Le jour où j`ai rien fait

Le jour où j’ai rien fait
Je m’appelle Jean-Jacques.
Oui je sais c’est nul comme nom mais mon père était genevois et fan de Rousseau.
Je suis agent stagiaire de l’association. Dit comme ça, j’ai l’air cool mais peut-être devrais-je
préciser que je suis l’agent stagiaire de la ville de Mâcon.
Petite agglomération de cinquante-mille habitants située en Saône-et-Loire. C’est autre chose
que Paris. Ici, on a un vieux vampire alcoolique, un loup-garou dépressif qui perd ses cheveux
et un troll narcoleptique (qui s’endort tout le temps). Rien d’extraordinaire.
Pour être franc, c’est carrément l’ennui.
Quand on m’a recruté pour devenir agent de l’association j’ai pensé « Cool ! Je vais poser les
jeux vidéos et devenir un vrai héros dans la vraie vie ». Grosse déception. Que des missions
de routine. J’ai plus de poussées d’adrénaline en regardant mes copies d’anglais.
J’aurais peut-être dû déménager à Dijon ou à Lyon. Là-bas, les antennes de l’association sont
plus importantes. Mais mes parents veulent d’abord que je passe mon bac. Difficile de leur
expliquer que leur fils est un agent secret chargé de sauver le monde.
L’an prochain, si je travaille bien, j’irai en classe prépa à Lyon (à la base je comptais devenir
programmeur de jeux vidéos mais j’y reviendrai) et je pourrais accomplir de vraies missions.
J’ai vu sur l’intranet de l’association que les agents lyonnais luttaient contre les « go fast ».
Des sorcières montées sur des balais enchantés qui traversent le pays à toute vitesse pour
apporter de la drogue. Ce doit être plus passionnant que d’aller vérifier si le vampire du coin
ne s’est pas endormi dehors après avoir pris une cuite.
Un jour, j’ai accompli une mission cruciale.
J’étais en cours de mathématiques. Depuis tout petit j’aime ça. Pas seulement les formules,
j’aime la géométrie (peut-être une manifestation précoce de mon don pour les pentacles). En
terminale S, spécialité mathématiques, on est servi ! Huit heures par semaine et on étudie des
coupes de coniques dans l’espace.
J’adore.
Je sens qu’un jour j’inventerai un nouveau pentacle en trois dimensions ou mieux un
programme informatique pour dessiner des pentacles en trois dimensions. J’irai faire des
discours devant les assemblées de sorciers pour expliquer ma création.
« Oui merci, merci. Je tiens à remercier ma famille, mes amis et puis… »
Je m’égare. J’étais en cours de mathématiques. J’étais super attentif.
1 En fait, j’essayais d’expliquer à ma voisine, Charline, un super canon, comment calculer l’aire
du disque formé par la coupe transversale du conique. Je pensais l’impressionner ainsi mais
elle n’était pas vraiment intéressée.
C’est vraiment bizarre. J’ai l’impression de ne pas intéresser les filles quand je parle de
mathématiques ou de programmation. Peut-être parce que je mesure à peine un mètre
soixante-dix pour cinquante-cinq kilos ? Elles semblent plus intéressées par les grands
garçons qui ont la carrure de Rambo.
« Oui sauf que Rambo, avec tous ses muscles et ses fusils, il ne tiendrait pas deux secondes
face à un vampire ou un esprit maléfique. »
Moi, on peut dire que je suis un Rambo de l’informatique. À l’âge de neuf ans j’essayais déjà
de programmer la calculatrice graphique de mon père. À douze, je montais mon premier jeu
de rôle avec RPG Maker. À quinze j’ai failli inventer Facebook mais Mark Zuckerberg m’a
devancé (pourtant j’étais pas loin).
J’ai un pouvoir un peu spécial : je parle aux ordinateurs. Bizarre ! D’ordinaire on pratique la
magie avec des langues anciennes : l’elfique, l’étrusque ou le latin mais moi je pratique en
C++ et en basique. Par conséquent, je suis chargé de surveiller les crimes magiques sur
Internet.
Ce jour-là, des démons terroristes anarcho-humanophobes avaient piraté, via un satellite
militaire, une flotte d’avions de ligne et projetaient de les faire s’écraser sur Paris.
Si j’avais été un Rambo à l’ancienne, je serai monté dans les avions pour arracher les câbles à
mains nues et j’aurais sauvé tout le monde comme dans les films.
Sauf que j’avais déjà installé un programme de sécurité chargé de bloquer les maléfices
démoniaques avec un code basique mélangé à de l’angélite finement broyée (j’en ai bavé pour
concevoir ce sort) du coup mon ordinateur a bloqué l’attaque terroriste sans que je le sache.
Le jour où j’ai sauvé le monde, j’ai rien fait. 2