En tête à tête avec les batraciens

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En tête à tête avec les batraciens
2007
En tête à tête avec
les batraciens
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Dossier nature
En tête à tête avec
les batraciens
par Jérémy ALLAIN
J'ai attrapé ma première grenouille à l'âge de six ans et je m'en souviens comme si c'était hier. Et je passe encore
très souvent devant ce qui reste de la mare de mon exploit (si, si, du haut de mes 6 ans j'étais fier, ma maîtresse
de CP un peu moins quand elle a vu l'animal arriver dans sa classe), mais cela fait bien des années que n'y résonne plus le chant des grenouilles. Et j'aimerais que mes enfants puissent vivre ces mêmes moments.
Debout c'est le printemps … ou presque.
Chaque année le rituel est bien rodé, les batraciens ont rendez-vous à la ''mare du coin'' pour leur rencontre
annuelle qui permettra de perpétuer l'espèce.
Mais, de là à parler de printemps, il ne faut tout de même pas exagérer.
En effet, après la torpeur hivernale ce sont les grenouilles rousses (Rana temporaria) qui se réveillent les premières
pour assurer leur reproduction. En général, mâles et femelles se retrouvent dans les points d'eau vers la mi-janvier, mais si Noël est particulièrement doux cela fera aussi bien l'affaire.
Plus tard, au début du mois de février, ce sera le tour du
crapaud commun (Bufo bufo) qui fera sans problème jusqu'à
1 km pour rejoindre l'arène de la reproduction. Et oui, à
leur arrivée, et pendant plusieurs semaines, les mâles joueront des coudes pour s'assurer les faveurs des femelles.
Ce mâle se fait transporter jusqu’à la mare par une femelle trouvée sur le
chemin de la migration.
Photo Yannick BELLANGER
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Un pour tous et chacun pour soi.
Chez de nombreuses espèces de batraciens les mâles émettent des chants qui peuvent servir à attirer les
femelles ou à défendre leur territoire.
Chez le crapaud calamite (Bufo calamita) le sac vocal
organe de résonance des sons produits par les cordes vocales
se situe sous la gorge.
Photo : Patrice Quistinic
La grenouille verte (Rana Kl. esculenta) possède deux sacs
vocaux situés de part et d’autre de sa tête.
Photo : Patrice Quistinic
Chez le crapaud commun, il n'en est rien ; les mâles ne chantent pas pour attirer les femelles. Leur technique est plutôt celle de l'embuscade. Promenez vous autour des mares pendant la période de reproduction et vous verrez alors les mâles postés dans quelques centimètres d'eau guettant l'arrivée des femelles.
Et là, celle qui ne fait le voyage que tous les 2 ans ou 3 ans (LE GARFF. com. perso) se retrouve empoignée par plusieurs mâles qui essaient les uns après les autres, les uns au détriment des autres, de prendre la position du mâle reproducteur. Cette position, qui consiste à mettre ses pouces dans les aisselles
de la femelle, lui assurera une prise parfaite et rien ou presque ne pourra l'en déloger (un naturaliste
Italien du début duX IXéme Siècle a tenté de séparer un mâle de sa femelle en lui brûlant ou en lui coupant une patte, en lui accrochant des poids … Tout cela pour dire qu'un crapaud accroché ne veut pas
laisser sa place).
Il n'est pas rare d'observer plusieurs individus (5 ou 6, parfois plus) épris de la même femelle et l'histoire finit alors souvent par tragiquement : sous la pression des mâles la femelle finit par se noyer.
Peu patient :
Le mâle de crapaud commun semble peu patient pendant la période de reproduction, mais cette ardeur
lui joue parfois des tours.
J'ai déjà eu l'occasion, lors de sorties nocturnes, de voir un crapaud s'en prendre à ma botte. Le cas a été
également observé sur des poissons morts ou vivants
(gardon notamment), le mâle oubliant alors la notion de
''barrière donnée à l'espèce''. Et j'ai aussi observé un mâle
de grenouille agile (Rana dalmatina) resté en position de
reproduction pendant plus de 24 heures sur le corps d'une
femelle morte depuis quelques jours.
Ce mâle de Grenouille s’est trompé de partenaire, ici une salamandre
tachetée (Salamandra salamandra).
Photo : Yvon LE GUENNEC
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Il y aurait-il méprise :
L'ardeur des mâles de crapaud commun n'est plus à démontrer mais elle peut leur jouer un autre tour.
J'ai eu également l'occasion d'observer une méprise entre deux mâles. Et là le scénario était toujours le
même : un premier mâle tente de se mettre en position de reproduction et le second pousse un petit cri
comme pour lui faire part de ce moment d'égarement, puis chacun part de son côté.
L’heure de la ponte a sonné :
Il y a donc beaucoup de nominés pour tenter l'aventure de la reproduction mais ce sont les gagnants qui
assureront la descendance de l'espèce.
La reproduction se fait par fécondation externe, le mâle venant féconder les œufs lors de leur expulsion.
Les pontes, en amas chez les grenouilles ou en chapelet chez les crapauds, pourront être fixées à la végétation ou déposées au fond de l'eau.
Ponte en chapelet, ici ponte de crapaud calamite (Bufo
calamita)
Photo : Justine VIDAL
Ponte en amas, ici ponte de grenouille agile (Rana dalmatina)
Photo : Justine VIDAL
A une exception près :
Chez le crapaud accoucheur, le mâle récupère le chapelet d'œufs et
l'enroule autour de ses pattes arrières. Un fois les œufs prêts à éclore, il retournera à l'eau pour y laisser ses têtards.
Crapaud accoucheur (Alytes obstetricans) avec son chapelet d’oeufs
Photo : Yvon Le Guennec
Papa et maman rentrent à la maison :
A l'exception de la grenouille verte, les autres batraciens costarmoricains sont inféodés au milieu aquatique uniquement pour leur reproduction, le reste de l'année ils vivent hors de l'eau fréquentant alors les
milieux bocagers, forestiers, littoraux …
On assiste alors, à la fin de la période de reproduction, à une migration post-nuptiale qui permettra à
chacun de retourner vers sa zone de vie habituelle.
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La fabuleuse histoire de la métamorphose :
Chez les amphibiens le développement larvaire se fait dans l'eau; les têtards qui sortent de l'œuf subissent alors un certains nombre de transformations leur permettant d'arriver au stade adulte, de passer,
pour leur respiration, d'un système branchial à un système pulmonaire et aussi d'acquérir des pattes.
Cycle de reproduction du
Crapaud commun (Bufo bufo)
dessin : Jean-Paul BARDOUL
Enfin grand :
C'est vite dit, les petits crapelets ou grenouillettes qui sortent de
l'eau pour rejoindre leur lieu de vie ne font guère plus d'un centimètre. Il faudra alors attendre quelques années pour qu'ils puissent aussi participer à la reproduction.
Jeune crapaud commun (Bufo bufo) dans une main
photo : Gilles BENTZ
Batracien, une vie bucolique ?
La vie des grenouilles et crapauds est loin d'être bucolique tant les dangers sont présents.
Dès leur stade larvaire (têtards) les batraciens subissent la prédation des insectes aquatiques, des poissons (en moindre quantité ; en fonction des espèces certains têtards produisent des toxines leur donnant
un mauvais goût), de la couleuvre à collier …
Pour l'adulte, la prédation est tout aussi présente. Des oiseaux (hérons…) n'hésiteront pas à le capturer,
la loutre déshabillera littéralement le crapaud de sa peau pour le consommer, cette pratique permettant
au mammifère de ne pas être en contact avec les venins produits par la peau de sa proie. Le blaireau
pourra aussi, dans certains cas, se spécialiser dans la consommation de crapauds communs.
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Le venin est une arme de défense qui repousse un
certain nombre de prédateurs mais face aux
attaques des couleuvres, mieux vaut alors passer
pour plus grand que l'on est. C'est ainsi que le crapaud prend une position très haute, empêchant la
couleuvre de l'avaler.
Crapaud commun (Bufo bufo) en position de défense
Photo : Laurent DABOUINEAU
Encore lui ?
Eh oui, dans cette histoire de prédation il en est un qui revient sans cesse, mais, comme il dit toujours
" j'ai pas fait exprès, vous savez, il y a l'économie ; un crapaud de plus ou de moins, on ne va quand
même pas pleurer (nos enfants peut-être …) et puis c'est sale, ça porte malheur ".
Ou encore " ce marais ! mais, ce truc là c'est humide, ça sert à rien et puis en plus il y a des moustiques,
vous vous rendez compte : des moustiques ! "
Alors, c'est vrai qu'avec ce genre de discours la France a perdu en un siècle 50% de ses zones humides
soit 50% des zones potentielles de reproduction des batraciens.
Mais c'est quand même un peu plus compliqué :
On ne peut pas protéger durablement une espèce en préservant uniquement son lieu de reproduction.
Le simple fait de protéger une mare ne constitue qu'un maillon dans ce qui doit être mis en œuvre. En
effet, les amphibiens ont un domaine vital théorique qui peut aller jusqu'à 1.000 m autour d'un point
d'eau et, pour en assurer la conservation, il faut mener la réflexion sur l'ensemble de cette zone appelée
''unité fonctionnelle écologique''.
Il faut donc prendre en considération l'ensemble des paramètres liés aux cycles biologiques et les études
scientifiques menées dans ce sens doivent constituer la base du travail. On sait aujourd'hui qu'une mare
entourée de terrains labourés ou de cultures ne pourra être fréquentée par les amphibiens car ces
milieux, trop secs, ne seront pas traversés. De même, une route constitue un danger dans la migration
et l'installation de batracoducs (appelés aujourd'hui plus communément ''passages pour la petite faune'')
peut être efficace.
Comment agir ?
Créer une mare dans son jardin ou sa propriété peut constituer une première action. Observer les amphibiens et signaler leur présence et leurs sites de reproduction constituent
également une aide précieuse.
Un projet d'inventaire, mené par Bretagne Vivante à l'échelle
de la région, est en cours et VivArmor Nature est partenaire
de cette opération pour notre département . Vous pourrez
donc, dans les semaines à venir, nous faire part de vos obserUne mare chez Aymar de Gésincourt
vations.
Photo : Michel GUILLAUME
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Conclusion
En ce début d’année 2007, il semble poindre une certaine forme de conscience écologique et il ne faudrait pas que la biodiversité soit le parent pauvre de la préservation de notre environnement (d'après un
sondage GEO CSA de février 2007 seulement 8% des Français se disent concernés par cette problématique).
La préservation de la biodiversité ne doit pas être seulement le travail de nos décideurs ou le leitmotiv
des associations de protection de la nature. Chacun peut, à son niveau, agir et ainsi contribuer à cet enjeu.
Je tiens à remercier :
- Jean-Paul Bardoul pour les dessins,
- Bernard Le Garff et Pierre et Patrice Quistinic pour les échanges que nous avons pu
avoir concernant les amphibiens,
- Justine Vidal pour les heures passées à prospecter, à compter, à dénombrer les amphibiens de la Réserve Naturelle de la baie de Saint-Brieuc,
- Yannick Bellanger, Yvon le Guennec, Gilles Bentz, André Charlot, Charlotte Chatton,
Daniel Réaudin, Anne Ferron, Laurent Dabouineau, Michel Riou, Justine Vidal, Patrice
Quistinic pour leurs photos.
Bibliographie
Allain J, Vidal J, 2004, Analyse du peuplement d’Anoures du site départemental des dunes de
Bon-Abri (Hillion, Côtes d’Armor), 52p.
ACEMAV coll., Duguet R. & Melki F. ed., 2003 - Les Amphibiens de France, Belgique et
Luxembourg. Collection Parthénope, Biotope
Fretey J., 1975 - Guide des Reptiles et Batraciens de France. Hatier
Le Garff B., 1988 - Atlas des Amphibiens et des Reptiles de Bretagne. Penn ar Bed 126-127
Société Herpétologique de France - Liste des espèces d'Amphibiens et Reptiles de France métropolitaine
Tester U. & Flory C., 1995 - Le "projet Rainette" un exemple de protection des amphibiens en Suisse.
Bulletin de la Société Herpétologique de France n°73-74
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Pour aller plus loin : un projet en cours
Atlas des amphibiens et reptiles de Bretagne
Les associations Bretagne Vivante, de Mare en Mare et VivArmor Nature travaillent en ce
moment sur un projet d’étude des amphibiens de Bretagne (Historique). L’idée principale est de
réactualiser le travail mené par Bernard Le GARFF et les naturalistes dans les années 80. Et également tenter de travailler sur des protocoles d’étude et de suivi des populations d’amphibiens et
de reptiles.
Si ce projet aboutit, nous aurons donc besoin de vous pour nous signaler vos observations.
La suite dans le prochain Râle d’eau ....
Un ouvrage de référence
Les Amphibiens de France, Belgique et Luxembourg
Collectif de l’Acemav
Direction scientifique : Rémi Duguet et Frédéric Melki
480 pages dont 448 couleurs | 43 € ttc
Livre + guide sonore sur CD | 50 € ttc
Rédigé par un collectif des meilleurs batrachologues français,
belges et luxembourgeois, cet ouvrage fait la synthèse des
connaissances les plus récentes sur les amphibiens. Toutes les
espèces et sous-espèces de la région sont présentées de façon
très complète.
On retrouve les éléments faisant le succès de la Collection Parthénope : actualité du propos, exhaustivité, approche à la fois scientifique et pédagogique, iconographie de grande qualité, mise en page et fabrication très soignées.
Cet ouvrage comblera les attentes de tous ceux
(simples curieux de nature, naturalistes,… mais
aussi scientifiques ou professionnels de l’environnement) qui recherchent des informations complètes et actualisées sur ces animaux fascinants, et
suscitera des vocations chez les plus jeunes d’entre nous.
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Le coin des curieux
Les grenouilles costarmoricaines
Il existe en Côtes d’Armor 3 espèces de grenouilles et 1 complexe celui des grenouilles vertes. En effet, les différentes formes de grenouilles vertes sont très difficiles à identifier tant les différences sont subtiles (chant par
exemple) et les hybridations courantes.
photo : Michel RIOU
photo : Michel RIOU
Le “groupe” des grenouilles vertes (Rana kl esculenta) se reconnait aisément à la couleur verte (ou mélangée avec du brun) des adultes. De
plus, les individus sont présents toute l’année dans les points d’eau qui
les accueillent.
La grenouille rousse (Rana temporaria) fréquente le bocage et les milieux
boisés. Elle a un museau court et arrondi, les replis de peau présents
sur le dos se rapprochent vers l’arrière. La patte postérieure ramenée
vers l’avant ne dépasse pas le museau.
photo : Michel RIOU
photo : Michel RIOU
La grenouille agile (Rana dalmatina) fréquente le bocage et les milieux
boisés. Elle a un museau long et pointu, les replis de peau présents sur
le dos sont parallèles. La patte postérieure ramenée vers l’avant dépasse largement le museau.
La rainette verte (Hyla arborea) est souvent présente dans la végétation
ou dans les arbustes. Elle est notamment reconnaissable à la bande
noire qu’elle porte sur le bas des flancs de la narine à l’aine. Attention,
sa coloration peut varier du vert au gris en passant par le brun .... .
NDLR : vous pouvez retrouver une description des crapauds des Côtes d’Armor dans le Râle d’eau n°125
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