Danse hip-hop : la bombe Beltrão

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Danse hip-hop : la bombe Beltrão
16 novembre 2012
Danse hip-hop : la bombe Beltrão
Issu de la streetdance (dont le hip-hop et le break), le chorégraphe brésilien Bruno Beltrão est à
Lyon pour la première fois. Tel un ovni qui débarque sur la planète danse, son spectacle H3 est
une véritable claque artistique qui révèle une écriture totalement réinventée et magistrale. On
en redemande !
Il aura donc fallu attendre quatre ans pour que cet artiste soit programmé à la Maison de la danse, alors
que la pièce qu’il présente date de 2008. Pour cela, il fallait juste avoir envie de prendre le risque de le
faire venir, tant il est vrai que son travail est très loin de ce qui nous est habituellement proposé, soit
un hip-hop esthétique et qui se contente de bien bouger. Bruno Beltrão a 33 ans et danse depuis l’âge
de 6. Les danses urbaines, il connaît. À 16 ans, il crée sa compagnie, le Grupo de rua de Niteroi, qui
fera sa vie, de festivals en compétitions. À 20 ans, il se tourne vers la danse contemporaine et entame
des études de philosophie et d’histoire de l’art qui vont influencer sa réflexion artistique.
Le spectacle démarre dans le silence, avec en léger fond des bruits de rue. Premier pari : installer la
danse sans musique. Sur le devant de la scène, les danseurs arrivent les uns après les autres. Là, se
créent d’étranges rencontres où chacun s’éprouve dans la confrontation, en duo, avec l’autre. Et déjà
l’écriture habituelle du hip-hop se brouille tandis qu’on les voit s’essayer à la création de partitions
multiples. Une grande écoute les lie, ils sont jeunes et ce qu’ils nous donnent à voir relève d’une
conscientisation extrême du mouvement, ouvrant la porte à la recherche du sens qui fera le spectacle.
Un artiste qui a du génie
La volonté du chorégraphe est de transformer le langage codifié du hip-hop, d’utiliser la danse
contemporaine pour aller vers une danse qui n’a plus vraiment de référence et qui devient simplement
matière créatrice. Ainsi la construction du spectacle est-elle abstraite, sans décors ni costumes et sans
concession. Mais l’écriture est stupéfiante, d’une grande intelligence qui ne cesse de solliciter notre
attention ; rythmée par des trajectoires détournées et des mouvements aussi bien renversés qu’inversés.
Le chorégraphe explore l’espace mais aussi les corps et nous chamboule. Sauts dans la lumière,
enchevêtrements ou dédoublements des corps, suspensions de torses à l’envers, corps pliés vers le sol
et qui tournoient, arrêts sur mouvements puis rebonds, heurts scandés ou feutrés, courses hallucinantes
en arrière, corps qui s’entrechoquent, corps qui se croisent en décalage, corps qui poussent l’autre vers
le centre pour relancer l’énergie du cercle…
Complexe et sans cesse en évolution, la danse est à sa place, quel que soit l’endroit où le corps est
posé. La musique – minimaliste et juste – fuit les effets sonores de la représentation, tandis que les
lumières mettent en exergue certaines parties des corps et participe subtilement à l’écriture de la pièce.
Tout du long, Beltrão nous fait la démonstration d’une danse qui se libère d’elle-même, mais aussi du
plateau car si elle démarre dans un ring propice aux affrontements, peu à peu les contours lumineux
qui le dessinent, bougent et sortent de l’espace défini. Une danse qui s’écrit jusque dans les hauteurs
de la scène. Il y a longtemps que l’on attendait un spectacle qui amène enfin autre chose, du jamais vu,
capable de provoquer une jouissance et une émotion aussi bien intellectuelles que physiques. H3 n’est
pas pour autant un spectacle de hip-hop différent. Il s’agit simplement d’un spectacle de danse
contemporaine créé par un artiste qui a du génie. Et on attend le prochain avec impatience !
Par Martine Pullara
Bruno Beltrão / Grupo de Rua de Niteroi
Biographie
Bruno Beltrão, chorégraphe et interprète, est né à
Niteroi, ville situee dans la banlieue de Rio de
Janeiro en 1980. Il s’intéresse à la street dance (hiphop et break) dès l’âge de 9 ans, puis il crée avec son
ami Rodrigo Bernardi le Grupo de rua de Niteroi en
1996, à l’âge de 16 ans. Il se consacre aux festivals de
compétition de danse de rue, aux évènements et
émissions de TV.
Le Grupo de Rua de Niteroi gagne le Campionato
Internazionale di Funk à Naples en 1999, et présente
l’année suivante Métropolis. La compagnie débute
une tournée avec le Circo da Madrugada dirigé par
Pierrot Bidon.
En 2001, avec From popping to Pop or vice-versa, le
groupe commence à affiner un profil qui s'ajuste à
ses nouvelles aspirations esthétiques : se
débarrasser de la pure virtuosité et de la
reproduction des modèles chorégraphiques de la
danse de rue brésilienne. Il explore alors une autre
« manière de faire » qui puisse construire des
« ponts entre la street dance (populaire) et le
théâtre (érudit) », comme le mentionne la critique
Helena Katz. À partir de là, la principale recherche
du Grupo consiste à établir des rapprochements
entre la technique de danse de rue, déjà acquise par
le corps, et l'univers de la danse contemporaine,
réfléchie et expérimentale. Le spectacle est
présenté
aux
Rencontres
chorégraphiques
internationales de Seine Saint-Denis. Après le
départ de Rodrigo Bernardi, Bruno Beltrão reprend
seul la direction de la compagnie. Cette même
année il est nommé « Révélation Danse » par le
journal O Globo, l'un des deux principaux quotidiens
brésiliens, et le groupe se voit qualifié comme « l'un
des plus créatifs de la nouvelle génération ».
En 2002, Bruno Beltrão crée Too legit to quit et est
invité par le chorégraphe français Jérôme Bel à
participer au Festival Klapstuk 2003 en Belgique. La
pièce est présentée aux Rencontres urbaines de La
Villette en 2004. En 2005 il présente la pièce
Telesquat , ainsi que la pièce H2 2005 crée pour le
Festival d’Automne à Paris.
Bruno Beltrão au Festival d’Automne :
2005 : H2-2005
Entretien avec Bruno Beltrão
Comme son titre le suggère clairement, H3 est une
sorte de suite de H2, votre précédent spectacle.
Quelles sont les principales différences entre les
deux ?
Bruno Beltrão : Dans H2 nous avons abordé les deux
questions suivantes : comment exploiter au mieux
certaines techniques de street-dance dans un
espace donné, considérant que dans le hip-hop cet
espace est préétabli et n’avait encore jamais été
problématisé ; comment danser ensemble en usant
de techniques qui, à aucun moment, ne requièrent
la présence de l’autre.
Ces questions demeurent au cœur de H3 mais
l’approche est différente. Nous procédons à une
analyse du mouvement du hip-hop d’une manière
plus spécifique, en nous aidant d’instruments tels
que La théorie du mouvement de Laban.
Avec H3 nous tentons également pour la première
fois d’aller vers le sol. Après 11 ans de travail, nous
nous sentons un peu plus aptes à explorer le
« savoir du sol » qui existe dans le hip-hop.
Quel est le moteur de cette nouvelle création ?
Nous maintenons ferme la nécessité d’une
démarche créative vers le hip-hop. Cette nécessité
est restée forte durant toutes ces années.
Bruno Beltrão : Je pense qu’il n’existe qu’une
possibilité : traduire les choses.
La traduction est un phénomène physique qui se
produit lorsqu’une information quitte un endroit
pour arriver dans un autre. Il n’y a rien dans ce
monde qui ne relève de ce processus de
traduction/transformation. Même si j’étais un
fondamentaliste du hip-hop, suivant strictement
des principes dogmatiques, je le transformerais
néanmoins autant qu’une personne cherchant à le
faire délibérément. De fait, si la traduction est une
condition, et non un choix, je préfère jouer le jeu.
Pour moi, l’aspect le plus important de mon travail
se situe dans ce processus de transformation. Il
s’agit de trouver d’autres danses possibles à partir
de celles que nous connaissons aujourd’hui.
Nous chorégraphions pour apprendre.
Comment s’est passée la phase de répétitions ?
Bruno Beltrão : Elle a été très difficile, comme elle
l’avait été pour nos précédents spectacles. C’est
toujours très douloureux pour moi et je pense que
ça le sera toujours. Je crois que créer signifie
s’inscrire dans un territoire dans lequel il n’y a pas
de sécurité possible.
H3 est-il tel que vous l’espériez?
Bruno Beltrão : Aucune de mes pièces n’est telle que
je l’espérais. Par ailleurs, mes espoirs changent…
Aussi ne sera-t-il peut-être jamais possible de faire
coïncider les envies de départ avec le résultat final.
Est-ce dur de faire de la danse contemporaine au
Brésil ?
Bruno Beltrão : Incroyablement dur. J’ai le
sentiment que, si l’on veut être artiste au Brésil, il
faut être très persévérant pour ne pas abandonner
en cours de chemin… Rien ici n’est fait, en termes de
politique gouvernementale, pour contribuer au
développement des artistes. Ce n’est pas une
question de difficulté ou d’argent mais bel et bien
de volonté. Les politiciens brésiliens sont très
égoïstes : ils ont oublié depuis longtemps qu’ils sont
là pour servir et non pour jouir de privilèges. Ils se
fichent complètement de l’art.
Pour ma part, je ne veux rien faire d’autre que de
l’art. C’est le seul choix dont je dispose pour
survivre.
Aujourd’hui, les autres membres du Grupo de Rua et
moi savons que nous devons construire de vraies
relations avec le Brésil : il y a en ce moment plus de
gens à Paris qu’à Niteroi qui connaissent l’existence
de notre Groupe… Si vous posez la question à un
habitant de Niteroi, il vous répondra probablement
qu’il n’a jamais entendu parler du Grupo de Rua. Le
Grupo a besoin de mieux comprendre ses rapports
avec le Brésil.
Quel regard portez-vous sur l’évolution du hip-hop
et de la danse contemporaine ces dernières années ?
Bruno Beltrão : Comprendre et éprouver l’écart
entre la rue et le théâtre : tel est, je crois, le défi
principal auquel les danseurs de hip-hop doivent
faire face depuis 20 ans. Chaque danseur de hip-hop
qui monte sur une scène de théâtre se confronte à
cette question.
Je pense vraiment que le théâtre est le lieu où le hiphop peut se penser en dehors de ses définitions
traditionnelles. Ces définitions contribuent à la
culture du hip-hop mais n’ajoutent rien au théâtre.
Les gens de ma génération ne veulent pas faire du
hip-hop mais aspirent à découvrir en quoi le hip-hop
les aide à trouver leurs propres moyens
d’expression.
Propos
recueillis
par
Jérôme
Provençal
19 décembre 2008
Bruno Beltrão au Centre Pompidou : variations sur le hip-hop
Comment résoudre le mariage d'une danse ultra-codifiée, en l'occurrence le hip-hop, et de la danse
contemporaine, par définition sans codes, sans cesse à réinventer afin qu'elle conserve justement sa
contemporanéité ? Bruno Beltrão, (très) jeune chorégraphe carioca né en 1980 à Niteroi, dans la baie de Rio, a
co-fondé à l'âge de seize ans une association, le Grupo de Rua, consacrée à la street dance, principalement
marquée par l'esthétique hip-hop. La Ferme du Buisson, puis le Centre Pompidou accueillent sa dernière
création, H3, dans la cadre du Festival d'Automne.
Malgré les variations fréquentes de modes chez les jeunes générations, la danse hip-hop, qui est l'une des
multiples extensions d'une musique née voici plus d'un quart de siècle, perdure avec une extraordinaire vitalité
dans la culture occidentale, au point que l'on en retrouve approximativement les mêmes gestes et attitudes de
Paris à Rio de Janeiro, du début des années 1980 à aujourd'hui. A titre d'exemple, le Grupo de Rua, au départ
modeste association de quartier, est aujourd'hui, douze ans après sa création, une compagnie de danse reconnue
qui tourne dans le monde entier. La moyenne d'âge de ses danseurs doit être, à vue de nez, d'une vingtaine
d'années — ils sont donc nés en même temps que le hip-hop.
Dans H3, nouveau spectacle de Bruno Beltrão, la maîtrise des codes de la street dance est nécessaire à son
dépassement et à l'incursion dans le domaine de la danse contemporaine de danseurs dont le corps et le look ne
semble pas pré-formatés pour la scène. Sur un fond sonore d'ambiance de rue, recréant assez naïvement le
contexte de création de ces gestes trop connus, neuf jeunes hommes se croisent, s'entrechoquent, se séparent,
dans un véritable « ballet » qui met en relief l'individualisme propre au hip-hop. Le plateau de théâtre devient un
ring aux contours incertains, la danse est une battle aux implications mythiques, où c'est chacun pour soi, le sol
t'aidera. Si l'on reconnaît les mouvements caractéristiques du hip-hop, ceux-ci sont simplement esquissés ou au
contraire répétés et caricaturés afin d'en déformer le motif, comme cet élan vers l'arrière que prennent les
danseurs avant d'effectuer une pirouette au sol.
Ici point de pirouette, de spectaculaire vrille sur la tête ou de mime d'homme-robot. On n'est pas là pour en
mettre plein la vue, mais pour participer à une recherche. Bruno Beltrão déconstruit le hip-hop pour l'adapter à
un vocabulaire contemporain. Pour le chorégraphe, il s'agit aussi de « comprendre et éprouver l'écart entre la rue
et le théâtre », soit entre le réel et le factice. Entreprise complexe qui défie les codes du spectacle, et à laquelle
H3 apporte quelques éléments de réponse.
H3 de Bruno Beltrão, à la Ferme du Buisson, du 13 au 14 décembre, et au Centre Pompidou, du 17 au 21 décembre, dans
le cadre du Festival d'Automne.
Magali Lesauvage
10 novembre 2009
Scène de rues
Le Brésilien Bruno Beltrão invente une danse contemporaine basée sur le hip hop
On dit de lui qu’il est au hip hop ce que Forsythe est au classique et Galván au flamenco.
Les pistes épurées du Brésilien Bruno Beltrão speedent l’évolution de la street dance pour la
propulser loin de la virtuosité traditionnelle et de l’ornementation narrative.
© Lucie Vangerven
Le Bronx peut se targuer d’avoir couvé le hip hop, la France, sous l’égide des compagnies
Käfig et Accrorap, de l’avoir nourri et tutoré jusque sur les plateaux de danse contemporaine.
Le rapport de Niteroi, petite ville de la banlieue de Rio de Janeiro, avec cette expression en
pleine croissance est plus ambigu. Depuis 1996 que le Grupo de Rua de Bruno Beltrão, qui a
peu ou prou l’âge de sa pratique (29 ans), est implanté là bas, il agrège à la street dance les
préceptes de l’ère conceptuelle pour en examiner l’ossature profonde.
Les danses de rues trainaient un faciès de teenager et socialement typé, elles s’« installent » au sens plasticien - avec Beltrão sur des plateaux aseptisés façon tables chirurgicales, sur
lesquelles on dissèque la problématique suivante : comment danser ensemble en usant de
techniques qui, à aucun moment, ne requièrent la présence de l’autre ? Les éléments de
réponse, disséminés dans les festivals internationaux de From popping to Pop or vice versa
(2001) à H3 (2008) en passant par Telesquat et H2 (2005), Beltrão les puise dans un parcours
nourri non seulement par la postmodern dance américaine mais aussi par l’histoire de l’art et
la philosophie.
Soit un cocktail fructueux pour penser l’existence du collectif à l’ère de l’individualisme sans
se vautrer dans les aspirations fusionnelles. Il en résulte un travail de mise en réseau où les
corps, exclusivement masculins, sont sans cesse maintenus au bord du contact et expriment
divers degrés d’adhésion au mouvement de l’autre. La rage énergétique du battle est
conservée mais l’adversaire est inexistant. Il devient du moins une entité plus abstraite :
l’espace-temps, probablement. Car si les corps multidirectionnels de Cunningham traduisaient
le flux des mégalopoles modernes, les sauts courts-circuités et sprints arrière de Beltrão
inventent celui des villes numériques. Une danse à l’heure du Web 2.0, avec une fluidité
version animation vidéo et des accélérations fantasmées par le high tech.
Il faut dire que les bolides, virtuoses, de Beltrão ont un allié de choix : une construction
lumineuse au-delà du photogénique. Elle permet au sol de sa dernière création H3,(tantôt noir
opaque, tantôt noir luisant comme une mer de goudron)de se faire aussi mouvant qu’un tapis
roulant de métro. Elle permet aussi de dérégler la perception naturelle en fragmentant et
recombinant l’espace de scène : champ/contrechamps (en révérence probable à Edward
Lock), effets de cut et faux raccords gestuels… Autant de manipulations perceptives qui, en
même temps qu’elles attestent d’une nouvelle ère du regard, rappellent que Beltrão se
passionnait, enfant, pour la télévision et le cinéma. Un élément biographique de taille si l’on
convient que le travail auquel Beltrão soumet le hip hop est avant tout un travail de
« montage » plus qu’un travail d’image. Un jeu de Rubik’s cube propre au postmodernisme,
pour « trouver d’autres danses à partir de celles que nous connaissons aujourd’hui » et faire
du hip-hop le prétexte à un art contemporain.
Eve Beauvallet
H3, de Bruno Beltrão, les 20 et 21 novembre au Manège de Reims, le 4 décembre au Merlan, Marseille.
14 décembre 2008
H3, de Bruno Beltrão
De West Side Story à Tekken
Première escale française pour la dernière création de Bruno Beltrão et sa compagnie Grupo de rua. La
Ferme du buisson confirme l’intérêt qu’elle porte au travail du jeune chorégraphe brésilien, accueilli dès
2001 pour « From Popping to Pop or Vice-versa » et aujourd’hui avec « H3 ». La Ferme du buisson, un
modèle du genre. Le genre qui réussit au délicat exercice des associations équilibrées entre culture,
affluence populaire et exigence, ou encore convivialité et efficacité. Conçu comme un parc d’attractions
de la culture, on peut tout autant y voir de la danse contemporaine que du hip-hop, du théâtre classique
qu’une performance underground ou encore y assister à des concerts de musiques actuelles. Bref, La
Ferme, on a envie d’y aller si RER…
Un grand plateau noir propice à la danse, barré d’un rai de lumière blanche à l’avant-scène et semblant
dessiner une rue, sert d’écrin à la première partie de H3. H3 qui prolonge d’ailleurs le travail de
recherche initié par H2 2005, avec une utilisation de l’espace différente et surtout la question de
« danser ensemble », quasi absente du hip-hop. Enfin dans ce dernier opus, Bruno Beltrão ajoute la
problématique de la danse au sol, considérant désormais sa compagnie à la hauteur de l’exercice.
Ambiance urbaine.
Bruits de véhicules se croisant : le spectateur à l’impression d’être posé à un carrefour et d’attendre la
confrontation entre deux bandes rivales (peut-être les Sharks et les Jets !). Peu à peu, le combat
commence, toujours un contre un.
Rien à redire sur la maîtrise du corps et l’énergie des danseurs-combattants, qui se transforment à
l’occasion en badauds. Puis le bleu et le vert (d’après des tee-shirts aux couleurs acidulées à double
fonction : permettre la reconnaissance du danseur et inscrire le spectacle dans une esthétique « fluo
kids », bien dans l’air du temps !) entrent en scène. Ils se jaugent, se mesurent. Puis ô surprise, de
battle on glisse à duo.
© Scumeck
Subtilement, Beltrão permet à cet univers suintant la testostérone qu’est le hip-hop d’aller vers des
territoires plus tempérés. On se surprend à être touché par cette douceur qui émane de la danse portée
par le bleu et le vert, sans jamais abandonner complètement les dogmes de la danse de rue. C’est dans
cette tentative assez réussie d’approfondir la porosité entre les courants, favoriser les interactions que
le travail de Beltrão convainc.
Plus tard, l’espace scénique, toujours dessiné plus par l’obscurité que la lumière d’ailleurs, trace un
rectangle sombre et brillant à la fois, qui dessine la mer noire sur laquelle évoluent les danseurs. Les
phases sont toujours bien réglées et les danseurs impressionnent, encore, à la limite de l’acrobatie.
Mais si la technique est irréprochable, Grupo de rua peine à sortir des travers hip-hoppiens. On a
l’impression d’assister à un meeting de démonstration tant le schéma narratif semble coincé à l’étage
des jeux vidéos : gang 1 va mettre une raclée à gang 2.
L’absence quasi totale de musique empêche l’esprit de s’évader, rattrapé qu’il est par les crissements
des baskets sur le sol qui le ramènent plutôt à ses souvenirs de gymnase. Enfin, certains mouvements
font regretter l’hégémonie du duo baggy/tee-shirt XXL, nous privant du plaisir de voir des corps
frémir.
Alors si H3 n’est pas encore le pont idéal entre danse contemporaine et hip-hop, entre la rue et le
théâtre, cette tentative nous fait quand même passer cinquante agréables minutes. ¶
Andrée Lechat

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