Lorraine : la télémédecine en actions

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Lorraine : la télémédecine en actions
Région
Lundi 30 Septembre 2013
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LE DOSSIER DU LUNDI
TTE
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santé en lorraine
Les atouts de la télémédecine
• Neurologie, radiologie, néphrologie, dermatologie, consultations en milieu carcéral… la télémédecine s’installe dans le paysage médical lorrain.
Demain, maisons de retraite ou instituts de polyhandicapés pourraient être concernés.
Des besoins
clairement identifiés
L’association Saint-André – Laurent Arnoux à gauche – a investi
ses nouveaux murs à l’hôpital Robert-Schuman en mars dernier.
En mai, l’ASA est passée à la téléconsultation. Photo archives : Karim SIARI
En milieu carcéral
Trois mois que le système a été mis en place et déjà une certaine
habitude pour Cécile Voilliot, dermatologue du CHR de MetzThionville. Pourtant, ses patients téléconsultation, ne sont pas
vraiment comme les autres.
Tous sont détenus à la maison d’arrêt de Metz-Queuleu et
devaient venir à l’hôpital Beauregard de Thionville en escorte. Ils
patientaient menottes aux poignets et, lors de la consultation
devaient, toujours entravés, décrire leurs maux.
Aujourd’hui, ces mêmes patients restent au centre sanitaire de la
prison de Queuleu. Un médecin présente le détenu tandis qu’une
caméra parcourt son corps, là où lésions, cicatrices ou plaies
posent soucis. « Un dialogue s’instaure, explique le Dr Cécile
Voilliot, comme si la personne était en face de moi. Ça reste
humain. Finalement, leur intimité est bien mieux respectée ainsi.
L’entrave, l’escorte c’est difficile à vivre pour eux. » Et ça coûte
cher. 800 € par déplacement et par détenu !
Du coup, les rendez-vous chez les spécialistes se limitaient au
strict minimum et les files d’attente s’allongeaient. « Tous les jeudis
après-midi, avec mon collègue, on ne fait plus que de la télémédecine pour détenus. »
Certes, caméras et ordinateurs ne remplaceront jamais une vraie
consultation. « On ne peut pas toucher les lésions, ni voir les
reliefs, mais le médecin de la prison peut aider à la description. Si
jamais on a un doute ou si on doit effectuer un geste médical, on
demande un déplacement. Mais, à la base, un tri aura été fait. »
En centre de dialyse
Dans les centres de dialyse de l’association Saint-André – ASA –,
à Moulins-lès-Metz et Freyming-Merlebach, la résistance n’a pas
été bien grande. Moins de six mois, après la mise en place des
téléconsultations, infirmières et patients apprécient. Il faut dire que
l’ASA a privilégié le travail en amont, « les médecins se sont
entretenus avec leurs patients et nous n’avons essuyé aucun
refus, » explique Laurent Arnoux, directeur de l’ASA. « Il fallait
qu’ils comprennent que leur néphrologue, à l’hôpital Robert
Schuman, a tout sous les yeux : dossier médical, écran de contrôle
avec ses données cliniques… » Un stéthoscope électronique a
même été acheté.
Là, l’avantage est plutôt pour les néphrologues. Ce sont eux qui
se déplaçaient dans les centres de dialyse. « Deux heures trente
économisées par semaine. Je préfère que les néphrologues s’occupent de leurs patients plutôt qu’ils soient sur la route », analyse
Laurent Arnoux. « Maintenant, à l’association, nous sommes tous
connectés : néphrologues, techniciens dialyse et direction. Ça
abolit les distances. » Télésanté lorraine va sonder les patients pour
connaître leur retour. Mais les premières impressions recueillies par
les infirmières sont plutôt positives. « Ça fonctionne bien, le lien
n’est pas interrompu, d’autant qu’une consultation sur deux
demeure physique. »
• N’y voyez pas forcément une médecine dégradée, machine à réaliser des économies. C’est le
nouvel enjeu, un schéma sanitaire qui se joue des
kilomètres. Une autre « circulation » préférable aux
incessants déplacements de médecins et patients.
• Dans le cas de l’AVC, c’est la garantie d’une
prise en charge plus rapide. Les hôpitaux de proximité, ont accès aux spécialistes de CHU ou CHR,
et réorganisent leurs astreintes. Les patients apprécient d’être soignés près de chez eux.
Le lien malgré la distance
La télémédecine ne peut pas
répondre à tout et ne remplacera
pas t out. Heureusement,
d’ailleurs. Mais, dans certains
cas, il faut bien avouer qu’elle
s’avère étonnamment précieuse.
Pour faire des économies ?
Pas seulement. Au risque de
déshumaniser ? L’expérience
donne des retours différents.
Avec la menace d’hôpitaux sans
médecins ? La réalité est bien
pire. Combien d’hôpitaux de
proximité ont dû fermer des services faute de parvenir à recruter
ou organiser ses astreintes.
Alors, depuis 2008, Agence
régionale de santé – ARS –,
Région Lorraine et Groupement
de coopération sanitaire avec
Télésanté poussent à la télémédecine.
Neurologie avec le cas particulier de l’AVC, radiologie, dermatologie, consultations avant
anesthésie, néphrologie… sont
les principales disciplines du
dispositif. Mais demain, ce
pourrait être des consultations
psychiatriques, cardiologiques,
prévention bucco-dentaire,
meilleure prise en compte des
problèmes d’addiction – comme
la téléconsultation au sein de
deux pôles santé en Meuse – ou
encore de nouveaux liens en
Maison de retraite qui pourraient être proposés.
Car, au fil des utilisations, les
réticences sont tombées. Les
patients évitent de longs et
récurrents déplacements en se
rendant à l’hôpital ou centre de
soins le plus proche. Face à un
écran, casque et micro en place,
leur intimité est préservée.
Comme dans une vraie consultation, le spécialiste est tout à
son patient, avec son dossier
médical et toutes ses données
cliniques sous les yeux. A côté
le chiffre
5M€
C’est l’investissement
débloqué depuis 2008
pour la mise en place des
téléconsultations en Lorraine. 2,4 M€ de l’Etat;
1,6 M€ de l’Agence régionale de santé; 600 000€
Région lorraine; 330 000€
de fonds européens.
Région pilote
en téléradiologie
L’association Saint-André, basée à Metz, travaille en téléconsultation avec les néphrologues – ici, le Dr Arnaud Guérard – de l’hôpital
Robert-Schuman à Nouilly, pour ses centres de dialyse de Moulins-lès-Metz et Freyming-Merlebach. Photo DR.
du patient, un médecin ou personnel soignant est présent. Le
spécialiste peut à son tour
l’interroger, lui demander de
compléter l’examen. L’hôpital
de proximité, relié aux spécialistes, n’est plus seul et s’enrichit
de ces contacts réguliers. Pour
l’ARS, l’opportunité de gommer
les inégalités d’offre de santé.
Ne dites pas à l’ARS qu’il
s’agit d’une médecine dégradée,
« au contraire, c’est un moyen
d’offrir à tous les Lorrains, une
même qualité de prise en
charge, insiste Jean-Louis Fuchs,
chargé de mission télémédecine
ARS. Le problème n’est pas tant
la distance ou l’ordinateur, mais
l’organisation, le protocole et la
qualité du soin rendu ».
Plus de demandes que
de capacités à les traiter
Rien n’est imposé. « Aux
médecins de s’emparer du dispositif et de proposer un projet.
Nous, nous accompagnons les
investissements nécessaires. »
Aujourd’hui, les protagonis-
tes ont le sentiment d’avoir
dépassé le stade de l’expérience, sans encore avoir atteint
l’effet de masse. « À chaque
fois, nous devons mesurer si le
dispositif répond aux besoins ;
aussi bien pour le patient que
pour l’équipe médicale. Le but
est d’offrir à tous les patients
une même qualité de prise en
charge. »
Alors, hors de question
d’improviser. Un protocole précis est défini avec formation,
matériel harmonisé, informati-
que sécurisée. Le patient conserve son libre choix. Au total
treize sites sont déployés en
Lorraine avec un processus
rodé.
« Les médecins viennent vers
nous et nous proposent leurs
projets, assure Arnaud Vozain,
chargé de projet Télésanté.
Nous avons plus de demandes
que de capacités à les traiter.
C’est notre défi. »
Textes :
Laurence SCHMITT.
AVC : une heure de gagnée
Les téléconsultations lors
d’AVC sont concluantes ?
Arnaud VOZAIN, chef de
projet Télésanté ODYS : C’est
très net. Nous avons de plus en
plus de demandes en ce sens. La
télémédecine permet une prise en
charge plus rapide de l’AVC. Une
heure gagnée en moyenne… Lorsqu’on sait qu’on a 4h30 pour
optimiser la récupération du
patient en phase aiguë, c’est
énorme.
Concrètement, comment ça
fonctionne ?
Bar-le-Duc et Verdun, en
Meuse, Epinal, dans les Vosges,
sont reliés au CHU de Nancy.
Neufchâteau, Saint-Dié et la
Moselle sont à l’étude. À chaque
fois ce sont des hôpitaux de
proximité qui ne bénéficient pas
de neurologues. Les patients y
sont conduits. C’est le temps de
transport qui est économisé.
Urgentistes ou médecins de services cliniques, formés à la télésanté et titulaires d’un DU neurovasculaire, prennent en charge les
victimes. Par écran interposé, le
dialogue s’instaure. La prise en
charge est optimisée, comme si le
patient se trouvait au CHU de
Nancy. De leur côté, les médecins
se sentent soutenus. Plus tôt le
patient est pris en charge, plus il
évitera les complications et récupérera. Patient et assurance-maladie s’y retrouvent.
D’autres domaines justifient-ils la télémédecine ?
Les besoins sont clairement
identifiés en milieu carcéral. Deux
centres pénitentiaires sont équi-
pés, Nancy-Maxéville et MetzQueuleu. L’accès à une consultation spécialisée revient à 800 €.
Leurs unités sanitaires sont équipées. Consultations avant anesthésie ou dermatologie sont devenues courantes. Metz-Queuleu
aimerait ouvrir le champ de la
cardiologie. La prévention buccodentaire est aussi à l’étude.
La néphrologie permet également des consultations à distance via les centres de dialyse de
proximité. À Bar-le-Duc, une
unité d’auto-dialyse a été ouverte
avec consultations télémédicalisées. Certains patients devaient
se déplacer jusqu’à trois fois par
semaine à Nancy. L’assurancemaladie économise 85€ à chaque
séance et le patient n’hésite pas à
dire que ça lui a changé la vie.
Avec la télémédecine, dans la relation patient médecin, ce n’est
plus la distance qui compte, mais la qualité de la prise en charge.
Photo ANAP
En Lorraine, l’aventure de la
médecine numérique n’a pas
vraiment commencé en 2008…
mais en 1992 ! Au CHU de
Nancy, le Pr Picard, neuroradiologue, avait relié toutes les
consoles du CHU par des
liaisons spécialisées avec les
hôpitaux de Verdun, Neufchâteau, Sarreguemines ou SaintAvold.
C’est donc tout naturellement
que la Lorraine a été retenue
région pilote en téléradiologie.
Vingt-cinq établissements
utilisent la téléradiologie et le
CHU peut envoyer des images
à tous les établissements de
Lorraine. Verdun travaille
même avec une société spécialisée de Lyon !
Chaque mois, 600 actes et
7 000 transferts d’images sont
effectués. Pour l’AVC, près de
cent télédiagnostics sont réalisés par mois.
Depuis le début de l’année,
Remiremont, Saint-Avold et
Freyming-Merlebach, mutualisent leurs astreintes. Ce qui
fait plaisanter le patron de
l’ARS, Claude d’Harcourt, lors
de la journée Télémédecine
en actions, organisée à
l’abbaye des Prémontrés, la
semaine dernière : « Freyming
– Remiremont – Saint-Avold,
fallait trouver le lien ! Y’a
peut-être un truc à faire pour
Metz et Nancy. »
L’urgence
d’une nouvelle
tarification
• Technique ? C’est maîtrisé,
même si, de temps en temps, il
demeure quelques problématiques réseaux.
• Responsabilité ? Une vraie
question à laquelle l’ARS doit
répondre. Qui est responsable
vis-à-vis du patient ? Le médecin ou personnel soignant, à
côté du patient ou le spécialiste derrière l’ordinateur ?
• Tarification ? C’est La grande
énigme. Il va falloir trouver un
nouveau modèle de tarification; pour le médecin côté
patient et celui côté ordinateur. « Pour l’instant, il n’y a
pas trop de soucis, explique
Jean-Louis Fuchs à l’ARS. Nous
travaillons essentiellement en
milieu hospitalier et ce sont
des prestations interambulatoires. » Mais pour que l’effet
de masse s’installe, la question
devra être tranchée… par
l’État, qui ne donne pas forcément l’impression d’avoir pris
la mesure des enjeux.

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