Part.1 - LZO Records

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Part.1 - LZO Records
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Interview Taipan
« Je tourne à une moyenne de 500 punchlines par album. »
C’est bien cinq cent punchlines par album et sous contrôle
d’huissier. Quand tu écris en mesure, ta phrase doit faire mal très
vite sur la rythmique, c’est ça une punchline. C’est une forme
d’écriture qui se prête surtout à l’egotrip, un exercice bien spécifique au hip-hop qui permet de flatter son ego genre « je suis
génial bande de cons, vous ne l’avez pas compris ». C’est un peu
ma marque de fabrique.
« Je monte un club de fines gueules, j’suis pas chanteur de
single, j’échange pas mon cœur contre un cœur de cible, v’là
mon jingle. »
J’ai écrit cette rime au moment où j’ai commencé à démarcher
les labels, quand je pensais que c’était encore utile. Les maisons
de disques m’ont sorti des feuilles statistiques pour me démontrer que l’auditeur de rap avait en moyenne de 15 à 25 ans et
était faiblement diplômé. Bref, en gros, on m’expliquait qu’on
n’allait pas comprendre mes lyrics et qu’au niveau du vocabulaire, ça allait coincer. Quand tu arrives à quadriller la musique
à ce point, cela devient inquiétant. C’est un degré de compromission que je n’accepte pas. Je n’ai pas envie de prendre les gens
pour des cons même s’ils le méritent bien parfois.
« T’as pas idée que pour défourailler fallait se mettre une
plume dans le cul, les labels seraient des poulaillers. »
Les artistes qui veulent passer en grosse rotation sont contraints
de suivre une recette très précise : des mots pas très compliqués,
une mélodie entraînante, un refrain après trente secondes. Demain, si on leur disait de se mettre une plume dans le cul pour
passer à la radio, ils seraient prêts à le faire. J’ai signé chez LZO
car, sans être une structure herculéenne, les mecs se sont montrés super motivés. De plus Sept, Soklak et tous les autres gars
du label avaient déjà sorti leur skeud. Au final, je savais que mon
album en tant qu’objet allait sortir et être une des priorités de
LZO. Wagram m’avait contacté mais quand ils ont écouté l’album ils l’ont trouvé un peu trop spé.
« J’arrive avec une heure de retard et dix ans d’avance. »
Cette phrase s’applique surtout aux gens qui sont restés bloqués
dans l’âge d’or du hip-hop des années 90 et qui ne veulent plus
en décoincer. Avec mon cousin CHI, mon beatmaker, nous estimons qu’aujourd’hui le rap n’a jamais été techniquement autant
réussi et surtout le nôtre (sourire). Il faut se prosterner devant
l’évidence, CHI a 14 ans de machines dans les pattes. L’album
débarque en retard car nous travaillons avec des moyens indépendants mais, même avec ce retard, nous arrivons encore en
avance.
« Je n’ai connu
que des banquiers
très frileux avec moi. »
La quantité de scoops et de ragots récoltés dans une interview repose sur le nombre de Jack Daniels que vous
réussirez à faire ingurgiter à votre interviewé. Taipan,
en plein exercice de promotion de son premier album
Je Vous Aime, est reparti en titubant de notre entrevue,
un sourire béat scotché aux lèvres et l’œil à demi clos.
numéro Désormais, nous en savons beaucoup sur le parcours de
la nouvelle révélation hip-hop de cette décennie. C’est
avec noncha par la rédaction de Luxuriant. Le prodige
du Pays-Haut déblatérera son flow le 10 juillet sur les
planches de la Kulturfabrik lors du festival Station Urbaine. Histoire de patienter, entretien Punchliner.
« Les heures ne passent pas, mais les années passent trop
vite. »
Quand tu habites dans un coin mort comme le Pays-Haut tu
vas passer des soirées complètes à regarder le temps s’écouler
dans une entrée du bloc Aragon ou au stade de Thill, en laissant
défiler tes projets. Je n’ai pas attendu de sortir mon album qu’à
27 piges par choix. Je me suis trop branlé en jouant au basket. A
douze ans je faisais quasiment ma taille actuelle. Je me suis mis
à rêver de NBA en pensant finir à 2m10 jusqu’au jour où, à 17
ans, je me suis pété le genou. Heureusement le rap est arrivé en
force.
« La vie est belle… quand t’as de l’imagination. »
Je n’avais pas conscience d’habiter dans un endroit pourri avant
d’avoir un peu bougé. On a dû s’imaginer un peu de splendeur
par chez nous.
« Les mecs font des excès de vitesse pour aller nulle part. »
Je n’excuse pas les bonhommes qui font du tuning mais dans
notre région, ils ont quand même des circonstances atténuantes.
Ils roulent comme des oufs pour la beauté du sport mais n’ont
nulle part où aller.
« J’ai pas de bling-bling, je brille déjà. Ma panoplie se limite
à mon bic et basta. »
Comme tu peux le constater, je ne porte pas de bijoux en or, je
ne suis pas une coquette. Au passage, les gens qui ont misé sur
l’or ont bien raison car tous les compteurs indiquent que ça va
grimper. Moi j’ai misé sur le RSA (Revenu de Solidarité Active)
à vie, c’est 400 euros par mois qui tombent, un petit billet, mais
pas de quoi investir dans l’or.
« Quand je me réveille je commence à rêver… »
Je fume pas mal d’herbe. Une substance dans la ganja t’empêche
de te souvenir de tes rêves. Comme je suis quelqu’un qui rêve
de vivre de la musique, je suis bien obligé de rêver pendant la
journée.
« Si tu le télécharges je vais tomber dans l’alcool, si tu l’achètes, dans les stups, je préfère. »
Le message est clair, achetez mon disque, cela me permettra de
me procurer des drogues plus fortes et par extension, de pondre
des albums encore meilleurs. Je n’ai jamais testé la coke car j’ai
peur d’aimer et je n’ai pas les moyens d’aimer. Sinon le sirop
contre la toux, à la Lil Wayne, ce n’est pas pour moi, ça endort.
Comme je suis quelqu’un de très relax, je développe ça naturellement. Blagues à part, pour écrire je reste classique avec du bon
pinard et de la beu.
« J’arrive en sifflant comme la dernière balle à Kurt Cobain. »
J’ai un style assez laidback comme on dit dans le jargon, alors
dans un style très décontracté, je peux te tuer.
« Enquiller des bulles sur mes chèques, et pas de virgules, et
dire à mon banquier, ok tu peux me dire tu. »
Jusqu’à ce jour, je n’ai connu que des banquiers très frileux avec
moi. J’espère qu’avec les royalties je pourrais devenir intime avec
eux (sourire). Le CD est distribué uniquement via le site du label
sur www.lzorecords.com alors ça va être chaud pour en vendre
des millions. J’ai le cul entre deux chaises. D’un côté, je serai
bien content de faire un maximum de ventes et de l’autre, je
sais que tout ce qui marche commercialement cache forcément
un côté suspect. Nous sommes tous des putes à un différent tarif. Aujourd’hui, tu serais venu avec un gros contrat pour que je
chante « ukulélé mes couilles sur la commode » qui permettrait de
mettre ma mère à l’abri du besoin, je l’aurai fait immédiatement.
« J’écris mieux que toi quand je pisse dans la neige. »
Le niveau des rappeurs est très médiocre, les mecs ne me stimulent pas et sont tous interchangeables.
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