ARISTOPHANE ET LES FEMMES, d`après Lysistrata - Philo

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ARISTOPHANE ET LES FEMMES, d`après Lysistrata - Philo
ARISTOPHANE ET LES FEMMES, d’après Lysistrata.
Michèle TILLARD, professeur de Première Supérieure
Lycée Montesquieu – Le Mans
1. La situation des femmes
a. à Athènes (minorité, gynécée…)
b. ailleurs en Grèce (Sparte)
c. au théâtre : représentées par des hommes
2. Le mythe de la prise de pouvoir par les femmes
a. Le mythe des Amazones (cf. Lysistrata) et des Lemniennes
b. Lysistrata
c. l’Assemblée des femmes
3. La femme et la guerre
a. Lysistrata, une pièce pacifiste ?
b. Les figures de la Paix : des figures féminines (« Paix » contre Polémos,
Réconciliation…) ; les femmes s’entendent, les hommes en sont
incapables (Lysistrata, Paix)
4. Retour à l’ordre masculin ?
a. La fin de Lysistrata
b. La fin de l’Assemblée des femmes
c. La fin de la Paix
d. Les stéréotypes :
i. la femme soumise à son sexe
ii. la femme ivrogne
1. La situation des femmes
a. à Athènes (minorité, gynécée…) : allusion dès les premiers vers de
Lysistrata : alors qu’elle s’inquiète de ce qu’aucune femme n’ait
répondu à sa convocation, sa voisine Cléonice lui rappelle combien il
est difficile aux femmes de sortir de chez elles : « l’une a dû être
occupée avec son mari, l’autre éveiller un esclave, une autre coucher
son bébé, celle-ci le laver, celle-là lui donner la pâtée… » (v. 16-18) ;
sans aucun rôle politique, la femme est réduite au rôle de maîtresse de
maison, ou d’objet séduisant : « Et que veux-tu que des femmes fassent
de sensé ou d’éclatant, quand nous vivons assises avec notre fard, nos
tuniques safranées sur le dos, bien attifées avec des cimbériques
tombant droit et des péribarides ? » (v. 41-44) : de simples « bimbos »,
en somme, les « blondes », déjà… Et Aristophane d’énumérer
complaisamment les « attributs » de la « pin up » athénienne : tunique
jaune, chaussures élégantes, robe cimbrienne, petite chemisette
transparente, parfum et fard, notamment l’orcanette, fard rouge sans
doute destinée aux joues… (v. 41-48), ou encore petite ceinture (v. 72) ;
Lysistrata ne renie en aucune manière cette image de la femme-objet ;
bien au contraire, avec un art consommé digne des sports de combat,
elle va retourner cette apparente faiblesse contre son adversaire, la gent
masculine…
Un autre passage montre bien la soumission à laquelle était soumise la
femme athénienne : des vers 507 à 538, Lysistrata explique son projet à
un « commissaire » (προβούλος) particulièrement obtus. Elle lui
rappelle que les femmes, dans les premiers temps de la guerre, ont dû
assister, impuissantes et réduites au silence, les pires décisions des
hommes, sans pouvoir même se permettre un conseil ou une remarque.
Les signes tangibles de cette soumission étaient le voile et le fuseau :
pudeur et travail de femme. Quant à leur révolte, elle relève ici de
l’utopie aristophanienne…
On peut noter enfin le mépris dont elles sont l’objet : menaces de coups,
injures… Pour ne citer qu’un exemple : τοῦτο μέν, ὦ γραῦς, σαυτῇ
κρώξαις, « cela, la vieille, puisses-tu le croasser pour toi-même », réplique le
Commissaire à Cléonice, v. 506. Elles sont à peine mieux considérées
que des esclaves, ou des bêtes de somme… θήρια, κνώδαλα (bêtes
sauvages, animaux) sont d’ailleurs les mots dont se servent les
vieillards pour les désigner.
b. ailleurs en Grèce (Sparte) : la Spartiate est en apparence mieux traitée,
puisqu’elle peut sortir de chez elle pour aller au gymnase, ce qui lui
donne au moins une robustesse physique que lui envient les autres
femmes : « - Quelle belle carnation ! Quel corps vigoureux tu as ! Tu
étranglerais un taureau. – Ma foi oui, par les Dioscures. Je m’exerce au
gymnase et me donne du talon au derrière en sautant. » (v. 80-82) ; mais il
n’est pas sûr que cet entraînement ait eu d’autre but que d’en faire de
bonnes reproductrices… Dans Lysistrata, Lampitô la Spartiate n’est pas
différente de ses compagnes : elle éprouve la même solitude, les mêmes
privations (v. 105-106), même si elle semble plus maîtresse d’ellemême : ainsi, elle est la seule à accepter d’emblée l’idée d’une « grève
du sexe ».
c. au théâtre : représentées par des hommes
5. Le mythe de la prise de pouvoir par les femmes
a. Le mythe des Amazones (cf. Lysistrata) et des Lemniennes : une
première allusion à ce mythe, v. 191-192, lorsque Lysistrata propose de
sacrifier un cheval blanc pour prêter un serment solennel sur ses
entrailles : c’est le sacrifice-type des Amazones, selon Hérodote, comme
des Scythes et des Thraces – et cela déclenche aussitôt une protestation
de Cléonice.
Seconde allusion, dans le premier stasimon (parabase ?) : les vieillards
imaginent avec horreur ce qui se passerait si les femmes prenaient si
peu que ce soit le pouvoir : « elles feront construire des vaisseaux, elles
iront jusqu’à vouloir combattre sur mer et fondre sur nous, comme Artémise.
Que si elles se tournent vers l’équitation, je biffe nos rôles de cavaliers. Car
comme cavalière la femme excelle et se tient ferme : elle ne glisse point, même
au galop. Vois plutôt les Amazones que Micon a peintes à cheval, combattant
contre les hommes… » (v. 671-679) ; Artémise était une reine de Carie qui
combattit aux côtés de Xerxès en 480 ; quant à la célèbre fresque de
Micon sur le Poecile, elle témoigne de l’importance de ce mythe chez
les Athéniens… Il est assez comique, d’ailleurs, que les vieillards
fantasment les femmes en guerrières invincibles, au moment même où
elles font tous leurs efforts pour rétablir la paix !
b. Lysistrata :
c. l’Assemblée des femmes
6. La femme et la guerre
a. Lysistrata, une pièce pacifiste ? Dans le premier affrontement avec le
chœur des vieillards, on constate que l’on peut être pacifiste sans pour
autant se montrer soumise : les femmes rivalisent, dans cet « agôn »
intensément comique, d’outrance verbale avec les hommes, menaçant
même de leur manger les entrailles, et elles finissent par les arroser
copieusement, les forçant à battre en retraite piteusement. Il faut
reconnaître que la figure féminine apparaît d’abord comme guerrière,
que ces dames s’emparent par la force de l’Acropole, ou qu’elles
affrontent vieillards ou même archers scythes ; le vocabulaire est
belliqueux, les déesses les plus souvent invoquées sont les épiclèses
d’Artémis… Sans doute faut-il voir là le vieux fantasme de l’Amazone
(cf. ci-dessus). Jusqu’au bluff : par deux fois, elles s’affirment plus
nombreuses qu’elles ne sont (v. 354-355 et 452-454). Et à chaque fois, les
hommes, terrifiés, reculent… y compris les archers scythes, pour le plus
grand plaisir du spectateur, toujours ravi de voir brocarder les
gendarmes !
b. Les figures de la Paix : des figures féminines (« Paix » contre Polémos,
Réconciliation…) ; les femmes s’entendent, les hommes en sont
incapables (Lysistrata, Paix) : cela se voit chaque fois que le groupe des
femmes affronte celui des hommes, en particulier le chœur des
vieillards : alors qu’elles avaient réussi à créer une assemblée de
femmes où les conflits entre cités n’avaient pas de place, les hommes,
eux, conservent la hargne et la haine accumulées entre les cités…
7. Retour à l’ordre masculin ?
a. La fin de Lysistrata : les femmes ne s’opposent guère à la hiérarchie des
sexes, et semblent même accepter ce que les hommes disent d’elles :
Εἰ δ’ἐγὼ γυνὴ πέφυκα, τοῦτο μὴ φθονεῖτέ μοι (v. 649) : si je
suis née femme, ne m’en faites pas un crime… Elles ne revendiquent
nullement un changement de statut, et encore moins une prise de
pouvoir ; ce qu’elles veulent, c’est le retour à un ordre que la guerre a
bouleversé. Elles ne demanderaient pas mieux que de vivre
tranquillement dans leur maison, si les hommes se montraient
raisonnables :
Ἐπεὶ ‘θέλω ‘γὼ σωφρόνως ὥσπερ κόρη καθῆσθαι,
λυποῦσα μηδέν’ ἐνθαδί, κινοῦσα μηδὲ κάρφος,
ἢν μή τις ὥσπερ σφηκιὰν βλίττῃ με κἀρεθίζῃ.
Car enfin moi je veux me tenir sagement comme une jeune fille,
sans ennuyer personne, sans bouger même un brin de paille, si personne ne
vient me prendre mon miel comme à un guêpier, et me provoquer !
b. La fin de l’Assemblée des femmes
c. La fin de la Paix
d. Les stéréotypes :
i. la femme soumise à son sexe : cf. au début de la pièce, Cléonice
n’envisageant pas d’autre « affaire » possible que le sexe (v. 2324 : « Quelle affaire ? De quelle importance ? – Grande. – Et
grosse aussi ? – et grosse tout à fait, par Zeus. – Et alors,
comment ne sommes-nous pas là ? » ; plus tard, lorsque
Lysistrata explique sa tactique à ses compagnes, consistant en
une « grève du sexe », celles-ci ont tout d’abord un vif
mouvement de recul : « Je ne saurais le faire. Tant pis, que la
guerre continue ! » ; et Lysistrata de s’exclamer : « Ὦ
παγκαταπύγον θἠμέτερον ἅπαν γένος !» (notre sexe dans son
ensemble, tout pour le c… !) ; seule Lampitô accepte, emportant du
coup l’adhésion de toutes (v. 124 sqq.)
Un peu plus tard, le second épisode commence par un coup de
théâtre : alors que Lysistrata s’était retirée sur un triomphe, après
avoir fait battre en retraite les vieillards et les archers scythes, elle
sort de la citadelle hors d’elle et désespérée ; c’est que les femmes
se révèlent incapables de tenir leurs engagements de grève du
sexe… On retrouve cette idée misogyne – mais si ancrée dans les
mentalités, jusqu’à l’aube du vingtième siècle encore… – de la
femme gouvernée par ses instincts, hystérique en somme…
ii. la femme ivrogne : c’est ainsi qu’elle apparaît, dès le début de la
pièce, comme si Lysistrata, pourtant la plus lucide et la plus
dynamique des femmes, acceptait sans discussion ce cliché :
« Ah ! si on les avait invitées à une fête de Bacchus… », aucun
doute, elles seraient accourues ! (v. 1) ; un peu plus loin, les
allusions se multiplient : « la femme de Théogénès, pour venir
ici, a levé… la coupe » (v. 63-64) ; ou encore, toujours dans la
bouche de Cléonice : « moi j’en suis, même si je devais mettre en
gage l’encycle1 que voici… et en boire l’argent le jour même. » Le
serment sera prêté « sur un pot de vin de Thasos » en guise de
mouton sacrifié, et l’on jurera « de ne jamais y verser de l’eau »
(v.194-196) ; et après la cuisante défaite subie par ses archers, le
« commissaire », beau joueur, leur reconnaît du courage… « s’il y
a un troquet dans les parages » (ἐάνπερ πλησίον κάπηλος ᾖ, v.
466)
iii. Ménades et bacchantes, prêtresses de cultes inquiétants : ces
cultes orgiaques, comme celui de Sabazios, auxquels le
« commissaire » du premier épisode fait allusion (v. 386-398),
synthétisent en quelque sorte le double caractère des femmes :
ivresse bachique et orgie amoureuse.
Bibliographie :
 Madeleine Van Oyen, Aristophane, conservateur, utopiste et féministe, article
internet : http://rdereel.free.fr/volAQ2.html
 Claude Mossé, La Femme dans la Grèce Antique, Albin Michel, 1983, 2ème édition,
éd. Complexe, 1991, 185 p.
 Nadine Bernard, Femmes et société dans la Grèce classique, Armand Colin, coll.
« cursus », 2003, 167 p.
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