Explosivité magma basaltique
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Explosivité magma basaltique
Les causes de l’explosivité des magmas basaltiques : exemples dans la Chaîne des Puys et en Islande. Le 20 juillet 2015 Les éruptions volcaniques explosives sont des phénomènes naturels majestueux, mais aussi très destructeurs (Figure 1, à gauche). Les téphras et les gaz émis dans l’atmosphère constituent une menace pour les populations environnantes et peuvent même avoir un impact sur le climat mondial, comme ce fut le cas lors de l’éruption du Pinatubo (Philippines, 1991). Figure 1 : Panache volcanique de l’éruption 2011 du Grímsvötn, Islande. Vingt minutes après le début de l’éruption, le panache du Grímsvötn atteignait déjà plus de 15 km d’altitude. C’est lorsqu’ils franchissent la tropopause (9km d’altitude en Islande) que les panaches volcaniques peuvent avoir des répercussions considérables parce que les vols long courrier ont une altitude de croisière d’environ 10km. Coupe schématique d’un volcan. En profondeur, dans le réservoir magmatique, les gaz sont dissous dans le magma. Dans la partie supérieure de cette chambre, la pression, plus faible, permet aux gaz de s’extraire partiellement du magma. Ainsi au niveau de la surface d’exsolution, de petites bulles de gaz se forment. Nous avons donc des bulles de gaz dans du magma jusqu’à la surface de fragmentation. A ce niveau, le volume occupé par le gaz devient très supérieur à celui du magma : nous avons alors des téphras dans du gaz. Schéma extrait de Fisher et Schminke (1984). Classiquement, un volcan doit son explosivité à la composition de son magma et plus particulièrement à sa teneur élevée en silice (de 60 à plus de 75% de SiO2). Le magma est alors très visqueux. A cela s’ajoute une forte teneur en gaz (pouvant attendre 6-7%). En profondeur, ces gaz sont dissous dans le magma. Au cours de la remontée de ce dernier, la solubilité des composants volatils (H2O et CO2 principalement) dans le liquide silicaté diminue, ce qui conduit à la formation et à la croissance des bulles de gaz (Figure 1, à droite). Ce processus se poursuit jusqu’à la fragmentation : le magma est alors constitué de téphras dans un flux de gaz ascendant. En raison de leur viscosité élevée, ces magmas riches en SiO2 ont tendance à former des « bouchons » en surface, appelés dômes, à l’image du Mont Saint Helens (Etats-Unis) ou du Puy de Dôme. Il est possible que certaines éruptions soient explosives même lorsqu’aucun des critères évoqués précédemment n’est respecté. Ainsi des magmas basaltiques (45<SiO2<52%) pauvres en gaz (<1-2%) peuvent générer de violentes éruptions explosives. C’est ce paradoxe que nous étudions au Laboratoire Magmas et Volcans (LMV) de Clermont-Ferrand, avec pour cibles principales les Puys de La Vache-Lassolas (Auvergne, France) et le Grímsvötn (Islande). Les Puys de La Vache-Lassolas sont deux cônes de scories égueulés par la mise en place d’une coulée, la Cheire d’Aydat, qui est à l’origine de la formation du lac d’Aydat. L’existence de cette coulée implique qu’il y a eu une phase effusive lors de l’unique éruption à l’origine de ces deux volcans, il y a 8900 ± 200 ans (datation au 14C par Didier Miallier). Toutefois, au début de cette éruption, qui dura probablement plusieurs semaines, il y eut une phase explosive qui généra un panache volcanique de plus de 10 km d’altitude, d’après les études de terrain réalisées ces deux dernières années au LMV. Il s’agirait donc d’une éruption explosive puis effusive. Grímsvötn est un volcan sous-glaciaire, situé sous le plus grand glacier d’Europe, le Vatnajökull. C’est le volcan islandais qui a généré le plus d’éruptions au cours du 20ème siècle. Habituellement le Grímsvötn a des éruptions phréatomagmatiques, dues à l’interaction du magma avec la glace : elles sont donc faiblement explosives avec des panaches ne dépassant guère les 7-8 km d’altitude, comme ce fut le cas en 2004. S’il n’était pas sous-glaciaire, ce volcan générerait essentiellement des coulées de lave. En 2011, Grímsvötn produisit cependant une éruption plinienne : son panache dépassa les 25 km d’altitude malgré une composition magmatique identique aux éruptions phréatomagmatiques. Afin d’étudier les causes de l’explosivité des éruptions des Puys de La Vache-Lassolas et de Grímsvötn (2011), nous avons échantillonné les dépôts des phases les plus explosives, broyé les téphras récoltés (3-5 kg) afin d’en extraire les cristaux (tailles comprises entre 100 et 500 µm) et sélectionné uniquement ceux qui contenaient des inclusions magmatiques. Ces inclusions sont des gouttelettes de magma piégées par la croissance de leur cristal-hôte dans une chambre magmatique (Figure 3). Après piégeage dans son cristal-hôte, chaque inclusion évolue en système fermé au cours de l’ascension magmatique : elle est isolée de l’extérieur par le cristal qui la contient. Ainsi, les inclusions magmatiques conservent la composition du magma en profondeur ainsi que les gaz dissous. Figure 2 : Inclusion magmatique (MI) dans son cristal-hôte (il s’agit ici d’un clinopyroxène). Située au cœur du cristal, cette inclusion a pu préserver sa composition profonde au cours de remontée. Le clinopyroxène, délimité par des pointillés, est enrobé par du verre matriciel, qui correspond à du magma dégazé, qui a donc perdu une grande partie des éléments volatils initialement dissous. A ce stade, nos travaux ont permis de montrer que les Puys de La Vache-Lassolas et le Grímsvötn sont alimentés par des magmas basaltiques, légèrement plus évolués dans le cas de La Vache-Lassolas (SiO2 ~ 52% contre 50% pour Grímsvötn), contenant entre 0,5 et 1,5% d’eau et des quantités significatives de volatils mineurs : S, Cl et F (≤0,5%). En plus du rôle de ces éléments volatils, l’explosivité des éruptions des Puys de La Vache-Lassolas et du Grímsvötn pourrait résulter de l’implication d’une forte quantité de CO2, le deuxième composant volatil majeur après l’eau. Le CO2 a pour particularité d’être le premier gaz à se séparer du magma au cours de la remontée, suivi à beaucoup plus basse pression par l’eau puis le S, le Cl et enfin le F. Avant l’éruption, ce CO2 a pu être stocké dans le système magmatique des deux volcans, puis être violemment libéré au début des éruptions : c’est la phase la plus explosive. Elle se termine lorsqu’il n’y a plus assez de CO2 disponible. Cela pourrait expliquer la mise en place de la coulée de lave de la Cheire d’Aydat. Nous avons estimé les quantités de S, Cl et F dégazées par le magma en comparant les teneurs en gaz dissous dans les inclusions magmatiques et dans le verre matriciel : les premières sont représentatives des teneurs en gaz dissous dans le magma initial, en profondeur, alors que les secondes correspondent aux teneurs résiduelles en gaz dans le liquide magmatique à la fin du processus de dégazage. Pour des magmas basaltiques, les deux éruptions étudiées ont en commun une relative richesse en S : de l’ordre de 0.175 et 0,340% pour les inclusions magmatiques les plus riches en soufre de Grímsvötn et du Puy de La Vache, respectivement. Dès lors, il est possible que l’abondance en SO2 ait également contribué à la remarquable explosivité de ces deux éruptions. Pour un volume érupté de 0,25 km3 (le calcul du volume ne prend en compte que les phases denses, liquide ou verre silicaté et cristaux, pas le volume de gaz émis par l’éruption), Grímsvötn a libéré 1,47 Mt de SO2, ce qui correspond à une exsolution de 60% de la quantité de S disponible lors de cette éruption. Nos calculs montrent que l’éruption desPuys de la VacheLassolas a libéré cinq fois plus de SO2 que celle de Grímsvötn en 2011 : 7,5 Mt de SO2. Cette émission beaucoup plus importante de SO2 est liée à un volume érupté plus élevé (0,45 km3), à une teneur initiale en S plus grande et à une exsolution très efficace du soufre : 90% du S dissout dans le magma en profondeur ont été dégazés lors de l’ascension et de l’éruption des magmas des Puys de la Vache-Lassolas. Ainsi, l’exsolution des composants volatils, très efficace aux Puys de la VacheLassolas, associée à une forte teneur initiale en volatils (pour un basalte), pourrait être l’une des principales causes de l’explosivité de cette éruption. Glossaire : Eruption effusive : éruption caractérisée par la mise en place d’une coulée de lave. Phréatomagmatique : se dit d’une éruption au cours de laquelle du magma entre en contact avec des eaux souterraines superficielles ou un glacier. Téphras : ensemble des matières solides et liquides provenant du magma et du conduit, transporté par les gaz volcaniques et éjectés lors d’une éruption. Inclusion magmatique : petite gouttelette (allant de 10 à 100µm de diamètre ici) de magma piégée en profondeur lors de la croissance d’un cristal au sein d’une chambre magmatique. Verre matriciel : résultat du refroidissement rapide du magma avec l’air, le verre matriciel correspond à un liquide silicaté trempé qui a perdu la plupart de ses composants volatils initiaux au cours de l’ascension et du dégazage magmatique. Il constitue près de 95 à 99% des échantillons étudiés ici. Parmi les 1-5% restants se trouvent des fragments de l’encaissant arrachés lors de la remontée du magma ainsi que les cristaux pouvant contenir les inclusions magmatiques. Exsolution des volatils : passage des composants volatils de l’état dissous dans un liquide silicaté à un état gazeux (dans une bulle de gaz) ; l’exsolution se produit systématiquement au cours de l’ascension des magmas à cause de la diminution très importante de la solubilité des composants volatils (H2O, CO2, SO2, etc.) avec la chute de la pression. Contact Baptiste HADDADI Laboratoire Magmas et Volcans, Université Blaise Pascal - CNRS - IRD, OPGC, 5 rue Kessler, 63038 Clermont Ferrand Bibliographie - Sigmarsson, O., B. Haddadi, S. Carn, S. Moune, J. Gudnason, K. Yang, and L. Clarisse (2013). The sulfur budget of the 2011 Grímsvötn eruption, Iceland, Geophys. Res. Lett., 40, 6095–6100, doi: 10.1002/2013GL057760. - Miallier, D., T. Pilleyre, S. Sanzelle, P. Boivin and P. Lanos, (2012). Revised chronology of the youngest volcanoes of the Chaîne des Puys (french Massif Central), Quaternaire, 23/4, 283-290. Ce contenu a été publié dans Autre, Sciences de la vie et de la santé. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.