Jean-Luc Bizien
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Jean-Luc Bizien
Jean-Luc Bizien 1 Un défi à relever Sur l’écran de la tablette, le texte était scindé en petits pavés de couleurs. Gris pour Elric, bleu pour son correspondant. L’adolescent dialoguait en messagerie privée avec son interlocuteur privilégié. Ses doigts couraient sur le clavier, au rythme de ses réponses écrites. Il n’aurait manqué ce rendez-vous pour rien au monde : depuis quelques semaines, il s’était lié d’amitié – virtuelle ! – avec ce dénommé « Adriel », dans un groupe de discussion baptisé par ses créateurs « Les Détectives de l’Étrange ». Là, on évoquait des manifestations étonnantes et inexpliquées, des légendes urbaines, des phénomènes qui faisaient le tour du monde en quelques clics, au gré des caprices du Net ou des réseaux sociaux. Elric, depuis des années, s’intéressaient à toutes ces histoires. Il n’était pas dupe pour autant, et savait que la plupart n’étaient que le fruit de l’imagination de leurs auteurs, dans le seul but d’affoler leurs contemporains. Le garçon avait appris à lire une image, à traquer ses moindres variations. Il déjouait les « hoaxes », ces tentatives d’exploiter la crédulité des visiteurs de la Toile en jouant sur leurs peurs et leurs inquiétudes naturelles. Il s’amusait à étudier des photos, à dévoiler les montages. Les logiciels de traitement des images n’avaient plus de secret pour lui. Ainsi, Elric passait des heures à étudier les histoires de fantômes, de monstres sortis tout droit des recueils de contes, de cités perdues, de trésors fabuleux… Souvent, il souriait devant des vidéos certifiées « authentiques », qui se révélaient toujours être des canulars. Il suffisait, pour repérer la supercherie, de faire preuve d’un peu de jugeote et de beaucoup de concentration. Généralement flous ou surexposés, ces clips étaient censés témoigner de manifestations surnaturelles. Ici, une sirène était surprise sur un rocher et plongeait dans l’eau (mais on voyait nettement le câble qui tractait la jeune femme équipée d’un costume), là, un yéti déambulait en lisière de forêt (mais prenait soin de bien se laisser filmer par le « témoin providentiel », avant de disparaître, faussement affolé). L’adolescent souriait avec indulgence devant les piètres performances des comédiens et le manque d’imagination des apprentis réalisateurs. La vérité, c’était que les résultats étaient au mieux passables et plus généralement catastrophiques ! De fil en aiguille, Elric s’était intéressé aux forums de discussion qui fleurissaient sur le Web. Depuis quelques mois, le groupe « Les Détectives de l’Étrange » occupait le plus clair de son temps libre. Elric s’y était créé de solides amitiés virtuelles. Il s’était également découvert de farouches ennemis. En effet, certains des membres de ce forum étaient persuadés qu’une poignée de dangereux conspirateurs menaçait le monde, que des sociétés occultes se réunissaient dans le secret des alcôves et préparaient l’asservissement de la planète. À leurs yeux, les complots étaient partout. Elric avait bien entendu essayé de les ramener à la raison. Mais tenter d’argumenter avec eux, c’était s’attirer à coup sûr leurs foudres. On était illico accusé de faire partie des conspirateurs ! De guerre lasse, Elric les avait laissés à leur triste sort. D’autres membres du forum étaient certains que les monstres existaient. Ils traquaient les zombies et les loups garous à chaque coin de rue, cherchant les traces de passage du croque-mitaine ou des créatures des enfers… sans jamais avoir pu réunir la moindre preuve de l’existence ni des uns, ni des autres. Le plus fervent de ces « chasseurs de monstres », un dénommé Vuk, était son principal souci sur le forum. Chaque fois qu’Elric intervenait, il ne se passait pas deux minutes sans qu’un commentaire provocateur vienne mettre sa parole en doute. L’adolescent répondait toujours avec respect, même s’il ne pouvait s’empêcher un trait d’esprit qui mettait son interlocuteur en rage. Car à en croire Vuk, non seulement les monstres existaient… mais il les avait vus ! En tous cas, c’est ce qu’il prétendait. Vuk assurait à qui voulait bien l’entendre que les créatures abominables étaient là, bien présentes, qu’elles hantaient les souterrains de la ville, se terraient dans les caves, les égouts et les greniers et qu’elles sortaient la nuit venue pour se mettre en chasse. Selon lui, le monde était leur vaste terrain de jeu. À SUIVRE...