Conférence LBO - Le Magazine des Affaires

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Conférence LBO - Le Magazine des Affaires
Conférence LBO
Conférence
Conférence
16 octobre 2013
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Jean Eichenlaub
Qualium Investissement
Sami Rahal
Deloitte
Des transactions en croissance mais encore difficiles
Vincent Ponsonnaille
Linklaters
L’essor des alternatives au financement bancaire
GPs et LPS : l’inversion des rapports de force
Directive AIFM, reporting, ESG… les nouvelles contraintes
Conférence
Conférence
LBO : les signes d’une éclaircie ?
Jean Eichenlaub
††
Président de Qualium Investissement depuis
2009 et Membre du Comité de Direction de la
Caisse des Dépôts
††
Ancien Directeur du Département des financements structurés et financement d’actifs à la
Commerzbank à Paris, DG Adjoint de Fonds Partenaires Gestion et DG de European Capital, dont il a
fondé les bureaux de Paris et Madrid
30
16 octobre 2013, salon des Arts & Métiers, conférence d’automne du Magazine des
Affaires. Jean Eichenlaub, président de Qualium Investissement, Sami Rahal, Managing
Partner du FAS de Deloitte Finance et Vincent Ponsonnaille, Associé de Linklaters, ont
identifié les signes d’éclaircie qui pointent en cette fin d’année 2013 dans le ciel français
du LBO. En voici le compte-rendu.
Photographie : Philippe Castano.
††
Qualium Investissement, filiale de la Caisse
des Dépôts qui gère 1,2 Mds € et détient 13 participations en portefeuille (dont Quick, La Foir’Fouille,
Feu Vert, Genoyer, DGF, Sogal, Kermel, et plus
récemment Invicta, groupe Meriguet). Les sociétés
du portefeuille représentent un CA cumulé de près
de 4 Mds€ et totalisent plus de 35 000 emplois
††
Intervient principalement en majoritaire à
travers des tickets moyens allant de 20 à 75 M€
dans des sociétés valorisées entre 40 et 250 M€ et
dans certains cas jusqu’à 500 M€
“
La raison n°1 de la baisse du
nombre de transactions depuis 18
mois ou deux ans, c’est le refus
des vendeurs de vendre
Jean Eichenlaub
Xavier Leloup : Il y a un an à la
même période nous faisions une
conférence sur les LBO. L’environnement était très défavorable.
Diriez-vous aujourd’hui que le pire
nous a été épargné ?
gnait l’année dernière. Je vous propose
peut-être, en introduction à cette
conférence, de vous présenter quelques
éléments chiffrés pour planter le décor
sur l'activité LBO en Europe et en
France, avec quelques données en
volume et en valeur.
”
Sami Rahal : Effectivement, on peut
dire que le pire nous a été épargné.
L’instabilité fiscale est probablement
l’un des sujets les plus préoccupants
mais la situation est intrinsèquement
plus favorable que ce que l'on crai-
Tout d'abord, nous avons eu deux trimestres qui ont été raisonnablement
actifs mais qui restent bas au niveau
européen si on les compare au point
haut des années 2006-2007.
Nous avons un premier trimestre qui
a été très bas en valeur et un deuxième
trimestre qui est monté en valeur mais
qui est resté assez stable en volume. Ce
rebond en valeur est largement attribuable à cinq transactions valorisées
au-delà du milliard d'euros.
Le retour de ces LBO de taille impor-
††
Intègre les principaux thèmes de l’Investissement Socialement Responsable
††
Dernières cessions réalisées : Carré Blanc,
Tournus Equipement et Socotec.
tante est une nouveauté. Quand on
regarde plus précisément certains
indicateurs, on voit que le premier
trimestre a été extrêmement bas avec
92 opérations cumulant une valeur de
8,6 milliards d’euros, avec un rebond
ensuite au deuxième trimestre. Il faut
revenir à 2009 pour trouver un niveau
aussi faible d’activité sur un trimestre.
Sur le large-cap, on compte une seule
opération au premier trimestre 2013
pour une valeur d’un milliard, versus
cinq opérations au deuxième trimestre,
qui totalisent une valeur supérieure à
10 milliards.
Le marché du mid-market, sur le deuxième trimestre, a été raisonnablement
actif puisqu’on a eu autour de 11 milliards de transactions LBO.
L’analyse géographique montre que le
marché britannique reste un marché
prééminent en volume. Il a néanmoins
été dépassé en valeur sur le deuxième
trimestre par les regroupements de pays
dits germaniques, conduits par l'Allemagne avec l'Autriche et la Suisse. Ces
pays totalisent 9,2 milliards d’euros de
LBO au cours du deuxième trimestre.
On constate que la France, qui a été
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Conférence
longtemps le premier d'Europe continentale, a décroché et évolue désormais
dans une autre ligue.
En Allemagne, trois transactions
ont dépassé 1,5 milliard d’euros. En
France, Allflex approche le milliard.
Nous avons eu également OGF à 900
millions d’euros, Maisons du Monde
à 680 millions d’euros, SMCP à 650
millions d’euros, Flexitallic autour de
550 millions d’euros et Socotec pour
un peu plus de 450 millions d’euros.
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On voit bien que l'on a un
marché à deux vitesses, avec
de très belles transactions
et des multiples élevés mais
des actifs qui ont beaucoup de mal à sortir aussi.
On note aussi que le taux
d’échec est, selon nous,
proche des deux tiers des
processus initiés.
“
Conférence
Jean Eichenlaub : Bonjour à tous
! Entre French bashing et Socotec, je crois que je commence bien la
conférence et difficile de faire plus
contradictoire… Je vois qu’il y a beaucoup de monde et je vous rappelle
qu’il y a un an, aux dires de certains,
notre avenir semblait très compromis.
Donc bienvenue à toutes et à tous, ravi
de vous voir toutes et tous, et… bien
en vie ! Le Private Equity a réussi à
s'adapter ! Pour essayer de répondre à la
question de Sami, il faut revenir sur le
tisseurs ont absolument besoin de
sécurité sur le long terme.
Le French bashing, on peut l’illustrer
par une étude publiée dans les Echos
qui indique que 87 % des investisseurs américains ont un avis négatif
sur la France alors qu’ils étaient 53%
à avoir une opinion positive sur l’hexagone en 2003 – 2004. Si on regarde les
souscripteurs des fonds aujourd’hui,
les Américains y ont une place très
importante. En conséquence, une telle
opinion est plutôt inquiétante, mais
nous ne pouvons que nous
en prendre à nous-mêmes.
Les Américains sont comme
nous, ils lisent Internet, les
journaux, etc… Les articles
qui critiquent la France sont
d’abord le fait des français.
Donc le French bashing,
on l’a tous subi un peu et
je pense qu'on va continuer
à le subir, mais c'est à nous
de donner une dynamique
positive de la France, de
l’activité et des marchés
français.
Vincent Ponsonnaille
††
Associé de Linklaters, l’un des cabinets d’avocats parisiens les plus actifs à la fois en matière de
Private Equity mid/large cap et en corporate industriel
En cas de l’échec
d’une sortie,
le refinancement
est bénéfique pour la société
car elle permet d’éloigner
les échéances
de remboursement
Finalement, si l’on compare
la France à ses voisins, on
se rend compte qu’elle est
dans une situation particulière. Fait nouveau, nos
collègues britanniques à
Londres sont aussi occupés
qu’ils n'étaient il y a cinq
ans avant la crise. Quant à
l'Allemagne, elle est clairement sous le
signe d'une éclaircie.
Je note enfin un paradoxe dans une
situation où le marché de la dette est
extrêmement favorable, tant en termes
de coût que de disponibilité. Est-ce
donc lié à une inquiétude des investisseurs étrangers ? Est-ce un sujet
spécifique à la France, lié aux conséquences du French bashing ? J’ai envie
de poser la question à Jean.
Xavier Leloup : Oui, avant d'aborder
les rapports entre investisseurs et
fonds, on peut peut-être dire un mot
général, un peu macro, sur l'évolution de l'économie française et sa
perception surtout par les investisseurs étrangers.
Vincent Ponsonnaille
concept de l’éclaircie et, notamment,
sur notre perception de la position de
la France dans le marché du Private
Equity. Je pense qu’en France, nous
avons un début d'éclaircie, mais que
nous ne sommes qu’au milieu du gué
: je ne pense pas qu'on va revenir en
arrière, pas plus que nous ne tomberons dans l’eau.
Je crois que nous allons franchir ce
gué, mais cela ne se fera pas sans changement sur le marché, les équipes, les
conditions, et sur les exigences de nos
souscripteurs. Concernant le French
bashing et donc l’opinion des souscripteurs étrangers sur la France : ce
n'est pas tant les changements de la
réglementation de la fiscalité qui les
ont véritablement inquiétés que l'incertitude.
Le pire, c'est l'incertitude. Les inves-
††
Spécialisé dans le Private Equity, où il
conseille exclusivement les fonds, ainsi que dans
les secteurs des Télécom et de l’Industrie
††
»» Vente d’Outremer Telecom à Altice pour AXA
PE (2013)
»»
Vente d’ADB Airfield Solution à PAI Partners
(2013) pour Montagu Private Equity
”
»»
Externalisation des infrastructures passives
du réseau téléphonique d’Orange au Cameroun
et en Côte d’Ivoire (2013) pour IHS
Xavier Leloup : Le vote
de la loi de finances va se
faire dans les semaines
qui viennent donc c'est
une période assez cruciale. Faut-il
s’eninquiéter ?
»»
Acquisition par Montagu Private Equity SAS
de St Hubert (2012)
»» FSI dans le cadre de son investissement
dans le groupe Tokheim (2012)
»» Axa PE dans le cadre de la cession de sa
participation dans Keolis (2012)
Vincent Ponsonnaille : Non, je ne
crois pas qu'on va avoir un choc comparable à celui que l’on a connu il y a
un an, les sujets dont on discute sont
déjà sur la table, ce sont notamment
des sujets liés à la capacité de déduction d'intérêts.
Il n'y a pas d'effet massue comme on
a pu le ressentir il y a un an, où tout
avait été annoncé d’un seul coup, mais
comme le disaient Sami et Jean, la pratique s’est ajustée. Je me souviens qu’il
y a un an, nous avons été contraints de
monter des opérations sur la base d’hypothèses fiscales très différentes (avec
ou sans déduction d’intérêts). Au final,
on continue à faire des opérations. Si
Exemples d’opérations marquantes :
on prend l’exemple de l’Allemagne,
l’absence de déduction d’intérêts sur le
coût du financement n’empêche pas les
transactions d’avoir lieu comme le faisait remarquer Sami. Là où je rejoins
complètement Sami et Jean, c’est sur
l’origine du problème, lié à l’incertitude et j’espère qu’il y en aura moins
cette année que l’année dernière.
Sami Rahal : L’année dernière, nous
étions dans une situation où l'anxiété
était forte au sein des équipes de gestion, tant sur l'impact pour les sociétés
en portefeuille que pour les transactions. A cette même période, l'année
dernière, des équipes se posaient sérieusement la question de savoir s'il fallait
rester à Paris ou aller dans d'autres
localisations plus attractives tout en
opérant sur le territoire français. À
ma connaissance, aucune équipe n'est
partie. La situation est donc plus favorable et on trouve les moyens d’opérer
en structurant des transactions un
peu différemment. Au fond, intrinsèquement, la situation n'est pas plus
compliquée que dans des marchés
proches comme l'Allemagne. Encore
une fois, c'est vraiment l'instabilité qui
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Conférence
perturbe les investisseurs étrangers, et
non la situation dans l’absolu.
Vincent Ponsonnaille : Le paradoxe, c’est qu’on a ce phénomène
de French bashing mais, en même
temps, la France reste un marché
extrêmement compétitif. Quand vous
parlez à des investisseurs étrangers, ils
disent : “L’une des raisons pour
lesquelles nous hésitons à venir participer à des enchères en France, c’est
parce qu’il y a beaucoup de fonds
français et étrangers déjà
présents.” Il y a énormément de concurrence entre
eux, des problématiques
de management package
et des difficultés pour un
investisseur de culture
anglo-saxonne de s’adapter
aux demandes d’un management package français.
“
34
Conférence
c’est environ un process de vente sur
deux qui n’a pas abouti, principalement pour une question de prix. Le
marché a donc baissé de 20 à 25%
en fonction des segments. Parfois les
fonds ne veulent pas vendre car le
prix proposé ne correspond pas à leurs
attentes. C’est une réalité et nous avons
nous-mêmes été dans ce cas. Nous
avons peut-être tous acheté un peu
cher, en 2006, 2007, 2008. La question est : faut-il vendre tout de suite ou
garder l’actif un ou deux ans de plus
levée nous ont dit : “avant, j’investissais entre 5 et 10 millions d’euros dans
chaque équipe, j’achetais le marché.
Aujourd’hui, j’investis de plus gros
“tickets” mais sur quelques équipes
ciblées. Certains fonds auront donc
plus de difficultés à lever des capitaux
que d’autres qui bénéficient de cette
tendance’’.
Il y a également des souscripteurs
qui ne faisaient que du primaire,
qui, maintenant, font du secondaire,
de l’infrastructure et qui s’équipent
en conséquence. L’organisation du marché est
modifiée.
On a un marché
à deux vitesses, avec de très
belles transactions
et des multiples élevés
mais aussi des actifs
qui ont beaucoup de mal
à sortir
Il y a non seulement des
investisseurs mais également des financements,
donc vous avez une palette
de financements très large,
beaucoup d’acteurs et
notamment des investisseurs nouveaux. Beaucoup
de fonds, notamment nordaméricains viennent nous voir et on
passe du temps à leur expliquer les problématiques sociales et règlementaires
locales tout en notant un fort intérêt
de leur part.
Donc, je pense que Jean a raison, il y
a des signes positifs dans le marché et
dans l’activité qui laissent espérer un
rebond ou à tout le moins une consolidation du marché français dans les
mois à venir.
Xavier Leloup : Malgré tout au printemps on a vu quelques opérations
et puis ça continue aujourd’hui.
Est-ce qu’il y a encore des actifs disponibles sur le marché ?
Jean Eichenlaub : Globalement, il y
a moins d’opportunités sur le marché
et, de plus, si l’on prend l’année 2012,
Sami Rahal
pour espérer arriver à la valorisation
souhaitée ? Depuis le début de l’année
jusqu’à aujourd’hui, le deal flow est
en baisse d’environ 20 à 30 %, mais
certaines opportunités sont de grande
qualité ! Ce sont surtout les process qui
ont changé. Il y a beaucoup de “gré à
gré”mais ce sont des“gré à gré”un peu
particuliers. En fait, il y a presque
toujours un conseil chargé de réunir
toutes les parties prenantes du deal.
Socotec en est un exemple, le conseil
nous a tous aidé à conclure un deal
gagnant-gagnant .
La modification du marché est aussi
la conséquence de la modification de
la stratégie d’investissement des souscripteurs.
La plupart des souscripteurs que nous
avons rencontrés durant notre dernière
Sami Rahal
††
Membre du Comité Exécutif de Deloitte
France, Managing Partner de Deloitte Financial
Advisory et M&A Transaction Services Leader pour
la zone Europe-Moyen Orient-Afrique
††
Dirige une équipe de 225 personnes dédiées
aux métiers du Transaction Services, de la Restructuration, de l’Evaluation, du Corporate Finance et du
Forensic & Dispute
Xavier Leloup: Donc
les deals normés avec
enchères, ça devient une
exception ou c’est de plus
en plus rare ?
Sami Rahal : On fait effectivement face à deux types
de situations : des situations
où les processus, lorsqu’ils
sont concurrentiels, font
appel à un nombre limité
d’acquéreurs
pré-qualifiés qui ont fait beaucoup
de travail en amont et des
situations où l’actif est bien
exposé sur le marché, pour lequel le
management a mandat de son actionnaire pour rencontrer un certain
nombre de fonds, présenter l’actif et
avoir un degré d’intimité extrêmement
fort, pour, in fine, initier un processus pour lequel on se retrouve dans un
second tour avec 3-4 fonds et éventuellement un industriel pour mettre un
peu de tension concurrentielle.
Je crois que ce qui manque le plus
aujourd’hui sur la place, ce n’est pas la
dette mais les actifs, notamment primaires : le nombre d’actifs primaires
n’est toujours pas très satisfaisant
comparé à d’autres marchés comme
l’Allemagne.
††
20 ans d’expérience dans l’accompagnement
des opérations de M&A et Private Equity (dont IBR)
††
»» LBO Maisons du Monde (2008 et 2013 à
l’achat pour Bain Capital), Flexitallic (2013, à
l’achat pour Bridgepoint),
”
Tout cela est lié finalement et, paradoxalement, à la bonne santé de nos
groupes français dont la situation
Exemples d’opérations marquantes :
»» Acquisitions de Goodrich EPS par Safran
(2013), et d’Areva T&D par Alstom (2009)
»» Refinancements des groupes Materis (2009
et 2012), Diana et Deutsch (2009)
de crédit, favorable pour eux, ne les
contraint pas ou plus, contrairement
à 2009 ou 2010, à devoir opérer des
cessions significatives dans leur portefeuille d’activité.
Sami Rahal : Oui, mais dans ce cas,
il ne s’agit pas d’un vendeur contraint,
contrairement à d'autres zones géographiques telle que l’Espagne où tout
était à vendre.
Xavier Leloup : Il y a eu quand
même Anios, les laboratoires d’Air
Liquide.
Jean Eichenlaub : Ça, c'est tout à
fait vrai, si on compare 2012 à 2013
ou à 2011, je crois que nous avons
dû voir passer au maximum 3 ou 4
opportunités de groupes industriels
qui vendaient des filiales à des fonds
d’investissement.
Xavier Leloup : C’est parce qu’ils
n’ont pas la culture des fonds car
finalement,parmi les groupes du
CAC 40, il y en a un certain nombre
qui sont cédants ?
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Conférence
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Vincent Ponsonnaille : Beaucoup de
groupes du CAC 40 ont déjà désinvesti. La France ne représente qu’une
partie mineure de leur activité. La
plupart des grands groupes sont déjà
tellement internationaux qu’on sent
que sur ces sujets ils passent moins de
temps et donc il y a moins de deals.
Je rebondis sur ce que dit Sami sur les
processus de vente : un autre phénomène que l’on voit apparaître depuis
la crise, c'est la grande prudence des
fonds avant de se lancer complètement
dans le processus à l’achat. Notamment avant d’engager des dépenses
pour des conseils externes.
En fait, on s’aperçoit qu’il y a en général un ou deux investisseurs qui sont
vraiment motivés et que les deux autres
attendent. J’ai en tête l’exemple d’un
client américain qui a indiqué au vendeur qu’il ne dépenserait rien jusqu’à
ce qu’il soit en exclusivité et d'accord
sur le prix.
Xavier Leloup : C’est vrai qu'on
entend souvent dire que c’est la
relation avec le vendeur qui a fait
la différence dans la concrétisation
d’un deal. Est-ce une manière de
dire à ces souscripteurs qu’on a payé
moins cher ?
Sami Rahal : L’un des freins au
nombre de transactions, c'est effectivement la convergence sur le prix. Cela
étant, je ne crois pas qu'un processus
de gré à gré soit possible – je parle sous
le contrôle de Jean – si l'actif n'est pas
“fairly priced”par l’acheteur qui initie le dialogue. Donc, je ne crois pas,
quand on se met dans une situation
préemptive, à la possibilité d'acheter
matériellement moins cher que le résultat d'une enchère qui serait de toute
façon limitée. Concernant Socotec, il
me semble que le multiple est légèrement supérieur à 10. Ce n’est donc pas
un actif qui a été bradé.
Xavier Leloup : Et les prix n'ont
pas baissé. N’est-ce pas ce que tu
nous disais, Jean, en préparant
la conférence ?
Conférence
Sami Rahal : Encore une fois, on a
un marché à deux vitesses, et le prix
des beaux actifs n’a guère baissé. La
dette est là, et ceux qui supportent un
levier significatif, disons 4-5 fois, commandent des prix de vente significatifs,
souvent avec des multiples à deux
chiffres ou en tout cas supérieurs à 8.
Xavier Leloup : Sandro Maje dont
on parlait est une société assez jeune
finalement qui s'est créée au début
des années 2000 et qui s’est vendue
650 millions d’euros à KKR : est-ce
une valorisation élevée ?
Sami Rahal : On parle là d’une
société à forte croissance qui a fait le
pari de s’internationaliser aux ÉtatsUnis notamment. Il s’agit d’une
success-story assez exceptionnelle
effectivement.
Jean Eichenlaub : Juste pour revenir sur le gré à gré… et comme je le
disais au préalable, il y a presque toujours un conseil dans le process qui
permettra d’arriver au prix d'équilibre,
à l’exception notable pour nous de La
Foir’Fouille et de Sogal. Je suis assez
partagé sur ce que tu dis Sami. Pour
la dernière transaction, Invicta, nous
avons négocié 18 mois avec le manager.
Je crois que ce qui a fait la différence,
c’est la relation créée avec le vendeur/
propriétaire et cela fait partie de notre
métier. Dans un process optimisé, le
multiple peut être plus élevé, mais il y
a un risque réel d’endommager l’actif
si la vente n’aboutit pas, ce qui n’est
pas le cas de gré à gré où la transaction reste confidentielle. La raison n° 1
de la baisse du nombre de transactions
depuis 18 mois ou deux ans, c’est le
refus des vendeurs de vendre.
Il y a eu des offres sur presque tous les
deals.
Mais nous avons tous des attentes
relativement fortes en matière de prix.
J’anticipe donc un léger réajustement,
mais en même temps, il reste encore
beaucoup d’argent sur la place, qu’il
faut investir, déployer, ce qui limite
Ils ont dit :
††
Jean Eichenlaub
“ Ce n'est pas tant les
changements de la
réglementation de la fiscalité
qui les ont véritablement
inquiété que l'incertitude. Le
pire, c'est l'incertitude. Les
investisseurs ont absolument
besoin de sécurité sur le long
terme ”
††
Vincent Ponsonnaille
“ Une des grandes différences
entre le concept du bond
et le concept de l’unitranche,
c’est que le bond est monté
par une banque ”
††
Sami Rahal
“ Avec l’Unitranche on sait
que si les choses se tendent,
on n’aura qu’une seule
personne autour de la table,
ce qui peut être la meilleure
ou la pire des choses ”
mécaniquement une baisse des prix.
Xavier Leloup : Quand on a un actif
endommagé, il faut vendre maintenant : c’est le message que tu veux
faire passer ?
Sami Rahal : Encore une fois, je pense
réellement qu’il y a un marché à deux
vitesses.
Pas de souci sur les beaux actifs qui se
vendent facilement et à des multiples
élevés.
A contrario, sur les actifs plus difficiles,
le processus n’aboutit souvent pas.
Pourquoi ? Parce que, sur ces actifs, il
est souvent difficile d’accepter une sortie à des conditions plus défavorables
qu’à l’entrée, notamment en termes de
multiple.
Xavier Leloup : Nocibé, dont on a
beaucoup parlé, a eu la chance ou
la malchance d’avoir beaucoup de
couvertures médiatiques, (ce deal
depuis 4 mois) et puis finalement,
ne s’est pas vendu. Quand ce type
de scénario se déroule, est-ce que du
coup, ça handicape l’actif ?
Vincent Ponsonnaille : Je ne vais
pas parler pour Nocibé, je vais parler
en général. Il peut effectivement être
dangereux de trop communiquer sur
un processus quand il va échouer et
c’est peut-être aussi un des intérêts du
gré à gré, c'est-à-dire des processus sur
lesquels les parties ne communiquent
pas.
Xavier Leloup : Et du coup, quand
cela arrive, il faut attendre au moins
un an avant de remettre en vente.
Comment ça se passe-t-il, d’un point
de vue pratique ?
Sami Rahal : Je crois que c’est une
question au cas par cas. Effectivement,
l’actionnaire peut avoir le sentiment
qu’en attendant un horizon à 2 ou 3
ans, il aura la possibilité de créer de la
valeur et donc d’infléchir la séquence
de chiffres.
A mon avis, c’est hasardeux de croire
que les conditions seront meilleures
dans deux ans, en termes de valorisation de l’actif. Il faut parfois,
et cela est difficile, je le consens,
prendre son courage à deux mains et
se dire : “OK, je passe à autre chose
et je cède l’actif dans un marché de
toute façon plutôt vendeur, même
s’il est discriminant”.
Vincent Ponsonnaille : Oui, ou on
reprend l’année d’après, et parfois
même avant. Il reste toujours un
fonds qui reste proche du management, ou proche du vendeur. On a
des exemples de deals qui ont été
retardés mais qui ont fini par aboutir avec un processus plus discret et
peut-être une attente raisonnable du
fonds vendeur. On peut dans ces situations arriver à trouver un équilibre et
ne pas forcément attendre deux ans
avant de pouvoir remettre l’actif sur le
marché.
Jean Eichenlaub : Nous avons tous
globalement décalé nos sorties de deux
ou trois ans. Cela ne nous aide pas visà-vis des souscripteurs puisqu’ils ont,
eux-aussi, envie de retrouver des liquidités pour réinvestir. En conséquence,
j’aurais tendance à céder maintenant.
Nous sommes actuellement dans
une économie légèrement croissante,
mais très légèrement. Donc, pour les
entreprises qui sont très exposées à
l’économie française, attendre deux
ans, ce n’est pas forcément une bonne
idée. Je ne suis pas certain que l’avenir sera beaucoup plus rose en 2014
– 2015. Aujourd’hui, il reste encore
beaucoup d’argent non-engagé. Certains actifs partent à des multiples
effectivement très élevés parce qu’ils
“cochent toutes les cases », c’est-à-dire
qu’ils offrent une grande sécurité sur les
revenus générés ou ont une forte présence internationale. Dans les secteurs
de niche, on peut encore les vendre à
un prix très élevé. Il existe également
des contre-exemples, comme Feu Vert,
Quick ou La Foir’Fouille , qui interviennent principalement sur le marché
français, mais sur des segments en très
forte croissance.
Sami Rahal : On le voit sur un actif
comme Allflex dont le multiple est,
je crois, autour de 13. C’est un acteur
leader mondial sur une niche, très
internationalisé donc et qui coche à
peu près toutes les cases. Et lorsqu’on
travaille sur l’actif, on a du mal à trouver des “downsides», des points de
faiblesse. Évidemment, ça fonctionne
très bien.
Xavier Leloup : Et le refinancement
d’un actif constitue-t-il une alternative à la vente pour faire remonter de
l’argent à ses investisseurs ?
Vincent Ponsonnaille : Oui, sur le
papier, c’est une alternative ! Il faut
toutefois tenir compte des contraintes
règlementaires limitant la possibilité
de faire remonter du cash aux investisseurs notamment les problématiques
liées à l’intérêt social, en particulier en
France.
Les investisseurs anglo-saxons ont des
logiques différentes sur ces conceptslà et l’une des missions des avocats
dans ces situations est notamment de
les familiariser avec les contraintes
du droit français et surtout les conséquences de celles-ci. Le refinancement
est surtout bénéfique pour la société,
37
Conférence
Conférence
je pense, afin, dans le cas de
l’échec d’une sortie, d’éloigner les
échéances de remboursement. Cela
peut parfois également permettre
de rembourser une partie des prêts
d’actionnaires mais cela reste principalement un outil assurant la
pérennité de la société et de son
financement.
Sami Rahal : Et le marché High
Yield, qui est très ouvert, a ces deux
vertus. Il a permis des transactions
type AllFlex ou Sandro Maje.
Toutes ces transactions ont fait
appel à des émissions obligataires
High Yield mais on le voit aussi il est
très fortement utilisé pour allonger
la maturité de la dette des sociétés et donc prévenir d’éventuelles
situations de restructuration. Or,
les émissions obligataires se préparent et allongent la duration.
C’est le cas sur Elis, ou encore
Odigeo. On a pas mal d’actifs qui
passent dans ce processus d’allongement de la maturité.
38
“
Il y a énormément
d’actifs qui sont dans
les portefeuilles
depuis six ans
ou sept ans. Le
refinancement va, je
pense, apporter une
partie de liquidité et
une respiration au
marché
Jean Eichenlaub
”
Jean Eichenlaub : Si vous regardez l’indice Argos Soditic en valeur
d’entreprise, les multiples sont de
6,7 à 6,8 fois l’Ebitda. D’après
Prequin, plus de 70% des actifs
mondiaux achetés en LBO en
2006 sont encore en portefeuille.
Or, il y a de la dette aujourd’hui
disponible.
Avec un refinancement correct et
sans être abusif, il est possible de
rembourser au moins une partie
des OC et cela donne un peu de
temps. Je suis persuadé, en conséquence, que le marché de la dette
va croître dans les années à venir.
Sami Rahal : j’ai l’impression
qu’on arrive à des situations qui,
à certains égards, me rappellent la
situation d’avant juin 2007, tant en
termes de multiple que de scénario
de récap très rapide après une transaction, où l’on remonte plus de
cash et où le sponsor est déjà positif sur l’investissement. Dans la
mesure où le coût de la dette a été
divisé par deux par rapport à 2010,
on peut affirmer que la dette, en
plus d’être redevenue abondante,
est assez peu chère par le faible
niveau des taux d’intérêt.
Vincent Ponsonnaille : C’est
vrai que les vieilles habitudes
reviennent très vite et les concepts
qu’on imaginait bannis après 2008
ressurgissent, non pas forcément
sur le marché français mais par
exemple sur le marché US où le
“Cove Lite”a du, jour au lendemain ,réapparu. Je crois qu’une fois
que ces options sont dans la tête
d’un emprunteur, il ne va pas hésiter à les demander à une banque
qui serait particulièrement motivée
pour financer son opération.
Cependant, même si ce phénomène peut se revoir sur certaines
opérations, ce n’est pas la norme.
L’autre tendance que l’on observe
de plus en plus, c’est la diversité
des financements. Vous avez le
financement senior classique : on a
à peu près réglé en France la problématique senior/mezzanine et la
coordination entre les deux dettes
qui ont fait beaucoup parler après
2008. A côté, vous avez les financements unitranche. La plupart des
refinancements réalisés récemment
(à partir de 180, 200 M€) se sont
faits par émission d’obligations
high yield qui offrent flexibilité
et souplesse. En dessous de 180,
200 M€, vous avez des concepts
proches entre l’unitranche, le midmarket bond et le private bond
que l’on peut confondre, parce
qu’on a en France un système où
tous ces financements reposent
sur des obligations. Par exemple,
au Royaume-Uni, un financement
unitranche est documenté sous
forme de contrat de prêt.
En France, les investisseurs ne
peuvent pas s’affranchir des
contraintes du monopole bancaire
et vont donc plutôt recourir à des
obligations. A côté des financements
unitranche, vous avez les bonds qui
sont plus proches d’un high yield
bond dans la façon dont ils sont structurés. Une des grandes différences
entre le concept du bond et le concept
de l’unitranche, c’est que le bond est
monté par une banque. Le bond peut
s’adresser à un pool plus large, notamment sur les marchés anglo-saxons,
soit auprès de 4 ou 5 investisseurs (ce
qui n’est pas très éloigné d’un financement unitranche).
On a vu récemment des financements
Mid-Market Bond en Angleterre, sur
le groupe hôtelier Soho House par
exemple. Tous ces types de financement se concurrencent, c’est une très
bonne nouvelle pour les emprunteurs
car cela leur offre de meilleures conditions de financement.
Olivier Bénureau: Les HY ne sontt-ils pas réservés au refinancement ?
Vincent Ponsonnaille : La difficulté à
l’origine était de caler un financement
high yield dans un calendrier de vente.
Depuis l’acquisition de Picard par
Lion Capital, les financements high
yield sont garantis par des “bridge to
high yield », qui fonctionnent bien
et offrent la certitude de disposer de
fonds suffisants.
Vous pouvez parfaitement, comme
cela a été le cas sur Maisons du Monde,
mettre en place un financement high
yield dans le cadre du financement
d’une acquisition.
Jean Eichenlaub : Globalement, la
position des banques risque de changer
dans les années à venir.
Quand on voit tous les fonds déjà existants ou qui se créent sur la place de
Paris et à Londres et aux États-Unis,
les banques risquent de devenir minoritaires dans nos métiers, comme c’est
déjà largement le cas aux Etats-Unis.
Les financements non bancaires représentent déjà 2/3 des financements. Le
Didier Pascal, Dahlia Partners, et Fabien Wesse, Cathay Capital
marché va clairement se sophistiquer.
Pour répondre à cette tendance lourde,
toutes les équipes de conseils ont désormais un spécialiste en Debt Advisory,
comme Deloitte. Pas la peine de citer
les autres, Sami ?
Sami Rahal : Non, ce n’est pas la
peine !
Jean Eichenlaub : Pour illustrer cette
tendance, je voulais vous donner un
chiffre provenant de Bain : 70% des
actifs sont valorisées entre 0,5 et 1,5 fois
la mise. Donc, vous imaginez l’impact
sur le Hurdle… Il y aura beaucoup de
refinancement, beaucoup de solutions
un peu différentes pour faire remonter
des fonds aux souscripteurs. C’est très
important pour les équipes de faire
remonter de l’argent, surtout avant de
lancer une levée de fonds. Comme déjà
indiqué, il y a énormément d’actifs qui
sont dans les portefeuilles depuis six
ou sept ans. Le refinancement va, je
pense,apporter une partie de liquidité
et une respiration au marché. Faut-il
dire plutôt “un peu de liquidité ”?
Sami Rahal : Il est vrai que l’on
retrouve le même sujet. L’avantage
est que la dernière crise est récente,
si tant est qu’on en soit sorti. On voit
des équipes qui, face à l’unitranche,
se posent la question de regarder
finalement quelle est la tête de l’unitrancheur en face. Il est avantageux
d’avoir une seule personne, cela facilite grandement la structuration de
l’investissement.
On sait aussi que si les choses se
tendent, on n’aura qu’une seule personne autour de la table, ce qui peut
être la meilleure ou la pire des choses.
Sans doute, la meilleure si on la compare à une situation où l’on a 150
CLO dans le pool comme on a pu le
voir dans les années 2009-2011, 2012.
Mais cela peut aussi être très difficile à
gérer dans le cas où, pour trouver une
solution pour l’actif concerné, on a
une personne avec laquelle le dialogue
est devenu impossible. Qu’en pensestu Jean ?
Jean Eichenlaub : Il faut bien choisir
son unitrancheur.
Xavier Leloup : Oui, c’est donc à
double tranchant. Mais, si, par définition, il n’y a pas eu encore d’actifs
financés par Unitranche qui ont été
confrontés à un refinancement ou
une restructuration ?
39
Conférence
40
“
Paradoxalement,
c’est quand
la situation
va moins bien et que
les perspectives sont
plus incertaines
que le management
package devrait être
plus facile
à renégocier
”
Vincent Ponsonnaille
Conférence
Vincent Ponsonnaille : Non, c’est
trop tôt. Cela équivaudrait à un
senior/mezzanine qui serait entre
les mains d’un seul prêteur, vous
n’avez pas alors le même rapport de
force pour négocier.
Xavier Leloup : Donc, pour
résumer, on a une situation de
financement qui est positive avec
beaucoup d’alternatives obligataires et un retrait des acteurs de
la banque traditionnelle ?
Jean Eichenlaub : Nous n’avons
vécu qu’une seule restructuration.
Heureusement, en l’espèce, ce
n’était pas catastrophique. La
société avait une crise passagère
de liquidités et elle a remarquablement bien redémarré depuis.
Mais quand vous avez 27 banques,
dont une petite banque étrangère
introuvable, que parfois seuls les
avocats les représentant viennent
aux réunions et que les négociations durent six mois, c’est quand
même assez compliqué, et c’est vrai
que parfois, on préfèrerait avoir un
unitrancheur.
Sami Rahal : C’est ce que disait
Jean. Les banques ont souhaité
baisser un peu leurs engagements,
parfois contraintes par des problématiques de ratios. C’est une
tendance de fond et c’est très similaire à la situation des Etats-Unis.
On retrouve ça de toute façon dans
le monde Corporate au niveau du
mid-market qui devient en tendance plus financé par émission
obligataire que par endettement
bancaire. On avait une situation
atypique en France, très bancarisée
sur l’endettement Corporate. On
retrouve la même situation finalement dans la sphère LBO.
Xavier Leloup : Lors de notre
dernière conférence LBO, il y a
un an, on avait justement évoqué
en détail l’Unitranche qui était
présenté comme un outil flexible
et pas encore standardisé. Est-ce
encore le cas ? En Avril 2013, on
avait recensé 15 opérations. Estce qu’aujourd’hui ce produit est
plus standardisé ?
Vincent Ponsonnaille : Oui, on le
voit beaucoup, mais ce n’est pas un
outil standardisé pour autant car
l’intérêt de ce type de financement
est justement que vous pouvez tout
adapter en fonction des besoins
de la société. Comme vous n’avez
qu’un seul interlocuteur, vous pouvez entrer davantage dans le détail
des besoins de la société, que ce soit
la nécessité d’un super senior RCF
ou le financement des acquisitions
futures, et vous allez adapter le
financement.
On va à chaque fois partir d’une
feuille blanche. Ce n’est pas normé
et c’est très bien !
Vincent Ponsonnaille : On a
assisté d’ailleurs à un phénomène,
il y a un ou deux ans, où certains
grands corporates se finançaient
moins chers sur les marchés qu’auprès des banques.
Les investisseurs étaient plus intéressés d’investir dans Schneider
que dans des émissions bancaires
par exemple. Je constate également
que la désintermédiation est une
tendance lourde du financement
des acteurs de l’économie
Sami Rahal : Aux Etats-Unis, on
est à deux tiers en financement non
bancaire et un tiers en financement
bancaire. Il semble que l’on aille
dans cette direction en France,
même si les banques françaises
reviennent actuellement et ont à
nouveau envie de refinancer des
dossiers
Xavier Leloup : Passons à présent à l’inversion des rapports
de forces entre GP’s et LPs. Il y
a eu reconfiguration de l’univers
avec notamment beaucoup d’in-
ront réellement le capital à hauteur de
ce qu’ils ont demandé initialement.
Xavier Leloup,
Le Magazine des Affaires
vestisseurs qui souhaitent investir
en direct. Que peut-on dire sur ce
changement, sur cette inversion-là ?
Vincent Ponsonnaille : D’un point de
vue technique, oui, c’est vrai qu’on voit
régulièrement des opérations de coinvestissements, même sur des deals de
taille moyenne. Soit les limited partnerships investissent en direct dans
la holding, soit ils investissent par
l’intermédiaire d’un véhicule de coinvestissement créé spécialement pour
l’opération.
Cette seconde option est fréquemment utilisée quand des investisseurs
étrangers ne veulent pas forcément
apparaître en première ligne en tant
qu’actionnaires. Nous constituons
alors un FCPR de droit français ou un
limited partnership de droit anglais
géré par le sponsor, et dans lequel ces
co-investisseurs peuvent investir
Sami Rahal : Je crois que dans les
levées de fonds, c’est une demande
presque systématique d’avoir cette
possibilité d’investir en direct, d’ailleurs acceptée par les équipes de
gestion. Il reste cependant à confirmer
que ces investisseurs étrangers déploie-
Jean Eichenlaub : Avant de répondre
à cela et pour détendre l’atmosphère
tendue qui se dessine sur ce sujet, il y a
déjà quelques mots qui ont totalement
disparu, pour nous du moins : le “Carried Deal by Deal”, les “Structuring
fees”, les “Monotory fees”n’existent
pratiquement plus, et leur retour n’est
à priori pas pour l’immédiat.
Globalement, il y a sans doute une
plus grande sophistication des souscripteurs. Nous avons, par exemple,
fait entrer des investisseurs du MoyenOrient à l’occasion de notre levée de
capitaux, ils sont très exigeants et c’est
compliqué de les faire entrer directement dans les fonds. Mais cela reste
possible.
Les souscripteurs sont aujourd’hui
beaucoup plus impliqués dans les deals.
Mais en co-investissant en direct, ils
prennent des risques pour lesquels
nous, sociétés de gestion, sommes
payées et sommes responsables des
décisions et des erreurs faites. Pour
moi, c’est de la responsabilité des GPs
de gérer les lignes et d’en assumer les
conséquences, et pas de celle des LPs.
Xavier Leloup : Un de tes confrères
disait que, dorénavant, on est en
levée de fonds permanente, c’està-dire qu’une fois qu’on a fait sa
levée, le travail n’est pas fini, il faut
conforter la relation, aller voir des
gens directement. Certains de tes
confrères - d’ailleurs ils ne sont pas
là aujourd’hui pour cette raison –
organisent des tournées asiatiques
pour préparer la levée suivante
et nouer des contacts, en amont
comme en aval d’ailleurs, peutêtre aussi pour investir mais pour
nouer des premiers contacts avec
des investisseurs potentiels. Est-ce
qu’aujourd'hui, il y a ce travail permanent ?
Jean Eichenlaub : Je pense qu’aujourd'hui, l’objectif numéro 1, c'est
d’investir et de désinvestir. Personnellement, je dois passer plus de 80
% de mon temps à essayer de trouver
des deals primaires. Les souscripteurs
nous confient de l’argent pour investir,
pas pour préparer les prochaines levées
de fonds. Aujourd'hui, le marché est
quand même dur et les opportunités
sont elles-mêmes dures à trouver.
Marc Benchimol, Benchmark Capital, et Sami Rahal, Deloitte
41
Conférence
Conférence
Sami Rahal : C'est vrai, Jean, mais
pour revenir à ce que disait Xavier,
je vois effectivement des équipes de
gestion, ce qui est tout nouveau,
être dans la logique d’entretenir un
“d’aller voir qui ?”après avoir levé
des fonds. Tout cela, bien sûr, sans
que ce soit une distraction pour
l’essence du métier qui est d’investir et de désinvestir.
42
“
Le High Yield
est très fortement
utilisé pour allonger
la maturité
de la dette
des sociétés et
donc prévenir
d’éventuelles
situations de
restructuration
Sami Rahal
”
Jean Eichenlaub : Ne me faites
pas dire ce que je n’ai pas dit. A une
époque, on ne voyait les souscripteurs qu’une fois par an au cours
d’un cocktail. Mais c’était dans les
années 90 ou 2000.
Maintenant, nous les rencontrons
plusieurs fois par an et nous avons
des réunions spécifiques avec chacun d’entre eux pour aborder tel
ou tel thème ou expliquer tel ou tel
deal.
Je dis juste qu’aujourd'hui nos
souscripteurs nous payent pour
faire des deals. Le commitment
coûte très cher.
Nous sommes là pour déployer au
mieux l’argent qui nous est confié.
C’est cela notre métier.
Xavier Leloup : Et pour rester
sur cette tonalité-là, on parlait
de “French bashing”, de compétivité de la France. Certains de
tes confrères disent : “L’avantage
de notre portefeuille c'est qu’ une
grande part des PME françaises
et des sociétés qu’on a en portefeuille ont un chiffre d’affaires
qui est très internationalisé,
donc on est indirectement présents, non seulement en France
mais que sais-je, en Chine, en
Arabie Saoudite, aux États-Unis
et en Allemagne. ” Est-ce aussi
un discours à tenir aux souscripteurs ?
Jean Eichenlaub : Oui, nous
avons le contre-exemple de La
Foir’Fouille, déjà citée, qui est
100% français et qui marche très
bien parce qu’intervenant dans une
niche à très forte croissance.
Mais,
globalement,
vendre
aujourd’hui une société francofrançaise qui est dépendante à
100% de l’économie française et
du pouvoir d’achat des français,
ce n’est pas toujours évident. Nous
avons créé un réseau de prestataires,
basés à Moscou (pour la CEI),
Doha (pour le Moyen-Orient), Sao
Paolo (pour l’Amérique Latine) et
la semaine prochaine en Chine,
dont la mission est principalement
d’aider les sociétés de portefeuille
à commencer ou à continuer à se
développer dans ces zones.
Je pense qu’il faut se donner les
moyens d’avoir des personnes sur
place qui savent par exemple comment faire pour être qualifiés par
les acheteurs russes (ce qui est le cas
pour notre participation Genoyer).
Ce sont des contrats impossibles à
gagner sans un contact sur place.
Donc, oui, il faut y aller bien sûr.
Sami Rahal : Aujourd’hui, l’internationalisation est l’un des critères
d’attractivité d’un actif à l’investissement.
Les repreneurs potentiels regardent
quelle est la proportion du chiffre
d’affaires, de l’EBITDA dans les
pays émergents, avec les problèmes
monétaires que ça peut d’ailleurs
poser parfois.
Récemment encore dans le large
cap, lorsqu’on disait que 40-50 %
du chiffre d’affaires était réalisé en
France, c'était considéré comme
un problème. D’ailleurs, pendant
la durée de détention de l’actif,
beaucoup de travail sur le buildup est réalisé par les équipes pour
donner à l’actif une dimension plus
internationale – avec les limites de
certaines géographies compliquées.
Il n’est pas facile pour une entreprise du mid-market – puisque
beaucoup d’actifs sont sur ce marché – de réaliser des opérations de
croissance externe dans ces pays,
que ce soit le Brésil, la Chine, etc…
Xavier Leloup : Un dernier point
avant d’aborder les nouvelles
contraintes, sur le rapport avec le
management.
Tu disais Vincent, je te cite, que
c'était toujours un bonheur de
conseiller les fonds étrangers sur
les relations avec le management,
le management français qui étaient
eux-mêmes bien conseillés.
Vincent Ponsonnaille : Oui, on
avait anticipé que la crise changerait
les rapports de force sur la discussion
du management package, mais on
constate que ce n’est pas vraiment le
cas.
Probablement du fait de la rareté des
opérations qui fait qu’une belle opportunité va attirer tous les investisseurs.
Le marché du management package est
extrêmement intermédié en France en
termes d’avocats et de conseils financiers notamment. On ne voit pas cela
dans les mêmes proportions à l’étranger. J’ai des clients américains qui me
disent : “On commence à négocier le
package après avoir signé le deal. En
France, on commence par négocier le
management package avant de boucler
un deal. ».
Céline Lagniez, Webhelp et Olivier Bénureau, Magazine des Affaires
On arrive même parfois à des situations où la liberté du fonds sur ses
principales décisions (calendrier et
modalités de sortie, remplacement du
management notamment) peut être
extrêmement limitée. Ces situations
peuvent sortir des contraintes d’investissement d’un certain nombre de
fonds étrangers.
Sami Rahal : Je trouve qu’il n’y a pas
eu de changement dans le rapport de
force. Le poids du management
est resté fort après crise, c'est mon
observation. En tout état de cause,
ce n'est pas une particularité mais
quand même une différence avec les
marchés anglo-saxons.
Jean Eichenlaub : Il y a quand
même un problème: une grande
partie des management package
sont sous l’eau aujourd'hui.
Xavier Leloup : C’est à dire ?
Dominique Fouquoire, IFE Mezzanine, et Vincent Dugelay,
Banque Transatlantique
Jean Eichenlaub : Aujourd'hui,
et j'ai retrouvé les chiffres exacts,
d’après la 3e édition du rapport
mondial de Bain sur le Private
Equity, 80% des entreprises en portefeuille sont valorisées entre 0 et
1,5 fois la mise . Une proportion
similaire des manpacks doit ne plus
être dans la monnaie.
43
Conférence
Conférence
“ Les sociétés
en portefeuille
depuis 2005, 2006
et 2007 sont-elles
aujourd’hui des cibles
potentielles ? ”
Agnès Nahum,
Access Capital Partners
44
Et c'est vrai qu’il y a un vrai problème
concernant les patrons de sociétés qui
ont parfois emprunté des montants
importants et/ou ont engagé leur patrimoine personnel pour investir. Mais
les solutions existent.
Sami Rahal : Ce genre de discussions
doit de toute façon se résoudre avant
d’initier le processus de cession.
Vincent Ponsonnaille : La difficulté c’est de trouver le bon moment
pour renégocier le management package. Paradoxalement, c’est quand
la situation va moins bien et que les
perspectives sont plus incertaines que
le management package devrait être
plus facile à renégocier. Quand tout va
mieux et que la sortie est proche, les
solutions techniques fondées sur un
réinvestissement du management sont
chères et difficiles à mettre en place
sans risque, notamment d’un point
de vue fiscal. Malheureusement, les
managers n’ont plus toujours de quoi
réinvestir.
Xavier Leloup : On va aborder désormais le dernier point sur la directive
AIFM et l’ESG.
Vincent Ponsonnaille : L’AIFM,
pour ceux qui ne connaissent pas
encore, c'est une directive de 2011,
transposée en France en 2013 et qui va
entrer en vigueur en juillet 2014. Elle
a vocation à normaliser le marché des
fonds d’investissement en Europe. En
France, pour le moment, cette directive va renforcer un certain nombre de
contraintes notamment en termes de
reporting, d’organisation et de gestion
des conflits d’intérêts. Elle va probablement avoir un plus gros impact
dans certains autres pays européens.
En France, les standards réglementaires étant déjà élevés, les contraintes
sont déjà connues donc je ne pense pas
que ça va impliquer une révolution
dans le mode de fonctionnement des
fonds, probablement plutôt mettre un
certain nombre de fonds au même
niveau en termes de contraintes. En
résumé, au-delà des obligations, je
dirais structurelles, pour les fonds
en termes de publicité, de gestion
des conflits d’intérêts, de processus
de décision interne, la transposition
de la directive va notamment avoir
un impact sur les obligations d’information à la charge des fonds
d’investissement à l’attention de
l’AMF, des sociétés en portefeuille et
des investisseurs. Les informations à
donner aux uns et aux autres varient
mais dans l’ensemble vous devrez
communiquer sur l’opération. Vous
devrez donner des informations sur le
financement de l’opération, à l’AMF
et à vos investisseurs, sur vos projets
en matière de stratégie et leur impact
sur l’emploi dans la société cible, à la
société cible. Des informations sur le
fonds lui-même à la société cible et à
l’AMF.
Par ailleurs, de nouvelles contraintes
vont s’imposer en matière de distributions (ou “asset stripping”) pendant
une période de 24 mois à compter
de l’acquisition d’une société. Ces
contraintes sont déjà dans une certaine mesure intégrées dans le code du
commerce. Par exemple, il ne sera pas
possible de procéder à des distributions
si à la suite de celles-ci le montant des
capitaux propres deviendrait inférieur
au montant du capital social. Cette
limitation existe déjà dans la plupart
des cas de distributions et réductions
de capital. La transposition de la
directive va l’étendre à l’ensemble des
hypothèses de distribution. Voilà, en
deux minutes l’AIFM à la française.
Xavier Leloup : Bravo. Bien résumé.
Alors, y-a-t-il des questions à nos
interlocuteurs ?
Bernard Teze, DS Avocats :
J’ai compris que les tournées en Asie,
ce n’était pas à la mode.
Mais que pensez-vous de l’arrivée des
investisseurs industriels chinois et
aussi japonais dont on ne parle pas, qui
ont beaucoup de cash et qui ont des
“ Considérez-vous
que les investisseurs
industriels asiatiques
sont désormais
importants ? ”
Bernard Tézé,
DS Avocats
des sociétés qui sont en portefeuille
depuis 2005, 2006 et 2007. Ces
sociétés payées chères sont-elles des
cibles potentielles ?
Jean Eichenlaub : Oui, bien sûr.
Évidemment, nous regardons les
portefeuilles de tous les confrères,
et inversement eux regardent les
nôtres…, mais il y a toujours la question du prix. Je pense qu’il y a de très
bons investissements à faire en secondaire et en tertiaire. La plupart des
gérants ont très bien fait leur travail,
ont su identifier les belles sociétés dans
leurs niches et les leaders de marché.
Et cela n’a pas fondamentalement
changé quand même.
Xavier Leloup : Pourtant, cette
année quelques banques ont pris les
clés de sociétés en négociation ?
Jean Eichenlaub : C’est à la marge.
ressources assez importantes au niveau
financier ? Est-ce que vous considérez
que les investisseurs industriels asiatiques sont importants ?
Jean Eichenlaub : Nous sommes en
tournée en Asie actuellement, mais
il serait prétentieux de dire que nous
connaissons bien le marché. Dans le
mid-cap, je n’ai pas vu beaucoup d’investisseurs chinois ou japonais. On a
annoncé une vague d’acquisitions de
Chinois et de Japonais en France, mais
personnellement je ne les ai pas vus.
Sami Rahal : Nos équipes travaillent
de près sur le sujet.
Les Japonais sont d’ailleurs des acquéreurs assez agréables et plaisants, en
termes de valorisation notamment. Ils
peuvent, de plus, être assez efficaces par
comparaison à des acquéreurs chinois.
C’est très difficile mais on y arrive.
Apax a cédé IEE à un acteur Chinois
et d’après ce que j’ai entendu, il est surtout difficile de décoder les processus
de décision et d’être sûr que l’acquéreur va in fine délivrer. Nous croyons
que ce sera une tendance que d’avoir
aussi des acquéreurs asiatiques et travaillons activement sur la recherche de
ces contreparties pour les sociétés en
portefeuille françaises.
Vincent Ponsonnaille : On y est
arrivé sur l’opération IEE pour Apax.
C’est vrai que ce sont des discussions
longues où l’aspect culturel est compliqué. Les investisseurs chinois utilisent
par exemple la stratégie de la négociation par strate. Vous renégociez un
contrat cinq fois avec 5 – 10 personnes
que vous découvrez et dont vous n’avez
jamais entendu parler avant. C’est très
différent d’une négociation avec un
investisseur américain par exemple,
avec lequel vous pouvez closer un deal
rapidement.
Agnès Nahum : Vous avez beaucoup parlé toute la matinée de la
durée de détention des sociétés et
Vincent Ponsonnaille : Oui, cela se
fait très rarement. On a quand même
une réglementation bancaire qui est
très particulière en comparaison de ce
qui se passe au Royaume-Uni ou aux
États-Unis.
Je ne pense pas que le rôle des banques
soit de constituer un portefeuille de
private equity.
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