Cannabis… Êtes-vous prêts?

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Cannabis… Êtes-vous prêts?
https://voir.ca/societe/2016/03/17/cannabis-etes-vous-prets/
Société
Cannabis… Êtes-vous prêts?
Lancée lors de la dernière campagne électorale fédérale, la comète de la légalisation de la
marijuana devrait frapper le Canada bientôt si la tendance se maintient. À quoi faut-il
s’attendre? Faut-il se construire un abri pour survivre au cataclysme ou courir s’acheter 20
boîtes de papier à rouler avant que la population ne prenne d’assaut les dépanner? Nous
l’ignorons, c’est pourquoi nous avons demandé l’avis de six experts. Êtes-vous prêts?
Catherine Perreault-Lessard et Pierre-Yves McSween 17 mars 2016
Nos experts
Line Beauchesne
Criminologue, professeure au Département de criminologie de l’Université d’Ottawa, auteure
de nombreux livres et articles sur la question des drogues.
Jodie Emery
Militante, copropriétaire du magazine Cannabis Culture, de Pot TV et de la boutique
Cannabis Culture Headquarters à Vancouver. Épouse de Marc Emery, qui a passé cinq ans en
prison aux États-Unis pour avoir vendu des graines de cannabis.
Jean-Sébastien Fallu
Professeur à l’École de psychoéducation de l’Université de Montréal, directeur de la revue
internationale Drogues, santé et société.
Dana Larsen
Auteur de Hairy Pothead and the Marijuana Stone, politicien et militant. Fondateur du
site endprohibition.ca, directeur de cannabisdispensary.ca et de la campagne Sensible BC
pour décriminaliser le cannabis.
Hugô St-Onge
Chef du Bloc Pot de 2002 à 2012, militant depuis une vingtaine d’années, travaille
aujourd’hui comme comptable.
Sébastien St-Louis
Président et fondateur de Hydropothicaire, un des producteurs de marijuana médicale
autorisés au Canada.
Première question, et probablement la plus importante, qui va avoir le droit de faire
pousser de la marijuana au Canada?
Sébastien St-Louis: Les producteurs de marijuana médicale, comme moi, vont certainement
avoir le droit d’en produire. On va tout simplement augmenter notre production pour fournir
le marché récréatif. Pour l’instant, il y a 23 compagnies comme la mienne qui sont autorisées
à le faire et je pense qu’il va y en avoir d’autres… mais pas beaucoup, car le processus pour
obtenir une licence de production est très complexe.
Line Beauchesne: Selon moi, les producteurs de chanvre de l’industrie agroalimentaire
risquent aussi d’avoir le droit. On n’en parle peu, mais ce sont de très gros joueurs.
Actuellement, en Saskatchewan, des fermiers font pousser des acres et acres de cannabis sans
THC et ils sont prêts à produire pour le marché récréatif. Ils ont l’équipement nécessaire, ils
ont des laboratoires et ils ont des réseaux de distribution. Si la marijuana est légale demain
matin, ils vont pouvoir offrir une variété de produits dans un temps record.
Mais, est-ce que le citoyen moyen va aussi pouvoir faire pousser quelques plants dans sa
cour pour sa consommation personnelle?
Sébastien St-Louis: Au début, non, mais je m’attends à ce qu’il y ait une dérégulation dans le
futur. Chaque individu va pouvoir produire sa propre marijuana, au même titre qu’il peut
fabriquer sa propre bière ou son propre fromage. La seule différence, c’est qu’il n’aura pas le
droit d’en distribuer.
Dana Larsen: Moi, au contraire, je pense que ça va être légal dès la première phase de la
légalisation. Chaque individu aura le droit de faire pousser six plants pour sa consommation
personnelle comme au Colorado, où la marijuana est légale. Si cette personne souhaite en
produire plus, elle aura besoin d’un permis spécial. Et, si elle veut en vendre, elle devra
respecter certains règlements de santé publique pour s’assurer que son produit n’est pas
dangereux.
C’est bien beau de faire pousser du pot, mais où va-t-on pouvoir en acheter?
Hugô St-Onge: Selon moi, comme le gouvernement souhaite légaliser tout en protégeant les
jeunes, il va tout simplement ouvrir le modèle de la marijuana médicale à tous les Canadiens
de 19 ans et plus. Ce qui veut dire qu’on va commander du pot par Internet et qu’il va nous
être expédié par la poste. La seule différence avec le modèle médical, c’est que les clients
n’auront pas besoin d’une prescription pour en commander.
Sébastien St-Louis: Du point de vue du consommateur, c’est certain que ce serait aussi
intéressant de pouvoir toucher et voir le produit. C’est pourquoi je suis persuadé que le
gouvernement va donner des licences à certaines organisations pour en vendre. On risque, par
exemple, de voir ouvrir des dispensaires légaux qui achètent chez des producteurs autorisés.
On peut aussi s’imaginer que certains producteurs autorisés vont ouvrir leurs propres
magasins. Personnellement, je me vois très bien ouvrir une boutique Hydropoticaire.
Dana Larsen: Peu importe le modèle, je suis convaincu que les lois vont être très strictes au
début. Au fil du temps, elles vont s’assouplir et la marijuana va être vendue un peu comme la
bière: on va avoir plusieurs options, comme dans les épiceries ou les bars.
Jodie Emery: Moi, je rêve vraiment de voir ouvrir des coffee shops comme à Amsterdam! Je
pense que ce serait bien aussi que le gouvernement ait ses propres boutiques.
OK, maintenant, la question qui tue et donne des boutons au ministre des Finances
Carlos Leitão: est-ce qu’on va pouvoir acheter du pot à la SAQ?
Jean-Sébastien Fallu: Oui, je le crois.
Jodie Emery: Moi, ça me fait peur que le modèle de la marijuana soit calqué sur celui de
l’alcool. Celui-ci est très restrictif. D’autant plus que, dans les régies, les gens ne connaissent
pas la marijuana. Et qu’il y a beaucoup de gens qui en consomment parce qu’ils n’ont
justement pas envie de boire. Les alcooliques, par exemple, ne devraient pas avoir besoin
d’aller dans une SAQ pour se procurer de la marijuana.
Line Beauchesne: Peu importe si on en vend à l’épicerie ou dans les régies des alcools, je
pense que le gouvernement doit faire de la prévention à l’intérieur de ces commerces et
s’assurer qu’on n’en vend pas aux mineurs. Pour moi, l’encadrement est la clé.
Le fait de pouvoir en acheter légalement va-t-il vraiment mettre fin au marché noir?
Line Beauchesne: La fin du marché noir dépend de la taxation. Si les gouvernements sont
assoiffés d’argent et qu’ils imposent une taxe élevée, le marché noir va demeurer. Pourquoi?
Parce que, pour les clients, ça va être plus intéressant d’acheter de la marijuana au crime
organisé, car elle va être moins chère. C’est exactement pour cette raison que la taxation a fait
l’objet de beaucoup de discussions au Colorado et à Washington, où la marijuana est légale.
Leur gouvernement a dû faire beaucoup de calculs pour casser le marché noir…
Hugô St-Onge: Le seul moyen de tuer le marché noir, c’est de tuer la valeur du cannabis. Il
faut que ça ne vaille rien! Et ça tombe bien, puisque ça ne vaut rien. C’est de l’herbe!
Est-ce vrai que le pot légal va être de meilleure qualité que celui qu’on trouve
actuellement sur le marché noir?
Sébastien St-Louis: Oui! C’est déjà le cas avec la marijuana médicale. Elle est de bien
meilleure qualité que celle qu’on trouve dans la rue, car on n’utilise pas de pesticides nocifs
pour la produire. Sans parler de la fleur, qui est belle et parfaitement hydratée. Le taux de
cannabinoïdes est aussi précis. Ce qui est un avantage pour le consommateur.
Hugô St-Onge: Et si elle n’est pas de qualité, on va pouvoir la retourner au magasin!
Dana Larsen: La légalisation n’aura pas seulement un impact sur la qualité. Ça va aussi
changer les formes de marijuana qu’on va consommer. D’après moi, on va fumer moins de
joints et on va prendre plus de hasch, par exemple, parce qu’on va désormais pouvoir vendre
des extractions et des concentrés de cannabis.
Quel va être l’âge légal exact pour consommer?
Hugô St-Onge: Dix-neuf ans, parce que c’est l’âge légal pour boire de l’alcool dans
beaucoup de provinces.
Sébastien St-Louis: Si je me fie à la science, je crois que ce sera plutôt 21 ans, car, en
dessous de cet âge, la marijuana peut avoir des effets très nocifs sur le cerveau.
Jean-Sébastien Fallu: Ce n’est pas tout à fait vrai… Il n’y a pas eu d’études sérieuses qui ont
été faites sur les effets de la marijuana chez les 17 à 21 ans. La seule qu’il y a eue, c’est sur
les 16 ans et moins. En 2002, le sénateur Nolin a d’ailleurs recommandé que l’accès légal soit
de 16 ans pour ne pas criminaliser les consommateurs de cet âge, qui sont très nombreux. Il
voulait aussi éviter que ceux-ci en achètent sur le marché noir. Cela étant dit, je ne crois pas
que ce sera permis à 16 ans. Je pense que l’âge légal sera de 18 ans, car le gouvernement
fédéral souhaite que ce soit le même à travers tout le pays.
Et combien ça va coûter?
Hugô St-Onge: Si on se fie aux prix du Colorado, ça va doubler!
Sébastien St-Louis: Je pense plutôt qu’il va y avoir une variété de prix. On va trouver de la
marijuana haut de gamme à 15$ le gramme ou même plus chère, mais aussi à des prix en
dessous du marché noir comme 2,50$ ou 3$ le gramme.
Dana Larsen: Moi, je crois plutôt que le prix va être élevé au début, mais qu’il va descendre
progressivement. C’est ce qui s’est passé à Washington. À l’origine, c’était 30$. Maintenant,
c’est 15$.
Jodie Emery: Des fois, je me dis que le gouvernement ne voudra pas descendre en bas de
10$ le gramme, parce qu’il sait que c’est le prix du marché et qu’il pourrait faire beaucoup
d’argent en le gardant tel quel…
Une fois qu’on a acheté notre pot, où va-t-on pouvoir en consommer?
Line Beauchesne: C’est simple. Ceux qui veulent fumer de la marijuana vont être astreints
aux mêmes règles que ceux qui fument du tabac. Ils vont pouvoir consommer aux mêmes
endroits.
Jean-Sébastien Fallu: Personnellement, je crois que les gens vont seulement pouvoir en
fumer chez eux… et c’est pas mal ça. Ce sera interdit dans les restos et dans les bars. Peutêtre que ce sera permis dans des salons de fumeurs… mais encore là, ça m’étonnerait
beaucoup.
Sébastien St-Louis: Ceux qui en consomment oralement, par contre, pourront le faire
n’importe où, car cela n’affectera pas les gens autour d’eux.
Comme certaines personnes risquent d’en consommer avant de prendre leur voiture, vat-on devoir changer le Code de la route pour détecter ceux qui conduisent avec des
facultés affaiblies?
Jean-Sébastien Fallu: Non. Même si plusieurs compagnies s’activent actuellement pour
trouver des moyens de les détecter, les policiers ont déjà des moyens pour le faire…
Line Beauchesne: En effet, en ce moment, tout le monde se demande comment on va
détecter le cannabis si une personne conduit avec des facultés affaiblies. Mais il faut arrêter de
poser cette question, car les traces de cannabis peuvent rester longtemps dans l’organisme et
ça peut brouiller les pistes. Par exemple, on peut consommer le vendredi et en avoir encore
dans notre sang le dimanche. Il faut plutôt commencer à faire des tests de réflexes pour tester
les facultés, peu importe les causes.
D’ailleurs, pensez-vous que le nombre de consommateurs va augmenter une fois que la
marijuana va être légale?
Line Beauchesne: Quand on légalise la marijuana, il y a plein de gens qui ne l’ont jamais
essayée et qui décident d’en prendre. On peut s’attendre à une petite hausse, suivie d’une
stabilisation des habitudes de consommation.
Hugô St-Onge: Je crois que la consommation du cannabis n’a pas nécessairement de lien
avec les lois… C’est plus quelque chose de culturel. C’est pour cette raison que c’est difficile
de prédire s’il y aura une augmentation ou pas. Ce qu’on sait, par contre, c’est que lorsqu’un
pays légalise la marijuana, les jeunes en consomment moins. Fumer du pot, pour eux, ça
devient moins sexy et ça représente moins un acte de rébellion.
On entend souvent que la légalisation du pot pourrait attirer beaucoup de touristes au
Canada. Y croyez-vous?
Jodie Emery: Oh, oui! Le tourisme de la marijuana sera une très bonne façon de créer de
l’emploi et de faire rouler l’économie canadienne. On peut facilement imaginer des «routes de
la marijuana» pour visiter et découvrir différents producteurs, un peu comme on le fait déjà
avec le vin.
Sébastien St-Louis: À court terme, c’est certain qu’il va y avoir un intérêt, mais est-ce que ça
va durer quand les autres pays ou les autres États américains vont légaliser la marijuana eux
aussi? C’est la question que je me pose.
Hugô St-Onge: C’est vrai, demain matin, le Vermont emboîte le pas et la légalise. Qui va
vouloir venir ici?
En terminant, on sait bien, entre nous, que le Canada ne légalisera pas la marijuana
demain matin… Selon vous, quand est-ce que ce sera officiel?
Line Beauchesne: Ce ne le sera pas avant avril, car il y a une importante conférence de
l’Organisation des Nations Unies à ce sujet. Et je ne crois pas que ce le soit avant les élections
américaines en novembre, non plus. Si notre voisin est démocrate ou républicain, ça aura
nécessairement un impact sur le processus.
Sébastien St-Louis: D’après moi, ce sera très rapide. Je pense qu’on va voir de la marijuana
légale dans des magasins d’alcool en Colombie-Britannique en 2017. En ce moment, le
regroupement de producteurs dont je fais partie est déjà très avancé dans ses discussions avec
les acteurs là-bas. Une fois que ce sera légal en Colombie-Britannique, l’Ontario et le
Manitoba vont suivre très rapidement. Puis, le Québec va emboîter le pas quand il va voir tous
les revenus de taxes que font ses voisins!
Dana Larsen: Au contraire, je crois que ça va prendre plusieurs années avant que la
marijuana soit légale au Canada. Mais, d’ici là, ce qu’on va voir, c’est une légalisation non
officielle. Les gens vont faire «comme si» c’était légal!
L’envers fiscal du cannabis
par Pierre-Yves McSween
L’attitude positive du premier ministre Justin Trudeau face à la légalisation et la
commercialisation du cannabis donne droit à de multiples fantasmes quant aux retombées
économiques que cela pourrait générer. Qu’en est-il exactement? En se basant sur les données
officielles du Colorado où la drogue douce est commercialisée, on en dégage une
extrapolation possible pour la belle province.
Nature des revenus
Pour comprendre la structure de revenus de cet État, il faut d’abord statuer que les deux types
de marijuana sont taxés différemment. D’un côté, il y a la marijuana médicale et de l’autre,
celle réservée au commerce de détail. Trois taxes d’État s’appliquent à cette drogue. Il faut
noter que seule la taxe de vente d’État touche la marijuana médicale.
Taxe de vente d’État: 2,9%; taxe de vente spéciale: 10%; taxe d’accise: 15%.
Donc, les clients consommant la marijuana vendue au détail à des fins récréatives payent 25%
en taxes sur le produit en plus du 2,9% déjà comptabilisé. Les premiers 40M$ américains
annuels générés par la taxe d’accise vont à un fonds dédié à remplacer ou rénover les écoles
publiques: nettoyage de l’amiante, amélioration de la qualité de l’air, etc. Le reste des revenus
est dédié au Marijuana Tax Cash Fund servant à financer les soins de santé, l’éducation à la
santé, la prévention et les traitements liés à l’abus de substances en plus de l’application de la
loi. Ainsi, le Colorado a décidé de dédier les revenus touchés de la commercialisation du
cannabis à certaines dépenses bien précises. Il est à noter que 15% des revenus tirés de la taxe
de 10% sont distribués aux autorités gouvernementales locales.
Les limites de la comparaison
Il est difficile de quantifier les retombées économiques liées à la légalisation de la marijuana,
car plusieurs questions demeurent sans réponses. La première, comment réagira le marché
noir? Verrait-on une guerre de prix s’installer entre le pot légal taxé et celui vendu par le
crime organisé? Quel pourcentage de la population déplacera sa consommation vers le marché
légal? La légalisation amènera-t-elle une augmentation du pourcentage de la population
fumant du cannabis à des fins récréatives? Beaucoup de questions sans réponses amènent une
volatilité importante dans toute tentative de quantification des revenus éventuels au Québec.
Extrapolation québécoise des données du Colorado
La quantification des revenus de taxation potentiels a été faite en extrapolant les données de
l’État du Colorado sur la population québécoise. Pour ce faire, on tient pour acquis que les
prix en dollars américains et en dollars canadiens seront semblables, puisque les coûts de
production comme ceux de la main-d’œuvre se calculent en devise locale. D’ailleurs, le prix
au détail doit refléter la capacité de payer des clients locaux.
Croissance importante
Pour les 12 mois de l’année 2015, la hausse des ventes par rapport à l’année précédente a
généré une augmentation de près de 47% des revenus tirés de la taxe de vente de 2,9% au
Colorado. Pour la même période, les revenus de taxe d’accise de 15% ont augmenté de 107%,
alors que ceux tirés de la taxe de vente spéciale sur le produit ont augmenté de 73%.
Ainsi, en extrapolant les données du Colorado sur la population du Québec avec les niveaux
de vente actuels, la province pourrait générer plus de 130M$ de revenus toute chose étant
égale par ailleurs. Évidemment, cette quantification demeure un calcul hasardeux, mais il
donne une idée proportionnelle de la réalité d’un État du sud appliquée au Québec.
Il est difficile de savoir quels pourraient être les impacts économiques sur la santé publique
liés à la consommation du cannabis. Par conséquent, la légalisation et la vente au détail du
cannabis pourraient apporter leur lot d’adaptations. Reste simplement à savoir si ce projet de
légalisation ira de l’avant ou s’il partira en fumée!
Taxes totales
Population
Taxe de vente (2,9%)
Taxe de vente au détail (10%)
Taxe d’accise (15%)
License et frais
Colorado
85 275 371 $
5 356 000
17 930 141 $
36 906 479 $
21 390 975 $
9 047 776 $
Québec
130 793 011 $
8 214 885
27 500 755 $
56 606 139 $
32 808 887 $
13 887 229 $
Légalisation ou déprohibition? Entrevue avec Hugô St-Onge, chef du Bloc Pot