Synthese_ Les_Possibilites_du_dialogue

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Synthese_ Les_Possibilites_du_dialogue
Les possibilités du dialogue
Jan Svankmajer, République Tchèque, 1982
(7 :50-11min)
Le film, Les Possibilités du dialogue, que nous avons étudié sur la plateforme Lignes
de temps, est un court-métrage d’animation réalisé en 1982 par Jan Svankmajer. Svankmajer
est un réalisateur surréaliste tchèque principalement connu pour ses films d’animation, son
premier long métrage Alice est un mélange de prises de vue directe et d’animation en Stop
motion, technique qu’il utilise également dans Les possibilités du dialogue.
Ce court-métrage est divisé en trois parties distinctes, séparées par des cartons,
illustrant chaque fois une conversation entre plusieurs interlocuteurs. La première séquence
du court-métrage s’intitule « dialogue objectif » et montre une succession de bustes composés
d’objets du quotidien, à la façon du peintre Arcimboldo. La seconde, « dialogue passionné »,
illustre le début et la fin d’une histoire d’amour entre un homme et une femme, tous deux faits
d’argile. La troisième séquence, celle que nous étudions, représente une conversation entre
deux bustes d’hommes, également faits d’argile, à l’aide d’objets de la vie quotidienne. Avec
le logiciel LDT, nous avons découpé cette séquence en trois actes, eux-mêmes analysés à
partir de deux axes, nommés « Rythme et répétition » et « Consumérisme et destruction ».
Dans un premier temps, nous avons repéré la séquence d’ouverture qui débute en
musique. Cette introduction musicale, qui peut faire référence à des instruments s’accordant
avant un concert, crée un mystère autour de l’apparition de l’argile qui va par la suite
composer les deux bustes. L’on peut également noter que c’est le seul instant musical de la
séquence1. Nous l’avons donc distinguée des autres sons de la séquence par une autre ligne
« fonds sonore » afin d’indiquer, sur toute la durée de l’extrait, qu’un arrière fond est récurent
et continu : le bruit d’un train en marche. Ce fond sonore met en exergue l’aspect cyclique et
mécanique de cette conversation éreintante et répétitive.
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Repéré en rouge sur LDT, dans la ligne « musique ».
1
La scène commence après cette attente musicale2. Deux bustes se forment à partir
d’une masse d’argile sortant de la table, qui devient ici un lieu scénique. Un gros plan est
réalisé sur l’un des deux provoquant une attente chez le spectateur. Avec l’arrivée de la brosse
à dents, sortant de la bouche de l’un des personnages, l’autre buste, après un temps d’attente,
caractérisant sa réflexion, sort à son tour suivant les mêmes techniques cinématographiques,
technique du stop motion, image par image, un tube de dentifrice, les deux objets s’accordent,
de même que les trois couples d’objets/arguments suivants (1). Nous pouvons donc penser ici
que Svankmajer a voulu reproduire une discussion banale et quotidienne mais logique et
cohérente, entre deux personnes3. À chaque objet présenté par l’un des protagonistes répond
un autre objet qui lui est couramment associé dans la bouche de son interlocuteur. Les
arguments de chacun deviennent un automatisme et se perpétuent comme le travail d’un
ouvrier à la chaîne.
En outre, nous avons créé une troisième ligne sonore, « Bruitages et Sons » montrant
que l’on retrouve pour chaque objet un son qui lui est propre et caractérise son apparition.
Afin de montrer les différences rythmiques entre ces sons, nous avons découpé la ligne en
trois segments. Le premier, de couleur rouge, marque les différents temps de silence, tandis
que les suivants symbolisent visuellement le rythme qui s’emballe pour devenir finalement
une cacophonie générale. En effet, L’aspect cyclique et redondant de cette discussion est
souligné par ces sonorités.
L’absence de mouvements de caméra relève d’un aspect technique du à l’animation ;
en revanche l’alternance de gros plans et de plans rapprochés peut être vue comme un
déplacement du dedans vers le dehors. Le réalisateur varie donc les points de vue durant la
séquence créant ainsi un effet de vision omnisciente.
Cette première conversation, se termine sur un plan des deux bustes se tournant
autour, comme pour faire une pause.4 La configuration de ce plan peut faire penser à un ring,
ce que suggère la table, aves les bustes qui tournent et s'observent (2). Le changement de côté
symbolise également le basculement de point de vue et d'arguments d'un personnage à un
autre et en même temps leur interchangeabilité et donc la confusion de leur identité.
Attente repérée sur la ligne « valeurs de plans ».
Toutes ces actions distinctes ont été repérées, sur la ligne « valeurs de plans », dans
plusieurs nuances de rouge et de bleu, couleur correspondante au deux axes des lignes
d’analyse.
4 Deuxième segment repéré en rouge sur la ligne « Analyse du rythme et des répétitions ».
2
3
2
Dans un deuxième temps, nous avons déterminé une seconde phase de la conversation
sur Lignes de temps que nous avons séquencée en deux segments. Ces deux segments ont
pour but de montrer une évolution minutieuse dans la déconstruction du dialogue, jouant sur
les niveaux techniques et esthétiques.
Tout d’abord, le changement de point de vue de chaque personnage est observable. En
effet, les arguments ne s'emboitent plus, cependant qu’un temps de réflexion est toujours
présent entre chaque objet(3). Une certaine logique subsiste bien qu’elle soit légèrement
absurde.
Le second segment de la deuxième partie commence avec l’apparition de deux objets
contradictoires : nous perdons dès lors la logique des objets/arguments dont le face à face
obéissait jusque-là à une certaine rationalité du quotidien. Et nous entrons, par conséquent,
dans une dimension totalement absurde de l'utilisation de ces objets. L’on peut également
relever au niveau musical que, le silence jusqu’alors mis en avant entre chaque argument n’est
plus présent, illustrant ainsi l’arrivée d’une conversation relevant plus du réflexe que de la
réflexion. Les deux bustes cependant, restent visibles à l’écran, nous pouvons alors constater
le commencement de leur destruction physique (4).
En écho au fonds sonore, le changement de position des bustes est identique au
précèdent, rejoignant ainsi le motif de l’ouroboros, majeur dans la séquence. Dans cette
transition, Svankmajer nous offre une vision globale des deux bustes, à mi-chemin de la
destruction (5).
Dès le commencement de la troisième de partie de la conversation, nous pouvons
relever une forte accélération de l’émission des objets/arguments et une dissociation du son et
de l’image. Les bustes ne sont même plus visibles et le son propre de chacun des objets n’a
qu’une valeur illustrative (6). Le spectateur, submergé par le flot d’images, se perd, son
regard note que la déconstruction n’est pas essentiellement verbale mais également physique.
D’où le dernier repère sur LDT montrant exclusivement la déconstruction des deux
personnages qui vont alors émettre le seul son humain de la séquence : une respiration
haletante.5
Sur la ligne « mouvement de caméra », nous avons créé un segment soulignant le seul
mouvement de caméra de la séquence, un dézoom. Cette technique cinématographique, pointe
5
Repérée en bleu sur la ligne « Bruitages et Son ».
3
la destruction finale de la conversation, en changeant notre point de vision du déchirement de
l’objet à celui de l’homme. Ce dézoom parachève une impression de « vases
communiquants » en induisant une morale semblable à une fable : le cycle est rompu (7).
En littérature ce motif est également
présent, notamment dans la pièce Eugène
Ionesco : Les Chaises. En effet, au fur et à mesure du déroulement de la pièce, une mécanique
invasive des objets se met en place au détriment des comédiens. Le manque de place se fait
peu à peu sentir, le jeu doit être de plus en plus minimaliste, tandis que les objets envahissent
tout l’espace. Au terme de cette pièce de théâtre, les objets catalysent le regard du spectateur
qui ne perçoit qu’à peine les comédiens. Ce capharnaüm reflète une satire sociale du
consumérisme et se solde par une vision de la solitude dans le néant. En addition à la pièce de
Ionesco Les Chaises, La Cantatrice chauve met scène l’aspect cyclique et redondant d’une
conversation absurde et éreintante qui se termine par un changement de place et une perte
d’identité. En définitive, nous avons donc analysé différentes métamorphoses : une à l’échelle
des corps à travers la décomposition des bustes et l’autre, par analogie, mécanique à travers la
thématique de la déconstruction crescendo des objets.
4
Photogrammes :
(1) Logique des objets/arguments.
(2) Changement de position/
interchangeabilité.
(4) Début de la destruction physique (5) Confusion de chaque bustes,
(3) Présence des deux bustes malgré
le décalage des objets
(6) Même argument se détruisant.
destruction partielle personnage.
(7) Destruction totale et respiration
haletante.
5
Résumé:
La séquence étudiée fait partie d’un trio de scènes, visant à dépeindre une
conversation entre deux êtres, mises en scène par le réalisateur Jan Svankmajer dans son
court-métrage Les possibilités du dialogue. Les trois courts métrages sont des animations
réalisées en stop motion. Par les interprétations faites sur la plateforme Ligne de Temps,
nous avons dégagé deux parties distinctes dans cette séquence, Un dialogue éreintant de
Svankmajer. La première partie s’axe sur la logique de « rythme et répétition » mise en
valeur par la musique ainsi que la valeur cyclique des arguments émis. La seconde
exprime le mouvement inéluctable de destruction lié à la consommation effrénée des
objets. Destruction illustrée par l’enchaînement d’objets/arguments qui devient de plus en
plus illogique, jusqu’à l’auto-destruction. Or, le choix d’objets comme sujets de
discussion n’est pas anodin, il sert un discours critique sur la société de consommation et
la répétition de gestes quotidiens dépourvus de significations.
Mots clés :
-
Destruction.
-
Répétition.
-
Epuisement.
-
Consumérisme.
-
Automatisme.
Synthèse conçue par Lili ANIESA & Simon CHABOT.
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