1857 : Charles Baudelaire et Gustave Flaubert mis en procès
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1857 : Charles Baudelaire et Gustave Flaubert mis en procès
LITTERATURE .: 1857 : Charles Baudelaire et Gustave Flaubert mis en procès par Camila Palomo, Patrick Fasterling et Raphaël Sebastian Pour accéder à la bibliographie, cliquer ici. "Offense à la morale publique" La justice impériale poursuit en procès les deux œuvres pour « offenses à la morale publique » et à la religion ». Napoléon III et son Ministre de l’Intérieur sont les maîtres censeurs du XIXe » : ils décident si une œuvre peut paraître. En effet, les deux auteurs défendent chacun à leur manière l’idée que l’art et la beauté sont indépendants de la morale. Leurs œuvres ne cherchent pas En 1857 paraissent deux œuvres majeures de la littérature française : le recueil de poèmes de C. Baudelaire, Les Fleurs du mal, et le roman de G. Flaubert, Madame Bovary. Leur parution est aussitôt suivi d’un scandale et d’un procès. Charles Baudelaire : Il nait le 9 avril 1821 à Paris et y meurt le 31 août 1867. Son père meurt alors qu’il n’a que 6 ans et l’année suivante, sa mère se remarie avec le général Aupick qui représente tout ce que Charles n’aime pas : l’autorité et la discipline. Figure du poète maudit et torturé, Charles Baudelaire meurt à l’âge de 46 ans à cause de la syphilis, l’abus d’alcool et d’autres drogues. Son œuvre : • Les Fleurs du mal (1857) • Le spleen de Paris (1869) à dire ce qu’il est bien ou mal de penser ou de faire mais d’aborder tous les sujets, même tabous1 (les drogues, l’adultère, l’homosexualité…) et de montrer la vérité humaine, même laide. Les verdicts : Baudelaire et ses éditeurs sont condamnés à payer une amende (300 F pour l'écrivain), et sont privés de leurs droits civiques2. 6 poèmes sont censurés. Flaubert est acquitté3 et Madame Bovary est publiée quelques mois après la fin du procès. Gustave Flaubert : Il nait en décembre 1821 à Rouen et meurt en mai 1880 d’une hémorragie cérébrale, laissant inachevé son roman Boulevard et Pécuchet. Fils d’un chirurgien en chef, il renonce en 1844 à ses études de droits à cause d’une maladie nerveuse. Il se réfugie dans l’écriture et mène une vie assez solitaire dans un village de campagne. Il séjourne cependant régulièrement à Paris où il rejoint la poétesse Louise Colet. Son œuvre : • Madame Bovary (1857) • La tentation de St Antoine • Salammbô (1862) (1874) • L’éducation sentimentale (1869) • Trois contes (1877) 1. tabous : dont on ne doit pas parler. 2. « privés de leurs droits civiques » : privés de leur droit de vote 3. acquittés : jugés innocents du chef d’inculpation. LITTERATURE 1857 : Charles Baudelaire et Gustave Flaubert mis en procès Voici un résumé de ces deux œuvres célèbres désormais classiques accompagné d’un des extraits « choquants » selon le contrôle moral exercé par la censure : « Elle était donc couchée et se [laissait aimer, Et du haut du divan elle souriait [d’aise À mon amour profond et doux [comme la mer, Qui vers elle montait comme vers [sa falaise. » Extrait de « Les bijoux », poème condamné par la censure impériale à être retirée du recueil. Les Fleurs du Mal, 1857 La structure du recueil : les Fleurs du mal se composent de six sections et d'un poème initial, "Au Lecteur" : ● Spleen et Idéal montre la déchirure du poète entre un désir d’"Idéal" et la réalité du "Spleen", forme d’angoisse. ● Tableaux Parisiens sont une description de Paris qui reflète l’état intérieur malheureux du poète. ● Le vin constitue le premier paradis artificiel1. ● Fleurs du mal est le second paradis, celui de la luxure, le vice et les amours interdits (homosexualité féminine).● ● Révolte renvoie à un monde où l’on célèbre l'alliance avec Satan (prince des déchus). ● La mort apparaît comme le dernier espoir ; 1. paradis artificiel : état provoqué par les drogues. « Elle se répétait: j'ai un amant! un amant! se délectant à cette idée comme à celle d'une autre puberté qui lui serait survenue. Elle allait donc enfin posséder ces plaisirs de l'amour, cette fièvre de bonheur dont elle avait désespéré. Elle entrait dans quelque chose de merveilleux, où tout serait passion, extase, délire ». « Madame Bovary glorifie l'adultère », estime Ernest Pinard, l’avocat impérial au procès. Madame Bovary, 1857 Fille d'un riche fermier, Emma Rouault épouse Charles Bovary, médecin de campagne doux mais médiocre. Or, Emma aspire à vivre dans le monde de rêve dont parlent les romans à l'eau de rose qu'elle a lu au couvent. Bientôt Emma cède aux avances de Rodolphe. Elle veut s'enfuir avec lui qui, lâche, l'abandonne. Emma croit en mourir, traverse d'abord une crise de mysticisme. Plus tard, elle revoit Léon, revenu de Paris. Elle devient très vite sa maîtresse,. Installée dans sa liaison, Emma Bovary invente des mensonges pour revoir Léon et dépense des sommes importantes, qu'elle emprunte à un marchand trop complaisant1, Heureux. Un jour, celui-ci exige d'être remboursé. Emma tente d'emprunter auprès de Léon, puis de Rodolphe. Tous deux la repoussent, et Emma s'empoisonne avec l'arsenic dérobé chez le pharmacien. 1. complaisant : indulgent, disposé à plaire. LITTERATURE 1857 : Charles Baudelaire et Gustave Flaubert mis en procès? DECRYPTER LA PRESSE DU XIXe AU CŒUR DE LA POLEMIQUE CHARLES BAUDELAIRE Le journaliste G. Bourdin déclenche le procès des Fleurs du Mal par cet article paru dans Le Figaro le 5 juillet 1857 Le photographe Nadar justifie Les Fleurs du mal dans Le Moniteur Universel le 14 juillet 1857 « Il y a des moments où l'on doute de l'état mental de M. Baudelaire, il y en a où l'on n'en doute plus - c'est, la plupart du temps, la répétition monotone des mêmes mots, des mêmes pensées -. L'odieux y coudoie1 l'ignoble, le repoussant s'y allie à l'infect 2. (...) Jamais on n'assista à une semblable revue de démons, de fœtus, de diables, de chloroses3, de chats et de vermines4 (Ce livre est un hôpital ouvert à toutes les démences5 de l'esprit, à toutes les putridités6 du cœur). Si l'on comprend qu'à vingt ans, l'imagination d'un poète puisse se laisser entraîner à de semblables sujets, rien ne peut justifier d'un homme de plus de trente, d'avoir donné la publicité du livre à de semblables monstruosités. » « (…) Je cherche à rendre l’impression du livre, je tâche d’être compris plutôt que je n’explique ma pensée. Le feuilleton parle pour tout le monde. Un livre comme Les Fleurs du mal ne s’adresse pas à tous ceux qui lisent le feuilleton. En donnerai-je une idée plus précise ? En rattacherai-je la forme au souvenir de quelque forme littéraire ? (…) Le poète ne se réjouit pas devant le spectacle du mal. Il regarde le vice(1) en face, mais comme un ennemi qu’il connaît bien et qu’il affronte. (…) Il a écrit la vérité dernière. Il ne s’est pas menti à lui-même. Il n’a menti à personne. Les fleurs du mal ont un parfum vertigineux. Il les a respirées, il ne calomnie2 pas ses souvenirs. Il aime son ivresse en se la rappelant, mais son ivresse est triste à faire peur. Il n’accuse pas autrement, il ne se plaint pas autrement, il est triste. Une lumière manque à son livre pour l’éclairer, une sorte de fable pour en déterminer le sens. (…) Les Fleurs du mal, un chef-d’œuvre de réalité sauvage, un livre du plus grand style et d’une férocité magistrale, on le fait (quand on peut le faire), on ne le recommence plus.» Analyse du document Vocabulaire péjoratif : « monotone », « odieux », « ignoble », « repoussant », « infect », « démons », « diables », « chloroses », « vermines », « démences », « putridités », « monstruosités » → se rapportent au contenu des Fleurs du mal. Prise de position des l’auteur dans le débat Il critique Les Fleurs du mal et leur auteur avec une grande violence. Arguments pour défendre sa position : ● Il dit que le livre est ennuyant car les mêmes thèmes et le même vocabulaire reviennent d’un poème à l’autre. ● Il dit que le contenu de l’œuvre est laid. ● Il attaque la personne de Baudelaire en insinuant que Baudelaire est fou : « on doute de l’état mental de M. Baudelaire ». Il insinue aussi qu’il est possédé (présence incessante du vocabulaire du diabolique). 1. coudoyer : être côte à côte 2. infect : qui dégoûte 3. chlorose : maladie du sang 4. vermine : parasites 5. démence : folie 6. putridité : caractère de [ ce qui pourrit Analyse du document Vocabulaire mélioratif : « vérité », « parfum vertigineux », « un chef-d’œuvre », « grand style », « magistrale ». → se rapportent aux Fleur du mal. Prise de position de l’auteur dans le débat : Nadar admire les Fleurs du mal pour la vérité qu’on y trouve. Arguments pour défendre sa position : ● Le poète est un homme courageux car il est honnête avec lui-même : « il regarde le vice en face ». ● La tristesse que l’on trouve dans le recueil est envoûtante car vraie : « il aime son ivresse en se la rappelant mais son ivresse est triste à faire peur ». ● Le recueil des Fleurs du mal plaît donc pour sa tristesse même, sa « réalité sauvage ». 1. vice : disposition naturelle à faire le mal. 2. calomnie : fausse accusation qui blesse la réputation, LITTERATURE 1857 : Charles Baudelaire et Gustave Flaubert mis en procès? GUSTAVE FLAUBERT Armand de Pontmartin critique Madame Bovary dans Le correspondant paru le 25 juin 1857 E. Faguet commente G. Flaubert dans son livre Flaubert paru en 1899 : « Madame Bovary, c'est l'exaltation maladive des sens et de l'imagination dans la démocratie mécontente. (…) Auguste Émile Faguet (1847« Mme Bovary, l’immor1916) est un écrivain et telle Mme Bovary, aussi critique littéraire français. Il immortelle que l’immortel écrivit de nombreux Homais, est le plus complet ouvrages qui ont formé des portrait de femme que je générations d’étudiants. connaisse dans toute la littérature, y compris Shakespeare, y compris Blazac. Pour elle Flaubert ne s’est pas contenté de nous suggérer sa biographie ; il a fait sa biographie toute entière, minutieusement, patiemment, année par année, quelquefois jour par jour (…). C’est la vie entière d’une âme qui se déroule sous nos yeux, avec la logique immanente1 qui préside aux démarches d’une âme humaine. (…) Placez une femme, une fille de fermier, (…), vulgaire avec de faux instincts d'élégance, disposée par une éducation incomplète à toutes les fâcheuses influences d'un idéal bâtard, d'un roman frelaté1 et d'un mysticisme2 de bas étage, mariée à un homme besogneux et borné qui lui donne les semblants du bien-être sans lui en assurer les douceurs ; (…) se débattant dans le contraste de la petitesse de ses joies avec l'immensité de ses songes, et y persistant jusqu'au désespoir, jusqu'à la ruine, jusqu'au crime, jusqu'au suicide ; vous aurez Madame Bovary. C'était là le sujet, et, (…) nous pensions que l'idée d'une grande leçon s'était jointe chez M. Flaubert à la manie de tout peindre, et avait pu faire pardonner, ou du moins acquitter quelques peintures excessives. Mais non, cela n'est pas et ne pouvait pas être. Ce système tout impersonnel qu'on a salué chez l'auteur de Madame Bovary lui interdisait de prendre parti pour ce qui aurait pu protéger et sauver son héroïne contre ce qui la déprave et la perd. Cet égalitarisme sans bornes s'oppose à toute manifestation, à toute préférence religieuse ou morale de la conscience ou du cœur, de même qu’il assigne exactement la même valeur aux objets inanimés, voire aux choses immondes et grossières, qu'à la figure de l'homme et aux sentiments humains. Aussi l'idée d'une leçon, même incomplète, chez les écrivains de cette école3, est inadmissible. » Analyse du document Quand à la moralité de l’œuvre, je n’en dirai rien du tout. Madame Bovary peut être funeste ou salutaire. (…) Si l’on veut, en reprenant le mot célèbre qui n’est pas juste du tout, ce livre est moral comme l’expérience. Seulement l’expérience n’est pas morale. Elle n’est pas immorale non plus. (…) Elle enseigne un entre-deux, qui est fait de prudence et de soin d’éviter l’excès en toutes choses, en bien comme en mal. Elle enseigne l’ordre, la régularité, la probité2, l’exactitude et la prévoyance. Tout livre réaliste, par définition, s’il est bien fait, enseignera cela et n’enseignera pas autre chose. Madame Bovary est un livre réaliste très bien fait. » » Analyse du document Vocabulaire péjoratif : …. → se rapportent au personnage d’Emma et à la manière d’écrire le roman. Prise de position de l’auteur dans le débat : Armand de Pontmartin ne comprend pas le succès de Madame Bovary qu’il critique. Vocabulaire mélioratif : « immortelle », « le plus . complet », « l’expérience », « l’ordre », « la régularité », « la probité », « l’exactitude », « prévoyance », « très bien fait » → se rapportent au personnage d’Emma et au roman. Prise de position de l’auteur dans le débat : Emile Faguet considère que Madame Bovary est un chef-d’œuvre du réalisme. Arguments pour défendre sa position : ● Il dit que les personnages du livre sont médiocres. ● Il critique l’abondance des descriptions (« la manie de tout peindre ») et l’objectivité avec laquelle les auteurs réalistes font le récit : « ce système tout impersonnel », « l’idée d’une leçon… est inadmissible ». Arguments pour défendre sa position : ● Il dit que le portrait d’Emma est le meilleur jamais fait par un écrivain (cf. les superlatifs). ● Il dit que Madame Bovary n’est pas un roman immoral mais un roman montrant la réalité. Donc, comme l’expérience, il sert d’exemple pour penser avant d’agir et faire le bon choix. 1. frelaté : falsifié, factice 2. mysticisme : exaltation religieuse 2 les écrivains de cette école : les écrivains du mouvement réaliste 1. immanent : qui existe à l’intérieur même des êtres. 2. probité : honnêteté, intégrité