Le chronographe de poche suisse
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Le chronographe de poche suisse
Critique Le chronographe de poche suisse En décembre dernier, l’association suisse des amateurs d’horlogerie célébrait son 40e anniversaire (cf. Gold’Or 9/15). A l’occasion de ce jubilé, Chronométrophilia publie un ouvrage extraordinaire ayant pour sujet le chronographe de poche en Suisse et les fabricants de cet instrument. Ce livre format jumbo 25 x 42 centimètres, d’un poids de deux kilogrammes et à la reliure blanche éclatante ne va certainement pas se perdre sur les tables de travail et les rayons des bibliothèques. Pour l’impression, on choisit un papier mat qui reproduit à merveille les 800 photos couleur et les 160 dessins de calibres répartis sur 240 pages. L’ouvrage est aussi bien un chef-d’œuvre technique qu’une œuvre d’art, tout comme les instruments qu’il décrit. Pour le collectionneur de chronographes il est un instrument de travail permettant d’identifier la manufacture qui a produit un calibre donné et qui souvent a été le simple fournisseur de la marque prestigieuse apparaissant sur le cadran. L’auteur Joël Pynson est ophtalmologue et chercheur en biomédecine; son hobby est le chronographe de poche suisse dont on n’avait jusqu’à présent jamais fait d’étude systématique. Afin de combler cette lacune, il visita les musées d’horlogerie du monde entier et s’entretint avec un grand nombre de connaisseurs pendant plus de 20 ans. Les rédacteurs et co-auteurs de l’ouvrage sont Marco Richon, ancien Conservateur du Musée Omega à Bienne et Jean-Michel Piguet au Musée International d’Horlogerie à La Chaux-deFonds. graphique est intéressante et attractive. C’est la raison pour laquelle beaucoup de personnes (surtout des hommes) achètent des chronographes sans vraiment avoir besoin de cette fonction. Modules de compteur pour mouvements standards Les compteurs existaient déjà à la fin du XVIIIe siècle, avec des poussoirs pour marche, arrêt et remise à zéro. L’intégration dans une montre fut l’œuvre de Louis-Frédéric Perrelet; il l’appela «montre à secondes sauteuses». Celle-ci fut le prédécesseur du chronographe rattrapante moderne conçu par l’horloger autrichien Thaddeus Winnerl, établi à Paris. Sa contribution majeure fut l’invention du cœur en 1836: il permet à l’aiguille des secondes de sauter à zéro dans le temps minimal, quelle que soit sa position. Au milieu du XIXe siècle, tous les éléments techniques existaient pour intégrer des mécanismes de compteur à des mouvements standards, qu’ils soient suisses ou britanniques. En 1861, l’entreprise Nicole & Capt dans la Vallée de Joux exportait les premiers modules de ce genre à Londres. Tout se développa très rapidement par la suite, la demande connut une croissance très forte. En conséquence, toutes les grandes marques de montre furent obligées d’avoir des chronographes dans leur répertoire. Conformément à la mission de Chronométrophilia, l’ouvrage est bilingue: l’original français sur la colonne de gauche de chaque page, la version allemande, linguistiquement quasiparfaite sur la colonne de droite. On doit cette version à un team de 9 traducteurs sous la direction d’Emanuel Bez et Paul Mühlheim. Cela était facile, vu l’abondance de fabricants suisses de modules intégrables, souvent cachés sous le cadran, ainsi que de mouvements complets. Le texte en introduit 80 des plus importants, illustrant aussi bien la montre complète que le mouvement. Mais à partir de 1920, les chronographesbracelets apparurent sur le marché: le chronographe de poche se muta rapidement en article de niche pour collectionneurs et amateurs. On en fabrique pourtant encore de petites séries dans la Vallée de Joux et à Genève. Montre et compteur Au niveau linguistique, l’expression «chronographe» est une aberration. Traduit littéralement du grec, elle siChronographe avec compteur de 60 minutes intégré (engnifie «enregistreur du temps» alors viron 1890), calibre Ch. H. Meylan. qu’absolument rien n’est enregistré. «Chronoscope» (grec pour «voir l’heure») serait préférable, mais cette expression est elle aussi ambigüe. Une lacune regrettable L’erreur est due à un certain Nicolas-Matthieu de Rieussec, qui conCet admirable ouvrage a un seul et grand défaut: les aspects technostruisit en 1821 un vrai chronographe, un compteur-enregistreur sans logiques du chronographe et leur développement ont été totalement la fonction montre. L’enregistrement se faisait par une plume encrée négligés. Pour le lecteur non-horloger mais avide d’apprendre, une marquant des points sur un disque émaillé pourvu d’une échelle des simple énumération des organes d’un chronographe sans explication secondes et qui faisait un tour par minute. Le nombre de tours appagénéralement accessible est totalement insuffisante. raissait dans une fenêtre au haut de l’instrument. Les points marqués par la plume se laissaient facilement effacer, l’échelle pouvait donc Dans son inégalable ouvrage «A Revolution in Time» David S. Landes être réutilisée indéfiniment. a trouvé le juste équilibre: histoire, descriptions, rencontres et anLe chronographe moderne par contre est une montre avec la fonction supplémentaire de compteur: c’est une des complications classiques de la montre. L’indication de l’heure est indépendante de la fonction compteur: elle a sa propre aiguille des secondes. Les secondes, minutes et heures accumulées par le compteur sont indiquées sur deux ou trois échelles auxiliaires placées sur le cadran; leur structure 63 ecdotes dans le texte principal, schémas et descriptions des organes principaux d’une montre mécanique et électronique en bonne vulgarisation dans l’annexe. «Le chronographe de poche suisse» aurait énormément gagné s’il avait tenu compte des mécanismes dont l’ouvrage parle sans malheureusement expliquer leur fonctionnement. Lucien F. Trueb