L`épigénétique ou Lamarck pourrait
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L`épigénétique ou Lamarck pourrait
L'épigénétique ou Lamarck pourrait-il avoir raison? D. Locker Professeur émérite Université d’Orléans Résumé On doit le terme «épigénétique» à Conrad Waddington (1905-1975). Il l’a utilisé la première fois en 1942, pour nommer «la branche de la biologie qui étudie les relations de cause à effet entre les gènes et leurs produits, faisant apparaître le phénotype». Le domaine de l’épigénétique est ainsi apparu pour combler la brèche entre l’inné et l’acquis (nature vs nurture). En 1994 Robin Holliday élargit la notion d’épigénétique avec une nouvelle définition : c’est "l’étude des changements dans l'expression des gènes qui sont héritables lors de la mitose et/ou de la méiose, et qui ne résultent pas de modifications de la séquence de l'ADN". Et ces changements observés dans l’expression des gènes sont parfois assez spectaculaires ! Comme l’inactivation du chromosome X, l’empreinte parentale ou encore l’influence du régime alimentaire sur l’expression des gènes. On pourrait considérer que les passages à travers la méiose des modifications épigénétiques à valeur adaptative importante sont conformes au modèle de Lamarck. Or, l'amalgame semble encore abusif : l'épigénétique ne cautionne pas l'hérédité des caractères acquis telle que Lamarck, ou même Darwin, la concevaient. Toutefois les épimutations sont des étapes d’adaptation rapide à un changement de l’environnement, initiatrices de mutations qui seront soumises à la sélection naturelle. Il y a exactement 200 ans Lamarck publiait la «Philosophie zoologique»1. Il est l'inventeur du terme "biologie" et a été le premier à proposer une classification des invertébrés. Dans la « Philosophie zoologique » il propose l’idée d’une évolution des espèces : "Tout être vivant naît à partir d’un être vivant. De là, s’il existe des organismes plus complexes que d’autres, c’est nécessairement qu’il y a eu une histoire pour en arriver là, c’est-à-dire une évolution des espèces.". Il conserve une hypothèse ancienne, celle de l’hérédité des caractères acquis, pour rendre compte de l’évolution. En effet, contrairement à ce que l’on peut souvent lire, cette hypothèse n’a pas été proposée par Lamarck mais existe depuis Aristote. Elle ne sera invalidée qu’à la fin du 19ème siècle par les travaux d'A.Weismann. Darwin s'appuie également sur cette hypothèse dans ses travaux sur la domestication pour rendre compte des variations des 1 Lamarck, J. B. Philosophe zoologique. (1809) Paris : Dentu, 422 + 450 p. individus « …Il est incontestable que, chez nos animaux domestiques, l’usage fortifie et développe certaines parties, que le défaut d’usage les diminue, et que des modifications de cette nature sont héréditaires… » (Darwin, L’origine des espèces2 chapitre V Lois de variation). Il reprend en cela quasiment mot pour mot les propos développés par Lamarck : « Premièrement, quantité de faits connus prouvent que l’emploi soutenu d’un organe concourt à son développement, le fortifie, et l’agrandit même ; tandis qu’un défaut d’emploi, devenu habituel à l’égard d’un organe, nuit à ses développemens, et finit par le faire disparoître, si ce défaut d’emploi subsiste, pendant une longue durée, dans tous les individus qui se succèdent par la génération. On conçoit de là qu’un changement de circonstances forçant les individus d’une race d’animaux à changer leurs habitudes, les organes moins employés dépérissent peu à peu, tandis que ceux qui le sont davantage, se développent mieux et acquièrent une vigueur et des dimensions proportionnelles à l’emploi que ces individus en font habituellement » qui se succèdent par la génération » (J. B. Lamarck Philosophie Zoologique avertissement page V). Des exemples surprenants de transmission des caractères D’après les règles (lois) de Mendel, tout individu hérite pour moitié des gènes de son père et pour moitié des gènes de sa mère. Mais, à l’aube du 20ème siècle, plusieurs exceptions à ces règles sont mises en évidence, notamment par Bateson, l’inventeur du terme génétique. Grand admirateur de Mendel, il travaillait avec le même modèle que ce dernier, le Pois, et effectuait des croisements faisant intervenir le phénotype « rogue »3. Il observa que les plantes F1 présentaient un phénotype intermédiaire (phénomène de semi dominance déjà observé par Mendel) mais aussi de façon plus surprenante que les F2 étaient toutes « rogue ». En fait Bateson était face au premier phénomène épigénétique : la paramutation. Ce phénomène étudié par la suite d’une façon exhaustive par A. Brink4 chez le Maïs est actuellement considéré comme un phénomène très général. Il s’agit d’un « dialogue » entre allèles différents chez un 2 3 Darwin, C. L’origine des espèces. (1859) London : J. Murray, 502 p. Bateson, W. and Pellew, C. On the genetics of ‘rogues’ among culinairy peas (Pisum sativum). (1915) J. Genet. 5: 15–36 4 Brink, R.A. Paramutation at the R locus in maize. (1958) Cold Spring Harbor Symp. Quant. Biol. 23: 379–391 hétérozygote qui conduit à produire deux allèles identiques dans la descendance. Des résultats récents chez les végétaux et les animaux permettent de mieux comprendre ce qui se passe au niveau moléculaire. Un premier résultat concerne un mutant hothead (tête brûlée en français) chez la petite crucifère modèle, l’arabette Arabidopsis thaliana5 ; il se distingue par un développement anormal avec notamment la fusion de plusieurs organes. D’une façon tout à fait surprenante, l’autofécondation des mutants homozygotes pour une mutation ponctuelle dans le gène hothead, produit une descendance avec environ 10% d’individus non mutants. Ce résultat, obtenu pour 11 mutations différentes du même gène, est particulièrement curieux, dans la mesure où la séquence sauvage du gène est absente des chromosomes des parents. Le mécanisme proposé pour rendre compte de ce résultat est le suivant : la version correcte du gène est présente sous la forme d’un ARN transmis des « grands parents » aux « petits enfants ». Le gène muté serait corrigé grâce à cette séquence d’ARN qui jouerait le même rôle que les caches des ordinateurs conservant des informations de manière invisible. Les expériences de Mendel sur le Pois avaient permis d’établir les bases de la génétique formelle classique. L’Arabette va-t-elle entrer dans le cercle des végétaux qui ont révolutionné la génétique formelle ? Un autre résultat, cette fois chez la souris6, montre l’existence du même phénomène de paramutation chez les mammifères. Chez la souris le gène kit code un récepteur à tyrosine kinase, les souris homozygotes mutantes pour ce gène meurent rapidement. Les souris hétérozygotes survivent et ont la particularité d'avoir le bas des pattes et l'extrémité de la queue de couleur blanche. Le croisement des souris hétérozygotes ne donne pas lieu à une hérédité mendélienne. Une proportion élevée des souris ne portant pas la mutation ont les pattes blanches. Fait encore plus intriguant, cette paramutation se transmet sur plusieurs générations. Des études moléculaires ont montré le rôle de modifications épigénétiques dans cette transmission 5 Lolle S. J. et al. Genome wide non-mendelian inheritance of extra-genomic information in Arabidopsis (2005) Nature 434: 505-509 6 Rassoulzadegan, M. et al. Transvection effects involving DNA methylation during meiosis in the mouse. (2002) EMBO J. 21: 440–450 par l'action de petits ARN spécifiques du gène kit. Ces deux observations et bien d’autres observées actuellement sont expliquées par des phénomènes épigénétiques Mais que signifie le mot épigénétique ? Ce mot est ancien puisqu’inventé en 1942 par C. Waddington7 pour rendre compte des relations génotype/phénotype. Rappelons quelques définitions : le phénotype est l’ensemble des caractères visibles d’un individu, depuis le niveau de l’organisme jusqu’au niveau moléculaire. Le génotype est l’ensemble de l’information génétique d’un individu. Aujourd’hui la connaissance précise du génotype par l’intermédiaire notamment du séquençage des génomes, ne suffit pas pour prédire les caractéristiques phénotypiques d’un individu. Le phénotype résulte de l’information génétique et de «l’histoire» des gènes. En 1994 R. Holliday précise la notion d’épigénétique8 de la façon suivante :"L’épigénétique c’est l’étude des changements dans l'expression des gènes qui sont héritables lors de la mitose et/ou de la méiose, et qui ne résultent pas de modifications de la séquence de l'ADN". Les modifications épigénétiques seront transmises à plusieurs niveaux différents. Soit à l’ensemble des cellules d’un individu par les mitoses soit également à la descendance au travers de la méiose. Tous les résultats qui ne suivent pas les lois de la génétique mendélienne comme les paramutations (vide supra), l’empreinte parentale, l’effet de position, la transvection, l’inactivation du chromosome X chez les mammifères etc. sont qualifiés de phénomènes épigénétiques. Cependant ils n’ont pas tous les mêmes mécanismes. Comment les modifications épigénétiques s’expliquent-elles? Les mécanismes moléculaires de l’épigénétique se situent à deux niveaux soit celui de l’ADN soit celui de la chromatine. Rappelons que la chromatine est la forme sous laquelle est compacté l’ADN dans le noyau de la cellule. Elle correspond à l'association de l'ADN et de petites protéines appelées les histones. La compaction de l’ADN dans la chromatine est assuré par son enroulement sur un octamère d’histone : le nucléosome (Cf Fig. 1). La compaction plus ou moins importante de l’ADN 7 Waddington, C. H. "The epigenotype". (1942) Endeavour 1: 18–20. Holliday, R. Mechanisms for the control of gene activity during development. (1990) Biol. Rev. Cambr. Philos. Soc. 65: 431-471 8 influence l’expression des gènes. Dans le nucléosome, les histones sont accessibles par leur partie N terminale. Les mécanismes épigénétiques font toujours intervenir deux acteurs : l’un marque la chromatine au niveau de l’ADN ou des histones et l’autre lit ces marques. On regroupe sous le terme de modifications épigénétiques plusieurs mécanismes différents comme l’addition de groupements chimiques sur la molécule d’ADN ou sur les protéines de la chromatine (les histones) et ce, sans modifier sa séquence de bases G, A, T, C ou encore la reconnaissance de la chromatine par des ARN non codants. Par exemple, l’addition de groupements méthyles par des méthyl transférases sur la base C de l’ADN est une marque épigénétique induite par l’environnement intra ou extracellulaire. Lorsqu’elle est reconnue, cette marque entraîne la répression de certains gènes. L’acétylation des histones est une autre marque épigénétique qui conduit à l’activation des gènes. Au niveau de la chromatine, on fait l’hypothèse de l’existence d’un « code histone »9 (Cf. Fig2) permettant l’activation ou la répression des gènes. Ce code fait intervenir des méthylations, des acétylations, des phosphorylations au niveau de la queue N terminale des histones et des variants d’histones incorporés dans certains nucléosomes. On est loin d’avoir compris le fonctionnement de ce code. Actuellement, des questions évidentes se posent : quel endroit marquer dans la chromatine, comment maintenir le marquage pendant la réplication de l’ADN ? Comment éliminer les marques épigénétiques ? Maladies et épigénétique De nombreuses maladies10 sont associées à des défauts épigénétiques comme par exemple le cancer. Les relations entre cellules tumorales et épigénétique ne sont pas encore claires. Toutefois, en comparant le degré de méthylation de l’ADN des cellules contrôles à celui des cellules tumorales, on s’est aperçu que ces dernières étaient hypométhylées. L’absence de méthylation de certains gènes pourrait les réactiver et ainsi contribuer au développement d’un cancer. 9 10 Jenuwein T. and Allis, C. D. Translating the Histone Code. (2001) Science 293: 1074-1080 Egger G. et al. Epigenetics in human disease and prospects for epigenetic therapy. (2004) Nature 429: 457-463 Le syndrome de Rett est un autre exemple d’un défaut épigénétique, il est associé à une mutation dans le gène MeCP2 qui code une protéine reconnaissant (lecteur) les cytosines méthylées. Les enfants présentant ce syndrome se développent normalement jusqu'à l'âge de 6 à 8 mois puis on observe une absence de développement normal du langage, des mouvements répétitifs des mains (lavage de mains, torsions, etc.) et une démarche instable ou mal assurée. Une nouvelle fois une mauvaise régulation de l’ensemble des gènes conduit à un syndrome parfaitement défini. Trois exemples de phénomènes épigénétiques : Approfondissons trois exemples de phénomènes épigénétiques qui jouent à différents niveaux. L’inactivation du chromosome X des mammifères qui joue au niveau des mitoses. L’empreinte parentale qui agit au niveau de la méiose mais qui est annulée à chaque génération. La nutrition qui conduit à la transmission de génération en génération de marques épigénétiques. L’inactivation du chromosome X connue sous le nom de lyonisation En 1959, Susumu Ohno11 montre pour la première fois que les deux chromosomes X des mammifères sont différents. L’un se comporte comme un autosome et l’autre est condensé. Mary Lyon, chercheur britannique, va approfondir cette découverte en 196112. Elle décrit ce phénomène de la façon suivante : très tôt dans l’embryogenèse, dans chaque cellule des individus de sexe féminin un des deux chromosomes X est inactivé. Cette inactivation se fait au hasard, entraîne la répression de l’expression des gènes de l’X inactivé ; de plus, elle est permanente et maintenue lors des mitoses. Dans les cellules il ne reste donc plus qu’un seul chromosome X actif, soit le chromosome d’origine paternelle Xp, soit le chromosome d’origine maternelle Xm. Les mécanismes mis en jeu au cours de l’inactivation sont encore loin d'être compris, mais quelques explications peuvent être proposées. En travaillant surtout sur le modèle murin, les chercheurs ont d’abord mis en évidence un centre d'inactivation de l'X (Xic), long d'un million de bases (1Mb). Des expériences de délétion de ce centre rendent l’X actif, de plus des translocations de ce centre sur des 11 Ohno, S. et al. Formation of the sex chromatin by a single X-chromosome in liver cells of rattus norvegicus”. (1959) Exp Cell Res 18: 415–419. 12 Lyon, M. F. Gene action in the X-chromosome of the Mouse (Mus musculus L.) (1961) Nature 190: 372-373. autosomes conduit à leur inactivation. En 1991, on a identifié un des gènes majeurs de ce centre qui fut appelé le gène Xist. Au début du développement, ce gène s’exprime au hasard soit sur le chromosome Xp, soit sur le chromosome Xm. Il gouverne la synthèse d’un ARN de 19 kilobases mais cet ARN n’est pas traduit en protéine, il s’agit donc d’un ARN non codant. Il est produit en très grande quantité et finit par recouvrir entièrement un des deux chromosomes X (Xp ou Xm) le rendant inactif en interdisant la transcription des autres gènes13. Mais comment est « choisi » l’Xp ou l’Xm à inactiver ? C’est un facteur autosomal présent en faible quantité qui méthyle d’une manière aléatoire le promoteur du gène Xist soit de l’Xp soit de l’Xm et l’empêche de fonctionner. L’empreinte parentale chez les mammifères L’empreinte parentale ou empreinte génomique a été découverte à partir de l’observation de la non viabilité des embryons formés à partir de deux génomes femelles (gymnogénotes) ou de deux génomes mâles (androgénotes). Pour un zygote, une même information génétique n'est donc pas équivalente selon qu'elle est apportée par le gamète maternel ou le gamète paternel. Les génomes «ont un sexe»14. Ceci est dû au fait que certaines séquences de l’ADN sont réprimées selon qu’elles proviennent du père ou de la mère. Les gènes localisés dans ces régions n’auront donc qu’un seul allèle fonctionnel et toutes les mutations conduisant à un phénotype récessif vont s’exprimer (effet d’haploïdisation). Aujourd’hui, environ 200 gènes différents localisés dans ces régions sont soumis à l’empreinte parentale. Au niveau moléculaire, on connaît encore peu les mécanismes mis en jeu sinon que des marquages épigénétiques comme des méthylations ou la fixation d’ARN non codants sur certaines régions des chromosomes interviendraient de façon différente dans les gamètes mâles et femelles. Ce marquage est effacé à chaque nouvelle génération pour être ensuite rétabli pendant la gamétogénèse. Plusieurs maladies, chez l’homme, sont causées par l’empreinte parentale15 comme les syndromes d’Angelman, de Prader-Willi ou de Beckwith-Wiedeman. Les 13 Ng, K. et al. Xist and the order of silencing. (2007) EMBO Rep 8: 34-39 Barton, S. C.; et al. Role of paternal and maternal genomes in mouse development. (1984) Nature 311: 374– 376. 15 Adams, J. Imprinting and genetic disease: Angelman, Prader-Willi, and Beckwith-Wiedemann syndromes. (2008) Nature Education 1(1) 14 syndromes d’Angelman et de Prader-Willi conduisent à des phénotypes différents. Le syndrome de Prader-Willi est caractérisé par une hypotonie musculaire, une obésité, un hypogonadisme et un retard mental léger. Le syndrome d’Angelman est défini par un retard mental sévère, des convulsions et des fous rires sans justifications. Ces deux syndromes sont induits par une même anomalie génétique : une délétion du matériel génétique sur le chromosome 15 depuis 15q11 jusqu’à 15q13. Cette délétion couvre une région soumise à l’empreinte parentale ce qui explique la transmission particulière de la maladie, si la délétion est transmise par la mère, les enfants présentent le syndrome d’Angelman, si elle est transmise par le père, l’enfant sera atteint du syndrome de Prader-Willi. Le syndrome de Beckwith-Wiedeman est associé à une surcroissance prénatale et un risque élevé de cancers. Il résulte d’une dérégulation de l'expression des gènes de la région chromosomique 11p15, soumise à empreinte parentale. Les malades présentent une expression biallélique du gène IGF2 au cours du développement alors que normalement seule la copie paternelle de ce gène est active. Epigénétique et nourriture Des chercheurs de l’Université Duke, en Californie du Nord, ont montré en 2003 que le régime alimentaire de souris multicolores agouti peut altérer leur phénotype16, non en changeant la séquence de leur ADN, mais en changeant le profil de méthylation de l’ADN de leur génome. Normalement, les poils des souris agouti sont jaunes, bruns ou d’une couleur intermédiaire en fonction du nombre de groupements méthyle présents sur un transposon localisé en 5’ du gène agouti. Cette méthylation dépend de l’alimentation des souris, si elles sont nourries avec un excès d’acide folique, la descendance des souris aura une fourrure brune, alors que celle des souris n’ayant pas reçu des suppléments d’acide folique sera en majorité jaune. Les groupements méthyle liés au transposon en 5’ inhibent l’expression du gène agouti sans que sa séquence soit changée. 16 Waterland, A. R. and Jirtle, L. R. Transposable elements: targets for early nutritional effects on epigenetic gene regulation. (2003) Mol. Cell Biol. 23: 5293-5300 Une telle hérédité épigénétique est-elle observable chez l’Homme ? La réponse est oui. Une première observation a été faite sur les « mères hollandaises »17. Il s’agit d’un groupe de femmes, vivant aux Pays-Bas pendant la deuxième guerre mondiale et travaillant dans des conditions de famine imposées par un embargo alimentaire et un hiver rude. Elles ont donné naissance à des bébés relativement petits. Mais leurs petits enfants étaient également de petite taille alors que leur propre génome n’avait aucune chance de se "souvenir" de la vie de leurs grands-parents. On a donc proposé l’hypothèse que la famine avait déclenché chez les grands-parents des mécanismes épigénétiques maintenus chez les petits-enfants. Cette hypothèse fut validée par un article paru en 200818 dans lequel les auteurs ont étudié le degré de méthylation de l’ADN du gène IFG2 chez des individus dont la mère enceinte avait été exposée pendant la deuxième guerre mondiale à la famine. Ils ont comparé les résultats à ceux obtenus chez des individus de même sexe nés de la même mère à une période antérieure à la famine. Le résultat est clair, le degré de méthylation du gène IFG2 est nettement inférieur chez les individus affectés durant la vie foetale plus de 60 ans auparavant. Toutefois la transmission de ce remaniement épigénétique aux générations issues des petits enfants n’a pas encore été démontrée ! Epigénétique et évolution Ces exemples de passage d’une marque épigénétique à travers la lignée germinale montrent que des modifications liées à l’environnement peuvent être transmissibles à la descendance. Cette hérédité épigénétique peut elle être confondue avec l'hérédité des caractères acquis ? Selon cette théorie, les modifications qu'un individu imposait à son corps au cours de sa vie étaient transmissibles à ses descendants. Un exemple désormais classique est celui de la girafe qui étire son cou pour atteindre les feuilles d'un grand arbre et qui donne naissance directement à des petits munis d'un cou plus long. Dans le modèle Darwinien revu à la lumière de la génétique formelle, l’explication est la suivante : à chaque génération quelques girafes 17 Kaati, G. et al. Transgenerational response to nutrition, early life circumstances and longevity. (2007) European journal of human genetics 15: 784-90. 18 Heijmans, B.T. et al. Persistent epigenetic differences associated with prenatal exposure to famine in humans. (2008) PNAS.105: 17046-17049. mutantes naissent avec un cou plus long. Elles survivent mieux et donnent naissance à plus de descendants. La sélection naturelle, proposée par Darwin, trie les variations aléatoires et permet l'adaptation de la population. Alors, comment interpréter l’hérédité épigénétique et la concilier avec le modèle de Lamarck ? L'amalgame entre les mécanismes épigénétiques et l'hérédité des caractères acquis semble encore abusif. L’épigénétique ne cautionne pas l'hérédité des caractères acquis mais permet d'envisager une plus grande souplesse dans l’adaptation d’un génome à un environnement donné. En effet comme dans le cadre du Lamarckisme, on a une influence du milieu sur l’expression ou la répression des gènes qui permet une adaptation très rapide et réversible à un environnement donné. Ce changement de l’expression d’un gène conduit à ce que l’on appelle une épimutation qui peut être transmise seulement sur quelques générations. Par contre les épimutations se produisent au hasard et ne semblent pas (en 2010 !) être guidées par l’usage ou le nonusage d’un organe comme Lamarck ou Darwin le proposaient. Mais peut-on passer d’une épimutation à une mutation ? La réponse semble être oui puisque des points chauds de mutation sont créés par la méthylation des îlots CG de l’ADN et que cela peut avoir pour conséquence de fixer les génotypes nouveaux mieux adaptés à un contexte environnemental particulier. Ceci est tout à fait compatible avec la sélection darwinienne. Pour conclure, à la question l'épigénétique ou Lamarck pourrait-il avoir raison? Selon nos connaissances actuelles on serait plutôt tenté de répondre non. Figure 1 Le nucléosome : L’ADN est lié à un octamère d’histone composé de 2 H2A, 2 H2B, 2 H3, et 2 H4. D’après Luger, K. et al, 1997. Nature 389:251-260. Figure 2 Le code histone d’après Strahl, B. D. et Allis, C. D. (2000) Nature 403 : 4145.