ormation de la Lune

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ormation de la Lune
Printemps
1
Il y a 40 ans naissait la NASA
e 29 juillet 1958, le président
L
trois mois en orbite, les soviétiques
Eisenhower signait l'acte officiel
viennent de remporter l'une des
M
instituant la création d'une agence
batailles de la guerre froide : celle de
et marine) étaient engluées dans d'in-
spatiale aux États-Unis. Les sovié-
l'accès à l'espace.
terminables luttes intestines, sur cette
tiques venaient tout juste de remporter les premières batailles de l'espace.
ais à l'époque déjà, les trois
armées américaines (air, terre
question du contrôle des missiles et
ne bataille engagée dès 1945,
Onze ans plus tard, Armstrong et
U
de l'espace. En 1954, il était devenu
en Allemagne, où États-Unis et
nécessaire de mettre de l'ordre dans
Aldrin fouleront le sol de la Lune. La
URSS s'étaient lancés dans une vaste
la maison. Le président Eisenhower
Nasa s'installera alors au premier rang
opération de récupération. L'objectif :
avait décidé de lancer le premier pro-
mondial, une place qu'elle n'a jamais
se saisir de tout ce qui touchait aux
gramme spatial américain. Mais qui
quittée
missiles V1 et V2 - plans, compo-
allait concevoir la fusée destinée à
sants, techniciens et ingénieurs.
placer un satellite scientifique en
'Amérique, en ce 4 octobre 1957,
L
L'enjeu : constituer à terme son prop-
orbite, dans le cadre de l'Année géo-
a l'impression de vivre un mau-
re arsenal de missiles balistiques et,
physique internationale 1957-58 ? Le
vais rêve. Le communiqué de l'agence
surtout, mettre au point le missile
9 septembre 1955, le programme
Tass tombé ce jour a fait l'effet d'une
intercontinental capable d'atteindre le
Vanguard de la marine avait été offi-
bombe : une petite boule d'aluminium
territoire adverse, chacun sachant per-
ciellement retenu, au grand dam de
de 58 cm de diamètre et de 84 kg,
tinemment que ces études sont aussi
l'armée de terre dont le projet orbiter
flanquée de deux paires d'antennes,
des étapes obligées pour réaliser un
était conduit par von Braun - qui
est devenue le premier satellite artifi-
lanceur spatial. De fait, Spoutnik 1
poursuivait d'ailleurs ses travaux à
ciel de la Terre. La nouvelle cause la
n'est pas la première humiliation infli-
l'insu du président des États-Unis.
confusion la plus totale dans le pays -
gée aux américains : deux mois aupa-
Puis le projet Vanguard avait pris du
"c'est un second Pearl Harbour", com-
ravant, en août, les soviétiques ont
retard (il se soldera en fait par un
mentera l'ambassadeur britannique
gagné la course au missile interconti-
fiasco complet…). Il n'avait pas enco-
d'alors. Avec Spoutnik 1, qui restera
nental.
re effectué de vol d'essai lorsque sont
arrivés, presque coup sur coup, les
es États-Unis avaient pourtant un
L
deux camouflets soviétiques d'août et
gros atout en main en la personne
d'octobre. Humiliation suprême,
de Wernher von Braun. Le responsable
l'URSS récidive dès le 3 novembre
du programme des V2 et les meilleurs
avec Spoutnik 2. Ce satellite n'est pas
des ingénieurs de Peenemünde
seulement un monstre d'une demi-
avaient atterri à White Sands, au
tonne : il emporte un être vivant en
Nouveau-Mexique, où depuis février
orbite, le premier voyageur de l'espace
1946 ils procédaient à des expéri-
en somme, la chienne Laïka.
mentations de fusées.
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e 5 mars, une proposition atterrit
'administration ouvre officielle-
P
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L
soviétique devenir le premier homme en
conisant la création d'une agence
1958. Elle est constituée d'organis-
orbite. Il est d'autant plus urgent de
nationale chargée de mener à bien le
mes déjà existants : le Naca et ses 8
réagir qu'Eisenhower est fréquemment
futur grand programme spatial. Ce
000 personnes, dont un tiers d'ingé-
attaqué sur sa politique spatiale par l'op-
n'est d'ailleurs pas la première fois
nieurs et de scientifiques, auxquels
position démocrate, et en particulier par
que l'on avance une telle idée :
s'ajoutent la division de l'Agence pour
le sénateur Lyndon Johnson. Entre le 25
l'Académie nationale des sciences l'a
les projets de recherche avancée du
novembre 1957 et le 23 janvier 1958,
fait quelques semaines auparavant, et
département de la défense, chargée
pas moins de vingt réunions mobilisent
l'american Rocket Society quelques
des satellites et des sondes lunaires,
le Senate Armed Services Committee,
jours après Spoutnik 1. Mais cette
et les 200 employés de la division
dirigé par Johnson, sur le thème des
fois, le processus est enclenché.
Vanguard du Naval Research laborato-
missiles et de l'espace. Elles débouchent
Reste à savoir qui conduira le pro-
ry. Le 3 décembre, c'est au tour des 2
sur dix-sept recommandations, d'où il
gramme. Eisenhower ne veut plus lais-
300 personnes du Jet Propulsion
ressort que l'exploration spatiale doit
ser le contrôle aux militaires. Il veut
Laboratory, cédé par l'armée de terre,
devenir une priorité nationale. Les dis-
encore moins remettre cette affaire de
d'intégrer les rangs. Le 1er juillet
cussions au Sénat se poursuivent sur ce
prestige national entre les mains d'in-
1960, arrivera la division des opéra-
thème dans les premiers mois de 1958.
génieurs allemands. L'agence sera
tions de développement de l'ABMA
Le 31 janvier, l'armée de terre et
civile, d'autant que l'ossature existe
(Army Ballistic Missile Agency), diri-
Wernher von Braun connaissent leur
déjà sous la forme du Naca, le
gée par Wernher von Braun (1).
heure de gloire en mettant sur orbite
National Advisory committee for aero-
Explorer 1, le premier satellite améri-
nautics (Comité consultatif national
cain. L'URSS contre-attaquera le 17
pour l'aéronautique). Toutes ces
L
mars 1958 avec le lancement du pre-
réflexions conduisent Eisenhower à
Dans ce but, elle crée fin 1959 le
mier satellite scientifique, Spoutnik 3,
soumettre le 14 avril au Congrès un
Launch Vehicle programme Office,
un mastodonte de 1 300 kg - contre 14
texte proposant la création de la
d'abord pour gérer la flotte des sept
kg pour Explorer 1 !
national aeronautics and Space admi-
lanceurs dont elle a hérité (Vanguard,
nistration - autrement dit, la Nasa. Ce
Jupiter C, Juno 2, Thor Able, Thor
texte est approuvé le lendemain par
Hustler, Atlas, Atlas Able) mais aussi
les deux chambres. Le 29 juillet, l'ac-
pour mettre au point de nouvelles ver-
te de naissance officiel est signé par
sions de fusées, qui aboutiront en
le président des États-Unis. Thomas
1967 à la fusée Saturne 5 (2). Très
Glennan est nommé administrateur et
vite, elle va disposer de budgets et
Hugh Dryden, auparavant directeur du
d'effectifs importants, toujours sur
Naca, devient son adjoint. Le Sénat
fond de compétition avec les sovié-
donne son accord le 19 août 1958.
tiques.
our les États-Unis, la coupe est
pleine. impossible de laisser un
sur le bureau d'Eisenhower, pré-
En moins de six mois, tout est réglé.
ment ses portes le 1er octobre
e premier objectif de la Nasa est
de réaliser des lanceurs fiables.
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a course contre la montre conti-
L
Aleskeï Leonov, qui deviendra le pre-
gramme (tests et contrôles à toutes
nue. objectif, cette fois : la
mier "piéton" de l'espace en mars
les étapes de la chaîne), qui seront
Lune, par sondes interposées, et le
1965, trois mois avant Edward
reprises un peu partout, notamment
premier homme en orbite. Las ! à
White. Ce n'est qu'avec le programme
en Europe quelques années plus
chaque fois, l'URSS va conserver l'a-
Gemini, en 1965-1966, que les amé-
tard. à l'époque, grâce à son nouvel
vantage. Ainsi, la Nasa aura beau
ricains commenceront à faire jeu égal
administrateur, James Webb, la
envoyer quatre types de sondes vers
avec les soviétiques. D'autant que
Nasa est un modèle d'organisation
la Lune (3), toutes les grandes pre-
Gemini va servir à acquérir les tech-
et de direction. L'argent n'y manque
mières lunaires - à savoir l'impact, la
niques de changement d'orbite, de
pas : entre 1959 et 1968, elle
mise en orbite et l'alunissage en
rendez-vous et d'amarrage des vais-
dépense 32 milliards de dollars,
douceur - seront à l'actif des sovié-
seaux en vue d'un projet autrement
dont 26 pour la seule activité de
tiques. Mais ceci n'est rien comparé
plus ambitieux, assigné à la Nasa le
recherche et développement. à lui
au désastre du 12 avril 1961. Ce
25 mai 1961 par John F. Kennedy,
seul, entre 1961 et 1972, le pro-
jour-là, à bord de Vostok 1, Youri
en réponse à l'affront de Gagarine :
gramme Apollo coûtera 25 milliards
Gagarine boucle une orbite autour de
envoyer un homme sur la Lune et le
de dollars de l'époque (4).
la Terre et entre dans l'histoire.
ramener sur Terre.
n 1967, la Nasa fait travailler
l faudra attendre le 20 février
e projet Apollo va mobiliser la
E
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Américain, John Glenn, effectuer un
elle, toute la nation américaine. Il
externe chez Boeing, Rockwell,
vol en orbite à bord de mercury
nécessitera le développement de nou-
McDonnell Douglas ou Grumann. À
Friendship 7. Les soviétiques devan-
velles technologies de guidage et de
cette époque, elle compte douze
ceront encore leurs adversaires avec
propulsion, ainsi que des méthodes
1962 pour voir le premier
Nasa jusqu'en 1972 et, avec
de gestion de pro-
au total 411 000 personnes,
dont 36 000 en interne, le reste en
installations, dont trois sites
majeurs : le Goddard Space Flight
Center, le Kennedy Space Center et
le Manned Spacecraft Center.
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nfin, le 16 juillet 1969, la mission
E
et toujours seul survol en rase-mottes, à
Apollo 11 quitte cap Canaveral et le
690 km, de Mercure en mars 1974
P
21, Neil Armstrong est le premier
(Mariner 10). La vague se poursuit avec
ressenti en janvier 1967 après la mort
homme à poser le pied sur la Lune. Le
les Viking 1 et 2 qui se posent sur Mars
des trois astronautes d'Apollo 1. La Nasa
retentissement est mondial et les États-
en 1976, révélant les paysages
est violemment attaquée. On met en
Unis effacent d'un coup les affronts
rocailleux d'une planète-désert. Puis
cause son aptitude à gérer de grands pro-
soviétiques passés. On connaît la suite :
viennent les Voyager 1 et 2, lancées
grammes. On parle de réorganisation
de 1969 à 1972, douze américains fou-
dans une véritable revue de détail des
interne, on demande des sanctions - au
leront le sol lunaire mais, démonstration
planètes géantes du système solaire.
bout du compte, cela se soldera par
faite, la Nasa mettra un coup d'arrêt
anticipé à ce qui reste la plus grande
our les états-Unis, c'est un traumatisme, plus grand encore que celui
quelques ajustements mineurs de son
e 28 janvier 1986, Challenger
entreprise spatiale jamais réalisée. Il
L
organigramme. Les mesures techniques,
explose en vol : l'Amérique est sous
elles, seront prises, comme après Apollo
faut dire que, parallèlement, elle a com-
le choc.
1, et la navette renouera avec le succès.
mencé à révéler son savoir-faire en
matière d'exploration du système solaire,
À ceci près qu'elle se verra définitiveette époque glorieuse est aussi
celle où la Nasa concentre ses
commerciaux et qu'en lieu et place de la
où elle va à son tour aligner les premiè-
C
ment retirer le lancement des satellites
res - son succès ne se démentira pas
efforts sur la réalisation d'un lanceur
quarantaine de missions prévues chaque
puisqu'on lui doit la plupart des grandes
destiné à réduire les coûts de mise sur
année, les Discovery et autres Columbia
découvertes planétaires… C'est d'abord
orbite : la navette spatiale, dont le pre-
n'en effectueront plus que cinq ou six par
une affaire de famille, celle des sondes
mier vol a lieu en 1981. Une incontes-
an.
Mariner qui, lancées à l'assaut de
table réussite technologique mais, de
Mercure, de Vénus ou de Mars, réalise-
l'avis de beaucoup aujourd'hui, une
ront notamment les premières images
erreur stratégique. La navette était cen-
E
rapprochées de la planète rouge, en
sée tout faire, mais la réalité va être
que le télescope spatial Hubble, tant
juillet 1965 (Mariner 4), ou le premier
bien différente. Ses coûts, mal maîtri-
attendu par les scientifiques, souffre
sés, s'envolent littéralement - aujourd'-
d'une "myopie" consécutive à un défaut
hui encore, avec quelque 500 millions
de fabrication de son miroir. Comme
de dollars à chaque lancement, la
après Challenger, la Nasa laisse passer
navette engloutit à elle seule un quart
l'orage. Elle retourne même la situation à
du budget annuel de la Nasa. Pis : elle
son avantage en organisant une spectacu-
va être à l'origine de lde la plus grave
laire réparation en orbite, suivie dans le
crise qu'ait eu à subir l'agence. Le 28
monde entier. Depuis, Hubble est devenu
janvier 1986, la navette Challenger
un instrument astronomique d'exception,
explose en vol, 73 secondes après son
et incontestablement la plus belle vitrine
décollage, ne laissant aucune chance à
de la Nasa.
ses sept passagers.
n 1990, nouvelle crise et nouvelle
vague de critiques : on s'aperçoit
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ais les temps changent : depuis
ais qu'on ne s'y trompe pas : la
M
M
(1) Basée à Huntsville, la division pren-
Nasa et, partant, ses programmes sont
station internationale, elle a pris la tête
dra le nom de MSFC (Marshall Space
l'objet d'une attention particulière de la
d'une nouvelle et gigantesque entreprise
Flight Center) et fera parler d'elle
part des responsables politiques améri-
- à la mesure de ce que fut le program-
quelques années plus tard en réalisant le
cains. L'heure est aux économies, et la
me Apollo - dans laquelle elle a su
lanceur Saturne 5 du programme Apollo.
fin de la guerre froide ne justifie plus de
impliquer toutes les agences spatiales
faire de l'espace un enjeu Est-Ouest.
qui "comptent" : européenne, canadien-
quelques années, le budget de la
Nasa reste la Nasa. Avec la future
(2) De 1959 à 1967, la capacité d'em-
Depuis 1995, le budget de l'agence s'est ne, japonaise et russe. Le projet est cri-
port en orbite basse des lanceurs passera
stabilisé à 13 milliards de dollars, soit
tiqué. Ses dérives de calendrier et son
de 1 à 129 tonnes, et la fiabilité de 57 à
environ la moitié (en dollars équivalents)
coût - plus de 80 milliards de dollars au
93 %. Saturne 5 aura une masse de 2
de ce qu'il était à la grande époque
total - inquiètent. Mais à travers cette
900 tonnes au décollage, c'est-à-dire
d'Apollo, en 1964-1965. Quant aux pro-
station, l'agence américaine affirme un
cent fois celle de la Redstone Mercury, à
grammes, fini le temps des sondes poids
leadership mondial que nul n'est en
bord de laquelle Alan Shepard effectua le
lourds. On ne refera sans doute plus de
mesure de lui contester. Les efforts
premier vol balistique américain en
sitôt ni Voyager, ni Magellan, qui révéla
qu'elle fournit pour concevoir de nou-
1961.
Vénus, ni Galileo, actuellement en orbite
veaux lanceurs ou de nouvelles missions
autour de Jupiter, ni Cassini, qui file
scientifiques, et soutenir la recherche
(3) Les Pioneer en 1958, Ranger entre
vers Saturne. Voici venue l'ère des mini-
dans les technologies de demain lui per-
1961 et 1965, Lunar Orbiter en 1966-
sondes, dont le principe est contenu
mettent d'imposer ses règles du jeu au
67 et Surveyor en 1966-68.
dans une formule désormais célèbre,
reste du monde. Le talent qu'elle
lancée par l'actuel patron de la Nasa,
déploie pour entretenir la flamme de
(4) Une somme qui équivaut à 120
Daniel Goldin : "Faster, better, cheaper"
l'exploration n'est pas non plus étranger
milliards de dollars de 1995, ou encore
(Plus vite, mieux, moins cher).
à cette supériorité sur l'échiquier : le
650 milliards de francs 1995.
spectacle qu'elle a orchestré l'an dernier
avec la mission Mars Pathfinder et son
robot Sojourner prouve qu'elle demeure
une formidable machine à rêver.