Conférence LBO - Le Magazine des Affaires
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Conférence LBO - Le Magazine des Affaires
Conférence LBO Conférence Conférence 16 octobre 2013 28 29 Jean Eichenlaub Qualium Investissement Sami Rahal Deloitte Des transactions en croissance mais encore difficiles Vincent Ponsonnaille Linklaters L’essor des alternatives au financement bancaire GPs et LPS : l’inversion des rapports de force Directive AIFM, reporting, ESG… les nouvelles contraintes Conférence Conférence LBO : les signes d’une éclaircie ? Jean Eichenlaub Président de Qualium Investissement depuis 2009 et Membre du Comité de Direction de la Caisse des Dépôts Ancien Directeur du Département des financements structurés et financement d’actifs à la Commerzbank à Paris, DG Adjoint de Fonds Partenaires Gestion et DG de European Capital, dont il a fondé les bureaux de Paris et Madrid 30 16 octobre 2013, salon des Arts & Métiers, conférence d’automne du Magazine des Affaires. Jean Eichenlaub, président de Qualium Investissement, Sami Rahal, Managing Partner du FAS de Deloitte Finance et Vincent Ponsonnaille, Associé de Linklaters, ont identifié les signes d’éclaircie qui pointent en cette fin d’année 2013 dans le ciel français du LBO. En voici le compte-rendu. Photographie : Philippe Castano. Qualium Investissement, filiale de la Caisse des Dépôts qui gère 1,2 Mds € et détient 13 participations en portefeuille (dont Quick, La Foir’Fouille, Feu Vert, Genoyer, DGF, Sogal, Kermel, et plus récemment Invicta, groupe Meriguet). Les sociétés du portefeuille représentent un CA cumulé de près de 4 Mds€ et totalisent plus de 35 000 emplois Intervient principalement en majoritaire à travers des tickets moyens allant de 20 à 75 M€ dans des sociétés valorisées entre 40 et 250 M€ et dans certains cas jusqu’à 500 M€ “ La raison n°1 de la baisse du nombre de transactions depuis 18 mois ou deux ans, c’est le refus des vendeurs de vendre Jean Eichenlaub Xavier Leloup : Il y a un an à la même période nous faisions une conférence sur les LBO. L’environnement était très défavorable. Diriez-vous aujourd’hui que le pire nous a été épargné ? gnait l’année dernière. Je vous propose peut-être, en introduction à cette conférence, de vous présenter quelques éléments chiffrés pour planter le décor sur l'activité LBO en Europe et en France, avec quelques données en volume et en valeur. ” Sami Rahal : Effectivement, on peut dire que le pire nous a été épargné. L’instabilité fiscale est probablement l’un des sujets les plus préoccupants mais la situation est intrinsèquement plus favorable que ce que l'on crai- Tout d'abord, nous avons eu deux trimestres qui ont été raisonnablement actifs mais qui restent bas au niveau européen si on les compare au point haut des années 2006-2007. Nous avons un premier trimestre qui a été très bas en valeur et un deuxième trimestre qui est monté en valeur mais qui est resté assez stable en volume. Ce rebond en valeur est largement attribuable à cinq transactions valorisées au-delà du milliard d'euros. Le retour de ces LBO de taille impor- Intègre les principaux thèmes de l’Investissement Socialement Responsable Dernières cessions réalisées : Carré Blanc, Tournus Equipement et Socotec. tante est une nouveauté. Quand on regarde plus précisément certains indicateurs, on voit que le premier trimestre a été extrêmement bas avec 92 opérations cumulant une valeur de 8,6 milliards d’euros, avec un rebond ensuite au deuxième trimestre. Il faut revenir à 2009 pour trouver un niveau aussi faible d’activité sur un trimestre. Sur le large-cap, on compte une seule opération au premier trimestre 2013 pour une valeur d’un milliard, versus cinq opérations au deuxième trimestre, qui totalisent une valeur supérieure à 10 milliards. Le marché du mid-market, sur le deuxième trimestre, a été raisonnablement actif puisqu’on a eu autour de 11 milliards de transactions LBO. L’analyse géographique montre que le marché britannique reste un marché prééminent en volume. Il a néanmoins été dépassé en valeur sur le deuxième trimestre par les regroupements de pays dits germaniques, conduits par l'Allemagne avec l'Autriche et la Suisse. Ces pays totalisent 9,2 milliards d’euros de LBO au cours du deuxième trimestre. On constate que la France, qui a été 31 Conférence longtemps le premier d'Europe continentale, a décroché et évolue désormais dans une autre ligue. En Allemagne, trois transactions ont dépassé 1,5 milliard d’euros. En France, Allflex approche le milliard. Nous avons eu également OGF à 900 millions d’euros, Maisons du Monde à 680 millions d’euros, SMCP à 650 millions d’euros, Flexitallic autour de 550 millions d’euros et Socotec pour un peu plus de 450 millions d’euros. 32 On voit bien que l'on a un marché à deux vitesses, avec de très belles transactions et des multiples élevés mais des actifs qui ont beaucoup de mal à sortir aussi. On note aussi que le taux d’échec est, selon nous, proche des deux tiers des processus initiés. “ Conférence Jean Eichenlaub : Bonjour à tous ! Entre French bashing et Socotec, je crois que je commence bien la conférence et difficile de faire plus contradictoire… Je vois qu’il y a beaucoup de monde et je vous rappelle qu’il y a un an, aux dires de certains, notre avenir semblait très compromis. Donc bienvenue à toutes et à tous, ravi de vous voir toutes et tous, et… bien en vie ! Le Private Equity a réussi à s'adapter ! Pour essayer de répondre à la question de Sami, il faut revenir sur le tisseurs ont absolument besoin de sécurité sur le long terme. Le French bashing, on peut l’illustrer par une étude publiée dans les Echos qui indique que 87 % des investisseurs américains ont un avis négatif sur la France alors qu’ils étaient 53% à avoir une opinion positive sur l’hexagone en 2003 – 2004. Si on regarde les souscripteurs des fonds aujourd’hui, les Américains y ont une place très importante. En conséquence, une telle opinion est plutôt inquiétante, mais nous ne pouvons que nous en prendre à nous-mêmes. Les Américains sont comme nous, ils lisent Internet, les journaux, etc… Les articles qui critiquent la France sont d’abord le fait des français. Donc le French bashing, on l’a tous subi un peu et je pense qu'on va continuer à le subir, mais c'est à nous de donner une dynamique positive de la France, de l’activité et des marchés français. Vincent Ponsonnaille Associé de Linklaters, l’un des cabinets d’avocats parisiens les plus actifs à la fois en matière de Private Equity mid/large cap et en corporate industriel En cas de l’échec d’une sortie, le refinancement est bénéfique pour la société car elle permet d’éloigner les échéances de remboursement Finalement, si l’on compare la France à ses voisins, on se rend compte qu’elle est dans une situation particulière. Fait nouveau, nos collègues britanniques à Londres sont aussi occupés qu’ils n'étaient il y a cinq ans avant la crise. Quant à l'Allemagne, elle est clairement sous le signe d'une éclaircie. Je note enfin un paradoxe dans une situation où le marché de la dette est extrêmement favorable, tant en termes de coût que de disponibilité. Est-ce donc lié à une inquiétude des investisseurs étrangers ? Est-ce un sujet spécifique à la France, lié aux conséquences du French bashing ? J’ai envie de poser la question à Jean. Xavier Leloup : Oui, avant d'aborder les rapports entre investisseurs et fonds, on peut peut-être dire un mot général, un peu macro, sur l'évolution de l'économie française et sa perception surtout par les investisseurs étrangers. Vincent Ponsonnaille concept de l’éclaircie et, notamment, sur notre perception de la position de la France dans le marché du Private Equity. Je pense qu’en France, nous avons un début d'éclaircie, mais que nous ne sommes qu’au milieu du gué : je ne pense pas qu'on va revenir en arrière, pas plus que nous ne tomberons dans l’eau. Je crois que nous allons franchir ce gué, mais cela ne se fera pas sans changement sur le marché, les équipes, les conditions, et sur les exigences de nos souscripteurs. Concernant le French bashing et donc l’opinion des souscripteurs étrangers sur la France : ce n'est pas tant les changements de la réglementation de la fiscalité qui les ont véritablement inquiétés que l'incertitude. Le pire, c'est l'incertitude. Les inves- Spécialisé dans le Private Equity, où il conseille exclusivement les fonds, ainsi que dans les secteurs des Télécom et de l’Industrie »» Vente d’Outremer Telecom à Altice pour AXA PE (2013) »» Vente d’ADB Airfield Solution à PAI Partners (2013) pour Montagu Private Equity ” »» Externalisation des infrastructures passives du réseau téléphonique d’Orange au Cameroun et en Côte d’Ivoire (2013) pour IHS Xavier Leloup : Le vote de la loi de finances va se faire dans les semaines qui viennent donc c'est une période assez cruciale. Faut-il s’eninquiéter ? »» Acquisition par Montagu Private Equity SAS de St Hubert (2012) »» FSI dans le cadre de son investissement dans le groupe Tokheim (2012) »» Axa PE dans le cadre de la cession de sa participation dans Keolis (2012) Vincent Ponsonnaille : Non, je ne crois pas qu'on va avoir un choc comparable à celui que l’on a connu il y a un an, les sujets dont on discute sont déjà sur la table, ce sont notamment des sujets liés à la capacité de déduction d'intérêts. Il n'y a pas d'effet massue comme on a pu le ressentir il y a un an, où tout avait été annoncé d’un seul coup, mais comme le disaient Sami et Jean, la pratique s’est ajustée. Je me souviens qu’il y a un an, nous avons été contraints de monter des opérations sur la base d’hypothèses fiscales très différentes (avec ou sans déduction d’intérêts). Au final, on continue à faire des opérations. Si Exemples d’opérations marquantes : on prend l’exemple de l’Allemagne, l’absence de déduction d’intérêts sur le coût du financement n’empêche pas les transactions d’avoir lieu comme le faisait remarquer Sami. Là où je rejoins complètement Sami et Jean, c’est sur l’origine du problème, lié à l’incertitude et j’espère qu’il y en aura moins cette année que l’année dernière. Sami Rahal : L’année dernière, nous étions dans une situation où l'anxiété était forte au sein des équipes de gestion, tant sur l'impact pour les sociétés en portefeuille que pour les transactions. A cette même période, l'année dernière, des équipes se posaient sérieusement la question de savoir s'il fallait rester à Paris ou aller dans d'autres localisations plus attractives tout en opérant sur le territoire français. À ma connaissance, aucune équipe n'est partie. La situation est donc plus favorable et on trouve les moyens d’opérer en structurant des transactions un peu différemment. Au fond, intrinsèquement, la situation n'est pas plus compliquée que dans des marchés proches comme l'Allemagne. Encore une fois, c'est vraiment l'instabilité qui 33 Conférence perturbe les investisseurs étrangers, et non la situation dans l’absolu. Vincent Ponsonnaille : Le paradoxe, c’est qu’on a ce phénomène de French bashing mais, en même temps, la France reste un marché extrêmement compétitif. Quand vous parlez à des investisseurs étrangers, ils disent : “L’une des raisons pour lesquelles nous hésitons à venir participer à des enchères en France, c’est parce qu’il y a beaucoup de fonds français et étrangers déjà présents.” Il y a énormément de concurrence entre eux, des problématiques de management package et des difficultés pour un investisseur de culture anglo-saxonne de s’adapter aux demandes d’un management package français. “ 34 Conférence c’est environ un process de vente sur deux qui n’a pas abouti, principalement pour une question de prix. Le marché a donc baissé de 20 à 25% en fonction des segments. Parfois les fonds ne veulent pas vendre car le prix proposé ne correspond pas à leurs attentes. C’est une réalité et nous avons nous-mêmes été dans ce cas. Nous avons peut-être tous acheté un peu cher, en 2006, 2007, 2008. La question est : faut-il vendre tout de suite ou garder l’actif un ou deux ans de plus levée nous ont dit : “avant, j’investissais entre 5 et 10 millions d’euros dans chaque équipe, j’achetais le marché. Aujourd’hui, j’investis de plus gros “tickets” mais sur quelques équipes ciblées. Certains fonds auront donc plus de difficultés à lever des capitaux que d’autres qui bénéficient de cette tendance’’. Il y a également des souscripteurs qui ne faisaient que du primaire, qui, maintenant, font du secondaire, de l’infrastructure et qui s’équipent en conséquence. L’organisation du marché est modifiée. On a un marché à deux vitesses, avec de très belles transactions et des multiples élevés mais aussi des actifs qui ont beaucoup de mal à sortir Il y a non seulement des investisseurs mais également des financements, donc vous avez une palette de financements très large, beaucoup d’acteurs et notamment des investisseurs nouveaux. Beaucoup de fonds, notamment nordaméricains viennent nous voir et on passe du temps à leur expliquer les problématiques sociales et règlementaires locales tout en notant un fort intérêt de leur part. Donc, je pense que Jean a raison, il y a des signes positifs dans le marché et dans l’activité qui laissent espérer un rebond ou à tout le moins une consolidation du marché français dans les mois à venir. Xavier Leloup : Malgré tout au printemps on a vu quelques opérations et puis ça continue aujourd’hui. Est-ce qu’il y a encore des actifs disponibles sur le marché ? Jean Eichenlaub : Globalement, il y a moins d’opportunités sur le marché et, de plus, si l’on prend l’année 2012, Sami Rahal pour espérer arriver à la valorisation souhaitée ? Depuis le début de l’année jusqu’à aujourd’hui, le deal flow est en baisse d’environ 20 à 30 %, mais certaines opportunités sont de grande qualité ! Ce sont surtout les process qui ont changé. Il y a beaucoup de “gré à gré”mais ce sont des“gré à gré”un peu particuliers. En fait, il y a presque toujours un conseil chargé de réunir toutes les parties prenantes du deal. Socotec en est un exemple, le conseil nous a tous aidé à conclure un deal gagnant-gagnant . La modification du marché est aussi la conséquence de la modification de la stratégie d’investissement des souscripteurs. La plupart des souscripteurs que nous avons rencontrés durant notre dernière Sami Rahal Membre du Comité Exécutif de Deloitte France, Managing Partner de Deloitte Financial Advisory et M&A Transaction Services Leader pour la zone Europe-Moyen Orient-Afrique Dirige une équipe de 225 personnes dédiées aux métiers du Transaction Services, de la Restructuration, de l’Evaluation, du Corporate Finance et du Forensic & Dispute Xavier Leloup: Donc les deals normés avec enchères, ça devient une exception ou c’est de plus en plus rare ? Sami Rahal : On fait effectivement face à deux types de situations : des situations où les processus, lorsqu’ils sont concurrentiels, font appel à un nombre limité d’acquéreurs pré-qualifiés qui ont fait beaucoup de travail en amont et des situations où l’actif est bien exposé sur le marché, pour lequel le management a mandat de son actionnaire pour rencontrer un certain nombre de fonds, présenter l’actif et avoir un degré d’intimité extrêmement fort, pour, in fine, initier un processus pour lequel on se retrouve dans un second tour avec 3-4 fonds et éventuellement un industriel pour mettre un peu de tension concurrentielle. Je crois que ce qui manque le plus aujourd’hui sur la place, ce n’est pas la dette mais les actifs, notamment primaires : le nombre d’actifs primaires n’est toujours pas très satisfaisant comparé à d’autres marchés comme l’Allemagne. 20 ans d’expérience dans l’accompagnement des opérations de M&A et Private Equity (dont IBR) »» LBO Maisons du Monde (2008 et 2013 à l’achat pour Bain Capital), Flexitallic (2013, à l’achat pour Bridgepoint), ” Tout cela est lié finalement et, paradoxalement, à la bonne santé de nos groupes français dont la situation Exemples d’opérations marquantes : »» Acquisitions de Goodrich EPS par Safran (2013), et d’Areva T&D par Alstom (2009) »» Refinancements des groupes Materis (2009 et 2012), Diana et Deutsch (2009) de crédit, favorable pour eux, ne les contraint pas ou plus, contrairement à 2009 ou 2010, à devoir opérer des cessions significatives dans leur portefeuille d’activité. Sami Rahal : Oui, mais dans ce cas, il ne s’agit pas d’un vendeur contraint, contrairement à d'autres zones géographiques telle que l’Espagne où tout était à vendre. Xavier Leloup : Il y a eu quand même Anios, les laboratoires d’Air Liquide. Jean Eichenlaub : Ça, c'est tout à fait vrai, si on compare 2012 à 2013 ou à 2011, je crois que nous avons dû voir passer au maximum 3 ou 4 opportunités de groupes industriels qui vendaient des filiales à des fonds d’investissement. Xavier Leloup : C’est parce qu’ils n’ont pas la culture des fonds car finalement,parmi les groupes du CAC 40, il y en a un certain nombre qui sont cédants ? 35 Conférence 36 Vincent Ponsonnaille : Beaucoup de groupes du CAC 40 ont déjà désinvesti. La France ne représente qu’une partie mineure de leur activité. La plupart des grands groupes sont déjà tellement internationaux qu’on sent que sur ces sujets ils passent moins de temps et donc il y a moins de deals. Je rebondis sur ce que dit Sami sur les processus de vente : un autre phénomène que l’on voit apparaître depuis la crise, c'est la grande prudence des fonds avant de se lancer complètement dans le processus à l’achat. Notamment avant d’engager des dépenses pour des conseils externes. En fait, on s’aperçoit qu’il y a en général un ou deux investisseurs qui sont vraiment motivés et que les deux autres attendent. J’ai en tête l’exemple d’un client américain qui a indiqué au vendeur qu’il ne dépenserait rien jusqu’à ce qu’il soit en exclusivité et d'accord sur le prix. Xavier Leloup : C’est vrai qu'on entend souvent dire que c’est la relation avec le vendeur qui a fait la différence dans la concrétisation d’un deal. Est-ce une manière de dire à ces souscripteurs qu’on a payé moins cher ? Sami Rahal : L’un des freins au nombre de transactions, c'est effectivement la convergence sur le prix. Cela étant, je ne crois pas qu'un processus de gré à gré soit possible – je parle sous le contrôle de Jean – si l'actif n'est pas “fairly priced”par l’acheteur qui initie le dialogue. Donc, je ne crois pas, quand on se met dans une situation préemptive, à la possibilité d'acheter matériellement moins cher que le résultat d'une enchère qui serait de toute façon limitée. Concernant Socotec, il me semble que le multiple est légèrement supérieur à 10. Ce n’est donc pas un actif qui a été bradé. Xavier Leloup : Et les prix n'ont pas baissé. N’est-ce pas ce que tu nous disais, Jean, en préparant la conférence ? Conférence Sami Rahal : Encore une fois, on a un marché à deux vitesses, et le prix des beaux actifs n’a guère baissé. La dette est là, et ceux qui supportent un levier significatif, disons 4-5 fois, commandent des prix de vente significatifs, souvent avec des multiples à deux chiffres ou en tout cas supérieurs à 8. Xavier Leloup : Sandro Maje dont on parlait est une société assez jeune finalement qui s'est créée au début des années 2000 et qui s’est vendue 650 millions d’euros à KKR : est-ce une valorisation élevée ? Sami Rahal : On parle là d’une société à forte croissance qui a fait le pari de s’internationaliser aux ÉtatsUnis notamment. Il s’agit d’une success-story assez exceptionnelle effectivement. Jean Eichenlaub : Juste pour revenir sur le gré à gré… et comme je le disais au préalable, il y a presque toujours un conseil dans le process qui permettra d’arriver au prix d'équilibre, à l’exception notable pour nous de La Foir’Fouille et de Sogal. Je suis assez partagé sur ce que tu dis Sami. Pour la dernière transaction, Invicta, nous avons négocié 18 mois avec le manager. Je crois que ce qui a fait la différence, c’est la relation créée avec le vendeur/ propriétaire et cela fait partie de notre métier. Dans un process optimisé, le multiple peut être plus élevé, mais il y a un risque réel d’endommager l’actif si la vente n’aboutit pas, ce qui n’est pas le cas de gré à gré où la transaction reste confidentielle. La raison n° 1 de la baisse du nombre de transactions depuis 18 mois ou deux ans, c’est le refus des vendeurs de vendre. Il y a eu des offres sur presque tous les deals. Mais nous avons tous des attentes relativement fortes en matière de prix. J’anticipe donc un léger réajustement, mais en même temps, il reste encore beaucoup d’argent sur la place, qu’il faut investir, déployer, ce qui limite Ils ont dit : Jean Eichenlaub “ Ce n'est pas tant les changements de la réglementation de la fiscalité qui les ont véritablement inquiété que l'incertitude. Le pire, c'est l'incertitude. Les investisseurs ont absolument besoin de sécurité sur le long terme ” Vincent Ponsonnaille “ Une des grandes différences entre le concept du bond et le concept de l’unitranche, c’est que le bond est monté par une banque ” Sami Rahal “ Avec l’Unitranche on sait que si les choses se tendent, on n’aura qu’une seule personne autour de la table, ce qui peut être la meilleure ou la pire des choses ” mécaniquement une baisse des prix. Xavier Leloup : Quand on a un actif endommagé, il faut vendre maintenant : c’est le message que tu veux faire passer ? Sami Rahal : Encore une fois, je pense réellement qu’il y a un marché à deux vitesses. Pas de souci sur les beaux actifs qui se vendent facilement et à des multiples élevés. A contrario, sur les actifs plus difficiles, le processus n’aboutit souvent pas. Pourquoi ? Parce que, sur ces actifs, il est souvent difficile d’accepter une sortie à des conditions plus défavorables qu’à l’entrée, notamment en termes de multiple. Xavier Leloup : Nocibé, dont on a beaucoup parlé, a eu la chance ou la malchance d’avoir beaucoup de couvertures médiatiques, (ce deal depuis 4 mois) et puis finalement, ne s’est pas vendu. Quand ce type de scénario se déroule, est-ce que du coup, ça handicape l’actif ? Vincent Ponsonnaille : Je ne vais pas parler pour Nocibé, je vais parler en général. Il peut effectivement être dangereux de trop communiquer sur un processus quand il va échouer et c’est peut-être aussi un des intérêts du gré à gré, c'est-à-dire des processus sur lesquels les parties ne communiquent pas. Xavier Leloup : Et du coup, quand cela arrive, il faut attendre au moins un an avant de remettre en vente. Comment ça se passe-t-il, d’un point de vue pratique ? Sami Rahal : Je crois que c’est une question au cas par cas. Effectivement, l’actionnaire peut avoir le sentiment qu’en attendant un horizon à 2 ou 3 ans, il aura la possibilité de créer de la valeur et donc d’infléchir la séquence de chiffres. A mon avis, c’est hasardeux de croire que les conditions seront meilleures dans deux ans, en termes de valorisation de l’actif. Il faut parfois, et cela est difficile, je le consens, prendre son courage à deux mains et se dire : “OK, je passe à autre chose et je cède l’actif dans un marché de toute façon plutôt vendeur, même s’il est discriminant”. Vincent Ponsonnaille : Oui, ou on reprend l’année d’après, et parfois même avant. Il reste toujours un fonds qui reste proche du management, ou proche du vendeur. On a des exemples de deals qui ont été retardés mais qui ont fini par aboutir avec un processus plus discret et peut-être une attente raisonnable du fonds vendeur. On peut dans ces situations arriver à trouver un équilibre et ne pas forcément attendre deux ans avant de pouvoir remettre l’actif sur le marché. Jean Eichenlaub : Nous avons tous globalement décalé nos sorties de deux ou trois ans. Cela ne nous aide pas visà-vis des souscripteurs puisqu’ils ont, eux-aussi, envie de retrouver des liquidités pour réinvestir. En conséquence, j’aurais tendance à céder maintenant. Nous sommes actuellement dans une économie légèrement croissante, mais très légèrement. Donc, pour les entreprises qui sont très exposées à l’économie française, attendre deux ans, ce n’est pas forcément une bonne idée. Je ne suis pas certain que l’avenir sera beaucoup plus rose en 2014 – 2015. Aujourd’hui, il reste encore beaucoup d’argent non-engagé. Certains actifs partent à des multiples effectivement très élevés parce qu’ils “cochent toutes les cases », c’est-à-dire qu’ils offrent une grande sécurité sur les revenus générés ou ont une forte présence internationale. Dans les secteurs de niche, on peut encore les vendre à un prix très élevé. Il existe également des contre-exemples, comme Feu Vert, Quick ou La Foir’Fouille , qui interviennent principalement sur le marché français, mais sur des segments en très forte croissance. Sami Rahal : On le voit sur un actif comme Allflex dont le multiple est, je crois, autour de 13. C’est un acteur leader mondial sur une niche, très internationalisé donc et qui coche à peu près toutes les cases. Et lorsqu’on travaille sur l’actif, on a du mal à trouver des “downsides», des points de faiblesse. Évidemment, ça fonctionne très bien. Xavier Leloup : Et le refinancement d’un actif constitue-t-il une alternative à la vente pour faire remonter de l’argent à ses investisseurs ? Vincent Ponsonnaille : Oui, sur le papier, c’est une alternative ! Il faut toutefois tenir compte des contraintes règlementaires limitant la possibilité de faire remonter du cash aux investisseurs notamment les problématiques liées à l’intérêt social, en particulier en France. Les investisseurs anglo-saxons ont des logiques différentes sur ces conceptslà et l’une des missions des avocats dans ces situations est notamment de les familiariser avec les contraintes du droit français et surtout les conséquences de celles-ci. Le refinancement est surtout bénéfique pour la société, 37 Conférence Conférence je pense, afin, dans le cas de l’échec d’une sortie, d’éloigner les échéances de remboursement. Cela peut parfois également permettre de rembourser une partie des prêts d’actionnaires mais cela reste principalement un outil assurant la pérennité de la société et de son financement. Sami Rahal : Et le marché High Yield, qui est très ouvert, a ces deux vertus. Il a permis des transactions type AllFlex ou Sandro Maje. Toutes ces transactions ont fait appel à des émissions obligataires High Yield mais on le voit aussi il est très fortement utilisé pour allonger la maturité de la dette des sociétés et donc prévenir d’éventuelles situations de restructuration. Or, les émissions obligataires se préparent et allongent la duration. C’est le cas sur Elis, ou encore Odigeo. On a pas mal d’actifs qui passent dans ce processus d’allongement de la maturité. 38 “ Il y a énormément d’actifs qui sont dans les portefeuilles depuis six ans ou sept ans. Le refinancement va, je pense, apporter une partie de liquidité et une respiration au marché Jean Eichenlaub ” Jean Eichenlaub : Si vous regardez l’indice Argos Soditic en valeur d’entreprise, les multiples sont de 6,7 à 6,8 fois l’Ebitda. D’après Prequin, plus de 70% des actifs mondiaux achetés en LBO en 2006 sont encore en portefeuille. Or, il y a de la dette aujourd’hui disponible. Avec un refinancement correct et sans être abusif, il est possible de rembourser au moins une partie des OC et cela donne un peu de temps. Je suis persuadé, en conséquence, que le marché de la dette va croître dans les années à venir. Sami Rahal : j’ai l’impression qu’on arrive à des situations qui, à certains égards, me rappellent la situation d’avant juin 2007, tant en termes de multiple que de scénario de récap très rapide après une transaction, où l’on remonte plus de cash et où le sponsor est déjà positif sur l’investissement. Dans la mesure où le coût de la dette a été divisé par deux par rapport à 2010, on peut affirmer que la dette, en plus d’être redevenue abondante, est assez peu chère par le faible niveau des taux d’intérêt. Vincent Ponsonnaille : C’est vrai que les vieilles habitudes reviennent très vite et les concepts qu’on imaginait bannis après 2008 ressurgissent, non pas forcément sur le marché français mais par exemple sur le marché US où le “Cove Lite”a du, jour au lendemain ,réapparu. Je crois qu’une fois que ces options sont dans la tête d’un emprunteur, il ne va pas hésiter à les demander à une banque qui serait particulièrement motivée pour financer son opération. Cependant, même si ce phénomène peut se revoir sur certaines opérations, ce n’est pas la norme. L’autre tendance que l’on observe de plus en plus, c’est la diversité des financements. Vous avez le financement senior classique : on a à peu près réglé en France la problématique senior/mezzanine et la coordination entre les deux dettes qui ont fait beaucoup parler après 2008. A côté, vous avez les financements unitranche. La plupart des refinancements réalisés récemment (à partir de 180, 200 M€) se sont faits par émission d’obligations high yield qui offrent flexibilité et souplesse. En dessous de 180, 200 M€, vous avez des concepts proches entre l’unitranche, le midmarket bond et le private bond que l’on peut confondre, parce qu’on a en France un système où tous ces financements reposent sur des obligations. Par exemple, au Royaume-Uni, un financement unitranche est documenté sous forme de contrat de prêt. En France, les investisseurs ne peuvent pas s’affranchir des contraintes du monopole bancaire et vont donc plutôt recourir à des obligations. A côté des financements unitranche, vous avez les bonds qui sont plus proches d’un high yield bond dans la façon dont ils sont structurés. Une des grandes différences entre le concept du bond et le concept de l’unitranche, c’est que le bond est monté par une banque. Le bond peut s’adresser à un pool plus large, notamment sur les marchés anglo-saxons, soit auprès de 4 ou 5 investisseurs (ce qui n’est pas très éloigné d’un financement unitranche). On a vu récemment des financements Mid-Market Bond en Angleterre, sur le groupe hôtelier Soho House par exemple. Tous ces types de financement se concurrencent, c’est une très bonne nouvelle pour les emprunteurs car cela leur offre de meilleures conditions de financement. Olivier Bénureau: Les HY ne sontt-ils pas réservés au refinancement ? Vincent Ponsonnaille : La difficulté à l’origine était de caler un financement high yield dans un calendrier de vente. Depuis l’acquisition de Picard par Lion Capital, les financements high yield sont garantis par des “bridge to high yield », qui fonctionnent bien et offrent la certitude de disposer de fonds suffisants. Vous pouvez parfaitement, comme cela a été le cas sur Maisons du Monde, mettre en place un financement high yield dans le cadre du financement d’une acquisition. Jean Eichenlaub : Globalement, la position des banques risque de changer dans les années à venir. Quand on voit tous les fonds déjà existants ou qui se créent sur la place de Paris et à Londres et aux États-Unis, les banques risquent de devenir minoritaires dans nos métiers, comme c’est déjà largement le cas aux Etats-Unis. Les financements non bancaires représentent déjà 2/3 des financements. Le Didier Pascal, Dahlia Partners, et Fabien Wesse, Cathay Capital marché va clairement se sophistiquer. Pour répondre à cette tendance lourde, toutes les équipes de conseils ont désormais un spécialiste en Debt Advisory, comme Deloitte. Pas la peine de citer les autres, Sami ? Sami Rahal : Non, ce n’est pas la peine ! Jean Eichenlaub : Pour illustrer cette tendance, je voulais vous donner un chiffre provenant de Bain : 70% des actifs sont valorisées entre 0,5 et 1,5 fois la mise. Donc, vous imaginez l’impact sur le Hurdle… Il y aura beaucoup de refinancement, beaucoup de solutions un peu différentes pour faire remonter des fonds aux souscripteurs. C’est très important pour les équipes de faire remonter de l’argent, surtout avant de lancer une levée de fonds. Comme déjà indiqué, il y a énormément d’actifs qui sont dans les portefeuilles depuis six ou sept ans. Le refinancement va, je pense,apporter une partie de liquidité et une respiration au marché. Faut-il dire plutôt “un peu de liquidité ”? Sami Rahal : Il est vrai que l’on retrouve le même sujet. L’avantage est que la dernière crise est récente, si tant est qu’on en soit sorti. On voit des équipes qui, face à l’unitranche, se posent la question de regarder finalement quelle est la tête de l’unitrancheur en face. Il est avantageux d’avoir une seule personne, cela facilite grandement la structuration de l’investissement. On sait aussi que si les choses se tendent, on n’aura qu’une seule personne autour de la table, ce qui peut être la meilleure ou la pire des choses. Sans doute, la meilleure si on la compare à une situation où l’on a 150 CLO dans le pool comme on a pu le voir dans les années 2009-2011, 2012. Mais cela peut aussi être très difficile à gérer dans le cas où, pour trouver une solution pour l’actif concerné, on a une personne avec laquelle le dialogue est devenu impossible. Qu’en pensestu Jean ? Jean Eichenlaub : Il faut bien choisir son unitrancheur. Xavier Leloup : Oui, c’est donc à double tranchant. Mais, si, par définition, il n’y a pas eu encore d’actifs financés par Unitranche qui ont été confrontés à un refinancement ou une restructuration ? 39 Conférence 40 “ Paradoxalement, c’est quand la situation va moins bien et que les perspectives sont plus incertaines que le management package devrait être plus facile à renégocier ” Vincent Ponsonnaille Conférence Vincent Ponsonnaille : Non, c’est trop tôt. Cela équivaudrait à un senior/mezzanine qui serait entre les mains d’un seul prêteur, vous n’avez pas alors le même rapport de force pour négocier. Xavier Leloup : Donc, pour résumer, on a une situation de financement qui est positive avec beaucoup d’alternatives obligataires et un retrait des acteurs de la banque traditionnelle ? Jean Eichenlaub : Nous n’avons vécu qu’une seule restructuration. Heureusement, en l’espèce, ce n’était pas catastrophique. La société avait une crise passagère de liquidités et elle a remarquablement bien redémarré depuis. Mais quand vous avez 27 banques, dont une petite banque étrangère introuvable, que parfois seuls les avocats les représentant viennent aux réunions et que les négociations durent six mois, c’est quand même assez compliqué, et c’est vrai que parfois, on préfèrerait avoir un unitrancheur. Sami Rahal : C’est ce que disait Jean. Les banques ont souhaité baisser un peu leurs engagements, parfois contraintes par des problématiques de ratios. C’est une tendance de fond et c’est très similaire à la situation des Etats-Unis. On retrouve ça de toute façon dans le monde Corporate au niveau du mid-market qui devient en tendance plus financé par émission obligataire que par endettement bancaire. On avait une situation atypique en France, très bancarisée sur l’endettement Corporate. On retrouve la même situation finalement dans la sphère LBO. Xavier Leloup : Lors de notre dernière conférence LBO, il y a un an, on avait justement évoqué en détail l’Unitranche qui était présenté comme un outil flexible et pas encore standardisé. Est-ce encore le cas ? En Avril 2013, on avait recensé 15 opérations. Estce qu’aujourd’hui ce produit est plus standardisé ? Vincent Ponsonnaille : Oui, on le voit beaucoup, mais ce n’est pas un outil standardisé pour autant car l’intérêt de ce type de financement est justement que vous pouvez tout adapter en fonction des besoins de la société. Comme vous n’avez qu’un seul interlocuteur, vous pouvez entrer davantage dans le détail des besoins de la société, que ce soit la nécessité d’un super senior RCF ou le financement des acquisitions futures, et vous allez adapter le financement. On va à chaque fois partir d’une feuille blanche. Ce n’est pas normé et c’est très bien ! Vincent Ponsonnaille : On a assisté d’ailleurs à un phénomène, il y a un ou deux ans, où certains grands corporates se finançaient moins chers sur les marchés qu’auprès des banques. Les investisseurs étaient plus intéressés d’investir dans Schneider que dans des émissions bancaires par exemple. Je constate également que la désintermédiation est une tendance lourde du financement des acteurs de l’économie Sami Rahal : Aux Etats-Unis, on est à deux tiers en financement non bancaire et un tiers en financement bancaire. Il semble que l’on aille dans cette direction en France, même si les banques françaises reviennent actuellement et ont à nouveau envie de refinancer des dossiers Xavier Leloup : Passons à présent à l’inversion des rapports de forces entre GP’s et LPs. Il y a eu reconfiguration de l’univers avec notamment beaucoup d’in- ront réellement le capital à hauteur de ce qu’ils ont demandé initialement. Xavier Leloup, Le Magazine des Affaires vestisseurs qui souhaitent investir en direct. Que peut-on dire sur ce changement, sur cette inversion-là ? Vincent Ponsonnaille : D’un point de vue technique, oui, c’est vrai qu’on voit régulièrement des opérations de coinvestissements, même sur des deals de taille moyenne. Soit les limited partnerships investissent en direct dans la holding, soit ils investissent par l’intermédiaire d’un véhicule de coinvestissement créé spécialement pour l’opération. Cette seconde option est fréquemment utilisée quand des investisseurs étrangers ne veulent pas forcément apparaître en première ligne en tant qu’actionnaires. Nous constituons alors un FCPR de droit français ou un limited partnership de droit anglais géré par le sponsor, et dans lequel ces co-investisseurs peuvent investir Sami Rahal : Je crois que dans les levées de fonds, c’est une demande presque systématique d’avoir cette possibilité d’investir en direct, d’ailleurs acceptée par les équipes de gestion. Il reste cependant à confirmer que ces investisseurs étrangers déploie- Jean Eichenlaub : Avant de répondre à cela et pour détendre l’atmosphère tendue qui se dessine sur ce sujet, il y a déjà quelques mots qui ont totalement disparu, pour nous du moins : le “Carried Deal by Deal”, les “Structuring fees”, les “Monotory fees”n’existent pratiquement plus, et leur retour n’est à priori pas pour l’immédiat. Globalement, il y a sans doute une plus grande sophistication des souscripteurs. Nous avons, par exemple, fait entrer des investisseurs du MoyenOrient à l’occasion de notre levée de capitaux, ils sont très exigeants et c’est compliqué de les faire entrer directement dans les fonds. Mais cela reste possible. Les souscripteurs sont aujourd’hui beaucoup plus impliqués dans les deals. Mais en co-investissant en direct, ils prennent des risques pour lesquels nous, sociétés de gestion, sommes payées et sommes responsables des décisions et des erreurs faites. Pour moi, c’est de la responsabilité des GPs de gérer les lignes et d’en assumer les conséquences, et pas de celle des LPs. Xavier Leloup : Un de tes confrères disait que, dorénavant, on est en levée de fonds permanente, c’està-dire qu’une fois qu’on a fait sa levée, le travail n’est pas fini, il faut conforter la relation, aller voir des gens directement. Certains de tes confrères - d’ailleurs ils ne sont pas là aujourd’hui pour cette raison – organisent des tournées asiatiques pour préparer la levée suivante et nouer des contacts, en amont comme en aval d’ailleurs, peutêtre aussi pour investir mais pour nouer des premiers contacts avec des investisseurs potentiels. Est-ce qu’aujourd'hui, il y a ce travail permanent ? Jean Eichenlaub : Je pense qu’aujourd'hui, l’objectif numéro 1, c'est d’investir et de désinvestir. Personnellement, je dois passer plus de 80 % de mon temps à essayer de trouver des deals primaires. Les souscripteurs nous confient de l’argent pour investir, pas pour préparer les prochaines levées de fonds. Aujourd'hui, le marché est quand même dur et les opportunités sont elles-mêmes dures à trouver. Marc Benchimol, Benchmark Capital, et Sami Rahal, Deloitte 41 Conférence Conférence Sami Rahal : C'est vrai, Jean, mais pour revenir à ce que disait Xavier, je vois effectivement des équipes de gestion, ce qui est tout nouveau, être dans la logique d’entretenir un “d’aller voir qui ?”après avoir levé des fonds. Tout cela, bien sûr, sans que ce soit une distraction pour l’essence du métier qui est d’investir et de désinvestir. 42 “ Le High Yield est très fortement utilisé pour allonger la maturité de la dette des sociétés et donc prévenir d’éventuelles situations de restructuration Sami Rahal ” Jean Eichenlaub : Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit. A une époque, on ne voyait les souscripteurs qu’une fois par an au cours d’un cocktail. Mais c’était dans les années 90 ou 2000. Maintenant, nous les rencontrons plusieurs fois par an et nous avons des réunions spécifiques avec chacun d’entre eux pour aborder tel ou tel thème ou expliquer tel ou tel deal. Je dis juste qu’aujourd'hui nos souscripteurs nous payent pour faire des deals. Le commitment coûte très cher. Nous sommes là pour déployer au mieux l’argent qui nous est confié. C’est cela notre métier. Xavier Leloup : Et pour rester sur cette tonalité-là, on parlait de “French bashing”, de compétivité de la France. Certains de tes confrères disent : “L’avantage de notre portefeuille c'est qu’ une grande part des PME françaises et des sociétés qu’on a en portefeuille ont un chiffre d’affaires qui est très internationalisé, donc on est indirectement présents, non seulement en France mais que sais-je, en Chine, en Arabie Saoudite, aux États-Unis et en Allemagne. ” Est-ce aussi un discours à tenir aux souscripteurs ? Jean Eichenlaub : Oui, nous avons le contre-exemple de La Foir’Fouille, déjà citée, qui est 100% français et qui marche très bien parce qu’intervenant dans une niche à très forte croissance. Mais, globalement, vendre aujourd’hui une société francofrançaise qui est dépendante à 100% de l’économie française et du pouvoir d’achat des français, ce n’est pas toujours évident. Nous avons créé un réseau de prestataires, basés à Moscou (pour la CEI), Doha (pour le Moyen-Orient), Sao Paolo (pour l’Amérique Latine) et la semaine prochaine en Chine, dont la mission est principalement d’aider les sociétés de portefeuille à commencer ou à continuer à se développer dans ces zones. Je pense qu’il faut se donner les moyens d’avoir des personnes sur place qui savent par exemple comment faire pour être qualifiés par les acheteurs russes (ce qui est le cas pour notre participation Genoyer). Ce sont des contrats impossibles à gagner sans un contact sur place. Donc, oui, il faut y aller bien sûr. Sami Rahal : Aujourd’hui, l’internationalisation est l’un des critères d’attractivité d’un actif à l’investissement. Les repreneurs potentiels regardent quelle est la proportion du chiffre d’affaires, de l’EBITDA dans les pays émergents, avec les problèmes monétaires que ça peut d’ailleurs poser parfois. Récemment encore dans le large cap, lorsqu’on disait que 40-50 % du chiffre d’affaires était réalisé en France, c'était considéré comme un problème. D’ailleurs, pendant la durée de détention de l’actif, beaucoup de travail sur le buildup est réalisé par les équipes pour donner à l’actif une dimension plus internationale – avec les limites de certaines géographies compliquées. Il n’est pas facile pour une entreprise du mid-market – puisque beaucoup d’actifs sont sur ce marché – de réaliser des opérations de croissance externe dans ces pays, que ce soit le Brésil, la Chine, etc… Xavier Leloup : Un dernier point avant d’aborder les nouvelles contraintes, sur le rapport avec le management. Tu disais Vincent, je te cite, que c'était toujours un bonheur de conseiller les fonds étrangers sur les relations avec le management, le management français qui étaient eux-mêmes bien conseillés. Vincent Ponsonnaille : Oui, on avait anticipé que la crise changerait les rapports de force sur la discussion du management package, mais on constate que ce n’est pas vraiment le cas. Probablement du fait de la rareté des opérations qui fait qu’une belle opportunité va attirer tous les investisseurs. Le marché du management package est extrêmement intermédié en France en termes d’avocats et de conseils financiers notamment. On ne voit pas cela dans les mêmes proportions à l’étranger. J’ai des clients américains qui me disent : “On commence à négocier le package après avoir signé le deal. En France, on commence par négocier le management package avant de boucler un deal. ». Céline Lagniez, Webhelp et Olivier Bénureau, Magazine des Affaires On arrive même parfois à des situations où la liberté du fonds sur ses principales décisions (calendrier et modalités de sortie, remplacement du management notamment) peut être extrêmement limitée. Ces situations peuvent sortir des contraintes d’investissement d’un certain nombre de fonds étrangers. Sami Rahal : Je trouve qu’il n’y a pas eu de changement dans le rapport de force. Le poids du management est resté fort après crise, c'est mon observation. En tout état de cause, ce n'est pas une particularité mais quand même une différence avec les marchés anglo-saxons. Jean Eichenlaub : Il y a quand même un problème: une grande partie des management package sont sous l’eau aujourd'hui. Xavier Leloup : C’est à dire ? Dominique Fouquoire, IFE Mezzanine, et Vincent Dugelay, Banque Transatlantique Jean Eichenlaub : Aujourd'hui, et j'ai retrouvé les chiffres exacts, d’après la 3e édition du rapport mondial de Bain sur le Private Equity, 80% des entreprises en portefeuille sont valorisées entre 0 et 1,5 fois la mise . Une proportion similaire des manpacks doit ne plus être dans la monnaie. 43 Conférence Conférence “ Les sociétés en portefeuille depuis 2005, 2006 et 2007 sont-elles aujourd’hui des cibles potentielles ? ” Agnès Nahum, Access Capital Partners 44 Et c'est vrai qu’il y a un vrai problème concernant les patrons de sociétés qui ont parfois emprunté des montants importants et/ou ont engagé leur patrimoine personnel pour investir. Mais les solutions existent. Sami Rahal : Ce genre de discussions doit de toute façon se résoudre avant d’initier le processus de cession. Vincent Ponsonnaille : La difficulté c’est de trouver le bon moment pour renégocier le management package. Paradoxalement, c’est quand la situation va moins bien et que les perspectives sont plus incertaines que le management package devrait être plus facile à renégocier. Quand tout va mieux et que la sortie est proche, les solutions techniques fondées sur un réinvestissement du management sont chères et difficiles à mettre en place sans risque, notamment d’un point de vue fiscal. Malheureusement, les managers n’ont plus toujours de quoi réinvestir. Xavier Leloup : On va aborder désormais le dernier point sur la directive AIFM et l’ESG. Vincent Ponsonnaille : L’AIFM, pour ceux qui ne connaissent pas encore, c'est une directive de 2011, transposée en France en 2013 et qui va entrer en vigueur en juillet 2014. Elle a vocation à normaliser le marché des fonds d’investissement en Europe. En France, pour le moment, cette directive va renforcer un certain nombre de contraintes notamment en termes de reporting, d’organisation et de gestion des conflits d’intérêts. Elle va probablement avoir un plus gros impact dans certains autres pays européens. En France, les standards réglementaires étant déjà élevés, les contraintes sont déjà connues donc je ne pense pas que ça va impliquer une révolution dans le mode de fonctionnement des fonds, probablement plutôt mettre un certain nombre de fonds au même niveau en termes de contraintes. En résumé, au-delà des obligations, je dirais structurelles, pour les fonds en termes de publicité, de gestion des conflits d’intérêts, de processus de décision interne, la transposition de la directive va notamment avoir un impact sur les obligations d’information à la charge des fonds d’investissement à l’attention de l’AMF, des sociétés en portefeuille et des investisseurs. Les informations à donner aux uns et aux autres varient mais dans l’ensemble vous devrez communiquer sur l’opération. Vous devrez donner des informations sur le financement de l’opération, à l’AMF et à vos investisseurs, sur vos projets en matière de stratégie et leur impact sur l’emploi dans la société cible, à la société cible. Des informations sur le fonds lui-même à la société cible et à l’AMF. Par ailleurs, de nouvelles contraintes vont s’imposer en matière de distributions (ou “asset stripping”) pendant une période de 24 mois à compter de l’acquisition d’une société. Ces contraintes sont déjà dans une certaine mesure intégrées dans le code du commerce. Par exemple, il ne sera pas possible de procéder à des distributions si à la suite de celles-ci le montant des capitaux propres deviendrait inférieur au montant du capital social. Cette limitation existe déjà dans la plupart des cas de distributions et réductions de capital. La transposition de la directive va l’étendre à l’ensemble des hypothèses de distribution. Voilà, en deux minutes l’AIFM à la française. Xavier Leloup : Bravo. Bien résumé. Alors, y-a-t-il des questions à nos interlocuteurs ? Bernard Teze, DS Avocats : J’ai compris que les tournées en Asie, ce n’était pas à la mode. Mais que pensez-vous de l’arrivée des investisseurs industriels chinois et aussi japonais dont on ne parle pas, qui ont beaucoup de cash et qui ont des “ Considérez-vous que les investisseurs industriels asiatiques sont désormais importants ? ” Bernard Tézé, DS Avocats des sociétés qui sont en portefeuille depuis 2005, 2006 et 2007. Ces sociétés payées chères sont-elles des cibles potentielles ? Jean Eichenlaub : Oui, bien sûr. Évidemment, nous regardons les portefeuilles de tous les confrères, et inversement eux regardent les nôtres…, mais il y a toujours la question du prix. Je pense qu’il y a de très bons investissements à faire en secondaire et en tertiaire. La plupart des gérants ont très bien fait leur travail, ont su identifier les belles sociétés dans leurs niches et les leaders de marché. Et cela n’a pas fondamentalement changé quand même. Xavier Leloup : Pourtant, cette année quelques banques ont pris les clés de sociétés en négociation ? Jean Eichenlaub : C’est à la marge. ressources assez importantes au niveau financier ? Est-ce que vous considérez que les investisseurs industriels asiatiques sont importants ? Jean Eichenlaub : Nous sommes en tournée en Asie actuellement, mais il serait prétentieux de dire que nous connaissons bien le marché. Dans le mid-cap, je n’ai pas vu beaucoup d’investisseurs chinois ou japonais. On a annoncé une vague d’acquisitions de Chinois et de Japonais en France, mais personnellement je ne les ai pas vus. Sami Rahal : Nos équipes travaillent de près sur le sujet. Les Japonais sont d’ailleurs des acquéreurs assez agréables et plaisants, en termes de valorisation notamment. Ils peuvent, de plus, être assez efficaces par comparaison à des acquéreurs chinois. C’est très difficile mais on y arrive. Apax a cédé IEE à un acteur Chinois et d’après ce que j’ai entendu, il est surtout difficile de décoder les processus de décision et d’être sûr que l’acquéreur va in fine délivrer. Nous croyons que ce sera une tendance que d’avoir aussi des acquéreurs asiatiques et travaillons activement sur la recherche de ces contreparties pour les sociétés en portefeuille françaises. Vincent Ponsonnaille : On y est arrivé sur l’opération IEE pour Apax. C’est vrai que ce sont des discussions longues où l’aspect culturel est compliqué. Les investisseurs chinois utilisent par exemple la stratégie de la négociation par strate. Vous renégociez un contrat cinq fois avec 5 – 10 personnes que vous découvrez et dont vous n’avez jamais entendu parler avant. C’est très différent d’une négociation avec un investisseur américain par exemple, avec lequel vous pouvez closer un deal rapidement. Agnès Nahum : Vous avez beaucoup parlé toute la matinée de la durée de détention des sociétés et Vincent Ponsonnaille : Oui, cela se fait très rarement. On a quand même une réglementation bancaire qui est très particulière en comparaison de ce qui se passe au Royaume-Uni ou aux États-Unis. Je ne pense pas que le rôle des banques soit de constituer un portefeuille de private equity. 45