Les polyalgies

Transcription

Les polyalgies
Mise au point
Les polyalgies
Sophie Moulias,
Hôpital Européen Georges Pompidou, Paris
La douleur est un motif fréquent de consultation en gériatrie, pas toujours détectée et prise en compte
par le médecin traitant et les soignants. Souvent le patient âgé présente une cohorte de plaintes
douloureuses, somatiques et parfois psychiques. Ces polyalgies nécessitent une prise en charge adaptée,
de façon à soulager le patient et surtout à ne pas l’isoler tant au niveau médical que social. Elle
comprend une évaluation du ressenti de la douleur par le patient, une compréhension du mécanisme
algique et l’instauration d’un traitement spécifique.
EPIDEMIOLOGIE
La douleur est un ensemble de sensations et d’émotions désagréables, associées à des lésions tissulaires,
présentes ou potentielles. La douleur est un motif fréquent de consultation en gériatrie. Elle représente
un signe essentiel dans le diagnostic d’une maladie aiguë et dans la prise en charge d’une maladie
chronique
Elle concerne 73% des patients âgés de plus de 75 ans à domicile et vivant en institution. Cette
proportion passe à plus de 79% pour les plus de 85 ans. Ces douleurs ne sont pas toujours détectées et
prises en compte par le médecin traitant et les soignants. Seulement 6% des personnes âgées de plus de
65 ans ne se plaignent de rien.
PHYSIOPATHOLOGIE
Il n’existe pas de modification de l’intensité ou du désagrément des douleurs aiguës superficielles avec
l’âge. En revanche, les douleurs chroniques ont tendance à augmenter, s’associant à la majoration de la
morbidité et à la baisse de qualité de la vie. Comme chez le sujet jeune, les douleurs peuvent être de
causes multiples. Cependant, elles ont une forte tendance à s’associer entre elles et à se potentialiser.
- Les douleurs nociceptives sont de deux types : somatogènes et viscérales. Les douleurs somatogènes
sont claires, parfois pulsatiles, tranchantes et le plus souvent bien localisées. Les douleurs
rhumatologiques et celles touchant la peau et les muscles en sont un bon exemple. Les douleurs
viscérales sont plutôt sourdes et diffuses, mal localisées, parfois à type de coliques. Elles sont le plus
souvent liées à une pathologie de l’appareil digestif ou de l’appareil uro-génital.
- Les douleurs neurogènes, ou douleurs de désafférentation, sont très fréquentes chez les sujets âgés.
Elles sont ressenties spontanément, en absence de toute excitation nociceptive, ou lors d’un stimulus
normalement indolore évoquant une allodynie. Cette dernière est corrélée à la diminution du seuil de
réponse des fibres sensitives. Les décharges fulgurantes traduisent un contact pathologique entre deux
neurones. Les douleurs spontanées résultent de la naissance d’impulsions dans les neurones centraux
après perte d’afférences périphériques et en cas de contrôle central insuffisant.
Les douleurs neuropathiques peuvent être post-infectieuses, comme les névralgies post-zostériennes, très
fréquentes chez les sujets âgés ayant présenté un zona même longtemps auparavant (70 % des cas après
70 ans). Elles peuvent aussi être post-traumatiques, après lésion d’un trajet nerveux, mais aussi
dégénératives et métaboliques (arthrose, compression tumorale, canal lombaire/cervical étroit…). Les
©2003 Successful Aging Database
douleurs accompagnant les neuropathies périphériques sont fréquentes, mais souvent confondues avec
des douleurs d’insuffisance veineuse. Parfois un accident vasculaire cérébral ne se manifeste que par un
syndrome thalamique, comprenant un déficit sensitif et des douleurs intéressant l’hémicorps
controlatéral. Les algodystrophies et les névralgies du trijumeau sont aussi fréquentes chez les patients
âgés.
- Les douleurs psychogènes reflètent la souffrance psychique. Leurs origines semblent complexes et
polymorphes et leur traitement a la réputation d’être difficile, notamment du fait de l’utilisation de
psychotropes. La dépression et l’hypochondrie sont les causes les plus fréquentes de douleurs
psychogènes du sujet âgé.
- Les douleurs mixtes. Compte tenu de la polypathologie fréquente dans la population âgée, des
douleurs de mécanismes différents sont souvent associées. Il est préférable d’évaluer systématiquement
les aspects somatiques avant d’aborder l’aspect psychologique.
- Lorsque le sujet âgé n’exprime pas tout. Il arrive fréquemment que la personne âgée taise ses
douleurs, le plus souvent partiellement. Il existe une barrière sociologique, qui rend cette douleur
difficilement avouable, considérée comme une composante anormale de la maladie par les soignants et
par le patient lui-même. Il peut exister une “ barrière somatique ” qui est la plupart du temps due à la
présence de troubles cognitifs, pas toujours connus lors de l’initiation de la prise en charge. Un
syndrome dépressif peut aussi faire sous-évaluer une véritable douleur somatique au profit de la douleur
psychique, d’où l’intérêt d’une évaluation systématique de la douleur par les soignants pour tout sujet
âgé entrant ou consultant, quel que soit le motif de sa venue.
- Une diminution de la douleur avec l’avancée en âge. Certaines douleurs aiguës tendent à diminuer
ou passent souvent inaperçues avec l’âge comme les infarctus myocardiques qui sont souvent indolores.
Les douleurs angineuses disparaissent souvent au profit d’autres symptômes (confusion, dyspnée,
malaises). Parfois, il peut s’agir d’une diminution de la cause de la douleur. Ainsi, il arrive qu’une
douleur de coxarthrose soit moins ressentie si le patient perd de l’autonomie et donc du temps
douloureux en appui sur cette jambe. Enfin certains patients ne se plaignent pas car ils ont peur du
diagnostic et/ou des investigations pour y aboutir.
CONSEQUENCES DE LA DOULEUR
Elles doivent toujours être évaluées chez le patient âgé car elles ont de nombreuses répercussions sur
l’autonomie du patient et sur la plainte douloureuse elle même.
- La perte d’autonomie. Le plus souvent, le patient bouge moins pour moins souffrir. Cette perte
d’autonomie possède ses propres effets secondaires comme une accélération de la perte musculaire, une
dénutrition, des rétractions tendineuses et la survenue d’escarres, mais aussi l’ostéoporose, une
incontinence ou une perte des contacts sociaux. Les douleurs, parfois nocturnes, entraînent des troubles
du sommeil. Les douleurs, notamment lorsqu’elles deviennent chroniques, provoquent une dépression
réactionnelle, qu’il faudra alors traiter en même temps que la douleur somatique.
- L’épuisement de l’entourage n’est pas l’apanage des patients déments. Les sujets aux plaintes
multiples, comprenant l’imbrication de plaintes somatiques et psychiques, sont souvent très isolés, voire
rejetés par leur entourage.
- Enfin les douleurs peuvent faire décompenser ou révéler d’autres pathologies somatiques,
souvent multiples chez le sujet âgé, comme l’hypertension artérielle ou les pathologies gastriques
(ulcères, gastrites).
TRAITEMENT
- Avant d’initier un traitement, il faut comprendre le mécanisme de cette douleur et ceci ne peut se
faire sans une évaluation complète. L’anamnèse doit être réalisée avec beaucoup de soin et de patience
avec le patient et son entourage. Existe-t-il une ou des douleurs ? Quelles sont leurs intensités, leurs
caractéristiques, leurs causes éventuelles ? Un examen clinique complet permet d’orienter le diagnostic
étiologique. L’évaluation de la douleur se fait grâce à différentes échelles. Si le patient n’a pas de
problème de communication, l’autoévaluation par une échelle visuelle ou numérique peut être utilisée,
sinon les échelles d’hétéroévaluation des soignants, Doloplus et ECPA (Echelle Comportementale
©2003 Successful Aging Database
Personne Agée) sont à mettre en place. A chaque fois que cela est possible, il faut traiter la cause de
cette douleur.
- Le traitement médicamenteux des douleurs nociceptives. Les modifications physiologiques liées au
vieillissement affectent la cinétique des médicaments. Les posologies des médicaments à métabolisme
rénal doivent être adaptées à la clairance de la créatinine du patient, de façon à prévenir un surdosage.
Les effets secondaires des traitements doivent être connus et si possible prévenus (confusion,
somnolence, déshydratation, troubles digestifs, chute, perte d’autonomie). Les règles générales de
traitement sont les mêmes que chez l’adulte. La stratégie thérapeutique en trois paliers de l’Organisation
Mondiale de la Santé est communément utilisée en gériatrie. Elle consiste en un renforcement progressif
du traitement antalgique en passant d’un palier à l’autre dans le sens croissant. Le paracétamol reste
l’antalgique de palier I de choix chez la personne âgée : antipyrétique, analgésique, peu néphrotoxique
et peu de toxicité gastrique. Les antalgiques de palier II sont utilisés avec prudence en raison du risque
confusiogène important, y compris pour les antalgiques de nouvelle génération (tramadol, néfopam,
buprénorphine). Pour le palier III, la morphine est préférée aux agoniste-antagonistes et aux agonistes
partiels, en raison de sa meilleure tolérance. La sensibilité du sujet âgé aux morphiniques est 3 à 4 fois
supérieure à celle du sujet jeune. Le début de traitement nécessite une période de titration, avant de
passer aux formes retard sur 12 heures. Les effets secondaires des morphiniques sont très fréquents chez
les patients âgés et doivent être systématiquement prévenus, en particulier la constipation, les nausées et
vomissements et la rétention d’urine.
- Le traitement médicamenteux des douleurs neurogènes. Les anticomitiaux sont préférés aux
antidépresseurs tricycliques, à l’exception des benzodiazépines. Ces derniers ont de nombreux effets
secondaires chez le sujet âgé comme une dépendance importante ou des effets adverses à type
d’agressivité et d’agitation. Les antidépresseurs tricycliques, souvent utilisés chez l’adulte pour les
douleurs chroniques neuropathiques (dysesthésies à type de brûlure, fourmillements), sont évités en
raison de leurs effets secondaires cardiaques, souvent gênants chez les sujets âgés polypathologiques.
Tous les antidépresseurs tricycliques ont une toxicité cardiaque : allongement de PR et QRS, tachyarythmie. Plusieurs anticomitiaux ont ainsi fait leur preuve dans les douleurs neurogènes à type de
brûlures, d’élancement et lors de douleurs discontinues. La carbamazépine et le clonazépam sont
efficaces dans la névralgie faciale, mais souvent mal tolérés par le patient âgé (agitation, confusion pour
le premier, sédation pour le second). La gabapentine est bien tolérée et indiquée en particulier dans les
douleurs post-zostériennes, les décharges neuronales et l’allodynie, tout en étant moins sédative que le
clonazépam.
- Le traitement des douleurs psychogènes. Une consultation psychiatrique peut être utile pour
confirmer ou établir le diagnostic. Sur le plan thérapeutique, les traitements médicamenteux peuvent être
associés aux approches comportementales.
- L’intérêt des co-analgésiques. Il s’agit des médicaments ayant une action analgésique dans certaines
situations uniquement comme l’inflammation, l’œdème et la spasticité. Les corticoïdes n’ont pas
d’activité antalgique intrinsèque mais soulagent les douleurs à composante inflammatoire. Cet effet est
particulièrement net dans certains rhumatismes inflammatoires chroniques tels que la polyarthrite
rhumatoïde et la pseudo-polyarthrite rhizomélique. Ils ont aussi une action anti-oedémateuse,
intéressante dans les douleurs cancérologiques par compression et infiltration d’organe. Leurs effets
secondaires, particulièrement marqués chez le malade âgé, doivent être prévenus et recherchés
systématiquement : ostéoporose, toxicité gastrique, décompensation diabétique, rétention hydrosodée,
dysphorie, troubles trophiques cutanés et musculaires. Les décontracturants peuvent avoir un intérêt
dans les hypertonies pyramidales. La calcitonine peut être utile lors d’algodystrophies. Son action antiostéoclastique explique sa prescription dans la maladie de Paget et le syndrome fracturaire vertébral.
CONCLUSION
Chez le sujet âgé, différentes causes de douleur sont souvent associées et produisent un tableau de
polyalgies. Leur prise en charge nécessite une bonne évaluation des différentes douleurs et du ressenti du
patient. Le traitement comprend une prise en charge spécifique de la douleur avec, si possible, un
traitement de la ou des causes elles-mêmes.
©2003 Successful Aging Database
REFERENCES
1.
2.
3.
4.
5.
Brattberg G., Parker A., Thorslund M. The prevalence of pain among the oldest old in Sweden.
Pain, 1999 ; 67 : 29-34
Groux-Frehner D., Rapin C.H. Les douleurs chroniques dans un home de personnes âgées.
InfoKara, 1996 ; 41 : 16-25
ANAES. L’évaluation et la prise en charge thérapeutique de la douleur chez les personnes âgées
ayant des troubles de la communication verbale. Recommandations de l’ANAES. Octobre 2000,
www.anaes.fr
Gonthier R. La morphine en gériatrie. Revue de Geriatrie, 1997; 2 : 543-549
Poulain P. Existe-t-il une spécificité de l’antalgie chez le grand vieillard ? Revue Geriatrie, 1998;
23 : 251-252
©2003 Successful Aging Database
Mf 25-2003