Libération des arômes au cours du temps dans des
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Libération des arômes au cours du temps dans des
L’AROMATISATION DES PRODUITS SUCRÉS. IMPORTANCE DES INTERACTIONS SUCRES ET ARÔMES Libération des arômes au cours du temps dans des matrices sucrées, en relation avec la perception de la saveur sucrée et de l’arôme Elisabeth GUICHARD Unité Mixte de Recherches sur les Arômes, Institut National de la Recherche Agronomique, 17 rue Sully, 21065 Dijon Cedex odeurs (caramel, fraise) ont un effet exhausteur du goût sucré, alors que d’autres le réduisent (damascone). D’un plan purement physico-chimique, certaines molécules d’arôme sont connues pour avoir, en plus de leurs caractéristiques odorantes, des propriétés gustatives, comme le menthol qui a un pouvoir rafraîchissant (3), ou le maltol, qui est perçu amer (2). Inversement, l’ajout de sucre dans un produit peut agir directement sur la volatilité des arômes, soit en augmentant leur libération dans la phase vapeur par un effet de « salting out », soit en diminuant leur concentration libre, par la présence d’interactions plus ou moins spécifiques (4, 5). La substitution du saccharose par d’autres molécules édulcorantes va induire une modification de la libération des arômes ainsi qu’une perception sensorielle différente. Ainsi dans des boissons à l’orange, les aldéhydes, en particulier le citral, molécule responsable de la typicité « agrume », ont des concentrations plus faibles dans les boissons avec de l’aspartame, ce qui va conduire à des odeurs différentes des produits à base d’aspartame par rapport aux produits traditionnels à base de sucre. L’utilisation de cyclamate de sodium va entraîner la formation de nouveaux composés volatils qui donnent des odeurs indésirables de « caramel » et « cuit » aux boissons, qui, si elles sont trop importantes vont conduire le consommateur à rejeter le produit (6). La perception des arômes et des saveurs en conditions de mastication n’est pas un phénomène ponctuel, mais un processus dynamique. Dans toute dégustation de produit, les juges vont décrire des odeurs de tête, perçues dès la mise en INTRODUCTION Le consommateur est de plus en plus exigeant vis-à-vis des qualités sensorielles, odeur, saveur, texture des produits alimentaires. L’évolution de la demande alimentaire a conduit à une diversification de l’offre avec un poids de plus en plus important porté aux notions d’hygiène et de « valeur-santé ». La demande de produits à faible teneur en saccharose, en particulier, a conduit les industriels à concevoir de nouvelles formulations à base d’édulcorants. Les produits obtenus, qui possèdent un pouvoir sucrant équivalent, ont cependant des propriétés d’arôme très différentes (1). Il devient alors nécessaire de modifier les formules aromatiques, et ceci le plus souvent de façon empirique. Cette formulation empirique est source de coûts supplémentaires pour l’industriel. Il est donc nécessaire de mieux connaître les interactions existant entre les macromolécules présentes dans l’aliment et les arômes, afin de pouvoir prédire leur perception dans les conditions de consommation. Les analyses physico-chimiques des molécules responsables de l’odeur ou de l’arôme d’un aliment ont longtemps été déconnectées des analyses des molécules non volatiles. Il en a été de même pour les aspects sensoriels. Cependant, lors de dégustations, il est courant de décrire des odeurs par le terme « sucré », qui ne devrait être qu’un attribut gustatif. Il semble donc qu’il existe des liens forts entre la perception du sucré et la perception des arômes. Cependant, la plupart des études ne permettent pas de conclure si l’effet observé est un effet direct ou indirect. Stevenson et al. (2) ont montré que certaines 23 L’AROMATISATION DES PRODUITS SUCRÉS. IMPORTANCE DES INTERACTIONS SUCRES ET ARÔMES bouche, puis des odeurs de queue, qui persistent après avoir avalé le produit. Il en va de même pour la perception des saveurs, certaines vont disparaître dès que le produit n’est plus en bouche, alors que d’autres, comme l’astringence persistent. En effet, lors de la mastication les substances volatiles et sapides vont être libérées en fonction de leur affinité pour l’aliment d’une part et pour la salive, de l’autre. La vitesse de transfert de ces molécules de l’aliment vers la salive va également dépendre de l’efficacité de la mastication (7). En fait, l’appréciation sensorielle d’un aliment en condition de mastication prend en compte une succession de différentes sensations qui se succèdent au cours du temps. Les méthodes conventionnelles d’analyse sensorielle descriptive, ainsi que les méthodes d’extraction classiques ne prennent pas en compte cette dimension temporelle. C’est pourquoi, depuis plusieurs années, des techniques dynamiques ont été développées, à la fois dans le domaine sensoriel et dans le domaine physico-chimique (8). a) 4 Sujet 5 3 Sujet 7 2 1 0 0 b) 20 B 100 C A t0 L’analyse sensorielle en fonction du temps « temps-intensité » a été mise en place au départ dans un mode discontinu, en demandant aux juges de décrire leurs perceptions à différents temps, à partir de la mise en bouche du produit. Traditionnellement, la quantification de ces réponses en fonction du temps se faisait à l’aide de 3 paramètres, l’intensité maximale, le temps pour atteindre ce maximum et la durée totale de la sensation (9). Avec le développement des outils informatiques, la perception de l’arôme ou des saveurs au cours du temps peut être suivie en continu, attribut par attribut, en demandant aux sujets de déplacer un curseur sur une échelle, en fonction de l’intensité de la perception du descripteur, depuis le début de la sensation jusqu’à la disparition totale de la sensation (10). 80 intensité Imax PERCEPTION DE LA SAVEUR SUCRÉE ET DES ARÔMES AU COURS DU TEMPS 40 60 Temps (s) D t100ini t100fin Tfin Figure 1 : a) courbe de réponse sensorielle de 2 sujets en fonction du temps b) exemple de paramètres extraits des courbes A : perception initiale, B : début du plateau (Imax), C : fin du plateau, D : fin de la perception. desquels on peut également calculer des paramètres secondaires, aire sous la courbe, pente de la phase ascendante, pente de la phase descendante, durée de la perception (11). Les relations entre la durée de la perception et l’intensité maximale ont été étudiées simultanément pour les attributs sucré et menthe de chewing-gums qui diffèrent dans la vitesse de libération du sucre et de l’arôme menthe (12). Les chewing-gums avec une vitesse rapide de libération du sucre induisent une durée et intensité maximale pour la perception du sucré, ainsi qu’une durée maximale pour la perception de l’arôme menthe. L’effet de la vitesse de libération de l’arôme est beaucoup moins prononcé que celui du sucre. Cette étude montre que le sucre a un effet sur la perception de l’arôme menthe. Par contre elle ne permet pas de On obtient ainsi une courbe de l’évolution de l’intensité de la perception au cours du temps (Figure 1a). Le tracé de cette courbe varie selon les individus, et pour un même individu, varie en fonction du descripteur analysé et du type de produit. L’analyse des courbes obtenues pour différents échantillons permet d’extraire plusieurs paramètres principaux (Figure 1b), à partir 24 L’AROMATISATION DES PRODUITS SUCRÉS. IMPORTANCE DES INTERACTIONS SUCRES ET ARÔMES nécessite l’utilisation de plusieurs pièges pour suivre la libération au cours du temps. C’est pourquoi Linforth et Taylor (15) ont développé un système d’analyse du « nose-space » en continu par spectrométrie de masse à source à pression atmosphérique (APCI-MS), encore appelé « breath-by-breath analysis ». conclure si cet effet est dû à des interactions physico-chimiques ou à un mécanisme purement sensoriel. Cette étude montre l’intérêt de prendre en compte la notion de temps dans les études sur les relations sucre-arôme, puisque l’effet du sucre est surtout important pour la durée de la perception et non l’intensité. Cette technique permet de suivre en temps réel pendant la mastication, plusieurs molécules d’arôme qui sont repérées en spectrométrie de masse par leurs ions caractéristiques. Ainsi, le suivi du pic représentatif de l’acétone permet de suivre la respiration car ce composé est expiré normalement par l’être humain, le suivi des autres pics permet de connaître l’intensité de chaque molécule, ainsi que sa durée de présence dans la cavité nasale (16). Ces données peuvent être couplées à des analyses sensorielles sur le même produit effectuées au cours du temps. LIBÉRATION DES ARÔMES AU COURS DU TEMPS DANS LA CAVITÉ NASALE Les techniques classiques d’analyse des arômes, par extraction, distillation, analyse des vapeurs ne reflètent pas ce que le dégustateur perçoit lors de la dégustation. Différents systèmes ont été proposés pour simuler le processus de mastication (8), avec ajout de salive artificielle (13). Afin de comparer l’efficacité de ces systèmes il s’est avéré nécessaire de mesurer directement la composition en arômes présents dans la cavité nasale en cours de mastication. Les premiers systèmes consistaient à piéger les arômes par aspiration sur un adsorbant de type Tenax, et de désorber ensuite les arômes piégés pour les injecter en chromatographie en phase gazeuse, par un système « purge and trap » (14). Cette technique est longue à mettre en œuvre et Cette technique permet de suivre en temps réel pendant la mastication, plusieurs molécules d’arôme qui sont repérées en spectrométrie de masse par leurs ions caractéristiques. Ainsi, le suivi du pic représentatif de l’acétone permet de suivre la respiration car ce composé est expiré normalement par l’être humain, le suivi des autres pics permet de connaître l’intensité de chaque molécule, ainsi que sa durée de présence Intens. x105 Abund. 1.0 1: MS, Time=2.656min (#191), 100%=113810arb 115 100 ION 115 115 80 0.8 ION 145 60 ION 59 145 145 40 0.6 20 59 0 60 80 100 120 140 m/z 0.4 0.2 0.0 0.5 1.0 1.5 2.0 2.5 Time [min] Figure 2 : Analyse « nose-space » en temps réel durant la mastication d’une base fromagère aromatisée, par APCI-MS (heptan-2-one, ion 115 ; hexanoate d’éthyle, ion 145 ; acétone, ion 59). 25 L’AROMATISATION DES PRODUITS SUCRÉS. IMPORTANCE DES INTERACTIONS SUCRES ET ARÔMES menthe car les sujets continuent à percevoir l’arôme menthe après 4 minutes, lorsqu’il n’y a pas d’ajout de sucre. Dans une deuxième expérience, ils font varier l’ajout de sucre à une solution de menthone et montrent que lorsque l’ajout de sucre est supprimé, le sujet répond par une diminution de perception de l’arôme menthe, cette perception revient quand on réincorpore du sucre dans la solution. Il y a bien confusion entre la réponse au sucré et à l’arôme menthe. Le même phénomène est observé avec un arôme fraise. En ajoutant un arôme citron, le sujet n’est pas influencé par l’ajout ou la suppression de sucre dans la solution. Ces résultats montrent une influence de la présence de sucre sur la perception de notes aromatiques qui sont associées à des arômes sucrés, alors que le sucre n’a pas d’effet sur la perception de notes aromatiques non associées à des arômes sucré, comme le citron qui est plutôt associé à la perception de la saveur acide. Il manque à cette expérience des données sensorielles sur la perception de la saveur sucrée, simultanément à la perception de l’arôme, ce qui permettrait aux sujets de dissocier les 2 perceptions. dans la cavité nasale (16). Ces données peuvent être couplées à des analyses sensorielles sur le même produit effectuées au cours du temps. LIBÉRATION DES MOLÉCULES SAPIDES DANS LA SALIVE AU COURS DU TEMPS L’utilisation de la spectrométrie de masse à source à pression atmosphérique permet également l’analyse des molécules sapides en phase aqueuse. En prélevant des échantillons de salive à intervalles de temps réguliers pendant la mastication, à l’aide d’un coton tige, il est possible d’analyser les sucres présents, après extraction dans un mélange méthanol-eau et injection en APCI-MS (17). L’intensité de l’arôme menthe suivie en tempsintensité au cours de la mastication du chewinggum ne suit pas la libération de la menthone (molécule responsable de l’arôme menthe) dans la cavité nasale, mais suit la libération du saccharose dans la salive. Plusieurs hypothèses sont proposées par les auteurs : i) adaptation du sujet à l’arôme menthe au cours du temps, qui coïnciderait avec la libération du saccharose, ii) interaction entre perception de l’arôme menthe et perception de la saveur sucrée, qui entraîne une confusion dans la description sensorielle. Afin de conclure sur ces hypothèses, les mêmes auteurs ont poursuivi avec des expériences complémentaires (18). En demandant aux sujets de noter l’intensité au cours du temps de l’arôme menthe avec et sans ajout de sucre, ils démontrent qu’il n’existe pas d’adaptation à l’arôme CONCLUSION La prise en compte de la dimension temporelle est importante pour comprendre les interactions qui existent entre la perception des arômes et des saveurs. Les nouveaux développements méthodologiques, tant dans le domaine de l’analyse sensorielle que de l’analyse physico-chimique prennent en compte la notion de temps. L’analyse simultanée de la composition en molécules d’arôme dans la cavité nasale et en molécules sapides dans la salive, en conditions de mastication, couplée à une réponse sensorielle au cours du temps, permet de mieux comprendre quels sont les facteurs qui déterminent la réponse sensorielle. Cette technique n’est qu’au début de son développement mais promet de donner des résultats très prometteurs à l’avenir, en testant différentes associations de molécules sapides en mélange avec des molécules odorantes. Normalized Data (%) 120 100 menthone 80 60 Intensité de l’arôme menthe saccharose 40 20 0 0 1 2 3 4 5 RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES Temps (min) Figure 3 : Libération de sucre et de menthone d’un chewing-gum pendant la mastication (mesure en APCI-MS) et perception de l’intensité de l’arôme menthe au cours du temps. 1. NAHON, D. F. ; ROZEN, J. P. ; DE GRAFF, C. Sweetness flavour interactions in soft drinks. Food Chemistry 1996, 56, 283-289. 26 L’AROMATISATION DES PRODUITS SUCRÉS. IMPORTANCE DES INTERACTIONS SUCRES ET ARÔMES 12. DUIZER, L. M. ; BLOOM, K. ; FINDALY, C. J. Dual-attribute time-intensity measurement of sweetness and peppermint perception of chewing-gum. J. Food Sci. 1996, 61, 636-638. 2. STEVENSON, R. J. ; PRESCOTT, J. ; BOAKES, R. A. 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