Mac Mahon - Centre beaunois d`études historiques

Transcription

Mac Mahon - Centre beaunois d`études historiques
LES MAC MAHON
E
DANS LA DEUXIEME MOITIE DU XVIII SIECLE :
FORTUNE ET INFORTUNES D’UNE FAMILLE ARISTOCRATIQUE
BOURGUIGNONNE
Conférence présentée au château de Sully le samedi 15 juillet 2006
par Jérôme SIRDEY et Sonia DOLLINGER
L’initiative de cette conférence revient à la duchesse de Magenta et à son assistante
Florence Bouvard. Voici plusieurs mois, cette dernière nous avait en effet proposé différents
sujets d’intervention, l’un notamment sur la famille Mac Mahon sous la Révolution. Après
réflexion, nous avons retenu cette idée mais en élargissant le champ d’étude à la seconde
moitié du XVIIIe siècle. Nous craignions, d’une part, qu’un sujet purement révolutionnaire ne
s’avère trop limitatif et ne nous fournisse pas assez de matière pour une conférence. D’autre
part, le milieu du XVIIIe siècle coïncide avec l’installation à Autun de Jean-Baptiste Mac
Mahon. Il semblait donc intéressant de revenir sur l’implantation de la famille en Bourgogne
et de mesurer sa place dans la société d’Ancien régime avant d’aborder la période
révolutionnaire.
Les documents que nous avons consultés aux Archives départementales de Saône-etLoire et de la Côte-d’Or ainsi qu’à la Bibliothèque de la Société éduenne à Autun nous
renseignent avant tout sur la fortune des Mac Mahon. C’est donc sur cet aspect que nous
avons centré nos propos.
I
UN BEAU MARIAGE
Jean-Baptiste Mac Mahon s’établit à Autun au début des années 17401. Il était issu
d’une famille de la noblesse irlandaise2. Né à Limerick en 17153 – il avait donc environ 25
ans lorsqu’il arriva en Bourgogne, il était le fils du chevalier Patrice Mac Mahon et de
Marguerite O’Sullivan4. Selon Paul Montarlot, « l’attachement de sa famille à la cause des
1 Sur Jean-Baptiste Mac Mahon et son épouse Charlotte Lebelin, lire GUYTON (Louis-Marie), « Recherches historiques sur les
médecins et la médecine à Autun », Mémoires de la Société éduenne, t. 2, 1873, p. 107-109 et 143-144 et MONTARLOT (Paul), « Les
accusés de Saône-et-Loire aux tribunaux révolutionnaires (fin) », Mémoires de la Société éduenne, t. 29, 1901, p. 243-249. On
consultera également avec profit le manuscrit 56 de la Bibliothèque de la Société éduenne (désormais BSE) à Autun : BOËLL
(Charles), Fiefs et arrières-fiefs de l’Autunois, dossier Sully. Nous nous sommes largement appuyés sur ces travaux en essayant de
remonter, le plus possible, aux documents originaux sur lesquels s’étaient fondés leurs auteurs.
2 Dans la requête qu’il adressa au conseil d’Etat en 1750, Jean-Baptiste Mac Mahon fait remonter sa généalogie au « très illustre
seigneur Térence Mac Mahon prince de Cloindirala mort en 1472 » (Archives départementales de la Côte-d’Or (désormais ADCO)
B 12131, f° 173 v°).
3 Il fut baptisé le 23 juin 1715 (ADCO, B 12131, f° 173 v°).
4 Archives départementales de Saône-et-Loire (désormais ADSL), 4 E 530 / 2, registre de la paroisse de Sully, acte de mariage de
Jean-Baptiste Mac Mahon et Charlotte Lebelin, 13 avril 1750 ; BSE CR 19, Mémoire sur la noblesse de Jean-Baptiste de Mac-Mahon,
chevalier, marquis d’Eguilly, 1763, p. 8.
@ Jérôme SIRDEY et Sonia DOLLINGER
Stuarts l’avait forcé à s’expatrier5 ». Un mémoire imprimé en 1763, lorsque Jean-Baptiste dut
répondre aux attaques des nièces des frères Morey, précise que « jusqu’à l’âge de seize ans, le
sieur de Mac-Mahon fut élevé en Irlande dans le sein de sa famille. Ses parents l’envoyèrent
alors à Paris pour y terminer ses études, & le placèrent au Collège de la Marche6. » JeanBaptiste Mac Mahon opta ensuite pour la médecine et obtint son doctorat à l’université de
Reims le 4 août 17407. Si l’on en croit le mémoire de 1763, cité précédemment, il « se
disposoit [alors] à quitter la France ». Mais « une maladie de langueur survint & l’empêcha
de réaliser son projet. Invité par un curé voisin de la ville d’Autun de venir chez lui rétablir
sa santé, il profita de ses offres. Ce curé, Irlandais comme lui, avoit été son Régent au collège
de la Marche. Le sieur Mac-Mahon s’y rendit sur la fin de l’année 17418 ». Ainsi, selon JeanBaptiste Mac Mahon lui-même, c’est à la faveur d’une maladie et sur l’invitation de l’un de
ses anciens professeurs qu’il arriva dans la région autunoise où il devait s’établir
durablement9. Du reste, il ne fut pas l’unique représentant de sa famille à quitter l’Irlande10 :
son frère, Maurice, chevalier de Malte, vint lui aussi s’installer en France où il servit dans les
armées du roi11.
Jean-Baptiste Mac Mahon acquit rapidement une bonne réputation à Autun. Dans une
délibération du 16 février 1742, le chapitre cathédral de la ville loue ses qualités : « depuis un
an environ que le sieur Mac-Mahon, docteur en médecine de la faculté de Reims […], exerce
dans la ville d’Autun les fonctions de cette profession, il s’en est acquitté avec autant de
probité que d’habileté ». Le chapitre ajoute plus loin « qu’il s’est rendu aussi estimable par
sa religion et sa piété que par ses lumières et sa science ». Les chanoines d’Autun souhaitent
donc « qu’il fixe sa demeure dans ladite ville pour y continuer ses services12 ». Cinq mois
plus tard, le 26 juillet 1742, Jean-Baptiste Mac Mahon était accepté au sein du collège des
médecins d’Autun13.
Parmi sa clientèle, figurèrent bientôt les trois frères Morey14 : Claude15 ; JeanBaptiste-Lazare, gouverneur de Vézelay, qui avait épousé en 1737 Charlotte Lebelin, sa jeune
5 MONTARLOT (Paul), art. cit. note 1, p. 245. Un mémoire de 1763 affirme que « le trysayeul du sieur de Mac-Mahon avoit été
dépossédé de ses terres pour cause de sa loyale fidélité au roi Charles II. d’Angleterre » (BSE CR 16, mémoire pour Jean-Baptiste Mac
Mahon et Charles [sic] Lebelin contre Reine et Anne Cortelot, 1763, p. 5-6 ; en italique dans le texte. Ce document sera désormais
cité sous la forme abrégée suivante : mémoire 1763). Lorsqu’il demande la reconnaissance de sa noblesse en 1750, Jean-Baptiste
Mac Mahon insiste sur le fait que « les Mac Mahon sont connus en France ; depuis le malheur du roy Jacques second [Jacques II
d’Angleterre qui dut s’exiler en 1688], plusieurs gentilhommes de ce nom ont servi avec distinction dans les troupes françoise ; milord
Tirconnel, par ordre de Louis quatorze, mit à la tête de quatre régimens quatre Mac Mahon dont trois passèrent en France et les régimens
irlandois qui ont depuis servi en France ont toujours été remplis d’officiers de cette maison » (ADCO, B 12131, f° 173 r°).
6 BSE CR 16, mémoire 1763, p. 6.
7 BSE CR 18, mémoire pour Reine et Anne Cortelot contre Jean-Baptiste Mac Mahon et Charlotte Lebelin, 1762, p. 4. Ce
document sera désormais cité sous la forme abrégée suivante : mémoire 1762.
8 BSE CR 16, mémoire 1763, p. 7-8.
9 Les nièces des frères Morey qui cherchaient à ternir l’image de Jean-Baptiste Mac Mahon affirment, dans leur mémoire de
1762, que « son entrée [à Autun] y fut humble & obscure ». (BSE CR 18, mémoire 1762, p. 6).
10 Nous nous limitons ici à la famille proche. Dans la supplique qu’il fit parvenir au conseil d’Etat en 1750, Jean-Baptiste Mac
Mahon indique que de nombreux Mac Mahon ont servi dans les armées françaises (voir supra note 5). Il cite ainsi Térance Mac
Mahon, chevalier, baron d’Irlande au comté de Clare, capitaine, qui fut tué en 1706 à la bataille de Ramillies (à proximité de
Louvain dans l’actuelle Belgique ; victoire des troupes anglaises sur les armées franco-espagnoles durant la guerre de la
Succession d’Espagne ; ADCO, B 12131, f° 173 r°).
11 En 1775, il était maître de camp de cavalerie (ADSL, E 321, pièce n°8, acte de liquidation des biens de Charlotte Lebelin et de
la succession de Jean-Baptiste Mac Mahon, 30 septembre 1776). Courtépée indique qu’il possédait la terre de Chasson (paroisse
de Magnien, à proximité d’Arnay-le-Duc ; COURTEPEE (Claude), Description générale et particulière du duché de Bourgogne précédée
de l’abrégé historique de cette province, 2e éd., Dijon, Victor Lagier, 1847-1848, t. 4, p. 71). A la fin de l’Ancien Régime, Maurice Mac
Mahon logeait à Paris rue du regard, paroisse Saint Sulpice ; c’est là que descendait la famille de Jean-Baptiste lorsqu’elle se
rendait dans la première ville du royaume. Charlotte Lebelin y passa notamment un bail en 1778 (ADSL, E 321, pièce n° 9, bail
du 28 mars 1778).
12 Cité dans MONTARLOT (Paul), art. cit. note 1, p. 245 note 1.
13 BSE CR 18, mémoire 1762, p. 6.
14 Selon un mémoire de 1762, Jean-Baptiste Mac Mahon devint le médecin de la famille Morey en 1746 à l’occasion d’une
maladie de Jean-Baptiste-Lazare (BSE CR 18, mémoire 1762, p. 9).
Les Mac Mahon dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle : fortune et infortunes d’une famille aristocratique bourguignonne
cousine – elle avait environ 45 ans de moins que son époux -, fille de Jean Lebelin, seigneur
d’Eguilly, et d’Anne de Morey16 ; Jacques, enfin, chanoine de la cathédrale d’Autun, prévôt
de Sussey et prieur de Mesvres. Les frères Morey disposaient d’une très importante fortune.
Ils possédaient notamment le marquisat de Vianges – à proximité de Liernais – auquel était
unie la baronnie de Sully17, la terre de Viévy aux confins de l’Autunois et de l’Arnétois, les
seigneuries de Saint-Agnan, la Bondue, Charnay et Perrigny, à l’ouest de Digoin et celle de
Cuzy, entre Luzy et Toulon-sur-Arroux18 (cf. figure 2). Jean-Baptiste Mac Mahon prodiguait
ses soins à ses patients riches et âgés – les frères Morey étaient nés dans les années 1660 et
1670 – soit en leur hôtel à Autun19, soit en leur château de Sully. C’est de ce dernier lieu que,
le 9 septembre 1747, il écrivit à son confrère beaunois, le docteur Vivant-Augustin Ganiare
(lettre reproduite à la page suivante)20. Jean-Baptiste-Lazare de Morey décéda sans enfant en
janvier 1748. Il laissa un douaire confortable à sa veuve mais l’essentiel de ses biens revint à
son frère Claude21.
La disparition du gouverneur de Vézelay ne fit que renforcer les liens entre JeanBaptiste Mac Mahon et la famille Morey. « Dès le commencement de 1748, le sieur de MacMahon avoit cessé tout exercice de sa profession ; cependant ce ne fut que vers la fin de cette
année qu’il se fixa chez les sieurs de Morey22. » C’est sous leur toit – à moins qu’elle n’existât
avant – que se noua la liaison entre l’ancien médecin et Charlotte Lebelin. Celle-ci tomba
enceinte et cette grossesse23 précipita un mariage que Jean-Baptiste Mac Mahon s’employait à
rendre socialement acceptable. En 1749, il se fit naturaliser français24 ; le 3 juillet 1750, le roi
Louis XV reconnut « ledit sieur Jean-Baptiste Mac Mahon pour noble de nom et d’armes » et
le maintint « dans sa noblesse d’ancienne extraction25 ». Toutefois, les futurs n’avaient pu
attendre jusqu’à cette date. Le 13 avril 1750, ils s’étaient unis discrètement à Sully26, quatre
mois et demi avant la naissance de Françoise-Claudine de Mac Mahon qui eut pour parrain
Claude de Morey, marquis de Vianges, et pour marraine Françoise Bureau, épouse de Charles
Blanchet écuyer27.
Claude de Morey perdit son épouse en 1746. L’unique fille qui lui restait, Marie-Catherine, était religieuse à Avallon. Elle
décéda en 1758 soit 3 ans avant son père (BSE, manuscrit 56 : BOËLL (Charles), Fiefs et arrières-fiefs de l’Autunois, dossier Sully).
16 BSE CR 18, mémoire 1762, p. 8 ; ADSL, 4 E 530 / 2, registre de la paroisse de Sully, acte de mariage de Jean-Baptiste Mac
Mahon et Charlotte Lebelin, 13 avril 1750.
17 Courtépée note que Sully « est une baronnie unie au marquisat de Vianges dont les dépendances sont Sully en Duché avec le clocher,
Barnai en Duché, Igornay, Chansigny, Petit-Moloy, Repas, Savigny-le-Jeune, Creuzefond ». Sully et Barnay en Royauté, par opposition
à Sully et Barnay en Duché, dépendaient de la justice de l’évêque d’Autun (COURTEPEE (Claude), op. cit. note 11, t. 2, p. 561 et
593. La citation figure à cette dernière page).
18 ADSL, 3 E 15 791, donation du 9 novembre 1754 ; E 321, pièce n°1, donation du 19 juin 1757.
19 Jean-Baptiste-Lazare de Morey avait acquis l’hôtel Bretagne à Autun en 1737 (ADSL, 3 E 15 791, donation du 9 novembre
1754). Cette maison se situe au numéro 5 de l’impasse du Jeu-de-Paume (FONTENAY (Harold de), Autun et ses monuments,
Autun, Dejussieu père et fils, 1889, p. 391-392).
20 Bibliothèque Gaspard Monge (Beaune) Ms 278, lettre de Jean-Baptiste Mac Mahon à son confrère Gagniard de Beaune, 9
septembre 1747.
21 BSE, manuscrit 56 : BOËLL (Charles), Fiefs et arrières-fiefs de l’Autunois, dossier Sully. D’après l’auteur, Charlotte Lebelin reçut
90 000 livres pour son douaire.
22 BSE CR 16, mémoire 1763, p. 14.
23 Les nièces des frères Morey qui intentèrent un procès contre le couple ne manquèrent pas de souligner ce fait. Dans leur
mémoire de 1762, elles notent qu’une « grossesse imprévue que le Médecin [Jean-Baptiste Mac Mahon] ne put ou ne voulut cacher,
obligea la veuve du Gouverneur [Charlotte Lebelin] de descendre à un mariage moins humiliant pour elle que la cause qui l’y forçoit »
(BSE CR 18, mémoire 1762, p. 14).
24 BSE CR 16, mémoire 1763, p. 13.
25 ADCO, B 12131, f° 174 r°. Par sa lettre du 23 juillet 1750, le roi notifia cet arrêt rendu en conseil d’Etat au Parlement et à la
chambre des comptes de Bourgogne (ADCO, B 12131, f° 174 r° et v°).
26 ADSL, 4 E 530 / 2, registre de la paroisse de Sully, acte de mariage de Jean-Baptiste Mac Mahon et Charlotte Lebelin, 13 avril
1750. L’acte ne mentionne que quatre témoins : Rousset, chanoine de l’église collégiale d’Autun, Martial Belin, procureur
d’office de Sully, Guillaume Boussard, vigneron à Morgelle et Guillaume Regnaud, laboureur à Sully. Jean-Baptiste Mac Mahon
et Charlotte Lebelin avaient obtenu de l’évêque d’Autun une dispense de deux bans, ce qui présentait le double avantage de
limiter la publicité de l’événement et de gagner du temps.
27 ADSL, 4 E 530 / 2, registre de la paroisse de Sully, acte de naissance de Françoise-Claudine de Mac Mahon, 30 août 1750.
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CBEH Recueil 2006 Tome 24
@ Jérôme SIRDEY et Sonia DOLLINGER
Lettre de Jean-Baptiste Mac Mahon à son confrère beaunois Vivant-Augustin Ganiare
(9 septembre 1747)
Bibliothèque Gaspard Monge (Beaune), Ms 278.
Dans un style alerte, Jean-Baptiste Mac Mahon informe son collègue du malaise dont a été victime Monsieur Lamare.
On remarquera la signature, simple mais assurée.
L’alliance que Jean-Baptiste Mac Mahon venait de contracter s’avérait des plus
avantageuses. En épousant Charlotte Lebelin, il entrait dans la noblesse bourguignonne : il
pouvait désormais porter le titre de seigneur d’Eguilly et se parer de l’avant-nom prestigieux
de « messire ». Il se retrouvait par ailleurs à la tête d’une belle fortune. Dans le contrat de
mariage que les futurs passèrent le 9 avril 1750, les biens de Jean-Baptiste sont estimés
50 000 livres ; ceux de son épouse 210 000 livres28. C’est ce mariage encore qui, quelques
années plus tard, permit aux Mac Mahon d’associer leur nom au château de Sully.
28 Le contrat de mariage de Jean-Baptiste Mac Mahon et Charlotte Lebelin, passé devant Lamare, notaire à Igornay, n’a pas été
retrouvé. Les renseignements fournis ici sont tirés de l’acte de liquidation des biens de Charlotte Lebelin et de la succession de
Jean-Baptiste Mac Mahon (ADSL, E 321, pièce n° 8, 30 septembre 1776).
Les Mac Mahon dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle : fortune et infortunes d’une famille aristocratique bourguignonne
Le couple bénéficia rapidement des faveurs des Morey. En 1754, Claude de Morey fit
donation à sa cousine Charlotte Lebelin du marquisat de Vianges dont faisaient partie Sully,
Barnay, Igornay, Champsigny, Champecueillon, Repas et le Petit Moloy, de la terre de Viévy,
le Défens, Thoreille, Morey, Auxerain et Uchey en partie, de celle de la Cave située sur la
paroisse de Viévy et de la maison Bretagne à Autun. Claude de Morey et son frère se
réservaient l’usufruit des biens mais la marquise d’Eguilly était d’ores et déjà assurée de leur
propriété29. Trois ans plus tard, Claude de Morey donna à Jean-Baptiste Mac Mahon et à son
épouse les terres de Cuzy, Lavaut, Montigny et Champoux évaluées 60 000 livres. Cette foisci, l’entrée en jouissance était immédiate. En contrepartie, le couple était tenu de verser une
pension annuelle de 3 000 livres au donateur ou à son frère30. Enfin, en 1757, Claude de
Morey institua comme héritier universel son frère Jacques et à son défaut Charlotte Lebelin
ou ses enfants31. Ainsi, lorsqu’il s’éteignit en octobre 1761 – deux ans après son frère –,
l’ensemble de la fortune des Morey se retrouva aux mains des Mac Mahon-Lebelin.
Se sentant spoliées, les nièces des frères Morey32, Reine Cortelot, veuve de Hugues de
Maizières, seigneur de Vaivres et de Vanteaux, et Anne Cortelot, veuve de Charles Richard
qui était conseiller au Parlement de Bourgogne, intentèrent un procès à l’encontre de
Charlotte Lebelin et de Jean-Baptiste Mac Mahon. Elles les accusèrent de captation d’héritage
et demandèrent l’annulation des donations et du testament de Claude de Morey33. Leurs
attaques contre Jean-Baptiste Mac Mahon sont particulièrement virulentes34 : elles voient en
lui « un de ces hommes qui, isolés dans leur propre nation, inconnus dans une autre,
expatriés par l’indigence, portent par-tout avec eux les ressources de leur obscurité
première ». Elles le présentent comme « un étranger avide » et dénoncent les manœuvres
grâce auxquelles « l’héritage d’une famille distinguée, objet de plus de deux millions, est
devenu sa dépouille35 ». Le couple Mac Mahon Lebelin répliqua sans tarder en produisant
plusieurs factums dans lesquels ils exposaient leur défense. Jean-Baptiste Mac Mahon fit
notamment imprimer en 1763 un mémoire fournissant les preuves de sa noblesse afin de faire
taire toute contestation au sujet de ses origines36. La justice se prononça en faveur des sieur et
dame d’Eguilly qui purent ainsi conserver l’imposant patrimoine des Morey.
Grâce à de gros héritages, grâce aussi à une politique active d’acquisitions, le couple
Mac Mahon-Lebelin accumula une fortune considérable.
29 ADSL, 3 E 15 791, donation du 9 novembre 1754. Le revenu annuel de toutes ces terres était estimé à 23 985 livres. On saisit à
travers ce chiffre l’importance de la donation faite à la dame d’Eguilly.
30 ADSL, E 321, pièce n°1, donation du 19 juin 1757.
31 BSE, manuscrit 56 : BOËLL (Charles), Fiefs et arrières-fiefs de l’Autunois, dossier Sully. L’auteur indique que le testament de
Claude de Morey a été rédigé le 22 juin 1757. L’acte de liquidation des biens de Charlotte Lebelin et de la succession de JeanBaptiste Mac Mahon donne cependant la date du 27 juillet 1757 (ADSL, E 321, pièce n° 8, 30 septembre 1776).
32 Elles étaient les filles de Reine de Morey, sœur de Claude, Jean-Baptiste-Lazare et Jacques de Morey, et de Jean Cortelot.
33 Nous avons retrouvé 6 factums relatifs à cette affaire : pour Reine et Anne Cortelot contre Jean-Baptiste Mac Mahon et
Charlotte Lebelin, un mémoire imprimé en 1762 (un exemplaire à la BSE sous la cote CR 18 ; un second aux ADCO sous la cote
E 1238) et un précis de 1763 (ADCO, E 1238) ; pour Jean-Baptiste Mac Mahon et Charlotte Lebelin contre les dames Cortelot,
deux mémoires dont l’un s’intitule Mémoire sur la noblesse de Jean-Baptiste de Mac-Mahon, chevalier, marquis d’Eguilly et un précis
imprimés en 1763 (BSE CR 16, CR 19 et CR 17 ; le mémoire coté CR 16 figure aussi aux ADCO sous la cote E 1238) et des
Observations non datées (Archives de la Société éduenne à Autun, Série G, dossier Mac Mahon et ADCO, E 1238).
34 Charlotte Lebelin est relativement épargnée. Aux yeux des dames Cortelot, « elle fut moins coupable, sans doute, qu’elle ne fut
séduite par un homme dont l’âge, les agrémens, l’état même rendoient les attaques plus dangereuses & plus faciles » (BSE CR 18, mémoire
1762, p. 9-10).
35 BSE CR 18, mémoire 1762, p. 2-3.
36 BSE CR 19, Mémoire sur la noblesse de Jean-Baptiste de Mac-Mahon, chevalier, marquis d’Eguilly, 1763.
CBEH Recueil 2006 Tome 24
@ Jérôme SIRDEY et Sonia DOLLINGER
1. Meubles et effets
(dans les châteaux de Sully, Voudenay et Chazeu, dans
les hôtels d’Autun et de Paris et à Sampigny)
2. Argent liquide
3. Créances
- vente de bois
- vente de vins
- obligations
- billets
- fermages et loyers
- rentes (de Sampigny et du Reutet)
- intérêts des contrats de rente
- dettes des vignerons et des métayers
- recette du sieur Meneau
Total des créances
4. Contrats de rente
- contrats anciens de la marquise d’Eguilly [d’après
l’énumération des intérêts échus]
29 340 l.
+ mobilier provenant de la succession du marquis de Vianges
54 900 l.
11 s.
55 404 l.
22 489 l.
1 945 l.
1 120 l.
93 135 l.
101 l.
7 736 l.
14 889 l.
1 664 l.
16 s.
7 s.
11 s.
2 s.
8 s.
8 s.
8 s.
6 d.
198 486 l.
1 s.
1 d.
1 d.
6 d.
78 859 l.
+ une rente de 8 livres, une poule de
8 sols et un denier de cens
180 093 l.
7 s.
4 d.
Total des contrats de rente
5. Propriétés foncières et seigneuriales, bétail
Nota : les bestiaux sont estimés avec les propriétés foncières
- biens anciens
258 952 l.
7 s.
4 d.
* Seigneuries d’Eguilly, Martrois, Civry-en-Montagne
* Domaines de Verrière-sous-Glenne
* Marquisat de Vianges, Sully et dépendances [notamment
Igornay, Barnay, Repas]
* Terres de Viévy, le Defens, Morey, la Cave, Uchey, Poncey
* Terres de Charnay, Saint-Agnan, la Bondue, Perrigny
* Terres de Cuzy, Lavault, Montgillard
* Domaines d’Auxey et Monthelie
* Hôtel à Autun et autres
Les biens acquis pendant la communauté dans les biens
anciens de la marquise d’Eguilly estimés
Les bestiaux acquis pendant la communauté et les
constructions estimés
Non estimé
Non estimé
- acquis pendant la communauté
Non estimé
Non estimé
Non estimé
Non estimé
Non estimé
Non estimé
27 715 l.
11 s.
14 335 l.
15 s.
- biens acquis pendant la communauté
* Terre de Voudenay, prés à Maizières et les bois
* Terre de Sivry-lès-Voudenay
* Terre de Blangey
* Terre de Lally
* Terre de Chazeu
* Domaine de Sampigny
* Domaine du Reutet
* Domaine des Chaumottes
* Maison occupée par Monsieur Nivier [à Autun]
* Maison occupée par l’abbé de ?
Total des propriétés foncières et seigneuriales
Total de l’actif
380 000 l.
130 000 l.
84 000 l.
140 000 l.
350 000 l.
60 000 l.
40 000 l.
24 000 l.
10 000 l.
8 000 l.
1 267 851 l.
1 809 530 l.
+ biens non estimés
Dettes de la communauté et obligations de non valeur
29 713 l.
1 779 816 l.
Total des biens
+ meubles non estimés + une rente et un cens
+ biens fonds et seigneuriaux anciens
6 s.
5 s.
5 d.
9 s.
16 s.
2 d.
3 d.
Fig. 1. La fortune de Jean-Baptiste Mac Mahon et de Charlotte Lebelin (1776)
D’après l’acte de liquidation des biens de Charlotte Lebelin et de la succession de Jean-Baptiste Mac Mahon,
30 septembre 1776 (ADSL, E 321, pièce n°8)
Nota : l’acte comporte des erreurs de calcul que nous avons rectifiées.
Abréviations utilisées : l. pour livre(s) ; s. pour sol(s) ; d. pour denier(s). Sous l’Ancien Régime, une livre = 20 sols = 240 deniers.
Les Mac Mahon dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle : fortune et infortunes d’une famille aristocratique bourguignonne
II
DE RICHES ARISTOCRATES
L’acte de liquidation dressé le 30 septembre 1776, soit presque un an après la
disparition de Jean-Baptiste Mac Mahon survenue le 15 octobre 1775, donne une vision
globale de cette fortune (cf. figure 1)37. Les biens de la communauté entre les époux,
déduction faite des dettes, sont estimés à quelque 1 700 000 livres. Cette somme ne prend en
compte ni les contrats de rente appartenant en propre à Charlotte Lebelin – au moins 78 000
livres –, ni les biens immobiliers anciens c’est-à-dire issus des héritages. Or l’on a vu
l’ampleur des donations des Morey. Au total, la fortune du couple dépassait donc très
largement les 2 millions de livres. Jean-Baptiste Mac Mahon et Charlotte Lebelin étaient très
riches. Ils détenaient l’une des plus grosses fortunes de la Bourgogne, nettement supérieure à
celles de la plupart des parlementaires dijonnais38.
Comme souvent dans les fortunes nobiliaires, la propriété foncière et seigneuriale occupe ici
une place prédominante. Les acquisitions de biens fonds – bestiaux compris car ceux-ci sont
évalués avec les terres qui les portent – représentent environ 70 % de la masse des biens de la
communauté. Mais si l’on prenait en compte l’ensemble de la fortune, cette proportion serait
plus élevée encore en raison de l’importance des biens anciens. Le patrimoine foncier se
concentre avant tout dans la région d’Autun et d’Arnay-le-Duc (cf. figure 2). C’est d’abord la
baronnie de Sully dont dépendent notamment les terres d’Igornay, Barnay et Repas et les
seigneuries alentour de Viévy, le Défens, Uchey, Poncey, Morey, Lally, Voudenay et Sivrylès-Voudenay. Jean-Baptiste Mac Mahon et Charlotte Lebelin possèdaient également la terre
de Blangey, à deux pas d’Arnay, et la seigneurie de Vianges, que Claude de Morey avait fait
ériger en marquisat en 1723 en l’unissant à la baronnie de Sully39. Ils détenaient des domaines
dans la paroisse de Verrière-sous-Glenne (actuelle commune de La Grande-Verrière) et
avaient acquis au sud d’Autun la belle seigneurie de Chazeu – estimée 350 000 livres en 1776
– qui avait appartenu aux Rolin et à Bussy-Rabutin40. A Autun même, ils étaient propriétaires
de l’hôtel Bretagne41, qui venait lui aussi des Morey, et d’au moins une autre maison. Dans
l’Auxois, Charlotte Lebelin avait hérité de son père la terre d’Eguilly devenue marquisat sous
l’impulsion du couple42. Les Mac Mahon disposaient encore de la seigneurie de Cuzy, des
terres de Saint-Agnan, Charnay, la Bondue et Perrigny et de plusieurs domaines sur la côte
viticole à Auxey(-Duresses), Monthelie et Sampigny(-lès-Maranges). S’il était principalement
situé dans l’Autunois, le patrimoine foncier des Mac Mahon en débordait largement. Le rayon
d’action de la famille était d’envergure régionale.
37 ADSL, E 321, pièce n°8, acte de liquidation des biens de Charlotte Lebelin et de la succession de Jean-Baptiste Mac Mahon, 30
septembre 1776. Cette deuxième partie s’appuie principalement sur ce document fort précieux.
38 A la fin du XVIIIe siècle, le parlementaire Guyard de Bâlon disposait de 10 000 à 12 000 livres de rente, Esmonin de Dampierre
d’au moins 25 000 livres. Or, en 1789, les seuls seigneuries et domaines de Lally, du Grand Moloy, d’Uchey, de Cuzy et de
Vianges rapportaient à Charlotte Lebelin 23800 livres. A titre indicatif, elle avait affermé les revenus de la terre de Chazeu
moyennant 10 050 livres en 1778 et ceux de la seigneurie de Sully pour 5 500 livres en 1780 (COLOMBET (Albert), Les
parlementaires bourguignons à la fin du XVIIIe siècle, 2e éd., Dijon, 1937, p. 71 ; ADSL, E 321, pièces n° 9, 10, 22, 23, 24 et 25, baux des
28 mars 1778, 10 mars 1780, 14 juin 1786, 2 septembre 1786 (2 baux à cette date), 26 mai 1787).
39 ADSL, 3 E 15 791, donation du 9 novembre 1754.
40 Sur le château de Chazeu, aujourd’hui en ruines, voir VIGNIER (Françoise), Bourgogne Nivernais : Côte-d’Or, Nièvre, Saône-etLoire, Yonne, dir. Yvan Christ, Paris, Berger Levrault, 1980, (« Dictionnaire des châteaux de France », 9), p. 178-179. Les dossiers
2E 313, 2E 314 et 2E 315 des ADSL fournissent des documents très intéressants sur cette seigneurie.
41 Dans sa « description particulière de l’Autunois », l’abbé Courtépée mentionne l’hôtel Bretagne « occupé par la marquise
d’Eguilly » (COURTEPEE (Claude), op. cit. note 11, t. 2 , p. 557).
42 Par lettres patentes d’août 1763 (BSE manuscrit 56 : BOËLL (Charles), Fiefs et arrières-fiefs de l’Autunois, dossier Sully).
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Fig. 2. La localisation du patrimoine foncier de Jean-Baptiste Mac Mahon
et Charlotte Lebelin : une emprise régionale (1776)
D’après l’acte de liquidation des biens de Charlotte Lebelin et de la succession
de Jean-Baptiste Mac Mahon, 30 septembre 1776 (ADSL, E 321, pièce n°8)
(carte réalisée par Jean-Pierre Brelaud)
Les Mac Mahon dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle : fortune et infortunes d’une famille aristocratique bourguignonne
Le marquis et la marquise d’Eguilly étaient donc avant tout des rentiers. Leurs
ressources provenaient majoritairement de la location de leurs terres et de la perception des
droits seigneuriaux. Dans la pratique, les revenus des seigneuries étaient affermés. En 1768,
Jean-Baptiste Mac Mahon délaissa à titre de bail au marchand Jean Gagnare les revenus des
terres de Champsigny et de Champecueillon ainsi que le domaine de la Varenne sur la
paroisse d’Igornay moyennant 3 700 livres par an43. Le 28 novembre 1773, il confia les
seigneuries de Sivry-lès-Voudenay et de Barnay à Gabriel et Pierre Deblangey pour un loyer
annuel de 6 000 livres44. Dans l’acte de liquidation de 1776, les « échus des baux » sont
estimés 93 135 livres 11 sols. Le chiffre traduit à lui seul la prééminence de la rente foncière
et seigneuriale dans les revenus du couple. Celui-ci réalisait aussi de substantiels profits en
vendant les produits de ses domaines. En 1776, le « prix des vins vendus » qui restait à régler
s’élève à 22 489 livres. Mais c’est le commerce du bois, dont le prix ne cessa d’augmenter au
XVIIIe siècle45, qui se révèlait le plus lucratif. Jean-Baptiste Mac Mahon et Charlotte Lebelin,
qui étaient de grands propriétaires forestiers46, le savaient parfaitement : dans les baux qu’ils
accordaient à leurs fermiers, ils se réservaient soigneusement les bois pour en disposer
librement. Les reteneurs pouvaient tout au plus espérer bénéficier d’une coupe annuelle de
quelques arpents47. Dans l’acte de liquidation de 1776, il est dû un peu plus de 55 000 livres
pour la vente de bois : cette activité constituait donc une source de revenus très importante
pour le couple.
Dans ces conditions, l’on comprend que Jean-Baptiste Mac Mahon et son épouse aient
manifesté une volonté constante d’agrandir leur patrimoine foncier et apporté le plus grand
soin à sa gestion. Ils ont tout d’abord arrondi les héritages qu’ils avaient reçus. Entre 1750 et
1775, près de 28 000 livres furent investies à cet effet. Mais ils ont surtout acquis de nouvelles
seigneuries et de nouveaux domaines qui sont évalués 1 226 000 livres en 177648. Et tout
semble avoir été parfaitement réglé car l’acte de liquidation ne mentionne aucun reste à payer.
Ces achats s’inscrivaient dans une logique spatiale visant à grouper le plus possible les
propriétés. Le couple acquit ainsi la terre de Voudenay puis celles toutes proches de Sivry-lèsVoudenay et de Blangey. En 1755, il fit également entrer dans son patrimoine la terre de
Lally49, entre les seigneuries de Sully et d’Igornay dont Claude de Morey venait de faire
donation à Charlotte Lebelin.
Sur ces terres nouvelles comme sur les anciennes, Jean-Baptiste Mac Mahon se
montra soucieux de faire respecter ses droits. Il procéda ainsi à la réfection des terriers. En
1763, le fermier de Civry-en-Montagne doit jouir de « tous les droits de lad[ite] terre suivant
ADSL, E 321, pièce n° 5, bail du 3 août 1768.
ADSL, E 321, pièce n° 6, bail du 28 novembre 1773.
45 Histoire économique et sociale de la France, tome II : des derniers temps de l’âge seigneurial aux préludes de l’âge industriel (1660-1789),
dir. Fernand Braudel et Ernest Labrousse, Paris, PUF, 1970, p. 399. Ernest Labrousse note que « les produits de la forêt – relevant de
la grande propriété ou de la grande exploitation – apparaissent comme les champions du marché agricole où ils viennent battre tous les
records ».
46 Un mémoire de 1762 affirme que les frères Morey, dont la fortune est revenue aux Mac Mahon-Lebelin, possédaient 3 000
arpents de bois (soit entre 1 000 et 1 600 hectares suivant les valeurs de l’arpent ; BSE CR 18, mémoire 1762, p. 2).
47 Gabriel et Pierre Deblangey, fermiers de Sivry-lès-Voudenay et de Barnay disposaient ainsi d’une coupe de 5 arpents de bois
taillis dans le bois de Montbussey (sans doute l’actuel bois du Grand Bessay). En 1780, Jean Lacomme emporta le marché de
délivrance des revenus d’Igornay moyennant 7 500 livres par an mais il avait obtenu de la marquise d’Eguilly la coupe de 2
arpents de bois (ADSL, E 321, pièces n°6 et 12, baux des 28 novembre 1773 et 18 mars 1780).
48 A l’inverse, le couple vendit très peu. L’acte de liquidation du 30 septembre 1776 (ADSL, E 321, pièce n°8) ne mentionne que 6
cessions de biens fonds ou de droits seigneuriaux montant à 24 700 livres : deux domaines en 1765 (20 100 livres), des héritages
situés à Cordesse en 1768 (300 livres), une maison à Autun en 1752 (2 600 livres), une maison à Saint-Léger-sous-Beuvray en
1758 (800 livres), une maison à Civry-en-Montagne en 1763 (400 livres), une mainmorte à Sully en 1758 (500 livres). Les achats
réalisés par Jean-Baptiste Mac Mahon et Charlotte Lebelin correspondent donc à un accroissement quasiment net de leur
patrimoine foncier.
49 BSE CR 18, mémoire 1762, p. 28-29.
43
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le terrier que ledit seigneur a fait renouveller dernièrement50 ». En 1773, le bail des
seigneuries de Sivry-lès-Voudenay et de Barnay était conclu devant Lamare « notaire royal
réservé pour le balliage d’Auxois de la résidence de Créancey demeurant à Autun à cause de
la rénovation des terriers de haut et puissant seigneur Jean-Baptiste Mac Mahon51 ». Ce
dernier semble donc avoir participé activement à l’intense réaction seigneuriale que connut la
Bourgogne dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle et qui conduisit les seigneurs à affirmer
fermement leurs droits en faisant rétablir, au besoin, ceux qui étaient tombés en désuétude52.
Jean-Baptiste Mac Mahon
(collection du château de Sully)
Charlotte Lebelin marquise d’Eguilly
(collection du château de Sully)
Souvent aussi, Jean-Baptiste Mac Mahon et après sa mort Charlotte Lebelin
concluaient eux-mêmes les baux qu’ils accordaient53. Dans ces actes, les obligations des
preneurs étaient toujours fixées avec une grande précision.
En dehors de l’assise terrienne, les rentes constituées, qui étaient en fait des prêts
déguisés, représentaient un capital non négligeable quoique nettement inférieur au montant
des terres. En 1776, la valeur des principaux de rente dépassait 250 000 livres. Les intérêts
que procuraient ces contrats et les fermages que touchaient les Mac Mahon les alimentaient en
argent liquide. Dans l’acte de liquidation figurent ainsi 54 900 livres en numéraire. Au regard
de ces chiffres, les dettes du couple semblent insignifiantes qui représentaient à peine 30 000
livres en 1776.
Cette imposante fortune permit à Jean-Baptiste Mac Mahon et à Charlotte Lebelin de
mener une vie très confortable et de tenir leur rang dans la société d’Ancien régime. Elle
assura également l’avenir de leurs cinq enfants.
ADSL, E 321, pièce n° 2, bail du 17 décembre 1763.
ADSL, E 321, pièce n° 6, bail du 28 novembre 1773.
52 Sur la réaction seigneuriale en Bourgogne, se référer à GARNOT (Benoît), Vivre en Bourgogne au XVIIIe siècle, Dijon, éditions
universitaires de Dijon, 1996, (« Publications de l’université de Bourgogne »), p. 87-88 ou, pour une analyse plus détaillée, à
SAINT JACOB (Pierre de), Les paysans de la Bourgogne du nord au dernier siècle de l’Ancien Régime, Rennes, Association d’histoire des
sociétés rurales, Dijon, éditions universitaires de Dijon, 1995, (« Bibliothèque d’histoire rurale », 1), p. 425-434.
53 Sur les 13 baux conservés dans le dossier Mac Mahon (ADSL, E 321), 8 sont directement passés par Jean-Baptiste Mac Mahon
ou Charlotte Lebelin.
50
51
Les Mac Mahon dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle : fortune et infortunes d’une famille aristocratique bourguignonne
Leurs trois filles reçurent chacune 300 000 livres de dot et contractèrent de belles
alliances.
- Françoise-Claudine épousa en 1773 Charles-Alexandre-Bernard-Théodore-Etienne
comte de Rougrave, vicomte de Challeux, seigneur de Tavière et autres lieux. Celui-ci
était colonel de cavalerie en 1776. En 1782, il avait atteint le grade de brigadier des
armées du roi54.
- Anne-Jacqueline se maria en 1777 avec Jean-Charles-Alexandre marquis d’Adhémar de
Monteil, officier de cavalerie55.
- Théodorine s’unit en 1779 à Emmanuel-François d’Urre, marquis d’Aubais en
Languedoc qui acquit en 1781 sur Marie-Louise de Rohan-Chabot la baronnie de
Capendue56.
A sa mort en 1775, Jean-Baptiste Mac Mahon laissait également deux fils.
- L’aîné, Charles-Laure, marquis de Mac Mahon était né en 1752. Les actes dans lesquels
il apparaît permettent de suivre sa carrière militaire. En 1781, il occupait les fonctions de
maître de camp à la suite de la brigade irlandaise, en 1782 celles de colonel attaché au
régiment de Bervick et en 1785 celles de colonel en second du régiment de chasseurs du
Gévaudan57.
- Né en 1754, Maurice-François, comte Maurice, embrassa comme son frère le métier des
armes. En 1785, il était capitaine commandant au régiment des cuirassiers du roi58.
Ainsi, au crépuscule de l’Ancien Régime, Charlotte Lebelin avait la satisfaction de
voir tous ses enfants solidement établis. Propriétaires de nombreuses seigneuries qui leur
procuraient richesse et prestige, apparentés à de grandes familles aristocratiques, les Mac
Mahon occupaient une place éminente au sein de la noblesse bourguignonne.
III
LES MAC MAHON PENDANT LA REVOLUTION
A la veille de la tourmente révolutionnaire, la famille de Mac Mahon possède une
fortune immense et un prestige social évident. La Révolution vient cependant bouleverser
fortement ce bel ordonnancement et remettre en cause la pérennité de la famille.
1789-1792 : une relative tranquillité
Afin de ne pas se soumettre aux aléas parisiens, la famille de Mac Mahon vient se
mettre à l’abri sur ses terres bourguignonnes, Charlotte Lebelin s’installe à Sully, non loin
d’Autun, ville que l’on pense encore tranquille en 1789.
Comme l’ensemble du pays, Autun a souffert du très rude hiver de 1788-1789. Forte
de ses 9470 habitants, Autun est au cœur d’un pays qui ne suffit pas à l’alimenter en cas de
pénurie59. Le prix du pain s’envole comme ailleurs et Autun est le théâtre d’une émeute
frumentaire le 10 juillet 1789. Les esprits sont échauffés par la disette puis par les rumeurs qui
54 ADSL, E 321, pièce n°8, acte de liquidation des biens de Charlotte Lebelin et de la succession de Jean-Baptiste Mac Mahon, 30
septembre 1776 ; pièce n°16, quittance du 11 mars 1782.
55 ADSL, E 321, pièce n°14, quittance du 11 mai 1781.
56 ADSL, E 321, pièce n°11, quittance du 21 janvier 1780 ; pièces n°17, 19 et 20, quittances des 20 avril 1782, 27 janvier 1784, 18
janvier 1785. Charlotte Lebelin et ses fils payèrent une grande partie du prix de la seigneurie de Capendue pour s’acquitter de la
dot constituée à leur fille et soeur Anne-Jacqueline.
57 ADSL, E 321, pièces n° 14, 17 et 20, quittances des 11 mai 1781, 20 avril 1782 et 18 janvier 1785.
58 ADSL, E 321, pièce n°20, quittance du 18 janvier 1785.
59 Pour une meilleure connaissance d’Autun pendant la période révolutionnaire, on pourra consulter : DORIGNY (Marcel), Autun
dans la Révolution, 2 volumes, Amatteis, 1988-1989.
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enflent : des bandes de brigands se répandent dans le pays, la Grande Peur touche donc la
ville et ses environs. L’une des conséquences de la Grande Peur autunoise est la constitution
d’un comité de surveillance et d’un comité de police et de sûreté ; à la tête de la Garde
Nationale est élu Fontenay de Sommant.
Le 30 juillet 1789, les trois ordres s’unissent à Autun. Une délégation de la noblesse,
composée du comte de Scorailles, et de Messieurs Bernard de Montessus et de Fontenay, se
joint aux autres ordres. Jusqu’en 1792, la noblesse autunoise ne craint pas grand chose ;
cependant, la tension monte dans la ville : le clergé ne suit pas son évêque Talleyrand lors de
l’adoption de la Constitution civile du Clergé et les nombreux refus de serment encouragés
par l’aristocratie locale exacerbent les tensions locales.
Pendant cette période, la famille Mac Mahon loge parfois à Paris comme en témoigne
l’acte de donation entre vifs effectué par Charlotte Lebelin au profit de son fils aîné CharlesLaure le 6 juillet 1791. A cette occasion, elle loge rue du Regard, paroisse Saint-Sulpice ;
l’acte est passé devant un notaire parisien (Bros ?), et non à Autun. La marquise tient à régler
ses affaires ; peut-être a-t-elle peur des troubles qui s’annoncent ou sent-elle l’âge venir. Par
cet acte, Madame de Mac Mahon donne à son aîné les terres qui composent le marquisat
d’Eguilly en Côte-d’Or60, un domaine en vignes situé à Auxey-le-Grand61 et les terres du
marquisat de Vianges62. Pour ces dernières, Charlotte Lebelin s’en réserve l’usufruit.
1792-1794 : la Terreur est à l’ordre du jour à Sully
Le jacobinisme apparaît à Autun en 1792. La ville voit la défaite du girondisme qui ne
parvient pas à la tête de la municipalité. Autun devient alors « la Montagne de la Saône-etLoire » selon l’expression de Claude Javogue, représentant du Peuple63. Le 10 avril 1792, un
congrès jacobin se tient à Autun. Une première liste d’émigrés est dressée le 9 juin de cette
même année ; elle ne comprend que 8 noms, parmi lesquels le comte de Scorailles, Messieurs
de Lagoutte de Saint-Hélène, Bernard de Montessus de Rully, de Montaigu, de Fussey, dont
certains sont apparentés aux Mac Mahon. Les deux fils Mac Mahon, Charles-Laure et
Maurice-François sont portés à leur tour sur la liste des émigrés de Saône-et-Loire le 20
septembre 1792. L’aîné se dirige vers Coblence et rejoint l’armée des Princes où il commande
un régiment. Son frère, Maurice-François, se dirige vers Bruxelles. Quant aux trois filles,
l’aînée Françoise-Claudine meurt pendant la Révolution à Liège, Anne-Jacqueline reste à La
Neuville (Meurthe-et-Moselle) et la dernière Théodorine est domiciliée dans l’Aude vers
Carcassonne.
Le département de Côte-d’Or considère Charles-Laure de Mac Mahon comme émigré
dès le début de l’année 1792 puisque les scellés sont apposés sur son château de Voudenay le
12 mars 1792 ; le 14 mars, la même procédure est effectuée à Auxey. Cela ne signifie pas que
les Mac Mahon ont déjà émigré, mais que l’administration du département de la Côte-d’Or les
considère comme tels, étant donné que, s’ils ont des possessions dans ce département, ils n’y
résident pas. Il semble toutefois que la marquise se soit absentée de France puisque dans
l’acte d’apposition des scellés à Auxey est écrit : « nous nous sommes transportés au village
dudit Auxey le Grand, en la maison de madame d’Aiguilly, ordinairement résidente à Suilly et
actuellement absente dudit lieu64 ».
Un acte du directoire du département de la Côte-d’Or en date du 9 juillet 1792
réintègre Charlotte Lebelin dans la jouissance de ses biens65. La marquise a, en effet, présenté
ADCO, Q 1058.
La valeur du domaine d’Auxey est estimée à 25 000 livres (ADCO, Q 1058).
62 Charlotte Lebelin se réserve toutefois l’usufruit sur les terres du marquisat de Vianges.
63 DORIGNY (Marcel), Autun dans la Révolution, op. cit. note 59.
64 ADCO, Q 1058, apposition des scellés à la maison de Madame d’Eguilly à Auxey-le-Grand.
65 ADCO, Q 1058, acte du directoire du département de la Côte-d’Or, 9 juillet 1792.
60
61
Les Mac Mahon dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle : fortune et infortunes d’une famille aristocratique bourguignonne
une requête dans laquelle elle justifie son absence par le mariage de son fils cadet, MauriceFrançois, qui s’est marié à Bruxelles, avec Pélagie de Riquet de Caraman. Est-ce la vérité ?
Nous savons par ailleurs que le contrat de mariage a été passé devant Brichard, notaire à Paris
le 8 janvier 179266. La cérémonie religieuse a-t-elle effectivement eu lieu à Bruxelles ou estce un prétexte pour masquer une émigration familiale ? Charlotte a-t-elle eu l’intention de
rester hors de France ou ne devait-elle faire que l’aller-retour ?
Anne-Jacqueline de Mac Mahon
(collection du château de Sully)
Françoise-Claudine de Mac Mahon
(collection du château de Sully)
Il est fort possible que son régisseur de Sully ait mis la famille Mac Mahon au courant
de la mise sous séquestre de leurs biens et que devant ce danger, la marquise décide de
revenir67. On sait qu’elle est de retour au mois d’avril 1792, époque à laquelle elle est citée
dans un acte du département de la Côte-d’Or pour le paiement des frais occasionnés par
l’administration de ses biens pendant la période durant laquelle elle était considérée comme
émigrée68.
Charlotte, marquise de Mac Mahon revient donc seule à Sully et, réintégrée dans ses
biens, tente de veiller sur le patrimoine familial. Cette situation est fréquente dans la stratégie
des émigrés : les hommes partent combattre dans les armées alliées, emmenant parfois leurs
femmes, laissant leur mère, a priori inoffensive et insoupçonnable, veiller sur leurs biens,
évitant ainsi en partie les pillages et les spoliations. En effet, depuis le 31 octobre 1791, une
série de décrets rend les émigrés passibles de la peine de mort s’ils ne rentrent pas dans un
délai de deux mois. A cette peine s’ajoute la confiscation et la vente de leurs biens. Des
ADSL, 1 Q 387, acte de partage avec la République, an VI.
En l’absence de documents venant confirmer ou infirmer ces hypothèses, notamment de correspondance et d’archives privées
de manière générale, nous devons hélas nous contenter de suppositions.
68 ADCO, Q 1058.
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primes sont d’ailleurs offertes à ceux qui signalent des biens dissimulés ou ayant échappé au
séquestre.
Nombreux sont les exemples de dévouement de ces mères d’émigrés, restant seules,
défendant et gérant leurs biens, à commencer, pas si loin de Sully, par celui d’Etiennette
Lorenchet de Tailly, marquise de Richard d’Ivry qui sauve sa propriété de Coraboeuf à Ivryen-Montagne, alors que ses trois fils, son gendre et sa fille sont à l’étranger69.
La stratégie de Madame de Mac Mahon s’avère payante puisque les scellés sont levés
et elle retrouve la jouissance de ses biens pour un temps70. Les scellés demeurent apposés sur
les biens de ses fils qui, eux, sont toujours émigrés.
Conscient des dangers qui pèsent sur ses biens, Charles-Laure de Mac Mahon
demande à plusieurs reprises sa radiation de la liste des émigrés, notamment en mai 179371. Il
justifie sa sortie de France en juillet 1792 par l’obligation qu’il avait de se rendre en Irlande,
berceau familial, pour visiter son oncle Michel Pierre Mac Mahon, malade. Il argue qu’un
passeport lui a été délivré par la municipalité d’Autun le 30 juin 1792 ; il y joint un certificat
justifiant de sa présence en Irlande où il se trouve encore auprès de son oncle – atteint
visiblement de longue maladie puisque cela fait un an qu’il se trouve auprès de lui. Aucun de
ces arguments ne convainc l’administration qui maintient Charles-Laure sur la liste des
émigrés72.
A Sully, la marquise a fort à faire : la société populaire d’Autun est très active : le 20
pluviôse an II (soit le 15 février 1794), un emprunt forcé est levé, l’ensemble de la noblesse
d’Autun est fortement taxée. A elle seule, Charlotte Lebelin doit payer la somme de 100 000
livres73. C’est une taxation exorbitante mais les révolutionnaires autunois connaissent la
fortune des Mac Mahon puisqu’un inventaire en est dressé après l’émigration des deux
hommes de la famille. La marquise doit aussi se battre contre l’administration du département
de la Côte-d’Or qui l’a maintenue sur la liste des émigrés alors que le district d’Autun atteste
de sa présence depuis avril 1792. Elle n’obtient sa radiation en Côte-d’Or que le 29 frimaire
an III (19 décembre 1794). Ses biens de Côte-d’Or restent toutefois séquestrés car elle est
mère d’émigrés74.
Ses ennuis ne s’arrêtent pas là : Madame de Mac Mahon est restée en contact avec ses
fils : son régisseur, Claude Charles Beaune, se rend régulièrement aux frontières, dans les
provinces de l’actuelle Belgique, pour leur porter des subsides. Le secret n’est pas gardé bien
longtemps ; Madame de Mac Mahon, son régisseur, ainsi que Charles Corot, jardinier au
château de Sully et Pasque Renaud, fermier, sont dénoncés, arrêtés et accusés d’intelligence
avec les émigrés et l’étranger. Ces accusations sont jugées particulièrement graves puisque le
directoire du district d’Autun décide le 20 floréal an II (9 mai 1794) de transférer la marquise
et son régisseur à Paris pour comparaître devant le tribunal révolutionnaire.
La seule chose qui sauve Charlotte Lebelin est son âge et la cupidité de son escorte :
d’Autun, elle fait escale à Saulieu où elle est détenue du 20 floréal au 4 fructidor (9 mai au 21
août 1794)75. Là, la marquise plaide son grand âge et son état de santé pour obtenir un
certificat constatant qu’elle est dans l’incapacité de faire le voyage jusqu’à Paris. Cet
Sur la famille d’Ivry, voir DOLLINGER (Sonia), Structures de l’imaginaire et stratégies d’alliance de la noblesse à l’époque
contemporaine. Les Richard d’Ivry : la reconstruction d’une identité perdue, mémoire de DEA, Université de Bourgogne, 137 pages.
70 Les scellés sont levés sur son domaine d’Auxey le 9 juillet 1792, voir ADCO, Q 1058. Ils seront de nouveau apposés le 12 juin
1793, voir même cote.
71 ADCO, Q 1058
72 Ce texte du directoire du district précise que même les émigrés malades, sortis de France « pour prendre les eaux » sont réputés
émigrés. ADCO, Q 1058, arrêté du directoire du Département de la Côte-d’Or, 13 mai 1793.
73 Somme donnée dans VEAU (Armand), Notes et documents sur Auxey-Duresses, la baronnie de Meursault, la baronnie de SaintRomain et le comté de la Rochepot, Beaune, 1932, t. 2, p. 129-131, et MONTARLOT (Paul), art. cit. note 1, p. 247.
74 ADCO, Q 1058.
75 ADCO, Q 1058.
69
Les Mac Mahon dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle : fortune et infortunes d’une famille aristocratique bourguignonne
argument sauva plus d’un condamné. La tradition ajoute que Madame de Mac Mahon aurait
également versé à cette occasion une coquette somme qui emporta la décision de ses
geôliers76. Elle reste un moment emprisonnée à Saulieu puis revient à Sully, mais en résidence
surveillée : la marquise ne devait pas en sortir77.
Que devient le régisseur, Claude Charles Beaune ? Contrairement à la marquise, il est
emmené jusqu’à Paris et interné à la Conciergerie. La chute de Robespierre lui rend la liberté,
ainsi qu’à Corot et Renaud. Ils sont libres le 21 thermidor an II (8 août 1794)78.
Les ventes révolutionnaires
Tout au long de la période, Madame de Mac Mahon doit non seulement veiller à la
gestion de ses biens et envoyer des subsides à ses fils, mais aussi sauver sa vie. Elle fait
également tout ce qui est en son pouvoir pour sauver les biens des Mac Mahon qui sont
menacés de vente comme biens nationaux à cause de l’émigration de ses deux fils.
L’administration procède à l’estimation des biens situés dans chaque département
(Saône-et-Loire et Côte-d’Or) puis dans chaque commune et divise les domaines en différents
lots destinés à la vente. Pour les Mac Mahon, de nombreux inventaires ont été conservés, ce
qui permet d’apprécier l’importance, l’étendue, la qualité et la richesse de leurs possessions.
Ces documents sont très précis, décrivant parfois les pièces situées dans les différents
bâtiments – maison de maître, moulins, fermes – et leur état.
L’administration procède également à la confiscation des objets en plomb ou en étain
et les envoie aux commissaires des guerres, c’est le cas des effets qui se trouvent au château
de Voudenay, confisqués par le procureur du district d’Arnay-sur-Arroux79 le 19 juillet
179380. Quelques jours plus tard, le 22 juillet, c’est l’ensemble du mobilier de Voudenay qui
est dispersé en vente publique81 puis le bétail, vendu aux enchères sur la place du marché
d’Arnay le 19 nivôse an III (8 janvier 1795)82.
Le 3 frimaire an II (23 novembre 1793), Hilaire Laureau, envoyé par le directoire du
district d’Autun dresse l’inventaire d’un bien national appelé terre de Chazeux, commune de
Laizy, «provenant de l’émigré François Maurice Mac Mahon et de Charles Leblin [sic] veuve
Mac Mahon sa mère ». Le bien est affermé pour 12 600 livres par an. La propriété est
tellement importante que l’administration divise le domaine de Laizy en 33 lots différents afin
de pouvoir le vendre.
La marquise, dont les biens sont maintenus sous séquestre jusqu’en l’an III multiplie
les demandes aux administrations des départements de Saône-et-Loire et de Côte-d’Or afin de
pouvoir jouir de ses biens propres : « l’exposante, âgée de 84 ans, accablée d’infirmités et
pressée par les dettes qu’elle a été forcée de contracter pour vivre depuis trois ans, espère
que vous lèverez le séquestre mis sur ses biens […]83 ». Le district d’Arnay est d’accord pour
lever le séquestre sur les terres du marquisat de Vianges puisque Madame de Mac Mahon en a
l’usufruit mais le directoire du département de la Côte-d’Or émet un avis contraire : « cette loi
[sur les séquestres] n’avoit d’exception qu’en faveur des père et mère ayant prouvé qu’ils ont
Tradition reprise par Armand VEAU, op. cit. note 73, et Paul MONTARLOT, art. cit. note 1.
MONTARLOT (Paul), art. cit. note 1.
78 MONTARLOT (Paul), art. cit. note 1, voir surtout p. 249.
79 Nom « révolutionnaire » d’Arnay le Duc.
80 ADCO, Q 1058.
81 ADCO, Q 1058 ; les effets sont achetés par des citoyens de Voudenay, mais aussi d’Arnay, Manlay, Marcheseuil ou Ivry-enMontagne. La majeure partie des objets sont achetés par le citoyen Picard et sa femme, née Beaune. Il faudrait vérifier s’ils sont
parents du régisseur de Sully.
82 ADCO, Q 1058.
83ADCO, Q 1058.
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@ Jérôme SIRDEY et Sonia DOLLINGER
agi activement et de tous leur pouvoir pour empêcher l’émigration de leurs enfants84 » ce qui
n’est pas le cas de Charlotte Lebelin.
Les ventes s’étalent sur toute la période révolutionnaire avec un répit en 1796 et 1797 :
l’aîné des deux fils, Charles-Laure tente d’obtenir sa radiation de la liste des émigrés une
nouvelle fois. Le régisseur Claude Beaune multiplie les démarches et forme opposition aux
ventes et séquestres des biens de son maître devant le département de Saône-et-Loire le 8
fructidor an IV (25 août 1796), ce qui stoppe les ventes pour un temps.
Charles-Laure est radié provisoirement le 13 août 1797. Pourquoi cherche-t-il à
revenir ? Sa mère est-elle en mauvaise santé (elle a plus de 80 ans !) ? La Révolution lui
paraît-elle avoir définitivement triomphé ? Manque-t-il de moyens de subsistances ? Ce retour
et sa radiation provisoire retardent quelque peu le démantèlement des biens de la famille.
Mais Charles-Laure est maintenu sur les listes le 4 brumaire an VI (25 octobre 1797).
Les estimations en vue de vendre les domaines reprennent donc en l’an VI : le 1er
ventôse (19 février 1798), Charles Corcelle, arpenteur à Mâcon, expert nommé par arrêté de
l’administration centre du département de Saône-et-Loire procède à l’estimation des biens
immeubles situés dans les communes de Charnay, Perrigny, Saint-Agnan et la Bondue,
département de Saône-et-Loire, provenant des émigrés Charles-Laure et Maurice Mac Mahon.
Saint-Agnan est divisé en 10 lots. Le 7 ventôse an VI (25 février 1798), le domaine d’Igornay
est divisé en 7 lots pour être vendu. L’ensemble est estimé à un total de 90 452 livres (valeur
de 1790). Le 27 ventôse, Charles Corcelle – toujours lui – est à Barnay (canton de Lucenay)
où il divise les biens des deux frères en trois lots valant pour le premier 19 630 francs, le
deuxième 6 801 francs et le troisième 9 680 francs, soit un total de 36 111 francs.
Charles-Laure de Mac Mahon, radié provisoirement à nouveau en juillet 1798, est de
nouveau considéré comme émigré à la fin de cette même année 1798 ; une révision des listes
lui est défavorable, il doit de nouveau s’expatrier.
Il en va de même pour son frère Maurice-François, maintenu sur les listes le 16
fructidor an VI (2 septembre 1798) malgré des certificats de résidence obtenus de la
municipalité d’Orléans que le ministre de la Police générale estime frappé « d’une juste
suspicion85 ».
Les biens des Mac Mahon qui se trouvent dans le département voisin de la Côte-d’Or
n’échappent pas aux confiscations et aux ventes, comme par exemple le domaine de
Valousière à Auxey (actuellement Auxey-Duresses) qui comprend notamment l’ancien
moulin des moines de Maizières vendu le 7 messidor an VII (25 juin 1799) en deux lots
principaux, l’un acheté par Denis Tainturier, de Panthier (commune de Créancey), et l’autre
acheté par le Beaunois Gaspard Masson-Abdila qui le revend à un entrepreneur de Beaune,
Dominique Piot. Ce dernier commence la démolition des bâtiments avant d’avoir fini de
payer. L’administration l’arrête donc dans son élan. Avec les bâtiments, Piot acquiert aussi 76
ouvrées de vignes sur Auxey, 75 sur Monthélie et quelques parcelles sur les communes de
Meursault, Volnay et Tailly86. Le mobilier d’Auxey est vendu quelques jours auparavant, le
1er messidor an VII (19 juin 1799).
ADCO, Q 1058.
ADCO, Q 1058.
86 Informations tirées de VEAU (Armand), op. cit. note 73, voir surtout pages 128-129.
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Les Mac Mahon dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle : fortune et infortunes d’une famille aristocratique bourguignonne
Charles-Laure, 2e marquis de Mac Mahon
(collection du château de Sully)
Maurice-François, comte puis 3e marquis
de Mac Mahon
(collection du château de Sully)
Sully est sauvé
Sully échappe pour sa part à la vente et ce pour plusieurs raisons : la première est que
la propriété est le lieu de résidence habituel de la marquise qui préfère la quiétude
campagnarde à l’agitation autunoise.
Un document administratif en date du 17 messidor an VI (5 juillet 1798)87 nous fournit
une deuxième raison : Charlotte Lebelin fournit une déclaration de ses biens à
l’administration centrale du département de Saône-et-Loire afin de parvenir à un partage avec
la République qui se substitue à ses fils Charles-Laure et Maurice-François selon la loi du 9
floréal an III (28 avril 1795). Charlotte Lebelin conteste évidemment ce partage qui ne ferait
qu’accentuer les ventes de biens nationaux puisque les biens de ses fils reviendraient à la
République qui souhaite les vendre.
Madame de Mac Mahon multiplie les arguments : elle doit encore de l’argent à ses
filles (n’oublions pas leurs dots considérables : 300 000 francs chacune), ce que
l’administration récuse car elle a la preuve que l’argent a bien été entièrement versé aux trois
femmes. Sous l’impulsion du régisseur Beaune, les deux filles Mac Mahon et leur beau-frère
tentent de faire opposition aux ventes estimant que les partages n’ont pas été faits et que les
terres n’appartiennent pas seulement à leurs frères mais qu’elles en sont aussi héritières
potentielles. Cet argument ne touche pas davantage l’administration88.
Charlotte tente alors de revenir sur les donations qu’elle avait faites à ses deux fils en
1791 et dans lesquelles elle avait donné le marquisat de Vianges, les terres qui en dépendaient
(dont Sully) ainsi que d’autres domaines comme celui d’Eguilly à son fils aîné.
Là encore, l’administration refuse de revenir sur les donations effectuées et s’estime
en droit de confisquer et de vendre l’ensemble sauf l’hôtel d’Eguilly à Autun, le domaine de
Lally et celui de Montgillard. Un seul problème : le domaine de Montgillard a déjà été vendu,
il faut donc dédommager la marquise d’un bien équivalent du montant de ce dernier. C’est
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ADSL, 1 Q 387.
ADCO, Q 1058, opposition du 12 floréal an VI (1er mai 1798).
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@ Jérôme SIRDEY et Sonia DOLLINGER
pourquoi l’administration du district concède à Madame de Mac Mahon le droit de conserver
le domaine de Sully dans lequel elle demeure.
Sully est donc à l’abri, au moins durant la vie de la marquise. Cependant, cette
dernière n’est pas jeune. C’est là que se place la fameuse anecdote que tout visiteur de Sully
connaît. Madame de Mac Mahon, épuisée par les tourments révolutionnaires et déjà d’un âge
certain, vient à mourir. Pour éviter la confiscation de Sully, le régisseur Beaune, que nous
avons déjà vu à l’œuvre pendant la Terreur, aurait imaginé de cacher le corps de la marquise
dans un pétrin rempli d’eau de vie pour dissimuler sa mort aux révolutionnaires de Sully et
d’Autun. Ainsi, lors des visites domiciliaires, il installait le corps sur le lit et demandait aux
révolutionnaires de ne pas trop s’approcher, Madame étant souffrante. Nul ne sait plus bien si
l’histoire est vraie, en partie vraie ou totalement fausse ; elle dénote cependant un dévouement
certain d’une partie du personnel des Mac Mahon et rappelle que pour éviter la vente des
biens nationaux, les propriétaires et leurs affidés développaient des trésors d’imagination pas
toujours couronnés de succès.
Deux choses sont certaines : le décès de Charlotte Lebelin intervient officiellement en
juillet 1798, date à laquelle elle est inhumée dans le caveau de famille. Son fils aîné CharlesLaure revient définitivement en France peu de temps après, ce qui évite la vente des derniers
biens, notamment Eguilly89. Son second fils, Maurice-François ne rentre définitivement qu’en
1803. Les derniers séquestres sont levés en l’an XI.
Maurice-François une fois rentré entame une patiente reconquête des biens familiaux.
Certains avaient été achetés par des prête-noms, qui les rétrocèdent à Maurice-François contre
dédommagement. Il entreprit également de racheter le plus de domaines possibles afin de
reconstituer son patrimoine d’avant 1789 ; c’est le cas à Auxey-Duresses où il rachète ses
terres à Tainturier. Les deux frères Mac Mahon touchent des indemnités en vertu de la loi du
27 avril 1825, dite « du milliard des émigrés » pour leurs domaines vendus en Saône-et-Loire
et en Côte-d’Or pendant la Révolution.
Charles-Laure touche un total de 60 563 francs et 90 centimes pour la vente de ses
biens d’Auxey, Meursault, Volnay, Tailly, Monthélie, Blangey, Jouey, Magnien. Il touche
également 594 948 francs et 76 centimes pour ses domaines de Civry, Saint-Prix, Voudenay,
Viévy, Vianges, Mont-Saint-Jean, Reuillon, Magnien, Blangey90.
En Saône-et-Loire, les deux frères touchent un total de 946 767 francs et 60 centimes,
ce qui est considérable. Seules deux indemnités supérieures ont été relevées pour le
département, celle des héritiers de Bénigne Legouz de Saint-Seine et celle des héritiers
d’Adélaïde de Cossé-Brissac, veuve Rochechouart-Mortemart91.
Ces sommes importantes aident les Mac Mahon à reconstituer et à conforter un
patrimoine fortement écorné par la période révolutionnaire. La famille retrouve donc une
place importante au XIXe siècle. La Révolution française n’a donc pas porté un coup d’arrêt à
l’ascension de la famille Mac Mahon qui, bien que mise en difficulté financière pendant la
période, rétablit son aisance et sa position sociale dès la Restauration avec l’obtention de la
Le château d’Eguilly reste dans la famille Mac Mahon jusqu’aux débuts du XXe siècle. A l’occasion de l’opposition à la vente
d’Eguilly, Claude Beaune et Charles-Laure de Mac Mahon obtiennent le soutien inattendu de Nardon, sous-préfet du 1er
arrondissement de Saône-et-Loire qui témoigne que « cette famille, constamment distinguée par ses vertus n’a jamais porté les armes
contre son pays ». Voir ADCO, Q 1058.
90 ADCO, Q 1058.
91 ADSL, 1 Q 687, indemnités versées. Registre des demandes en indemnité parvenues à la préfecture du département servant à
constater l’époque de la présentation des demandes et la suite donnée à chaque affaire.
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Les Mac Mahon dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle : fortune et infortunes d’une famille aristocratique bourguignonne
pairie par Charles-Laure. Les alliances de la famille au XIXe siècle la font pénétrer dans les
plus hautes sphères de l’aristocratie française, en particulier en 1896, avec le mariage
d’Armand-Marie-Patrice avec Marguerite d’Orléans. La réussite des Mac Mahon est
fulgurante et durable. En 1873, le descendant du médecin irlandais est propulsé à la tête de
l’Etat en étant élu président de la République.
Nous adressons nos remerciements aux personnels des Archives départementales de Saône-etLoire, des Archives départementales de la Côte-d’Or et de la Bibliothèque Gaspard Monge à Beaune.
Nous tenons également à remercier Monsieur André Strasberg, conservateur au Musée Rolin
à Autun et secrétaire de la Société éduenne, pour son accueil chaleureux et son aide précieuse.
Les illustrations qui figurent dans cet article ont pu être reproduites grâce aux aimables
autorisations de la duchesse de Magenta et de Clarisse Meunier, responsable de la Bibliothèque
Gaspard Monge.
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