sur le thème
de la place des
enfants dans les
couples en conflit.
Coordonné par
Caroline Denis, ce
recueil d’interventions est une mine
d’informations et
de réflexions.
Né de la difficulté des professionnels à faire
face au conflit parental aigu, il est également
le résultat d’une prise de conscience de l’importance de l’enjeu : les conflits persistants
entre les parents entraînent, pour l’enfant et
pour les parents, de nombreuses et graves
conséquences à court, moyen et long terme. Ce
constat inquiétant a encouragé l’asbl à interpeller l’ensemble des professionnels amenés
à rencontrer ces situations pour échanger des
outils, des méthodes, des manières d’intervenir plus satisfaisantes, et enfin à publier les
actes du colloque Fruits de l’amour ou pommes
de discorde ?
Au menu : les intérêts de l’enfant à placer au
centre du procès familial ; le défi de la parentalité dans les contextes où s’exercent des
violences conjugales ; la relation père-enfant
quand la paternité est précarisée ; les « bellesmères » qui sortent de l’ombre…
Les auteurs : Jean-Paul Mugnier, Ursula Kodjoe,
Damien d’Ursel, Martine Goffin, Virginie
Plennevaux, Stéphanie Garbar, Catherine
Vasselier-Novelli, Pascale Jamoulle, Diane
Maters, Murielle Brees, Jean Epstein.
Éditions Parole d’Enfants, 2012, 25€, à commander sur : www.parole.be
S.P.
France : du haut des grues
Nantes, France. Du vendredi 15 au lundi 18
février, un homme s’est retranché quatre jours
en haut d’une grue. Une grue jaune, bardée
d’inscriptions. « Pour sauver les enfants de la
justice ». Vous ne l’avez sûrement pas manquée, elle est passée partout… la polémique.
Soutenu par l’association française SVP Papa 1,
l’homme expliquait vouloir obtenir un droit
de visite pour voir son fils. Cette opération,
préparée à l’avance, avait également pour but
officiel de pousser le gouvernement à mettre
la garde alternée à l’ordre du jour : la justice
française privilégierait la garde des enfants
chez leur mère – statistiques à l’appui.
Le problème réside non seulement dans les
chiffres, mais aussi dans leur interprétation.
On peut être mal à l’aise devant la rhétorique
simpliste de l’association et le discours anti-femme et réactionnaire du principal protagoniste de l’événement (« ces femmes qui
nous gouvernent », a dit l’homme descendu de
la grue au micro de France Inter en parlant
de la société, dont il n’a pas l’air de connaître
la véritable répartition des pouvoirs dans la
sphère publique – ce qui a entraîné la Ministre
de la Famille à déplorer la « guerre des sexes »
ainsi rallumée) ; mais le débat s’est enflammé
immédiatement. Est-ce parce que la « victimisation » des hommes est mieux couverte par
les médias que les violences envers les femmes,
comme a répondu immédiatement l’association
SOS les Mamans ? Ou plutôt / et parce que c’est
une véritable question de société ? En France,
le centre d’analyse stratégique du Premier
Ministre avait déjà travaillé longuement sur la
question « Désunion et Paternité ». Un rapport
détaillé, précis, truffé d’outils et de propositions
avait été rendu public il y a moins de six mois.
Dans un silence assourdissant.
Le gouvernement français a donc déjà des
outils en mains pour favoriser l’implication
égale des deux parents tout au long de la vie de
leurs enfants, y compris après leur séparation
(il peut aussi s’inspirer de l’expérience belge
en la matière, au menu de notre magazine).
Comme le dit le psychiatre et psychanalyste
Serge Hefez, joint au téléphone par Filiatio,
« On peut défendre la garde alternée avec des
arguments sexistes, au nom de l’importance du
« paternel » pour contrebalancer un « danger de
l’influence féminine ». Mais on peut aussi la défendre au nom d’arguments égalitaires que l’on
a peu entendus dans le débat. » Un parent vaut
un parent, un parent n’est pas meilleur qu’un
autre par principe, et l’intérêt de l’enfant n’est
sûrement pas que l’un de ses parents ressorte
d’un conflit « gagnant » ou « perdant ».
S.P.
1 Dernière minute : L’association nantaise SVP Papa, qui
soutenait l’action au départ, s’en est désolidarisée.
Notre hommage à Mario Ramos
❱❱ Ce numéro de Filiatio est presque intégralement illustré 2 par des images extraites
d’albums de Mario Ramos, auteur et illustrateur belge décédé au mois de décembre
2012. Fans inconditionnels, nous l’avions rencontré pour préparer un « En lisant »
consacré à son travail (rendez-vous en p.28). La nouvelle de sa disparition nous
a pétrifiés de tristesse. Nous avons cherché un moyen de lui rendre hommage
en présentant ses albums, tous parus chez Pastel – École des Loisirs. Grâce à
l’autorisation de sa maison d’édition et de sa famille, que nous remercions de tout
cœur, nous avons laissé ses dessins prendre leur place à travers ce numéro. Les loups,
les cochons, les lions et les petits monstres montrent l’ampleur et l’humanité de
l’œuvre de cet auteur sensible, indigné, drôle, bouleversant. Merci Mario.
La rédaction
2 À l’exception du dossier sur la Gestation pour autrui illustré par la talentueuse bruxelloise Aline Rolis et de la planche humoristique
bimestrielle de notre ami Fred Jannin en page 32.
Filiatio n°9 – mars / avril 2013
3
AGENDA
De cœur
ou de sang ?
Quand la filiation
questionne l’enfant,
l’adolescent,
la famille,
le professionnel
Après avoir lu les actes du colloque Fruits de
l’amour ou pommes de discorde ?, vous pouvez
assister à la prochaine conférence organisée
par l’asbl liégeoise Parole d’Enfants sur le
thème de l’inscription dans la filiation. Géniteur,
concepteur, parent biologique, mère porteuse,
donneur, parent nourricier, vrai père, maman de
cœur, mère adoptive, père d’accueil, celle-queje-considère-comme-ma-mère ou celui-qui-aété-comme-un-père-pour-moi… une grande
diversité des termes qui va de pair avec une
complexification de la notion de filiation.
« Alors que les liens du sang n’apparaissent plus
depuis longtemps comme une condition suffisante au bonheur familial (secret sur les origines,
abandon, ruptures de lien à répétition, double
appartenance, héritage difficile à assumer…), les
liens du cœur, auxquels on accorde une grande
place aujourd’hui (beau-parent, parent adoptif,
famille d’accueil, éducateur…) n’échappent pas
non plus aux difficultés et aux questionnements. »
Deux jours de colloque pour échanger avec des
professionnels et des personnes concernées,
qui promettent d’être passionnants. On y sera !
Palais des congrès de Liège, 30 et 31 mai 2013.
Renseignements et inscriptions :
Parole d’Enfants
50 rue des Eburons
B-4000 Liège
04 223 10 99,
[email protected] et www.parole.be
S.P.
Si la presse m’était contée
David, qui aime bien l’imparfait du subjonctif, traque les stéréotypes véhiculés par les médias.
Ambiance mare aux Canards.
Souvent libido varie… devant la tâche !
Telle Alice chutant dans le miroir, il faudrait
lorsqu’on s’attelle à certaines lectures de la
Presse traverser les frontières de la dérision
pour mieux retourner à la quintessence de ses
sources. Si nous nous fiions aveuglément à
l’AFP nous apprendrions en ce mois de février
que de très sérieuses études de sociologues
américains s’intéressent aujourd’hui à l’impact
des tâches ménagères sur la sexualité des
hommes. Et que les résultats sont chiffrés. Et à
l’instar des réactions de nombreuses femmes,
nous constaterions qu’il est curieux que ne
soient pas étudiées les conséquences qu’a
sur leur sexualité à elles le legs des obligations domestiques du traditionnel schéma
des rapports hommes-femmes. Car comme
le rappellent quelques-unes, il n’a jamais été
question pour elles de marquer le coup de
fatigue au lit. Il eût été perçu comme un putsch.
Pour être sans tache, l’exemplaire femme a
longtemps dû – et cela perdure trop souvent –
passer sans rechigner des tâches domestiques
aux preuves d’attachement amoureux. Rien
4
Filiatio n°9 – mars / avril 2013
de nouveau sous la grisaille de cet hiver si ce
n’est que des organes de presse se mettent
soudain à titrer que faire le ménage entame
la sexualité des hommes. Si, bien qu’il soit
tentant de prendre un raccourci et de disserter
à partir du seul titre, nous parvenions à nous
demander en quoi cela est un problème et
pour qui, nous découvririons que cette façon de faire la lumière sur une étude recèle
une iniquité. En effet, assumer tant le labeur
ancillaire que le « devoir conjugal » a de tous
temps été le lot des femmes. Or, cette manière de mettre l’information en scène les
oblitère totalement et laisse à penser que
l’étude ne s’est pas intéressée au sort de leur
énergie sexuelle. Ce qui est inexact. L’étude
« Égalitarisme, travail ménager et fréquence
des rapports sexuels dans le mariage » menée
par l’université de Washington fut rigoureuse
et s’est penchée sans discrimination de sexe
sur bien plus d’aspects que ce que la Presse
ne nous rapporte. Basée sur un questionnaire
rempli par 7 002 personnes, l’étude conclut en
effet que les hommes ne doivent pas jeter le
produit vaisselle avec l’eau du bain : « Refuser
de participer aux tâches ménagères provoque
des conflits dans le couple et l’insatisfaction des
épouses », insatisfaction elle-même liée à l’activité sexuelle. Malheureusement la réduction
par les médias de l’angle d’ouverture scientifique initial est tel qu’il devient pratiquement
un angle d’hébétude pour le lecteur.
En prenant du recul, il est légitime de s’interroger tant sur les fondements logiques que sur
les visées présidant cette manière d’informer.
De fait, hormis justifier la disparité des tâches
ménagères et renforcer leur répartition en
fonction des sexes, il est malaisé de percevoir
en quoi elle est édifiante dans l’établissement
d’une égalité entre femmes et hommes dans
la société actuelle.
D.B.
REVUE DE PRESSE EUROPÉENNE
France
Le mariage pour tous !
Après deux semaines de débats pour le moins tendus, les députés de
l’Assemblée Nationale française ont procédé mardi 12 février au vote
solennel sur le projet de loi autorisant le mariage et l’adoption des
couples de même sexe. Le texte a été adopté à 329 voix pour contre
229 contre. Il sera examiné par le Sénat à partir du 2 avril. En vidéo ici :
http://www.franceinfo.fr/politique/la-loi-autorisant-le-mariage-pourtous-est-adoptee-par-l-assemblee-nationale-890481-2013-02-12
© Mon oeil!, Mario Ramos, Pastel / École des loisirs, 2004.
Islande
La fin du porno sur internet
Interdire le porno sur internet, c’est la mesure qu’envisage l’Islande au
nom de la protection des enfants. Le gouvernement a mis en place un
groupe de travail sur le sujet pour plancher sur une définition pénale de
la pornographie et sur son lien à la violence. L’Islande pourrait bloquer les
adresses IP des sites pornographiques et faire pression sur les fournisseurs d’accès. « Il ne s’agit pas d’être anti-sexe, mais anti-violence », a
expliqué Halla Gunnarsdóttir, du ministère de l’Intérieur.
http://www.dailymail.co.uk/news/article-2277769/Icelands-bidban-web-porn.html
France
Un nouveau baptême pour l’école maternelle
Pour mieux définir et rendre justice au travail qui s’y fait, une députée
socialiste de Paris, Sandrine Mazetier, propose que « l’école maternelle »
soit rebaptisée « petite école » ou « école première ». Selon elle, cette
nouvelle dénomination aura pour effet de souligner davantage l’aspect
apprentissage de cette étape éducative tout en neutralisant la charge
affective contenue dans l’adjectif « maternelle ». Une réflexion à mettre
en relation avec le passionnant essai de Marine et Anne Rambach Tout
se joue à la maternelle, chroniqué en page 31.
http://www.leparisien.fr/societe/la-deputee-socialiste-ne-veutplus-qu-on-appelle-l-ecole-maternelle-01-02-2013-2531559.php
Grande-Bretagne
Une nouvelle étude achève de démonter le mythe de Mars et
Vénus
D’après une étude réalisée par l’Université de Rochester, si des caractéristiques permettant de différencier les sexes existent bel et
bien, elles ne sont pas nombreuses et pas nécessairement celles qui
alimentent les mythes contribuant à une discrimination (voir Filiatio #1,
Drôle de genre). En tant que groupe, les hommes et les femmes possèderaient des caractéristiques physiques distinctes qu’ils partagent
peu… tandis que sur le plan psychologique, rares seraient les traits
présents uniquement dans l’un des deux groupes. Au terme de cette
étude, il apparaît que le facteur sexuel n’est pas déterminant dans
la distinction entre les individus. Ces recherches sur la psychologie
offrent une prolongation aux travaux sur le « sexe du cerveau » de la
neurobiologiste Catherine Vidal, sur lesquels nous reviendrons bientôt !
http://www.huffingtonpost.fr/2013/02/08/differences-entrehommes-femmes-peu-nombreuses-genre-science_n_2642186.
html?utm_hp_ref=tw&utm_hp_ref=fb&src=sp&comm_ref=false
France
Maurice Berger questionne l’homoparentalité
Le clinicien psychiatre français, notamment connu pour son opposition à l’hébergement alterné avant six ans, émet des doutes quant
aux perspectives de développement affectif des enfants de couples
homoparentaux (non, ce n’est pas une plaisanterie mais un article
du Monde). Maurice Berger se base d’abord sur la notion d’asymétrie
parentale du couple mixte sans laquelle l’enfant ne pourrait rencontrer
les composantes « féminines » et « masculines » auxquelles il aurait
besoin de s’identifier (quelles sont ces composantes, précisément ?
Mystère et boule de gomme). Il souligne ensuite la plus grande difficulté de ces enfants à pouvoir se donner une explication sur l’origine
de leur conception et à comprendre une filiation homoparentale. À
Filiatio, on s’étonne et on se demande si ce psychiatre a vraiment
rencontré des familles homoparentales. Nous, qui en connaissons de
près, émettons des doutes.
http://www.lemonde.fr/idees/article/2013/02/07/homoparentalite-et-risque-affectif_1828555_3232.html
France
Vers l’euthanasie dans « certains cas exceptionnels » ?
Évoquant un « devoir d’humanité » le Conseil national de l’Ordre des
médecins français envisage pour la première fois qu’un collège médical permette une « sédation terminale » pour des patients en fin de vie
ayant émis des « requêtes persistantes, lucides et réitérées ». L’objectif :
prendre en compte certaines situations auxquelles ne répondraient
pas la Loi Léonetti de 2005. À suivre.
http://www.liberation.fr/societe/2013/02/14/l-ordre-des-medecinsouvre-la-porte-a-l-euthanasie-dans-des-cas-exceptionnels_881757
Filiatio n°9 – mars / avril 2013
5
© Le roi, sa femme et le petit prince, Mario Ramos, Pastel / École des loisirs, 2008.
INTERVIEW
Rencontre avec
Édith Goldbeter Merinfeld
Des nouvelles configurations familiales
Édith Goldbeter Merinfeld est une grande figure de la thérapie familiale. Par une journée enneigée,
elle nous a reçus en entretien et nous a livré quelques clés de réflexion sur les nouvelles configurations familiales
qui traversent la société… et notre journal. Familles homo-parentales et hétéro-parentales, désir d’enfant,
nid vide, séparations et disputes autour des enfants : elle-même, explique-t-elle, ne cesse de se poser
des questions. C’est ainsi qu’elle conçoit son métier de thérapeute et c’est ainsi qu’elle le pratique.
Mais pour une fois, c’est elle qui répond aux questions !
Filiatio : À
quels nouveaux enjeux
sont confrontées les familles ?
Édith Goldbeter Merinfeld : les séparations sont très répandues ; cette évolution
date déjà de plus de dix ans. Le divorce s’est
banalisé, ainsi que les séparations des couples
non mariés ayant des enfants. De nouvelles
configurations sont apparues, telles que les
couples homosexuels, séparés ou divorcés de
couples hétérosexuels ; dans certains cas, on a
des familles reconstituées avec deux femmes,
ou deux hommes, et des enfants des deux
côtés. En France, c’est un grand débat ! Mais
ici, ces cas de figure existent depuis longtemps et ce type de familles émerge depuis
6
Filiatio n°9 – mars / avril 2013
La question
de l’attachement
n’est pas
celle du sexe
mais
du type
de lien
quatre ou cinq ans ; non qu’elles n’existaient
pas auparavant, mais elles étaient sans doute
plus clandestines. Les familles reconstituées
autour d’un couple homosexuel ne posent pas
de problèmes dans le sens de la vie familiale :
mais il arrive parfois que les enfants qui y sont
élevés, en particulier les adolescents, craignent
le regard de leurs pairs. Il peut leur être difficile
de ramener des amis à la maison : ils sentent
une forme de stigmatisation. Les problèmes
viennent du regard du monde extérieur, ou de
la peur de ce regard. Dans ma pratique, on se
pose tout le temps des questions différentes !
Je me rappelle encore la première fois où au
téléphone, un homme m’a dit : « Je viendrai
avec mon mari ». En fait, les cas de figure sont
innombrables : je pense aux familles où l’on
garde le lien avec les ex-beaux-parents et, à
l’inverse, celles où les enfants sont soumis
à des deuils multiples : d’abord le deuil de la
famille initiale, puis le deuil des beaux-parents.
Chaque séparation engendre un nouveau deuil :
il est plus facile de garder sa mère que sa bellemère ou son père que son beau-père. Je pense
aussi aux ex-beaux-grands parents…
F. : L a question du projet d’enfant
se pose-t-elle différemment ?
E. G.M. : Tout à fait. Pensons au couples trentenaires et sans enfants. L’attente posée sur
l’existence d’un enfant est différente chez ces
gens plus âgés que la moyenne : parfois, le
désir d’un nouveau moteur pour le couple est
à l’origine du désir d’enfant. Cela peut ensuite
être une mission assez lourde pour ces enfants
responsables du maintien du couple. D’autres
couples ont tout misé sur le développement
professionnel et social, en passant le contrat
quasi explicite de ne pas avoir d’enfants. Et
puis, l’un des deux, souvent la femme mais
parfois l’homme, sent grandir son désir d’enfant. Des tensions dans le couple peuvent se
créer et les séparations qui en résultent sont
très compliquées à gérer – en particulier pour
les femmes qui désirent un enfant et qui se
retrouvent célibataires à 38 ou 39 ans. Les
sexagénaires représentent une autre question récemment apparue. Parfois, l’un des
partenaires vieillit plus vite que l’autre, mais
les personnes âgées sont aujourd’hui très
différentes de celles de mon enfance ! La plupart d’entre elles restent actives et n’ont plus
d’enfants à la maison, devenue un « nid vide ».
Que mettre dans le couple pour combler cette
absence ? Les attentes ne sont plus les mêmes
qu’à vingt ans, lorsque le couple n’avait pas
encore d’enfants, et l’intimité a parfois été
mise à mal par l’aspect fonctionnel de la vie.
Il faut alors prendre le temps de s’asseoir et
de réfléchir à ce que l’on fait encore ensemble.
F. : En général, comment penser
les relations entre un « jeune enfant »
et ses parents séparés, dans le cadre
de familles hétéros ou homoparentales ? 1
E. G.M. : Je crois qu’il faut raisonner en termes
d’attachement beaucoup plus qu’en termes
de ce qui serait paternelou de maternel, ainsi
que la psychanalyse l’a un peu imposé avec
ses stéréotypes. John Bowlby, à l’origine de la
théorie de l’attachement, avait insisté sur le
fait que l’enfant se développe dans un cadre
relationnel. À son époque, dans les années
1970 et 1980, des féministes s’étaient insurgées contre ce qu’elles interprétaient comme
une réduction de la femme à la maternité. Ce
n’était pourtant pas le point de vue de Bowlby.
Certes, dans la société au sein de laquelle il
avait développé sa théorie, c’étaient habituellement les mères qui s’occupaient des enfants ;
mais Bowlby veut surtout montrer que l’attachement peut aussi bien se tisser avec le père,
une nounou ou un grand-parent. La question
n’est pas celle du sexe mais du type de lien.
Dans toute famille, des liens de toutes sortes
se tissent. Chaque lien a ses ressources. Dire
qu’un type de lien est préférable à un autre me
paraît délicat. Le plus compliqué à gérer pour
les enfants reste la séparation et la diminution
du temps passé avec leurs parents. Quand ils
voient l’un, ils ne voient plus l’autre : c’est là
le plus difficile.
F. : Pourtant, lorsque les parents
se séparent de façon conflictuelle,
il est fréquent que la justice privilégie la
résidence principale dans le milieu maternel
en raison du « jeune âge de l’enfant ». 2
E. G.M. : L imiter les relations du père avec
son enfant parce que ce dernier est « jeune »
est ridicule. Dans des familles non séparées,
les pères peuvent être amenés à s’occuper de
leur enfant plus que la mère, et cela ne perturbe pas spécialement l’enfant. Bien sûr, si la
mère allaite ou si le père ne se sent pas prêt,
la situation est différente. Certaines mères
ne se sentent pas non plus compétentes. Je
suis contre la rigidification. J’ai également
toujours eu des réticences par rapport aux
modèles analytiques duels qui ne prennent
pas en compte l’idée du triangle et le fait qu’on
peut être lié à plusieurs personnes à la fois.
Dans les cas de couple dont les deux membres
travaillent, on ne peut pas utiliser un canevas d’il y a cinquante ans pour organiser les
règles à suivre après la séparation. Bien sûr,
cela dépend des rôles que joue chacun des
membres du couple. Idéalement, les parents
devraient dissocier leur couple parental et leur
couple conjugal, sinon les enfants sont coincés entre deux camps et se sentent souvent
obligés de rester avec celui qui souffre le plus.
Avant, on demandait à l’enfant de « choisir » !
J’ai rencontré des adultes qui portaient encore
la culpabilité de ce choix déresponsabilisant
les adultes. L’enfant doit être entendu mais ne
doit pas porter la responsabilité de la décision.
F. : Êtes-vous, comme 7 belges sur 10,
favorable à l’hébergement égalitaire ?
E. G. M. : J e crois que la loi de 2006 sur l’hébergement égalitaire est une bonne idée.
Idéalement, l’alternance devrait se faire tous
les 7 ou 8 jours, avec une semaine d’école et
un week-end chez chaque parent à tour de rôle.
Mais lorsque l’enfant est plus petit, le temps
est plus long : au milieu de la semaine, ce serait
alors bon d’avoir un moment où l’enfant voit son
autre parent. On peut aussi téléphoner. Avec
ou sans téléphone, l’enfant ne doit pas être le
messager, mais il doit pouvoir parler de lui. C’est
important de pouvoir appeler l’autre parent pour
lui dire : je suis tombée, je me suis disputée, etc.
De nouveau, afin de pouvoir parler avec ses deux
parents, il ne faut pas trop de tension entre eux,
la séparation doit être consommée. Quand la
bagarre entre les parents n’est pas terminée,
c’est terrible ! Je me rappelle cet enfant que l’un
des parents soignait par homéopathie pendant
sa semaine : la semaine suivante, l’autre parent
jetait les potions et passait à l’allopathie… D’un
autre côté, à l’autre extrême, si les parents
séparés sont trop proches, les enfants ne s’y
retrouvent plus.
F. : Autrement dit, selon vous, le problème
réside avant tout dans le conflit ?
E. G.M. : E
n effet. Au-delà de la fréquence
d’hébergement, je trouve que le respect mutuel des parents est très important. Il doit
toujours y avoir une possibilité de communiquer sereinement entre parents à propos de
l’enfant commun. Les choses doivent être
claires. Dans le même sens, à l’adolescence, il
faut pouvoir gérer les difficultés liées à cet âge
sans « envoyer » l’enfant chez l’autre parent,
pour en quelque sorte s’en débarrasser.>>>
1 Nous pensons notamment au témoignage de Pascale, Filiatio #4.
2 Voir dans ce numéro l’article en pages 7 à 9 sur les recherches
menées dans les tribunaux de Bruxelles et Charleroi par la Ligue
Francophone de Santé Mentale.
Bio express
❱❱ Docteure en psychologie et
psychothérapeute familiale
systémique, Édith Goldbeter Merinfeld
est professeur à l’Université Libre de
Bruxelles et chargée d’enseignement
à l’Université de Paris VIII et à
l’Université du Sud de Toulon-Var.
Elle dirige les formations de l’Institut
d’Études de la Famille et des Systèmes
humains à Bruxelles. Rédactrice
en chef des Cahiers critiques de
thérapie familiale et de pratiques de
réseaux (De Boeck), elle coordonne
également la collection « Carrefour des
psychothérapies » (De Boeck). Elle est
membre fondatrice de l’Association
Européenne de Thérapie Familiale..
Filiatio n°9 – mars / avril 2013
7
Pour aller plus loin
© Au lit, petit monstre!, Mario Ramos, Pastel / École des loisirs, 1996.
❱❱ « Pour réfléchir à la façon dont l’enfant
se construit dans le triangle primaire :
on peut ménager les deux côtés du
triangle ! »
- Oh non ! C’est dégoûtant ça !
Je t’ai déjà dit mille fois que c’est une brosse à dents et pas une brosse à robinets.
Idéalement, les parents ne devraient pas habiter trop loin l’un de l’autre ; qu’on puisse,
si l’enfant va à l’école, l’y amener, que l’enfant puisse garder ses amis d’une semaine à
l’autre… Lorsqu’un parent veut partir s’installer à l’étranger, c’est très difficile. Le parent
du quotidien devient le parent de l’école, et
l’autre, le parent des vacances. D’une manière
générale, en cas de conflit, je crois qu’il ne faut
pas hésiter à consulter. Toutes sortes de gens
peuvent aider à chercher des solutions. Mais
il est vrai que certaines guerres sont définitives, parce qu’un parent n’a pas envie d’en
sortir. Parfois, on s’en rend compte lorsqu’on
s’aperçoit que l’enfant ne va pas bien, car la
guerre est passée au premier plan, avant le
bien-être de l’enfant. Pour ces parents, ce qui
arrive à l’enfant leur paraît moins grave que le
conflit : ce ne sont pas forcément des parents
négligents mais ils banalisent l’effet que le
conflit a sur l’enfant, ou pensent que c’est
uniquement à cause de l’autre parent. Dans
ces cas-là, pour le juge, ce n’est parfois pas
simple de trancher, et c’est toujours injuste.
La séparation, de fait, fait vivre des choses
injustes et compliquées aux enfants, qui sont
toujours déchirés – sauf dans certains cas de
maltraitance extrême où leur sécurité doit
primer sur leur attachement.
Propos recueillis par Sabine Panet
Conseils de lecture
❱❱ « Je cite beaucoup les livres d’Eric Fottorino : L’homme qui m’aimait tout bas (Gallimard,
2009) et Questions à mon père (Gallimard, 2010). Les deux forment une très belle
histoire. Mais Éric Fottorino n’a pas pu vivre une relation avec ses deux pères, son
père biologique et son père adoptif. Imaginons qu’il naisse aujourd’hui : il pourrait être
en garde alternée et passer une semaine sur deux avec chacun d’entre eux… À son
époque, c’était impensable. »
❱❱ Retrouvez ces ouvrages présentés dans notre rubrique En Lisant, à la fin du journal !
8
Filiatio n°9 – mars / avril 2013
❱❱ Le Triangle Primaire, par Élisabeth
Fivaz-Depeursinge et Antoinette
Corboz-Warnery (initialement paru
chez Odile Jacob, 2001, en cours de
réédition chez de Boeck).
❱❱ Cahiers critiques de thérapie familiale
et de pratiques de réseaux, de Boeck.
Historiquement, les Cahiers sont la
première revue internationale de
thérapie familiale en langue française.
Ils paraissent deux fois par an et sont
à retrouver sur le portail www.cairn.
info en texte intégral. Ils sont destinés
aux praticiens de la santé mentale, aux
enseignants, chercheurs et étudiants.
❱❱ Le numéro 47 de la revue, paru en
janvier 2012, porte sur les « Nouvelles
configurations familiales » et
questionne famille, conjugalité, hétéro
et homo-parentalité, interculturalité,
deuil, maladies et séparations.
DOSSIER
Mères porteuses :
progrès social ou
ventres à louer ?
En Belgique, une femme peut porter l’enfant d’un couple différent du sien.
Devant le vide juridique qui entoure le recours aux mères porteuses,
différents points de vue s’affrontent : faut-il légaliser ou bannir la gestation
pour autrui ? Faut-il se contenter d’en interdire le commerce ?
Décryptage avec le Docteur en médecine et gynécologue Armand Lequeux.
© Aline Rolis. Image extraite du « Livre de Mémé » www.illustrationsaline.wordpress.com
Dossier réalisé par Sabine Panet.
Filiatio n°9 – mars / avril 2013
9
Sans encadrement juridique, le recours aux mères porteuses peut être
source de conflits et de violences. Dans tous les cas, tous s’accordent sur
la nécessité de légiférer pour protéger celles et ceux qui en ont besoin.
Différentes options sont possibles et des projets de lois ont été déposés
par les principales formations politiques du pays. Comment trancher ?
Des mots qui comptent
Il existe différentes façons de décrire le fait
qu’une femme porte et donne naissance à un
enfant pour d’autres parents : « mères porteuses », « maternité de substitution », « gestation pour autrui », « contrat de grossesse ».
En Belgique, le comité d’éthique s’est rallié à
l’expression « gestation pour autrui » qui signifie « la pratique selon laquelle une femme porte
un fœtus ou un enfant, et poursuit la grossesse
jusqu’à la naissance de cet enfant avec l’intention
de transférer ensuite tous ses droits et devoirs
parentaux aux parents demandeurs 1 ».
Il y a une différence entre la maternité pour autrui dite « de gestation », dans laquelle l’ovule
vient de la mère demandeuse et le sperme
du père demandeur, et la maternité pour autrui dite « génétique », dans laquelle la mère
porteuse apporte également le patrimoine
génétique maternel. Cela vous paraît simple ?
Attendez un peu.
La définition dite « neutre » de « gestation pour
autrui » est en soi une prise de position, et le
comité le reconnaît : « cette neutralité implique
déjà une perspective qui recouvre les dimensions
relationnelles et émotionnelles de la maternité de
substitution ». En effet « gestation pour autrui »
(GPA) est un terme tout à fait clinique, factuel :
il s’agirait simplement d’une « technique de
lutte contre l’infertilité », comme l’explique
avec des mots apparemment simples l’association française Clara, pro-GPA. D’autres
préfèrent utiliser le terme « mères porteuses »
pour mettre directement l’accent sur les enjeux
éthiques et la personne derrière l’« utérus
de substitution » : une femme, avec un vécu
physique et psychique. En réalité, bien souvent
ces termes sont utilisés indistinctement, sans
tenir compte des valeurs qu’ils charrient. Dans
cet article, nous alternons les deux usages
mais… après vous avoir informé !
À travers la GPA, il s’agit donc non seulement
d’adopter un enfant, mais un enfant qui soit
issu du patrimoine génétique d’au moins un
des deux parents demandeurs. Dans les cas
où l’aide médicale est nécessaire, la gestation pour autrui entre dans le champ de l’aide
médicale à la procréation (AMP). Ce n’est pas
anodin. Afin d’aider les couples infertiles à
devenir parents, l’AMP ouvre de nouvelles
10
Filiatio n°9 – mars / avril 2013
Une mère
porteuse
pour éviter les
vergetures sur
les hanches de la
mère biologique ?
perspectives dans le champ de la filiation :
intention, convention, déclarations, au-delà
des réalités biologiques.
Toutefois, la gestation pour autrui n’est pas
une forme d’AMP comme les autres, et c’est
pourquoi elle est à ce point controversée. Dans
les autres cas d’AMP, comme l’insémination
artificielle du sperme d’un donneur ou bien
l’implantation de l’ovule d’une donneuse dans
l’utérus de la mère, la mère demandeuse de
l’AMP fait l’expérience de la grossesse et des
liens prénataux avec l’enfant, et accouche. Ce
n’est pas le cas avec la GPA, et c’est le cœur
du débat.
Bricolages belges
Chez nous, la GPA n’est pas encadrée par la loi,
mais plus de cinquante couples y font appel
chaque année dans des hôpitaux belges, sans
compter les cas non déclarés. Certes, un vide
juridique n’est pas en soi une mauvaise chose.
Par ailleurs, ce n’est pas parce qu’une pratique
se développe, même de manière sous-marine,
qu’on doit la légaliser – l’argument n’est pas
très convainquant. Ce qui l’est plus, c’est la nécessité de protéger des personnes en danger.
Ainsi, au nom de la protection des différentes
parties (les parents demandeurs, l’enfant, la
mère porteuse, les femmes en général, l’humanité…) de nombreuses voix appellent à une
réflexion concrète sur un encadrement légal
de la GPA.
En Belgique, quelles sont les personnes qui
cherchent à devenir parents en utilisant
l’utérus d’une mère porteuse, et, dans certains cas, son patrimoine génétique ? Tout
d’abord, des femmes privées d’utérus du fait
d’une pathologie et donc infertiles ou dont
une grossesse mettrait la vie en péril, et leur
compagnon – souvent futur père biologique
de l’enfant. Autre cas de figure : des couples
gays, qui ne sont pas stériles individuellement
mais dont le couple est stérile. Dans leur cas,
aussi bien dans le cas des couples lesbiens, la
parentalité passe forcément – quelle qu’en
soit la manière – par un partenaire de l’autre
sexe et une équipe, médicale ou d’adoption.
Contrairement aux couples lesbiens qui ont
accès à la procréation médicalement assistée,
les gays ont difficilement accès à la parentalité : avez-vous déjà rencontré des couples
d’hommes qui ont adopté un enfant ? Ils sont
rares ! Non que les procédures belges soient
discriminantes à l’adoption par des couples
gays ou lesbiens, mais parce que les procédures internationales le sont, et parce que les
enfants à adopter ici sont rares. À ce jour, en
tous les cas, ce sont ces deux profils qui sont
concernés par les GPA en Belgique. Mais aux
États-Unis, où certains États ont légalisé la
GPA et autorisé sa « tarification », de riches
couples fertiles ou des mères célibataires
fertiles font appel, moyennant finances, à
des mères porteuses pour d’autres raisons :
la grossesse abîme, fatigue, prend du temps…
Une mère porteuse pour éviter les vergetures
sur les hanches la mère biologique? Si on y
pense, c’est forcément que d’autres y ont
pensé également. Officiellement, il n’en est
rien ici de ces situations folles : pour l’instant,
on « bricole », comme le remarque le docteur
Armand Lequeux (voir interview). Voyez-un
peu le bricolage.
En ce qui concerne les mères infertiles, certains hôpitaux, dont Saint-Pierre à Bruxelles,
ont mené une réflexion éthique et ont décidé de pratiquer des GPA strictement réservées aux cas où la mère porteuse n’est pas
la mère génétique (c’est à dire les cas où la
mère demandeuse peut donner un ovule) et
où la mère demandeuse risque de perdre la vie
pendant la grossesse. Ces GPA sont encadrées
de telle sorte que la mère porteuse le fasse
uniquement pour des raisons « altruistes » :
les deux femmes doivent se connaître, se faire
confiance. Aucune « commercialisation » ne
serait ainsi en jeu. Des femmes peuvent porter
l’enfant d’un couple d’amis, de parents – les
services de l’hôpital étant censés s’assurer
que la qualité des liens entre les acteurs de la
GPA suffisent à garantir la bonne marche des
différentes étapes. Pourquoi ces liens demandés entre la mère porteuse et le couple ? On a
vu des mères porteuses refuser d’abandonner
leurs droits parentaux aux parents demandeurs ; on a aussi vu des parents demandeurs
refuser d’adopter un enfant né handicapé… On
comprend le principe, mais on peut aussi se
demander dans quelle mesure il n’est pas possible de le contourner, en inventant un lien créé
pour l’occasion. On peut aussi se demander s’il
n’est pas discriminant de pratiquer des GPA
pour des couples hétéros, mais pas pour des
couples homos… et s’il n’est pas possible de
contourner cela en faisant passer sa meilleure
amie pour sa compagne. Enfin bref.
Imaginons que cela se passe comme prévu
par ces quelques hôpitaux. La mère porteuse
est enceinte, les parents demandeurs suivent
attentivement la grossesse, font ensemble
un travail psychologique autour de leur expérience, etc. et la mère porteuse arrive à terme.
À la naissance, elle est d’office reconnue mère
juridiquement : elle renonce ensuite à ses
droits sur l’enfant. Le père biologique étant
le père officiel, la mère demandeuse pourra
alors adopter l’enfant. Si la mère porteuse est
mariée, c’est un peu plus compliqué, puisque
son mari est d’office reconnu père de l’enfant
qu’elle porte, et donc lui aussi doit renoncer
à ses droits sur l’enfant pour que le père
« demandeur » devienne le père légal. Dans
certains cas, tout se passe bien et la mère
porteuse devient une « marraine » d’un enfant
qui connaît l’histoire originale de sa conception.
Dans d’autres, les dégâts sont importants –
comme pour Donna, petite fille que la mère
porteuse avait finalement refusé de donner
aux parents demandeurs et « revendue » à un
couple néerlandais. Que de souffrances et de
déchirements pour l’enfant, pour les parents
demandeurs, pour les familles…
Pour ceux qui ne rentrent pas dans les profils
des GPA pratiquées par ces quelques centres
hospitaliers, des sites internet proposent des
services dignes de la science-fiction. Googlez
« mères porteuses », pour voir. Des associations de soutien à la GPA informent, pour ne
pas dire dévoilent, des « combines » mêlant
l’accouchement sous X de la mère porteuse en
France à la plus totale absence de protection
pour l’ensemble des parties en présence, en
passant par des « plans » en Ukraine dont
on sait aujourd’hui que ce sont des viviers
d’exploitation de femmes pauvres. De ce côté-là, le bricolage semble donc ne pas faire
que des heureux. Les femmes ayant « loué »
leurs services, porté pendant neuf mois et
accouché d’un enfant qu’elles ont « donné »
à la naissance, via différentes combines pour
permettre une filiation avec au moins l’un
des parents demandeurs, sortent rarement
indemnes de l’expérience. Les enfants nés
dans ces conditions sont difficilement reconnus par la Belgique : rappelez-vous l’histoire
de Samuel, ce garçon né d’un père biologique
belge et d’une mère porteuse ukrainienne,
coincé pendant deux ans dans un orphelinat.
Enfin, la désapprobation sociale est souvent
difficile à porter pour les parents et les enfants
nés d’une GPA.
Légaliser ou interdire ?
Dans tous les cas, tous s’accordent sur la
nécessité de légiférer pour protéger celles
et ceux qui en ont besoin. Les complications
surviennent après. Deux options se présentent,
voire trois : légaliser et commercialiser, légaliser et interdire le commerce, ou interdire
totalement.
Le premier argument qui revient en faveur de
l’interdiction totale de la GPA et en faveur de
l’interdiction d’une relation marchande à la GPA
est celui du principe de non-commercialisation
du corps humain. On ne loue pas un ventre, on
ne vend pas un enfant, point barre. La logique
du don, l’éthique du don, l’altruisme ? Tout le
monde n’y croit pas, en particulier dès lors qu’il
s’agit d’échanges dans une sphère économique
et sociale inégale (voir encadré « Extension du
domaine de l’aliénation »). Pascale Maquestiau,
directrice de l’asbl Le Monde Selon les Femmes,
explique : « Je ne suis pas favorable aux mères
porteuses. Ce serait très difficile de mettre en
place des mécanismes empêchant de profiter
de la pauvreté des personnes. Nous devons légiférer en prenant conscience de celles et ceux
qui peuvent être discriminés, des femmes qui
ont vécu cela. Le risque est aussi d’avoir une médecine à deux vitesses, avec des professionnels
entrant dans une logique de marchandisation
des corps. » En politique, le CDH, par la voix de
Clotilde Nyssens, a fait des propositions en
faveur de l’interdiction totale de la GPA en ce
qui concerne la « maternité de substitution »
(lorsque la mère porteuse n’est pas la mère génétique) et le « recours aux mères porteuses »
(lorsque la mère porteuse apporte aussi son
patrimoine génétique).
Officiellement motivés par le principe de
non-commercialisation du corps humain,
quatre autres partis ont déposé des propositions de loi visant à réglementer la GPA tout en
interdisant sa tarification. Parmi ces propositions, deux ouvrent l’accès à la GPA aux couples
homosexuels : celle de Philippe Mahoux (PS) et
celle de Guy Swennen et Marleen Temmerman
(sp.a). Les deux autres, de Christine Defraigne
(MR) et de Bart Tommelein (Open VLD) limitent
l’accès aux seuls couples hétérosexuels. Audelà de cette différence majeure, les quatre
propositions varient toutes légèrement (heureusement, sinon on pourrait se demander
à quoi sert le travail de nos législateurs!).
Certaines prévoient l’accès à la GPA pour les
mères célibataires : les critères de sélection et
de protection des mères porteuses et des parents sont également divers. La proposition du
MR ne reconnaît que les GPA où la mère porteuse est uniquement « gestationnelle » (lorsqu’elle n’apporte pas de patrimoine génétique)
et les trois autres propositions demandent au
moins « la moitié » du patrimoine génétique.
Tant de débats, pour un temps parlementaire
qui n’a pas encore mis la décision à l’ordre du
jour. Il serait temps de retenir les vies en jeu.
Celles des enfants tout d’abord, pas encore
conçus et déjà désirés. Celles des femmes
stériles qui veulent donner la vie. Celles des
couples d’hommes, dont la société ne semble
pas encore prête à reconnaître le désir d’enfant
et qui pourtant désirent avec autant d’espoir et
de désespoir que des femmes peuvent désirer
un enfant. Et enfin, en jeu évidemment, la vie
des femmes prêtes à porter l’enfant d’une
autre, l’enfant d’autres parents, et à quel prix ?
1 Comité Consultatif de Bioéthique, avis n°30 du 5 juillet 2004.
Pour aller plus loin
❱❱ L’avis du Comité Consultatif de
Bioéthique est tellement complet
qu’il fournit même des arguments
favorables à la commercialisation de la
GPA. On vous laisse les découvrir, ainsi
qu’une mine d’informations sur les
risques et les enjeux bioéthiques de la
GPA. Comité Consultatif de Bioéthique,
avis n°30 du 5 juillet 2004.
Filiatio n°9 – mars / avril 2013
11
Armand Lequeux : « la gestation pour autrui
peut être acceptable si elle est altruiste »
Armand Lequeux est Docteur en médecine et gynécologue, professeur émérite de sexologie
à l’Université catholique de Louvain et ancien président de l’Institut d’Études de la Famille
et de la Sexualité de cette même université. Il est contre une interdiction absolue de
la gestation pour autrui, mais pense qu’elle doit rester « altruiste » et non rémunérée,
dans le cadre de balises strictes que devrait poser une future législation.
Filiatio : Faut-il ou non un encadrement
légal à la pratique des mères porteuses
en Belgique ?
Armand Lequeux : C’est un sujet… en gestation. Il est complexe, et on en discute dans
de multiples instances. L’avantage que nous
avons en Belgique, c’est que nous avons l’habitude de bricoler – au sens inventif du terme.
Concernant les mères porteuses, des hôpitaux
et des services universitaires entourés de
comités d’éthique accompagnent déjà des
« prêts d’utérus ». Ils vont être amenés à se
rassembler avec des juristes, des moralistes et
de nombreux autres spécialistes pour légiférer :
car, à mon sens, il faut légiférer autour de ce
vide juridique. Cette période de « bricolage »
aura permis d’expérimenter dans un contexte
sérieux, hors de tout contexte lucratif : ainsi,
aux commissions parlementaires, seront auditionnés des personnes qui ne parleront pas
en théorie, mais en pratique.
F. : Dans quel sens faut-il légiférer,
à votre avis ?
A. L. : C
e serait prétentieux de ma part de dire
ce qu’il faut faire ! Je n’ai pas la solution, mais
je crois que tout d’abord, il faut absolument
éviter le contexte lucratif. Ce qui ne veut pas
dire qu’il ne faut pas compenser les femmes
qui prêtent leur utérus. Mais il faut éviter les
dérives inacceptables comme ce à quoi nous
assistons en Ukraine. On peut aussi imaginer,
ici, que des femmes carriéristes fassent porter
leur enfant par d’autres femmes… La gestation
pour autrui n’est pas un job ou une activité
lucrative ! Mais elle peut être acceptable si
elle est altruiste. De la même manière, on
peut donner un rein à son frère et on n’est
pas rémunéré pour cela. Ici, les hôpitaux n’accepteraient pas de pratiquer un don d’organe
vivant pour lequel le receveur aurait payé. On
doit espérer qu’il se passe la même chose pour
les mères porteuses. S’opposer par principe
La GPA est-elle une «extension
du domaine de l’aliénation ? »
Le collectif « NoBody for Sale », basé en France, comprend
des dizaines de personnalités politiques, familialistes et
médiatiques dont le Planning Familial, Sylviane Agacinski…
S’il est orienté à gauche de l’échiquier politique français,
les arguments présentés transcendent les divisions politiques
et trouvent écho en Belgique. Extraits de plaidoyer :
« Quand certains évoquent une logique généreuse du «don», force est de
constater dans la pratique que le bénévolat n’existe pas en ce domaine.
Là où elle est autorisée, même très encadrée, comme au Royaume-Uni,
la maternité pour autrui est toujours rémunérée, sous forme de salaire
ou de « dédommagement », bien au-delà de la couverture des frais médicaux. Et comment pourrait-il en être autrement ? Qu’une femme mette
gratuitement ses organes et neuf mois de sa vie à disposition d’autrui
sans contrepartie financière n’est imaginable que dans des cas tout à fait
exceptionnels (comme pour les dons d’organes entre parents, et encore,
pour sauver une vie). Mais la maternité pour autrui ne peut justement
pas se pratiquer dans un cadre intrafamilial en raison des implications
indirectement incestueuses qu’elle comporterait […]. C’est pourquoi, là où
elle est permise, cette pratique donne toujours lieu à une rétribution de la
grossesse et fixe un prix à l’enfant ainsi « produit ». L’enfantement devient
alors un service social et la sphère économique s’empare de la vie la plus
12
Filiatio n°9 – mars / avril 2013
à l’encadrement légal de la gestation pour
autrui ne me paraît pas raisonnable. Il faut
mettre des barrières sérieuses, mais ce n’est
pas parce qu’il y a des abus qu’il ne faut pas
penser, concevoir et encadrer.
En tant que gynécologue, j’ai rencontré des
femmes nées sans utérus. La possibilité pour
ces femmes d’être mères et de vivre leur
grossesse par procuration, grâce à une sœur,
une cousine, une amie, doit être envisagée.
Pourquoi fermer tout à fait cette possibilité ? Je pense que nous ne devons pas refuser
au nom des principes et des dérives, mais
plutôt écouter avec soin ceux qui ont vécu et
accompagné ces situations dans de bonnes
conditions dans des cliniques universitaires
en Belgique.
privée et la plus intime d’une personne. Loin de pouvoir s’inscrire dans
le registre du don gratuit, toute forme de légalisation de cette pratique
engage une marchandisation du corps féminin et de l’enfant. Ce nouveau
marché du corps est ainsi indissociable de toute «gestation» pour autrui et
n’en constitue nullement une «dérive» que l’on pourrait éviter. Il faudrait
rester aveugle au développement d’un marché procréatif mondial - sur
lequel les gamètes et les ventres s’échangent, pour le plus grand profit de
cliniques et d’instituts spécialisés - pour oser encore rattacher la mise à
disposition du corps des femmes à un échange « altruiste ».
Le marché des ventres, là où il est autorisé, constitue en fait une incitation
à se vendre pour les femmes les plus vulnérables, une forme nouvelle
d’exploitation et de servitude.
On ne peut assimiler la grossesse, qui concerne la vie la plus intime d’une
femme, à un travail social au terme duquel la « gestatrice » remettrait
finalement son produit à des commanditaires. Il faut se faire une étrange
idée du rapport des femmes à leur vie propre et à leur corps, pour croire
qu’elles peuvent vivre neuf mois, jour et nuit, au service d’autrui sans aliéner
profondément leur personne. De plus, là où la pratique a été légalisée, les
contrats d’engagement d’une « mère porteuse » entraînent une véritable
mise sous tutelle de sa vie la plus intime : son alimentation, son mode de
vie, sa sexualité, l’obligation d’avorter dans certains cas, etc. Pour ne rien
dire de l’accouchement, avec ses risques non négligeables (épisiotomie,
césarienne, voire hémorragie), qui se trouve alors inclus sans scrupules
dans le cadre d’un échange commercial. »
(http://nonalagpa.blogspot.be/)
« Trente-deux ans d’expérience, plus de 1700
enfants dans 45 pays, 40% de clients étrangers : la société CSP vante ses spécialistes
« de premier ordre » dans tous les domaines
et un bilan sans faille. « Environ la moitié de
nos clients sont homosexuels, explique Sherrie
Smith, administratrice du centre de la côte Est,
dans le Maryland. Et en ce moment, nous avons
une dizaine de couples français. Quel que soit leur
pays d’origine, nous avons toujours réussi à faire
rentrer les bébés chez eux. »
Faire un bébé avec CSP, « c’est comme un voyage
en Mercedes, résume un père comblé. Calme,
efficace et fiable ».
http://www.lefigaro.fr/actualitefrance/2013/01/31/01016-20130131ARTFIG00749-l-incroyable-marche-americaindes-meres-porteuses.php
Et pendant ce temps,
en Ukraine,
des ventres à louer ?
© Julien Goldstein / Getty Images
Et pendant ce temps,
en Inde, une chaîne commerciale
s’est mise en place
© Sam Panthaky / AFP
© Jeff Topping / Reuters
Et pendant ce temps,
aux États-Unis, pour quelques
dizaines de milliers de dollars…
« Paul, un Français homosexuel, a dû attendre
quatorze mois en Inde avant de régulariser les
papiers de ses deux bébés. « Mon encadrement
médical s’est très bien déroulé, mais j’ai pu observer une autre clinique où plusieurs naissances
étaient prématurées, soulevant la suspicion que
les accouchements des mères porteuses étaient
provoqués à sept mois de grossesse.» […]
Les Indiennes louent leur corps entre 1 300
euros et 7 000 euros, et la facture totale payée
par les étrangers se situe entre 10 000 euros
et 25 000 euros. Car toute une chaîne commerciale s’est mise en place, avec un millier de
cliniques spécialisées, des agents recruteurs,
des avocats, des hôtels. »
http://www.lepoint.fr/monde/en-indeles-derives-de-la-gestation-pour-autrui-01-02-2013-1622779_24.php
Chez nos voisins français, on se dispute
En France, la GPA est interdite, mais en débat.
La gauche au pouvoir est divisée.
Les lois sur la bioéthique considèrent qu’un utérus ne peut pas « se
prêter » ou « se louer » et qu’un enfant ne peut pas se donner ou se
vendre. Par ailleurs, la GPA remettrait en cause certains fondements
du droit hexagonal et en particulier l’équation « femme qui accouche
= mère ». Ainsi, en France, le Code civil institue comme « branche maternelle » la famille de la femme qui a donné physiquement naissance
à l’enfant. Et non pas celle qui a, le cas échéant, donné une cellule
pour fabriquer l’embryon, celle (ou celui) qui a élevé l’enfant, sauf
en cas d’adoption plénière. La GPA est également en contradiction
avec l’anonymat du donneur. Au delà de ces aspects juridiques et de
l’ordre de la filiation, s’opposent des conceptions de la société qui
semblent irréductibles…
La droite s’est prononcée presque unanimement contre, au nom du
risque de bouleversement des repères familiaux. La gauche semble
plus divisée. Certains, au nom d’une vision « progressiste », proposent
de légiférer en faveur de la reconnaissance des mères porteuses
tout en interdisant tout caractère commercial de la gestation pour
autrui. Parmi eux : le think tank Terra Nova, Élisabeth Badinter et
même Najat Vallaud-Belkacem qui depuis sa prise de position, est
devenue Ministre du droit des femmes et a dû lever le pied sur son
« Pour subvenir à ses besoins, Tania a donc
décidé de se lancer dans un commerce extrême,
exploitant sa seule ressource : son corps. À dix
reprises déjà, elle a vendu ses ovocytes, pour
quelques centaines d’euros. […] Elle a décidé,
une nouvelle fois, de porter l’enfant d’un autre
couple. Sa première expérience avait mal tourné, en 2010. Tania était tombée enceinte tout
de suite. Hélas, il s’agissait d’une grossesse
extra-utérine nécessitant une intervention
chirurgicale d’urgence. Problème : qui devait
payer ? […] Tania n’est pas découragée par cette
épreuve. L’année suivante, elle se plie à nouveau à la procédure. La grossesse se passe bien.
Tania baisse la tête, gênée. «C’était une fille.»
Elle n’a eu aucun contact avec les parents. »
http://www.lemonde.fr/europe/article/2013/01/04/ukraine-ventres-alouer_1812237_3214.html
appel à l’« éthique du don ». Du même bord politique, au PS comme
chez les Verts, d’autres considèrent à l’inverse que la gestation pour
autrui est par essence une aliénation et que son encadrement est une
chimère. (Voir ci-contre) Parmi les signataires de tribunes anti-GPA :
François Hollande (alors député et depuis, occupe la fonction que l’on
sait), Marylise Lebranchu (alors députée, aujourd’hui Ministre de la
Fonction publique), Élisabeth Guigou (à l’origine du « Pacs »), Danielle
Bousquet (aujourd’hui à la tête de l’Observatoire de la parité).
Le milieu LGBT est également divisé. Certaines associations, plutôt
masculines, se disent favorables à l’encadrement de la GPA, voire à
sa tarification, au nom de l’égalité d’accès à la parentalité (c’est à dire :
au nom du droit d’un couple d’hommes d’accéder à la parentalité).
Mais d’autres, plutôt féminines, soutenues par des organisations
féministes, déplorent la « domination masculine » à l’œuvre dans
ces projets et réagissent fortement contre l’assimilation faite entre
leur demande d’autorisation de Procréation Médicalement Assistée
(pour les couples de femmes) et la GPA. « La GPA n’est pas une forme
de procréation médicalement assistée : les lobbies pro-GPA entretiennent
cette confusion à dessein. Si l’insémination artificielle et la fécondation
in vitro relèvent de la PMA, ce n’est pas le cas de la GPA qui correspond à
une industrie de « location des ventres » et de commerce d’ovocytes. La
GPA donne la possibilité aux hommes de disposer du corps des femmes
pour satisfaire un « droit à l’enfant » que nous récusons *. » En France,
on n’est donc pas sorti de l’auberge.
* Le Monde, 11 décembre 2012.
Filiatio n°9 – mars / avril 2013
13
Décryptage par Georges Zouridakis
Dix minutes par mois
Dix minutes par mois. Pendant des
années, toutes les quatre semaines,
Véronique s’est rendue au Maroc
pour passer avec sa fille le temps
d’une récréation. « L’essentiel était
de maintenir le lien », explique cette
femme victime d’un rapt parental.
Témoignage.
« J’ai rencontré mon mari à 18 ans, alors que
j’entamais ma première année d’internat à
Charleroi. Nous nous sommes mariés malgré
l’avis de mes parents, et puis j’ai accouché
d’une fille, Mennana – en arabe, ça veut dire
Espoir. Nous vivions à cette époque dans un
appartement, nous n’avions pas de travail.
Dans ces conditions, il était facile de prendre
ses cliques et ses claques et de partir. C’est
ce que nous avons fait. Nous sommes allés
vivre au Maroc dans la maison des parents
de mon mari, où résidaient également ses
frères et sœurs. J’ai appris très vite l’arabe et
j’ai pu travailler. Quelques années plus tard,
mes parents sont venus me rendre visite. Mon
père, en poste à la Sabena, m’a proposé de
revenir en Belgique où il m’aiderait à obtenir
14
Filiatio n°9 – mars / avril 2013
une place dans cette entreprise d’aviation. J’ai
accepté et je suis rentrée avec eux.
Le soir même, mon mari
embarquait notre fille
pour le Maroc.
Si je n’ai pas décroché l’emploi que j’escomptais, j’ai par contre repris des études en physique nucléaire. Bientôt mon mari et notre fille
m’ont rejointe. Mon mari et moi avons alors
vécu des difficultés relationnelles croissantes :
il a commencé à me manipuler. Peu à peu, à
force d’être déconsidérée et rabaissée, mon
estime de moi s’est suspendue au fil de ses
jugements. Il était mon unique contact avec
le monde extérieur, j’étais seule, isolée. J’en
suis arrivée à couper les ponts avec tout le
monde, aussi bien avec mes amis qu’avec ma
famille. Je ne voyais plus personne. Il en alla
ainsi jusqu’à ce que je commence à travailler chez Mondial-Assistance. À partir de là,
je fus amenée à sortir et, inévitablement, à
rencontrer des gens. Peu à peu, ma situation,
par comparaison aux autres femmes du bureau, m’est apparue comme dissonante. Et
j’ai cessé de l’accepter inconditionnellement.
C’est encore à cette époque que j’ai commencé
à revoir mes parents en cachette et à revivre
clandestinement. Après quelques mois à ce
régime, j’ai pris la décision de quitter mon mari.
Pressentant que je ne pourrais le faire de façon
visible, j’évacuais de notre appartement mes
effets personnels en catimini : je les fourrais
dans des sacs poubelles que je déposais dehors dans les parterres de fleurs. Mon père
venait ensuite les récupérer. Un jour, ayant
terminé de déménager ce qui m’appartenait,
j’ai quitté le travail pour ne plus y retourner et
je ne suis pas rentrée chez nous. Le soir même,
mon mari embarquait notre fille pour le Maroc.
Tu es ma femme,
tu rentres à la maison !
Grâce à ma situation chez Mondial-Assistance,
j’ai pu établir des contacts avec des collègues
marocains qui m’ont confirmé que ma fille habitait chez ses grands-parents. J’ai pris la décision d’aller la rechercher et me suis envolée
pour le Maroc. Malheureusement pour moi, le
fonctionnaire marocain qui m’avait renseignée
étant un parent éloigné de mon mari, il s’était
senti tenu de l’avertir de ma venue. Lorsque
j’ai débarqué de l’avion, le père de ma fille
m’attendait à l’aéroport. Il m’a signalé qu’aux
yeux de la loi de son pays, j’étais sa femme et
qu’il m’incombait de rentrer à la maison. J’étais
tellement anéantie qu’il m’a emmenée sans
que je puisse opposer de résistance.
© Nuno, le petit Roi, Mario Ramos, Pastel / École des loisirs, 2000.
TÉMOIGNAGE
Chez lui, j’ai retrouvé ma fille, avec qui je ne
pouvais m’entretenir que sous une étroite
surveillance. Nous habitions dans une propriété composée de deux bâtisses et entourée d’une enceinte se terminant par un portail dont seuls mon beau-père et le gardien
possédaient une clef. Une des habitations
abritait la famille, l’autre était celle des domestiques. Évidemment, je ne pouvais pas
me déplacer seule ni sortir en rue. Et d’un
point de vue administratif, rien n’était mis en
œuvre pour que j’obtienne ma carte d’identité
locale. Au bout de quelques de mois, j’ai recommencé à travailler pour l’antenne locale
de Mondial-Assistance. Je m’y rendais escortée par un cousin ou un frère de mon mari
qui me conduisait jusqu’à l’étage précis où se
trouvaient mes bureaux. Très vite a germé
en moi l’idée d’éloigner mon mari du Maroc.
Une domestique de la famille me donnant,
sans que je sache vraiment pourquoi, des renseignements sur ce qui se tramait en mon
absence, j’ai appris qu’il souhaitait présenter
des examens universitaires en Belgique. J’ai
achevé de le convaincre de mener son projet
à bien en finançant son voyage. Une fois mon
mari parti, j’ai commencé à dormir dans le
bâtiment des domestiques. Moins contrôlée,
j’avais les coudées plus franches pour agir.
Peu de temps plus tard, une opportunité s’est
offerte à moi : le bureau avait besoin que je me
rende en mission à Toulouse. Bien entendu,
j’avais besoin pour y aller du passeport que
mon mari m’avait confisqué. J’ai donc insisté
auprès de mon beau-père pour le récupérer.
Arguant du fait que j’étais seule à subvenir
aux besoins de la famille et qu’il n’était donc
pas question que je ne satisfasse pas mes
employeurs, il a fini par céder et m’a rendu
ma pièce d’identité. J’ai pu effectuer le voyage
et remplir la mission qui m’avait été confiée.
À mon retour, j’ai demandé à un collègue de
conserver mon passeport dans un tiroir de son
bureau. En juillet suivant, mes parents sont
venus en visite. Ils étaient bien sûr désireux
d’aborder le sujet de ma séquestration. Il fallait
s’y attendre, cela ne manqua pas de déclencher
une dispute extrêmement virulente. À tel point
que la sœur de mon mari elle-même déroba
la clef du portail à son père et l’ouvrit afin que
nous puissions nous enfuir. Après une rapide
halte au bureau où j’ai repris mon passeport,
nous avons filé tout droit à l’aéroport puis
regagné la Belgique. Sans ma fille.
On dirait que tu l’as oubliée !
Je m’y suis réinstallée. Douloureusement. Une
interminable période de rêves et d’espoirs fous.
Avec la vie qui continue, inexorable. Et qui nous
entraîne avec elle, qu’on le veuille ou non. Et
moi, j’avais décidé de vivre, pas de dépérir.
Mon attitude provoquait de l’incompréhension
Tout à coup
elle était là,
ma fille,
devenue
une jeune femme
dans mon entourage. Notamment chez des
personnes aussi proches que mon père qui,
à maintes reprises, m’a reproché d’exister
comme si j’avais oublié ma fille. Peut-être
eut-il été possible de lui expliquer que, pour
survivre, j’avais dû mentalement enfermer ma
fille dans un tiroir que j’ouvrais dans l’intimité
et refermais lorsque ça devenait insupportable.
Je ne suis toutefois pas certaine qu’il eut été
capable de me comprendre. Il m’a fallu composer avec les incompréhensions des autres.
Professionnellement, les auspices m’étaient
plutôt favorables car j’ai retrouvé une fonction
chez Mondial-Assistance. Ce soutien financier
m’a permis, pendant des années et avec l’assentiment des directeurs des collèges français
successifs dans lesquelles elle était inscrite,
d’aller tous les mois au Maroc pour voir ma fille
pendant dix minutes, à la faveur des récréations. Ces rencontres ont souvent été difficiles,
ponctuées de reproches ou de rejets de sa part.
J’ai tenu bon. L’essentiel était de maintenir le
lien. Bien que brèves, ces entrevues me demandaient une planification précise. En effet,
en plus de m’organiser professionnellement
pour être là-bas une fois par mois, il me fallait
encore, après la rencontre, faire fissa, sauter
dans un taxi et foncer vers l’aéroport car j’étais
consciente que ma fille en rentrant chez son
père allait tout lui raconter et il était nécessaire
que lorsqu’il réagirait je sois à l’aéroport, en
zone franche, prête à m’envoler.
Le mot rapt est rapide,
la récupération est longue…
Par ailleurs, en Belgique, j’avais rejoint l’asbl
SOS Rapts Parentaux. J’ai commencé à raconter mon histoire. Nous avons participé à
des entretiens télévisés pour attirer l’attention des politiques sur des affaires de ce type.
Beaucoup trop courantes. Parallèlement, j’ai
rencontré une avocate marocaine avec qui la
sympathie fut immédiate et qui me proposa
d’intercéder en ma faveur auprès des autorités
marocaines. Ce qu’elle fit brillamment, quelque
peu aidée, reconnaissons-le, par la pression
médiatique de mes passages à l’écran et le
poids de certains acteurs politiques belges
et marocains. Toujours est-il que son action
eut du succès et qu’à quatorze ans, ma fille
est venue passer sa première semaine chez
moi depuis ma fuite du Maroc quatre ans et
demi plus tôt. Ce fut une semaine atroce mais
néanmoins la première d’une série de séjours,
sporadiques, chez moi, durant lesquels notre
entente s’améliora de manière notable.
Lorsqu’elle a eu dix-huit ans, ma fille étant
devenue trop rebelle à son goût, son père
l’a renvoyée chez moi. Cela faisait huit ans
moins deux mois que nous ne partagions
plus le quotidien et tout à coup elle était là.
Ma fille, devenue une jeune femme. Qu’elle
survienne de façon aussi brusque a généré
un bouleversement dans la vie que je menais alors et m’a demandé une réadaptation
de tous les instants. Mais j’avais réussi. Ma
fille était là. En dépit des obstacles et de la
souffrance endurée, la relation était sauve,
s’apprêtait à amorcer une nouvelle étape. Et
cette force, cette rigueur qui me pousse à
atteindre mes objectifs quoiqu’il m’en coûte,
c’était un héritage de mon père à moi. Quant
au sien, ma fille ne voulait plus en entendre
parler. Comme elle ne voulut pas non plus
entendre prononcer le mot rapt en ce qui la
concernait lors des discussions ultérieures
que nous avons eues sur le sujet. Il me faudrait
vivre avec. De toute façon, le mot rapt est si
court, et la récupération si longue…
Aujourd’hui, ma fille a enfanté à son tour : une
fille, Liri – en albanais, ça veut dire Liberté. »
Tandis que j’observe, s’éloignant sur l’esplanade
faisant face à la gare de Charleroi, sa silhouette
qui penche successivement à droite puis à gauche,
je repense à notre discussion à propos des forces
latentes et des capacités embryonnaires que
recèle l’humain et qui n’éclosent qu’en des circonstances que la plupart des gens se gardent
prudemment d’imaginer. Véronique – un prénom
prédestiné puisqu’il s’agit d’une forme latinisée
de Bérénice : celle qui porte la victoire – est en
route vers de nouveaux projets : s’occuper de sa
maman et terminer la transformation de la ferme
familiale en chambres d’hôtes. Car, comme elle le
disait à propos du rapt, difficile de s’arrêter quand
on a été stimulée par un tel événement. Dans
mon train en partance, je ne peux m’empêcher de
revoir son visage qui s’illumine en m’entendant
lui dire qu’Espoir avait donné naissance à Liberté.
Propos recueillis par David Besschops
>>>
Filiatio n°9 – mars / avril 2013
15
Georges Zouridakis
❱❱ est écoutant et accompagnateur pour
individuels et groupes, spécialiste
de l’estime de soi. Il travaille
régulièrement avec Filiatio
et est joignable par téléphone
au 0478 09 09 89
ou par mail :
[email protected]
Décryptage Témoignage
Dans ce témoignage, je perçois un conflit entre
deux façons distinctes de gérer l’estime de soi,
c’est-à-dire l’évaluation que l’on fait de soi par
rapport à ses propres valeurs.
D’une part une femme qui perd son estime
de soi et tente de la récupérer en butant sur
les frontières extrêmement marquées d’une
société traditionnelle. D’autre part, un homme,
issu de cette société cloisonnée, qui tente de la
préserver en accord avec son schéma culturel.
En substance, nous trouvons d’un côté une
culture traditionnelle où les rôles des hommes
et des femmes sont prescrits préalablement
à leurs naissances : la famille marocaine de
l’époux de Véronique (ce qui ne veut pas dire
que le Maroc a l’apanage de ces traditions :
la Belgique est encore aussi un pays où les
hommes et les femmes sont perçus dans des
rôles sociaux différents selon leur sexe). Il y est
attendu de l’homme qu’il soit le « protecteur
et maître » de sa femme. Elle doit en retour
accepter d’être soumise et fidèle à son mari.
Ces injonctions, conscientes et inconscientes,
engendrent une série de comportements susceptibles d’être exportés d’un pays à l’autre.
De l’autre côté, nous avons Véronique, fragilisée par la confrontation avec l’interprétation que son mari fait de sa propre culture :
au Maroc, il agit de façon socialement légitime avec l’appui inconditionnel de sa famille,
16
Filiatio n°9 – mars / avril 2013
alors qu’en Belgique, où il se retrouve sans
existence sociale signifiante, il la dévalorise
et la manipule pour retrouver une certaine
prééminence. Ces deux cas de figure sont d’une
violence inouïe pour Véronique. Ils l’amèneront
progressivement à intégrer des sentiments de
dévalorisation, de peur et d’impuissance. Elle
éprouvera ces sentiments à chaque fois qu’elle
se retrouvera en devoir d’affronter son mari.
De fait, peu à peu, elle acceptera une répression de grande intensité : au point de revoir
ses parents clandestinement, par exemple.
Ou d’adopter une attitude de dissimulation
pour s’évader en catimini de chez elle. Au point
encore que, convaincue de n’avoir pas d’autre
alternative et mue par un réflexe de survie,
elle s’enfuira à deux reprises en laissant sa
fille aux mains de son mari. Malheureusement
pour elle, ces fuites auront des conséquences
terribles. Tout d’abord, la première motivera
son mari à rentrer au Maroc en emmenant leur
fille afin d’y retrouver le soutien de sa famille.
Du coup, pour récupérer Mennana, Véronique
devra à nouveau être confrontée à son mari.
En sa présence, elle s’effondrera, acceptant
momentanément sa vision : « … j’étais sa femme
et il m’incombait de rentrer à la maison. J’étais
tellement anéantie qu’il m’a emmenée sans que
je puisse opposer de résistance… ». Avec les
ruses corollaires : position de femme soumise ; manipulation du mari, etc. Pour, finalement, fuir une seconde fois. Ses fuites auront
des répercussions sur la relation avec sa fille.
❱❱ www.estimedesoi.be
En dépit de ses incursions mensuelles, le père
présent au quotidien deviendra le référent pour
l’enfant, et l’absente, la mère qui l’abandonne.
Longtemps, sa fille lui en voudra, incapable de
dépasser sa colère et sa tristesse pour envisager la contrainte psychologique que sa mère
subissait. Quelles que soient les épreuves que
Véronique endure pour sauvegarder le lien,
elles ne correspondent jamais à ses besoins
réels de sécurité et d’affection. L’apparition
de la pression médiatique dans l’histoire relationnelle des intéressés a déplacé les enjeux.
Ce qui correspondait au départ à un conflit
interpersonnel où des valeurs très intimes
étaient engagées s’est transformé en une
négociation entre pays. Dans la hiérarchie
des valeurs du mari, l’honneur national prévalant sur l’honneur de l’individu, il a pu céder
et permettre à sa fille de revoir sa mère sans
perdre la face. Grâce à cela, Mennana a évolué
et étoffé ses manières de vivre et de voir. Je
comprends néanmoins son refus de parler de
rapt en ce qui la concerne. Pour elle, il n’y a
pas eu de rapt. Son père s’est occupée d’elle
en l’absence de sa mère. Il l’a fait à sa façon
avec des moyens hérités de sa culture et de
ses traditions. Il est probable qu’à un stade
ultérieur de son évolution, Mennana éprouve
le désir de rencontrer l’homme derrière le père.
Et pourrait-on espérer augures plus favorables
que l’histoire d’Espoir continuant avec Liberté…
HORS CHAMP
Espagne : deux lois,
un effet boomerang
En Espagne, deux lois se regardent en chiens de faïence : celle de 2004,
conçue pour protéger les femmes de violences jusque là invisibles
et réputées être de l’ordre de la sphère privée, et celle de 2005,
concernant les modalités d’hébergement des enfants lors de la séparation.
Bien que récemment modifiée en vue d’une meilleure efficacité,
L’Espagne est en train de réviser plusieurs de
ses processus institutionnels dans lesquels le
sexe est considéré comme un élément d’identité sociale déterminant. D’une part, désireux
de s’aligner sur les pays européens de pointe
dans ce domaine, le Congrès a présenté au
Gouvernement un projet de réforme sociale
visant à veiller à une égalité des chances face à
l’emploi assorti d’une parité salariale entre les
femmes et les hommes. D’autre part, les modalités d’hébergement concernant les enfants lors
des séparations, établies jusqu’alors par la loi de
2005 – que d’aucuns ont qualifiée de « pack »,
c’est-à-dire, d’un côté : la garde automatique
des enfants, une pension alimentaire et une
exclusivité d’usage de la maison, pour la mère ;
et de l’autre : un droit de visite à convenir avec la
maman pour le père – se trouvent réévaluées.
Garde alternée…
Auparavant, lors d’une demande d’hébergement alterné par un des deux parents, leur
désaccord motivait l’intervention du Ministère
Fiscal 1 dont l’avis, étayé par divers rapports
d’enquête de services psychosociaux, était
décisif et pouvait quelquefois infléchir une décision du juge lui-même. Des statistiques à ce
sujet indiquent que, dans ces conditions, 95%
des pères n’entretenaient plus de relation avec
leurs enfants après la séparation. Désormais,
l’accord des deux parents ne sera plus indispensable pour que l’un d’eux demande la garde
alternée – et l’obtienne. En outre, le juge n’est
plus tributaire d’un avis favorable du Ministère
Fiscal pour prendre une décision allant dans le
sens d’une garde alternée. Maintenant que de
nombreux spécialistes des enfants ont démontré combien il était essentiel pour ceux-ci de
créer des liens d’attachement avec leurs deux
parents, c’est dans cette perspective-là que
le juge place l’intérêt de l’enfant. Si ce changement peut être considéré comme majeur,
être souligné et applaudi, l’intérêt de l’enfant
demeure un concept à définir. En effet, laisser cette notion à l’appréciation du seul juge
n’annule pas le risque de voir apparaître de
nouvelles rigidités, dérives ou une gestion à
deux poids deux mesures de la garde alternée.
L’idéal serait-il de standardiser les procédures
juridiques en mettant sur pied une grille d’indicateurs et de critères communs d’évaluation
dudit intérêt de l’enfant ? Reste bien entendu
à savoir en combien de temps l’application
de cette loi modifiée va décrisper les mentalités, effacer les stigmates sociaux qu’elle
a générés et atténuer le clivage père/mère
qu’elle a contribué à perpétuer. Une fois cela
établi et sécurisé, l’hébergement, réfléchi en
adéquation avec les nécessités des différents
acteurs concernés par la séparation, pourra
être envisagé. Toutefois, mis conjointement et
articulés entre eux, ces aspects divers d’une
avancée vers l’équité pourraient bien signifier
pour les Espagnols un espoir de refonder une
société à l’aune des réalités individuelles et de
construire un meilleur accès pour chacun, quel
que soit son sexe, aux débats qui l’occupent.
… Contre violence de genre
Une série d’associations civiles 2 attirent l’attention sur l’existence d’une loi contre les violences spécifiques envers les femmes. Cette loi
de 2004, antérieure d’un an à celle régissant
la garde alternée, en contrecarre visiblement
la mise en œuvre optimale.
Conçue à l’origine pour appréhender des situations auxquelles les femmes devaient faire
face et qui n’avaient pas fait l’objet d’un traitement juridique spécifique 3, son application est
source d’effets pervers. Un même fait porté à
la connaissance d’un tribunal peut par exemple
être qualifié de délit quand un homme en est
responsable et n’être considéré que comme
une faute dans le chef d’une femme. Si à la
base de pareille configuration, on détecte de
très nombreuses causes, celle qui prédomine
est la tendance à faire systématiquement
un amalgame entre hommes, machisme et
violence. Cet amalgame est devenu un levier
d’instrumentalisation de la loi de 2004 dans le
cadre des séparations conflictuelles et se trouve
aujourd’hui à la source de nombreuses injustices.
Comment ? Légalement, tant qu’un juge n’a
pas statué sur l’accusation, la garde alternée
est refusée d’office à quiconque est suspecté
de violence domestique. Et comme cette loi
a pour particularité de ne pas respecter la
présomption d’innocence – ce qui la place
en porte-à-faux vis-à-vis de la Convention
Européenne des Droits Humains – cela signifie
qu’un accusé de violence domestique est présumé coupable tant qu’il n’a pas démontré son
innocence. Par conséquent, dans l’intervalle,
il ne se trouve pas en mesure de faire valoir
son droit à la garde alternée.
Beaucoup observent là une espèce d’ironique
retour à la case départ : si avant, le juge était
tributaire d’un verdict positif du Ministère
Fiscal pour éventuellement autoriser une
garde alternée, à présent, la condition sine
qua non pour le conjoint qui la demande est
d’avoir été exonéré de tous soupçons au pénal.
En synthèse, cela équivaut à dire que les
nuances apportées dernièrement par le législateur à la loi de 2005 risquent de rester sans
effet tant que la teneur et peut-être, surtout, la
manière d’appliquer la loi de 2004 ne seront pas
reconsidérées en vue d’éventuelles rectifications.
David Besschops
1 Organe autonome émanant de l’appareillage judiciaire dont
la fonction est d’assurer une fidèle application des lois. Lorsqu’il
intervient dans les procédures civiles telles que des divorces,
il conserve une totale indépendance vis-à-vis des juges.
2 Avilegen (Association des Victimes de la Loi sur les Violences
de Genre), Femii (Association Féministe pour l’égalité de
Genre), Pamac (Association des Pères et Mères en Action).
Contrairement à ces associations, notre propos ici n’est pas de
critiquer la loi de 2004 elle-même mais bien de souligner les
effets collatéraux de son application au regard de la loi de 2005
sur la garde alternée égalitaire.
3 « La loi espagnole sur les violences faites aux femmes :
l’instauration d’une discrimination à rebours ? », par Sophia
Mansouri, Université Paris Ouest http://m2bde.u-paris10.
fr/content/la-loi-espagnole-sur-les-violences-faites-auxfemmes-linstauration-dune-discrimination-%C3%A0-reb
Filiatio n°9 – mars / avril 2013
17
© Après le travail, Mario Ramos, Pastel / École des loisirs, 2009.
la seconde voit ses effets limités par la première.
© Nuno, le petit Roi, Mario Ramos, Pastel / École des loisirs, 2000.
SOCIO
Familles d’hier et d’aujourd’hui
Dans nos régions et en deux siècles, la famille a bien changé ! Si jusqu’en 1960,
le mariage en était encore le ferment, les modes de vie commune se sont depuis
lors diversifiés et relèvent plutôt aujourd’hui de choix individuels. Que s’est-il
passé ? Jacques Marquet, sociologue, professeur à l’Université Catholique
de Louvain et président du Centre Interdisciplinaire de Recherche sur
les Familles et les Sexualités, nous brosse un rapide tableau historique.
Filiatio : A
u 19e siècle, dans nos
contrées, la très grande majorité de la
population vivait de l’agriculture. Quelles
conséquences cela avait-il sur le plan
de l’organisation familiale ?
Jacques Marquet : L a famille de l’époque
jouait un très grand rôle dans l’économie. Le
cliché veut qu’elle regroupait sous un même
toit plusieurs générations et un nombre important d’enfants. Il semble toutefois que
dès le 16e siècle, c’est la famille nucléaire, le
couple et ses quelques enfants, qui domine en
Europe. Quoi qu’il en soit, ses membres vivent,
dorment, mangent, travaillent ensemble, sous
le contrôle social fort de la communauté, du
village, de la paroisse. En tant que responsable
de l’entreprise familiale, le père est le chef
incontesté de la famille.
Sur le plan économique, la famille du 19 e
remplit trois fonctions. La plus évidente est
bien sûr celle de production : la famille est
18
Filiatio n°9 – mars / avril 2013
en quelque sorte le lieu de production, tant
agricole qu’artisanale. C’est aussi le lieu de
la consommation, deuxième fonction. Elle a,
troisièmement, une fonction patrimoniale. Par
les règles de succession, c’est elle qui contrôle
la dotation des enfants, décidant ainsi largement de leur avenir. Le pater familias avait
intérêt à garder le plus longtemps possible
la mainmise sur l’exploitation agricole et ne
mariait ses enfants que relativement tard.
Beaucoup restaient d’ailleurs célibataires (en
1900, 17% de la population est toujours célibataire à 50 ans) et donc, dans la dépendance du
patriarche. Ce célibat avait l’avantage d’éviter
la dispersion des terres.
F. : Et sur le plan social ?
J. M. : L a famille du 19e joue là aussi un rôle
primordial. En l’absence d’un système scolaire développé, c’est elle qui assure en priorité la fonction de transmission des normes,
des règles de comportement et des valeurs.
Cette socialisation se réalise tant de façon
consciente (remarques, punitions, rappels
à l’ordre…) qu’inconsciente, via l’imprégnation quotidienne. La famille assure aussi une
fonction de protection. Si la loi de l’honneur
est souvent invoquée pour couvrir les excès
d’un père autoritaire ou contenir les velléités
de dissensions intra-familiales, c’est aussi le
fondement d’une solidarité familiale, et donc
d’une protection familiale pour chacun de ses
membres. Cette protection se traduit également par une solidarité intergénérationnelle.
Il faut se rendre compte qu’à l’exception de
quelques embryons de solidarité se développant à la fin du 19e siècle, la famille est
alors le seul cadre d’une solidarité entre les
générations. L’obligation d’entretenir des parents devenus âgés est fondée sur base de la
dette contractée à leur égard pendant la prime
jeunesse. Enfin, la famille régule également
la sexualité.
F. : Que se passe-t-il lors du passage à
l’époque industrielle ?
J. M. : L e recul du mode de production agricole
change la donne. Le lien avec la terre s’effrite
et les mariages peuvent se conclure de manière plus précoce. On note par ailleurs que le
taux de célibat définitif diminue (en 1947, le
taux de célibat définitif chute sous les 10%). La
baisse de la mortalité chez les adultes et chez
les enfants et la baisse de la fécondité ont un
effet sur la taille des familles. La taille plus
petite du ménage lui permet plus de mobilité.
et celui de 1991, on peut estimer que le nombre
de ménages composés d’une seule personne
(les isolés) a connu une augmentation de 85%
et que le nombre de familles monoparentales
a connu une augmentation de 76%. Les couples
divorcent plus et de plus en plus tôt. Les enfants vivent de moins en moins dans des familles de parents mariés et, par contre, de
plus en plus dans des familles de cohabitants
et des familles monoparentales. Les familles
recomposées sont de plus en plus nombreuses.
F. : Serait-ce le déclin de la famille ?
Avec l’industrialisation, l’urbanisation et la
scolarisation, la famille évolue vers un modèle
nouveau marqué par une distinction nette des
rôles masculin et féminin. L’homme travaille
à l’extérieur pour assurer le bien-être économique de la famille. La femme reste quant à
elle confinée dans la sphère domestique avec
la tâche de veiller à la qualité de vie matérielle
(cuisine, propreté, hygiène…) et relationnelle
(éducation, soutien affectif…) du ménage. La
mère prépare les enfants à intégrer le système de production. Ce modèle qui suppose
la dépendance financière des femmes et qui
fait du mariage le cœur du modèle familial et
social tient jusqu’à la Seconde Guerre mondiale.
J. M. : Dans les travaux démographiques des
années 1980, on tirait en effet ce genre de
conclusion. D’autres au contraire soutiennent
qu’il ne faut pas confondre la désinstitutionnalisation de la famille et la mort de la famille.
Les plus optimistes font remarquer qu’au-delà
des cohabitations hors mariage, des divorces
et des recompositions familiales, le modèle
de vie conjugale persiste bel et bien. Nombre
d’entre eux expliquent d’ailleurs cette persistance par les fonctions que la famille, même
redessinée, continue à jouer.
F. : Et ensuite ?
J. M. : L’individualisation de nos sociétés est
une tendance longue qui prend racine dès la
fin du 18e siècle. Le sociologue Durkheim avait
déjà décrypté cette tendance à l’individualisme
et la manière dont va s’organiser le vivre ensemble social ou familial. La notion des Droits
de l’homme, incontournable dans nos sociétés
occidentales, est devenue la référence qui
reconnaît à l’individu des droits en dehors de
sa communauté. Autre tendance qui va dans
le même sens : l’épanouissement personnel.
Et cette autonomie lui permet justement de
mettre en avant la réalisation de soi. Et on
observe aujourd’hui une tension forte entre
l’aspiration à la réalisation de soi et celle au
vivre ensemble. Cela se traduit notamment
par un refus de l’enfermement dans un mode
de vie conjugal. Grâce aux progrès des méthodes contraceptives, les enfants naissent
davantage d’un désir d’enfant. Ils sont moins
nombreux que jadis. La relation parents-enfants gagne ainsi en personnalisation. La famille contemporaine est d’ailleurs résolument
relationnelle.
J. M. : En 1940-45, les femmes participent
massivement à la production industrielle.
L’idée que la vie des femmes pourrait, tout
comme celle des hommes, être régie par le
marché du travail, s’étend. Il faut dire que le
marché d’après guerre le réclame. Et que les
femmes qui sont maintenant davantage scolarisées, souhaitent exploiter leurs diplômes et
gagner leur vie, et donc, par la même occasion,
rompre leur lien de dépendance par rapport
au père ou au mari. Cela a considérablement
changé le rapport entre les sexes, le choix
du partenaire, le nombre d’enfants et donc
le mode de vie familiale dans son ensemble.
Il est très probable aussi que l’expansion
de la société de consommation des ‘Golden
sixties’ a créé auprès des jeunes un niveau
d’aspiration à la consommation très élevé,
qu’un seul salaire ne parvient plus à satisfaire.
On voit ainsi de jeunes adultes rester plus
longtemps chez leurs parents et des jeunes
couples attendre plus longtemps avant d’avoir
des enfants. Entre 1970 et 1995, l’âge moyen
des femmes au premier mariage en Belgique
est passé de 22,4 à 28,3 ans.
Le mariage n’apparaît plus comme le concept
sur lequel reposer le modèle familial. D’après
les chiffres de l’Institut National de Statistique,
entre le recensement de la population de 1970
F. : Ne serait-ce pas l’individualisation de
nos sociétés qui redessine ainsi la famille ?
F. : Quelle est la place de l’enfant dans ces
recompositions ?
J. M. : E
nfant roi… Les enfants occuperaient-ils
la place laissée vacante par la perte de la toute
puissante autorité paternelle? Pourquoi, rétorque le sociologue François de Singly, professeur à la Sorbonne, directeur du Centre
de recherche sur les liens sociaux, imaginer
qu’un groupe familial a toujours un « roi » et un
seul? La fin du père roi n’entraîne pas obligatoirement la suprématie des tyrans enfantins.
L’enfant a changé de statut au cours de ces
dernières décennies en ce sens qu’on le reconnaît aujourd’hui comme individu. Tout comme
l’évolution des couples et des modes de vie
familiaux, ce nouveau statut est lui aussi un
résultat de ce processus majeur de l’évolution de nos sociétés, l’individualisation. Nos
enfants sont donc « petits » mais également
des individus comme les autres devant être
traités avec le respect propre à toute personne.
Cela veut aussi dire que, dès le plus jeune âge,
l’enfant doit apprendre à devenir lui-même.
Jusqu’au milieu des années 1960, l’enfant
devait obéir. Il était soumis à une autorité
qui avait pour but de lui apprendre à obéir à
la raison. L’éducation avait pour mission de
séparer chacun de son être singulier afin d’intérioriser les règles de vie en société. A partir
de 1960, « Deviens qui tu es! » est le nouveau
leitmotiv. Il ne s’agit plus de s’aligner sur ce
qui est commun mais de développer ce qui
est propre à chacun. L’éducation ne doit dès
lors plus seulement imposer et transmettre,
elle doit aussi créer les conditions pour que
l’enfant puisse dès son jeune âge découvrir
par lui-même qui il est.
Dans une famille, poursuit de Singly, chacun
peut être « roi », à la condition de préciser la
nature de son royaume. L’enfant d’aujourd’hui
est roi de son monde, d’un monde au sein
duquel ne se trouvent pas ses parents. Son
père et sa mère ne sont pas ses sujets. Il ne
contrôle pas le royaume de ses parents. La
famille tend à avoir moins besoin d’un chef
strict, mais à l’intérieur de ce groupe, chacun
des membres est appelé à régner sur « son »
monde. L’enfant n’est donc pas totalement
roi car il n’a pas toute autorité sur son existence, mais il le devient progressivement. Et
cela revient aussi à poser que les parents ne
peuvent pas savoir, en tant que parents et
par définition, toujours mieux que leur enfant
ce qui constitue son « intérêt », son « bien ».
L’avenir de la famille est ouvert. Compte-tenu
de sa capacité de changement, démontrée par
les 30 dernières années de ce siècle, l’évolution
de la famille promet d’être passionnante.
Éléonore Correnc
avec l’aide de Céline Lefèvre
Filiatio n°9 – mars / avril 2013
19
Hébergement égalitaire :
© Le code de la route, Mario Ramos, Pastel / École des loisirs, 2010.
ACTU
Pour les parents qui se séparent, la question de l’hébergement des enfants est cruciale.
La loi du 18 juillet 2006 tendant à privilégier l’hébergement égalitaire fêtera bientôt ses 7 ans.
L’âge de raison? La Ligue Bruxelloise Francophone pour la Santé Mentale a mené l’enquête…
Aujourd’hui, en Belgique, un mariage sur
deux se termine par un divorce. Les couples
non-mariés, eux aussi, se séparent… La fragilité du lien conjugal n’est plus à démontrer
et il suffit de tourner la tête à droite ou à
gauche pour illustrer très concrètement les
statistiques. Pour les parents, la question de
l’hébergement des enfants peut prendre des
formes bien différentes selon les situations.
Les ex-partenaires sont libres d’opter pour la
formule qui leur convient. Encore faut-il tomber
d’accord… En cas de conflit sur les modalités
d’hébergement, les enfants se trouvent souvent au cœur d’une guerre juridique que se
livrent leurs parents. L’« intérêt de l’enfant »
est un enjeu incontournable qui focalise les
attentions.
La Ligue Bruxelloise Francophone pour la santé
mentale organisait, en novembre 2011, une
journée de travail en séminaire centrée sur le
thème suivant : Hébergement égalitaire : interrogations croisées autour de l’intérêt de l’enfant.
Suite à cette journée d’étude, la Ligue a réalisé une enquête auprès des tribunaux avec
le soutien de Melchior Wathelet, à l’époque
Secrétaire d’État à la Politique des Familles.
Il a facilité l’accès aux tribunaux des arrondissements judiciaires de Bruxelles et Charleroi.
Les résultats complets de l’enquête menée en
2011 sont publiés dans le dernier numéro de
Mental’idées, au sein d’un dossier plus largement consacré à l’Intérêt de l’enfant lors d’une
séparation parentale. L’enquête nous apporte un
éclairage impartial sur la réalité des pratiques
judiciaires. Basée sur 1797 jugements prononcés par 15 juges différents (10 à Bruxelles et 5
à Charleroi), elle nous permet de compléter le
« Rapport Casman 1 », publié en 2010.
Quels sont les modes d’hébergement les plus
représentés ? Les juges tranchent-ils de la
même manière que les parents lorsqu’ils se
mettent d’accord ? Quelles sont les grandes
évolutions depuis 2006 en ce qui concerne
l’hébergement égalitaire ?
Nous bénéficions aujourd’hui un certain recul
pour évaluer les effets de la loi. Pour rappel,
elle devait poursuivre deux objectifs conjoints.
Privilégier l’accord des parents et favoriser
l’hébergement égalitaire en cas de désaccord :
Loi du 13 avril 1995
relative à l’exercice conjoint
de l’autorité parentale
1990
20
Filiatio n°9 – mars / avril 2013
Avant de découvrir les grandes tendances
révélées par l’enquête qui nous occupe, il est
important de replacer la loi de 2006 dans un
contexte plus vaste avec l’éclairage du sociologue Jacques Marquet :
« Cette loi très importante avait été précédée une
dizaine d’années auparavant par une autre tout
aussi capitale, la loi du 13 avril 1995 relative à
l’exercice conjoint de l’autorité parentale. Relatives
à la gestion de la parentalité après rupture des
parents, ces deux lois constituent des repères pour
penser l’évolution de ces dernières décennies. Ces
deux repères dessinent trois périodes: avant
1995, entre 1995 et 2006, après 2006. 3 »
Loi du 18 juillet 2006
tendant à privilégier
l’hébergement égalitaire…
2000
1995
Garde principale = hébergement & autorité parentale
« Lorsque les parents ne vivent pas ensemble et
qu’ils saisissent le tribunal de leur litige, l’accord
relatif à l’hébergement des enfants est homologué par le tribunal sauf s’il est manifestement
contraire à l’intérêt de l’enfant. A défaut d’accord,
en cas d’autorité parentale conjointe, le tribunal
examine prioritairement, à la demande d’un des
parents au moins, la possibilité de fixer l’hébergement de l’enfant de manière égalitaire entre
ses parents. » 2
Autorité parentale conjointe >< hebergement principal
2010
2006
Hébergement égalitaire
& autorité parentale conjointe
enquête au tribunal
Les grandes
tendances
Moins d’enfants, moins de conflits
après la rupture ?
Les familles à un enfant sont surreprésentées dans les situations de conflits concernant
l’hébergement. C’est le premier grand constat
révélé par l’enquête. Concrètement, les jugements liés à un enfant représentent 64,5% de
l’ensemble des jugements alors qu’en Belgique,
ces familles ne sont représentées qu’à raison
de 46,5%. À l’inverse, plus le nombre d’enfants par famille est grand, moins il y a conflit
sur l’hébergement. Comment expliquer ce
constat ? Les parents de plusieurs enfants
seraient-ils plus aptes à gérer l’après-rupture
sans conflit majeur ?
Hébergement égalitaire
et évolution dans le temps
L’effet de la loi 2006 est très clair si l’on observe l’augmentation moyenne de l’hébergement égalitaire entre 2004 et 2010. Il a doublé,
passant de moins de 10% en 2004 à près de
20% en 2010. Il est intéressant d’observer que
les hébergements égalitaires suite à des accords sont deux fois plus nombreux que ceux
qui ont été obtenus par décision du juge. 14,6%
des jugements étudiés ont abouti à un hébergement égalitaire. On monte à 24,2% lorsque
les parents se mettent d’accord. Lorsque c’est
un juge qui décide, on chute à moins de 10%.
On peut en déduire que les accords favorisent
l’hébergement égalitaire. Ainsi, l’impact de
la loi a sans doute été davantage facilité par
l’évolution de la société vers plus d’implication
des pères auprès de leurs enfants que par
l’imposition d’un tel mode d’hébergement
par les juges.
Le classique du « week-end sur deux »
Le « week-end sur deux chez papa » reste la
formule d’hébergement la plus représentée.
Qu’il s’agisse des décisions par juge ou des
accords entre parents, le constat est sans
appel : le grand classique des années 80 reste
en tête du classement par formules d’hébergement. Le week-end sur deux chez le père
reste majoritaire, à raison de 37,7% suite à
une décision définitive par juge et de 36,4%
sur base d’un accord définitif entre les parents.
Les autres formules
On remarque que les formules intermédiaires
entre le week-end sur deux (chez le père ou
la mère) et l’hébergement égalitaire sont peu
représentées. Cette observation concerne
autant les décisions par juge que les accords
entre les parents. La formule du 9/5 (9 jours
chez un la mère et 5 jours chez le père) n’est
choisie que dans 6,4% des décisions définitives
par juge et dans 7,6% des accords définitifs
entre les parents. Ces formules sont peut-être
encore mal connues ce qui expliquerait leurs
sous-représentation. Un travail d’information
à ce sujet reste sans doute à mener. Il n’y a pas
que le week-end sur deux et l’hébergement
égaliatire, comme l’explique Diane Drory dans
le cadre d’une interview accordée à Filiatio :
Pour les très jeunes enfants, je ne préconise par la
garde alternée mais plutôt un système de type 5/9,
réparti en plusieurs fois et non pas strictement 5
jours/9jours. Par exemple, l’enfant peut passer
deux jours chez son père en semaine 1, et trois
jours en semaine 2 : c’est une forme de 5/9 qui
peut convenir à un jeune enfant. 4
Suite à une décision définitive du juge
3 j. chez le père et 1 j. chez la mère
5 j. chez le père et 9 j. chez la mère
5,6%
6,4%
9,9%
Un we / 2 chez la mère
12,8%
Hébergement égalitaire
20,9%
Moins d’un we / 2 chez le père
37,7%
Un we / 2 chez le père
Sur base d’un accord définitif
3 j. chez le père et 1 j. chez la mère
5 j. chez le père et 9 j. chez la mère
5,4%
7,6%
Moins d’un we / 2 chez le père
9,3%
Un we / 2 chez la mère
9,3%
Hébergement égalitaire
Un we / 2 chez le père
1 Évaluation de l’instauration de l’hébergement égalitaire dans
le cadre d’un divorce ou d’une séparation. Sous la coordination
de : Marie-Thérèse Casman, Recherche commanditée par le
Secrétariat d’État Belgique à la Politique des Familles, Université
de Liège, Panel Démographie Familiale, 2010.
28,4%
36,4%
3 Hébergement de l’enfant : l’intérêt égalitaire, Jacques
Marquet, Mental’idées n°19 - LBFM, février 2013.
4 Il faut du lien et le lien prend du temps, Filiatio 8, p. 6-7.
2 Extrait de la loi du 18 JUILLET 2006. - Loi tendant à privilégier
l’hébergement égalitaire de l’enfant dont les parents sont
séparés et réglementant l’exécution forcée en matière
d’hébergement d’enfant.
Filiatio n°9 – mars / avril 2013
21
Lorsqu’un père demande
l’hébergement égalitaire…
La Ligue s’est également intéressée aux situations plus spécifiques des pères qui demandent
l’hébergement égalitaire. Dans les controverses autour de l’hébergement égalitaire,
il est souvent reproché aux pères de ne pas
être demandeurs, ce qui témoignerait de leur
manque d’implication dans le soin et l’éducation des enfants. L’enquête ne révèle pas de
pourcentage sur les demandes des pères mais
276 jugements ont été passés au peigne fin à
Bruxelles et à Charleroi pour les années 2010
et 2011. Pour la première fois, nous pouvons
nous rendre compte de ce qui se passe en
terme de jugements pour ces demandes en
particulier. Dans quelles proportions les juges
accordent-ils l’hébergement égalitaire aux
pères qui en font la demande ? Comment les
jugements sont-ils motivés ?
En moyenne, l’hébergement strictement
égalitaire 5 a été accordé aux pères qui le demandaient dans 37% des cas contre 63% de
réponses négatives. Parmi ces 63% de refus,
on compte 17,25% de formule de type 9/5 ou
apparentée 6 et 82,75% de formules où le père
obtient maximum un week-end sur deux. En
cas de désaccord sur l’hébergement, un père
qui demande l’hébergement égalitaire a donc
une chance sur trois de l’obtenir.
63%
37%
Réponses positives
Réponses négatives
La loi de 2006 laisse au juge la possibilité de
trancher en faveur d’un hébergement non-égalitaire : «…si le tribunal estime que l’hébergement
égalitaire n’est pas la formule la plus appropriée,
il peut décider de fixer un hébergement non-égalitaire. Le tribunal statue en tout état de cause
par un jugement spécialement motivé, en tenant
compte des circonstances concrètes de la cause et
de l’intérêt des enfants et des parents. » 7
22
Filiatio n°9 – mars / avril 2013
Le pourcentage
moyen des
hébergements
égalitaires
a doublé entre
2004 et 2010…
Pour aller plus loin
❱❱ www.lbfsm.be
Quelles sont les raisons les plus souvent invoquées en cas de refus ? Plusieurs motivations
peuvent se retrouver dans un jugement.
Celles qui reviennent le plus souvent en cas de
refus concernent le jeune âge de l’enfant, le
« besoin de progressivité » et le conflit entre
les parents. Ces motivations sont des pistes
de réflexion importantes qui seront l’enjeu des
débats futurs autour de l’évaluation de la loi.
…encore faut t-il
tomber d’accord
La mère est encore aujourd’hui le premier
parent responsable de l’éducation et du soin
des enfants après la séparation parentale : il
s’agit là d’un continuum prolongeant l’état de
fait d’avant la séparation 8 , répondant à des
normes sociales que notre société continue à
véhiculer. Pourtant, dans un récent sondage
effectué par Filiatio 9, nous pouvions constater
que les Belges sont globalement favorables à
l’hébergement égalitaire. Comment expliquer
le décalage entre cette tendance et les pratiques réelles ? Dans certains cas (éloignement
géographique en particulier), l’hébergement
égalitaire est complexe à mettre en place,
voire impossible. Au-delà des questions pratiques, en cas de séparation, la question de
l’hébergement des enfants devient souvent
un enjeu conjugal. Autrement dit, les couples
qui se séparent ne mettent pas forcément en
pratique ce qu’ils préconisent lorsqu’ils ne sont
pas directement concernés.
Il serait intéressant, pour compléter l’observation, de mettre les chiffres de l’enquête en
relation avec les décisions prises par les parents qui ne passent pas par la justice (parents
non mariés qui s’accordent entre eux sur les
modalités de l’hébergement).
Céline Lefèvre
5 Hébergement strictement égalitaire : 7 jours/7 jours ou
autre formule égalitaire en terme de jours passés chez les deux
parents.
6 Formules apparentées : intermédiaires entre l’hébergement
strictement égalitaire et un week-end sur deux.
7 Extrait de la loi du 18 JUILLET 2006. – Loi tendant à
privilégier l’hébergement égalitaire de l’enfant dont les parents
sont séparés et réglementant l’exécution forcée en matière
d’hébergement d’enfant.
8 Étude « Genre et Emploi du temps », Institut pour l’Égalité
entre les Femmes et les Hommes, 2009.
9 Filiatio - AEGIS/DEEP BLUE : La garde des enfants après la
séparation : qu’en pensent les Belges ? Sondage réalisé en mars
2012 auprès d’un échantillon représentatif de 500 Belges.
Marge d’erreur : max. 4,4% – sondage par téléphone.
© Photo Béague
Décryptage avec Philippe Béague,
psychologue et psychanalyste,
Directeur de l’Association
Françoise Dolto
Filatio : Le week-end sur deux reste le
modèle dominant. Qu’en pensez-vous ?
Philippe Béague : C
ela montre que les mentalités évoluent lentement. L’idée selon laquelle
l’intérêt de l’enfant est de voir régulièrement
ses deux parents n’est pas encore tout à fait
rentrée dans les mœurs. On peut pourtant envisager la maternité et la paternité autrement
et sortir de cette espèce d’obsession du père
« séparateur ». Les pères ne sont pas là que
pour ça… D’ailleurs, ces notions de « père » et
de « mère » sont en train d’évoluer. Le père est
aujourd’hui aussi éducateur et les deux parents
devraient être à priori considérés comme compétents. Dans le monde psy, certaines théories
sont encore très figées à ce sujet. Pourtant,
dans la plupart des cas, plus un enfant voit
ses deux parents mieux c’est !
Cela suppose évidement une entente entre
les parents pour privilégier, malgré leurs
différends, le bien-être de leur(s) enfant(s).
C’est un fameux défi de garder ce cap dans
une atmosphère qui est, la plupart du temps,
conflictuelle. En cas de conflit ouvert, la présence du juge est alors indispensable et son
métier n’est pas facile. Il devra tôt ou tard
« trancher » mais je pense qu’il devrait aussi,
de sa place d’autorité, interpeller les parents,
leur rappeler fermement leurs responsabilités en tant qu’adultes dans ce qu’on appelle
« l’intérêt » de l’enfant. Ce dont les enfants
ont surtout besoin, c’est d’apaisement et de
sentir un respect réciproque entre les parents.
F. : Pensez-vous, comme Diane Drory, que
« voir son père un week-end sur deux, c’est
retrouver un inconnu » ?
P. B. : P
our un enfant, c’est long, quinze jours.
Mais pour le parent également. Cela nécessite
un temps d’adaptation à chaque rencontre.
De plus, en un week-end, c’est plus difficile
d’être père dans toutes les dimensions éducatives que cela suppose. On a envie de passer
un moment agréable avec son enfant et ce
n’est pas évident de dire non ou d’intervenir en
éducateur : « Montre-moi un peu ton bulletin…
Que s’est-il passé ? », « Débarrasse la table. »
Pourtant, les pères devraient jouer ce rôle
mais je peux bien comprendre que ce ne soit
pas évident dans ce type de configuration…
Quand l’enfant est en hébergement égalitaire,
le père peut se permettre d’être lui-même. Il
peut faire la gueule de temps en temps, ce
dont les enfants ont grand besoin ! Eduquer,
ce n’est pas faire de ses enfants des amis.
Il serait dommage d’envisager la question
de l’hébergement de manière trop calculée,
trop mathématique. Dans certains cas, une
alternance neuf jours/cinq jours peut être
une bonne solution. Dans les cinq jours, il y a
tout de même aussi trois jours d’école… C’est
important pour que les deux parents puissent
s’investir sur le plan scolaire. Avec un weekend sur deux, cet investissement est beaucoup
plus difficile.
Sortir
de l’obsession
du père
« séparateur »
F. : Lorsqu’un père demande l’hébergement
égalitaire, il l’obtient dans environ un
tiers des cas. Une des motivations le plus
souvent invoquée en cas de refus est le
jeune âge de l’enfant. Que vous inspire ce
constat ?
P. B. : On observe encore cette réaction spontanée : considérer que le petit enfant doit être
avec sa mère. Il est vrai que durant quelques
mois, l’enfant est d’abord dans la sécurité
avec sa mère. Mais passée cette période, on
peut très tôt mettre en place un hébergement
égalitaire de courte durée (2 jours/2 jours, par
exemple) mais seulement si l’enfant « connaît »
son père, c’est-à-dire que, l’ayant vu régulièrement en présence de sa mère, et parfois seul,
il se sent en confiance et en sécurité avec lui.
Tenir compte de l’enfant, c’est être à l’écoute
de ce qu’il ressent. Le temps psychologique
du petit enfant est très différent du nôtre. On
considère en général qu’une journée pour lui
équivaut à une semaine pour nous. Un rythme
d’une semaine sur deux est probablement peu
adapté aux petits. C’est à partir de sept ans que
la notion du temps de l’enfant se rapproche de
la nôtre. Avant cela, on peut imaginer des formules d’alternances plus rapprochées comme
par exemple deux jours chez l’un, deux jours
chez l’autre. Ces formules égalitaires sont
plus adaptées aux jeunes enfants. Chaque
situation est différente et il est important que
parents et enfants y trouvent leur compte. Les
parents, les juges et les avocats pourraient se
montrer plus créatifs. On peut tout imaginer à
conditions de prendre en compte les besoins
de chacun. En grandissant, les besoins de
l’enfant évoluent et les formules peuvent être
adaptées. Mais attention ! Ecouter un enfant
ce n’est pas lui laisser toute la responsabilité.
C’est trop lourd à porter (conflit de loyauté). Il
doit savoir que finalement, ce sont les parents
et éventuellement le juge qui décident.
F. : Comment penser l’avenir ?
P. B. : L es mentalités bougent lentement.
Dans le rapport de la journée d’étude de la
Ligue Bruxelloise Francophone pour la Santé
Mentale, le sociologue Jacques Marquet a
exprimé quelque chose de très juste : « Nous
devons apprendre à appréhender, à penser, à
organiser les relations parents-enfants en tenant compte des mobilités temporelles et géographiques. Pour les mères, plus spécifiquement,
il s’agit de rompre le rapport de quasi synonymie
entre amour maternel et coprésence. » Or cela fait
des siècles qu’on dit aux mères le contraire et
cette culpabilité est toujours présente. Il est
bon pour un enfant, comme pour sa mère,
d’être sous la responsabilité éducative de plusieurs adultes : père, familiers, professionnels
(crèche, école, …). Ce rapport de quasi-synonymie, comme l’appelle Jacques Marquet, est
fortement imposé aux mères, aux parents
et aux familles par les normes sociales dans
lesquelles nous évoluons. On pourrait dire
l’inverse également : il s’agit sans doute aussi
pour les pères et pour la société d’inverser
le rapport de quasi-synonymie entre amour
paternel et éloignement.
Propos recueillis par Céline Lefèvre
Filiatio n°9 – mars / avril 2013
23
© Vincent Duseigne
Bricolage égalitaire avant l’heure
Bernard et Annick, parents de deux jeunes garçons, se sont séparés dans les années 80.
Ils ont tout de suite mis en place un hébergement égalitaire, pour le plus grand étonnement de leur entourage :
à l’époque, ce mode de garde était pour le moins marginal.
Salle des pas perdus, 1988, Bruxelles. Nous sortons du Palais de justice en veillant à ne pas nous
croiser. Nous sommes tout deux accompagnés de
notre avocat. La séance est à nouveau reportée
pour des raisons qui nous échappent.
Bizarrement, nous nous retrouvons dans le parking. Nos voitures ne sont pas loin l’une de l’autre.
Nous décidons d’aller boire un café à deux pas du
Palais. La tension est palpable. La tristesse aussi.
Dix ans de mariage, deux garçons de deux et cinq
ans. Pleins de souvenirs bons ou difficiles, nous
nous retrouvons là, autour d’un café…
Nous nous séparons. C’est vrai. C’est déchirant,
mais nous ne sommes pas taillés pour nous faire
la guerre. Nos deux enfants sont magnifiques,
24
Filiatio n°9 – mars / avril 2013
prometteurs et ils portent en eux tout notre amour.
Nous nous sommes aimés et nous n’arriverons
pas à nous détester.
Très vite, nous tombons d’accord sur la garde
alternée des enfants : « Dimanche, ils sont chez
toi puis lundi soir jusqu’au mercredi midi chez
moi… » Du bricolage, en somme, adapté à l’âge
des enfants et à nos occupations professionnelles
respectives.
Quelques semaines plus tard, nous voici enfin
devant le juge. De notre plus belle écriture, nous
avons couché sur papier tous les détails de la
séparation : la garde des enfants, les vacances,
la pension alimentaire… Le juge est surpris, interloqué ! Fin des années 80 une garde alternée
a quelque chose d’inédit, d’autant plus que nos
enfants sont très jeunes. Le juge nous demande
où sont nos avocats. Nous lui expliquons que nous
avons rédigé notre accord ensemble, sans avocat.
Que pouvait-il faire d’autre que d’approuver notre
choix ? Il fallait tout de même mettre tout cela
dans une forme juridique acceptable, ce que nous
avons fait. Était-ce avec un avocat, un notaire ?
Peu importe finalement, c’était juste pour la forme.
La semaine dernière, nous fêtions un anniversaire
en famille avec nos deux fils, leurs amoureuses
et nos partenaires de couple actuels. Une fête
« recomposée » pleine de rires et de chaleur.
Bernard et Annick
SEXE AU LOGIS
Sexualité et familles recomposées
La sexualité des couples de familles recomposées pose des questions
Si vous voulez vous adresser à un(e) sexologue, rendez-vous sur le site de SSUB qui
regroupe les sexologues universitaires de
Belgique : www.ssub.be
physiques et symboliques spécifiques. Nathalie Mayor, sexologue,
analyse pour Filiatio les enjeux de ces nouvelles relations.
« Valérie s’ennuyait dans les bras de Nicolas… mais
Nicolas, celui-là ne le savait pas. Les histoires d’a-,
les histoires d’amour finissent mal… en général ! »
chantaient les très clairvoyants Rita Mitsouko
au milieu des années 1980 (et nous reprenions
le refrain en chœur). Nous ne croyions pas si
bien chanter. En effet, un mariage sur deux en
France se termine par un divorce aujourd’hui et
en Belgique, championne toute catégorie pour
l’Union Européenne, on arrive à un rapport de
trois divorces pour quatre mariages ! Pourtant,
si la majorité des belges a connu au moins un
échec amoureux dans sa vie, la plupart d’entre
nous choisissent de retenter l’aventure avec un
autre partenaire. Sommes-nous masochistes
ou avons-nous envie de croire à nouveau au
bonheur à deux ?
Une sexualité plus fréquente,
plus motivée, plus inventive
et plus amoureuse
Généralement, dans un couple de longue durée,
une certaine monotonie s’installe et l’appétit
sexuel diminue. Lorsqu’un nouveau couple se
crée, il y a un regain d’énergie qui se traduit par
une sexualité plus fréquente. Selon l’enquête
IPSOS de la sexologue Marie-Hélène Colson, les
couples recomposés ont des rapports sexuels
plus fréquents que les autres couples. Cette
différence est encore plus frappante chez les
couples âgés et chez les plus de 70 ans : ils ont
deux fois plus de rapports que les couples de
longue durée. Certains n’hésitent pas à parler
d’une « deuxième jeunesse sexuelle » qui tient
compte des expériences passées, du cheminement sexuel de chacun, d’un savoir-faire
érotique, d’une meilleure connaissance de son
corps et de ses attentes, d’une plus grande
franchise. Plus à l’aise et plus expérimentés,
ces nouveaux couples ont des rapports plus
inventifs, plus ludiques, plus amoureux. Ils
accordent davantage d’importance au plaisir
de l’autre et aux préliminaires.
Quand le couple ne va plus
Dans le schéma classique, deux personnes
tombent amoureuses, s’installent ensemble,
mènent à bien des projets à deux : ce n’est
qu’ensuite qu’ils deviennent parents. On peut
vraiment dire qu’il y a une vie à deux avant l’arrivée des enfants, ce qui n’est pas le cas pour
les couples de familles recomposées. On se
retrouve parfois du jour au lendemain à quatre,
cinq, six, sept. On passe de la sportive au monospace… voire au minibus. Ce ne sont pas seulement deux personnes qui vont se lier mais deux
univers, peuplés d’enfants, d’un ou plusieurs
ex, d’un mode de vie et d’habitudes, d’amis, de
belles-familles, d’un passé conjugal, de blessures d’amour… Et c’est là que le bât blesse.
Nombreux sont les points de discorde : des divergences sur l’éducation (chacun reproche à l’autre
sa façon d’élever ses enfants et veut imposer
sa méthode) à l’absence de projets par peur de
l’engagement (chat échaudé craint l’eau froide),
en passant par la jalousie de l’un par rapport à
la vie antérieure de l’autre ou au temps passé
avec ses enfants… Il faut également prendre
en compte l’absence d’intimité générée par la
présence physique et inévitable de bambins
avec lesquels il faut composer (« ils dorment à
côté », « ils sont tout le temps là », « il ne sait pas
dormir tout seul », « elle est tout le temps collée à
son père » : bien sûr, puisque ce sont les enfants !).
Autres possibilités de tensions : la difficulté
de s’imposer face à l’ex toujours considéré(e)
comme légitime (pour la belle-famille, les
enseignants,…), les casseroles de l’ancienne
relation : pension alimentaire, enjeux de garde
des enfants… Comment continuer à admirer
et désirer sexuellement l’homme fort et sûr
de lui dont on est amoureuse quand on le voit
se faire écraser symboliquement par son ex ?
On le sait, les conflits minent l’harmonie de
la relation amoureuse quand ils ne mènent
pas tout simplement à une nouvelle rupture.
Si la communication dans le couple est défaillante, il vaut mieux se faire aider par un(e)
professionnel(le) : sexologue, thérapeute conjugal, médiateur familial… En attendant, voici
quelques pistes : préservez l’intimité de votre
couple en interdisant l’accès à la chambre parentale, en vous réservant des moments à deux
sans culpabiliser. En effet, certains parents
se sentent coupables de la souffrance que la
séparation a causée à leurs enfants et postposent leur vie de couple à plus tard, « quand
ils seront partis », comme s’ils avaient une dette
à payer. Sans être exclus de cette histoire, il
est important que les enfants ressentent la
solidité du couple. Cela leur permet de rester
à leur place d’enfant, tout simplement.
Des dysfonctionnements sexuels
Perte de désir, troubles de l’érection et/ou de
l’éjaculation, anorgasmie, douleurs, etc. : ces
manifestations peuvent être le révélateur de
la mésentente conjugale, mais également de
problèmes psychologiques personnels (« je
n’arrive pas à m’abandonner après avoir vécu
avec un manipulateur »…) et d’estime de soi
(« je ne suis plus aussi beau que lorsque j’avais
vingt ans de moins »). Les dysfonctionnements
sexuels peuvent aussi être liés au vieillissement : ménopause, sécheresse vaginale, libido
plus paresseuse, difficultés érectiles et / ou
éjaculatoire… À ces troubles, les laboratoires
pharmaceutiques, flairant le marché porteur,
ont développé une panoplie de produits pour
permettre aux couples, même âgés, de vivre
leur sexualité comme ils l’entendent et c’est
très bien ! Cependant, la médication n’est
pas la seule et unique ressource pour pallier
les troubles sexuels, il y a bien sûr d’autres
réponses. À chaque problème, sa solution !
Pour Monsieur Van de Piperseele, opéré d’un
cancer de la prostate, un implant pénien sera
peut-être la seule solution : mais son voisin,
Monsieur Barbidur, ne résoudra ses problèmes
éjaculatoires qu’avec une thérapie sexo-corporelle et un travail sur lui.
Les couples recomposés se retrouvent donc
avec des problèmes qu’on ne rencontre pas
dans les premières relations. Leur chemin
est parsemé d’embûches… et pourtant ! Bien
placés pour savoir que le couple d’aujourd’hui
est précaire, ils s’inquiètent plus encore de
l’avenir. C’est peut-être l’une des raisons qui les
poussent à consulter un spécialiste plus souvent et plus facilement que les autres couples…
Nathalie Mayor
Sexologue clinicienne
Certificat Universitaire en Sexologie Clinique – ULB
[email protected]
Filiatio n°9 – mars / avril 2013
25
OÙ SEX’ A FAIT MAL
© Après le travail, Mario Ramos, Pastel / École des loisirs, 2009.
L’épineuse question du linge
La super machine à laver A+++ vient d’être
livrée et raccordée. C’est vrai qu’elle est belle.
Des économies d’eau et d’électricité en perspective. Moins de bruit aussi. Vraiment un bon
achat. On lui donnerait même un prénom, à l’engin. Choisi en couple sur des critères très rationnels (c’est un budget, tout de même). L’heure
est à l’émotion. C’est alors qu’il s’exclame fièrement : « Alors, elle fonctionne comment, cette
machine à laver ? » Elle répond, franchement
agacée : « Comme une machine à laver, tiens ! ».
Il faut dire que la question étonne. En bientôt
six ans de vie commune, il n’a jamais lancé le
moindre programme, même pas le tout simple
à 40° mix couleurs. Pas sûr qu’il sache dans
quel bac on verse le produit lessiviel, comme
on dit dans les pubs.
Pourtant, il participe aux tâches ménagères.
C’est même l’as de l’aspirateur, des cuvettes de
W-C toujours étincelantes et de la sauce tomate,
sa fameuse sauce tomate… Une petite histoire
très contemporaine, qui sent le vécu, sans doute.
Et pour cause… les statistiques 1 sont claires :
la tendance est au progrès en ce qui concerne
l’implication des hommes dans les tâches dites
domestiques (nettoyage, préparation des repas, temps passé avec les enfants…), même
si l’écart est encore très important entre les
hommes et les femmes. Pourtant, un domaine
semble échapper à cette évolution positive : le
linge et tout ce qu’il implique (tri des vêtements,
lessive, repassage et rangement). En 1992
déjà, Jean-Claude Kaufmann, sociologue de la
vie quotidienne, s’intéressait à la question du
linge, nous livrant une Trame conjugale 2 très
révélatrice des mécanismes à l’œuvre dans la
gestion du linge au sein du couple. Depuis, pas
beaucoup de changement. Déclarons, tambour
battant, que dans le domaine du ménage, le
linge est encore l’exception qui confirme la règle.
Céline Lefèvre
1 Étude « Genre et emploi du temps », Institut pour l’égalité
des femmes et des hommes, 2009.
2 La trame conjugale, Analyse du couple par son linge,
Jean-Claude Kaufmann, Nathan, 1992.
CINÉMA
Wadjda, Goodbye Morocco :
voici deux films engagés où les
femmes s’impliquent dans des rôles
qui leurs sont interdits, par la loi
ou par le regard de leur société.
Céline Lefèvre
Avec la collaboration de Cinebel
www.cinebel.be
26
Filiatio n°9 – mars / avril 2013
❱❱ Wadjda
Wadjda, dix ans, habite dans une banlieue de
Riyadh, capitale de l’Arabie Saoudite (où les
salles de cinéma sont interdites). Issue d’un
milieu conservateur, Wadjda est une fille pleine
de vie qui cherche toujours à en faire plus que
ce qui lui est permis. Après une bagarre avec
son ami Abdullah, elle aperçoit un beau vélo
vert à vendre. Elle le veut à tout prix, pour
pouvoir battre Abdullah à la course. Mais la
mère de Wadjda le lui interdit, redoutant les
sanctions d’une société qui conçoit les vélos
comme une menace pour la vertu d’une fille.
Wadjda décide alors de trouver l’argent par ses
propres moyens, déterminée à se battre pour
défendre ses rêves. Un film subtil et engagé,
résultat d’un pari incroyable quand on connaît
la condition féminine dans ce royaume d’islam
rigoriste.
Allemagne et Arabie saoudite, 2012
Réalisation: Haifaa Al-Mansour
Avec : Waad Mohamme,d Reem Abdulla,h
Abdullrahman, Al Gohani, Ahd Dana, Abdullilah
Rehab, Ahmed Mariam Alghamdi
1h37
Sortie: 6 février 2013
❱❱ Goodbye Morocco
Née dans la haute bourgeoisie de Tanger,
Dounia vit une liaison scandaleuse aux yeux
de sa famille marocaine : divorcée d’un notable
qui l’empêche de voir son jeune fils, elle vit
désormais avec un architecte serbe et gère
avec lui un chantier immobilier important. Au
fil des travaux de terrassement du chantier, les
ouvriers mettent à jour des restes de tombes
chrétiennes du IV e siècle. Dounia se lance alors
dans un trafic lucratif, espérant gagner très
vite de quoi quitter le Maroc avec son fils et son
amant. Mais le rêve devient cauchemar quand
l’un des ouvriers du chantier, Ali, disparaît, et
que la police intervient…
France, 2012
Réalisation : Nadir Moknèche
Scénario : Nadir Moknèche
Avec : Lubna Azabal, Rasha Bukvic et Faouzi
Bensaïdi
1h42
Sortie : 20 février 2013
TRIBUNALITÉS
Quand le lien se rompt…
Isabelle Scrève est avocate, spécialiste en droit familial.
Pour ce numéro de Filiatio, où le lien est abordé de manière
transversale, elle soulève la question très débattue de l’aliénation
parentale. Il s’agit d’un sujet complexe et d’un concept polémique,
nous ne l’ignorons pas. Au-delà des idéologies, ce qui nous intéresse
est ce qui se passe concrètement lorsque la relation entre un parent
et un enfant est mise à mal par une séparation conflictuelle.
Isabelle Scrève témoigne de la réalité d’une praticienne du droit
de la famille et délivre un message d’encouragement à des parents,
femmes et hommes, qui doivent se battre pour voir leur enfant.
En tant que praticienne du droit de la famille,
je suis régulièrement confrontée à des séparations difficiles, où il faut conseiller et agir
au mieux, dans l’intérêt de l’enfant et de ses
parents.
Mais comment rassurer un parent quand le
lien entre son enfant et lui a été complètement
rompu ? Comment l’aider à avoir foi en la justice
et le convaincre de ses droits ? Souvent en effet,
cette rupture du lien s’est instaurée peu à peu,
presque pernicieusement, et le parent concerné
finit par se dire que quoi qu’il fasse, il apparaîtra
comme le mauvais aux yeux de la Justice…
Si certains parents abandonnent en se disant
que leur enfant reviendra vers eux une fois
majeur ou en âge de comprendre, nombreux
sont ceux qui veulent continuer à assumer leur
rôle de père ou de mère, malgré la séparation
et sans attendre.
Mille raisons peuvent conduire à la rupture
du lien, mais je me concentrerai ici sur ce que
l’on nomme habituellement l’« aliénation parentale », qui peut avoir des conséquences
désastreuses.
On parle souvent d’un risque d’aliénation parentale lorsque l’un des parents prive physiquement
ou/et symboliquement son enfant de son autre
parent. Parmi les manifestations de l’aliénation
parentale 1, un travail de sape peut se mettre
en place pour abîmer l’image de l’autre et parfois, effacer sa présence physique : il peut y
avoir non-présentation d’enfant au moment
où l’enfant doit changer de parent hébergeant.
1 Ce sujet sera abordé dans un prochain Filiatio
sous l’angle du risque de la banalisation, ndlr.
Il ne faut pas
laisser perdurer
les choses, en se
disant que ça va
se tasser
Dans ces cas-là, il y a une réelle urgence à intervenir et à mettre tout en œuvre pour rétablir
le contact au plus vite, ne serait-ce que par la
mise en place d’un centre « espace-rencontre »,
permettant à l’enfant de retrouver une place
dans les deux cellules parentales.
Pour se construire de façon complète, un enfant a en effet besoin de ses deux parents,
même séparés. Ce n’est qu’à ce prix qu’il peut
se construire une identité qui lui permettra de
grandir et d’avancer dans sa vie d’adulte, et ce
même si ces parents ne sont pas « parfaits »…
Or souvent, le parent mis à l’écart ne représente pas de réel danger pour l’enfant mais
déplaît simplement à son ancien conjoint, qui
peut encore éprouver de la rancœur pour lui
et voir dans l’enfant commun un moyen de
punir l’autre.
Cela a le plus souvent lieu de façon inconsciente mais à force d’entendre un discours
dénigrant vis-à-vis de l’autre parent, l’enfant
aura l’impression de ressentir et d’avoir vécu
ce qu’on lui explique et être progressivement
amené à se distancer de l’autre parent, voire
même à le dénigrer ouvertement et ne plus
accepter de le voir.
On est donc loin du simple conflit de loyauté
où l’enfant se contente de dire à son parent ce
que ce dernier espère entendre. Dans le cas de
l’aliénation parentale, l’enfant devient acteur
de la rupture puisqu’il va progressivement
assimiler dans son for intérieur le ressenti, le
dénigrement jusqu’à ce qu’il n’ait plus du tout
envie de voir son parent et le rejette de sa vie !
Il n’existe malheureusement pas de solution
miracle pour éviter ce genre de situation, si
ce n’est être diligent lorsqu’il y a non-représentation d’enfant et ne pas laisser perdurer
les choses, en se disant que cela va se tasser.
La Justice est bien entendu là pour aider et
fait souvent preuve de créativité à cet égard.
Elle incite également davantage les conjoints
séparés à tenter une médiation pour leur permettre de définitivement tourner la page et
de décider ensemble d’en écrire une nouvelle,
centrée cette fois sur l’intérêt de leur enfant.
Bien sûr, cela peut prendre du temps avant
que les choses reviennent à la normale et
il est difficile pour un parent de rester là, à
attendre de pouvoir héberger à nouveau son
enfant. Mais il importe de garder à l’esprit que
le parent « victime » est le premier moteur
de la reprise de contact, il faut donc qu’il soit
proactif et patient.
Son objectif premier doit être de rétablir le lien
avant tout, même si cela implique de ne voir
son enfant que quelques heures par semaine
dans un premier temps. Et ensuite, continuer à
se battre et garder confiance coûte que coûte,
même dans les pires moments !
Isabelle Scrève
Filiatio n°9 – mars / avril 2013
27
EN LISANT
Pour qu’on se Rencontre avec l’auteur et illustrateur belge Mario Ramos
Mario Ramos était auteur d’albums jeunesse dans lesquels les enfants du monde entier se reconnaissent.
À la fois raconteur d’histoires et illustrateur, il mettait son regard « à l’envers » et son humour au service de ses
jeunes lecteurs et de leurs parents. Nous l’avons rencontré juste avant sa disparition, au mois de décembre 2012.
Une rencontre en images – pour que son œuvre écrabouille la tristesse de sa mort.
Difficile de s’extirper de la peine au moment
d’écrire cet article. Pourtant, tourner les pages
des histoires que Mario Ramos nous laisse,
c’est déjà faire rebondir de la lumière dans nos
cœurs chagrinés. Nous chassons d’un revers
de la main les signes tristes qui nous sautent
aux yeux : images de disparitions, de hauteurs.
Nous écrivons au passé et cela nous coûte, car
peu de temps s’est écoulé depuis que nous
avons appris, un matin, la nouvelle de sa mort.
L’enregistrement de notre interview est bien
sonore mais restera calfeutré dans sa gangue
de plastique noir, nous sommes incapables de
l’écouter : le son de la voix brouille la frontière
entre hier et aujourd’hui, entre présence et
absence, et c’est trop de tristesse. Place à la
matière vivante de ses albums.
Attention, chute d’idées géniales
Mario Ramos nous a reçues dans sa maison de
Schaerbeek, dans son atelier de lumière, de bois
et de volumes. Des étagères dodues débordant
de livres, des images au mur, des cartes postales et des reproductions, des gris-gris et du
jardin derrière les fenêtres brillantes. La porte
en face de son atelier, c’étaient les toilettes. Et
dans ces toilettes, il y avait un bloc-notes et
quelques stylos à portée de main, au cas où. Au
cas où quoi ? me suis-je demandée, intriguée.
Réponse de l’artiste amusé par ma curiosité :
au cas où une idée tombe sur l’utilisateur des
cabinets. L’idée qui choit doit être attrapée au
vol, sinon le risque de fuite est grand !
28
Filiatio n°9 – mars / avril 2013
Faire rire et faire
réfléchir, ça va
ensemble.
Les idées, racontait-il, m’arrivent en permanence. Mario Ramos, capteur, récepteur, trieur,
sélectionneur, metteur en scène, passeur. Vie
quotidienne et familiale, rencontres : il faut
imaginer flottant autour de lui des centaines
de minuscules paillettes, histoires en gestation
dont quelques-unes deviendront, si elles sont
assez endurantes, un livre que nos enfants
connaîtront bientôt par cœur, tout comme
des milliers d’autres bambins, en Belgique et
à travers le monde, de l’Italie jusqu’en Corée.
Mario Ramos a écrit plusieurs best-sellers
des albums jeunesse. C’est moi le plus fort,
évidemment, l’histoire hilarante de ce loup
débordant d’estime de soi, remis à sa place
par une « ridicule » petite chose verte et par
la maman de cette chose, qui, elle, est la plus
forte. Dans l’histoire, le plus fort n’est pas le
papa de la chose, et cela a du sens pour Mario
Ramos qui n’était pas un homme de stéréotypes. Il a créé des mamans indépendantes,
plus grandes que leur mari (Le Roi, sa femme et
le petit prince), et des pères affairés qui courent
après leur fille pour la flanquer au lit (Au lit,
Petit Monstre !). « Dans la famille, il y a certains
schémas catégoriques, comme l’homme viril ou
la femme à la maison : on le voit dans les pubs
ou dans les spots, et je trouve qu’on est en pleine
régression ! » déplorait-il. Best-sellers aussi les
déclinaisons de C’est moi le plus…, où l’incorrigible loup se croit le plus malin, le plus beau,
et vlan, s’en prend de nouveau plein la figure.
Voir le monde à l’envers
Avec Mario Ramos, en général, les puissants
en prenaient pour leur grade. Le Roi est occupé :
tout le pays pense qu’il travaille d’arrache-pied,
mais en réalité, il lit une BD sur son… trône.
Quand j’étais Petit : les adultes rabat-joie d’aujourd’hui qui ne prennent plus le temps de rêver
furent un jour des enfants joyeux et drôles, et
non des humains momifiés par leurs obligations sociales et par leur « réussite ». « On ne
dit plus « sale bourgeois » : aujourd’hui, tout le
monde veut s’enrichir ».
Indigné. C’est un adjectif qui lui convenait bien.
« Je tente de rééquilibrer, de faire réfléchir. Dans
Le monde à l’envers, j’exprime un malaise, un
vertige. C’est ce que l’on ressent quand on ne
va pas bien. On voit la même chose, mais d’une
autre façon, et du coup ce n’est plus la même
chose. J’essaie de réagir contre l’uniformisation
de la pensée. »
Sa première réaction fut peut-être tout simplement le choix du livre comme support
d’expression. « C’est important de démonter ce
que l’on voit à la télévision, ce qui est omniprésent. Le livre offre une autre réflexion, à un autre
rythme. Contrairement à l’audiovisuel, devant lequel on est passif et qui est addictif, le livre rend le
lecteur actif. » Faire travailler l’imagination des
enfants : il y parvenait en laissant les images
ouvertes. « On occupe trop les enfants, on leur
donne des jouets trop perfectionnés. Quand je
fais un livre, j’essaie de ne pas tout dessiner, pour
qu’on se fasse un monde. »
Choix du livre, mais aussi des enfants comme
lecteurs. « On dit aux enfants de ne pas mentir,
mais tout le monde ment ! S’ils regardent la télévision, ils assistent en permanence aux mensonges
des adultes. » Les enfants peuvent encore
prendre les informations à contre-courant.
« Les adultes sont peut être plus forts pour lire
le texte, mais les enfants sont plus forts pour
lire les dessins ! ». Pour les meilleurs lecteurs
de ses dessins, qui ont bien compris qu’un
album est fait pour être lu et relu dans des
sens différents, il glisse des détails qui ne leur
échappent pas : des oiseaux complices, des
monstres malins… « Les personnages d’animaux permettent d’aller très loin, pour ce qu’ils
expriment et ce que l’on peut faire passer, avec
distance et humour. Faire rire et faire réfléchir, ça
va ensemble. » Plus parlant en effet d’évoquer le
racisme avec des loups et des cochons qu’avec
des écoliers humains, dans Un monde de cochons. Mais encore une fois, les stéréotypes
prennent l’eau : ici, c’est le loup que les cochons
pourchassent…
« On a tous été enfant, et on a tous ce souvenir
du moment où tout est possible. Quand on est
grand, ça s’accélère, on a moins de temps. » Grâce
à ses livres, nous retrouvons du temps, et une
certaine idée des possibles.
Sabine Panet
© Le loup qui voulait être un mouton, Mario Ramos, Pastel / École des loisirs, 2008.
© Arrête de faire le singe!, Mario Ramos, Pastel / École des loisirs, 2010.
Tout au long de l’année, en hommage à
l’œuvre de Mario Ramos, nous présenterons des albums piochés dans nos bibliothèques lorsque nos enfants dormaient
(sinon gare à nous, car ils y tiennent beaucoup !). Dans ce numéro, trois titres intemporels qui nous tiennent à cœur.
© Le monde à l’envers, Mario Ramos, Pastel / École des loisirs, 1995.
fasse un monde
Parce qu’il faut choisir. Et parce qu’un invariant suppose
des variations… voici trois albums de Mario Ramos
très différents qui abordent, chacun à leur manière,
les thèmes du sentiment d’exclusion et de différence.
Un souriceau mal dans sa peau, un mouton en quête
d’identité et un singe trop turbulent. Des histoires
en perspective, de haut en bas, de long en large !
Dans Le Monde à l’envers, Rémi, le souriceau,
se sent différent, incompris. Mal, tout simplement. Il voit tout à l’envers et le lecteur
aussi. Rémi s’en va loin parce que, quelque
part sur la terre, il y a sûrement des gens qui
lui ressemblent. Un long voyage plein d’aventures qui prend sens lorsqu’il rencontre un
improbable fakir, tête en bas, comme lui… c’est
alors que son monde bascule. Pour de bon,
dirait-on, et dans le bon sens. En poirier, à
fond dans la « vraie vie », Rémi trouve alors
sa place parmi ses pairs. Le premier album
jeunesse de Mario Ramos donnait le ton : Le
monde à l’envers permet au lecteur, jeune ou
moins jeune, de s’identifier à Rémi. Parce qu’on
est tous un peu différents, à un moment ou
à un autre, d’une manière ou d’une autre. On
retrouve cette idée de quête initiatique dans
d’autres albums, comme Le loup qui voulait être
un mouton. « Petit Loup rêve de sortir du bois et
de s’élever dans le ciel »… Mais les choses dont
on rêve ne sont pas toujours comme on les
imagine. Petit Loup finit par regagner la terre
ferme et se dit : « Bien sûr que je suis un loup.
Mais pas n’importe quel loup ! Moi, j’ai touché les
nuages ! » « C’est en se confrontant aux autres
qu’on existe » disait Mario Ramos.
En lisant Arrête de faire le singe, à condition de
terminer l’album, on se sent tout d’un coup plus
léger, comme délesté du poids souvent lourd
du regard parental. À la lecture de ce livre, les
parents devraient se remettre sérieusement
en question. Arrête de faire le singe est écrit à la
première personne et cela renforce le propos,
tout comme le mode impératif utilisé par les
parents : « Arrête de faire le singe ! Tu es fatiguant.
Tu vas finir par avoir un accident ! » disaient mes
parents. » Comment ne pas s’y retrouver ? Ici
encore, il est question de voyage et d’aventures. Métaphore de la vie, toute en finesse.
Notre singe turbulent finit par trouver sa voie
comme trapéziste dans un cirque qui, un jour,
passe dans sa ville natale :
« J’ai envoyé une invitation à mes parents. Ils sont
venus voir le spectacle. « Arrête de faire le singe ! »
a dit mon père. « Ça va mal se terminer ! » a dit
ma mère. « Chut ! Silence ! » disaient les spectateurs. La soirée s’est terminée en triomphe. Le
public s’est levé pour applaudir et crier : « Bravo,
Bravo, Bravo ! » Mes parents aussi se sont levés,
très fiers, en disant : « Merci, merci beaucoup !
C’est notre enfant ! »
Pour Mario Ramos, il y a deux manières de voir
le monde. « C’est tartine de miel ou tartine de
Nutella » nous avait-il confié. En lisant ces trois
albums, on y repense et on essaie de décrypter
notre petit univers autrement. Avec Rémi et
les autres. Parce que, comme le chantait Allain
Leprest : « Toutes les tartines du monde entier
tombent toujours du mauvais côté. »
Céline Lefèvre
Filiatio n°9 – mars / avril 2013
29
EN LISANT
Pour les pitchouns
Les souliers écarlates
Gaël Aymon,
Illustré par Nancy Ribard
Talents Hauts
Un conte autour
des violences
conjugales proposé par Talents
Hauts, une maison d’édition que
nous affectionnons. « Un seigneur
avait épousé une
jeune fille telle
qu’il l’avait souhaitée : aussi belle qu’il
était grand, aussi
fragile qu’il était fort. » Plus la jeune fille est
fragile, plus le seigneur se sent fort. Il se met
donc à la malmener, de plus en plus, jusqu’à ce
qu’elle se transforme en une véritable poupée.
Mais elle a un secret : ses souliers écarlates…
Le silence de l’entourage, qui se satisfait d’explications évasives ; le processus de destruction physique et psychologique ; l’évasion par
l’inconscient, et le réveil, la prise de conscience
de sa valeur : toutes ces étapes sont décrites
de manière poétique, parfois dure, par la plume
puissante de Gaël Aymon, mais les contes sont
durs ! Notre époque, souvent, les aseptise,
mais cela ne trompe pas les enfants. Le trait
délicat de Nancy Ribard, le choix des couleurs,
enchevêtrent l’histoire dans un lacis d’émotions guidées – et heureusement, délivrées,
comme dans les contes.
Chacun sa cabane
Mathis
Thierry Magnier
Mathis, on l’aime
pour Boris – ce
petit ours aussi
attachant que sa
mauvaise foi est
crasse – et aussi
pour ses textes,
toujours justes.
Chacun sa cabane
est ainsi : il sonne
juste. C’est l’histoire de Clément,
un jeune garçon
que ses parents, séparés, accueillent en alternance une semaine sur deux et se disputent
tout le temps. Leur dernier conflit : les vacances
d’été. Personne n’est d’accord sur les dates,
30
Filiatio n°9 – mars / avril 2013
et Clément, qui se sent écrasé par la responsabilité du « choix », décide de s’en aller, de
s’enfuir. Il atterrit chez son grand-père, un
bonhomme un peu bourru qu’il ne connaît pas
très bien. Extrait :
« Le train démarre et le cœur de Clément s’emballe dans sa poitrine. Il serre contre lui son
sac à dos et regarde les façades des maisons
et des immeubles défiler de plus en plus vite.
Il se demande qui sont tous ces gens qui habitent là. S’ils sont mariés. S’ils sont heureux.
Petit à petit, les maisons laissent la place à
des prés, des champs et des forêts. Le bruit
et les mouvements du wagon le bercent, mais
pas question de s’endormir. Il ne veut pas rater son arrêt. Le contrôleur passe et Clément
lui tend son billet qu’il gardait dans sa main
gauche. L’espace d’un instant, il soupçonne le
contrôleur de lire en lui comme dans un livre
ouvert. Mais l’homme poinçonne le billet, lui
rend et lui souhaite un bon voyage. »
Pour les ados
Ronya fille de brigand
Astrid Lindgren
Le Livre de Poche
Ronya , c ’e s t
la chronique
post-vacances de
Noël, la chronique
des étagères
poussiéreuses
de souvenirs. Je
m’explique. À Noël,
on passe parfois
un moment en
famille, à baigner
dans une atmosphère de nostalgie, mâtinée d’un besoin d’oxygène proportionnel au temps passé à baigner. Pour ma part,
ce besoin d’oxygène m’a poussée à chercher,
compulsivement, les mêmes issues de secours qu’à l’époque où je m’estimais « coincée
là ». J’ai donc farfouillé dans les étagères du
cellier et j’ai attrapé (froid) : Ronya. Juste à ce
moment-là, un rayon de soleil a caressé la
couverture de mon vieux livre de poche racorni
et les oiseaux se sont mis à pépier tout autour
de la maison. Ronya !
Ronya est une fille de brigand. Son père, Mattis,
fait peur aux voyageurs et les détrousse sans
vergogne – mais Mattis le bourru gazouille
d’amour devant sa petite fille chérie. Et ainsi,
Ronya grandit, entourée par l’affection de
Mattis et de sa tendre mère, Lovise, dans
un château perché en haut d’une montagne
magique. Un jour, Ronya arrive à l’âge d’aller
se promener dans la forêt de Mattis. Tout ce
qu’elle doit craindre, ce sont les elfes maléfiques, les nains gris et les pataudgrins. Mais
voilà : Roka, l’ennemi juré de Mattis, a un fils,
Rik. Un jour, Ronya et Rik se croisent : ils s’injurient et se lancent des défis insensés ! Et
puis… ils font connaissance. Et se lient. C’est
le début d’un récit magnifique, poétique et
terrible, raconté avec la plume tendre, drôle
et terrible d’Astrid Lindgren à qui, on ne le dira
jamais assez, on doit aussi Fifi Brindacier, Zozo
la Tornade et moult autres merveilles. Ronya,
me suis-je donc promis, je la garde sous le
coude pour ma fille dans quelques années.
C’est une grande histoire de famille, d’amour,
d’amitié et d’elfes maléfiques.
Plus jamais sans elle
Mikaël Ollivier
Le Seuil
Alan n’a jamais
connu sa mère –
en revanche, ça
fait bientôt dixhuit ans qu’il vit
avec son père, et
il se doute bien
qu’il a dû, à un
moment, se passer quelque chose
entre ses parents
pour qu’il finisse
par voir le jour.
Mais son père a
toujours éludé la question, et Alan n’en peut
plus. Enfin, lorsque son père lui demande ce
qu’il veut pour sa majorité, Alan lui répond :
« Ma mère. Je veux ma mère pour mes dix-huit
ans. » Demande assez légitime.
À travers l’alternance de points de vue dans
la narration, on comprend assez vite que
cette femme, Ellen, ne vit pas une existence
tout à fait paisible. Elle change de pays tous
les quatre matins, est armée, fait du karaté,
boit des bières et collectionne les amants.
Espionne ? Agent secret ? Ça sent l’embrouille.
Alan ne le sait pas encore, mais lorsqu’il débarque dans la vie d’Ellen, son existence va
prendre un tour sacrément rocambolesque…
Résultat : un mélange assez rock’n’roll d’adrénaline et de secrets de famille.
Romans
et
L’homme qui m’aimait tout bas
Questions à mon père
Eric Fottorino
Folio
revisitant les relations entre les générations.
Les références à la chanson française et italienne ponctuent le récit. Un roman bourré d’un
humour bien dosé, subtil et sensible.
Essais
Paternités Imposées
Mary Plard
Éditions Les Liens qui Libèrent
« Longtemps je me suis interdit d’aimer deux pères
à la fois… ». Ces deux romans, recommandés par
Édith Golbeter-Merinfeld (interview en page 5),
nous ont bouleversés. Éric Fottorino, directeur
du journal Le Monde, y raconte ses pères. Son
père adoptif, tout d’abord, dans L’homme qui
m’aimait tout bas (Grand Prix des lectrices de
ELLE 2010) : Michel Fottorino, l’homme qui
l’a choisi, qui l’a reconnu, lui a fait porter son
nom et lui a donné tout son amour. Et puis son
père biologique, dans Questions à mon père. Un
homme appelé Maurice Maman, qui a eu le malheur d’être né juif marocain, amoureux d’une
jeune fille de 17 ans : elle est tombée enceinte.
C’était la mère d’Éric Fottorino. Les familles du
jeune couple ont tout tenté pour les séparer.
À la faveur d’un emprisonnement arbitraire
de Maurice, dont les titres de séjour venaient
d’expirer, la famille de la jeune fille a enlevé le
bébé qui venait de naître pour le faire élever
en nourrice… Des histoires bouleversantes,
magnifiquement écrites, infiniment délicates.
Lee, histoire d’une adoption
Italia Gaeta
Couleur livres – Collection Je
À 36 ans, Ida, célibataire festive, drôle et pleine
d’imagination se prépare à adopter une petite fille chinoise. La nouvelle fait l’effet d’une
bombe dans la famille d’origine napolitaine où
les stéréotypes ne manquent pas. Pourquoi pas
un enfant noir, tant qu’on y est ? La chambre de
la petite, c’est en jaune qu’il faudra la peindre !
Les plaisanteries vont bon train et c’est dans un
contexte familial plein de tensions, mais aussi
d’amour, qu’Ida chemine vers sa maternité
tant attendue. Les entraves administratives
ne se font pas attendre. Adopter lorsqu’on est
célibataire n’est pas chose aisée. Au-delà de la
question de l’adoption, Italia Gaeta nous fait
partager un univers familial plein de poésie en
« Un sujet tabou »,
annonce le soustitre étalé en manchette : celui des
hommes devenus
pères contre leur
gré. Et pour traiter ce sujet tabou,
une avocate engagée. Mary Plard,
auteure de ce livre
et professionnelle
du droit de la famille en France,
se définit comme féministe. Elle le répète
constamment tout au long de l’ouvrage parce
que, selon elle, c’est un élément important de
sa légitimité à parler de ces hommes et de leurs
histoires. Mary Plard pose la question du choix,
en rappelant avec fierté que les femmes ont
de haute lutte obtenu le droit de maîtriser leur
corps et de décider de leurs maternités. Mais
« si la femme tombe enceinte, les deux n’ont plus
du tout les mêmes cartes en main : la femme
a la possibilité de garder l’enfant, de prendre
la pilule du lendemain, d’avorter, voire même
d’abandonner son enfant en accouchant sous X.
L’homme, face à cela, ne peut rien. Et personne
ne s’est jamais interrogé sur sa place », explique
Mary Plard (Madame Figaro, 14 janvier 2013).
Elle préfère ne pas parler d’inégalité mais de
« vide juridique ». Les histoires des hommes qui
sont venus demander son aide permettent de
resituer l’enjeu de ces « paternités imposées »
dans leur contexte, complexe et irréductible à
l’assomption habituelle « ils n’avaient qu’à faire
attention », ou « ce sont des irresponsables et
ce qui leur arrive est bien fait ». En réalité les
choses sont plus compliquées, le poids écrasant
de la morale est écrasant, et les détresses des
acteurs de ces tristes pièces, père-géniteur,
mère, enfant, sont bien réelles. Si l’auteure,
provocante, demande à la société de se poser
la question de la « paternité sous X », question
d’actualité en France où des voix s’élèvent pour
remettre en question l’accouchement sous X,
ainsi qu’en Belgique où des propositions parlementaires à ce sujet sont en cours, ce livre est
avant tout une invitation à la réflexion juridique,
bioéthique et humaine, autour du consentement
et de la liberté. Et il se lit comme un roman.
Tout se joue à la maternelle
Anne et Marine Rambach
Thierry Magnier
Sur l’air de « Tout
se joue avant six
ans », Tout se joue
à la maternelle est
un essai passionnant. Bien écrit
(par fois même
franchement
drôle), précisément documenté (et pas trop),
vivant, politique,
engagé. Les auteures par tent
d’un postulat valable en France et en Belgique : la maternelle,
tous nos enfants y vont (entre 95 % et 98 %).
Elle est une exception qu’on nous envie, en
Europe et dans le monde. Or elle reste une
énigme. Qu’y apprend-on ? Pourquoi fait-elle
l’objet de tensions et de vifs débats ? Est-elle
en danger ? L’école maternelle, rappellent les
auteures, est un enjeu pour l’égalité entre
classes sociales ainsi que pour l’égalité entre
les femmes et les hommes. Depuis sa création, elle tente un équilibre délicat entre deux
conceptions de sa mission : une conception
qui veut que « l’école s’inscrive le plus fortement
possible dans la continuité du système scolaire »
(en gros : former des futurs travailleurs), et
une autre « qui voudrait préserver au mieux les
particularités du petit âge » (en gros : former
des futurs citoyens). Anne et Marine Rambach
développent différents thèmes essentiels :
apprentissages, âge de rentrée en maternelle,
rapport avec les parents, formation des enseignants, problèmes entraînés par la « culture du
résultat » pour des enfants de moins de 6 ans,
compétences contre connaissances, surpopulation dans les classes… Cependant, les difficultés que rencontre la maternelle ne doivent
pas faire oublier qu’elle est un formidable outil
d’intégration et de socialisation, sans compter
les bénéfices à long terme pour l’ensemble du
pays que représente une efficace politique
d’éducation. Au final, Tout se joue à la maternelle est un convainquant plaidoyer pour un
engagement politique en faveur d’une réforme
profonde de l’enseignement en maternelle et
qui pourrait bien inspirer les politiques belges,
à tous les niveaux de pouvoir. Car « l’idéal de
justice sociale que l’école maternelle revendique
n’est pas encore une réalité ».
Sabine Panet
Céline Lefèvre
pour « Lee, histoire d’une adoption »
Filiatio n°9 – mars / avril 2013
31
© Lombard, 2007
LA PLANCHE DE FRÉDÉRIC JANNIN – MILLE EXCUSES
32
Filiatio n°9 – mars / avril 2013

Documents pareils