Textes de l`atelier n°10 - Espace Numérique de Travail de l`ESPE de
Transcription
Textes de l`atelier n°10 - Espace Numérique de Travail de l`ESPE de
1 L’Analyse de l’expérience spatiale de l’enseignant dans la classe Une analyse anthropologique et phanéroscopique EVELYNE MAROTTE, doctorante à l’Université de Montpellier 3, laboratoire du LIRDEF, IUFM de Montpellier Mots clés : Affordance, autoconfrontation, autopoïèse, conscience préréflexive, corps, cours d’action, effacement, embodiement, énaction, espace, étayage, gestalt, geste professionnel, interprétant, métaphore expérientielle, métaphore vive, représentamen, rituel, routine, rupture, signe triadique, signe tétradique, spatialité en miroir, spatialité en tandem, unité d’expérience. 1. Objet d’étude Il est admis, aujourd’hui, que la professionnalisation de l’activité enseignante est l’un des enjeux des formations initiale et continue des pédagogues. Le bon enseignant n’est pas seulement celui qui détient un savoir et qui sait le transmettre par une didactique ou une pédagogie appropriées, mais aussi celui qui maîtrise un certain nombre de gestes professionnels. On connaît aussi l’importance des paramètres individuels liés à la personnalité : la voix ou à la « présence ». Un jeune enseignant apprend les rudiments de la communication et du savoir-être lors de sa formation initiale et il aimerait maîtriser encore davantage les comportements qu’il devra adopter face à une classe. Si les pratiques enseignantes sont souvent explorées du point de vue des didactiques et de la pédagogie, si le discours de l’enseignant a été analysé et typifié, la « présence » de celui-ci en tant que corps dans un espace de travail reste peu explorée. 2. Problématique et hypothèses de travail De quoi est faite cette « présence » de l’enseignant ? Comment s’acquiert-elle ? Comment peut-elle être analysée ? Comment peut-elle être « transmise » aux jeunes enseignants ? Tels sont les problèmes auxquels mon travail tente de répondre, en utilisant deux cadres théoriques et méthodologiques issus de deux disciplines différentes mais compatibles d’un point de vue ontologique : l’ergonomie avec le Cours d’action de Theureau, et l’analyse du discours métaphorique selon la grille de lecture de Lakoff & Johnson. 2.1. Champ d’investigation Nous nous sommes intéressée ici aux déplacements de l’enseignant dans la classe comme outils de communication et indicateurs de sa « présence ».Nous avons exploré les déplacements en tant que gestes professionnels particuliers, et en tant qu’ils traduisent l’expérience de l’enseignant, pour essayer de mettre à jour leurs significations pour celui-ci, réflexives et préréflexives. 2 2.2. Deux auteurs proches. 2.2.1. Claude Pujade-Renaud Dans son ouvrage de 1983, Le corps de l’enseignant dans la classe, l’auteur commence par faire un constat juste ; les recherches pédagogiques considèrent trop souvent l’enseignant comme un verbe désincarné et négligent le caractère charnel de la relation maître-élève : « L’on constate en effet que le corps est soit oublié soit désincarné. Ce qui peut s’expliquer par des raisons diverses et intriquées ; le corps dérange l’institution ; il parasite la communication verbale ; il ne relève pas du fait éducatif car peu malléable ; il rappelle trop lourdement que la relation pédagogique est aussi charnelle et il réintroduit crûment la violence sociale dans le champ scolaire. » p.18 C’est nier un peu vite l’usage que l’enseignant fait de cet espace et des artefacts, nous dit l’auteur, pour qui : « L’enseignant entretient [donc] un rapport corporel et affectif à l’espace de la classe. » p.56. Or, quand on interroge les enseignants sur leur gestion de l’espace de la classe, on s’aperçoit qu’il existe « un art consommé, même s’il n’est pas toujours conscient, pour jouer des contrastes entre mobilité et immobilité, assis et debout, éloignement et rapprochement ».p.58. L’enseignant joue de l’espace pour capter l’attention des élèves, pour asseoir son autorité et la parole magistrale ou se mettre à l’abri des regards des élèves, quand il se sent menacé : »Le maniement du corps intervient fortement pour assurer la « prise » sur la classe [... ] L’usage du corps en classe s’apprend et se travaille. »p.58. N’oublions pas en effet que dans la classe, seul le maître a le privilège de la mobilité et qu’il évolue dans « son » territoire, «dans son discours et dans son parcours » (p.96). La gestion de l’espace fait partie des compétences de l’enseignant, et son corps : « fonctionne comme métaphore du discours de l’institution scolaire, et essentiellement d’un discours non écrit, qui n’est pas toujours manifeste et qui appelle parfois à être décrypté ».p.132. La recherche que nous avons menée sur neuf enseignants de lycée et de collège correspond à cette analyse de Claude Pujade-Renaud. Nous y avons retrouvé les différents paramètres qu’elle a mis à jour, rendus par l’abondance des métaphores dans les données langagières que nous avons recueillies. Cependant, pour Claude Pujade-Renaud, l’essentiel du processus serait inconscient, issu d’un processus « narcissique et quelque peu exhibitionniste (p.14) ». Inconsciemment toujours, le professeur utiliserait son corps comme un espace fantasmatique : « L’espace de la classe, quel que soit son volume objectif, est défini comme un espace de contention ; le corps du professeur devient coextensif à cet espace, instaurant avec ceux des élèves un rapport fantasmatique de contenant à contenu. » p.130. Malgré la justesse des conclusions de Pujade-Renaud, force est de constater que son œuvre sont « datés » et qu’ils laissent une trop grande place à l’interprétation psychanalytique des processus de gestion de l’espace. L’analyse est donc inopérante et inadaptée dans le cadre de l’ingénierie de formation des enseignants, que nous nous sommes fixé. 2.2.2. Hubert Hannoun Les travaux d’ Hannoun sur la théâtralisation dans la classe dans son ouvrage Paradoxe sur l’enseignant (1989) nous ont également inspirée dans la mesure où ils proposent une lecture comparée, point par point, entre Le paradoxe sur le comédien de Diderot et le « paradoxe » des comportements enseignants en classe. La notion vague de « présence » s’en trouve ainsi explicitée et paramétrée clairement : a/ l’enseignant doit savoir ce qu’il donne à voir : « La comédie est condition sine qua non de la tâche enseignante à ses deux niveaux, relationnel et didactique » b/ L’enseignant, tout comme le comédien, doit maîtriser ce qu’il veut donner à voir et ainsi jouer le personnage qu’il construit, de « raison », comme le dit Diderot : 3 « Le maître, en ce sens, n’est pas face à ses élèves ; il se construit tel qu’il souhaite qu’ils le voient...Ce sont, en effet, ces modes de relation non-verbale, échappant à toute codification,qui, souvent, s’avèrent révélateurs du sens réel de la situation scolaire. » c/ La présence de l’enseignant est double, en soi et en dehors de soi, et justifie ses déplacements : « L’approche de la kinésique rejoint encore plus directement l’art du comédien. Il s’agit d’apprendre la meilleure façon de bouger, de marcher, de gesticuler, pour mieux transmettre, pour souligner l’insignifiance ou , au contraire, l’importance d’un propos ou d’une remarque, pour aider, soutenir, ou, au contraire, marquer une réprobation ». L’approche d’Hannoun sur les déplacements des enseignants montre que ceux-ci sont des gestes professionnels. Ce parallèle entre comédien et acteur est juste mais il nie le fait que les interactions entre maître et élèves sont beaucoup plus nombreuses que les interactions entre comédien et public, que les enjeux du maître et ceux du comédien ne se recouvrent pas et que la notion de rôle est moins importante chez l’enseignant que chez le comédien, même si dans les deux cas, il y a construction d’un personnage. D’autre part, comme nous le verrons plus tard, il n’apparaît aussi nettement qu’ Hannoun semble le dire que l’enseignant vive son espace de travail comme un espace de jeu dramatique. 3. Cadre théorique et épistémologique Nous sommes partie à la recherche de cadres théoriques plus descriptifs et moins portés sur l’introspection psychanalytique, considérant avant tout les déplacements de l’enseignant dans la classe comme outils de communication et indicateurs de sa « présence ».Comment analyser, paramétrer et transmettre cette notion multifactorielle de la « présence » ? Dans ce travail, nous avons exploré les déplacements faisant l’objet d’une réflexion ou émergeant à la conscience, et tenter de voir s’il est possible d’intégrer une réflexion sur l’utilisation de l’espace dans la formation initiale du jeune enseignant. 3.1. Une ontologie de l’expérience Je m’inscris dans une ontologie phénoménologique. Il s’agit de « revenir aux choses », de pratiquer l’ «épochè » pour rester descriptif, il s’agit d’observer, de se cantonner à une psychologie descriptive. Nous empruntons ainsi à Heidegger son Dasein, et l’idée que « toute conscience est conscience de quelque chose ». 3.2. Une interaction sémiologique A partir de là, toute sémiologie binaire(le signifié/signifiant de Saussure), est insuffisante, car elle ne prend pas en compte le sujet qui exerce le couplage entre ce signifié et ce signifiant. Une sémiologie phénoménologique comporte donc trois actants : objet, sujet et signe, le sujet étant son élément central. Ainsi, la sémiologie ternaire ou triadique de Peirceest compatible avec l’ontologie de la Phénoménologie. Il n’y a pas d’un côté le monde et de l’autre le sujet, une bipolarité épistémologique, mais un sujet qui n’existe que dans son interaction, son action sur et sa réaction-avec le monde. Peirce spécifie cette interaction par les termes de priméité, secondéité et tiercéité. Chaque signe peut avoir trois valences. Prenons le signe « rouge » par exemple. Première valence : la priméité qui est le caractère rouge sans aucune référence à quoi que ce soit de rouge que le sémioticien nomme par exemple « rougéité », le pur possible du rouge. Deuxième valence : sa réalisation effective dans la couleur d’un objet, la sécondéité. Troisième valence : sa valeur de règle dans la couleur de la muletta du toréro, la tiercéité. 4 3.3. Les notions clés du neuropsychologue Varela Varela propose de la conscience et de l’être dont parlent nos philosophes phénoménologues une définition nouvelle et compatible. Cette définition est une réaction à la description des activités cognitives d’un individu par le courant cognitiviste, auquel on peut associer Piaget en psychologie du développement et Chomsky en linguistique générative, et une réaction aux courants computationnaliste et connexionniste. Varela répond par le concept dynamique d’autopoïèse. La cognition se présente comme un système dynamique qui s’auto-organise en fonction de ses rapports avec l’environnement, l’expérience renforçant et annihilant les réseaux neuronaux établis provisoirement. Ce concept d’autopoïèse remet complètement en question l’idée de représentation a priori du monde, notion à laquelle Varela préfèrera donc celle d’énaction, c’est-à-dire d’engagement dans l’action propre à chaque individu à un instant t, à la recherche d’une adaptation validant cet engagement à l’instant t+1. Varela s’intéresse ainsi à la dynamique de l’interaction viable que construit l’individu et à son caractère systémique et variable. Ce qui nous intéresse c’est bien « le couplage structurel » que l’individu établit avec l’environnement. L’être « fait émerger » du sens quand il agit, et reçoit une «réaction ».Une réaction concluante de son action amènera l’individu à reproduire la même action. La cognition est action incarnée ; l’intelligence relève d’une praxis en situation, elle ne procède pas d’un traitement d’information (information processing). Le monde propre existe par « l’histoire d’un couplage structurel » ; il est différent pour chaque système vivant et il est le fait de la recherche de la « clôture opérationnelle », de la constitution d’un système autonome, compatible avec le monde. 4. Le cadre méthodologique. Nous avons ensuite cherché un cadre méthodologique compatible avec les cadres théoriques énoncés ci-dessus. C’est ainsi que nous nous sommes intéressée à Lakoff & Johnson(2000) pour l’analyse des données verbales et à Theureau(2004-2006) pour l’analyse des unités d’action et d’expériences. 4.1. La sémiologie de Lakoff & Johnson Dans la mesure où notre travail sur les déplacements nous a amenée à recueillir les propos des enseignants pbservés, et qu’une partie de l’expérience et du sens est construite par le langage, nous nous sommes intéressée aux théories du linguiste Lakoff et du neurobiologiste Johnson qui proposent une alternative aux linguistiques saussurienne et chomskyenne. Au centre de l’œuvre de Lakoff, le concept d’embodiement : d’incarnation, de corporéité. Tout ce qui passe par notre esprit passe également par le corps et nos perceptions. Tout dans la langue rend compte de cette corporéité de l’esprit. Lakoff & Johnson dans leur étude des métaphores : Metaphors We Live By. L’ontologie sous-jacente à leur ouvrage est encore celle du Dasein heideggerien. Pour Lakoff & Johnson, c’est l’idée qu’une métaphore n’est pas un ornement rhétorique du discours, mais qu’elle rend réellement compte du vécu du locuteur, de son engagement dans l’action. Elle « fait-émerger », pour parler comme Varela, la teneur de l’expérience et du « couplage structurel » de l’individu et de son environnement. Elle fait émerger le sens. Elle traduit l’ontologie de l’activité et aide à sa mise en récit, permettant ensuite de mettre en cohérence cette activité. La « métaphore expérientielle », qui rend compte d’une action ou la « métaphore conceptuelle », qui rend compte d’une idée, construisent des métaphores ontologiques qui permettent de saisir l’ensemble, mais aussi les éléments et les corrélations entre les éléments d’une activité. 5 4.2. Les gestalts expérientielles de Lakoff En confrontant nos données verbales issues des autoconfrontations, nous avons remarqué que l’expertise de l’enseignant pouvait se mesurer à la constance de la métaphorisation de son discours. C’est ici qu’a pris forme le second volet de nos recherches, un volet plus langagier, qui donne un éclairage complémentaire à l’analyse des Unités d’Expérience de Theureau et participe de la même ontologie « expérientialiste ».C’est la métaphore qui nous permettrait de « typicaliser », pour reprendre le terme de Theureau, nos expériences. Elle rend compte de la « perceived world structure »(Rosch 1978). Elle nous ramène au prototype (Kleiber1990) et non à une catégorisation comme celles proposées par les CNS (Conditions Nécessaires et Suffisantes) de la linguistique saussurienne ou chomskyenne. Le rapport analogique que permet cette figure langagière est systémique tout comme l’est la gestalt, à la fois fond et forme, et structure sémantique dynamique. Verbale mais aussi, dans un sens, préverbale et/ou « embodied »(Lakoff). Elle renvoie au monde par analogie tout en exprimant la façon dont le sujet (knewer) l’appréhende et nous renseigne autant sur lui que sur le monde. C’est en cela qu’elle est un outil pédagogique intéressant quand il s’agit de transmettre un savoir-être comme la gestion de l’espace. 4.3. Les métaphores vives de Ricoeur. Nous connaissons les analyses de Ricoeur sur le récit (1983) et sur l’agir humain .Ce dernier est « prélinguistique » et « préintellectuel »(Changeux. Ricoeur 2000) et préreflexif pour le philosophe husserlien qui réinvestit l’œuvre du sociolinguiste Benveniste et le sémioticien Peirce. Dans son ouvrage La Métaphore vive(1975. 1997), Ricoeur distingue les métaphores conventionnelles et les métaphores vives(créatives et poétiques).Les métaphores conventionnelles ont uncaractère préreflexif et métaphorique puisqu’ elles fonctionnent en système en exprimant des caractéristiques naturelles de l’être-au-monde humain. Même s’il y a d’une langue à l’autre des différences et des expressions idiomatiques intraduisibles, il n’y a jamais contradiction entre les univers métaphoriques proposés. Parce que nous sommes bipèdes et que notre tête est au sommet de notre corps : le noble est en haut, l’ignoble en bas, la lumière en haut, l’ombre en bas, la vérité en haut le mensonge en bas. A partir du moment où nous percevons le réel en fonction de cette attitude corporelle naturelle, les métaphores haut/bas vont constituer un système gestaltique d’appréhension-compréhension du monde. Dans le protocole de recherche que nous avons adopté, nous avons ainsi paramétré : les métaphores expérientielles selon de modèle proposé par Lakoff, en introduisant la distinction entre métaphore vive, et métaphore conventionnelle, faite par Ricoeur 4.4. L’Ergonomiste Theureau Pour modéliser l’expérience, nous avons suivi la méthode du Cours d’action de Theureau, qui propose un protocole complet de recueil de données, Il s’agit, pour Theureau, de recueillir des traces de l’activité d’un sujet, en l’occurrence, des vidéos dans notre recherche sur les déplacements, puis de pratiquer une autoconfrontation du sujet par rapport à ces traces, en recueillant ses propos spontanés sur « le montrable, le racontable et le commentable ». La grille d’analyse des verbatim recueillis, le verbatim de l’activité et celui de l’autoconfrontation consiste à découper l’activité en Unités d’Expérience, unités ainsi perçues par le sujet lui-même. Chaque Unité d’Expérience possède un Objet ou objectif spécifique, une intention qui s’inscrit dans un processus plus lointain, est dotée d’un Représentamen, l’élément qui fait signe dans la situation et d’un Interprétant, un élément de la situation qui permet d’interpréter celle-ci. 6 Dans le continuum de l’activité, ces Unités d’Expérience vont construire l’activité, et former un système complexe et unique. L’analyse des signes tétradiques s’effectue selon la formule suivante : Les signes triadiques (O1+ I1+ R1) = U.E. Le signe n constitué par l’Objet, ou intention, l’interprétant et le représentamen forme par concaténation un nouveau signe n+1, constituant l’unité d’expérience significative pour le sujet, signe à partir duquel il s’engage dans l’action formée d’un nouveau signe triadique n+1= (O2 + I2 +R2) => Signe n+2...et ainsi de suite. L’Unité d’Expérience qui est le résultat d’une incrémentation de signes tétradiques est « typicalisée ». Elle est désormais intégrée dans le processus de l’action et identifiée. Elle est réinvestie dans un engagement futur avec un nouveau représentamen et un nouvel interprétant. 5. Protocole de recherche 5.1. Le corpus d’étude Notre corpus d’étude est constitué par l’analyse des déplacements de neuf professeurs : huit professeurs d’un même lycée, un professeur de collège exerçant en UPI. Ils exercent dans des disciplines différentes : Philosophie, Lettres, Anglais, Histoire- Géographie, Sciences Physiques. Six d’entre eux sont débutants ou n’ont que deux années d’expérience, les six autres sont des professeurs expérimentés qui ont plus de quinze ans de métier. 5.2. Captations et autoconfrontations Pour chaque enseignant, nous avons procédé à la captation vidéo d’un ou de deux séquences de cours en adoptant le plan le plus large possible et en évitant le plan de face pour faciliter la remise en situation. Nous avons ensuite procédé à deux types d’autoconfrontation. D’abord, une autoconfrontation à chaud puis une autpconfrontation à froid .Nous avons filmé les autoconfrontations selon un cadrage nous donnant accès aux regards analysésau besoin en PNL 5.3. Opérationnalisation du Cours d’action et des métaphores lakoffiennes. Nous avons sélectionné les passages qui concernent l’espace et qui instruisent les différents paramètres des U.E : Objet, Anticipation, Représentamen, et Identifiant. Nous nous sommes ainsi trouvée face à une première difficulté, celle du grain d’analyse. Certains déplacements se comprennent sur la durée, d’autres au contraire ne durent que quelques secondes. Nous n’avons retenus que les signes suffisamment documentés, sans prendre en compte de leurs statuts relatifs, de leur durée, et de l’impact effectif sur la séance de cours. Nous avons ensuite procédé à des listes d’occurrences sur les verbatim des mêmes signes, de façon à faire apparaître les catégories métaphoriques de Lakoff &Johnson, et à en créer d’autres sur le même modèle, distinguant métaphores conventionnelles et métaphores vives. 6. Résultats de cette recherche Ce protocole nous a permis de mettre en évidence un certain nombre de rituels, déclinés avec quelques différences individuelles, mais cependant communs à tous les collègues observés. 6.1. Rituel de début et de fin de cours. Qu’ils accueillent les élèves à la porte de la classe, qu’ils les accueillent debout ou assis à leur bureau, il y a un accueil et celui-ci est vécu par tous les enseignants comme un moment important et ritualisé. Les élèves doivent d’une part comprendre qu’ils entrent chez 7 l’enseignant, lequel rappelle par une attitude et des déplacements ritualisés les règles tacites qu’il a mis en place avec la classe. Plus les enseignants sont expérimentés, plus ils accordent de sens à ce rituel, comme le traduisent leurs propos et leur attitude en début de cours : captation de l’attention, concentration voire recueillement avant de commencer le cours. A l’inverse, les enseignants novices que j’ai pu observés négligent ce rituel : SP : « Je fais l’appel parce que c’est ma tutrice qui m’a demandé de le faire ! », dit un jeune collègue qu’on voir faire l’appel sur la vidéo, sans conviction et sans implication corporelle aucune. Les collègues experts consacrent entre 3mn et 8 mn à l’accueil des élèves en début de cours : accueil, entrée en classe, appel circonstancié et « individualisé » par de petits commentaires, et rappel du cours précédent en guise d’introduction au cours. A titre d’exemple, voici un extrait du verbatim de la première autoconfrontation, d’un professeur de Philosophie expérimenté à propos du rituel de l’appel au sein du rituel de début de cours : (Début à 00’39’’) AG : Je peux te dire quelque chose. (AG.arrête l’image, désigne l’ écran) Voilà. Pour moi, c’est important l’appel, même si là , je l’ai fait un petit peu rapidement, ça fait vraiment une coupure et un rituel d’entrée pour la classe…et puis ça me permet de tous les repérer individuellement, une manière de leur faire comprendre que c’est pas à une classe que je m’adresse mais c’est aussi à des élèves , et comme ça je peux tous les pointer individuellement, au moins appuyer un regard sur chacun d’entre eux. Ca paraît peut-être pas grand-chose mais je pense que c’est important dans l’ordre du symbole par rapport aux élèves, quoi. 6.2. Le lieu et l’espace Dès le rituel de début de cours achevé, le lieu classe devient un espace symbolique où chacun a sa place et son rayon d’action. Comme le rappelle Lautier dans son ouvrage sur les espaces de travail : Ergotopiques(1999) l’espace est le lieu investi par les occupants : il fonctionne comme une « représentation », un lieu signifiant chargé de signes à décrypter, comme un « système » où les objets et les sujets vont interagir, et comme « une institution », où le maître et les élèves ont un rôle préétabli. Le lieu classe répond à ces trois critères qui en font un espace social « institutionnalisé » : la place du maître y est définie comme celle des élèves,. L’enseignant est au bureau, c’est sa place initiale. L’élève est assis en face de lui à son pupitre ; s’il va au bureau ou au tableau, il « transgresse » son espace, tout comme le professeur qui quitte l’espace du bureau pour aller « voir » un élève. Tous les déplacements que j’ai pu observer et tous les commentaires que j’ai recueillis sur ces déplacements sont l’expression de ce système spatial. Le savoir est au tableau et sur le bureau de l’enseignant, le déplacement vers le pupitre de l’élève est toujours vécu comme une individualisation de la parole magistrale et comme une prise de risque inconfortable pour le maître comme pour l’élève ; l’enseignant craint de se rapprocher de tel ou tel élève car il sait qu’il peut ainsi perturber l’élève, perdre la maîtrise du groupe. Le déplacement vers le fond de la salle, quant à lui, est vécu comme la transgression absolue des normes spatiales et il marque une volonté de l’enseignant de créer une tension que les élèves comprennent comme telle, tension accompagnée à chaque fois d’un silence gêné. L’enseignant expérimenté, comme tout professionnel, va chercher à jouer de ces espaces et à faire une utilisation intelligente de l’espace (Kirsh 2004) en le rendant plus fonctionnel. Il n’est pas rare, dans nos données vidéos, d’observer un enseignant de lycée déplacer quelques chaises pour s’installer, encore moins rare de voir un enseignant de collège reconfigurer la salle de classe. Sans aller jusqu’à déplacer le mobilier, tous les enseignants aménagent leur espace de travail (Gibson1999 ; Dewey1969) pour s’y sentir à l’aise : disposition des artefacts, dispositions des effets personnels, emplacements des élèves. 8 6.3. Les stratégies d’étayage et d’effacement Dans la mesure où les déplacements de l’enseignant sont assez proches de ceux du comédien sur scène, cette similitude permet d’éclairer, toujours du point de vue de la spatialité un certain nombre de stratégies pédagogiques. 6.3.1. Les stratégies d’étayage. Beaucoup de déplacements de l’enseignant correspondent à sa volonté d’aider l’élève (8 enseignants sur 9) ou de lui permettre de se concentrer sur son discours (5 sur 9). Beaucoup d’enseignants, c’est une expression qui revient souvent dans leur bouche (7 enseignants sur 9), craignent de « perdre » leur auditoire, et pour se faire ils se déplacent soit de façon circulaire, englobant l’espace de la classe, soit de façon plus sélective et plus irrégulière vers l’élève inattentif ou en difficulté. Un cours sans heurt se présente sur la captation vidéo de tous les enseignants du corpus, sous la forme d’une promenade partant du bureau et y revenant. L’enseignant tourne en rond ou bien fait des déplacements de long en large de part et d’autre du tableau. Six des neufs enseignants observés s’installent dans une routine circulaire à raison, en moyenne d’un tour toutes les trois minutes. Les autres choisissant plutôt un mode fondé sur des allers et retours des travées au tableau, en privilégiant une travée plutôt que l’autre. La travée qui a le plus de succès est celle qui est la plus proche des fenêtres ou la plus lointaine de la porte. Seules les ruptures, les demandes expresses de certains élèves ou le besoin d’utiliser le tableau contrarie cette routine-cadre. Routine de cours Étayage et pilotage Etayage et effacement Rituel d’accueil et de fin de cours Autorité Les trois derniers enseignants circulent plus volontiers selon le schéma suivant ; ils circulent le long du tableau pour être prêts à y noter le cours et avancent puis reculent dans les deux travées pour fournir des explications ou poser des questions aux élèves : Autre routine Tableau tableau Bureau Travée jardin Travée centrale Travée cour 9 6.3.2. Les stratégies d’effacement. De même que certains déplacements de l’enseignant correspondent à sa volonté d’atteindre tous les élèves et chaque élève par sa présence, de même d’autres déplacements correspondent à un effacement. Il se met en retrait, pour laisser l’espace, espace symbolique, traduit par le corps, de la réflexion et de l’autonomie. Nous avons pu observer ce comportement d’effacement par rapport au tableau chez les neuf enseignants. Ce qui nous permet d’envisager l’hypothèse suivante : s’il est évident que l’enseignant joue devant ses élèves, qu’il sait qu’il joue un ou plusieurs rôles, comme le disent Pujade-Renaud et Hannoun, il semble plus clair encore, à la lumière de nos données audiovisuelles et langagières qu’il se comporte et se présente comme un metteur en scène. Cette hypothèse se confirmerait par le fait qu’il adopte plus volontiers, dans ses verbalisations le point du vue du spectateur que celui de l’acteur. Le tableau est « devant » alors que l’enseignant-acteur l’a derrière lui, par exemple. L’enseignant, comme le metteur en scène a le souci du rythme, du sens général de son activité. Il compose plus que l’acteur puisque son rôle n’est pas écrit. C’est pourquoi, l’enseignant n’occupe pas toujours le devant de la scène et se met en retrait, comme le ferait un metteur en scène dont le souci serait la clarté. Voici un exemple de stratégie de verbalisation à l’occasion d’un effacement : 25’05’’AC : Là, tu vois, je vois bien que Marion qui n’est pas ...fute-fute, en plus elle était absente la semaine précédente et tout ça...elle avait mis un mot, elle a mis un mot sur son exercice. Donc, je vois bien qu’elle a pas compris la consigne. Sur la fiche, les consignes sont en anglais. Donc, elle a pas compris la consigne. Elle se cache, elle avait plus ou moins sa main, enfin... pour faire en sorte que...Mais voilà. Donc je lui reprends la consigne, je lui dis exactement ce qu’il faut faire en espérant...qu’il y ait un déclic. Pour pas la...pour pas la brusquer, je m’éloigne un peu pour voir si elle commence effectivement à s’y mettre, et si elle a effectivement compris. 7. Les ruptures Une fois posés les rituels et les routines, nous nous sommes intéressée aux ruptures qui interrompent le cours et surprennent les enseignants. Comment gérer les imprévus qui ne manquent pas d’avoir lieu ? Se traduisent-ils corporellement ? Nous fournirons ici un exemple de rupture géré par AG. Professeur de Philosophie ; il avait prévu de finir la lecture expliquée du Criton de Platon. Or, il s’aperçoit que les élèves ont oublié d’apporter l’œuvre. Voici le verbatim de la captation vidéo, suivi des verbalisations en autoconfrontations et l’analyse que nous avons faite : Unité d’Expérience 2 : pas de Criton ____________________________________________________________ Captation __________________________________________________________ 1’55’’ : AG. est désemparé. Regard vers la caméra. Réclame ironiquement un « cut ». 2’03’’ : AG. recule vers le tableau en se frottant les mains : « Et bien, nous allons faire des jeux chantés ! » Sourire forcé. Deux déplacements de part et d’autre du bureau en se frottant les mains. 2’11’’ ; A.G revient vers le bureau : « Non, sérieux, y a combien de bouquins, là ? …Y en a pas, pour de vrai ? » Les élèves répondent que non. AG : « Non, mais j’ai voulu finir la… finir la leçon- et oui, elle est finie, elle est finie, elle est bouclée.(geste de la main frappant la paume indiquant que la leçon est finie) E x : Ben, on fait autre chose ! ____________________________________________________________ Verbalisation en autoconfrontation ____________________________________________________________ 3’25’’ : AG : (sourire) Arrête l’image 3’30’’ : M : Commente-moi ça. Vas-y.(rire) 10 AG : Eh bien, la douche froide !(se cale au fond du fauteuil). Normalement, tous les vendredis, putain, tous les vendredis, on fait la lecture suivie, donc ils viennent avec le texte. Le vendredi, c’est l’heure un peu difficile, c’est la fin de semaine. On a une paire d’heures qui viennent là, de 8 à 10, et, traditionnellement, je les consacrais à des exercices, tu vois[…] Donc, voilà, je me trouve le bec dans l’eau, complètement le bec dans l’eau et donc il a fallu…et en plus, la nouvelle leçon du philo des sciences, elle est dans mon casier ( désigne du bras son casier dans un autre pièce). Et en plus, je travaille toujours avec des documents que je leur fournis, une espèce de matière première, une sélection de textes qu’on va traiter ensuite. Donc, là, y a absolument plus rien, quoi, et j’ai 10 secondes parce que ce qu’il faut malgré tout, c’est (geste d’attraper quelque chose et de le tirer vers soi) parce que moi, je pars du principe qu’il faut toujours capter l’attention des élèves et il faut toujours les mettre en situation de captation d’attention, quoi. Donc, même si je suis désemparé comme là (montre l’écran.PNL Regard intérieur autovisuel), ça cogite la-dedans et je me frotte les mains pour me concentrer et pour meubler. Analyse de cette Unité d’Expérience COMPOSANTES DU SIGNE Ouverts E O : Faire un cours improvisé en cohérence avec la progression O) : Se concentrer O)) : Trouver un sujet à traiter le plus vite possible ___________________________________________________________________________ Anticipations A - que les élèves ne se déconcentrent pas - que le cours démarre le plus vite possible - que le cours s’inscrive dans la progression de l’année Types, relations entre types et principes d’interprétation S - l’attention des élèves doit être captée le plus vite possible dès le début du cours - Le professeur ne doit pas se trouver en difficulté, il faut remédier à la situation sans tarder - Le professeur doit penser à la progression de son cours -Tous les vendredis sont consacrés à la lecture suivie - Je travaille toujours avec des documents __________________________________________________________________________ Représentamen Concentration sur le sujet à trouver / clowneries pour ne pas perdre la face Nombre de mains d’élèves qui se lèvent : pas assez de documents Propositions d’un élève de « faire autre chose » ___________________________________________________________________________ Unité de cours d’expérience Rupture de la routine de début de cours et mise en difficulté ___________________________________________________________________________ Interprétant Résolution de la difficulté en trouvant un sujet à aborder en improvisation qui s’inscrive dans la progression Transformation de S en Introduction au cours sur la Science ___________________________________________________________________________ Les enseignants experts sont aguerris aux ruptures, ces dernières sont associées à des situations analogues et la réaction ne se fait pas attendre. Certains enseignants vont même jusqu’à créer volontairement des ruptures- en quittant la salle de classe pour un instant, par exemple- pour créer en effet de surprise et « refaire » leur entrée(cas de l’enseignante en UPI). 8. Conclusions Les conclusions de cette étude sont simples : nous observons que plus l’enseignant a d’expérience, plus il occupe l’espace de la classe avec économie et assurance, plus il est conscient de ses déplacements et de ses changements de posture. Il maîtrise chacun de ses déplacements dont il peut expliquer le bien-fondé et mesurer l’efficacité. Il transforme le lieu- 11 classe en espace ergonomique et économique qui concilie l’exigence de la présence et son bien-être. Reste à savoir comment transmettre ces gestes professionnels (Clot) qui garantissent à la fois l’efficacité et le confort ? Comment donner à l’enseignant novice cette aisance de l’enseignant chevronné et cette maîtrise qui tient du savoir, du savoir-faire et du savoir- être ? 9. Etude langagière des verbatim d’autoconfrontations Nous avons repris les catégories de métaphores-gestalt, expérientielles, ontologiques ou conceptuelles de Lakoff et Johnson (2000) - LA DISCUSSION, C’EST LA GUERRE - LE HAUT EST LUMIERE, LE BAS EST OMBRE - LA VIE EST UN VOYAGE Nous avons ajouté nos propres catégories, - L’ESPACE-CLASSE EST UN THEATRE ( Renaud-Pujade et Hannoun) - LA CLASSE EST UN VOYAGE EN BATEAU. Puis, nous avons établi des listes d’occurrences et un tableau synoptique heuristique paramétré par discipline, selon le degré d’expertise,faisant apparaître l’opposition métaphores isolées/ métaphores filées et croisant données métaphoriques et Unités d’Expérience de routine d’une part et de Rupture d’autre part. Tableau heuristique des U.E. et des métaphores expérientielles METAPHORE UE ROUTINE UER UE RUPTURE UER METAPHO RE CREATRIC E MV EXPERT/ DEBUTA NT EX/D 2 occurrences METAPHO RE CONVENTI ONNELLES MC 5 occurrences 5 Philosophie 3 Français 6 occurrences 3 occurrences 2 Expert 6 Débutant 4 Philo,4 Fran,1Ang,1 Math, 1Hist/G 1 Philosophie 1 Anglais 6 occurrences 6 occurrences 6 occurrences 5 occurrences 6 Expert 5 Débutant 2 occurrences 0 occurrence 1 occurrence 1 occurrence 2 Expert 2 Sci, 1 Philosophie 3 occurrences 1 occurrence 3 Occurrences 1 occurrence 2 Expert 2 Débutant 2 Philosophie 1 Sciences 3 Phil, 3 Hist/Géo, 3 Fran, 2 Scie 3 Hist/Géo,8 Philo,1 Fran, 1 Sciences 4 Philo,1 3 occurrences 0 occurrence 3 occurrences 0 occurrence 8 occurrences 3 occurrences 10 occurrences 1 occurrences 5 occurrences 8 occurrences 4 occurrences 9 occurrences 2 6 3 5 2 Expert 1 Débutant 7 Expert 4 Débutant 8 Expert 5 Débutant 5 Expert DISCIPLIN E L’OBSCUR EST EN BAS ou DERRIERE : 8 occurrences LA LUMIERE EST EN HAUT ou DEVANT ; 11 occurrences LA LUMIERE EST DU COTE DU TABLEAU : 2 occurrences L’OBSCUR EST AU DERNIER RANG : 4 occurrences LE DEPART EST AU BUREAU 3 occurrences L’ARRIVEE EST AU BUREAU 11 occurrences L’EMBARQUEME NT : 13 occurrences GARDER LES 12 ELEVES SUR LE PONT : RESTER DEDANS : 8 occurrences GUIDER ET NE PERDRE PERSONNE : 14 occurrences LES AMENER A BON PORT : 7 occurrences LE VOYAGE SUR L’EAU : 42 occurrences LA DISCUSSION C’EST LAGUERRE : 26 occurrences LA CLASSE EST UN THEATRE : 16 occurrences ARRIVER A TEMPS : 27 occurrences RITUEL D’EMBARQUEME NT : 18 occurrences LE PROF EST UN PILOTE : 47 occurrences LE BUT DU VOYAGE EST CONNU DU SEUL PILOTE : 15 occurrences LE BUT EST LE RETOUR : 9 occurrences NE LAISSER PERSONNE SOMBRER : 14 occurrences NE LAISSER PERSONNE SORTIR : 27 occurrences FAIRE RAMER LES ELEVES : 13 occurrences Scie,1Fran, 1 Hist/G,,1 UPI occurrences occurrences occurrences occurrences 3 Débutant 7 Philo,3 Hist/2 Math 2 Sciences 7 occurrences 7 occurrences 5 occurrences 9 occurrences 11 Expert 3 Débutant 3 Hist/Géo 4 Philosophie 3 Hist/G, 16 Philo, 9 Fran,7Math, 7 UPI 2 Hist/G, 13 Philo,2 UPI 3 Math,1 Fran,5 Ang 3 Hist/G, 7 Philo,5 Fran, 1 Anglais 5 Hist/G,,11 Philo,4Math ,3Fran,4 ang 4 Hist/G,7 Phil, 3 UPI,1 Scie,2 Fran,1 Ang 7 Hist/G,15 Philo,4 UPI 1Scie,7Math 7Fran,6Ang 5 Hist/G,6 Philo,1 UPI,1 Math,2 Fran 4 occurrences 3 occurrences 2 occurrences 5 occurrences 13 occurrences 29 occurrences 7 occurrences 35 occurrences 3 Expert 4 Débutant 27 Expert 15 Débutant 4 occurrences 22 occurrences 4 occurrences 22 occurrences 18 Expert 8 Débutants 1 occurrence 15 occurrences 0 occurrence 1 occurrence 7 occurrences 20 occurrences 12 occurrences 15 occurrences 4 occurrences 14 occurrences 6 occurrences 12 occurrences 9 Expert 7 Débutant 20 Expert 7 Débutant 13 Expert 5 Débutants 7 occurrences 40 occurrences 14 occurrences 33 occurrences 33 Expert 14 Débutant 8 occurrences 7 occurrences 4 occurrences 11 occurrences 11 Expert 4 Débutant 2 Hist/G,,5 Philo,1 UPI, 1 Maths 3 Hist/G, 2 Philo,3 UPI 2 Scie, 3 Ang,1 Fran 2 Hist/G,10 Philo,4 UPI,6 Fran,1 Math,4 Ang 3 Hist/Gé, 3 Phil,2 UPI,1 Sci 2 Math,1 Fran,1 Ang 4 occurrences 5 occurrences 2 occurrences 7 occurrences 1 occurrence 13 occurrences 3 occurrences 11 occurrences 5 Expert 4 Débutant 11 Expert 3 Débutant 4 occurrences 13 occurrences 5 occurrences 22 occurrences 17 Expert 10 Débutant 2 occurrences 11 occurrences 3 occurrences 10 occurrences 10 Expert 3 Débutant 13 SE NOURRIR PENDANT LE VOYAGE : 6 occurrences 3 Hist/Géo,3 Phil,2 UPI,1 Sci, 2 Math, 1 Fr, 1 Ang 1 occurrence 5 occurrences 0 occurrence 6 occurrences 4 Expert 2 Débutant FAIRE DES ECHANGES : 12 occurrences METAPHORES ISOLEES : 11 occurrences 4 Hist/Géo, 5 Phil, 1 Sci, 3 Fra 1 Hist/Géo,6 Phil, 1 UPI,1Sci, 1 Math, 1 Ang Non pertinent 0 occurrence 6 occurrences 6 occurrences 6 occurrences 0 occurrence 11 occurrences 0 occurrence 11 occurrences 6 Expert 6 Débutant 10 Expert 1 Débutant 102 247 111 241 Résultats 212 Expert 102 Déb. 10. Commentaires et conclusions 10.1. Pas de clivages disciplinaires Aucun lien ne peut être établi entre la discipline enseignée et les métaphores expérientielles utilisées, mais il ressort que les enseignants experts utilisent deux fois plus la métaphore expérientielle que les débutants (212 vs 102). La métaphore expérientielle semble donc être le résultat de la connaissance et de la reconnaissance des situations. Chez les débutants, la métaphore reste conventionnelle et imitative, elle n’est pas incorporée à l’expérience. 10.2. Un engagement corporel plus important en cas de rupture D’autre part, nous remarquons que la métaphore est utilisée deux fois plus souvent (102 vs 247) quand il s’agit de rendre compte d’une situation de rupture. L’engagement corporel est plus grand, l’enseignant est plus présent et il développe une activité langagière plus innovante et plus « imagée » qu’il ne le ferait dans une situation de routine. 10.3. La métaphore est un outil d’analyse de l’expérience Enfin, nous remarquons que les métaphores vives sont deux fois plus présentes que les métaphores conventionnelles. Elles aident à la mise en récit du cours auquel elles donnent un sens, notamment pour les incidents qui n’en avaient pas forcément à première vue. 11. Les métaphores expérientielles de Lakoff 11.1. L’OBSCUR EST EN BAS et LA LUMIERE EST EN HAUT (19 occ.) Nous voyons que le savoir est associé au tableau et au bureau : on « remonte » au tableau ou au bureau bien qu’il n’y ait pas d’estrade. Les derniers rangs des pupitres constituent le « fond » de la classe, un lieu d’ombre. L’horizontalité de l’espace se verticalise par l’usage de la métaphore conventionnelle qui rend compte du caractère hautement socialisé de la classe : les bons élèves aux premiers rangs, les moins bons aux derniers rangs. 11.2. LA DISCUSSION EST LAGUERRE ( 26 occ.) Comme dans tout espace socialisé, la classe met en présence des protagonistes, le maître et les élèves qui vont « discuter » et donc « disputer ».Le vocabulaire guerrier est inhérent, selon Lakoff (2000), à la situation de classe. 12. Les métaphores expérientielles nouvelles 14 Selon la méthode de Lakoff & Johnson, nous avons construit à partir des verbatims d’autoconfrontation des métaphores expérientielles nouvelles. Nous avons ainsi mis à jour les métaphores suivantes : - La métaphore conceptuelle du théâtre : La métaphore conceptuelle du théâtre est, contre toute attente, peu prégnante ; elle ne présente que 16 occurrences dans notre corpus. Il semble que, même si les enseignants se disent tous acteurs, l’espace dans lequel ils évoluent ne soit pas vécu comme un espace de jeu dramatique. Peu présente, cette métaphore est révélatrice cependant d’un phénomène, discret du point de vue langagier (certains déictiques des verbatims), qui est celui du changement de point de vue : l’enseignant agit dans la classe et se regarde agir dans la classe. - Le miroir et le tandem Dans le récit qu’un individu fait de son expérience, il lui arrive de changer de point de vue, de passer d’un point de vue subjectif à un point de vue objectif (où il est objet). Ce phénomène s’observe dans la littérature et au cinéma. Ce changement de point de vue est étudié notamment par Levinson dans Space in Language ans Cognition (2003). Pour ce psycholinguiste, la perception de l’espace dans le monde occidental, et par conséquent, dans les langues occidentales, est centrée sur le sujet ; elle est « relative », alors que dans d’autres langues (chez les Mayas et certaines populations aborigènes d’Australie) elle est « absolute ».Ainsi, ces phénomènes langagiers favorisent l’utilisation de schémas cognitifs particuliers chez les locuteurs. Mais s’il est plus facile pour un occidental de se repérer dans l’espace par rapport à lui-même (relative) plutôt que par rapport aux points cardinaux (absolute), il peut aussi passer d’un mode à l’autre. C’est ainsi que chacun peut faire l’expérience de l’espace soit « en miroir » (caméra objective), soit « en tandem » (caméra subjective), et passer de l’un à l’autre sans transition. L’enseignant est tout à la fois « en tandem » avec lui-même, et « en miroir », il se regarde faire, comme s’il était face à lui-même. C’est pourquoi, il parle de « fond » de la classe, pour parler des derniers rangs qu’il a en face de lui, que ces gestes s’orientent souvent par rapport au public des élèves et non par rapport à lui 13 . La métaphore du Voyage en Bateau C’est surtout la métaphore expérientielle du voyage en bateau qui rend compte de l’expérience spatiale des enseignants. Cette dernière métaphore fonctionne comme une « méta-métaphore ».C’est la plus prégnante (286 sur 364) et elle englobe les métaphores conceptuelles du POUVOIR et du CONFLIT, qui sont des métaphores compatibles ou cohérentes avec elles. Cette métaphore expérientielle englobe les suivantes : - L’ENSEIGNANT EST UN PILOTE : 47 occurrences, qui est le seul à connaître le but du voyage (15 occ.) En bon pilote, il ne doit laisser personne sombrer (14 occ.) ou sortir (27 occ.), ne perdre personne (14 occ.); il doit garder tous les élèves sur le pont (8 occ.), faire ramer son équipage (13 occ.) : il doit les amener à bon port (7 occ.). - LE COURS EST UN VOYAGE, tout comme pour Lakoff & Johnson (2000) LA VIE EST UN VOYAGE. Et c’est un VOYAGE SUR L’EAU : 42 occurrences témoignent de l’élément liquide sur lequel « flotte » la classe. Il y a l’EMBARQUEMENT (rituel d’embarquement : 18 occ. et LE DEPART EST AU BUREAU : 3 occ.)Il y a des étapes (SE NOURRIR pendant le voyage : 6 occ., et FAIRE DES ECHANGES : 12 occ. L’ARRIVEE EST AU BUREAU (11 occ.) 15 Le but du voyage est le RETOUR (9 occurrences), et c’est ici qu’intervient le facteur-temps, comme pour la métaphore lakoffienne : LA VIE EST UN VOYAGE. LE RETOUR DOIT SE FAIRE A TEMPS : 27 occurrences qui montrent l’importance de ce paramètre. 14. Conclusion. La gestalt du Voyage en Bateau fonctionne comme un « Ideal Cognitif Model », ou ICM (Fillmore) qui rend compte de l’expérience spatiale de l’enseignant dans la classe. Le cours est un voyage imaginaire dans l’espace et dans le temps sur l’eau, un élément mouvant, imprévisible mais porteur parce qu’il s’appuie sur le savoir et le groupe classe. Bibliographie Chomsky (Noam) ; Le langage et la pensée. Petite Bibliothèque Payot. Paris. 2001 Dewey (John) ; The Educational Situation ; Arno Preise&The New york Times. 1959 Diderot (Denis); Le paradoxe sur le comédien (1777). Folio.Gallimmar, Paris. 1987 Fillmore (Charles J.) Frame Semantics in Linguistics in the Morning Calm, Seoul, Hanshin Publishing. 1982 Gibson(James. Jerome) The Ecological Approach to Visual Perception. Eds. Robert Shaw and John Bransford. 1979 Hannoun( Hubert) Paradoxe sur l’enseignant. Les Editions ESF. Paris. 1989 Heidegger (Martin) Sein und Zeit. 1927. Folio.Gallimard. Paris.1985 Kirsh (David) Metacognition; Distributed Cognition and Visual Design, To Appear in Cognition. Education and Communication Technology (eds.) Peter Gardinfas, Petter Johansson, Lawrence Erinbaum. 2004 Kleiber (Georges) La sémantique du prototype. PUF Paris 2004 Lakoff (George) and Johnson( Mark) The Metaphors We Live by. The University of Chicago 1980 Edtions de Minuit. Paris 1985 Lautier (François) . Ergotopiques Editions Octarès. Toulouse. 1999 Levinson (Stephen C.), Space in Language and Cognition Cambridge University Press. 2003 Merleau-Ponty (Maurice) Phénoménologie de la perception. Gallimard. Paris 1945 Peirce Charles Sanders. Ecrits sur le signe. Trad. Gérard Deledalle. Seuil. Paris 1978 Pujade-Renaud (Claude) Le corps de l’enseignant dans la classe. L’Harmattan. Paris 2005 Ricoeur( Paul) La métaphore vive. Le Seuil. Paris. 1975 Sartre( Jean-Paul) L’être et le Néant. Biblio. des Idées. Gallimard. Paris. 1943 Saussure( Ferdinand de) Cours de linguistique générale. Payot. Paris (1913) 1995 Theureau( Jacques) Le cours d’action. Méhode élémentaire. Octarès. Toulouse.2004 Theureau (Jacques) Le cours d’action. Méthode développée. Octarès. Toulouse.2006 Varela (Francisco) Invitation aux sciences cognitives. trad. Lavoie., Seuil. Paris. 1996 Varela (Francisco), Thomson E., Rosch E. L’inscription corporelle de l’esprit. Trad. Havelang. Seuil, Paris 1996 Vermersch (Pierre) L’entretien d’explicitation, ed. ESF. Paris. 2006 Wiener (Norbert) Speech, Language and Learning. Ed. Masani MIT Press Cambridge, 1950 16 L’efficacité en question : Une analyse des objectifs de la formation initiale des enseignants du secondaire au Kenya E. Sanya Résumé De nos jours, les débats sur l’efficacité, la qualité et l’équité en éducation se multiplient. La difficulté à définir l’efficacité d’un système éducatif résulte du fait que les réponses à la question « quels doivent être les résultats d’une éducation efficace ? » ne reposent pas uniquement sur des résultats quantifiables et donc facilement mesurables par des techniques économétriques, mais également sur les objectifs d’un système éducatif ; les objectifs souvent fondés sur les demandes de la société, l’économie et les politiques d’un pays. Aujourd’hui, on reconnaît que la qualité d’un système éducatif est elle aussi indicative de l’efficacité de celuici. Fondée sur le premier objectif de la formation initiale des enseignants au Kenya, cette recherche examine cette approche de l’efficacité. Mots clés Formation initiale, efficacité, qualité, valeurs et attitudes professionnelles, représentations Introduction Pendant longtemps, les pays en voie de développement se sont centrés sur les résultats matérielles, c'est-à-dire, quantitatives (nombre d’inscriptions/redoublements, dépenses scolaires, résultats d’élèves, optimisation d’enseignants, réduction des postes enseignants, etc.) pour évaluer l’efficacité de leurs systèmes éducatifs (Marlaine et Hanushek, 1987). Ce n’est que récemment que l’on parle des approches qualitatives dans l’amélioration de ces systèmes en Afrique. Les travaux déjà entrepris sur l’efficacité des systèmes éducatifs soulignent l’importance des processus non matériels qui se centre sur les objectifs et les finalités attendus de l’éducation pour en améliorer l’efficacité (Ibid., 1987). En se posant la question « comment peut on utiliser les ressources disponibles pour assurer les résultats optimaux ? », cette approche appelée « The Value Added approach » considère que des pratiques effectives pédagogiques et des connaissances des enseignants sont primordiales pour la réussite des objectifs d’éducation. Si l’on accepte que même des résultats qualitatives méritent qu’on s’y arrête, il 17 serait légitime de distinguer le rôle de l’enseignant, et donc de sa formation, dans l’amélioration de l’efficacité d’un système éducatif. De nos jours, la formation des enseignants est reconnue comme un des facteurs influençant l’efficacité des systèmes éducatifs. Plus on rêve d’accéder à l’efficacité de l’éducation grâce à des pratiques enseignantes « efficaces », moins il devient légitime de ne pas penser à la formation de ces derniers. Or, au Kenya, une des stratégies mise en place est celle de l’amélioration de la formation initiale des enseignants afin de produire des « professeurs efficaces ». En analysant les objectifs de la formation initiale des enseignants, cette recherche tente d’évaluer la distance entre les objectifs de l’éducation prévue par des textes officiels et les représentations des futurs enseignants qui résultent de cette formation. Elle est fondée sur les représentations des étudiants inscrits dans les deux dernières années à l’université Kenyatta au Kenya. A travers une présentation assez rapide, nous exposons le premier objectif de la formation initiale des enseignants. Ensuite, nous présentons la méthodologie de notre recherche en désignant les techniques d’étude retenues pour la construction du corpus d’étude. En analysant de plus près des représentations des enseignants stagiaires, nous terminerons cette présentation par une comparaison entre « le curriculum formel » et « le curriculum caché » et une critique de nos résultats. Méthodologie Pour effectuer cette étude, nous avons choisi la triangulation des données et plus précisément la triangulation des méthodes (techniques) pour pouvoir assurer la justesse et la pertinence des résultats de la recherche. Nous avons donc commencé par une étude de documents (textes officiels de 2003 à 2005). Ensuite, nous avons organisé des questionnaires ouverts et des entretiens semi directifs auprès des étudiants inscrits dans les deux dernières années d’études à l’université Kenyatta au Kenya. Ce choix d’étudiants est lié à la supposition que l’on 18 approfondit les connaissances dans les dernières années de formation, contrairement au début où l’on étudie plutôt des fondements de l’enseignement. 200 questionnaires ont été distribués et 18 étudiants interviewés en entretien semi directif. Cette présentation est fondée sur l’analyse des textes officiels ainsi que sur les résultats des entretiens et des questionnaires reçus jusqu’à présent (74). Elle se limite au premier objectif de la formation des enseignants. Résultats La mise en place des programmes visant à accroître la qualité et la pertinence du système éducatif kenyan s’inscrit aujourd’hui dans une volonté mondiale d’assurer l’efficacité et l’équité dans l’éducation. Afin de garantir une éducation et une formation de qualité à l'ensemble de son peuple, le système éducatif kenyan a intégré les principes d’efficacité dans les reformes éducatives du système d’éducation et de formation. Les textes officiels du ministre d’éducation kenyan (MoEST, 2004 ; MoEST, 2005) reconnaissent l’importance de développer quelques compétences clés pour les enseignants du secondaire afin d’améliorer l’efficacité de celui-ci. Certes, l’enseignant joue un rôle central dans l’assurance de l’efficacité des systèmes éducatifs car c’est lui qui détermine les expériences éducatives des apprenants. De surcroît, la façon dont il traduit son savoir faire (choix pédagogiques, matériels didactiques, etc.) influence sur les résultats finals de ses élèves. Les travaux des chercheurs tels que Levin (1969) affirment que la réussite d’un système éducatif est liée à la qualité de la formation de l’enseignant. Aujourd’hui, il existe une pression vers la professionnalisation de la profession professeur. Le premier objectif vers l’amélioration de l’efficacité des enseignants au Kenya focalise sur « le développement des attitudes et des valeurs professionnelles » comme facteur qui peut améliorer l’efficacité du système éducatif. Le texte officiel 2004 exige que l’enseignant doit être un professionnel : « Il faut que le métier de l’enseignant se professionnalise afin de permettre à l’enseignant de faire face aux défis du nouveau millénaire. Si l’on professionnalise l’enseignement, le professeur sera efficace permettant ainsi le développement cognitif, psychomoteur et affectif nécessaire pour encourager l’éducation de l’enfant tout au long de la vie » (MoEST 2004, p 21). 19 Cependant, le texte ne définit ni la signification de la « professionnalisation de l’enseignant » au sein du système éducatif kenyan, ni ce qu’il entend par « les défis du nouveau millénaire ». Il énonce par exemple que « l’objectif de la formation d’enseignants est de développer des attitudes et des valeurs professionnelles» (Ibid, p 61), mais rien n’explicite ce que les attitudes et les valeurs professionnelles impliquent et comment celles-ci peuvent être développées et évaluées. Il constate que « des mesures ont été mises en place pour soutenir la croissance professionnelle des enseignants et améliorer leurs connaissances académiques et pédagogiques » (p 7) mais ces mesures ne sont ni stipulées ni élaborées. Les politiques éducatives ont pour but de designer des objectifs d’éducation d’un pays. Elles stipulent donc les finalités visées et comment accéder à celles-ci, dit autrement, elles désignent une ligne de conduite. Pourtant, une analyse des textes éducatifs kenyans révèle que ceux-ci ne définissent pas une claire ligne de conduite, au contraire, ils semblent marqués d’ambivalence. En effet, les politiques renvoient aux contradictions en ce qui concerne le rôle attendu de l’enseignant et l’objectif de l’éducation dans le système éducatif kenyan. A travers les textes, il apparaît que l’accent reste toujours sur l’efficacité « mesurable » et non sur les façons non matérielles d’améliorer cette dernière. Ainsi, un enseignant qui s’inscrit dans une logique de réussite, c'est-à-dire, un enseignant centré sur la réussite académique de ses élèves (réussir les examens nationaux) est reconnu face à celui qui s’inscrit dans une logique de potentialité qui renvoie au développement intégral de l’élève (difficilement mesurable). Même si les enseignants stagiaires ont le devoir de participer à l’amélioration de l’efficacité au sein du système éducatif, l’articulation entre la formation initiale et les compétences à développer pour pouvoir effectuer leurs rôles reste très vague et ne peut donc pas être indicatif de la façon dont l’intervention de l’enseignant peut influencer l’efficacité du système éducatif. Notre analyse révèle des lacunes d’information, non seulement en ce qui concerne la façon dont ces pratiques peuvent éventuellement améliorer l’efficacité, mais aussi dans la compréhension de la part des futurs enseignants sur le rôles qu’ils doivent assumer au sein du système éducatif. Ces objectifs fondés sur l’idée de l’amélioration des pratiques enseignantes contiennent des tensions fortes qui deviennent visibles à travers des attitudes et des représentations des enseignants stagiaires sur la profession professeur. Une analyse qualitative 20 de discours produits met en évidence trois représentations liées à l’identité professionnelle : l’enseignant : la victime, l’enseignant : le coupable et l’enseignant : le sauveur. Le schéma ci-dessous en offre une vue globale : L’enseignant : la victime L’enseignant : le sauveur L’enseignant : le coupable Schéma I : Représentation de la profession professeur Posture A L’enseignant : la victime Dans cette posture, les futurs enseignants reconnaissent que la profession d’enseignant est une profession noble, mais pour eux, être enseignant au Kenya égal avoir « un sale boulot » ; l’impression d’avoir trop de travail persiste. Même si l’étudiant envisage l’enseignant comme ayant un rôle central dans la société, il reconnaît que pour autrui, ce rôle n’est pas ou peu apprécié, ce qui soulève les sentiments de déception. Posture B L’enseignant : le coupable L’étudiant stagiaire qui s’inscrit dans cette logique démontre une forme de résistance latente à l’égard de sa formation ainsi que de sa profession. Il ressent sa formation comme une imposition et non un choix personnel et ne compte pas devenir enseignant. Pour lui, être 21 professeur n’est pas une profession noble ; enseigner reste un dernier choix. L’engagement en formation est exprimé sur un mode sélectif et utilitariste car l’étudiant reconnaît la nécessité d’en passer par là en termes d’avancement de sa carrière, même si cette carrière ne sera pas celle d’éducateur. Or, ce n’est pas la formation en soi qui est méprisée mais plutôt la profession d’enseignant, ce qui rend difficile la construction d’une image positive du « soi professionnel ». Posture C L’enseignant : le sauveur Avancé dans cette posture est l’idée qu’enseigner est une profession noble, et donc pas ouvert à tout le monde. Existe également un sentiment de pouvoir qui émane de la conviction de jouer un rôle très important, un rôle central, non seulement sur le plan économique mais aussi le plan social de tout un peuple. L’enseignant n’est pas seulement un transmetteur de savoirs disciplinaires mais s’occupe de tout aspect du développement de ses élèves (social, psychomoteur, psychologique, culturel, etc.). Contrairement aux postures A et B, le futur enseignant a le sentiment d’être soi-même à l’origine de son choix de formation « j’ai choisi cette formation ... j’aime enseigner », ce qui le motive. La formation est considérée comme facteur de construction nécessaire pour une transformation personnelle et professionnelle ; un espace d’échanges et d’apprentissages privilégiés. Sauf pour la posture de l’enseignant comme sauveur, ces attitudes s’éloignent sans doute de la définition généralement acceptée d’un professionnel ; un professionnel est considéré comme celui qui occupe une place centrale et reconnue dans la société, et qui joue un rôle important grâce à ses longues études et son savoir ou savoir faire. Certes, tout exercice de catégorisation a ces limites. Néanmoins, cet exercice nous a permis d’identifier les facteurs convergents qui influencent la formation des identités professionnelles, ce qui est représenté dans le schéma I par la partie D : i) Le manque de valorisation de la profession professeur La tension entre « suivre une formation » et « s’intégrer dans la profession professeur» révèle une résistance de la part des futurs enseignants à suivre cette voie considérée « peu prestigieuse » et « non professionnelle ». Cette profession est considérée comme 22 insatisfaisante surtout comparé aux autres professions. Le manque de valorisation est lié aux mauvaises conditions de travail (manque de matériels, peu d’enseignants, trop d’élèves) mais également à la rémunération des enseignants considérée trop basse pour les taches qu’ils effectuent. Le besoin de justifier la valeur de la profession auprès des autres est également fort « il faut en parler… il faut le dire à tous qu’enseigner, ce n’est pas pour les ratés du système éducatif qui n’ont pas pu faire la médicine, le droit ou l’architecture… ». ii) Le manque de soutien des acteurs principaux d’éducation De nos jours, les débats sur « qui doit socialiser l’enfant ? » se perpétuent. Obin (1999) constate que « le mode principal de la socialisation de jeunesse est devenu la scolarisation ». Il révèle qu’aujourd’hui, l’école doit se charger des rôles qui autre fois étaient divisés entre la société (la famille) et l’école. Le sociologue François de Singly s’accorde avec cette idée de la rupture école – famille, ce qu’il représente avec une métaphore, « le jeu du ‘mistigri’ ». Les parents qui aujourd’hui s’intéressent plus à l’épanouissement et au développement personnel de leurs enfants « rapport éducatif avec implication affective » ne se soucient plus de la transmission, un rôle qu’ils considèrent être celui de l’école « rapport pédagogique comprenant une autorité certaine ». Selon les enseignants stagiaires, ce « nouveau rôle » est ressenti comme un abandon de la part de la société, ce qui alourdit la tache des enseignants et les obligent à assurer seul l’éducation sociale des apprenants. Que l’enseignant stagiaire accepte ou rejette ce nouveau rôle, il le considère toujours comme une affaire de la société, et notamment, de parents, même si en réalité, celui-ci reste une affaire d’enseignants. iii) Le besoin de reconnaissance L’enseignant est considéré comme ayant un rôle central dans la société, un rôle qui n’est pas ou peu apprécié, ce qui soulève des sentiments de déception. Les racines de cette déception sont ancrées dans le fait que les enseignants au Kenya n’ont plus la place qui autre fois leur donnaient une supériorité sociale. Finis sont les jours où le simple fait d’être enseignant donnaient une certaine légitimité (Charton, 2003). Aujourd’hui, les enseignants sont obligés de vivre la dégradation de l’image de leur profession ; de s’adapter à ce nouveau regard, ce qu’il accepte difficilement, en se referant sans cesse à un monde d’enseignant disparu «… l’enseignant n’est plus ce qu’il était ». Les futurs enseignants ressentent une dégradation de l’image de l’enseignant, une dégradation qui est liée au fait que l’enseignant n’est plus 23 crédible comme gardien de normes de la société ; il n’est plus un guide ou un modèle à émuler. Ces trois postures ne révèlent pas uniquement l’importance du statut dans la formation des identités professionnelles mais illustrent également l’influence des représentations antérieures dans la construction des identités professionnelles. Baillauquès (2001) considère qu’avant même d’entrer en formation, les arrivants dans l’institut sont déjà formés. Leur formation aurait à faire pièce à la vision du maître que le futur enseignant avait élaborée lorsqu’il était élève et qu’il transporte à l’orée de sa formation, sinon au long de sa carrière. Il se peut donc que l’image du professeur incorporée par l’enfant lors de son apprentissage se re-présente à l’orée du devenir lui-même enseignant. Cependant, malgré la représentation de la profession professeur pendant la formation, il faut préciser qu’un étudiant qui se trouve enseignant peut modifier son regard grâce à son propre vécu. A cet égard, Baillauquès (Ibid.) parle justement de la difficulté et des limites d’une démarche d’individualisation de la formation rencontrées par les chercheurs et les formateurs ; dans l’ensemble, le manque de réalisme ou d’aspirations précises font que les sujets ne restent pas fidèles quant à leur vision projective d’eux même dans le futur. Notre analyse fait apparaître la dissociation entre l’enseignant stagiaire et les enseignants praticiens ; l’étudiant s’envisage plutôt comme un spectateur, celui qui regarde de dehors et non comme un futur enseignant, ce qui fait qu’il n’arrive pas à se construire sa propre identité professionnelle. Evidemment, la représentation de l’enseignant ici s’éloigne de l’objectif de la formation qui vise le développement des attitudes et des valeurs professionnelles. Bauman (1992) soutient l’idée que la façon dont les directives politiques (éducatives) sont mises en place dépend sur la présence ou l’absence d’une « base de savoir ». Or, l’absence d’une base de savoir soulève l’ambiguïté et amène à une diversité d’interprétations, ce qui peut conduire à une interprétation erronée des concepts. Un enseignant dans cette situation adopte et modifie les politiques pour répondre à sa propre pratique et ses propres représentations. A travers les représentations des futurs enseignants sur leur profession, l’absence de cette « base de savoir » apparaît. Pour la plupart d’étudiants, la formation qui leur est proposée n’a pas d’objectifs « Je ne sais pas quels sont les objectifs généraux de cette formation. Je crois que ça dépend de chaque professeur et de chaque matière » et quand ils 24 proposent eux leurs propres points de vue sur les objectifs de cette formation, ceux-ci sont souvent liés à la matière à enseigner : « l’objectif de cette formation est de me permettre de transmettre les connaissances dans ma matière… ». Si ces étudiants considèrent que les directives stipulées par les textes officiels sont une option, ce n’est pas parce que pour eux ces directives ou objectifs ne représentent qu’une « trame à remplir », mais plutôt parce qu’ils sont inconscients de leur place au sein du système éducatif, et de ce que l’on attend d’eux. De plus, leurs représentations sur la profession professeur influencent la manière dont ils s’approprient leur place au sein du système éducatif. Selon Perrenoud (1993), un décalage de curriculum est influencé d’une part par la diversité d’interprétation et de l’autre par le fait que même en respectant entièrement le curriculum prescrit, les apprentissages ne se font que pour une fraction des apprenants. Il distingue trois niveaux dans une relation éducative : le curriculum formel, le curriculum réel et le curriculum caché : Le curriculum formel représente le curriculum rêvé ou prescrit et est déterminé par les textes officiels. Le curriculum réel ou réalisé représente les expériences réelles des apprenants qui forgent leurs apprentissages ; celui-ci est responsable de la transformation des apprenants. Le curriculum caché représente les apprentissages qui résultent d’un programme éducatif. Si l’on constate un décalage de curriculum suite à cette analyse, il faut souligner que ce décalage porte plutôt sur les représentations d’étudiants et s’adresse aux apprentissages qui résultent de leur formation - le curriculum caché - et non sur la façon dont le curriculum prescrit est réalisé dans les salles de formation. Se pose alors la question : Ce décalage émanet-il de la formation réelle suivie ou plutôt d’expériences antérieures d’étudiants, de leurs convictions personnelles ou des pressions socioculturelles? Certes, le curriculum réel influence la façon dont un système éducatif réussi ses objectifs. Afin de comprendre ce qui inspire les représentations des futurs enseignants il est évident qu’une analyse du curriculum réel s’impose. Conclusion S’inscrire dans le « culte de l’efficacité » dans la formation initiale des enseignants si l’on ne comprend pas la manière dont les pratiques enseignantes influenceront sur les finalités recherchées ne soulève que des complexités d’interprétation et d’intervention. Il importe que 25 l’on soit clair sur ce qu’on cherche à réaliser pour pouvoir identifier les stratégies efficaces à cette fin. Pour être réellement efficace, focaliser sur les pratiques éducatives des enseignants comme moyen d’améliorer le système éducatif kenyan nécessite davantage d’information sur les effets de ces approches sur les résultats recherchés, dit autrement, il faut clairement formuler les compétences attendues des enseignants ainsi que les objectifs de leur formation, en prenant en compte les enjeux économiques, sociaux, culturels et politiques. Ainsi, il est nécessaire de comprendre la façon dont des interventions non matérielles (dans notre cas les pratiques enseignantes) influencent l’efficacité, et d’expliciter la manière dont ces interventions peuvent transformer le processus éducatif. De notre analyse apparaît la nécessite de transformer non seulement les politiques face à la formation initiale d’enseignants, mais également de travailler sur la valorisation de la profession et surtout sur les mentalités individuelles et collectives concernant les rôles et la place de l’enseignant au sein de la société kenyane. Cela s’agit également de travailler sur les représentations des enseignants stagiaires en ce qui concerne la profession professeur et d’évaluer le rôle de la formation initiale dans la construction des identités professionnelles au kenya. Il apparaît également qu’un lien très étroit existe entre d’une part, l’engagement dans la profession et d’autre part la formation professionnelle proposée. L’engagement nécessite un travail essentiel sur les représentations des enseignants stagiaires, des représentations qui influencent la construction des identités professionnelles. Ces représentations nous renvoient à l’intérêt d’en analyser les enjeux de manière plus profonde ainsi que la façon dont l’articulation de la formation académique et la formation professionnelle joue dans la construction des identités professionnelles à l’université Kenyatta au Kenya. Bibliographie BAILLAUQUES, S., Le travail des représentations dans la formation des enseignants, in PAQUAY, L., Former des enseignants professionnels, Bruxelles, 2001 BAUMAN, Z. (1992). Survival as a social construct. Theory, Culture & Society. 9, 1-36. CHARTON H., (04/07/2007), La débâcle éducative du Kenya, Eléments d’analyse historique. Cahiers d’études africaines, No 169 – 170, 2003, http://etudesafricaines.revues.org/documents196.html. 26 LEVIN, H.M. A cost-effectiveness analysis of teacher selection, Journal of human resources, Vol. 5, pp. 24-33, 1969 MARLAINE E.L., HANUSHEK E., (05/06/2008) Improving the Efficiency of Education in Developing Countries: Review of the evidence, The World bank Discussion Paper, Education and Training series, Report no. EDT77, 1987, http://wwwwds.worldbank.org/external/default/WDSContentServer/WDSP/IB/1987/05/01/000009265_3 980623152000/Rendered/INDEX/multi_page.txt MoEST, Republic of Kenya, (06/08/2007), A policy Framework of Education, Training and Research, Meeting the Challenges of Education, Training and Research in Kenya in the 21st Century, Nairobi, MoEST, 2004, http://www.education.go.ke/Mission.htm. MoEST, Republic of Kenya, (06/08/2007), A policy Framework of Education, Training and Research, Meeting the Challenges of Education, Training and Research in Kenya in the 21st Century, Nairobi, MoEST, 2005, http://www.education.go.ke/Mission.htm. OBIN J.P., (30 /04/2008), Les métiers de l’éducation et la tension éducative, Conférence au colloque d’Education et devenir, Lyon, mars 1998 Cahiers d’E&D n°49, 1999 http://www.jpobin.com/pdf8/1998lesmetiersdeleducationetlatension.pdf PERRENOUD, P., (01/11/2007) Curriculum : le formel, le réel, http://www.unige.ch/fapse/SSE/teachers/perrenoud/php_main/php_1993/1993_21.html. le SINGLY F. (de), Libres ensemble, collection Essais et Recherches, éditions Nathan, Paris 2003. caché, 1993, 27 Efficacité et iniquité de l’épreuve de synthèse dans les concours PEREZ jean Michel UMR P3– ADEF UNIVERSITE DE PROVENCE Axe Didactique Comparée 3, Place Victor Hugo 13 331 Marseille Cedex 03 [email protected] RESUME. Cette communication propose, dans le cadre de la didactique comparée, d’examiner la question de l’équité et de l’efficacité par rapport à l’exercice « synthèse de textes », épreuve sélective de la plupart des concours de l’enseignement supérieur Public. Pour approfondir cette perspective, il s’agira de déterminer si une didactique de la « synthèse de textes » peut être explicitement désignée par un plan d’étude ou programme -Ecole bureaucratique- ou si elle relève plutôt d’un système par frayage -Ecole aristocratique-. Le premier indique un modèle plus en adéquation avec les attendus d’une république de type français ce qui est moins le cas du second, plus élitiste. Une confrontation aux procédures de réalisation effective permettra de démontrer qu’une didactique de la synthèse échoue lorsqu’elle reste sur le terrain de la didactique classique. Le moyen de l’enseigner relèverait plutôt de la « mimésis » venant à l’appui de cette didactique impuissante. Il s’agirait alors d’un acte d’affiliation permettant de désigner par écrit, les codes implicites de l’institution. Ceci démontre l’efficacité du système bureaucratique dans la sélection des candidats mais témoigne aussi d’une injustice majeure entre les impétrants. Le concours, dans le système d’éducation Français, , c’est l’efficacité inique. MOTS-CLES : - Enseignement Supérieur- Didactique -Concours - Synthèse -système bureaucratique – système aristocratique - Efficacité inique 28 INTRODUCTION Les questions sur l’équité dans le système éducatif Français sont assez anciennes. Le critère principal pour les apprécier repose sur l’égalité des chancesi. Les débats semblent liés, d’une part, à l’adaptation du système éducatif aux évolutions de la populationii et d’autre part, à l’élévation générale du niveau d’instruction entrainant une augmentation importante des lycéens qui obtiennent le baccalauréat s’orientant dès lors vers l’Enseignement Supérieur. Cette massification entraine alors un report des questions à propos de l’équité dans le troisième cycleiii. A ce propos, une analyse plus fine montre que les diplômés des grandes écoles se distinguent par rapport aux diplômés du troisième cycle universitaire par leurs accès bien plus fréquent à une profession supérieure –cadres supérieurs, professeurs, professions libérales, ingénieurs. Ces postes représentent plus de 80 % des emplois contre 30 % pour les titulaires d’une licence ou d’un master1 et 8 % pour les diplômés du supérieur court (Ministère de l’Education Nationale de l’enseignement supérieur et de la recherche, 2004). Désormais, l’accès aux Grandes Ecoles et autres Grands établissements du supérieur peut aussi susciter l’intérêt. C’est dans l’axe des « concours », passage obligé entre l’Université et les Etablissements de l’Enseignement Supérieur Public que se situe notre recherche. A ce propos, précisons que les concours ont la spécificité, de se dérouler en deux phases. La première phase dite «d’admissibilité», établit une première sélection. La seconde phase, dite «d’admission» poursuit cette opération de choix parmi les candidats restants. C’est sur la première phase que porte notre observation et plus précisément sur une épreuve se retrouvant dans la plupart d’entre -eux : l’épreuve de synthèse de textes. Dans les faits, nous en avons retrouvé 143, programmées pour l’accès à différentes écoles publiques de l’enseignement supérieuriv. Elles valident ainsi « la synthèse écrite», comme une opération fortement sélective pour les étudiants. Nous sommes alors conduits, en nous donnant pour cadre la didactique comparée à réexaminer les notions d’équité et d’efficacité en rapport avec les épreuves de « synthèse écrite » des concours. Pour rendre compte de l’intérêt d’utiliser la théorisation de M.Verret (1978) à propos des « systèmes bureaucratiques » et « systèmes aristocratiques » de transmission des savoirs, nous prendrons appuis sur un texte d’Alain Mercier à propos d’une présentation des travaux en Didactique abordé à partir de la reformulation d’une question du PIREF : évaluer et comprendre les pratiques pédagogiques sur les apprentissages (possibles, observables/observés) des élèves. Dans ce texte, l’auteur synthétise le projet de la discipline didactique qui, en 1978 et sous la forme d’un petit groupe réuni autour de Guy Brousseau, formule les bases d’un enseignement moderne. La didactique est une « conception de l’enseignement qui désigne explicitement le savoir à étudier par un plan d’études ou programme (Chevallard et Mercier 87). Ainsi sont désignés les systèmes modernes d’enseignement. Mercier A. (2004) écrira que leur efficacité depuis le XVII siècle les ont rendus universels. C’est ce système d’enseignement qui est défini sous le terme de « systèmes bureaucratiques ». Ainsi par Efficacité en didactique, il faut entendre un système d’enseignement qui soit accessible à tous et par tous, afin pour reprendre l’expression de M.Verret, « d’être une transmission de ceux qui savent à ceux qui ne savent pas. De ceux qui ont appris à ceux qui apprennent ». L’efficacité d’un système d’enseignement est alors à mettre en comparaison avec « l’introduction d’une rationalisation des savoirs (Mercier A. 2001) », supposant alors de prendre une forme de transmission particulière en deux points : 1-définition explicite, en compréhension et en extension du savoir à transmettre et 2-le contrôle réglé des apprentissages suivant des procédures de vérification autorisant la certification des expertises, c'est-à-dire le contrôle social des apprentissages ». 29 Ce système est aujourd’hui préféré à celui plus ancien appelé « système aristocratique » qui consiste à un enseignement fondé sur l’apprentissage par frayage et choix électif réciproque du maître et de l’élève. Si son efficacité peut faire l’objet d’une comparaison avec le premier il est toutefois admis qu’il concerne moins de monde, ce qui le rend alors injuste pour ceux qui n’en n’ont pas accès. La distinction système bureaucratique/système aristocratique gagne encore, pour être comprise, a être mise en relation avec le modèle de la société française. Rappelons qu’il est fondé aujourd’hui sur une république du « vivre ensemble » cherchant à assurer à tous « la liberté de conscience –par une liberté d’instruction- et l’égalité de traitement » PENA RUIZ H (2003). Ainsi, le concours dans l’institution publique a la double tache de parvenir à réaliser une sélection parmi des candidats tout en respectant les principes fondateurs de ce modèle de société. La question serait donc de savoir si l’épreuve de synthèse, exercice final du système d’enseignement bureaucratique est représentative de cet idéal de la République et de son Ecole, à savoir si elle discrimine efficacement, tout en respectant l’universalité de la notion de « bien » dont elle se réclame. On entre alors dans un champ de difficulté lié à la notion « d’équité ». Cette question rejoint d’ailleurs la problématique d’Aristote, dans le livre V de l’Ethique à Nicomaque à propos de la difficulté de passer d’une loi universelle au jugement de cas particulier. Si l’équité c’est le transfert d’une loi universelle au cas particulier, il s’agira alors de savoir si les procédures didactiques des conditions de réalisation à propos de l’enseignement des exercices de synthèse permettent à tous les impétrants de « remonter » jusqu’à cette loi. Pour y répondre, il s’agira simplement de savoir si l’enseignement de cette épreuve peut être explicitement désigné (système bureaucratique) ou s’il relève plutôt d’un enseignement par frayage et choix électif réciproquev( système aristocratique) Pour ce faire, nous chercherons d’abord à démontrer que l’épreuve de synthèse est efficace en regard de l’objet pour laquelle elle est programmée. Puis nous tenterons de démontrer que son enseignement repose sur une condition essentielle ne pouvant pas être didactisable. Ainsi, la thèse d’une épreuve de synthèse efficace au sens de la sélection mais inefficace au sens de l’équité peut être validée. La synthèse dans le concours, c’est l’efficacité inique. I L’EPREUVE DE SYNTHESE EFFICACE COMME OUTIL DE SELECTION MAIS RECENTE ET NOUVELLE DANS LE SYSTEME BUREAUCRATIQUE - 143 secteurs de l’Enseignement Supérieur impliqués dans une programmation de synthèse écrite à un concours. La question des savoirs en jeu portant sur « les exercices de synthèse de textes » dans l’Enseignement Supérieur Français est un phénomène encore peu étudié, même dans le cadre général de la Transposition Didactique. Elle se découvre finalement comme un exercice récemment programmé dans l'enseignement supérieur, lors de la grande réforme du concours d'entrée de l'Ecole Nationale de l'Administration en 1971, suivie par l'Ecole Nationale de la Magistrature qui dans son règlement du premier, deuxième et troisième concours d'accès, prévoit au nombre des épreuves d'admissibilité, une note de synthèsevi. Ces « savoirs pratiques » peuvent s’ordonner en deux axes : celui d’une synthèse à caractère fonctionnel dominant : l’attaché de préfecture doit produire une synthèse à l’image de celles qu’il devra remettre au préfet ; et (jusqu’à) un second axe, celui d’une synthèse sans attendu fonctionnel 30 direct (les Attendus des épreuves de synthèse de textes du concours de recrutement de Professeur des écoles en seraient l’illustration). 1971 : E.N.A 1ère synthèse de textes Genres sociaux 2008 : attendus dans 143 établissements de l’enseignement supérieur dont l’Université Vers une Pratique scolaire ? - Ainsi, la synthèse de textes est d’installation récente dans le système éducatif. Elle y est pourtant en voie d’extension rapide, dans un grand nombre de secteurs professionnels. La recension opérée, nous l’avons dit, présente 143 institutions didactiques de l’enseignement supérieur dont l’Université. Elle met en œuvre la synthèse dans leurs opérateurs de sélection, de recrutement ou de validation d’unité d’enseignement. En France, cela représente 500 000 étudiants chaque année. En raison donc du nombre considérable des étudiants sélectionnés par ce type d’épreuve, on peut supposer une efficacité certaine quant à ses qualités permettant une sélection. Pour autant l’est-elle encore dans le cadre du le système bureaucratique de la transmission des savoirs ? - Apparition d’un nouvel objet dans l’enseignement supérieur à la fin du XXème siècle Cette partie a donc pour objet d’explorer les questions liées à la synthèse de textes du point de vue de ceux qui en ont la charge : a-t-elle déjà fait l’objet d’enseignement ? Dans ce cas serait-elle issue d’un phénomène transpositif ou s’inscrit- elle comme un exercice récent? Retrouver dans la scolastique un point d’accroche permettant de découvrir les procédures originaires de cet exercice, a constitué un premier axe d’exploration. Ni les investigations réalisées à partir de l’origine de l’Université Française, l’Universitas Scientiarum, ni celles concernant les enseignements rhétoriques supprimés des programmes depuis la fin du XIXème siècle ne permettent de l’affirmer. Par ailleurs, l’ouvrage de CHERVEL A. (1998) développant et regroupant l’essentiel des recherches menées sur « l’histoire de l’enseignement du français du XVIIe au XXe siècle », et notamment sur les exercices scolaires ne fait pas apparaitre cet exercice. Interrogé sur cette question, l’auteur précise, confortant ainsi notre recherche, que « la notion de synthèse de textes parait totalement absente de la tradition universitaire française jusqu’au XXe siècle. Pour en expliquer les raisons il précise : 31 « J’ai essayé, dans mon Histoire de l’enseignement du français, de saisir dans son ensemble la question des « manipulations » opérées (dans l’enseignement) autour des textes qui sont soumis aux élèves. Toutes impliquent un respect de l’intégrité du texte (et surtout de son contenu), qu’on se prépare à le réciter, à le traduire, à l’expliquer (aux différents sens du terme), voire à le réduire (l’analyse) ». Or, la synthèse de textes, se réalisant à partir de différents documents et/ou de textes d’auteurs, se prête sans doute moins, ne serait ce que dans la correction, à retrouver l’intégrité du contenu de chaque texte et auteur. Cependant, Il rajoute que : « La réflexion scientifique, philosophique ou autre a toujours fonctionné sur une base documentaire où celui qui la menait réunissait autour de lui des textes portant sur un même sujet. On lisait attentivement ces textes, on les comparait, on s’en inspirait, on laissait naitre autour d’eux une pensée nouvelle ». Mais avant le vingtième siècle, elle ne semble pas avoir fait l’objet d’un enseignement. Elle se découvre finalement comme un exercice récemment programmé dans l’enseignement supérieur français, lors de la grande réforme du concours d’entrée de l’Ecole Nationale de l’Administration en 1971, suivie par l’Ecole Nationale de la Magistrature qui dans son règlement du premier, deuxième et troisième concours d’accès, la prévoit au nombre des épreuves d’admissibilité en 1972. La présence de cet exercice dans les autres Etablissements de l’Enseignement Supérieur s’est depuis considérablement répandue. CHERVEL, A. donne un exemple de la manière dont l’objet peut se construire et se réguler : «En 1990, un Inspecteur Général m’a proposé de participer à l’élaboration d’un nouveau concours que l’administration lui avait demandé d’organiser. Il s’agissait d’un CAPES à l’intention des documentalistes de l’enseignement secondaire. Un règlement a été mis en place, et parmi les épreuves que nous avons retenues figurait « une note de synthèse ». Nous (les Professeurs des Universités, de lycées et de collèges) avons ensuite composé chaque année en réunissant des documents les sujets correspondant à cette épreuve, nous avons eu des réunions de préparation à la correction, nous avons corrigé nos copies…Mais tout cela était nouveau pour nous. La note de synthèse, dont l’utilité et le caractère formateur sont évidents, ne faisait pas partie de notre bagage d’expérience pédagogique. ». Ainsi, cette extension des pratiques professionnelles aux pratiques de formation n’a pas donné naissance à un modèle universitaire. De ce fait, la synthèse de textes apparait alors, sans « savoir savant » et avec une didactique peu élaborée. Ce nouvel objet de l’enseignement peut-il dés lors avoir les qualités nécessaires pour être alors efficace et équitable au sens des systèmes d’enseignements modernes de la transmission des savoirs ? 2- ETUDE DES PROCEDURES D’ENSEIGNEMENT : POINT AVEUGLE DIDACTIQUE Le traitement de cette question nous a conduit préalablement à fonder une approche théorique de « l’acte de synthèse » en vue de sa refiguration écrite, puis ensuite d’aller la comparer aux conditions de réalisation proposées dans le cadre de la préparation à cet exercice.. Modélisation possible de l’acte de synthèse en vue d’une refiguration écrite 32 La dispersion des attendus de synthèse pourrait être liée à la notion ambivalente du terme de «synthèse ». En effet, quel que soit le domaine, elle se présente comme une forme de contraction ou de rassemblement. Mais elle se pose parfois en termes contradictoires : soit elle est l’exposition d’éléments découverts préalablement, soit elle était le point par lequel tout se déduit. Par ailleurs, nous découvrons l’histoire de la synthèse liée à celle de l’analyse, notamment dans le discours de type scientifique. Pour autant, seule l’analyse a fait l’objet d’un discours distinctif dans le cadre du développement de la science. C’est pourquoi la synthèse s’est toujours dégagé « traditionnellement» de la démarche méthodologique analytique ; elle a toujours été ancillaire. La synthèse s’étant construite dans l’ombre de l’analyse, il devenait alors légitime d’aller regarder ce qu’en disaient les fondateurs, à savoir les philosophes. D’abord Pascal qui s’opposant à Descartes nous fait comprendre que tout discours (et la synthèse est un discours), n’est communicable que fondé en raison (comme le dit Descartes) ; mais que tout discours fondé en raison s’appuie sur un point de départ plutôt incertain (distinction avec Descartes). C’est l’appréhension de ce phénomène (analyser suppose d’avoir déjà compris) que nous schématisons sous la forme d’une double-sphère : Cette double sphère intuitive/ analytique se retrouve d’ailleurs dans des pensées plus actuelles. Poincaré, par exemple, a des énonciations tout à fait stimulantes : « Au lieu de chercher à concilier l’intuition avec l’analyse, on s’est contenté de sacrifier l’une des deux, et comme l’analyse doit rester impeccable, c’est à l’intuition que l’on a donné tort »…« Deviner avant de démontrer ! Ai-je besoin de rappeler que c’est ainsi que se sont faites toutes les découvertes importantes ?...Nous pressentons avant de pouvoir établir un raisonnement rigoureux » (valeur de la science). De même, pour réaliser une note de synthèse, il y aurait nécessité, avant toute réalisation écrite, d’en avoir perçu l’organisation directrice ; ce que les enseignants nomment habituellement « le plan ». La construction d’un modèle bi-sphérique, est alors une réponse à Poincaré. La première sphère est issue de cet «ordre plutôt irrationnel », de ce qui est incertain. Alors que l’autre sphère dite didactique était déjà construite par le discours cartésien de Descartes. Cet auteur propose pour résoudre un problème de le diviser en plusieurs autres plus faciles à appréhender et ce, par un travail de tri- de regroupement-et de catégorisation. Ce travail de l’analyse dépendrait donc d’une autre sphère, véritable point de départ sans lequel le discours ne pourrait trouver d’entrée ; et c’est donc, elle qu’il faut chercher à caractériser. Que se passerait-t-il dans cette sphère ? Sous certaines conditions, Lorsqu’un étudiant lit un dossier, il y aurait un instant, fugace, une forme de rencontre indicible entre lui et les textes. Cette rencontre se situerait dans sa conscience interne. Elle n’est possible que si le lecteur ne s’y oppose pas. D’où une nécessaire «mise entre parenthèse de soi» comme condition pour la compréhension des textesvii. Cette saisie compréhensive, se manifeste sous la forme d’une idée plus précise, même si furtive, que nous appelons donc, après Poincaré, « intuition ». Il resterait encore à l’étudiant à refigurer cet instant de compréhension dans un récit chronologique appartenant à la sphère didactique. C’est dans cette sphère aussi que devront se régler les problèmes «d’écologie de l’institution» - compréhension de l’habitat, de la place, de la fonction occupée par l’objet- dans laquelle l’étudiant se projette. Ainsi, la compréhension de l’exercice de synthèse résulterait du rapport entre ces deux moments. Elle serait le témoignage d’une agilité transversale d’un «sens» préalablement aperçu, trouvé, choisi et gardé dans un récit refiguratif ou les enjeux liés à l’institution visée ont bien été perçus. . Une définition de la synthèse (dans le cadre de certaines synthèses de textes) peut alors devenir ceci : la synthèse c’est prendre en soi ce qui est extérieur à soi et refigurer cette compréhension à autrui. La note en serait alors la refiguration écrite. Comparaison de la modélisation aux procédures didactiques des synthèses de la Faculté de Droit. 33 Le champ d’observation a été délimité par des exercices de synthèses issus de la préparation aux concours de l’Ecole Nationale de la Magistrature, des Centres de Formation d’Avocats, de celles préparant aux fonctions de Commissaire de l’Armée de l’Air, de Terre et de la Marine. Les recommandations des Institutions suscitées, incitant les étudiants à se préparer dans des Instituts d’Etudes Judiciaires dépendant de la Faculté de Droit, nous ont finalement dispensés d’une étude comparative des méthodes utilisées. La différence entre ces synthèses porte essentiellement sur la thématique du dossier entraînant alors une présence plus ou moins importante de textes juridiques dans le dossier. Compte-tenu de l’orientation de la recherche cette piste a donc seulement été signalée. Pour résumer donc, nous avons ciblé les épreuves de synthèses demandant exclusivement aux étudiants de réaliser une note à partir d’un dossier. De ces critères résultent des exercices dépendants de la Faculté de Droit et de Sciences Politiques Puisque nous cherchions à faire émerger de l’information sur l’objet synthèse, nous avons opté, pour une observation sur des séquences entières : des manuels recommandés par les différentes Institutions retenues, des cours de préparations à l’exercice, et un entretien avec deux enseignants. Ainsi, seul, ce qui constitue l’enseignement de la synthèse pour dégager les procédures d’une didactique de la synthèse aura été retenu. Nous avons en préalable, choisi de procéder au recueil des informations sans nous adresser aux sujets concernés ; d’abord par une étude comparative des textes tels les manuels d’enseignements et les notes méthodologiques proposées par les Institutions, puis par deux séquences d’enseignements portant sur l’enseignement de la note. Enfin seulement, le discours enseignant a complété ce travail d’investigation par un entretien non directif. Nous avons d’abord recueilli les matériaux issus de six manuels et de deux notes internes puis de deux séquences didactiques explicitée par leurs responsables. Nous avons ensuite catégorisé ces derniers en conditions générales de réalisations afin d’exprimer et de traduire l’exhaustivité des séquences didactiques, -soit dans des manuels, -soit dans des pratiques d’experts enseignant la synthèse. Ils visaient à donner une vue d’ensemble de la synthèse permettant ensuite une confrontation analogique ou pas avec le modèle théorique bi-sphérique. Il devait permettre de cautionner cette hypothèse probable : « présence de deux sphères, mais didactisation d’une seule» ce qui témoignait alors d’un problème d’enseignement. Balises didactiques de la synthèse : six conditions de réalisation et dix conditions de sous réalisation L’analyse exhaustive des procédures de réalisation de l’épreuve de synthèse permet de préciser ce qu’est l’objet d’enseignement. Ressortent alors six conditions de réalisation pour l’élaboration d’une synthèse ; conditions dépendantes les unes des autres. Elles nous informent que pour réaliser une note de synthèse il faut : - s’imprégner du sujet et des informations issues de la liste des documents (C.R 1) ; lire et exploiter les informations de chaque document, c'est-à-dire les recueillir et les transposerviii dans un travail de réécriture (C.R 2) ; - Redistribuer ces informations en créant des rubriques et en déterminant par hypothèse les idées forces (C.R 3) ; - construire un plan en élaborant une problématique (C.R 4) ; - rédiger l’exposé (C.R 5) ; - S’entraîner pour être dans les temps de l’épreuve (C.R 6). L’analyse des conditions de réalisation renvoie à dix conditions de sous réalisations dépendantes les unes des autres. Ainsi, pour réaliser une note, il faut d’abord : toujours - Appréhender le dossier (C.R.1) - en lisant le sujet (C.S.R 1.1) puis la liste (C.S.R.1.2), 34 - L’exploiter (C.R.2) -en recueillant puis en réécrivant les informations- (C.S.R 2.1 et C.S.R 2.2) - Redistribuer les données (C..R 3) -en déterminant les rubriques puis les idées forces- (C.S.R 3.1 et C.S.R 3.2) - Construire un plan (C.R 4) en édictant ses principes et en élaborant une problématique (C.S.R 4.1et C.S.R 4.2) - et enfin réaliser un texte lié (C.R 5) -grâce à un rappel des principes de l’exposé et du style attendu (C.S.R 5.1.et C.S.R 5.2) - le tout dans un temps déterminé selon un canevas à respecter intitulé, gestion du temps (C.R 6). Cette interdépendance entre les sous conditions de réalisation s’appuie sur la condition de réalisation 1, à savoir l’appréhension du dossier. A ce stade, nous nous apercevons que toutes les conditions de réalisation, sauf justement celle ci utilisent les termes du discours de l’analyse. D’où un premier rapprochement avec la modélisation précédemment réalisée: la condition de réalisation 1 : CR1 est plutôt à rapprocher de la sphère 1 « alors que les autres conditions de réalisation : CR2-CR3-CR4 et CR5 sont à rapprocher de la « sphère didactique » . Enonciation du problème didactique A chaque condition de sous réalisation correspond une «balise» comme objectif à atteindre. Ainsi, pour les conditions de sous réalisation : - C.S.R 1.1 la balise à atteindre est de « comprendre le sujet » ; - C.S.R 1.2 la balise à atteindre est d’établir «un rapport sujet-liste »; - C.S.R 2.1 la balise à atteindre est de «dégager l’essentiel de l’inutile » - C.S.R 2.2 la balise à atteindre de parvenir à un report et une réorganisation des données - C.S.R 3.1 la balise à atteindre est de les «catégoriser » afin de déterminer les rubriques - C.S.R 3.2 la balise à atteindre est « d’écrire une hypothèse » - C.S.R 4.1 la balise à atteindre est de parvenir à « rédiger un plan », - C.S.R 4.2 la balise à atteindre est de « problématiser » - C.S.R 5.1 la balise à atteindre est « l’enchaînement de l’écriture » - C.S.R 5.2 la balise a atteindre est de parvenir à une «cohérence générale» et enfin pour la - C.S.R 6 il s’agit de parvenir à «gérer le temps ». C’est l’absence de procédures pour atteindre ces balises que nous avons nommé «faille». A titre d’exemple, la C.S.R 1.1 « lecture du sujet » fait l’objet de toutes les attentions des manuels et notes méthodologiques. La balise à atteindre là est de « comprendre le sujet ». Pour cela, il est proposé de « s’en imprégner ». Or malgré toute l’insistance portée à cette condition, rien n’est vraiment décrit pour parvenir à cette «imprégnation». De même, pour la C.S.R 2.1, à savoir le « recueil des informations du dossier », la balise à atteindre est « de dégager l’essentiel de l’inutile ». Pour cela, il est proposé de « repérer le contenu des documents par ce qui accroche le regard ». Mais là encore, il n’y a pas plus d’indication pour atteindre cette balise. Un autre exemple : à partir de la réalisation d’un « tableau » il faut déterminer les idées forces en inventant une hypothèse. Mais comment s’y prendre ? On n’en sait pas plus. De même pour l’élaboration de la problématique. Il s’agit justement d’interpréter interrogativement ces mêmes idées forces (C.S.R 2.1). Ces exemples de « failles » montrent les liens qu’elles entretiennent les unes avec les autres et leurs totales dépendances avec la première condition, à savoir une imprégnation du sujet en C.R1. Au total nous avons pu trouver « treize failles ». Elles renvoient aux impossibilités procédurales des cinq 35 conditions de réalisation et à dix conditions de sous réalisation. Elles sont la démonstration d’une ligne de rupture entre les deux sphères modélisées théoriquement. Tableau récapitulatif des balises et des difficultés procédurales BLOC 1 CONDITIONS DE REALISATION C.R 1 Appréhension du dossier 1 seule procédure document par document. LIGNE DE RUPTURE C.R 2 : L’exploitation du dossier –les informations de chaque document- BLOC 2 C.R 3 : Redistribution et nouvelle répartition des données TABLEAU- BLOC 2 C.R 4 Construction du plan Condition de sous réalisation Rubrique principale Failles. Balise à atteindre C .S.R1.1 : lecture du sujet. Imprégnation 1 «Comment s’imprègne-t-on ?» Comprendre le sujet C.S.R1.2 : lecture de la liste Tri (appliquée à la 2 «Comment décrire Rapport sujetrécapitulative du liste) un rapport sujetliste dossier. liste ?» Appréhender le dossier (C.R 1) revient à s imprégner du sujet en le comprenant par le rapport sujet et liste de documents. Le tri d’une liste ne permet pas cette imprégnation. C.S.R 2.1 : recueil des informations. Repérer le contenu des documents –par ce qui «accroche le regard.» C.S.R.2.2 conceptualiserix «transport» et réécriture des informations. Formalisex réécriture et choix des éléments d’un document sur une feuille. 3 «Comment savoir ce qu’il convient de surligner ?» 4«Comment réécrit-on l’information ? Dégager l’essentiel de l’inutile. Report et réorganisation 5 «confusion entre formalisation et réécriture» Si les sous conditions pour le repérage, la réécriture et le choix des informations sont décrites la méthodologie pour le faire est inexistante. (suite du tableau page suivante…). C.S.R 3.1 : détermination et classement de rubriques. regrouper les éléments par thématique + donner un titre 6 «Comment s’y prendre pour déterminer le titre de la rubrique ?» Catégoriser C.S.R 3.2 : Détermination des Situer les rubriques 7 «Comment inventer Ecrire idées forces de la les unes par rapport une hypothèse ?» l’hypothèse note. aux autres. Les sous conditions pour aider l’étudiant à dégager des informations en rubriques et des rubriques en catégories demeurent lettre morte -simplicité par C.S.R 4.1 : l’équilibre ; 8 «Comment se réalise Les principes cohérence par le triptyque Qualitél’articulation ; équilibre articulation Rédaction du Structure Efficacité par le dynamisme ?» plan dynamisme. 9 «qu’est ce qu’un axe - dégager les axes ?» du dossier C.S.R 4.2 : Interprétation 10 «comment réalisePrblématiser Elaboration de la interrogative des t-on un axe de problématique idées forces –. problématisation ?» Le passage du tableau à la construction du plan s’établit par un axe de problématisation- 36 C.R 5 Rédaction : Réalisation d’un texte lié à partir d’un document synoptique. C.R 6 gestion du temps «chronos» (C.R.4). Mais les procédures insistent seulement sur l’importance du tableau pour construire le plan. C.S.R 5.1 : 11 «Comment rédiger Enchaînement Neutralité/ Clarté/ les principes de un texte lié ?» de l’écriture. Précision/ l’exposé une introduction/ C.S.R 5.2 : présente le thème et 12 «comment faire des Cohérence le style le plan. liens en introduction générale. La conclusion/ et en conclusion ?» prolongement de l’idée directrice. Entraînement. 13 «dévolutionxi ?» Gestion du temps Confirmation des difficultés procédurales par les déclarations enseignantes Outre ces failles repérées dans les conditions de réalisation, il y a aussi des énonciations enseignantes, qui viennent renforcer la manifestation de cette ligne de rupture. (Entretiens réalisés auprès de deux enseignants magistrats de l’Institut d’Etudes Juridiques d’Aix-Marseille3. (juin 2004 et septembre 2005) Elles se repèrent dans le corpus de la séquence didactique : «Il faut comprendre chaque document pour pouvoir faire l’analyse» (déclaration 1) «Si vous avez lu correctement le dossier vous allez forcément savoir de quoi on parle» (déclaration 2) «Si vous ne voulez pas faire cette synthèse, vous n’y arriverez pas». (déclaration 3) De même elles se repèrent lors de l’entretien. Lorsque les enseignants abordent la question de l’imprégnation du dossier ils utilisent un langage peu académique : «Il faut pénétrer à corps perdu dans le dossier, il faut s’y jeter dedans, dans un corps à corps».. …son collègue….. «Tu as tout à fait raison de dire cela…» (déclaration 4) Les enseignants rapprochent le problème de la synthèse d’un phénomène intellectuel indescriptible : «C'est une forme de bond qui se fait dans un temps qui est limité». (déclaration 5) «On ne peut pas l’expliquer, sincèrement on ne peut pas» (déclaration 6) La ligne de rupture est donc renforcée par ces déclarations, aveu d’impuissance didactique, véritable impossibilité procédurale. CONCLUSION Nous pourrions dire que l’enseignement de la synthèse se réalise aujourd’hui à partir d’un modèle plutôt cartésien : regroupement d’idées des auteurs, classification et refiguration de ces dernières dans une « niche écologique » spécifique. Mais cette approche conduit à une impossibilité procédurale : les « balises » ne peuvent pas être indéfiniment divisées et les divisions font obstacle à l’acte de synthèse ; ce dernier ne pouvant être réalisé qu’à l’aide d’un « saut intuitif » découvrant le fil directeur du dossier. Mais aujourd’hui, ce « bond » ne peut pas être travaillé didactiquementxii. Or la réussite de certains étudiants témoigne que la synthèse a fait l’objet d’un apprentissage. 37 Cette réussite s’apparente alors à un acte distinctif, un acte « héroïque » qui ne s’apprendrait pas. Il ne fait donc pas partie des connaissances se prêtant à une transmission de type «bureaucratiquexiii» ou « modernexiv» par distinction à une transmission « aristocratique » dont la caractéristique principale est de se « transmettre par frayage» (Verret M. 1978 et Mercier A. 2004). L’exercice devient dès lors, un acte d’affiliation (A.Coulon), qui permet de désigner par écrit, les codes implicites de l’institution. Ainsi la confrontation par l’approche comparative de notre essai de modélisation aux procédures de réalisation permet de démontrer qu’une didactique de la synthèse échoue sur un point essentiel de l’enseignement qui n’est pas didactisable. Ceci démontre l’efficacité du système bureaucratique dans la sélection des candidats mais témoigne aussi d’une injustice majeure entre les impétrants. Ce travail démontre une mise au jour d’une faille de l’école bureaucratique. Ainsi, l’épreuve de synthèse est efficace au sens de la sélection mais inefficace au sens de l’équité. La synthèse dans le concours, c’est l’efficacité inique. Notes i Celle-ci est en général appréhendée par l’inégalité de la distribution de certains biens éducatifs (compétences, accès à l’enseignement supérieur, à telle filière de l’enseignement supérieur, à telle filière de l’enseignement supérieur) entre différents groupes ou par l’influence de l’appartenance à un groupe sur la possession de ce bieni. ii Evolution démographique, déplacement, croissance, désertification de certaines régions, disparité en matière de précarité sociale entraine des questionnements à propos de l’équité, liée au découpage de la carte scolaire, au regroupement de transports scolaires, aux modalités d’attributions et de répartition des différentes aides etc…. iii Augmentation considérable (depuis 1960) des lycéens qui parviennent au baccalauréat et des cursus de l’enseignement supérieur tout comme ceux de la formation et de la qualification : l’effectif des étudiants de troisième cycle a été multiplié par cinq de 1960 à 1990. Cette expansion s’est poursuivie au début des années 1990 avec l’afflux de bacheliers de plus en plus nombreux. En 2000, le nombre d’étudiants est supérieur à deux millions, soit sept fois les effectifs de 1960 (Theulière, 2003) entrainant des adaptations du législateur afin de réguler, de maintenir ou de favoriser un dispositif répondant à un principe d’équité quel que soit le niveau social, économique, le sexe, les trajectoires entre nationaux et étrangers ou les trajectoires différentes selon les régions. iv Pérez J.M., Approche comparative de l’enseignement des synthèses à l’Université : mise au jour d’un point aveugle, Université d’Aix-Marseille1, Thèse 2007. Annexe 1 tableau récapitulatif p.1 à 50 v Le savoir à étudier ici et maintenant est explicitement désigné par un plan d’études ou programme spécifique. Nous les désignerons comme des « systèmes modernes»…Ils tendent partout à supplanter les systèmes aristocratiques par frayage et choix électif réciproque du maître et de l’élève (Mercier A. 2004). vi vii Conditions fixées par le décret 72-355 du 4 mai 1972 et par l'arrêté du 5 mars 1973 Référence à «l’épochè transcendantale» Husserl (1929). viii Il s’agit ici d’un Transfert/transport et non pas d’un transfert spécifique. Genthon, M. (1993) ix Le terme de «conceptualisation» est le terme générique écrit par les auteurs Mais il ne sera jamais qu’une réécriture des données sur une feuille. C’est pourquoi, nous l’avons rayé. x xi De même pour «formalisation» qui n’est qu’une réécriture de certains éléments. -Brousseau G. (1998) «Théories des situations didactiques p.59». L’enseignement est la dévolution à l’élève d’une situation adidactique correcte ; l’apprentissage est une adaptation à cette situation » Dupin, J.J., Johsua, S. (1993). p.252-253 : le professeur veut que l’élève produise des réponses adéquates. Mais l’élève ne dispose pas des moyens cognitifs nécessaires : il y a deux façons limite de traiter ce paradoxe. Le professeur peut dire exactement à l’élève ce qu’il souhaite obtenir comme réponse… ou ne fournir qu’un outil nécessaire.... Entre ces deux extrêmes, la maîtrise de la dévolution du problème conditionne un déroulement didactique efficace ». 38 xii On observe encore que les préparations de concours sont optionnelles et réservées. xiii Verret M., 1977 xiv Mercier A, préfère le terme de ‘savoirs modernes » puisque qu’ils « nous sont contemporains et qu’ils tendent partout -des mathématiques jusqu’à la pêche, au judo, à la recherche scientifique- à supplanter les systèmes aristocratiques par frayage et choix électif réciproque du maître et de l’élève. BIBLIOGRAPHIE Brousseau, G. (1996). Fondement et méthodes de la didactique des mathématiques, in ..Brun (ed) : Didactique des mathématiques, Delachaux et Niestlé, Lausanne, 1996 (p.115) Brousseau, G. (1998). Théories des situations didactiques. Grenoble : La Pensée sauvage. Coulon, A. (1997). le métier de l’étudiant. Paris : P.U.F. Chevallard, Y. (1997). La transposition didactique, du savoir savant au savoir enseigné. Grenoble : La Pensée Sauvage. Dupin, J.J., Johsua, S. (1993). Introduction à la didactique des mathématiques. Paris : P.U.F. Husserl, E. (2001). Méditations cartésiennes. Nouvelle éd., Paris : (texte original 1929), traduction Par Gabrielle PEIFFER et Emmanuel LEVINAS, Librairie philosophique J.VRIN. Mercier, A. (2004). Evaluer et comprendre les effets des pratiques pédagogiques (conférence au PIREF) Pascal, B.(2000). Pascal Œuvres complètes II. Paris (texte original 1670) : Gallimard, Pena Ruiz H.(2003). Histoire de la laïcité, Génèse d’un idéal, Paris : Gallimard Perez, JM. (2007) Approche comparative de l’enseignement des synthèses à l’université : «mise au jour d’un point aveugle». Thèse. Aix-Marseille 1 :UFR psychologie et Sciences de l’Education ? 274p. Peyron-Bonjan, C (1994). Pour l’art d’inventer en éducation. Paris : L’Harmattan. Poincaré, H. (2001). La Science et l’Hypothèse. Paris (texte original 1902): Flammarion, Rapport de base national présenté dans le cadre de l’activité de l’OCDE (novembre 2004). L’équité dans l’éducation en France Theulière M., (2004) « Les deux tiers de la croissance des effectifs d’étudiants depuis 1990 sont dus aux femmes », revue Éducation & formations, n°67 , MEN-Direction de l’évaluation et de la prospective Verret, M. (1975). Le temps des études. Librairie Honoré Champion