Tranches de vie avec les seropos

Transcription

Tranches de vie avec les seropos
Tranches de vie
avec les seropos
Tous ensemble, soutenons nos malades du Sida
Laten we allen onze aids-patienten steunen
All together to support the victims of AIDS
Banso elongo tosalisa babeli na biso ya sida
Bonso pamwe twambulwisha basami betu badi ne sida
Beto nyoso sadisa bambefo na beto ya sida
Sisi wote tusayidiye wagonjwa wetu wa ukimwi
Twese hamwe dufashe abarwayi bacu ba Sida
Témoignages
C
Jeanne Gapiya Niyonzima |
ANSS Burundi
À l’issue de la troisième
Convention nationale de la
lutte contre le sida organisée
à l’Hôtel de ville de Paris par
Sidaction, l’association a attribué le prix International 2006
à Madame Jeanne Gapiya ette brochure est le fruit d’une sélection de
témoignages obtenus après un croisé de
regards lors d’entretiens, de rencontres, de
débats, d’échanges courriels.
Ces témoignages brisent le silence et lèvent le voile
sur les différentes facettes du sida.
Sachez que vos témoignages sont essentiels pour
que le monde sache, que nul n’ignore le vécu de
discrimination, de stigmatisation, de culpabilisation,
d’injustice dans le déni, l’indifférence et l’intolérance
que subissent les personnes vivant avec le VIH/Sida,
ici et ailleurs.
Dites au monde entier, le courage et l’énergie qu’il
vous a fallu pour arracher votre droit à la vie, la
force et la détermination pour affronter vos difficultés dans l’observance d’un traitement lourds, les
effets secondaires qui altèrent votre silhouette, votre
qualité de vie.
Racontez au monde comment se passe votre prise
en charge médicale et psycho sociale.
Et surtout n’oubliez pas de témoigner de notre
bonheur de vaincre la maladie, notre bonheur de
profiter de la vie, d’aimer et d’être aimé, d’avoir des
enfants, de pourvoir les élever ; prendre nos petits
enfants dans les bras et vieillir même avec le VIH.
N’hésitez pas à envoyer vos témoignages à :
[email protected]
http://echos.doublej-webdesign.be/
Act up-Paris
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Echos Séropos d’ici et d’ailleurs
Plus vous
prendrez la
parole, plus
vous serez
forte
Nous avons besoin de vos témoignages et d’articles sur la
question des soins, des traitements et des actions d’advocacy.
Ecrivez à Beri : [email protected]
ou à Sue : [email protected]
Le VIH/sida :
une guerre contre les femmes Alice Welbourn, ancienne Présidente
de la Communauté Internationale
des Femmes vivant avec le VIH/sida
(ICW International Community of
Women living with HIV/AIDS), est une
activiste internationale militant pour
les droits des femmes et la lutte
contre le VIH/sida dénonce la féminisation du Sida.
HCNLS
Echos Séropos d’ici et d’ailleurs
3
La difficulté de faire valoir ses
Je m’appelle Judith, j’ai 56 ans.
Je suis arrivée en Belgique il y a 11 ans, dans
des circonstances mêlant étroitement raisons de
guerre et problèmes de santé. Je cumule donc les
difficultés liées à l’exil et au sida.
L’exil m’a coupée de tout : mon environnement
familial, social, professionnel et géographique. Du
jour au lendemain je suis passée du statut de
cadre à celui d’assistée, dans un pays qui, par
la force des événements est devenu le mien. Je
n’y avais jamais vécu auparavant, ni même envisagé d’y vivre. J’avais encore moins pensé mourir
loin des miens, éparpillés dans le monde entier,
sans l’avoir choisi. C’est une situation effrayante,
une souffrance indescriptible, d’être ainsi séparé
de tout ce qui a jusque là peuplé votre univers.
N’appartenir à aucun noyau familial, devenir tout
doucement une étrangère aux yeux de ceux qui
vous étaient proches. C’est presque invivable,
parfois. C’est là que j’ai compris le sens des mots
« apatride » et « isolement ».
Le sida m’a volé ma santé, ma vitalité, ma jeunesse. Il m’a plongée dans un monde d’incertitude,
d’angoisse, de douleur, d’insécurité physique,
mentale et de profonde solitude, où la vie et la
mort se chevauchent, dans chaque geste de la
vie quotidienne. L’enchevêtrement de la vie et de
la mort, est inexplicable à ceux qui ne l’ont pas
vécu. C’est sans doute ce qui cause l’isolement.
Réflexion faite, on est toujours seul dans la souffrance.
Ce duo explosif d’exil et de sida, fait le lit de
toutes les discriminations, du déni des droits les
plus élémentaires.
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Echos Séropos d’ici et d’ailleurs
Lors de mon évacuation forcée en octobre 1996,
sortie trop tôt de l’hôpital pour m’enfuir, effrayée
et chassée de mon propre pays, j’ai été spoliée
de la moitié d’une somme négociée, arrachée à
la hâte à mon employeur. J’en avais désespérément besoin, pour financer ma fuite vers l’inconnu. C’est dans ces conditions surréalistes, que
je suis arrivée en Belgique en novembre 1996
avec comme bagages un jean’s et cinq T-shirt. J’ai
aussitôt entrepris des soins médicaux onéreux
en ambulatoire ainsi que mes démarches de demande d’asile.
Un mois plus tard, durant la période des fêtes,
épuisée, à peine remise de ma cavale et de ma
dernière hospitalisation, je me suis retrouvée aux
urgences pour une méningite mal soignée. J’avais
dû interrompre le traitement pour fuir. Les médicaments qui auraient pu m’aider n’étaient plus
à ma portée.
Au cours de l’hospitalisation, médecins et comptables se succédaient à mon chevet. Les uns, visiblement préoccupés par mon état me prodiguaient des soins. Les autres me réclamaient une
caution hebdomadaire de 200.000 FB que je ne
pouvais pas trouver du fond de mon lit. Au bout
de deux mois d’hospitalisation, ne pouvant plus
rien pour moi, on me renvoya chez moi, aveugle
et paralysée, avec une dette de plus de deux
millions de francs belges pour les soins reçus.
Ce fut un cauchemar. Ma famille à l’étranger fut
poursuivie pour régler cette dette dont j’étais
dans l’incapacité physique de m’acquitter. Ces
factures furent envoyées à mon employeur en
Afrique. Il ne daigna pas répondre, même pour
dire qu’il refusait de les régler. Elles furent aussi
transmises au CPAS de ma commune que le Tribunal du travail condamna à payer. Une action
en justice entamée dans mon pays condamnait
également mon employeur à régler ces frais.
droits
Le témoignage
de Judith
J’étais trop faible pour m’en occuper, et laissai
le gouvernement belge régler cette affaire, dont
l’injustice me dépassait.
Quant à la somme spoliée à la veille de mon
évacuation forcée par mon employeur, elle me
reste toujours à travers la gorge et mes courriers de réclamations sont jusqu’à ce jour restés
sans réponses. Le plus surprenant est ce silence
qui vous donne presque l’impression de ne plus
exister, d’être enterrée vivant.
Deux ans après le premier procès, je retournais
au Tribunal du travail pour la remise en question
de mon handicap par un médecin expert du Ministère de la santé qui, sans se donner la peine de
m’ausculter, trouva que j’avais trop bonne mine
pour une malade de sida.
Ce fut une horreur absolue de prouver ma bonne foi, devant un expert médical désigné par le
Tribunal du travail, en présence de ce médecin
expert du Ministère de la santé, de l’assistante
sociale de la Ligue Braille, de mon jeune avocat.
Les rapports médicaux fournis par l’infectiologue, le diabétologue, l’ophtalmologue et l’expertise du kinésithérapeute, ne suffirent pas à
convaincre. On se demande comment un médecin peut remettre en cause la crédibilité de
ses confrères.
Il me fallut baisser mon pantalon, pour prouver
ce qui était bien spécifié dans les rapports du
kiné et de l’inféctiologue, à savoir l’état désastreux de mes jambes déformées par la paralysie
et les effets secondaires des médicaments.
Tant d’efforts, d’ humiliations pour faire valoir
son droit au statut d’handicapée… Je ne crois
pas que je pourrai refaire valoir mes droits dans
ces conditions, ni de me défaire de ma colère et
de ma révolte pour ces traitements dégradants.
Sans le soutien de mon jeune avocat, de mon
médecin, de mon kiné et de l’assistante sociale,
j’aurais sûrement baissé les bras avant mon pantalon. Nous n’aurions pas gagné ce procès.
Ceci pour démontrer la difficulté de faire valoir
ses droits en tant que personne exilée vivant avec
le VIH, puisque nous n’avons même plus de considération en tant qu’ être humain responsable.
Avec le sida nous perdons notre statut d’adulte
responsable, le respect dû à l’humain.
Avec l’exil notre autonomie, notre statut social
et le respect qui va avec.
Pour la plupart d’entre nous, nous sommes des
survivants du sida. Après avoir vaincu la mort,
fait le deuil de notre deuil, on nous reconnaît
certes « le droit à la vie », mais pas « le droit
de vivre ». Nous sommes dépossédés même de
notre maladie, du sida…
Devant ces discriminations conscientes ou inconscientes, visibles ou invisibles, très souvent
sournoises, comment pourrions nous faire valoir nos droits sans avoir le « droit d’exister » ?
Comme le dit si bien Aminata Traore :
Il n’y a pas dépossession plus grave
que celle qui interdit à un sujet l’accès à la question qui le concerne
Echos Séropos d’ici et d’ailleurs
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Le cri de douleur de Dany
Chers(es) compatriotes,
Le sida vient de tuer encore une personne de notre entourage. Ma douleur est profonde car je me suis donnée pour
devoir chaque jour de sensibiliser, de prévenir, de rappeler au
gens que le sida existe et qu’il continue à faire des ravages
dans notre communauté.
Comment, nous qui vivons en Europe, où les traitements sont
disponibles pour tous, pouvons-nous mourir encore de cette maladie faute de soins ? La méconnaissance de la maladie, le manque
d’information, le rejet par la société des personnes séropositives est
encore chose courante dans notre milieu.
Créons la différence chers amis, traitons le sida comme toute autre maladie. Ne traitons pas les personnes
vivant avec le Virus comme des pestiférés car
le SIDA N’EST PAS UNE MALADIE CONTAGIEUSE mais
LE SIDA EST UNE MALADIE TRANSMISSIBLE.
Rejeter les malades, tout en restant sexuellement irresponsable ne vous protège pas.
Malgré mon engagement jour et nuit, voilà que je perds un proche, à qui j’ai toujours parlé de la maladie
sans savoir qu’il en était victime. Cet ami n’a jamais réussi à vaincre la honte de son état pour s’ouvrir à moi
et se faire traiter. Pendant ce temps ce mal l’a rongé durant des années, et a fini par avoir raison de lui trop
tôt…
Vous, la société, je vous accuse d’être aussi responsables de cette mort inutile et évitable.Votre mauvaise attitude vis à vis de la personne contaminée par le virus du sida est le seul responsable de ce drame. Maintenant
que mon ami est mort, les spéculations vont aller bon train sur les causes de sa mort. Nul ne saura jamais
la vérité avec certitude sur cette mort, car la famille et les proches vont s’emmurer dans le silence, les demivérités ou le mensonge. Et un tabou va se créer autour de cette mort prématurée. Pendant ce temps le SIDA
lui, continuera à agir, se propager, nous exterminer, méthodiquement et systématiquement.
Qu’est-ce qui ne va pas dans cette société? J’ai mal.
Pourquoi tant d’incompréhension ? Combien de temps allons-nous encore laisser le sida avoir le dernier mot
dans nos vies ?
Levons nous et ensemble créons la différence en vulgarisant le sida. Ne nous enfermons plus dans la honte,
ne nous laissons plus emmurer dans le « qu’en dira-t-on ».
N’ayons plus peur d’en parler pour ceux qui sont malades et de suivre le traitement. Pour vous qui êtes sains
protégez-vous ; arrêter de juger ; arrêter de condamner les personnes atteintes car le SIDA est déjà une peine
à perpétuité. Ne rajoutez pas à la souffrance physique, la torture morale.
Soyons sexuellement responsables de nos actes.
Dany
www.libiki.org
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Echos Séropos d’ici et d’ailleurs
River Huston s’exprime au nom de la gent féminine séropositive
10 choses que vous ignorez à
propos du VIH et des femmes
Il existe une multitude de suppositions à propos des
femmes atteintes du VIH, du genre : nous formons rapidement une dépendance ou nous manquons de jugement lorsqu’il s’agit de choisir un partenaire. Certaines,
voire toutes ces hypothèses, peuvent se révéler vraies
pour certaines d’entre nous, et puis alors? Comme
n’importe quel groupe, nous sommes des individus et
faisons partie de la catégorie des femmes séropositives.
Nous venons de tous les milieux et avons des origines
ethniques, religieuses et socio-économiques différentes, ce qui rend notre histoire unique. Une chose est
certaine à propos de nous : le VIH est un problème de
nature médicale et non pas un adjectif qui nous décrit.
1
Nous ne sommes ni héroïques, ni courageuses ni braves. Nous essayons simplement
de vivre de notre mieux. Un héros est une personne
qui entre dans un édifice en flammes pour sauver une
femme en fauteuil roulant ou qui plonge dans l’eau pour
sauver un enfant de la noyade. On a dit de moi que
j’étais héroïque, courageuse et brave depuis le début,
mais en vérité je trouve que chaque femme vivant avec
le VIH que j’ai rencontrée ne laisse pas le virus définir,
détruire ou dévaster sa vie et qu’il ne s’agit en fait que
d’une femme forte qui vit sa vie au meilleur de ses capacités. En faisant de moi une héroïne, vous me placez
sur un piédestal duquel je suis certaine de tomber.
2
Nous pouvons encore avoir une belle
sexualité. Je dois tout d’abord me remettre de
ce qu’on dit être le sexe sécuritaire, en commençant
par le condom pour femme. Lorsqu’il est finalement en
place, vous ne voulez plus baiser, vous voulez un Valium.
La deuxième place des atrocités va à la digue dentaire.
Et soit dit en passant, je n’ai vraiment pas envie qu’on
me touche avec des gants en latex. La sexualité, c’est
beaucoup plus que le coït et les relations bucco-génitales. Au bout du compte, ma sexualité s’est améliorée
parce que j’ai appris à communiquer en parlant du sexe
sécuritaire et en explorant d’autres options, comme les
jouets, les fantasmes et les costumes.
3
Nous pouvons avoir une vie bien remplie,
y compris une carrière. C’est un choix que
je peux faire. L’accès au traitement m’a permis d’avoir
un avenir, qui comprend des objectifs de carrière à long
terme.
River Huston
est poète, journaliste
et artiste lauréate. Elle est
l’auteur de cinq livres, dont A
Positive Life: Portraits of Women
Living with HIV. Vision Positive Volume 7, Numéro 2
4
Nous pouvons donner naissance à des
enfants séronégatifs. Le savoir médical a grandement réduit le risque de transmettre le virus à mes enfants et m’a donné la possibilité de
les voir grandir et devenir adultes.
5
Nous ne sommes pas le visage du VIH. Je
n’ai pas besoin d’être la tête d’affiche d’une maladie.
Que je le dévoile publiquement ou non, je ne suis pas
définie par ma maladie. Le VIH est un virus, et je suis
pas mal plus jolie que ça.
6
Nous recherchons toujours un peu de
romance. J’ai besoin d’être traitée avec respect et
adoration et de recevoir des cadeaux. Le VIH n’a pas fait
disparaître mon désir d’être courtisée et charmée.
7
Notre partenaire peut être séronégatif.
La plupart des gens présument que mon mari est
séropositif. J’ai des nouvelles pour eux : il est négatif et le
VIH joue un rôle très mineur dans notre vie. Les femmes
séropositives n’excluent pas les partenaires séropositifs,
mais ne se limitent pas exclusivement à ce groupe.
8
Nous pouvons vivre le moment présent.
Le VIH n’est pas un cadeau; si ce l’était, je m’empresserais de le retourner au magasin. Il m’a toutefois
montré à ne pas m’attarder sur le passé et à ne pas
m’inquiéter de l’avenir. Nous allons tous mourir un jour
ou l’autre. Je sens maintenant que je dois vivre ma vie
pleinement à chaque jour, alors je ne songe pas à la musique qui jouera lors de mon service commémoratif.
9
Nous n’avons pas à nous contenter de
quoi que ce soit. Je ne suis pas de la « marchandise endommagée ». Je suis une femme formidable,
sexy et séduisante. Je peux choisir la personne avec qui
je partage ma vie. Je n’ai pas à vivre avec un partenaire
qui me maltraite, qui n’a pas un bon emploi ou qui ne
me convient vraiment pas parce que personne d’autre
ne veut de moi.
10
Nous sommes heureuses. Le fait d’être
séropositive ne doit pas compromettre mon
bonheur. J’ai le droit à une vie heureuse. J’ai accepté
le fait d’avoir un virus dans le sang qui me cause des
problèmes, mais qui peut être géré. Je peux vivre ma vie,
qui comprend beaucoup de rires, des amis, une famille
et du bonheur. Je vis en supplémentaire et j’apprécie
chacune de mes magnifiques minutes.
Echos Séropos d’ici et d’ailleurs
7
Extrait de lettre de séropo
Chère Collègue,
… A vrai dire nous sommes un peu désenchantés visà-vis de cette vie autour de nous avec tout ce qui se
passe et surtout toute l’incompréhension, l’ignorance,
le manque de professionnalisme, l’approximation avec
lesquels on se débat tous le jours.
Il va de soi que quand on est porteur d’une maladie
sexuellement transmissible et en plus mortelle et
qu’on peut tenter d’endiguer mais seulement pour
une petite « élite », le mur susmentionné devient infranchissable.
Juste pour te dire… le premier médecin que j’ai vu
quand on m’a appris ma séropositivité, à la suite d’une
intervention chirurgicale où on m’avait testée à mon
insu, voulait absolument savoir comment j’avais attrapé le virus, avec combien de personnes j’avais couché,
si par hasard je n’étais pas pute et pour finir, comme il
n’étais pas satisfait, il a commencé à m’interroger sur
les habitudes sexuelles de mon partenaire, combien
de fois, avec qui, si il se droguait et si il fréquentait
habituellement des prostituées. Exaspérée par son interrogatoire, je lui ai dit que d’habitude je ne passais
pas mon temps cachée dans son caleçon pour voir
où il mettait sa queue !
NOTE : est-ce que par hasard les médecins sous la
forme de l’intérêt médical assouvissent leur fantasmes
sexuels ?
En plus de ça, il a ajouté qu’il se devait d’être tout à
fait sincère avec moi et que donc pour la maladie en
question il n’y avait pour l’instant que l’AZT comme
médicament, qu’il n’était pas sensé guérir mais juste
ralentir la maladie et que mes chances de vie se situaient, si je ne développais pas immédiatement le
SIDA, entre 7 et 12 ans de vie.
Après ces propos « réconfortants », l’idée d’avoir une
vie affective et sexuelles n’effleurait même pas de loin
l’antichambre de mes pensées.
8
Echos Séropos d’ici et d’ailleurs
La peur de contaminer une autre personne, de lui
donner la mort, le poids de la responsabilité de cacher le virus, la peur de l’exclusion, de l’étiquetage, la
peur d’être malade et invalide, tous des arguments qui
tour à tour ou même tous ensemble ont sapé mes
envies sexuelles.
Et pendant des années je me suis limitée à donner
toute mon affection à ma fille en espérant de vivre
au moins aussi longtemps possible que la durée des
ses études et j’ai regardé les hommes et l’amour avec
un triste détachement, une sorte de « supériorité
métaphysique », un peu comme un « je suis au delà
de cette fièvre terrienne qui me touche simplement
comme réflexion intellectuelle ».
J’avais mis tout dans le sac, pas seulement la vie
sexuelle mais aussi tout ce qui allait avec. Il me restait ma mission à accomplir et j’aurais pu après me
retrancher dans une vie monastique.
C’est en fréquentant l’association Groupe Sida Genève que j’ai rencontré d’autres personnes comme
moi, qui tout en étant « banalement » en dehors des
fameux groupes à risque se retrouvait à devoir gérer
un virus aussi incommode que le VIH.
NOTE : parce que t’as jamais entendu autant de brouhaha
pour d’autres virus qui pourtant sont aussi dangereux et
même plus virulents ?
Mis à part ça, j’ai commencé par là à rechercher et à
retrouver une vie affective. Je me suis retournée vers
des amitiés homosexuelles, des hommes avec lesquels
je pouvais me permettre d’exprimer l’amour qui était
en moi, d’être intime avec une personne sans qu’on
s’embrouille dans une relation sexuelle.
Mais j’étais encore très loin de penser que j’étais
« normale » et que donc je pouvais exiger d’avoir une
vie « normale » avec des sentiments et des pulsions
tout à fait « normaux ».
C’est pour cela qu’une fois je me suis faite insulter
par un soi-disant hétéro « normal » : tant qu’on est
resté à la relation sociale tout allait pour le mieux, il
m’a même démontré son fort intérêt, mais dès que
à séropo
je lui ai annoncé la couleur il s’est littéralement enfoui. Pour être un fils de médecin, frère et beau-frère
de médecins et lui-même physicien chercheur, c’est
plutôt décevant.
NOTE : comme toi, moi aussi j’ai rencontré les plus obtus
dans le milieu spécialisé. Est-ce un hasard ?
Je ne manquais pas d’informations, au contraire j’étais
une assidue du GSG et j’ai reçu aussi une formation
pour accompagner d’autres personnes beaucoup plus
malades que moi. Cela m’a permis d’être certaine sur
ce que je pouvais et ne pouvais pas faire. C’était le
côté psychologique qui boitait. Je me suis laissée peutêtre entraîner par la vague des « culpabilisants » ou
des « pitoyables » qui ne s’est pas encore essoufflée
puisque je rencontre toujours et encore des médecins qui s’intéressent à la manière de ma contamination. Je me sentais responsable de mon manque de
respect envers moi pour ne m’être pas protégée au
bon moment et je voyais dans le regard de certains
professionnels et membres d’associations un vague,
quand ce n’était pas un intense, sentiment de pitié.
NOTE : j’ai été avec C à Arc-en-ciel à Paris qui se défini
une association pour séropos et malades du Sida. Pour
accéder aux activités du genre séances de massage, conférences d’information, groupes de parole (il y a un groupe
de femmes), il faut être membres et pour savoir si on est
aptes à être membres, il faut avoir un entretien pendant
lequel ils te posent un tas de questions, entre autres si
tu es séropo, depuis quand, comment tu l’as attrapé, ta
situation sociale, économique, etc.
Juste pour ne pas te sentir classé !
Après une longue et pénible période de travail psychologique je suis parvenue à m’estimer un peu mieux
que ce que les images stéréotypées sur les séropos
me renvoyaient.
J’ai commencé à penser que j’étais normale et que
je devais commencer à faire des rencontres. Je suis
passée par une agence et j’ai rencontré des hommes « très bien » mais à mille lieus de distance de
mon monde. Je m’étais vraiment détachée de la fièvre
terrienne et je ne voyais pas ce que je pouvais bien
conclure avec ces hommes-là.
C’est en lisant la quantité d’annonces que d’autres
séropos mettaient dans un magazine associatif, que
je me suis aperçue que dans mon monde à moi je
pouvais rencontrer plein de gens comme moi qui désiraient partager de l’amitié, de l’amour et du sexe et
ils le disaient et ils l’écrivaient.
C’est comme ça que C et moi nous nous sommes
mariés. Autant te dire que nous sommes passés par
toutes sortes de difficultés vis-à-vis de la sexualité.
Tous ce qu’on a entendu comme interdit pendant des
années de la part du corps médical y est passé.Y compris l’effet des médicaments qui, malgré la réticence
des médecins à l’admettre, s’est avéré être une des
causes du manque de désir et de toutes les difficultés
qui en découlent, donc aussi d’avoir un partenaire.
La peur de se laisser aller et de se recontaminer était
au dessus de tout ; mais quel acte sexuel peut passer
par un contrôle de soi-même ?
Et même notre désir d’enfant y est passé : du « mais
vous êtes fous de vouloir faire un enfant », jusqu’au
« pour le faire vous pouvez avoir des rapports sexuels
comme tous le monde ; vous ne risquez pas de vous
surcontaminer » !
NOTE : qui nous dit la vérité sur contamination et surcontamination ? Qui transmet à qui et quand, vu que dans
certains couples qui ont des rapports sexuels sans protection on trouve sérodiscordance depuis des années ?
Selon la loi française vaut le principe de précaution, comme pour la vache folle.
Echos Séropos d’ici et d’ailleurs
9
Désir d’enfant
A 17 ans, j’ai appris simultanément ma séropositivité et ma grossesse.
Le seul homme que j’avais connu dans ma courte
vie et dont j’étais follement amoureuse avait 35
ans : le double de mon âge.
Pour m’éloigner de lui ma mère m’avait envoyé en
Europe pour y poursuivre mes études.
Peine perdue, car je l’ai revu lors d’un passage en
Europe. C’est sans doute à ce moment là qu’il m’a
mise enceinte et peut être contaminée.
Dans ma naïveté de gamine qui découvre l’amour
et le sexe pour la première fois, je ne faisais aucun
lien de causes à effets entre l’acte sexuel et grossesse encore moins contamination.Tout cela était
bien confus et enfoui dans mon inconscient. L’idée
d’une probable grossesse ne m’avait même pas
effleurée et des MST encore moins.
De plus, comme on peut l’être à cet âge, j’étais
crédule et naïve, j’éprouvais tant d’amour et tellement occupée à mon bonheur que rien n’aurait
pu gâcher.
Lorsque à la suite d’un léger malaise à l’école,
le médecin m’apprit sans ménagement, en même
temps ma grossesse et ma séropositivité, j’ai eu
la frousse de ma vie. Je fus tellement terrifiée et
terrorisée que je pris le premier avion pour l’Afrique pour mourir auprès de ma mère alors que le
salut se trouvait ici.
Malgré ses questions insistantes sur les raisons de
mon retour précipité, je n’osais rien lui avouer. Le
traumatisme encore vivace de mon oncle mourant du sida dans des conditions surréalistes : rejeté par sa famille, ses amis, ses collègues, déshérité
par mon grand père, abandonné par sa femme.
Ces souvenirs me hantaient et bloquaient mon
besoin de me confier. Il n’y avait que mon grand
frère resté à Bruxelles qui connaissait ma situation
10
Echos Séropos d’ici et d’ailleurs
et avec qui je partageais mon désespoir et mon
pessimisme. Dans mon hystérie de pensées morbides, je lui avais laissé une facture de téléphone
de presque 100.000 FB qu’il a eu du mal à digérer
et à rembourser.
J’ai fini par me faire avorter dans la clandestinité
et suite à une déchirure de l’utérus ma mère m’a
fait hospitalisé et appris ma grossesse. Elle ignorait
encore ma séropositivité qui risquait de l’anéantir. Moi même, je culpabilisais énormément en
songeant au chagrin que j’allais lui causer. C’était
comme si je lui plantais un couteau dans ses entrailles.
De son côté, elle et le gynéco me réservaient
une bien mauvaise nouvelle : d’après le diagnostic
du médecin, après cet avortement sauvage, je ne
pourrai plus avoir d’enfants. Après beaucoup de
larmes partagées avec ma mère, je me suis consolée en me disant que dans ma situation ce n’était
peut être pas plus mal.
J’étais très perturbée et complètement déboussolée par tout ce qui m’arrivait. Je gardais pour
moi mon gros secret sans pouvoir le partager et
je multipliais les bêtises pour donner le change.
C’est ainsi que sans savoir comment, je me suis
retrouvée de nouveau enceinte. Comme la plupart
des kinoises, nous confondions l’interruption de
grossesse avec une contraception et n’utilisions
aucun contraceptif. Mais après ma douloureuse
expérience d’interruption de grossesse et le verdict du gynéco, la perspective de cette grossesse
fut pour moi comme un signe du destin, une seconde chance.
Je me disais que même si je devais y laisser ma
peau, cet enfant qui grandissait en moi me survivrait. J’ai donc vécu ma grossesse avec beaucoup
de gratitude et de sérénité.
J’ai mis au monde dans des conditions normales
un beau petit garçon en bonne santé âgé de 10
ans aujourd’hui.
A 17 ans, j’ai appris simultanément
ma séropositivité et ma grossesse.
Dès que je l’ai tenu dans mes bras, un sentiment
indéfinissable de plénitude a envahi mon coeur
et l’envie de vivre pour le voir grandir s’est renforcée.
Ma mère soupçonnait sûrement mon secret, elle
en avait été sûrement informée par le gynéco, mais
les « non dits » avaient la dent dure chez nous
et tacitement, nous n’abordions jamais ce sujet.
Nous nous contentions de partager le bonheur
de voir grandir ce petit bout de chou qui nous
comblait par sa beauté, sa vivacité, son intelligence
et sa bonne santé.
Malheureusement, au bout de cinq ans, les premiers symptômes du sida se sont manifestés.
Dans l’entre-temps, je m’étais bien documentée
car j’avais la volonté de vivre pour m’occuper de
mon fils. Je suis allée consulter avec confiance les
spécialistes de mon pays qui m’ont ballottée de
l’un à l’autre sans vraiment me prendre en charge
malgré ma possibilité de paiement.
Découragée et déjà mal en point, j’ai donc fini par
abandonner mon petit garçon à ma mère pour
m’expatrier à la poursuite des médicaments.
Après quelques années difficiles de péripéties administratives indescriptibles, j’ai réussi à stabiliser
ma santé, à faire venir mon petit garçon, j’ai trouvé
du travail et je me suis même mariée. Un court
mariage où j’ai réussi à convaincre mon mari séronégatif de me faire un autre enfant.
Nous avons entamé ensemble le programme de
grossesse assistée au Centre de référence où je
suis suivie mais notre mariage n’a pas survécu à
la peur ; à la substitution de son rôle de concepteur par une éprouvette et à la manipulation de la
science qui réduit le mâle à un simple donneur.
Désireuse de concevoir ce bébé, j’ai poursuivi ma
démarche de grossesse assistée avec mon nouveau
conjoint qui s’est montré plus compréhensif.
Après le deuxième essai, j’ai été enceinte et dès
le troisième mois, j’ai dû arrêter mon travail de
peur de faire une fausse couche.
J’ai mis au monde prématurément par césarienne
un deuxième petit garçon. Il est né avec une jaunisse et était si minuscule et si fragile que c’était
un vrai déchirement pour moi de le voir avec tous
ces tuyaux et de rentrer chez moi en le laissant
à l’hôpital.
J’étais terrifiée à l’idée de ne pas le retrouver là
à ma prochaine visite et je n’arrivais plus à m’endormir. Je trouvais cruel qu’on ne m’autorise pas
à rester auprès mon bébé qui avait sûrement besoin de moi. Je culpabilisais aussi à la pensée que
c’était de ma faute si ce bébé était né avant terme,
s’il souffrait et j’appréhendais sa sérologie. Si ma
mère n’était pas venue me soutenir, je crois que
j’aurais fait une dépression.
Au bout de quelques semaines d’angoisse, nous
sommes rentrés à la maison. Mon bébé va bien, il
a pris du poids et grandit admirablement entouré
de l’amour de son frère qu’il reconnaît dès qu’il
rentre de l’école. Les quatre examens de dépistage n’ont révélé aucune trace de VIH.
Je retrouve tout doucement ma joie de vivre, ma
foi dans l’avenir et mes angoisses s’éloignent.
En regardant mes deux enfants, je me sens comblée
avec un sentiment de plénitude et une folle envie
d’avoir une petite fille pour clôturer la série.
Propos recueillis par Judith
Echos Séropos d’ici et d’ailleurs
11
Et vous, que faites-v
Ma contribution dans la
lutte contre le sida ?
Informer, Sensibiliser,
Prévenir
Engagée également dans la
lutte contre le Sida
J’essaie tant bien que mal de sensibiliser
au détour d’une conversation (en famille,
entre amis, au travail) sur le bien-fondé de
l’usage du préservatif ainsi que sur la nécessité d’avoir des rapports sexuels responsables.
Mon engagement auprès
des séropos ?
Un choix, un devoir, une
responsabilité
Encore aujourd’hui au sein d’AFEDE asbl,
lors de nos campagnes de sensibilisation,
nous n’hésitons pas à mettre en évidence
la corrélation qui existe entre la violence
faite aux femmes et la pandémie du Sida :
la violence limitant la possibilité qu’on les
femmes de se protéger contre l’infection.
Nous luttons afin que les survivantes recouvrent leur dignité et leur intégrité, en
dénonçant les violences sexuelles mais aussi en sensibilisant à la prise de conscience
afin de les prévenir.
Après des années d’intense sensibilisation,
nous développons des moyens pour leur
redonner le goût de lutter au-delà de la
survie pour devenir des actrices de changement et de développement dans leur
communauté.
Mais nous avons conscience d’un facteur
essentiel : sans justice, il n’y a pas de paix
et de développement possibles!
La photographe bénévole
du Projet Matonge
contribue à la lutte contre
la stigmatisation des personnes vivant avec le VIH
Nous croyons à l’impact
d’une prise en charge communautaire et une
prévention de proxmité
Les arv soignent, les amis
« d’ Echos séropos ici et
d’ailleurs » aussi
Maddy Tiembe
[email protected]
http://afedeasbl.blogspot. com/
www.afede.net
Le HCNLS, Mali, nous
rappelle que nous sommes
tous concernés
12
Echos Séropos d’ici et d’ailleurs
vous contre le Sida ?
La foi réconforte mais ne
soigne pas le sida :
un traitement, le miracle
aurait pu s’accomplir
Lettre ouverte à Amina
Chère Amina,
L’accueil toujours enjoué
de la doyenne de
« La petite colline » Nos relais communautaires
luttent contre
« la séro ignorance »
Les pays du Nord et du Sud
« ensemble contre le sida »
Pauline Kompany,
Coordinatrice de VIPOT ONG « Vie pour
tous » a porté la voix du Sud à Toronto
Montreal se mobilise
pour « Echos seropos
d’ici et d’ailleurs »
Je tiens à vous remercier pour l’espace que
vous accordé aux témoignages des femmes
séropositives. Cette initiative est encourageante pour les femmes qui, hier se cachaient, étaient pointées du doigt, voyaient
leurs rêves brisés…, aujourd’hui témoignent
à visage découvert, se mobilisent à travers
des associations pour aider, conseiller et
montrer aux personnes séropositives que
la VIE vaut la peine d’être vécue jusqu’au
bout.
A travers leurs témoignages, qu’elles soient
chrétiennes, agnostiques ou athées, leur dénominateur commun est leur détermination
à regarder le problème en face et à réagir
après une phase de déprime à l’annonce du
diagnostic.
Je salue leur courage, en dépit de diverses
barrières ( rejets, préjugés, humiliations…),
elles gagnent difficilement du terrain dans
leur combat. Elles méritent notre soutien
quelle qu’en soit la forme. Continuez à être
avec elles dans leur lancée.
Je vous remercie.
Marie-Louise Peti Nzako
Pour plus d’infos, lire l’article
aux pages 26 et 28 de AMINA/juin 2007.
Echos Séropos d’ici et d’ailleurs
13
Sans papiers, sans existence
Je vis en Belgique depuis 2004 où j’ai décidé de
rester définitivement pour des raisons médicales.
Auparavant, je venais chaque année en vacances
chez ma soeur mariée et j’en profitais pour faire
mes contrôles.
Dans mon pays, je travaillais aux Nations Unies
et c’est après une mission en Tanzanie, en 1999,
que mon Sida, déjà déclaré, à été diagnostiqué
suite à une méningite. Je suis resté hospitalisé
trois mois. Heureusement, les Nations Unies
venaient de voter une loi de prise en charge
médicale globale à 100 % en hospitalisation et
80 % en ambulatoire. Je fus parmi les premiers
à bénéficier de cette mesure. Mes supérieurs
ont été réellement compréhensifs et j’ai donc
directement commencé la trithérapie dont je
payais 20%. J’ai aussi repris mon travail après ma
convalescence. Ils ont aménagé mon temps de
travail pour que je me remette rapidement. Je
leur en étais très reconnaissant.
Je n’ai jamais su quand, comment et par qui j’ai
été contaminé et à vrai dire je m’en fichais un
peu. J’étais un garçon plutôt rangé sans histoires croustillantes avec les femmes ou autres
papillonnages féminins. J’avais perdu ma fiancée
cinq ans plus tôt dans un accident de voiture et
je n’en étais pas encore complètement remis.
Je devais maintenant faire le deuil de mon désir
de ne plus fonder une famille et d’avoir des enfants et cela me fendait réellement le cœur. Dans
mon souvenir, j’ai toujours été entouré d’enfants
et j’étais très proche de mes neveux et nièces.
J’imaginais mal renoncer aux joies de la paternité, de la famille et de partir sans marquer mon
passage sur terre.
14
Echos Séropos d’ici et d’ailleurs
Les premières années de traitement se sont relativement bien passées et je tolérais les médicaments sans aucun problème jusqu’au jour où
mon traitement a été perturbé par une interruption due à une mission de service prolongée
plus que prévue. Mon médecin a dû directement
changer mon traitement et les effets secondaires
du nouveau traitement n’ont pas tardé à se manifester surtout par des neuropathies qui sont
devenues insupportables durant mon séjour ici.
Ma soeur et son mari médecin, inquiets, ont donc
refusé de me laisser partir dans cet état sachant
qu’ils étaient la seule famille qui me restait. Je me
suis laissé convaincre et j’ai obtenu une mise en
disponibilité provisoire d’un an à mon service.
Mon état se détériorait de jour en jour et cela
nous confortait dans l’idée que nous avions fait
le bon choix.
Ma soeur croyait qu’obtenir un permis de séjour
était juste une petite formalité mais cela a vite
viré au cauchemar. A ce jour, après de nombreuses démarches, interventions juridiques, menaces
de suspension d’aide médicale, harcèlements administratifs, je viens d’obtenir un visa de séjour
d’un an renouvelable grâce aux associations que
je fréquente assidûment depuis deux ans…
Mon soulagement est sans nom.
Dans ma culture, vivre sous le même toit que ma
soeur et son mari est quelque chose d’inimaginable. Tout moderne que je sois et bien qu’installé
confortablement, j’éprouvais un grand malaise
que je n’arrivais pas à surmonter et je culpabilisais d’autant que mon beau frère, les enfants
et ma soeur se montraient tous respectueux,
gentils, prévenants et toujours prêts à me rendre
la vie agréable. Je restais des heures assis dans
Je m’appelle Pascal, j’ai
46 ans et j’ai le sida.
ma chambre désespéré, désemparé sans oser en
sortir à cause de mes convictions culturelles qui
me taraudaient et par peur de gêner.
De plus, depuis l’âge de 18 ans j’ai toujours été
financièrement indépendant avec ma propre maison, mon propre véhicule, mon salaire ne devant
rendre de comptes à personne et avec la responsabilité d’une famille élargie, je portais même
soutien à certains nécessiteux.
Je me retrouvais dans une situation de dépendance totalement inconnue pour moi. J’ai donc
pris la décision unilatérale de retourner dans
mon pays et j’ai entamé les démarches pour retrouver du travail là bas. J’ai pu obtenir des promesses de travail et mon état de santé étant plus
ou moins stabilisé, il ne restait qu’à fixer la date
pour repartir. J’étais convaincu que je ne pouvais
pas vivre pire, ni tomber plus bas.
J’étais prêt à mourir chez moi plutôt que d’être
traité plus longtemps de « sans papiers » et de
« sans existence ».
Les médecins, les assistantes sociales, les amis,
ma famille m’exhortaient tous à une patience qui
m’avait lâché et que je n’avais plus.
De son côté, ma soeur heureuse et soulagée
de m’avoir auprès d’elle pour s’occuper de moi
comprenait mal ce malaise, ce fossé culturel
qu’elle en était presque vexée. J’essayais de me
rendre utile autant que je le pouvais les
courses, le jardin, les véhicules etc… sans pour
autant être soulagé…
Depuis que j’ai obtenu mon permis de séjour
c’est comme si un grand poids m’était enlevé.
J’ai réussi à trouver un logement provisoire il
est vrai, j’ai une promesse de travail et je sens
l’espoir renaître avec ma dignité retrouvée avec
mon identité.
Quand je joue ou que je prends dans mes bras
les bébés de ma nièce; je sens un grand bonheur envahir mon coeur. Je me surprends à rêver
d’une vie d’une famille que je fondrais avec une
femme, des enfants et je ressens tout l’amour
qu’un rescapé de sida qui a flirter avec la mort
peut avoir pour la vie et pour une famille.
Mais dans un an le cauchemar devrat-il recommencer ?
J’étais prêt à mourir chez moi plutôt que d’être traité plus
longtemps de « sans papiers » et de « sans existence ».
Echos Séropos d’ici et d’ailleurs
15
Veuve du Sida
Je suis une veuve de 50 ans
et je n’ai pas le sida
Mon mari est décédé du sida il y a cinq ans en
me laissant un adolescent en quête de réponses
que je ne sais pas lui donner.
Le plus difficile dans notre deuil est de ne pas
comprendre ce qui s’est réellement passé et
d’avoir raté quelques épisodes de notre vie avec
mon époux. Ce n’est qu’à la veille de sa mort,
après avoir fait durant des mois le tour des guérisseurs et médecins, qu’au bout de compte, j’ai
appris que mon mari avait le sida.
Dans l’état critique où il se trouvait j’ai dû prendre sur moi pour le soigner, le rassurer et l’accompagner jusqu’à la mort. Ce fut très dur pour
moi. Le deuil que je porte toujours est celui de
nos quinze ans de vie commune. Je m’abîme à
remuer des questions sans réponses sur notre
mariage, son engagement envers moi et son fils :
quand, comment et par qui a t il été contaminé.
J’ai fouillé dans ses affaires, discuté avec son médecin, ses amis, sans trouver de réponse satisfaisante.
16
Echos Séropos d’ici et d’ailleurs
Après son décès j’étais effondrée de douleur,
d’incompréhension et infiniment seule. Sous la
pression de ma famille, j’ai subi des tests de dépistage dont je n’étais pas prête à assumer les
résultats. Je me suis sentie humiliée de cette invasion familiale dans mon intimité sous prétexte
du souci pour moi.
Les tests se sont avérés négatifs mais ça n’avait
aucune espèce importance personne n’y a crû.
Et moi, je ne me suis pas sentie soulagée pour
autant. Tout le monde est persuadé que je suis
séropositive et je me sens fatiguée de me justifier. Je les laisse m’épier attendant le jour où la
maladie se déclarera.
Je vis avec le sida sans en être contaminée. Il
a investi sournoisement ma vie et en a fait un
enfer. Mon fils n’en parle jamais et semble avoir
réussi à oublier ; moi, je ne sais comment m’en
défaire et je m’investis dans la lutte contre la
stigmatisation.
Propos recueillis par Judith
Les orphelins du Sida
Je suis atteinte de Sida,
Mon ex-mari est mort de sida,
Sa femme est morte de sida,
La petite sœur de sa femme est morte de sida,
Le grand frère de sa femme est mort de sida,
Ma propre sœur vient de mourir de sida.
Ma meilleure amie est morte de sida,
Mon voisin est mort de sida,
Sa femme est atteinte de sida,
Ses deux derniers enfants sont atteints de sida,
Le frère de ma collègue est mort de sida,
Et je peux continuer ma liste longtemps encore…
Une lugubre et sinistre chaîne que n’importe qui
peut reprendre plus longue ou plus courte, qu’importe… c’est devenu la tragédie du quotidien dans
certaines parties du monde que bien des gens méconnaissent encore.
Pourtant le sida n’est pas héréditaire, n’est pas une
fatalité mais comment convaincre et rassurer les
enfants orphelins ou presque orphelins qui n’ont plus
l’innocence, ni l’insouciance de leur âge.
Ils guettent et se posent mille et une questions…
Des heures entières, ils s’interrogent, quand ils
voient que le matin papa ne peut plus aller au travail,
que maman tousse de plus en plus fort ou devient
de plus en plus faible.
J’essaie d’imaginer le drame de nos enfants qui voient
peu à peu, jour après jour, la vie se vider des veines
de leurs parents sans qu’aucune explication ne leur
soit donnée. Confusément, ils sentent qu’ils sont en
danger. Ils éprouvent une angoisse irraisonnée sans
savoir vers qui ils peuvent se tourner. Ils pensent
qu’ils vont se retrouver ainsi, seuls, sans parents,
sans protection, sans lendemain, sans explication,
et sans personne à qui confier leur peur d’enfant.
Il est terrifiant de se retrouver si vite adulte et de
devoir affronter, seul, la vie.
Ils ne comprennent pas les insinuations, les tracasseries scolaires et administratives. Ils cherchent
Hollywood va immortaliser
Nkosi Johnson, en portant à
l’écran la vie de cet orphelin
sud-africain, né séropositif,
dont le plaidoyer en faveur des
malades du sida avait ému la
planète et fait de lui un symbole de la lutte contre le virus
qui ravage son pays.
quelqu’un pour les prendre dans les bras pour leur
donner un peu de chaleur, un peu de tendresse, une
oreille attentive et affectueuse pour écouter les
petits bobos, les premiers chagrins d’amour apaiser
leurs tourments et donner des conseils pour commencer dans la vie.
Actuellement, on demande aux personnes saines
d’avoir un comportement sexuel responsable mais
on n’insiste pas assez auprès de ceux qui sont malades sur le fait qu’ils doivent préparer les jeunes
très vulnérables qui resteront après eux et dans la
mesure du possible les préparer à leur absence afin
de leur éviter incompréhension, désarroi, désolation
et désespoir.
Il est déjà si dur de perdre ceux qu’on aime mais s’il
faut, en plus, en justifier les raisons, c’est presque
insupportable pour un enfant à qui on n’a rien confié
rien appris sur la maladie.
Il faut parler aux enfants, ne pas leur mentir, ne rien
dissimuler. Il faut essayer de les préparer à votre
départ dans la mesure du possible, les diriger vers
une famille d’accueil déjà de votre vivant.
Le plus important ce n’est pas le temps que nous
passons sur cette terre mais ce que l’on y fait. Et
quand on a la chance de fonder une famille, d’avoir
des enfants, de les voir grandir, de pouvoir leur parler, même quand ils ne semblent pas vous écouter,
dites vous, qu’un jour, quand vous ne serez plus là,
tout ce qui leur paraissait divagations remontera en
surface dans leur mémoire.
Echos Séropos d’ici et d’ailleurs
17
Ma plus belle histoire de Sida
Fin décembre 1997, je suis retournée en Afrique
en espérant y mourir. Mon état de santé et de
faiblesse était tel que rien que le voyage pouvait avoir raison de mes dernières forces. Mais
après douze heures de vol, j’ai fini par arriver à
destination.
Ma sœur, son mari, les enfants ainsi que leurs
amis, bien qu’effarés par mon aspect, semblaient
soulagés et heureux de me revoir.
Ma nièce à l’époque devait avoir 13 ans,. Elle prit
mes valises et me dirigea vers la chambre de sa
sœur absente, pour que je m’y repose, je la vis
défaire spontanément ma valise et ranger mes
vêtements dans la garde-robe et consciencieusement classer dans une commode mes tonnes
de médicaments. Puis, elle s’arrêta sur un livre
Canadien sur le Sida, elle se mit à le feuilleter
attentivement ensuite elle se tourna vers moi
pour me demander si elle pouvait le lire…
J’étais tellement impressionnée par son intérêt
et son sérieux que je la laissais emprunter le livre
qu’en fait, j’avais ramené pour son père médecin
ainsi que d’autres documentations.
Deux jours après, en rentrant de l’école elle
m’informa qu’elle avait trouvé un sujet pour son
exposé, elle voulait parler du Sida.
Toujours surprise je ne fis aucun commentaire
mais je la voyais chaque soir à la même heure
venir me demander discrètement si j’avais pris
mes médicaments ou si je voulais qu’elle me les
amène…
Il s’établit une sorte de complicité tacite : elle
gérait mes médicaments et mes heures de repas,
consciente que j’étais en plus diabétique et moi
je me faisais un plaisir d’obéir.
Une nuit vers 23 heures, je la trouvai au salon
18
Echos Séropos d’ici et d’ailleurs
alors qu’elle avait cours le lendemain. Je voulus
savoir pour quelle raison elle n’allait pas dormir.
Elle me dit qu’elle attendait son papa pour lui
demander de corriger son exposé mais surtout
pour qu’il lui donne certaines précisions qu’elle
n’avait pas trouvé dans le livre, sur le pourcentage d’enfants contaminés à la naissance.
Elle me tendit son exposé qui était fait simplement, méthodiquement avec des mots d’enfants.
C’était clair, concis et pourtant très perspicace
et d’une belle sensibilité.
L’introduction attirait l’attention de ses camarades sur le fait que dans chaque famille, dans
chaque foyer, parmi les proches, on rencontre
des malades du Sida.
À la radio, à la télévision, dans les journaux on
parle du sida, on ne peut donc plus l’ignorer.
Elle poursuivait par la définition du VIH et de la
séropositivité, puis par les moyens de contaminations, les méthodes de prévention et de dépistage, les soins, l’hygiène de vie et la prise en
charge sociale. En conclusion, elle exhortait ses
petits camarades non seulement à faire attention
pour ne pas être contaminé par le sida mais aussi
à aider les proches atteints par ce virus à garder
espoir et attendre avec eux qu’un médicament
soit trouvé.
J’ai perçu cela comme un message d’encouragement et de
compréhension.
Par ce petit devoir, elle m’a fait comprendre
qu’elle était consciente dans sa gravité, dans sa
totalité du terrible mal qui me rongeait, mais
qu’elle m’acceptait et me soutenait de tout son
amour d’enfant. C’est à partir de ce moment là,
je crois que j’ai réellement repris confiance : ces
mots d’enfants tellement simples et affectueux,
avaient fait tomber toute ma frayeur pour affronter l’extérieur avec ses préjugés et son intolérance. Elle m’a donné la force de me battre et
de ne pas me sentir comme un paria.
Je suis retournée revigorée par cette compréhension chaleureuse, ce soutien inattendu des
jeunes aussi bien que des adultes, de quelques
membres de ma famille et de mes amis.
Je suis restée en correspondance avec ma nièce
et trois ans après lorsque je l’ai revue, elle s’intéressait tout autant au Sida et s’inquiétait de
savoir comment elle pouvait aborder ce sujet
avec son ami qui venait de perdre sa mère. Elle
pensait que le père pouvait être contaminé mais
ne savait pas vers qui se tourner pour les soins.
Cette prise de conscience m’a profondément
touchée car je pense que le droit et le devoir
d’ingérence même s’ils demandent du courage
doivent être appliqués par tout un chacun.
Ce n’est que dans ses conditions de clarté de langage, de
conscience collective que nous
pourrons en partie vaincre l’épidémie.
C’est le sida
qu’il faut exclure,
pas les séropositifs
www.aides.org
Faites vos dons au compte
n°310-1480763-47
Echos Séropos d’ici et d’ailleurs
19
Le sida m’a apporté plus qu’
Le sida, on y pense une fois pas an, le
1er décembre. Eux, ils le vivent tous les
jours. Eux, c’est Judith, 52 ans, originaire
du Congo, touchée depuis plus de 25 ans ;
Eric (Improvisi), 43 ans, qui vient de Nice,
contaminé voici 15 ans aussi et Jérôme
(Gayzal), un jeune hennuyer de 27 ans qui
fut infecté à 21 ans. Ils vivent à Bruxelles, des jours qui leurs semblent souvent
comptés, toujours précieux. Chacun a son
histoire, son regard sur la maladie. Ils ont
un point commun : le sida leur a apporté
plus qu’il leur a pris…
Dans les années ’80, Eric vivait près de Nice.
Il a vu mourir cousins et cousines, copains et
copines de son village, avant d’apprendre qu’il
avait lui-même « le sida », selon les termes du
médecin qui n’a pas su, à l’époque, distinguer la
séropositivité de la maladie. Il est vrai qu’alors
l’information ne circulait guère et les traitements
étaient quasi-inexistants. Depuis, Eric est devenu
un spécialiste. Il sait dans sa mémoire et dans sa
chair la liste des générations de médicaments,
leurs effets secondaires et celle, interminable,
des maladies opportunes. C’est pour ça qu’on
l’appelle « le miraculé ». Dix fois, il a été « en
phase terminale ». Dix fois, il s’est relevé.
A la même époque, Judith a appris sa séropositivité au Congo à l’occasion d’un banal examen
médical d’embauche. « J’avais beau vivre dans le
milieu privilégié d’un centre médical, j’ai pris la
nouvelle comme un arrêt de mort, explique-telle. Alors, j’ai passivement attendu la fin ». Pendant qu’Eric, sûr de mourir lui aussi, s’offrait une
grosse déprime de six mois, loin de sa femme et
de ses deux enfants, Judith s’est évertuée à gérer
20
Echos Séropos d’ici et d’ailleurs
le quotidien pour que sa fille soit indépendante
le jour où elle tomberait malade. « Je ne comprenais pas ce qui m’arrivait, ni comment ça m’était
arrivé. J’avais juste un sentiment d’incompréhension, d’impuissance et d’injustice ».
Fin des années ‘90, Jérôme connaissait bien le
Sida. Issu d’une famille de médecins, homosexuel,
il a « grandi avec une capote dans la tête », comme il dit. Pourtant, il a suffi d’une fois, d’un rapport sexuel non protégé, pour que tout bascule.
Mais à l’inverse d’Eric, il n’a pas plongé dans la
dépression. « En sortant de chez le médecin, j’ai
juste eu l’impression que je venais d’ouvrir les
yeux, comme si je naissais à nouveau. C’est dommage qu’il faille un coup pareil, mais le sida m’a
fait passer la quatrième vitesse ».
Vivre à 200 à l’heure
Il a fallu trois ans à Eric pour « accepter l’idée
de mourir ». Mais une fois ce travail accompli,
il a eu le sentiment que plus rien ne l’arrêtait.
Il a commencé à vivre à 200 à l’heure. « J’ai fait
ce que je n’aurais pas fait si je n’avais pas été
malade », dit-il, simplement. A la fois changer de
vie, concevoir un troisième enfant - contre l’avis
des médecins mais après avoir pris des tonnes
d’informations - défendre ses droits devant les
tribunaux, étudier la législation sociale, pour
mieux s’aider soi-même et puis les autres.
Arrivée en Belgique fin 1996, Malade, presque aveugle et invalide, Judith était candidate à
l’euthanasie, avant de se rendre compte « que
c’était encore plus difficile de mourir que de vivre ». et s’est investie. « Avant j’étais douillette.
Je suis devenue endurante. Le sida m’a appris à
m’apprécier et à apprécier les autres. Et un jour,
je me suis dit : merde, la vie vaut quand même
la peine d’être vécue et j’allais passer à côté des
choses essentielles. Elle a la certitude que le Sida
lui apporté beaucoup plus qu’il ne lui appris car il
il m’a pris
lui a donné un autre regard sur le monde
La même phrase émaille le discours de Jérôme.
« Je m’en serais bien passé mais je me rends
compte que le sida me fait goûter à chaque moment de la vie. Désormais, je ne peux plus passer
à côté des gens. J’ai compris que pour bien vivre
avec le sida, il faut bien vivre sa vie. Faire des
projets, et les mettre en œuvre. Ne pas reporter
les choses au lendemain. Parler de la maladie,
faire tomber les tabous. C’est comme pour l’homosexualité, plus on informe, plus on chasse les
peurs et l’intolérance. »
Des tabous qui tuent
Car les tabous ont la vie dure. Jérôme n’a pas
encore « trouvé l’occasion » de dire sa séropositivité au boulot. Judith a été harcelée par
un médecin chef qui ne tolérait pas avoir une
malade dans son équipe. Eric s’est vu refouler
de quatre hôpitaux où l’on refusait de soigner
une plaie parce qu’il était infecté. Ca, ce sont les
« enfoirés » comme les appelle Judith ; ces personnes qui décident de diminuer votre pension
de handicapé parce qu’à l’occasion d’une rémission vous semblez aller mieux ou qui refusent de
vous envoyer des papiers de mutuelle alors que
vous êtes sur votre lit de mort. « Ces combats
là m’ont plus tué que ma maladie renchérit Eric.
Mais si tu ne le fais pas, les autres ne le feront
jamais ».
Et les progrès médicaux n’ont rien arrangé aux
tabous. De plus en plus de jeunes ne se protègent
plus. Ils croient que la maladie se guérit avec la
tri-thérapie. Le « barebacking », ce choix délibéré
du sexe sans capote, même avec des séropositifs,
est passé au rang de mode dans certains milieux.
Eric en sait quelque chose. Plusieurs fois il a été
sollicité pour ce genre de relation. Sa réponse
est toute faite aux personnes qui prennent des
risques : « je leur propose de prendre, pendant
un seul jour, la masse de médicaments que nous
devons avaler chaque jour. »
Les malades sont là-bas et les médicaments ici
Eric parcourt les bureaux d’avocats pour aider
Antoinette, malade elle aussi, mais sans papiers,
à bout de ressources et de courage. Pendant ce
temps, Judith aide l’asbl Projet Matongé à organiser le concert « Solidaires » en soutien aux
personnes touchées par le sida. Le concert se
déroulera le 29 novembre, à la salle Lumen, deux
jours avant la journée mondiale officielle, comme
s’il y avait les malades officiels et les autres. Judith
s’emporte. Elle ne comprend pas. « Les malades
sont là, en Afrique mais les médicaments sont ici,
en Europe. Et après ça, on s’étonne que les gens
viennent en Belgique à tout prix ! Chercher les
médicaments là où ils sont : « le voyage qui sauve,
mais à quel prix ??? »
Pour Judith, Eric et Jérôme,
témoigner, c’est combattre
les tabous et la peur…
Par Olivier Lambert
Bruxelles Zone 2
Echos Séropos d’ici et d’ailleurs
21
La séropositivité est un sac que vous por
Interview de Nathalie Thiry
dans Victor du
25 novembre 2006
Comment les séropositifs viventils leur maladie aujourd’hui ?
Qu’est-ce qui a changé ? Le
regard de la société est-il différent ? Rencontre avec Nathalie
Thiry qui accompagne depuis
plus de vingt ans des personnes
infectées par le virus HIV.
Infirmière au sein de l’équipe pluridisciplinaire du Centre de prise
en charge HIV des Cliniques
universitaires Saint-Luc, Nathalie Thiry suit l’évolution des 700
patients qui tentent de mener la
vie la plus normale possible. En
dépit de la rigueur du traitement
et surtout des barrières que la
société dresse devant eux.
22
Echos Séropos d’ici et d’ailleurs
Les séropositifs vivent-ils mieux leur
statut aujourd’hui ?
En général, oui. Des anciens séropositifs sont
toujours parmi nous. Ça tient du miracle. Ils vivent donc d’autant mieux leur statut. L’arrivée
de la trithérapie a énormément changé la vie, le
vécu et l’avenir des séropositifs. Ça fait vingt ans
que je suis avec eux. Au début, l’annonce de la
maladie ne leur laissait souvent plus que deux
ans à vivre. Notre rôle au sein de cette équipe
est d’encourager les patients. On connaît bien le
virus aujourd’hui, on sait que la vie ne s’arrête
pas. Il y a la possibilité de travailler, de faire des
projets. On se verra encore pendant des années.
En dehors de l’hôpital, c’est différent, c’est toujours très difficile de parler de la séropositivité.
C’est une maladie liée à la sexualité, le grand
public apporte son jugement : « Mais qu’est-ce
qu’elle a fait pour l’attraper ? » C’est lourd de
ne pas pouvoir en parler et de le garder pour
soi. Vis-à-vis de ça, nous sommes démunis car
nous ne pouvons pas aller trouver l’entourage.
C’est un gros souci, même au niveau médical, on
rencontre des blocages. Une personne qui a le
courage de la transparence peut voir les portes
tez toujours avec vous
Monique, le Restaurant
Inzia et tous les amis se
mobilisent pour financer
la revue gratuite
Echos Séropos
d’ici et d’ailleurs
se fermer devant elle. Les anciens séropositifs le
vivent mieux, car il faut du temps pour arriver
à gérer ça et à passer au-dessus d’un dentiste
qui refuse de vous soigner. Même si les choses
bougent, l’acceptation est encore difficile par le
grand public. Souscrire une assurance-vie, passer
un entretien d’embauche restent des épreuves.
Je dis aux patients : « La séropositivité, c’est un
sac que vous portez toujours avec vous. Il peut
être léger et rempli de bons souvenirs et parfois,
il est lourd à porter et alors, nous, on est là pour
l’alléger. »
Est-ce plus difficile pour les femmes ?
Apprendre à vivre sa séropositivité n’est évident
pour personne. Pour les femmes, la composante
culturelle interfère sur le vécu. Dans le milieu
africain, par exemple, la femme a rarement son
mot à dire et est écrasée par le pouvoir de
l’homme. Quand elle apprend sa séropositivité,
ça fait surgir des questions sur la fidélité du mari,
sur ce qui s’est passé avant. Et ensuite, ce n’est
pas toujours facile d’imposer l’usage du préservatif à l’homme. Si elles ont des enfants et qu’ils
sont négatifs, elles ne veulent pas dire qu’elles
portent le virus. Ca soulève bien des questions
qu’elles n’ont pas toujours envie d’aborder en
consultation.
Par Gilles Bechet
Restaurant INZIA
37 rue de la Paix
1050 Bruxelles
Act up-Paris
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Revue Echo Séropos d’ici et d’ailleurs I Éditeur responsable : Judith Bisumbu I Rédaction : blog (adres-
se ci-dessus) & Jude I Mise en page : Catherine Ruelle [email protected] I Impression : Panthère
Avec le soutien du Ministère de la Communauté française de Belgique
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