La guerre en Iraq (mars 2003)

Analyse comparative de la couverture d’un événement politico-militaire
dans la presse internationale.
La guerre en Iraq (mars 2003)
Description comparative d’un corpus de trois journaux :
Libération.fr [France]
Times Online [Royaume-Uni]
The Star – Online Edition [Afrique du Sud]
au 21 mars 2003
Auteurs :
Ilona WROBLEWSKA
David BOURGEOIS
Séminaire « Communication interculturelle »
INALCO - OIPP
2002 - 2003
1
Table des matières
Présentation générale de l’étude............................................................................................. 3
Principaux résultats de l’étude ............................................................................................... 4
Le corpus ................................................................................................................................ 5
La médiatisation de l’événement............................................................................................ 8
Analyse de contenu .............................................................................................................. 11
La communication par les images ........................................................................................ 15
Remarques conclusives ........................................................................................................ 21
2
Présentation générale de l’étude
20 MARS 2003, 3H30 HEURE FRANÇAISE. Les Etats-Unis lançaient les premières
offensives contre l’Irak du Président Saddam Hussein, après expiration de l’ultimatum lancé
par le Président américain, George W. Bush. Les raisons avancées pour légitimer cette guerre
sont multiples : l’Irak détiendrait des « armes de destructions massives », des « armes
chimiques et biologiques » prohibées et dont l’usage serait dévastateur ; le régime serait liée
au terrorisme international (les attentats du 11 septembre datent de 18 mois) ; plus que tout,
Saddam Hussein ferait régner une dictature implacable, opprimant son peuple. Une guerre au
nom de la démocratie, donc, mais aussi de la sécurité : un guerre de libération et une guerre
« préventive ». De plus, et cela est moins évoqué, l’Irak est un des plus importants
producteurs de pétrole, ses réserves étant pratiquement aussi importantes que celles de
l’Arabie Saoudite. Enfin, l’Irak possède un rayonnement important au Moyen-Orient, ce qui
en fait également un centre géopolitique stratégique.
Dans cette guerre controversée – par de nombreux pays notamment en Europe – et aux
motivations multiples, les Etats-Unis ne sont pas seuls. De source officielle, pas moins de 45
pays les soutiennent, du Royaume-Uni à l’Australie, du Japon à l’Albanie, offrant une aide
matérielle ou plus symbolique. Sur ces 45 pays, une quinzaine, par contre, n’a pas souhaité
afficher publiquement son soutien.
21 mars 2003, un peu plus de vingt-quatre heures après le début de l’offensive. La « crise de
l’Irak » hantait déjà les Unes de nombreux journaux depuis des semaines. La « crise » n’est
plus, c’est de guerre dont on parle dorénavant. Les journaux couvrent déjà l’événement, et
l’on ne compte presque plus le nombre d’articles consacrés à ce qu’il convient donc d’appeler
la Guerre en Irak.
Dans ce contexte, nous avons cherché à voir comment les journaux se sont emparés de cette
guerre dès son commencement. En choisissant la presse écrite sur Internet, nous nous sommes
donnés les moyens de sortir de nos frontières pour interroger la presse internationale, et ainsi
faire rentrer un nouveau paramètre dans l’équation : la couverture de la guerre est-elle
similaire dans tous les pays ?
Pour rendre compte de cela, nous avons mené une étude de contenu sur trois journaux en
ligne rédigé dans trois pays différents : Libération.fr1 pour la France, Times OnLine2 pour le
Royaume-Uni et The Star pour l’Afrique du Sud3, en prenant en compte le maximum
d’articles de presse que possible. Nous avons plus particulièrement étudié le contenu des
Unes, ainsi que des dossiers spéciaux lorsqu’ils existaient : le « Dossier Irak » de
Libération.fr, la page « Iraq » du Times OnLine, et la « World Section » du Star.
Nous avons borné notre étude à la journée du 21 mars 2003 afin de maintenir une
homogénéité dans le temps. Tous les articles pris en compte datent donc de ce jour, et ont été
publiés entre 5h00 et 18h00. Lorsque cela nous a été possible, nous avons comparé des
articles traitant du même événement pour comprendre comment celui-ci était rapporté. A
l’inverse, certains faits n’ont bénéficié que d’un traitement partiel, n’étant évoqués que par
l’un des journaux du corpus.
1
http://www.liberation.fr/ (en français).
http://www.timesonline.co.uk/ (en anglais).
3
http://www.thestar.co.za/index.php (en anglais).
2
3
Principaux résultats de l’étude
Comparaison
Traitement commun
Evénement
2ème attaque aérienne sur
Baghdad
Avancée des troupes
Bombardement
contre
Saddam Hussein
Manifestations pacifistes
Accident d’hélicoptère au
Koweit
Enjeux pétroliers
les sosies du Président
Hussein ?
Les prisonniers de guerre
irakiens
Référence à l’histoire et à
la mythologie irakienne
Traitement propre à un
journal
Traitement
commun
partiellement
Articles + Photo
Articles + Times
OnLine : Photo
Articles uniquement
Libération.fr : Photo
The Star : Article + Photo
Times OnLine : Article +
Photo
Libération.fr : Article +
Carte stratégique
Times OnLine : Photo en
Une
Libération.fr : Photo
Times OnLine : Photo en Une
Times OnLine : Article
Au dixième jour de la campagne militaire américano-britannique, les trois journaux de notre
corpus semblent faire la part belle au style descriptif. Nous avons trouvé peu d’articles
d’analyse du conflit et très peu de commentaires. Il semble en outre trop tôt pour voir
apparaître des éditos ou des prises de position tranchées. Par contre, la priorité est donnée à
l’information factuelle. Nous y retrouvons de nombreux analystes stratégiques ainsi que des
officiers militaires donnant leur point de vue sur les événements passés et leurs pronostics
quant au déroulement des opérations. En revanche, les témoignages de soldats et de civils sont
pratiquement absents.
Le style d’écriture de la plupart des articles analysés révèle beaucoup de prudence de la part
de leurs auteurs qui emploient souvent le mode conditionnel et des expressions telles que « il
semble… », « il paraît », etc. pour avancer leurs propos, préférant laisser parler leurs témoins
sans s’avancer plus avant.
Si le ton des journalistes reste prudent, c’est le choix thématique opéré par la rédaction qui
semble le plus révélateur de leur opinion. En effet, le Times OnLine consacre un article entier
à l’accident qui aurait coûté les premières pertes britanniques dans cette guerre et
Libération.fr, en accord avec la position française, affiche une critique à peine voilée des
motivations ayant mené à cette guerre. Quant au journal The Star, il est celui qui a publié le
moins d’articles sur l’événement, et le seul à ne pas avoir mis en place un dossier consacré à
l’Irak, n’en parlant qu’à travers sa page ‘World’, ce qui dénote selon nous une implication
moindre.
Sur ce point, d’ailleurs, nous nous permettons de nous interroger sur l’ampleur de la
couverture médiatique mise en place par Libération.fr. En effet, la France n’est pas
directement impliquée dans le conflit, elle ne fait pas partie des pays belligérants. Pour autant,
la Une du journal se consacre dans sa très large majorité à l’Irak, délaissant ainsi l’actualité du
reste du monde.
4
Le corpus
Pays
d’origine
Langue
Direction
Libération.fr
The Star – Online Edition
Times Online
France
Afrique du Sud
Royaume-Uni
Français
PDG et directeur de la
publication :
Serge July
Anglais
Anglais
Rédacteur en Chef : Moegsien
Williams
Times Newspapers Ltd
Site web : http://www.liberation.fr/ http://www.thestar.co.za/index.php http://www.timesonline.co.uk/
5
Matin :
Après-midi :
6
7
La médiatisation de l’événement
Libération.fr
Critères
Type d’articles
Dossier
Reportage
(Analyse)
Reportage
Reportage
Reportage
Chronologie
Reportage
Reportage
Reportage
Commentaire
8
Intitulé
"Le conflit avec
l’Irak"
La bataille du
pétrole fait rage
Américains et
Britanniques à
l'assaut de l'Irak
Première
opération, la
«décapitation»
«Ce qui va suivre
ne ressemblera à
aucun autre
conflit»
Vendredi 21 mars,
le film de la
journée
«Ma milice est
prête à se mutiner»
Bagdad a subi son
deuxième assaut
La Jordanie,
résignée, laisse
passer l'orage
Le sommet désuni
de l'Europe
Signature
Taille
Emplacement
Gérard
THOMAS
920 mots
Dossier « Irak », titre
d’appel sur Une
Service Web
(avec agences)
450 mots
Dossier « Irak », titre
d’appel sur Une
Pascal RICHE
700 mots
Dossier « Irak »
Jean-Dominique
MERCHET
830 mots
Dossier « Irak », titre
d’appel sur Une
Service Web
330 mots
Dossier « Irak », titre
d’appel sur Une
Didier
FRANCOIS
Jean-Pierre
PERRIN
Christophe
AYAD (envoyé
spécial)
Jean
QUATREMER
800 mots
460 mots
Dossier « Irak », titre
d’appel sur Une
Dossier « Irak », titre
d’appel sur Une
760 mots
Dossier « Irak »
880 mots
Dossier « Irak »
The Star – Online Edition
Critères
Intitulé
Type
Awesome and frightening
Reportage
blitz on Baghdad
Chronologie Baghdad Burning
Reportage
Reportage
Reportage
Reportage
Reportage
What's to follow will be
beyond a force of what we've
seen before, Rumsfeld says
Targeting Saddam: precision
bombing and a lot of luck
Millions worldwide vent their
anger at US invasion
Israelis prepare for possible
missile strike
Military action on day 1
Signature
Taille
Emplacement
Robert
Fisk
Unsigned
Samia
Nakhoul
848 mots
World section
824 mots
Front Page
710 mots
Front Page
Unsigned
711 mots
World section
Andrew
Gumbel
817 mots
World section
Unsigned
367 mots
World section
Unsigned,
sources:
Reuters
253 mots
Appel en première
page
9
Times OnLine
Critères
Type d’articles
Reportage
Reportage
Reportage
Reportage
Reportage
Interview
Expert
Reportage
Dépêche
Reportage
Reportage
Reportage
10
Intitulé
Quiet fear gives way to
boom of war in
Sheherezade's city of
survivors
Lightning assault by
Marines leads push for
Basra
Iraq strikes back with
suspected banned
missiles
America will not live at
the mercy of an outlaw
regime
Hostile desert
conditions always a
threat to helicopters
Q&A: Michael Evans
on the war today
Baghdad bombed as
'shock and awe' begins
America suffers first
combat death
Saddam 'may have been
killed or injured'
Blair pays tribute to
'brave men' in helicopter
crash
Tributes paid to Marine
crash victims
Signature
Taille
Emplacement
Janine di
Giovanni
460 mots
Pages « Iraq »
David
Sharrock
615 mots
Pages « Iraq »
Michael
Evans,
Defence
Editor, and
David Charter
775 mots
Pages « Iraq »
600 mots
Pages « Iraq »
Foreign Staff
370
878 mots
‘Online Specials’
574 mots
Pages « Iraq »
Pages « Iraq »
Latest News
Pages « Iraq »
Latest News
AFP
139 mots
PA News
503 mots
PA News
272 mots
Pages « Iraq »
Latest News
PA News
553 mots
Pages « Iraq »
Latest News
Analyse de contenu
Journaux
1
2
3
4
5
Type d’articles
2ème attaque aérienne sur Baghdad
Bombardements visant
Saddam Hussein
Manifestations dans le monde contre la guerre
Accident d’hélicoptère au Koweit
Les intérêts pétroliers en Irak
Note :
« xxx » = très développé
« xx » = moyennement développé
Libération.fr
The Star
xxx
xx
Times
OnLine
x
x
xxx
xx
¤
¤
xxx
xxx
¤
¤
¤
xxx
¤
« x » = peu développé
« ¤ » = pas développé
1/ 2ème attaque aérienne américaine sur Bagdad
_ Libération.fr : « Bagdad a subi son deuxième assaut »
Sources :
Un envoyé spécial
Radio Bagdad
Télévision irakienne
_ The Star : « Baghdad burning »
Sources :
Porte-parole de la Navy
Pentagone
Président des Etats-Unis
un fonctionnare de l’Armée Britannique
Résident de l’Irak
Radio de l’Etat Irakien
Abassadeur de l’Irak à l’ONU
Télévision sattelite irakienne
le porte-parole américain
Colonnel des Marines
_ Times OL : « Quiet fear gives way too boom of war in Scheherazade’s city of
survivors »
Sources : aucune
Le reportage de ‘Libération’ est plus court par rapport à celui de ‘The Star’. Il
traite l’évènement d’une façon assez précise en donnant beaucoup de détails sur
l’opération seule.
Le journaliste y est absent dans le sens qu’il relate les faits et ne les commente
pas. Il est assez prudent par rapport aux évènements qu’il rapporte, ex : ‘selon
cette radio’. Tout laisse penser que Bagdad une ville assez forte qui subit les
attaques tranquillement, mais qui ne tombe pas. La dernière phrase de l’article
semble le confirmer.
11
‘The Star’ commence son article en parlant de l’attaque pour ensuite s’occuper
de la situation générale concernant les rapports entre les armées concernées.
Le journaliste n’affirme sa présence qu’à la fin de l’article à travers un bref
commentaire où il fait une spéculation à propos de la suite de la guerre.
Parfois les informations et les commentaires donnés par les hommes politiques,
les experts et les témoins se contredisent. On remarque que l’auteur de l’article
essaye de rester objectif et laisse le choix de la conclusion au lecteur.
Quant à Times OnLine, il présente une description très générale de l’attaque,
cependant les trois quarts de l’article sont consacrés à l’histoire mythique de la
cité de Schéhérazade. Les souvenirs du Bagdad d’avant les guerres – ‘oasis de
calme’, ‘city of gold’, un endroit élégant et riche - dominent le reportage. En
évoquant l’aspect historique de la ville, le journaliste souligne la grandeur et la
splendeur de cet endroit traumatisé actuellement par la guerre dont la paix a été
complètement détruite. L’auteur joue beaucoup sur les contrastes entre le passé
enchanté et la situation actuelle de Bagdad. Sa description est très riche en
adjectifs qualificatifs ce qui peut jouer énormément sur les émotions du lecteur,
donc sa réception du texte. Présenté dans cette optique la ville de Schéhérazade
devient un endroit magique et exceptionnel.
La manière de traiter le sujet ‘trahit’ la tendance pacifiste de l’article.
2/ Bombardements visant Saddam Hussein
_ Libération.fr : « Saddam est indemne, dit le ministre irakien de l'information »
Sources :
Le ministre irakien de l’information
_ The Star : « Targeting Saddam: precision bombing and a lot of luck »
Sources :
Chef des Armées américain
Sources militaires et analystes
Un fonctionnaire britannique
Directeur de l’Institut Israélien de Politique et de Stratégie
Directeur de l’Institut des Analyses Stratégiques de Bonn
Expert de l’Irak à l’Université de Warwick
Membre de l’Institut Français des Relations Stratégiques et Internationales
Un analyste russe
_ Times OL : « Saddam 'may have been killed or injured' »
Sources :
Un haut-fonctionnaire américain
Des fonctionnaires du Service des Renseignements
Le Ministre irakien de l’Information
Des sources militaires britanniques
Un colonel de l’Armée de l’Air
Une civile
Des experts (?)
12
The Star ouvre son article sur la modification de la tactique militaire, repoussant
à plus tard un bombardement massif au profit de frappes dirigées directement
contre Saddam Hussein. Le journal signifie l’échec de cette opération en stipulant
que « le leader irakien a été rapidement vu à la télévision lisant un discours ».
Libération.fr rapporte l’opinion du ministre irakien de l’information, annonçant
d’emblée que « Saddam Hussein a survécu aux raids aériens américains » et s’en
tient à ce seul témoignage. L’article reste très court, cependant les propos du
ministre Said al-Sahaf semblent percutants et parlent d’eux-mêmes.
A l’inverse, Times OnLine, bien qu’évoquant des sources militaires britanniques
au Qatar indiquant qu’elles n’avaient « aucune idée si Saddam était mort, vivant
ou blessé », entretient le doute, appuyé sur des arguments et remet en question la
prestation du Président irakien à la télévision, qui aurait pu être remplacé par un
sosie ou préenregistré son message. Il y a un grand déséquilibre dans le nombre
d’experts cités par le Times OnLine : 2 Irakiens pour 5 Américains ou Anglais,
ce qui oriente indubitablement le point de vue adopté, confirmant le sentiment
qui, au-delà de la prudence de mise, se détache du titre.
Sur ce sujet, la position des journaux semble sensiblement diverger. C’est
Libération.fr qui semble tenir la position la plus catégorique, en ne remettant pas
du tout en cause sa source. Si l’on s’en tient à cet article, il est clair que le
Président Hussein est vivant.
Tenant des propos radicalement opposés, c’est Times OnLine qui est le plus
dubitatif, évoquant la mort du Président irakien comme une possibilité non
négligeable, laissant ainsi la porte ouverte à la réussite de la mission angloaméricaine.
Lorsque le journaliste du Star évoque cette hypothèse, à la fin de son article, ce
n’est que pour en douter aussitôt. Il ne fait intervenir que des experts qui donnent
leur avis, mais ne se prononce pas lui-même, si ce n’est en spéculant à la fin sur
la poursuite de la guerre.
3/ Manifestations dans le monde contre la guerre
The Star : « Millions worldwide vent their anger at US invasion »
Sources citées :
Divers manifestants
Le journaliste semble absent dans cet article, retranché derrière le récit des
événements, à savoir les manifestations pacifistes à travers le monde. Il ne
semble pas prendre position vis-à-vis de ces mouvements. Pourtant, le titre même
de l’article, qui parle d’« invasion américaine », ainsi que la nature des seules
sources qu’il cite, c'est-à-dire les manifestants – neuf fois, suggèrent une certaine
prise de position en faveur des pacifistes.
13
4/ Accident d’hélicoptère au Koweit
Times OnLine : « Accident d’hélicoptère au Koweit »
Sources citées :
Un officier de l’Armée de l’Air américaine
Un colonel de l’Armée de l’Air américaine
Le Premier Ministre anglais Tony Blair
Le Chef d’Etat Major anglais de la Défense
Une commerçante voisine d’une base militaire anglaise
Le pasteur de Stonehouse
Les nombreux témoignages commentent cet événement en mettant l’accent sur la
perte des vies humaines consécutives au crash. Le ton change brutalement vers la
fin de l’article qui traite d’un aspect plus prosaïque de l’affaire, l’histoire des
hélicoptères de combat. Sur ce dernier point, d’ailleurs, le journaliste insiste sur
le fait que certains modèles d’hélicoptères employés dans cette guerre étaient
déjà en service au Việt Nam. On ne peut que s’interroger sur l’effet recherché par
l’auteur avec cette évocation historique : simple rappel ou comparaison
délibérée ?
5/ Les intérêts pétroliers en Irak
Libération.fr : « La bataille du pétrole fait rage »
Sources citées :
Un capitaine de l’armée anglaise
Le ministre britannique de la Défense, Geoff Hoon
Un capitaine des Marines
L’amiral Michael Boyce, chef de l’état major britannique
L’état-major anglo-américain
Agence Reuters
On observe beaucoup de prudence de la part du journaliste vis-à-vis de
l’information reçue, ce qui transparaît par les formules « il semble que »,
« parait », « selon… ».
Par rapport aux commentaires du journaliste, les témoignages de sources diverses
sont très nombreux. Il ne produit que de courts commentaires mais termine son
article par un jugement critique. Il est plutôt d’avis que le vrai enjeu de la guerre
avec l’Irak est le pétrole et non la volonté de libérer ce pays du régime de
Saddam Hussein. La position des Français, partisans de la paix, s’affirme en
plein dans cet article. Le choix du sujet, du titre, ainsi que l’utilisation de
certaines expressions – la croisade pour la « démocratie » – et l’emploi des
guillemets renforce cette position qui ne s’affiche pourtant pas explicitement.
C’est donc bien la réserve qui s’affiche ici. Le journaliste laisse plutôt parler les
témoins au lieu d’afficher son opinion.
14
La communication par les images
Critères
Journal
Libération.fr
Times OnLine
Elément
visuel
Contenu
Intégration textuelle (i.e.
apparaît dans quel article)
Image
de
nuit ;
paysage
urbain,
immeubles
en
flammes et fusées
éclairantes
2. Photo
Probablement pendant
une manifestation : un
drapeau américain est
brûlé dans la rue
3. Photo
Colonne d’hommes en
uniforme
marchant
mains sur la tête face
à l’objectif
4. Carte
Carte
schématique
montrant
la
progression
des
troupes
américanobritanniques et les
points
stratégiques
(champs pétrolifères
et ports) dans le Sud
de l’Irak
5. Photo
Image
d’une
des
chaînes
de
la
télévision »
arabe :
Panaches de fumée
surplombant
un
paysage urbain
6. Photo
De jours; au premier
plan:
soldats américains en
position de combat;
arrière-plan: colonne
de fumée noire
7. Dessin
Soldat américain
humoristique arrivant dans une tente
de commandement et
annonçant « Sir, the
smart bombs are
refusing to launch »
8. Photo
De jour, soldats
inspectant une
carcasse mécanique
inclus en tête de l’article
« Bagdad
a
subi
son
deuxième assaut »
1. Photo
Première page du dossier
« Le conflit avec l’Irak »
Première page, encart « En
images »
Article « La bataille
pétrole fait rage »
du
Inclus
dans
l’article
« Baghdad bombed as 'shock
and awe' begins »
Inclus
dans
l’article
« Coalition
forces
'on
outskirts of Basra' »
Inclus dans l’article « Quiet
fear gives way to boom of
war in Sheherezade's city of
survivors »
Inclus
dans
l’article
« Tributes paid to Marine
crash victims »
15
9. Photo
10. Photo
The Star
11. Photo
12. Photo
Deux photographies
représentant le
Président irakien
Saddam Hussein
Un homme habillé en
noir, vu de face
(visage masqué par
une zone floue), les
mains sur la tête,
encadrée par deux
soldats britanniques
Ville de nuit :
incendie important en
arrière-plan et
explosion sur un
bâtiment au premierplan
Foule en plan serré :
manifestants contre
forces de l’ordre
Une de l’édition du matin
Une de l’édition de l’aprèsmidi
Première page
Section ‘World’
Les images sont présentées ci-dessous avec leur légende éventuelle.
Libération
1. Photo
2. Photo
Les jeunes suisses se rebellent
Le ministère irakien de la Planification en flammes après
avoir été touché lors d'une deuxième attaque aérienne
américaine sur Bagdad. D'autres bâtiments brûlent dans le
sud-est de la ville et des colonnes de fumée s'élèvent dans
le ciel aux abords du ministère des Affaires étrangères.
© Faleh Kheiber REUTERS
16
3. Photo
4. Carte
Ils ne combattront plus pour Saddam
REUTERS
L'OFFENSIVE TERRESTRE AMERICANOBRITANNIQUE SUR L'IRAK
©
Times OnLine
5. Photo
6. Photo
Huge plumes of smoke are seen rising
above buildings in Baghdad during air
strikes tonight
US Marines from the 15th Marine Expeditionary Unit take
position and aim their rifles after hearing gunfire in
southern Iraq
17
7. Dessin humoristique
8. Photo
US and British soldiers inspect the desert crash site of the
Sea Knight helicopter in the northern Kuwaiti desert
9. Photo
10. Photo
Bush gambled on early strike to kill Saddam
Saddam Hussein, above left, seen two days before his
televised speech, and right, after the US airstrike, in which
he appeared dishevelled and, unusually for a vain man,
wore spectacles
Iraqis surrender to troops in southern Iraq
Iraqis have surrendered to Royal Marines securing oil
installations on the al-Faw peninsula today, raising hopes
of further surrender throughout the country
The Star
11. Photo
Fire power … smoke rises from the Planning Ministry
in Baghdad after it was hit during US raids on the Iraqi
capital last night. The ministry is located on the
western bank of the Tigris river, which runs through
Baghdad. Photo: AP
18
12. Photo
Fury … anti-war activist Luca Casarini (centre) shouts
at Italian police outside the British consulate in Venice,
northern Italy, in reaction to the US-led attack on Iraq
yesterday. Anti-war demonstrations took place in
various Italian cities and Italian unions called for a
two-hour general strike yesterday. Photo: AP
Au lendemain du début de la guerre, chacun des journaux publie une photo prise en ville pour
attester des effets du bombardement massif (1, 5, 9), en première page pour The Star et dans
des articles récapitulant les événements de la nuit pour les deux autres. Toutes prises au
téléobjectif, elles montrent les colonnes de fumées et de flamme en plein cœur de Bagdhad, ce
qui a pour effet de mettre l’accent sur les conséquences des bombardements après cette
première nuit de guerre.
Libération.fr publie deux images avec un commentaire lapidaire. La légende de la photo n° 2,
montrant à l’évidence des manifestants brûlant un drapeau américain, mentionne une rébellion
de jeunes, sans plus de précision. De même, la photo n°3, les prisonniers de guerre,
photographiés de face les mains derrière la nuque, sont désignés par un laconique « ils ». Ces
deux photos n’ont pas pour but d’illustrer un article précis : leur force réside donc davantage
dans le « choc des photos » que dans le « poids des mots ».
Chacune de ces deux photos trouve son pendant dans l’un des deux autres journaux :
 La manifestation (2) se retrouve dans The Star, où la photo (12) possède une légende un
peu plus complète et illustre la section « International ». Elle n’est ainsi pas directement
liée à l’article développant ce même événement (« Des millions de personnes à travers le
monde déchargent leur colère face à l’invasion américaine »).
 La reddition des soldats irakiens (3) est également illustrée dans Times OnLine (10). Là
encore, la légende est plus explicite. A noter que les deux clichés possèdent plusieurs
points communs : angle de prise de vue, position du prisonnier, mais celle du Times
OnLine ne montre qu’un prisonnier et deux soldats – et non une colonne apparemment
infinie de prisonniers marchant seuls. De plus, la rédaction a pris grand soin de rendre le
visage du prisonnier non reconnaissable en y appliquant un effet de flou – conformément
semblerait-il aux Conventions de Genève sur le traitement des prisonniers de guerre,
affichant ainsi un comportement déontologiquement irréprochable sur ce point4.
Times OnLine est le seul à montrer des soldats américano-brittaniques, et ce à quatre
reprises : pour illustrer un article relatant l’avancée des troupes, la photo choisie est celle de
soldats en manœuvre sur fond de colonne de fumée (6). Alors que cette dernière est dans le
même ton que l’article, le dessin humoristique (7), recèle une touche de critique : la légende
« Monsieur, les bombes intelligentes refusent de décoller », affiche une opinion claire qui
détonne un peu avec le reste du journal.
La troisième photo de soldats est celle de la récupération de la carcasse de l’hélicoptère qui
s’était écrasé accidentellement, dans un article présentant les réactions britanniques face à cet
accident. La priorité est encore une fois donnée aux images de terrain, au direct live.
Sur sa Une de la mâtinée, Times OnLine publie deux photographies censées représenter le
Président irakien (9). Ces deux photos, tirées de discours de Saddam Hussein à la télévision,
font allusion à l’apparition de ce dernier après l’attaque aérienne l’ayant directement visé.
Sans remettre une seule seconde en cause son identité lors de ce deuxième discours, la
légende de l’image – qui ne fait donc pas partie d’un article particulier – ne fait que remarquer
4
La question s’est ainsi posé sur les photographies des prisonniers de guerre : le fait de les représenter à visage
découvert n’irait-il pas à l’encontre de Convention de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre du
12 août 1949, et en particulier de l’article 3, alinéa c : « les atteintes à la dignité des personnes, notamment
les traitements humiliants et dégradants » ?
Lire le texte complet : http://www.unhchr.ch/french/html/menu3/b/91_fr.htm
En anglais :
http://www.unhchr.ch/html/menu3/b/91.htm
19
des détails « inhabituels » pour un passage du Président à l’écran. Encore une fois, la
rédaction fait preuve à cette heure d’une prudente réserve en n’évoquant pas – encore – la
possibilité de la substitution à l’image de Saddam Hussein par l’un de ses sosies, information
qui a pu faire l’objet de débats dans d’autres media.
Enfin, alors que l’écrasante majorité des images est constituée de photographies diverses,
Libération.fr publie une carte schématique du Sud de l’Irak représentant en même temps,
entre autres, les troupes de la coalition américano-britannique, les « zones stratégiques
sécurisées » et les installations pétrolières : puits, pipelines, champs pétrolifères. A noter que
c’est la seule image à posséder en son sein même l’indication de ses sources : transmise par
l’Agence Reuters, cette carte proviendrait de l’Université du Texas5.
Cette carte illustre l’article « La bataille du pétrole fait rage » et tout, depuis le titre,
« Offensive sur le pétrole », jusque dans son utilisation – la mise en relation des intérêts
militaires et des sites liés au pétrole, sert le jeu de l’opposition en dévoilant ce que le
journaliste semble juger comme le véritable enjeu de cette guerre.
En définitive, il nous est apparu qu’au lendemain du déclenchement officiel de cette guerre,
tous les éléments visuels, à deux exceptions près (4 et 7), sont des photographies, et que 10 de
ces 12 images sont directement liées à l’Irak (2 et 12 seulement montrent des événements hors
Irak).
5
Une seule autre image peut prétendre à cette identification directe, à savoir la photo 5, est extraite d’une
télévision arabe, que nous n’avons pu identifier.
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Remarques conclusives
Le travail s’est bien déroulé sur plusieurs demi-journées. Nous nous sommes répartis les
analyses de contenu en se consultant en permanence, échangeant nos idées et nos impressions,
tout en abordant d’autres sujets historiques, d’autres guerres du passé. Nous avons également
pu échanger nos points de vue sur cet événement majeur, tout en essayant de ne pas faire
entrer ce point de vue dans nos analyses, malgré les difficultés rencontrées.
Le premier jour de travail à l’université nous a seulement permis de prendre contact avec le
sujet, et d’évaluer la charge de travail. Techniquement parlant, nous avons pris la précaution
de sauvegarder les articles les uns après les autres afin de nous économiser de mauvaises
surprises (accès payant aux archives, suppression des pages Web, rafraîchissement des Une,
etc…).
Nous avons abordé le travail au fur et à mesure, en prenant notre temps (!). Cela nous a rendu
la chose d’autant plus intéressante et enrichissante. Cela nous a donné une bonne occasion de
nous connaître davantage, et une bonne excuse de nous rencontrer en-dehors des journées de
cours. ;)
Nous avons trouvé dans ce sujet une opportunité de nous intéresser en profondeur à un
événement d’une telle ampleur, et de l’aborder sur un plan plus critique qu’émotionnel.
C’est la première fois que nous avons eu à produire une telle analyse, ce qui nous a permis de
voir ce type d’événement d’un œil différent.
De plus, le fait de travailler sur un corpus de plusieurs journaux, de différentes nationalités qui
plus est, nous a fait prendre conscience de la subjectivité des rédactions dans la sélection des
faits relatés et dans la manière de le faire.
Ironiquement, la conduite de ce travail tombait à point nommé… Nous avons ainsi pu
travailler sur un événement d’ampleur historique, ce qui a rajouté à notre satisfaction.
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