Discours de Jean-Pierre DUFAU, Président délégué de la section

Transcription

Discours de Jean-Pierre DUFAU, Président délégué de la section
Discours de Jean-Pierre DUFAU, Président délégué de la section
française de l’A.P.F., prononcé lors de la cérémonie de remise des
insignes de Chevalier de l’Ordre de la Pléiade à Renaud, mercredi 2
septembre 2015, à Paris (Closerie des Lilas)
___________________________________________________________________
Cher Renaud,
En 1533, un groupe de sept poètes, dont Ronsard et Du Bellay, crée le
mouvement littéraire de la « Pléiade ».
Pour expliquer leur démarche, ils publient « Défense et Illustration de la langue
Française ». Objectif : valoriser la langue française face au latin.
Pour ce faire, ils modernisent la langue, inventent des néologismes, bref, la rendent
vivante, évolutive.
Aujourd’hui, l’Association parlementaire de la Francophonie a institué l’Ordre
international de la « Pléiade » - on l’aurait préféré plus internationaliste – pour
honorer ceux qui ont défendu et illustré les valeurs de la francophonie : la Langue
Française, les Droits de l’Homme et la Démocratie, la Diversité des cultures…

A notre époque, comment ne pas vous distinguer, cher Renaud, vous,
dont la langue directe et poétique parle au cœur de tous les Français ?
Vous avez bien mérité de la Francophonie…même si « It is because you are » a
posé un problème. Cette escapade anglophone, considérée comme une erreur de
jeunesse, n’a pas été finalement retenue contre vous.
« c’est pas parce que you are me qu’I am you ».
François Villon écrivait déjà « Ah, si j’eusse étudié au temps de ma jeunesse folle ! »
Vous le rejoignez dans ce refus des études.
« Maman quand je serai grand
J’ voudrai pas être étudiant
Ben alors qu’est ce que tu veux être
Je sais pas moi, poète ? »
1
Votre créativité, votre sens de la musicalité, votre goût pour les
mots vous prédestinent. Nourrie au sein d’une famille littéraire, cette créativité est
tout d’abord stimulée par la zone et les loubards, les terrains vagues des « Fortifs »
que vous apercevez à deux pas de la maison d’enfance…
« Putain c’ qu’il blême mon HLM et la môme du 8ème le hasch elle aime »
« Marche à l’ombre » et « Baston » remplissent votre imaginaire.
Avec humour, tendresse et calembours vous créez un univers peuplé de
personnages singuliers : « de Pépette à Germaine, de Manu à Gérard Lambert, de
Lulu à la Teigne sans oublier Mon Beauf. »
Nous vivons les chagrins « Pleure pas Manu », les drames « La Blanche » de ces
« héros » d’une bande dessinée musicale.
« Le monde à Renaud » est né. Il entre dans notre Patrimoine culturel, l’argot et le
verlan entrent dans notre langue. Vous resterez à jamais « une bande de jeunes à
vous tout seul »
« Tatatsin ! »
 Rebelle, écorché vif, l’artiste que vous êtes, vit pleinement Mai 68.
Dans votre 1er album, « Amoureux de Paname » on retrouve « Sous les pavés, la
plage ». Ainsi « Société tu m’auras pas » et « Hexagone » à l’époque sentent le
soufre.
Vous voilà devenu « le chanteur énervant », anarchiste, qui dérange l’ordre
bourgeois. Pourtant, pas vraiment un délit de revendiquer « La Commune de Paris »
et d’espérer toujours « Le Temps des Cerises ».
Le public, lui, ne s’y trompe pas. Il partage vos élans du cœur, votre engagement et
2
votre mobilisation pour les grandes causes : « SOS Ethiopie » dont vous écrivez le
texte, la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud et plus tard le soutien à Ingrid
Betancourt.
La Cause irlandaise sera l’occasion d’un superbe album avec sa « Ballade Nord
Irlandaise » qui devient un hymne à la Paix et à la Liberté, « J’ai voulu planter un
oranger… ». Valeurs partagées par un public toujours plus nombreux dont, bien sûr,
la gent féminine.
Vous rendez d’ailleurs aux femmes un hommage appuyé dans « Miss Maggie ».
Hommage justifié, « à part peut-être Mme Thatcher ».
« Morts les enfants » signe votre indignation contre la mort d’enfants innocents
dans un monde sans morale…
Les évènements de septembre 2001 vous inspirent « Manhattan-Kaboul » et votre
duo avec Axelle Red atteint les sommets : meilleur album, meilleur artiste, meilleure
chanson, aux Victoires de la Musique de l’année.
Vous êtes un poète, témoin de son temps.
« Ah, bon ? »
 Auteur, compositeur, interprète, vous voici dans la cour des grands.
Avec l’ami Brassens, tirant sur sa bouffarde, il y a aussi Brel et Léo l’anarchiste.
Je n’oublie pas le « Fou Chantant » Charles Trénet, auteur de « L’Ame des Poètes »,
ni non plus Barbara… et tous les potes de votre « Bistrot préféré ».
Mais la référence reste Georges Brassens dont vous enregistrez 23 chansons pour
un album d’hommage.
Impasse Florimont, vous sculptez une plaque de bronze.
On y lit « Georges Brassens poète et musicien vécut dans cette maison de 1944
à 1966 » et un vers du Moyen Age « Et que j’emporte entre les dents un flocon
3
des neiges d’antan ».
Ces neiges d’antan, chères à François Villon dans « La Ballade des Dames du
temps jadis » mise en musique par Georges Brassens.
« Tout est dit ».
Vous êtes un artiste complet : écriture, musique, peinture, sculpture et aussi dessins
et caricatures comme vos amis Cabu et Reiser. Ce qui vous conduit à participer à
Charlie Hebdo, ce journal qui dérange, tragiquement devenu symbole de la liberté
d’expression .
Ce talent d’artiste protéiforme, frotté à l’école de la rue vous mène au Café de la
Gare et à la rencontre de la Bande du Splendid : de Coluche à Patrick Dewaere, de
Miou-Miou à Romain Bouteille…
Et puis vous rencontrez aussi le 7ème Art.
Claude Berri monte le film « Germinal » d’après Emile Zola et vous confie le rôle
principal, celui d’Etienne Lantier. Après avoir hésité, vous, petit-fils d’Oscar, le
mineur « syndiqué à mort, inscrit au Parti », finissez par accepter.
Vous ne jouez pas Etienne Lantier, vous êtes Etienne Lantier.
L’intensité profonde de votre regard bleu vous rend « ch’timi jusqu’au bout des
nuages ».
Vous allez jusqu’à négocier des augmentations de salaires pour l’équipe de tournage
et les figurants avec lesquels vous avez sympathisé.
Lantier vous l’êtes, « l’entièrement ».
S’ensuit le remarquable album « Renaud cante el’Nord » en hommage à cette
région, ses habitants et leur culture.
« Et voilà !»
4
 Vous n’avez jamais fait mystère de votre engagement politique, sans
illusion.
Anarchiste de cœur, reste le socialisme de raison. Lucide, vous écrivez non sans
humour « moi j’étais rien du toutiste, anarcho-Mitterrandiste »
C’est vrai que, sans le ménager, vous l’avez aimé « Tonton » comme beaucoup de
Français.
Vous participez à la victoire de la gauche en 81, mais le socialisme a « la fragilité des
roses » évoquée par Ronsard au temps de la Pléiade.
Vous précisez pourtant « j’ai jamais regretté mon vote, j’ai vu, malgré tout, pleins
de choses positives, comme l’abolition de la peine de mort ».
Et permettez-moi d’ajouter la Fête de la Musique.
« Et ça suffat comme-ci »
 « Fatigué », il faut savoir parfois larguer les amarres.
« O que ma quille éclate, O que j’aille à la mer » claque Arthur Rimbaud dans son
poème « Le Bateau ivre ».
C’est ce que vous faites, toujours avec talent et humour.
« Dès que le vent soufflera » devient une des plus belles chansons de marin et
atteint le sommet de la vague.
Les navigateurs, comme votre ami Titouan, ont désormais leur devise : « c’est pas
l’homme qui prend la mer, c’est la mer qui prend l’homme ».
Quant à la conjugaison française, elle reçoit des clapots : « Dès que le vent
soufflera, je repartira. Dès que les vents tourneront, nous nous en allerons (de
requin) »…
« Heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage » écrivait Du Bellay, fondateur
5
de la Pléiade.
« Hisse et ho ! »
 Comme Montaigne, « rien de ce qui est humain ne vous est étranger ».
Atypique en apparence, vous renouvelez les thèmes éternels de l’inspiration
poétique : la vie, la mort, le temps qui passe, l’amour, l’enfance…
Simple et directe, rythmée et musicale, profondément humaine, votre poésie se fait
douce et caressante ; « Pierrot, mon gosse, mon frangin, mon poteau, mon
copain, tu m’tiens chaud, Pierrot ».
Emotion de paternité rêvée et bientôt satisfaite.
« En cloque » l’expression populaire s’auréole de poésie et la langue française se
sublime.
Frédéric Dard vous définit ainsi : « Il fait le boulot de Verlaine, avec des mots de
bistrot ».
L’arrivée de « Lolita » inspire « Morgane de toi » et plus tard viendra Malone.
On revit son enfance perdue à travers ses propres enfants.
Chaque génération se doit de protéger, de transmettre… un poète plus que
quiconque :
« Te raconter enfin
Qu’il faut aimer la vie
Et l’aimer même si
Le temps est assassin
Et emporte avec lui
Les rires des enfants
Et les Mistral gagnant
Et les Mistral gagnant »
6
Cette année, les Français ont choisi « Mistral gagnant » comme étant leur chanson
préférée de tous les temps.
 « Il faut aimer la vie même si le temps est assassin »
Je sais que vous avez continué à écrire, vous me l’avez confié.
Votre famille, vos amis, votre public sont là, disponibles, prêts à continuer l’aventure.
Alors, Dis Renaud, « c’est quand qu’on va où ? »
Dans cette attente, permettez-moi, avec un plaisir immense et une émotion
contenue, de vous faire « Chevalier de l’Ordre de la Pléiade »
« Tatatsin ! »
7