Untitled - Le kit du petit designer

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Untitled - Le kit du petit designer
« Je crois que la vérité est parfaite pour
les mathématiques, la chimie, la physique,
mais pas pour la vie. Dans la vie, l’illusion,
l’imagination, le désir, l’espoir
comptent plus. »
Ernesto Sábato, artiste, écrivain, physicien, Alejandra, 1961
à ceux qui dessinent, à ceux qui enseignent,
aux dessinateurs de presse de Charlie Hebdo
SOMMAIRE
I. la discipline des
 ARTS APPLIQUÉS
A. LES ARTS DE L’INDUSTRIE
10    1. Arts appliqués ou design
16    2. Histoire du design
B. L’ENSEIGNEMENT DES ARTS
  APPLIQUÉS
24    1. Un emploi du temps spécifique
28    2. Spécificités de la Première et
    de la Terminale
3    Avant-propos
7    Introduction
C. LA PLACE DE L’IMAGE À L’ÉCOLE
30    1. Pédagogie de l’image
32    2. Pédagogie par l’image
II. les matieres scientifiques
A. LA PHYSIQUE
38    1. Une science naturelle
39    2. Les grandes découvertes
B. LA CHIMIE
44    1. De l’alchimie à la chimie
46    2. Figures tutélaires
C. L’ENSEIGNEMENT SCIENTIFIQUE
50    1. Avant le Baccalauréat
52    2. Séries générales et technologiques
54    3. En arts appliqués
III. le projet
A. LES ENJEUX DU PROJET
60    1. Convaincre les réfractaires
61    2. Se démarquer de l’existant
B. UN LYCÉE QUI SE VEUT PILOTE
62    1. L’établissement : Le Paraclet
62    2. Le partenaire : Jean-Pascal
        Mauvoisin
64    3. La cible : les élèves de la section
        arts appliqués
C. LANCEMENT DU PROJET
66    1. Pistes graphiques envisagées
69    2. L’apport de la narration
72    3. L’alliance du multimédia et de
l’imprimé
75    Conclusion
76    Bibliographie
78    Remerciements
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INTRODUCTION
Si le sensible et le rationnel paraissent opposés, il existe pourtant de nombreux ponts entre ces deux domaines. Les univers
de l’art et de la science, notamment, s’allient parfois en des
métiers pluridisciplinaires. Si les arts appliqués, par définition,
concernent l’industrie, – qu’elle soit du vêtement, de la communication graphique, des objets, ou de l’habitat –, ils sont soumis
aux lois physiques qui permettent de créer des objets fonctionnels inscrits dans notre réalité.
Il y a encore peu de temps, la physique évoquait pour moi une
salle carrelée où circulaient des silhouettes vêtues de blouses
blanches, opérant des manipulations expérimentales et parfois
hasardeuses, traduites par d’obscurs schémas géométriques.
Aussi, lorsque le professeur de physique-chimie Jean-Pascal
Mauvoisin, enseignant au Lycée Le Paraclet, à Quimper, m’a
contactée pour me proposer d’imaginer comment rendre sa discipline attractive et comment l’allier à l’enseignement des arts,
j’ai vu là une occasion unique de revisiter mes a priori.
Après un certain nombre d’échanges, nous avons opté pour une
cible bien délimitée : les élèves de la filière arts appliqués ; pour
un concept : la découverte de la physique par le biais du design ;
et pour un projet : la réalisation de supports pédagogiques favorisant son apprentissage.
Dans ce mémoire, j’évoquerai tout d’abord la discipline que
constituent les arts appliqués en me focalisant sur le rôle que
l’image joue dans la pédagogie. J’aborderai ensuite brièvement
les domaines de la physique et de la chimie, ainsi que la façon
dont ces matières scientifiques sont enseignées dans le cycle
secondaire. L’exposé, enfin, de notre projet consistera, dans un
premier temps à analyser les enjeux de la commande, puis ses
modalités ; après quoi j’aborderai les pistes graphiques et les
supports envisagés.
7
    A. LES ARTS DE L’INDUSTRIE
    B. L’ENSEIGNEMENT DES ARTS APPLIQUÉS
    C. LA PLACE DE L’IMAGE À L’ÉCOLE
I. LA DISCIPLINE DES
ARTS APPLIQUÉS
A. LES ARTS DE L'INDUSTRIE
1. ARTS APPLIQUÉS
OU DESIGN
Au temps de la civilisation grecque, l’art était considéré comme
l’apanage des dieux. Afin d’inspirer l’esprit de l’homme et de
guider sa main, un médiateur ou un intermédiaire était nécessaire. C’est la principale fonction des Muses, qui représentaient
chacune un domaine particulier : l’histoire, la poésie classique
et érotique, la musique, la danse, la comédie, la tragédie, la
rhétorique et l’astronomie. C’est en 401 avant J.-C., que le philosophe Platon en dénombre neuf dans son dialogue socratique
intitulé Ion. Mais les talents que dispensent ces figures féminines
ne prennent pas encore en compte les arts graphiques traditionnels ; ce sera grâce à un autre philosophe, Wilhelm Hegel, dans
son cours sur l’Esthétique ou philosophie de l’art édité à partir de
1820, que les disciplines de l’architecture, de la sculpture et de
la peinture seront alors reliées aux Muses.
Le mot art, dans le dictionnaire Le Robert,
revêt plusieurs sens. Il s’agit à la fois d’un
ensemble de connaissances et de règles
d’action dans un domaine particulier, et
en ce sens, il se rapproche du savoir-faire
de l’artisanat ; mais aussi de l’expression,
par les œuvres de l’homme, d’un idéal
esthétique : en d’autres termes, de l’ensemble des activités humaines créatrices
visant à cette expression.
Rembrandt, Saskia en Flore, 1634
Ici, le peintre représente sa femme, dotée
des attributs de la muse de la fertilité.
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Durant l’Antiquité, la notion d’art était
différente de celle-ci. En effet, l’art se
disait alors τέχνη, technè, ce qui signifiait littéralement la technique. Aucune
différence n’était donc faite entre l’artisan et l’artiste, et seul le « faire » avait
son importance. À l’époque latine, le mot
ars désigne les activités qui tendent à la
création, l’habilité à mettre en œuvre son
expérience, son savoir-faire et son talent.
En 1816, la culture française a, quant à
elle, classé les activités artistiques en différentes catégories, organisées de façon
hiérarchique. L’Académie distingue les
arts dits nobles, appelés Beaux-arts, des
arts dits mineurs, comme l’orfèvrerie, la
céramique, la verrerie ou la tapisserie.
Ces derniers sont aujourd’hui regroupés
dans l’appellation de « Métiers d’art ».
À l’opposé de la France, les pays germaniques ont, et ceci dès la fin du xixe siècle,
non seulement dépassé ces clivages en
élargissant la création aux domaines
de la photographie, de la typographie,
de l’affiche ou de la communication
visuelle, mais plus encore, ils ont établi
des rapports avec le monde industriel à
travers des associations et des mouvements comme la Deutscher Werkbund ou
le Bauhaus.
Ce n’est qu’en 1860 – alors que la Société
du Progrès pour l’Art industriel a été
renommée Union centrale des BeauxArts appliqués à l’Industrie – que le
qualificatif d’appliqué sera accolé à la
notion d’art. Il est alors admis que les
arts appliqués ne font pas partie des
Beaux-Arts qui, eux, concernent le champ
strictement pictural ou sculptural, mais
qu’ils entretiennent toutefois un rapport
avec eux. Les créations et les productions
des Arts appliqués sont réellement liées
à l’artisanat et à l’industrie, incarnant
ainsi la résolution du conflit entre art
et savoir-faire.
Le terme « appliqué », quant à lui, se rapporte à la mise en pratique, dans le sens
d’employer, d’utiliser. Il est issu du latin
applicare, composé du préfixe ad- qui
indique le but de l’action, et du radical
-plicare qui, lui, signifie plier.
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Selon les designers de l’Union française
des Designers industriels :
« La profession de créateur industriel a
pour vocation, après analyse technologique,
économique et esthétique exhaustive,
de créer les formes, matières, couleurs,
structures permettant d’améliorer tous
les aspects de l’environnement humain
conditionnés par la production industrielle,
qu’il s’agisse de création (ou design) de
produits, de création graphique, de création
d’environnement ou d’ambiance visuelle. »
En ce qui concerne le domaine du design,
c’est en définissant le rôle du designer
que l’on peut en déduire sa nature. Un
designer est un professionnel qui possède un haut degré de formation artistique et technique – voire scientifique –
ainsi qu’une éthique professionnelle. Il
dessine avec une capacité d’observation,
d’analyse et de conseil auprès de ses
commanditaires et partenaires. Il est
capable d’empathie, d’une approche sensible, intuitive et créative pour aborder
les sujets afin d’apporter une solution
originale. Il a le sens de l’esthétique, des
formes et des signes, des couleurs et de
la lumière, des sons, des matières et des
matériaux, de l’ergonomie et de la lisibilité, ainsi que de leur interaction. Bien
qu’il n’ait pas à résoudre de problèmes
techniques purs, ce qui relève plus du
domaine de l’ingénieur, le designer suit
le bon déroulement technique et la fabrication d’un projet.
Dessin d’après Erich
Dieckmann, Development
design of a metal tube
chair, 1931
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En France, l’expression d’esthétique
industrielle était utilisée avant la démocratisation du terme design. Si certains
considèrent que le mot provient de l’ancien français dessigner, issu du latin
designare composé du préfixe de- et de
la racine -signum qui traduisaient la
marque, le signe et faisaient référence
au fait de tracer, représenter ou dessiner,
c’est néanmoins l’usage anglo-saxon qui
a imposé la notion de design en France au
cours des années 60.
Différence majeure, le mot design, en
Angleterre, désigne les produits d’artisanat, ainsi que les produits d’usine (mobilier, vêtements, affiches, véhicules,...). Il
est associé généralement à un adjectif
qui le qualifie, comme dans les dénominations graphic design, package design
ou product design. Dans l’hexagone, il est
relatif à la manière d’aborder la conception d’un objet nouveau et caractérise
surtout la part de création qui assure la
cohérence de l’objet entre les impératifs
techniques de fabrication, sa structure
interne, sa valeur d’utilisation et son
aspect. Plus qu’une simple exécution,
c’est le projet même qui est au cœur de
la conception.
Ainsi, par exemple, la commande
ne sera pas simplement de créer
une chaise, mais de formuler la
problématique induite par l’objet
lui-même, donc de se demander :
« Qu’est-ce qu’être bien assis ? ».
Alvar Aalto, Helsinki,
siège à partir d’un
principe formel unique,
Artek, 1935-1975
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L’Alliance française des Designers, tout
comme Anne Asensio, tend à définir le
design comme un processus intellectuel
créatif, pluridisciplinaire et humaniste,
dont le but est d’apporter des solutions
aux problématiques économiques, sociétales et environnementales.
Cet aspect socioplastique d’un design
social est également mis en avant par
Stéphane Vial lorsqu’il essaie de cerner
la discipline dans l’émission de France
Culture intitulée Le design, esthétique
de l’objet. En effet, le design opère une
relation entre l’homme et l’objet qu’on
ne trouve pas ailleurs. Il met en forme de
nouvelles façons d’être avec les autres à
travers des réalisations.
L’Alliance française des designers est un syndicat
apolitique professionnel représentant les
designers de toutes disciplines. Elle a été créée
en 2003 par Christian Dao, François Caspar et
François Weil.
14
C’est la proposition, adoptée en 1961,
par le Conseil international des Sociétés
de design industriel qui devient la définition officielle du design. Elle est ainsi
formulée :
« Le design est une activité créatrice
qui consiste à déterminer les propriétés formelles des objets que l’on veut
produire industriellement. Par propriétés formelles des objets, on ne doit pas
entendre seulement les caractéristiques
extérieures, mais surtout les relations
structurelles qui font d’un objet ou d’un
système d’objets une unité cohérente,
tant du point de vue du producteur que
du consommateur. »
« Le design est une approche humaniste, entre savoir-faire
et professionnalisme, activité multidisciplinaire associant
créativité, pragmatisme et travail en équipe. Il est à la fois
conscience, vision, écoute, compréhension, interprétation de
notre environnement, de notre société : il les traduit, il en est
le symbole. »
Anne Asensio, designer industriel, 1997
Le design est, par conséquent, présent
partout, en adéquation avec les modes
de vie, les valeurs et les besoins des êtres
humains, utilisateurs ou publics. On
peut cependant établir quatre grandes
familles : le design d’espace, qui se rapporte au design d’intérieur, scénographique, de lumière ou de paysages ; le
design de message comme le design graphique, interactif, d’illustration, sonore
ou web ; le design de produit, qui comprend le design de mode, mais aussi le
design d’objet ou industriel ; et le design
transdisciplinaire comme la signalétique,
le design de packaging ou collaboratif.
Ces différents types de
design sont codifiés
par leur classement NAF en trois
catégories :
74 Autres activités
spécialisées, scientifiques et techniques
74.1 Activités spécialisées de design
74.10 Activités spécialisées de design
Cependant, la véritable particularité du
design est qu’il n’en existe pas de définition réellement définitive, tant il se
réinvente à chaque époque, suivant les
évolutions, les cultures et les apports des
praticiens designers du monde entier. La
seule certitude est que cette discipline
est née des enjeux résultant de la production industrielle de masse du xxe siècle.
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2. HISTOIRE DU DESIGN
Raconter l’histoire du design, c’est aussi raconter l’histoire de
l’humanité. Principalement fondé sur l’évolution technologique,
le design est donc souvent considéré comme ayant débuté avec
la Révolution industrielle.
La Révolution industrielle
Le Siècle des Lumières, mouvement d’intellectuels s’étant développé en Europe
entre 1715 et 1789, avait pour but de
dépasser l’obscurantisme religieux et de
promouvoir les connaissances. Il a donné
naissance, à partir de 1751, à l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert. Celle-ci
constitue un panorama global des
moyens de production de l’époque, marquée par les débuts de la mécanisation
productive. Bertrand Gille, archiviste et
historien français, désigne cette époque
comme la « première Révolution industrielle ». Cependant, cette mécanisation
est alimentée par des sources énergétiques naturelles (force musculaire de
l’homme ou de l’animal, force du vent ou
du courant aquatique…). Les moulins à
eau, alors principal moteur énergétique
dans les manufactures et les fabriques
du xviie et du xviiie, obligent ainsi à installer celles-ci dans les vallées, près des
fleuves.
Illustration de la vue
frontale du Crystal
Palace imaginé par
Joseph Paxton, 1851
16
La véritable Révolution industrielle
désigne le processus historique du xixe
siècle qui a fait basculer la société agraire
et artisanale vers une société commerciale et industrielle. Cette transformation
affecte profondément tous les secteurs.
À la fin du xviiie siècle, l’invention de la
machine à vapeur permet la construction
des manufactures sur tous les terrains,
tandis que le marteau-pilon frappe le fer
plus efficacement et plus rapidement. Les
rails de chemin de fer sont, par conséquent, produits en masse, ce qui crée un
boom ferroviaire, et la qualité de l’architecture des bâtiments est grandement
améliorée par la fonte. Le verre, lui aussi,
est mieux maîtrisé, comme le montre la
réalisation du Crystal Palace, en 1851, par
Joseph Paxton : ce monument, totalement
préfabriqué en usine, bénéficie d’une
construction rapide. Le dynamisme de
la demande de biens de consommation
stimule en retour le progrès technique
et la production des objets utiles devient
quantitative. L’industrie recrute donc des
ouvriers et va former des élites au sein de
grandes écoles spécialisées.
Dans les années 1860, des mouvements
artistiques importants pour les arts
appliqués voient le jour en Europe. Les
Arts and Crafts par exemple, fondés sur
les thèses de designers et d’intellectuels
comme l’écrivain William Morris, l’architecte Charles Rennie Mackintosh ou le
peintre John Ruskin, se destinent à réhabiliter l’artisanat, alors considéré comme
seul capable de produire beau et bien
et d’assurer l’épanouissement de tous
les chaînons, du producteur au consommateur. En effet, les objets industriels
étaient alors d’une qualité inférieure au
travail des artisans.
Alphonse Mucha, étiquette
du Crémant Impérial de
Moët & Chandon, 1899
Puis le Modern Style devient le nouveau
mouvement en vigueur au tournant du
siècle xxe. Il revêt différents noms : on
parle de Modern Style en Angleterre,
d’Art nouveau en France ou de Jugendstil
en Allemagne. Ce courant met principalement l’accent sur l’inventivité, les
rythmes et les couleurs. L’ornementation,
quant à elle, est inspirée de la nature, des
insectes, des animaux, et introduit du
sensible dans le décor quotidien. Mettant
en application les progrès de la technologie de l’époque, le designer Michael
Thonet crée, par exemple, des meubles
en bois courbé.
Michael Thonet,
Chaise n°14 (bistrot),
1859
La fameuse chaise Thonet,
en bois courbé, s’est vendue
à 50 millions d’exemplaires
entre 1859 et 1930.
17
La qualité et la quantité réalisées rivalisent alors avec l’artisanat, comme
aujourd’hui. En effet, la rationalisation
de la production l’oriente vers l’industrie. Avant la Première Guerre mondiale,
ce mouvement évolue vers un style plus
géométrique, caractéristique du mouvement artistique qui prendra la relève
en 1920 : l’Art décoratif. Ce mouvement,
quant à lui, mélange l’art et les arts appliqués tant chaque réalisation est unique
et travaillée finement.
A contrario de cette profusion stylistique,
l’Amérique, née en tant qu’État avec la
Révolution industrielle, est libre de toute
référence historique culturelle. En architecture notamment, l’École de Chicago
érige de hauts buildings, du jamais vu ;
en parallèle de l’invention de l’ascenseur,
les villes se développent alors verticalement. Les Américains instaurent aussi
la systématisation, ou normalisation des
objets, ce qui permet de remplacer les
pièces défectueuses. Le génie inventif
s’accroît et les brevets et les dépôts de
modèles se succèdent. Les travaux des
scientifiques des années 1860/1890
conduisent à l’apparition de machines
capables de produire de l’énergie électrique en grande quantité, ce qui permet
la réalisation du moteur à explosion. Dès
lors, le design automobile émerge. En
1909, la première voiture économique, le
modèle T Lizzie, conçue par Henry Ford,
est vendue à 15 millions d’exemplaires.
18
Puis le décor se réduit au minimum, avec
le mouvement du formalisme. L’allure
générale reflète les impératifs d’utilisation et de fabrication. Louis Sullivan,
architecte américain, déclare :
« Form follows function »
(La forme suit la fonction).
Cette devise continue toujours d’inspirer
de nombreux créateurs .
F3, chaise de jardin
pour Vondom,
Fabio Novembre, 2013
Flèche Art Déco du Chrysler
Building, par William Van
Alen, New York, 1928-1930
Affiche pour les
cigarettes égyptiennes
Nerma, 1924
19
Les mouvements
Des écoles d’arts appliqués, comme
le Deutscher Werkbund, fondé en 1907
par l’architecte Hermann Muthesius,
regroupent artistes, concepteurs et
industriels, dont l’objectif est de réconcilier l’art, l’artisanat, l’industrie et le commerce. Le Deutscher Werkbund est une
association d’artistes, tous professeurs,
comme Peter Behrens, Paul Renner,
ou Henry van de Velde. L’entreprise
Allgemeine Elektricitäts Gesellschaft apparaît comme le premier exemple de design
global : bâtiments, cités ouvrières, produits, logotype et papier à lettres de l’entreprise sont réalisés par Peter Behrens
dans l’optique d’offrir une cohérence
à l’ensemble. Cette nouvelle exigence
apparaît alors que l’architecte Adolf Loos
décrète le décor révolu ; il écrit en 1908 :
« “ Ornement ”, ce fut autrefois le qualificatif pour dire “ beau ”. C’est aujourd’hui,
grâce au travail de toute ma vie, un
qualificatif pour dire “ d’une valeur
inférieure ”. »
Adolf Loos, Ornement et Crime (1908)
Peter Behrens, affiche pour
les luminaires d’Allgemeine
Elektricitäts Gesellschaft,
1909
20
Le décor est ainsi considéré comme la
pire aberration. Au premier plan, se pose
donc la question du matériau, de la structure, de l’espace, de la fonctionnalité
des objets. Le mouvement suprématiste
russe, apparu vers 1917, approfondira
cette optique. Représenté par des artistes
comme Kazimir Malevitch, Alexandre
Rodchenko ou Maria Stepanova, il
émerge pratiquement en même temps
que le constructivisme.
L’École du Vhutemas, en Russie (appelée
Vhutein après 1927), encourage aussi les
techniques nouvelles. L’accent est mis sur
le compactage, le pliage, la conversion
des meubles. On y enseigne plus particulièrement le design de produit et l’architecture jusqu’à sa disparition en 1930.
En Allemagne, en 1919, les écoles d’art
et d’arts appliqués du Grand Duché
de Saxe se réunissent pour former le
Bauhaus d’État de Weimar. Cette grande
école d’arts appliqués, installée dans le
bâtiment de l’architecte Walter Gropius,
devient le berceau de la doctrine du fonctionnalisme. Symbolisant l’avant-garde
artistique et le modernisme, le Bauhaus
participe grandement à stimuler curiosité, sensibilité et créativité. Les productions des élèves sont confrontées à
la réalité sociale et économique du marché en raison de la commercialisation.
L’école se focalise sur l’architecture et la
conception d’objets, grâce à des artistes
célèbres comme Kandinsky, MoholyNagy ou Marcel Breuer, qui enseignent
respectivement la peinture murale et la
couleur, l’atelier du métal et l’atelier de
charpenterie.
Wassily Kandinsky,
Sur le blanc II, 1923
Marcel Breuer, Tubular
steel chair, 1928
Symbole du Bauhaus
d’État de Weimar, 1919
21
« On fabriquait à tort et à travers ascenseurs,
moulins à café, grues mécaniques, etc., avec
pour seule préoccupation que “ ça marche ”.
Quand vint l’ère de la production en masse, le
pays fut inondé de produits souvent de bonne
qualité, mais disgracieux et coûteux. »
Raymond Loewy, designer industriel franco-américain,
La Laideur se vend mal,1953
Raymond Loewy, dessin
de l’automobile de
l’avenir à l’occasion de
l’Exposition universelle
de 1939 à New York,
1938
Raymond Loewy,
distributeur pression
pour Coca Cola,
Dole Deluxe, 1947
22
Alors que la crise économique et la
grande dépression des années 1930
affectent les débuts du design industriel,
le rationalisme mène au modernisme et
au mouvement de la Streamline, caractérisée par des formes cylindriques et
horizontales influencées par le constructivisme. Tous les objets sont designés
selon ces formes typiques : montres, téléphones, voitures, meubles et habitations,
intègrent pour la première fois la lumière
électrique aux structures architecturales. Des plasticiens comme Norman Bel
Geddes, rendent les objets agréables à
l’œil pour qu’ils se vendent mieux.
À la veille de la Seconde Guerre mondiale, les formes modernes sont considérées comme froides et décadentes.
C’est le retour de l’impérialisme antique,
sobre et fonctionnel. La recherche du
design industriel se focalise sur la valeur
d’usage, la recherche du moindre coût
de fabrication, l’adaptation de la forme
aux procédés d’usage. Les années 1940
à 1945 sont alors marquées par le style
international et la production est uniformisée en matière d’architecture, d’habitat et de graphisme. La fin de la guerre
marque la suprématie de l’Amérique
sur le vieux continent. La mécanisation
devient indispensable.
En 1950, le second souffle du Streamline
engendre un engouement pour la forme
libre. Le design se rapproche alors du
champ des arts plastiques de Dali, Yves
Tanguy et Pablo Picasso. L’attention
est portée sur l’ergonomie et on fait la
différence entre good design et marketting design. Ce dernier se rapporte à
la production de masse, économique,
marquant les débuts de l’obsolescence
programmée.
C’est l’époque du kitsch, de motifs imitant le marbre, le bois, le kraft mais aussi
les fourrures animales. Le fort pouvoir
d’achat engendre une profusion d’objets
et un engouement passager, les modes
étant éphémères.
La Révolution numérique
L’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert,
publiée entre 1751 et 1772, promouvait
déjà l’universalisme, préfigurant les
notions de réseau et de village global,
aujourd’hui associées à l’idée de révolution numérique. Ce phénomène est comparable à la Révolution industrielle survenue deux siècles plus tôt et l’on peut
même y voir le prolongement de celle-ci.
La naissance, puis le développement
extrêmement rapide, de l’informatique et
des techniques numériques a engendré
de nouvelles formes de communication
ainsi qu’un indéniable perfectionnement
du design.
Dorénavant, puisque toute information,
quelle que soit sa nature – son, forme,
couleur, photographie ou texte – peut
être numérisée, stockée, et éditée, la
création passe principalement par ces
outils. La conception par ordinateur se
développe, au détriment parfois du dessin industriel. Cette introduction progressive, mais massive, de la technologie
numérique dans tous les domaines et
dans tous les moments de la vie a débuté
dans les années 1980 ; d’abord avec la
généralisation de l’ordinateur personnel
qui, grâce au microprocesseur, va être
diffusé en un très grand nombre d’exemplaires dans les entreprises puis dans les
foyers ; puis, grâce à la naissance d’Internet, le réseau des réseaux.
Going numérique :),
photographie d’écran,
David Pino, 2012
23
B. L'ENSEIGNEMENT DES ARTS APPLIQUÉS
1. UN EMPLOI DU TEMPS
SPÉCIFIQUE
La série technologique Sciences et Technologies du Design et
des Arts Appliqués (STD2A) a été réformée en 2010. Elle avait
déjà subi des changements depuis sa création en 1980, alors
nommée série F12 Arts appliqués, puis en 1992 en devenant la
série STI Arts appliqués. L’ancienne classe de Seconde de détermination STI devient une Seconde d’exploration, composée de six
heures de création et de culture design, permettant aux élèves
de poursuivre vers une filière générale s’ils le souhaitent, après
délibération du Conseil de classe, ou de continuer en Première.
L’emploi du temps est réparti entre l’enseignement général et scientifique, et,
bien sûr, l’enseignement de la création et
de la culture design.
L’enseignement général se rapproche des
matières enseignées en série Littéraire :
il concerne le français, l’histoire et géographie, les langues vivantes, et la philosophie. L’enseignement scientifique est,
quant à lui centré sur les mathématiques
et les sciences physiques. Trois heures
hebdomadaires sont attribuées à chaque
matière générale ou scientifique, excepté
l’éducation physique et sportive qui se
déroule sur deux heures mais également
les sciences de la vie et de la terre qui,
depuis la réforme, ont réintégré l’emploi
du temps sur une heure et demie.
Traditionnellement, l’enseignement spécialisé dans l’art et le design se décompose en quatre pôles majeurs.
Les arts, techniques et civilisations se
rapportent à la culture du design, à l’histoire de l’art et des techniques. L’élève
prend connaissance des grands courants
composant les arts appliqués, afin de
posséder les références nécessaires pour
situer un artiste et comprendre le design
actuel.
24
Le cours de démarche créative se focalise sur le développement et la mise en
pratique des méthodes de recherche,
d’expérimentation et de création dans
les contraintes d’un projet à élaborer. Ces
projets se répartissent entre recherches
appliqués et études de cas.
Ces dernières permettent la découverte
précise d’un concepteur ou d’une de ses
réalisations ou séries. Le but recherché
étant d’analyser, dans le cas d’un concepteur, un univers visuel et sa déclinaison ;
dans le cas d’un objet sélectionné, son
ergonomie, sa fonction, sa réalisation et
sa cible. Les questions soulevées portent
sur la conception d’un objet, sur son utilité, mais aussi sur son devenir.
Les travaux de recherche appliquée,
quant à eux, permettent de mettre en
application ces facultés d’analyse en les
réinvestissant dans la conception et la
réalisation d’un projet personnel portant
sur un thème donné. C’est alors la variété
des recherches et leur pertinence qui
sont encouragées.
Salle de classe
d’art appliqués
Planche de recherche
pour un sujet
de signalétique
25
Cependant, depuis la réforme de 2010,
l’aspect technologique a été globalement
renforcé. L’étude de cas en tant que telle
a disparu, tout comme l’histoire de l’art.
Les deux matières sont liées à travers
un créneau appelé analyse méthodique.
Dotée d’un coefficient 8 au Baccalauréat,
une épreuve type se présente comme
ceci :
– un thème général est fixé, « le mécanisme », par exemple, suivi de sa définition donnée par le dictionnaire ;
–
des références d’œuvres en rapport
avec ce thème sont données grâce à
des photographies, les sculptures de
Tinguely, la façade de l’Institut du
Monde Arabe de Jean Nouvel ou des
presses mécaniques de la Révolution
industrielle... ;
–
un questionnement est proposé :
« quelle est la place du mécanisme dans
le design, les arts visuels et les métiers
d’art ? ».
Requiem pour une feuille morte, sculpture
par Jean Tinguely, 1967
Détail de la façade de l’Institut du Monde arabe
de Jean Nouvel, 1987
Photographie de la fontaine Jo Siffert érigée
par Jean Tinguely, à Grand-Place, Fribourg, 1984
26
Le rendu se fait sous la forme de croquis
analytiques ainsi que d’un écrit synthétique sur copie-double. L’évaluation est
fondée sur plusieurs critères, notamment
les capacités de l’élève à construire une
analyse pertinente, à donner des références adaptées, à questionner, à contextualiser les documents, et bien évidemment, la capacité à s’exprimer sous une
forme écrite et graphique.
La pratique en arts visuels est également
importante pour acquérir une approche
plastique sensible ainsi qu’une culture
des technologies. Ces heures d’enseignement permettent d’appréhender la peinture acrylique ou gouache, l’aquarelle, le
collage, la pratique du croquis, la réalisation de carnets, ou la pratique des logiciels de création. L’objectif est de toucher
à tous les médiums et à tous les médias,
afin que chaque élève puisse découvrir
ses affinités propres et développer sa
créativité personnelle.
En plus de ces matières obligatoires, les
élèves peuvent aussi choisir une option
facultative « arts », centrée sur les arts
plastiques, sur le cinéma-audiovisuel,
la danse, la musique ou le théâtre. Cette
option permet d’expérimenter sans
contraintes les différentes sensibilités
des jeunes créateurs. Cette épreuve
orale de trente minutes a pour objectif
d’évaluer les compétences plasticiennes
et techniques, théoriques et culturelles
des candidats. Il s’agit de mesurer l’étendue des connaissances, de vérifier les
acquis et d’apprécier la singularité de
démarches inscrites dans un itinéraire
artistique. L’élève doit présenter un projet personnel dont il fera la démonstration pendant vingt minutes, le reste de
l’épreuve étant attribué à des questions
sur sa culture artistique.
27
2. SPÉCIFICITÉS DE
LA PREMIÈRE ET
DE LA TERMINALE
L’année de Première marque un grand
tournant par rapport à la classe de
Seconde. En effet, le design et les arts
appliqués occupent, dès lors, douze
heures hebdomadaires, soit presque le
double de l’horaire dédié à la classe de
Seconde, plus une heure enseignée dans
la première langue vivante (LV1). En
effet, si la classe de Seconde est exploratoire, celle de Première est déterminée
et spécialisée.
Enseignement
exploratoire
Histoire des Arts
Design & Arts
TP Design
Total horaire
Seconde
6h
Première
/
Terminale
/
1h30
/
/
7h30
3h
9h
1h
13h
3h
14h
1h
18h
Tableau comparatif de
la répartition horaire
des matières du
design en STD2A
28
L’option a pour objectif de sensibiliser
les élèves aux préoccupations de notre
société en matière de cadre de vie, de
lecture d’image, de design d’objet, d’écoconception et d’innovation. Les élèves
peuvent ainsi aiguiser leur regard sur le
monde qui les entoure en procédant à
des comparaisons, en constatant les évolutions dans le temps, en repérant des
invariants et des mutations, avant d’entreprendre un travail d’analyse et d’expérimentation. Cette découverte s’effectue
dans le cadre de micro-projets.
En classe de Terminale, l’enseignement
du design et des arts appliqués utilise
dix-huit heures du planning sur trentedeux. Tout comme en Première, une
heure est attribuée à cet enseignement
dans la première langue vivante choisie.
Puisque la série technologique STD2A
propose une formation complète et équilibrée entre culture artistique et maîtrise
de techniques d’expression et d’outils
technologiques fondamentaux, elle ouvre
les portes de formations variées. Après le
Baccalauréat, les élèves ont accès à l’enseignement supérieur dans l’ensemble
des formations préparant aux métiers du
design et aux métiers d’art. Il s’agit des
BTS (Brevet de Technicien supérieur)
artistiques, qu’ils soient centrés sur la
communication visuelle en multimédia,
les médias imprimés, le design d’espace
ou de produit, ou encore sur le design
de mode ; mais aussi des DMA (Diplôme
des Métiers d’art) aussi bien touchant au
cinéma d’animation, qu’à l’illustration
ou même à la reliure-dorure. L’élève peut
aussi s’orienter vers l’Université ou les
Classes préparatoires aux Grandes Écoles
d’Art ou d’Architecture.
De même, en Terminale, les élèves élaborent un projet personnel qui se déroule
sur soixante-quinze heures. Un thème
commun est donné à la classe, comme
l’« Héritage ». L’objectif est de pousser les
élèves à mener une véritable démarche
expérimentale, puis de réaliser une application, une création en rapport avec cette
thématique. Ce projet est évalué trois
fois, tout au long de l’année, en contrôle
continu et certaines épreuves doivent
être présentées en anglais.
Depuis la réforme de la section, les
matières artistiques tendent à devenir
plus transversales. En effet, les cours de
technologie par exemple, sont divisés
en deux volets : un professeur s’occupe
de la découverte des matériaux, de leurs
usages et propriétés tandis qu’un autre
apprend aux élèves les techniques de
communication, notamment à travers
l’analyse critique de publicités et des
ateliers de découverte des logiciels de
création. Les matières scientifiques sont
aussi plus volontiers mêlées aux cours
d’art. Des liens avec la physique sont
créés dès que possible, à travers des
thèmes exploratoires comme la lumière.
Publicité pour Louis Vuitton, photographie d’Annie Leibovitz, 2009
Analyse des élèves :
Référence à la gare Saint Lazare peinte par Monet ? Catherine Deneuve,
fidèle à son personnage : belle, énigmatique, assise sur deux valises.
Escarpins, élégance du trench noir ceinturé au col relevé.
Très cinématographique. Femme en transit, entre deux vies ?
29
C. LA PLACE DE L'IMAGE A L'ÉCOLE
1. LA PÉDAGOGIE
DE L’IMAGE
« Beaucoup de penseurs
que nous sommes dans
nante, l’école doit faire
ner comme objectif de
considèrent que, justement, parce
une société où l’image est domiabstraction de l’image et se donformer en priorité au concept. »
Philippe Meirieu, chercheur, écrivain, L’Évolution du statut de l’image dans
les pratiques pédagogiques (2003)
« De même que la diffusion des livres et
de la presse a rendu nécessaire, dans
le passé, une pédagogie de la lecture et
de l’explication des textes, de même,
aujourd’hui, la diffusion des images exige
que l’enseignement considère leur emploi,
non plus de façon épisodique et empirique,
mais selon un programme systématique,
assorti de méthodes appropriées. »
Léonce Peyrègne, inspecteur général de l’Éducation nationale,
« Pour une pédagogie de l’image », Communications, 2, 1963
30
Le dictionnaire Le Robert donne trois sens
au mot image : le premier se rapporte à
la reproduction visuelle d’un objet réel
ou à sa reproduction par l’intermédiaire
d’un système optique, c’est-à-dire la
photographie ou la reproduction artistique d’une certaine réalité ; l’image peut
aussi être une représentation, par les
arts graphiques ou plastiques, comme
les images d’Épinal, au xixe siècle ; au fil
du temps, l’image a étendu son emprise
en même temps que sa fascination sur
l’esprit humain.
Aujourd’hui encore, comme l’affirmait
l’inspecteur Léonce Peyrègne, il est
nécessaire d’éduquer à l’image en tant
que mode de représentation et de lutter
pour l’acquisition d’une culture photographique, audiovisuelle et cinématographique. Ces médiums doivent devenir systématiquement objet et matière
d’enseignement, tant ils possèdent la
faculté de développer les relations sensibles et de se fixer dans l’inconscient
et la mémoire. L’enseignement général,
tel qu’il est conçu dans la plupart des
pays, néglige en effet l’étude plastique
des arts. Pourtant, ces images participent grandement à l’accroissement des
connaissances, que ce soit par l’exercice
du jugement et du sens critique mais
aussi par la formation au goût et le développement du sens civique et social.
Leurs dimensions sociologique, culturelle, historique et idéologique permettent aux élèves d’élargir l’horizon
de la réalité. L’image allume la passion,
soulève des questions, aborde des problèmes. Elle est support de parole et de
nombreuses interrogations lorsque l’on
aborde l’exercice du regard. Il faut aussi
prendre le temps de l’observation, de
l’extrême attention. Pour des élèves des
filières d’arts ou arts appliqués, il est
donc important d’élucider les secrets de
la composition et du cadrage afin de véhiculer l’émotion ou de faciliter la lecture.
On apprend, dans ces sections, comment
mettre en valeur un élément, comment
jouer d’outils comme la surimpression,
ou du contexte comme le contre-jour.
Il est nécessaire d’éduquer à l’image, non
seulement en tant que représentation,
mais aussi pour connaître les risques
et les limites de ce média. En effet,
l’image n’est en aucun cas une mécanique de transmission passive. JeanClaude Carrière, écrivain et cinéaste,
insiste très justement sur le fait que les
images ont toujours besoin d’une médiation et qu’il faut les manipuler avec précaution : puisqu’elles sont images, par
nature, elles ne sont pas la réalité ; elles
sont parcellaires, tronquées, incomplètes. Apprendre à lire une image et la
décrypter, en évitant les contresens et
les interprétations abusives, est donc
fondamental pour se prémunir de ses
dangers. Cette éducation a une fonction
préventive : celle d’empêcher que l’élève
ne soit qu’un spectateur passif et puisse
être potentiellement soumis aux manipulations médiatiques. L’amener à prendre
conscience des idéologies que véhiculent
certaines images est un pré-requis pour
s’approprier les outils de création de
l’image. La pédagogie de l’image est
donc essentielle pour des élèves d’arts
appliqués qui, en plus d’évoluer dans un
monde rempli d’images, donnent à voir
celles qu’ils produisent.
À la lumière des événements survenus
au début de l’année 2015 et de l’attentat contre les dessinateurs de presse de
Charlie Hebdo, la liberté d’expression et
les messages que véhiculent les images
sont d’autant plus à défendre et sont
matière à éducation.
Détail du dessin
de presse par Luz en
couverture du Charlie
Hebdo n°1178, 2015
31
2. LA PÉDAGOGIE
PAR L’IMAGE
L’image s’est attiré le mépris et la méfiance
des premiers philosophes : Platon la percevait trompeuse et source de préjugés,
puisqu’elle était sensible et changeante.
Elle détournait l’attention du disciple
de la parole du maître, seul vecteur des
Idées véritables et du Savoir. Seuls certains philosophes lui ont attribué des
pouvoirs bénéfiques, comme Cicéron qui
cite ses trois caractéristiques :
Cependant, des gravures comme celles
de Benoît-Louis Prévost, par exemple,
ne sont pas réellement pédagogiques.
Elles tiennent plus de l’allégorie que de
dessins pédagogiques, notamment le
frontispice réalisé pour la couverture de
l’ouvrage.
« Docere, delectare, movere »
(instruire, plaire, émouvoir)
L’éducation par l’image a donc mis longtemps avant de dépasser le stade de la
simple illustration ou de l’image d’Épinal : longtemps, en effet, elle n’a revêtu
qu’un rôle d’enluminure, agrémentant le
texte et destinée à atténuer l’austérité de
l’apprentissage. Seuls les cartes de géographie, les graphiques et les schémas
étaient considérés comme de « bonnes
images » car ce sont des images rationnelles : en d’autres termes, ce sont des
images qui ont perdu leur spécificité
propre : être porteuse de sens multiples.
L’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, en revanche, qui se revendique
Dictionnaire universel des Arts et des
Sciences illustré, se compose de dix-sept
volumes de texte et de onze volumes
de planches d’illustrations : celles-ci
endossent un rôle explicatif, à une
époque où la majorité des Français
est illettrée.
32
« La Peinture occidentale de Moyen-Age s’épanouit, aux xiie et xiiie siècles dans les églises
et monastères. Elle se développa au xive siècle,
surtout dans le nord de la France, grâce à l’emploi
des couleurs à l’huile et des tableaux ortatifs.
C’est de ce moment que commencent à se distinguer les Écoles nationales modernes. »
Les Grandes Découvertes, série encyclopédique
Glucq, Imagerie d’Épinal, n°3809, Pellerin & Cie,
Le grand livre des images d’Épinal
Ce que l’on nomme « l’enseignement par
les yeux » ne gagnera l’école que dans la
seconde moitié du xixe siècle, à travers
manuels illustrés et planches didactiques
qui deviendront alors auxiliaires, compléments ou supports de l’éducation,
pérennisant le souvenir par une exposition permanente aux yeux de l’élève. Ce
remarquable développement est favorisé
d’abord par des avancées techniques.
Dès 1796, la lithographie permet la reproduction fidèle des dessins, contribuant
ainsi à l’émergence et au développement
de l’album, nouveau type de livre voué
aux images. Dans les années 1830, les
supports illustrés se diversifient : livres,
magazines, imagiers, jeux, puzzles se
développent à destination des familles
aisées. Cette production se sépare de
l’univers didactique purement scolaire.
La loi Guizot notamment, promulguée en
1833, organise l’enseignement primaire
et préside à l’élaboration de manuels
spécifiques à l’instruction publique. Les
instructions officielles recommandent
l’observation directe, mais quand celle-ci
n’est pas possible, c’est à l’image de
prendre le relais.
Frontispice de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert,
illustration de Benoît-Louis Prévost, 1751
33
C’est à partir des années 1880 que la
pédagogie par l’image triomphe dans
l’enseignement, notamment grâce aux
« leçons de choses ». Dès le début du xxe
siècle, l’image investit tous les supports
pour la jeunesse, aussi bien scolaires que
de loisirs. Sa nécessité pédagogique est
universellement admise. Cependant, si
les manuels illustrés concernent surtout
l’apprentissage des langues ou de la
lecture, ils ne concernent que très peu
la science.
« La fonction de l’image – tantôt support,
tantôt auxiliaire, tantôt complément de
la leçon orale – est différente suivant les
cas. Outil mnémotechnique, elle remédie à
l’abstraction du signe typographique en lui
associant une représentation concrète ; elle
élargit les connaissances par l’évocation
thématique d’univers inconnus ; ou encore,
par des procédés graphiques d’animation,
de personnification ou de réification du
signe typographique, elle s’offre à des
appropriations ludiques variées. »
En effet, dans les milieux scientifiques,
le concept prévaut toujours sur l’image.
Dans ce cadre, l’éducation par l’image
peine à être mise en application puisque
seule la représentation géométrique est
considérée comme acceptable. La focale
n’est pas mise sur le contenu graphique
de l’image, mais sur ce qu’elle représente
de façon schématique. Elle se réduit au
vecteur de la représentation mentale
d’une idée. L’image scientifique est donc
objective, non sujette à l’interprétation
et support premier de la transmission
des résultats.
INRP, Voir-savoir, La Pédagogie de l’image aux temps de l’imprimé
Leçon de choses, Planche 138, L’orange, ©Deyrolle
34
Les images de la science ont aussi la particularité d’être, le plus souvent, l’interprétation d’un réel qui nous est invisible.
En effet, comme le souligne Jean-Pierre
Mohen, notre œil ne peut capter que certains photons, ceux qui correspondent
aux ondes visibles. Cette part ne compose
que 3 % des ondes électromagnétiques
de l’Univers. Toutes les autres informations sont contenues dans les équations
mathématiques de manière non tronquée. Ceci constitue l’un des grands problèmes des scientifiques : trouver à la
fois des mots pour décrire les images que
nous ne pouvons pas voir et des images
pour illustrer les mots. Les scientifiques
sont donc limités, d’un côté, par le vocabulaire, de l‘autre par l’arbitraire de la
représentation. La plupart des images
de ce type sont alors appelées « vues
d’artistes » ; leur profusion et leur esthétisme ne font qu’obscurcir le ciel au lieu
de le dévoiler, regrette l’astrophysicien
Michel Cassé.
« Ce que nous appelons le visible n’est qu’une
partie très limitée de notre vision. »
Jean-Pierre Mohen, ancien directeur du Centre de Recherche et de
Restauration des musées de France, Histoire secrète des chefs-d’œuvre, 2001
Or, la représentation scientifique possède aussi un potentiel d’abstraction
utile à la science et surtout à la vulgarisation et à la pédagogie de celle-ci, comme
le prouve l’exposition Mathématiques : un
dépaysement soudain, qui s’est tenue à la
fondation Cartier d’octobre 2011 à mars
2012. La communauté des scientifiques
et celle des artistes se sont jointes pour
donner à voir le fruit de leur alliance, fait
de beauté, de poésie, d’enthousiasme et
de drôlerie.
Affiche de l’exposition
Mathématiques : un
dépaysement soudain,
Fondation Cartier pour
l’art contemporain,
2011-2012
35
    A. LA PHYSIQUE
    B. LA CHIMIE
    C. L’ENSEIGNEMENT SCIENTIFIQUE
II. L
ES MATIERES
SCIENTIFIQUES
A. LA PHYSIQUE
1. UNE SCIENCE
NATURELLE
Comme l’art ou la littérature, les sciences constituent un élément
à part entière de la culture humaine. Leur histoire nous éclaire
sur le monde contemporain, à un moment où les techniques qui
en sont issues semblent échapper à la maîtrise humaine. La
connaissance de l’histoire de cette discipline est aussi la meilleure façon d’inviter la nouvelle génération à plonger dans l’univers de la recherche scientifique.
La physique est définie par le dictionnaire Le Robert comme une science qui
étudie les propriétés générales de la
matière et qui établit des lois rendant
compte des phénomènes matériels. Cette
étude s’effectue par le biais d’expérimentations et par l’élaboration de concepts
qui recouvrent de nombreux domaines,
allant de l’acoustique à l’optique, en passant par l’électricité et le magnétisme.
Étymologiquement, le mot physique
trouve sa racine dans le latin physica
qui désigne la physique et les sciences
naturelles, lui-même emprunté au grec
φυσική, phusikê « l’observation ou l’étude
des choses de la nature», dérivé de φύσις,
phúsis, l’origine, la nature ou la constitution de toute chose.
Extrait des Caractères de
Chymie d’après Antoine
Lavoisier, Encyclopédie
de Diderot et d’Alembert,
1751
38
Symboles de la terre,
du feu, de l’eau,
de l’air, d’après les
écrits d’Aristote
2. LES GRANDES
DÉCOUVERTES
Prétendre à condenser l’histoire d’une telle science n’étant pas
envisageable, je citerai donc de façon chronologique les grandes
découvertes qui ont fait avancer, conjointement ou par répercussion, le monde des sciences et celui du design.
Durant l’Antiquité, certains philosophes
se sont particulièrement intéressés aux
caractéristiques de notre planète et de
son système solaire. Encourageant l’étude
des processus naturels qui régissent le
monde, Aristote donne notamment de
l’essor à la physique, grâce à sa décomposition des êtres naturels en cinq éléments : ainsi, la Terre s’approche des
solides, l’Eau des liquides, l’Air des différents gaz, le Feu du plasma et l’Éther, de
la substance des étoiles et des planètes. Il
établit également des causes et des principes permettant d’aborder l’étude d’un
objet ou d’un mouvement. Cependant,
ces théories sont avant tout pensées
comme des questions philosophiques.
Considéré comme l’un des principaux
scientifiques de l’Antiquité classique,
Archimède innove dans les mathématiques et la physique. Il aborde la mécanique statique, le principe du levier et
l’étude des fluides immobiles, appelée
hydrostatique.
Une véritable avancée se produit au xvie
siècle avec le Polonais Nicolas Copernic.
Médecin, astronome et clerc, il développe
la théorie de l’héliocentrisme, selon
laquelle le Soleil se trouve au centre de
l’Univers et la Terre révolutionne autour
de lui ; ce disant, il se dresse contre la
croyance répandue que cette dernière est
centrale et immobile. Les conséquences
de cette découverte opèrent alors une
véritable révolution, d’un point de vue
philosophique, religieux et scientifique.
39
Au xviie siècle, Galilée poursuit la révolution copernicienne en posant les bases
de la mécanique et de la physique. Ce
mathématicien, géomètre, physicien et
astronome initie la généralisation des
mesures, en particulier celles du temps,
et effectue des essais concernant la résistance des matériaux. Avec lui, la physique s’impose comme la première des
sciences exactes modernes.
Au tout début du xviie, dans son ouvrage
intitulé Astronomia Nova, Johannes
Kepler, fervent copernicien, expose
les trois relations mathématiques qui
régissent les mouvements des planètes
et des orbites. Il est alors précurseur de
la gravitation universelle et de l’optique
– qu’il nomme dioptrique – en abordant les principes fondamentaux de la
lumière, la chambre obscure, les miroirs
ou la réfraction. Cette dernière et la
réflexion sont alors théorisées et décrites
par Willebrord Snell et René Descartes.
La méthode scientifique exposée à partir
de 1628 par celui-ci, fondée sur l’observation, l’expérience, le raisonnement et le
calcul, place Descartes en tant que fondateur de la physique moderne.
Il opère ainsi de grandes avancées dans
le domaine de l’optique, tout comme
Isaac Newton, mathématicien, physicien
et alchimiste, lorsqu’il étudie la réfraction de la lumière et démontre que le
prisme décompose la lumière blanche en
un spectre de couleurs visibles. Newton
publie son traité, Opticks, en 1704 : il
expose sa théorie corpusculaire de la
lumière, son étude de la réfraction, de
la diffraction de la lumière et sa théorie
des couleurs. En mécanique, il établit les
lois universelles du mouvement qui sont
à la base de la mécanique newtonienne,
dite « classique ». Celles-ci s’appliquent
40
à la gravitation et à ses effets sur les
orbites des planètes, selon les références
des lois de Kepler sur le mouvement des
planètes. Son ouvrage majeur, Principes
mathématiques de la philosophie naturelle, publié en 1687, marque un tournant
pour la physique : il y avance le principe
d’inertie, la proportionnalité des forces
et des accélérations, l’égalité de l’action
et de la réaction, les lois des collisions ;
il montre aussi la théorie de l’attraction
universelle. En plus de ses contributions
à la physique, Newton a élaboré les principes fondateurs du calcul infinitésimal
et les suites infinies.
« Ne tenez pour certain que
ce qui est démontré. »
Isaac Newton
Cette phrase illustre
très bien la physique
du XIXe siècle, c’està-dire de la physique
déterministe. Elle sera
remise en question
au XXe siècle par la
physique quantique.
Planisphère selon
Copernic, par Andreas
Cellarius, Harmonia
Macrocosmica, 1708
C’est Augustin Fresnel, en 1815, qui s’opposera aux théories corpusculaires de
Newton, en proposant une explication
à tous les phénomènes optiques, via la
théorie vibratoire de la lumière. Il devient
ainsi le fondateur de l’optique ondulatoire moderne et le précurseur de Louis
de Broglie. Henri Navier, ingénieur et
mathématicien, établit en 1821 les équations décrivant le mouvement des fluides,
que nous connaissons sous le nom de loi
de Navier-Stokes, déterminante pour la
mécanique des fluides ; il élabore également des calculs sur la résistance des
matériaux qui lui permettent de devenir
l’expert français des ponts suspendus.
41
Le domaine de l’électricité commence
à être réellement appréhendé en 1820,
lorsque Hans Christian Ørsted et AndréMarie Ampère découvrent, au moyen de
l’électroaimant, la relation entre électricité et magnétisme. Ces lois seront
décrites par Michael Faraday, JeanBaptiste Biot et Félix Savart, pour être
finalement mises en forme ultérieurement
par James Clerk Maxwell. Les découvertes
se succèdent : en 1831, Michael Faraday
découvre l’induction électromagnétique,
c’est-à-dire la création d’un courant
dans un conducteur à partir d’un champ
magnétique ; enfin, en 1869, Zénobe
Gramme, invente la dynamo, base de la
production d’électricité dans l’industrie.
En 1865, à travers son traité intitulé A
Dynamical Theory of the Electromagnetic
Field, James Clerk Maxwell révolutionne
la physique, unifiant en quatre équations
différentielles l’électricité, le magnétisme et l’induction, d’après le théorème
d’Ampère, qui était, à l’époque, le modèle
d’équation le plus complet ; il permettra
d’importants travaux ultérieurs en relativité restreinte et en mécanique quantique. Maxwell émet l’hypothèse que :
Cette relation entre lumière et électromagnétisme s’est révélée exacte et elle
est considérée comme l’une des plus
grandes découvertes du xixe siècle dans
le domaine de la physique. Maxwell est
également connu pour avoir réalisé,
en 1861, la première photographie en
couleurs. Cependant, il faudra attendre
Gabriel Lippmann, Prix Nobel de physique en 1908, et sa méthode de reproduction des couleurs en photographie
basée sur le phénomène d’interférence,
pour voir apparaître distinctement l’ensemble des longueurs d’ondes visibles
sur la photographie.
Admirateur de la pensée de Maxwell,
Heinrich Rudolf Hertz découverte les
ondes électromagnétiques présentes
dans l’air en 1888, au hasard d’une manipulation. L’oscillation entre deux sphères
chargées, l’une d’électricité positive,
l’autre d’électricité négative, lui permet
de calculer la fréquence et la vitesse de
propagation des ondes et de considérer
les radiations électriques comme des
radiations lumineuses de grande longueur d’ondes, ouvrant le chemin à toutes
les fréquences, qu’elles soient radioélectriques, radar ou autres.
« L’accord des résultats semble montrer que la lumière
et le magnétisme sont deux phénomènes de même nature
et que la lumière est une perturbation électromagnétique
se propageant dans l’espace suivant les lois de l’électromagnétisme. »
James Clerk Maxwell
42
Avec sa découverte, à la fin des années
1800, des rayons X, qui lui valut le Prix
Nobel de physique de 1901, Wilhelm
Röntgen ouvre le chemin d’une médecine
et d’un diagnostic plus précis. Il est suivi
de près par le physicien Henri Becquerel,
qui découvre par hasard la radioactivité,
partageant ainsi le Prix Nobel de 1903
avec Pierre et Marie Curie.
Alors que le physicien Ernest Rutherford,
également Prix Nobel de chimie en 1908,
découvre que la radioactivité s’accompagne d’une désintégration des éléments
chimiques, il bouleverse le concept d’indestructibilité de la matière prôné par
la science de l’époque. Pierre Curie luimême n’accepta cette idée que deux ans
plus tard. Toutefois, les radiations étudiées par ces physiciens font également
avancer la médecine via la radiothérapie.
Lorsque Albert Einstein publie sa théorie de la relativité restreinte, en 1905,
et sa théorie de la gravitation dite relativité générale, en 1915, il contribue, lui
aussi, largement au développement de
la mécanique quantique et de la cosmologie. Il reçoit le Prix Nobel de physique
en 1921 pour son explication de l’effet
photo-électrique.
Louis de Broglie, Prix Nobel de physique
en 1929, découvre, pour sa part, la nature
ondulatoire des électrons. Celle-ci sera
validée par Schrodinger en 1927. D’après
lui, l’électron, qui est une particule, peut
également être une onde : il s’agit de la
dualité onde-particule.
Alors que l’industrie et la recherche se
stimulent mutuellement, la première
devenant l’application de la seconde,
cette dynamique continuera à s’accentuer
plus tard avec la Révolution numérique.
De nos jours, le domaine de la physique
se porte bien en France, grâce à des
scientifiques comme Albert Fert, spécialiste de physique de la matière condensée, ou dans le domaine de la physique
nucléaire, avec le physicien Georges
Charpak, récemment décédé. Mais le
réel défi se situe au plan de ce que l’on
nomme la « théorie du tout ».
Il s’agit là, à l’instar de Newton ou de
Maxwell, de réunifier les forces connues
comme les interactions gravitationnelle,
électromagnétique, électrofaible et forte.
Actuellement, la principale tentative de
théorie est celle des supercordes, développée par l’astrophysicien Stephen
Hawking, elle est actuellement incomplète et la théorie du tout reste encore
un fantasme.
Page de garde d’Opticks,
ouvrage de Newton,
1704
43
B. LA CHIMIE
1. DE L’ALCHIMIE
À LA CHIMIE
La physique et la chimie incarnent deux matières scientifiques
qui ont pour objectif commun d’analyser, de théoriser et de modéliser la nature qui nous entoure, ceci afin de nous permettre de
mieux comprendre notre environnement. Cependant, l’interdisciplinarité du monde scientifique actuel fait qu’il est souvent difficile de différencier leurs évolutions respectives, d’autant que les
avancées de la physique, devenue actuellement hégémonique,
ont refondé en partie la chimie.
La chimie est définie par Le Robert comme
la science de la constitution des divers
corps matériels, de leurs transformations
et de leurs propriétés. Elle consiste donc
en l’étude de la constitution atomique et
moléculaire de la matière ainsi que des
interactions et des transformations spécifiques de ses constituants entre eux. Elle
fournit des produits nouveaux et révèle
ou invente des structures moléculaires.
La figure de l’Ouroboros,
en alchimie, a inspiré la
structure du benzène.
44
Le mot chimie possède plusieurs étymologies. Son origine la plus probable
est un mot latin médiéval (xiiie siècle),
la chimia ou chymia qui se rapportait en effet à l’art de transformer les
métaux, c’est-à-dire à l’alchimie. Ce mot
est emprunté au grec médiéval χυμεία,
khumeia, composé de la racine -χυμός, le
suc, qui se rapportait à l’action de mélanger ensemble des liquides. On peut donc
dater l’apparition de la chimie du Moyen
Âge, ce qui coïncide avec la maîtrise du
feu à des fins expérimentales. Les transformations que celui-ci peut effectuer sur
la matière engendrent un engouement
à propos des métaux, et de leurs propriétés, qui se concrétise par l’alchimie.
Ses adeptes deviennent ingénieurs ou
pharmaciens en se penchant sur les gaz,
atomes, acides et bases. Elle a été pratiquée par Isaac Newton de 1668 à 1675.
Selon Serge Hutin, écrivain :
« Les alchimistes étaient des “ philosophes ” d’un genre
particulier, qui se disaient dépositaires de la Science par
excellence, contenant les principes de toutes les autres,
expliquant la nature, l’origine et la raison d’être de tout
ce qui existe, relatant l’origine et la destinée de l’univers
entier. »
Le mot alchimie, quant à lui, provient du
latin médiéval alchemia, lui-même issu de
l’arabe ‫ءايميكلا‬, āl-kymyā. C’est alors une
pseudo-science qui instaure les notions
de quantités, de mesure et d’exactitude.
Les expérimentations mènent à une sorte
de proto-chimie : c’est pourquoi les mots
alchimie et chimie resteront synonymes
et interchangeables jusqu’à la fin du
xviie siècle. Ce n’est qu’au cours du xviiie
siècle qu’ils se distinguent : alors que
l’alchimie décline, sans toutefois disparaître, la chimie moderne s’impose avec
les travaux de Lavoisier.
Frontispice de l’Alchemiae
Gebri Arabis, Bernae,
1545
45
2. FIGURES TUTÉLAIRES
L’histoire de la chimie est intrinsèquement liée à la volonté de l’homme de
comprendre la nature et les propriétés de
la matière, plus particulièrement la façon
dont celle-ci existe ou se transforme. Les
expériences d’Antoine Lavoisier sont
parmi les premières jamais exécutées à
être véritablement reproductibles : c’est
en ce sens qu’il assure le passage de
l’alchimie – souvent imaginaire et peu
expérimentale – à la chimie, dont il est le
fondateur. Il publie, en 1787, la Méthode
de nomenclature chimique, qui étudie et
décrit une nomenclature chimique pour
certains éléments comme l’oxygène et
l’hydrogène, découvrant ainsi la composition de l’air. Réalisé notamment avec
le chimiste Claude Louis Berthollet, ce
système est en grande partie encore
utilisé aujourd’hui.
Au cours de ses recherches, Lavoisier
détermine aussi la nature du phénomène
de combustion. Le rôle du dioxygène est
mis en valeur dans ce processus d’oxydation rapide mais également dans la respiration animale et végétale. S’intéressant
aux changements d’états dans la réaction
chimique, il établit une loi de conservation de la matière.
Les années 1820 marquent les débuts
de la chimie organique, ou chimie des
composés dits « organisés ». Leur analyse élémentaire permet alors de les
séparer et de les classer. C’est grâce à
Jöns Jacob Berzélius que chaque corps
simple est représenté par un symbole,
pouvant être associé à d’autres pour
former une famille. La classification
périodique des éléments est établie peu
après, en 1869, par Dmitri Mendeleieïv.
L’étude de l’élément permet de s’intéresser à l’atome, puis à l’isotope, aux ions,
et de décomposer les molécules et les
liaisons chimiques.
Tableau périodique des éléments
de Dmitri Mendeleieïv , 1869
46
Cependant, la représentation des éléments
n’est pas encore codifiée et, en 1860, il y
a dix-huit possibilités de transcrire l’acide
acétique. Kekulé Von Stradonitz propose
alors en 1866 une façon de représenter
les composés via un modèle astucieux
de forme hexagonale. Alors que Ludwig
Eduard Boltzmann se pose en défenseur
de l’existence de l’atome, jusque là non
démontrée, c’est Ernest Rutherford qui
démontre, en 1911, l’existence d’un noyau
atomique, dans lequel est réunie toute la
charge positive et presque toute la masse
de l’atome.
À la même époque, Max Planck découvre
la loi spectrale du rayonnement d’un
corps noir, la notion de photon ainsi que
l’effet photoélectrique, ce qui révolutionne à la fois la physique et la chimie.
Travaillant de pair avec lui, Walther
Hermann Nernst s’intéresse également
aux domaines de l’électrochimie, de
la thermodynamique, et plus spécialement de la chimie du solide et de la
photochimie. Il obtient le Prix Nobel de
chimie en 1920.
Tableau périodique de
l’IUPAC (International
Union of Pure and
Applied Chemisty),
2007
47
Au xixe siècle, la biochimie se développe
aussi, enfin débarrassée des tabous de
l’Église. Elle concerne l’étude des mécanismes vivants à travers leurs réactions
chimiques.
Les bases des réactions chimiques sont,
elles aussi, étudiées : solutions, émulsions, acides et bases permettent d’introduire la chimie des polymères et la
création de nouveaux matériaux de synthèse. Ceux-ci sont créés par dizaines,
notamment pendant la Seconde Guerre
mondiale, qui devient ainsi un banc
d’essai pour mesurer les avancées technologiques des uns et des autres. Irène
Joliot-Curie, fille de Pierre et Marie Curie,
et son mari, Frédéric Joliot découvrent
comment synthétiser de nouveaux éléments radioactifs et reçoivent le Prix
Nobel en 1935. Peu après, Frédéric Joliot
s’intéressera directement à un projet de
bombe atomique. Celle-ci ne sera réalisée que plus tard, avec Otto Hahn, lauréat du Prix Nobel de chimie de 1944.
Considéré comme le père de la chimie
nucléaire, celui-ci découvre la fragmentation de l’uranium en deux noyaux plus
légers, phénomène qui est appelé fission
nucléaire et qui a marqué le début de la
production d’énergie nucléaire ainsi que
les prémices de la bombe nucléaire.
En 1952, Archer Martin et Richard Synge
reçoivent le Prix Nobel de chimie pour
leur invention de la chromatographie
de partage, une méthode de séparation
de molécules, ce qui permet un bond en
avant dans l’analyse chimique et biologique. La sidérurgie et la chimie organique se développent grandement ; on
passe du caoutchouc naturel à un caoutchouc artificiel et on invente des composés tel le polychlorure de vinyle (PVC), le
polystyrène ou les résines phénoliques.
48
Karl Ziegler et Guilio Natta, notamment,
co-lauréats du Prix Nobel de chimie 1963,
se consacrent à l’étude de la structure
cristalline des polymères et améliorent
nettement leur synthèse.
Prix Nobel de chimie de 1991, Richard
Ernst développe la spectroscopie de
la résonance magnétique nucléaire
(RMN), impulsant chimie organique et
inorganique, science des matériaux et
biochimie, mais aussi médecine par
extension, avec l’imagerie par résonance
magnétique nucléaire (IRM).
Photographie d’Irène Joliot-Curie rencontrant
Albert Einstein à Princeton aux États-Unis, 1948
La chimie s’est donc, depuis son origine,
élevée au rang de science à part entière,
permettant de comprendre les phénomènes et d’obtenir une connaissance
théorique des techniques. De ce fait, la
diversité des propriétés chimiques est
mise à profit, tant elle possède un rapport éviwdent avec l’industrie, la nature,
la santé ou encore l’espace ; autrement
dit les domaines touchant au design
à travers la recherche, l’ergonomie et
l’innovation.
« La Science n’est plus
à même de fournir aucune
certitude, mais des
propositions temporaires qui
se métamorphoseront aussi
vite que nos
certitudes d’hier. »
Ilya Prigogine, Prix Nobel de chimie, 1977
Ce physicien, met ici en avant la réalité
de la recherche : désormais, la Vérité
absolue, défendue par les philosophes,
n’existe plus, même en ce qui concerne
les domaines scientifiques. Une découverte est considérée comme viable
jusqu’à ce que l’on prouve le contraire.
C’est ce qu’a fait Einstein lorsqu’il a remis
en question le postulat* de base de la
physique qui est que « le temps s’écoule
de façon uniforme quelle que soit la position de l’observateur dans l’Univers » afin
de théoriser la mécanique relativiste. Ce
ne sont donc que des propositions, ou
des modèles qui constituent la Science
actuelle, et qui doivent être transmises
aux élèves.
* On nomme postulat (du latin postulare qui signifie demander) un principe non démontré utilisé
dans la construction d’une théorie.
49
C. L'ENSEIGNEMENT SCIENTIFIQUE
1. AVANT LE
BACCALAURÉAT
Tout au long de son parcours scolaire, l’élève bénéficie d’un
enseignement scientifique varié, qui lui permet globalement de
se construire une représentation cohérente du monde dans lequel
il vit. Par ailleurs, l’approche qualitative des sciences ne doit
pas être une suite d’affirmations qu’il faudrait croire, comme le
souligne le physicien Henri Poincaré, mais une suite d’activités
permettant aux élèves de prendre conscience de l’importance
d’argumenter, de raisonner, de vérifier, en un mot de réunir
bon nombre d’éléments nécessaires à toute démarche réflexive.
Chaque enfant doit pouvoir ainsi approfondir sa compréhension
des objets et des phénomènes qui l’entourent et développer sa
curiosité, sa créativité et son esprit critique.
Les objectifs, les savoirs, et les savoirfaire progressent durant la scolarité de
l’élève. À l’école élémentaire, pendant le
Cycle II, du CP au CE2, l’enfant découvre
le monde qui lui est proche à travers
les apprentissages fondamentaux. Il
apprend à se repérer dans l’espace et
le temps, découvre le monde du vivant,
de la matière et des objets ; il apprend
à utiliser une syntaxe adaptée, composée de connecteurs logiques tels « parce
que » ou « donc » et à utiliser des repères
spatiaux et temporels. Il adopte un autre
point de vue que le sien et sa confrontation avec la pensée logique lui donne le
goût du raisonnement. Il devient capable
de compter, de classer, d’ordonner et de
décrire grâce au langage et au dessin. Il
commence à comprendre ce qui distingue
le vivant du non-vivant.
Le Cycle III, qui va du CM1 à la 6e, est
celui des approfondissements. Les
sciences expérimentales et la technologie sont abordées. Elles ont pour objectif de faire comprendre et de décrire le
monde réel, celui de la nature et celui qui
est construit par l’homme, d’agir sur lui et
de maîtriser les changements induits par
l’activité humaine. Leur étude contribue à
faire saisir aux élèves la distinction entre
50
faits et hypothèses vérifiables d’une part,
opinions et croyances d’autre part.
Le programme scolaire concerne la
matière, le monde vivant, l’environnement, l’hygiène et la santé, l’énergie,
le ciel et la terre, mais aussi le monde
construit par l’homme et les technologies de l’information. Il s’agit avant tout
d’une approche qualitative : les enfants
dénombrent des objets, réalisent des
mesures, font varier des paramètres mais
ne modélisent pas encore les phénomènes sous la forme de formules.
« On fait une science avec
des faits, comme on fait une
maison avec des pierres,
mais une accumulation de
faits ne fait pas plus une
science qu’un tas de pierres
une maison. »
Henri Poincaré , La Science et l’Hypothèse, 1917
À partir du collège, l’enseignement
scientifique s’étoffe : physique-chimie,
sciences de la vie et de la terre, mathématiques... Le défi consiste à garder un
contact avec le réel, étant donné que les
sujets d’étude portent souvent sur des
objets dont la taille est inférieure au millimètre ou supérieure à l’entendement.
Certains enseignants peinent à aborder
efficacement les notions scientifiques ;
c’est pourquoi des associations peuvent
intervenir ponctuellement. La Fondation
« La Main à la Pâte », par exemple, lancée
depuis 1996, à l’initiative de Georges
Charpak, Prix Nobel de physique 1992,
de Pierre Léna, astrophysicien, d’Yves
Quéré, physicien, et de l’Académie des
Sciences, vise à rénover l’enseignement
des sciences et de la technologie à l’école
primaire et au collège, en favorisant un
enseignement fondé sur une démarche
d’investigation scientifique. Exploration
du monde, apprentissage scientifique,
expérimentation et raisonnement, maîtrise de la langue, argumentation et éducation à la citoyenneté sont alors associés
afin de former un socle de connaissances
solide, et les résultats de cette initiative sont à présent évalués de façon très
prometteuse.
Cependant, ces initiatives pédagogiques
viennent au secours d’une matière qui,
depuis les années 80, tend à s’appauvrir
au vu de la réduction des programmes
qui intervient à chaque réforme.
51
2. SÉRIES GÉNÉRALES
ET TECHNOLOGIQUES
Cette mission éducative se poursuit au lycée, selon un nombre
d’heures variant avec l’orientation que l’élève aura choisie. La
culture scientifique est, en effet, indispensable dans un monde
où le développement technologique et l’activité scientifique
imprègnent la vie quotidienne à travers tous les objets de la vie
courante. En définitive, l’enseignement de la physique-chimie est
nécessaire d’un point de vue culturel et les programmes scolaires
permettent aux élèves d’acquérir progressivement des savoirs et
des compétences pour réussir l’examen du Baccalauréat, mais
surtout de les préparer à la poursuite d’études supérieures.
Le cursus S (scientifique) a pour vocation
de former de futurs ingénieurs ou techniciens. Les enseignements sont donc spécialisés et se déploient tout au long des
trois années de lycée. Les mathématiques
et les sciences expérimentales constituent la majorité des heures de cours,
avec le choix d’un enseignement de spécialité en Terminale (physique-chimie,
mathématiques, sciences de la vie et
de la terre, informatique, sciences du
numérique ou écologie, agronomie et
territoires). L’objectif de cette formation
est d’inculquer aux élèves ayant choisi
cette branche les compétences de base
de la démarche scientifique : observation, modélisation et action sur le réel
en constituent les grandes étapes. Leur
programme s’articule autour de grands
chapitres tels que les ondes et les particules, le temps, le mouvement, l’énergie,
la matière et son rayonnement ainsi que
le défi du développement durable.
52
Les cursus ES (économique et social)
et L (littéraire) sont, quant à eux, beaucoup moins tournés vers les sciences.
Pour preuve, la physique-chimie est une
matière faisant l’objet d’une épreuve
anticipée du Baccalauréat. Le programme
porte donc seulement sur le tronc commun de Seconde et de Première. Il comporte, comme principaux chapitres : la
représentation visuelle, nourrir l’humanité, le défi énergétique et le thème du
féminin/masculin. La science a la particularité d’être approchée d’un point
de vue social et critique, correspondant
aux questionnements que posent les
formations.
L’enseignement en ES est centré sur les
sciences économiques et sociales, les
mathématiques, et l’histoire-géographie
alors que l’enseignement en L est focalisé sur la langue française, l’étude de
textes littéraires, la philosophie et l’apprentissage des langues vivantes, ce qui
laisse peu de temps pour l’instruction des
sciences physiques.
Les séries technologiques, même si
elles possèdent un tronc commun tout
comme les séries générales, abordent
en outre des domaines très spécifiques,
l’objectif étant de préparer les élèves à
des formations plus approfondies ou de
les conduire directement à une insertion
dans la vie professionnelle. Les enseignements transversaux favorisent la polyvalence tandis que les enseignements
technologiques sont adaptés à chaque
série, permettant aussi à chaque élève
d’approfondir le domaine de son choix.
Réformées dans les années 2000, les
filières STD2D (Sciences et Technologies
de l’industrie et du Développement
Durable), STL (Sciences et Technologies
de Laboratoire), ST2S (Sciences et
Technologies de la Santé et du Social) ou
encore STMG (Sciences et Technologies
du Management et de la Gestion)
abordent des programmes scientifiques
totalement différents.
Exemples de travaux
pratiques de chimie
Par exemple, le programme de la filière
STI2D aborde l’architecture, la construction et l’écoconception, alors que la
série STL se penche sur les sciences physiques et chimiques en laboratoire et les
biotechnologies.
53
3. EN ARTS APPLIQUÉS
Un programme de sciences physiques a
été spécialement conçu pour les élèves
de la formation technologique STD2A. Il
s’agit, en effet, d’une physique dite appliquée, en liaison totale avec la formation
principale. Tout au long de leur scolarité
en arts appliqués, les élèves suivront
donc à la fois des cours théoriques et
pratiques, comme le montre ce tableau
comparatif :
Physique-chimie
Mathématiques
Seconde
3h, TP : 1h30
4h
Première
3h, TP : 1h30
3h
Terminale
2h, TP : 1h
3h
SVT
1h30
/
/
Le volume des cours sous forme de travaux pratiques est en général choisi par
l’enseignant, en collaboration avec le
chef d’établissement, selon la dotation
globale horaire (DGH) et le matériel disponible. D’autre part, puisque le cursus
STD2A vise à susciter des vocations chez
les élèves, les chapitres sont variés afin
de passer en revue la culture des matériaux pour ceux qui se dirigeront vers une
formation plus axée sur l’espace, l’objet
ou l’architecture, mais aussi la perception de la couleur, ce qui est utile pour le
graphisme et le multimédia.
54
Tableau horaire du
volume des matières
scientifiques en STD2A
Durant les années de Première et de
Terminale, les cours de physique-chimie
abordent deux grands thèmes. Le premier
est :
Du monde de la matière au monde des
objets
« Un objet ne s’élabore pas à partir d’une
présupposée rupture avec le monde existant,
mais, au contraire, en lien étroit
avec une réalité qu’il viendra modifier. »
Pierre Charpin, designer, «Portrait», Intramuros n°101, 2002
Dans ces chapitres, les élèves étudient
la matière et le matériau dans leur globalité. Comme le souligne Pierre Charpin,
cette matière constitue la réalité dans
laquelle s’inscrivent les réalisations des
designers, il est donc primordial de commencer par la base de toute chose. Les
élèves apprennent les grandes familles
de matériaux, qu’ils soient métalliques,
organiques, composites ou minéraux,
ainsi que leurs propriétés physiques
associées. Celles-ci passent par le calcul
de la masse volumique ou de leurs déformations, à l’aide de formules et de différentes représentations dans l’espace.
55
Le deuxième thème est celui-ci :
Voir des objets colorés, analyser et
réaliser des images
« La couleur est le plus beau trait d’union
entre la science et l’art. »
Bernard Valeur, physicochimiste, La Couleur dans tous ses éclats, 2011
Ce thème s’articule autour de deux
chapitres principaux : la perception
de la lumière et celle des couleurs.
Premièrement, les élèves abordent la
vision à travers l’analyse anatomique de
l’œil, permettant ainsi de comprendre
pourquoi il est possible de reproduire
toutes les couleurs à partir de trois
teintes avec les synthèses additive et
soustractive, mais également d’expliquer
les couleurs des objets. L’étude des différentes lentilles permet de comprendre
la formation d’une image dans l’œil ou
dans un appareil photographique. Les
élèves s’intéressent aussi à la peinture
sous un angle scientifique, en étudiant
ses constituants – les diluants, les liants,
les charges et les pigments – qu’ils soient
naturels, d’origine minérale, végétale ou
animale. Les images du monde invisible
réalisées grâce à la microscopie, la gammagraphie, ou la stratigraphie constituent le dernier chapitre du programme.
56
L’enseignement de la physique en Arts
appliqués se déroule sur deux heures
hebdomadaires. Les professeurs qui souhaiteraient traiter des thèmes communs
au design et aux sciences physiques ne
peuvent intervenir en tant que co-enseignants qu’en accord avec le proviseur de
leur établissement.
De nombreux designers se sont donc
intéressés à l’alliance de ces disciplines
parallèles et complémentaires. La théoricienne du design Anne Bony considère
le design comme un métier, certes créatif,
mais surtout de service. Les productions
s’inscrivent dans les limites de la réalité
et doivent les prendre en compte dès la
phase de conception. Si Le Corbusier
disait de l’architecture qu’elle était un jeu
savant, correct et magnifique, de volumes
sous la lumière, un bon designer doit lui
aussi connaître les paramètres scientifiques et mathématiques pour être en
mesure de répondre aux contraintes techniques d’une réalisation dans l’espace et
le temps de façon appropriée, sensée et
innovante.
« Le designer du xxie siècle ne peut se passer
d’une culture scientifique approfondie,
nourrie des sciences cognitives,
de la biologie et de l’informatique. »
Anne Bony, Le Design : histoire, principaux courants, grandes figures,
Larousse, 2004
Mais au-delà du fait que les élèves
ne voient pas le rapport de la physique-chimie avec leur formation, un
autre véritable problème réside dans
l’investissement même des professeurs
de physique-chimie, ce fait est mis en
avant par la thèse de Véronique Lorillot,
Enseigner les Sciences physiques en
STI Arts appliqués : rapport aux savoirs
scientifiques et identité professionnelle.
Sans manuel, cette formation est difficile
à aborder à travers son aspect scientifique. En effet, de nombreux enseignants
rechignent à créer un contenu de cours
particulier car s’ils n’ont pas de classe
d’Arts appliqués l’année suivante, cet
effort ne sera pas amorti.
57
    A. LES ENJEUX DU PROJET
    B. UN LYCÉE QUI SE VEUT PILOTE
    C. LANCEMENT DU PROJET
III. LE PROJET
A. LES ENJEUX DU PROJET
1. CONVAINCRE LES
RÉFRACTAIRES
Le grand problème de l’étude des sciences physiques en arts
appliqués réside dans le déficit d’images de la matière. En effet,
l’abstraction des visuels existants n’éveille en rien l’intérêt des
élèves. Il faut donc se demander comment aiguiser leur curiosité,
voire plus, les passionner, pour qu’ils établissent une connexion
entre science et design.
L’écart entre l’univers abordé dans les
matières constituant la base des arts
appliqués et celui de la physique/chimie
peut produire une répulsion de la part
des élèves qui peinent à percevoir les
rapports sous-jacents existant entre ces
deux univers.
L’art de la Couleur,
Johannes Itten, 1988
60
La technicité de la matière et son rapport aux mathématiques constituent un
premier défi pour l’enseignant. En effet,
le professeur aborde rationnellement
des principes dont la classe n’a qu’une
approche sensible et intuitive. La couleur, par exemple, est dotée d’un fort
potentiel émotionnel : l’étudier sous
l’angle du mesurable peut facilement
braquer un élève, qui établit alors une
distance avec le cours et dissocie sa
propre réalité artistique de la réalité
scientifique. Pourtant, le designer, en
plus d’apporter des idées créatives, doit
endosser le rôle de l’ingénieur dans le
but de proposer des créations réalisables
répondant à une commande industrielle,
reproductible et commercialisable. Il
semble alors essentiel pour un élève de
savoir, par exemple, que la plupart des
plastiques sont issus du pétrole, et que,
si certains sont recyclables, d’autres ne
le sont pas. À l’heure des crises sociales
mondiales, il convient d’autant plus de
se questionner sur les matériaux les plus
appropriés et d’employer de nouveaux
plastiques, fabriqués à partir d’agro-ressources. Les sciences incluent donc des
problématiques d’ordre social ; doit-on
transformer le maïs en sacs plastiques
alors qu’une partie de la population mondiale meurt de faim ? C’est dont l’esprit
critique qui doit être développé par les
séances de travaux pratiques, en plus
d’une démarche scientifique rigoureuse.
2. SE DÉMARQUER
DE L’EXISTANT
À l’inverse, le vocabulaire graphique est
peu utilisé par les sciences physiques. En
règle générale, tableaux et formules remplissent les cahiers.
De plus, l’imagerie de la physique souffre
du poids de la tradition. En effet, les
images utilisées en cours sont, la plupart du temps, des schémas de principe,
dont une majorité en noir et blanc, issues
de la gravure, comme dans cet extrait
de Cours de chimie, chimie générale et
métalloïdes. Les effets de trame sont
donc nombreux et l’humain est totalement absent. Cependant, on remarque
ici une façon mixte de représenter les
outils : entre l’abstraction géométrique et
l’ultra-réalisme.
Cette géométrie est parfois incontournable, notamment en optique où la
construction rigoureuse de lignes et
d’angles permet de trouver la position
de l’image d’un objet, comme le montre
ce schéma, issu des Éléments de sciences
pour les industries graphiques. Quelques
livres spécialisés, comme l’ouvrage
d’Harald Küppers sur la couleur, mettent
cependant un point d’honneur à produire
des dessins plus élaborés et à utiliser la
couleur dans un but didactique ; néanmoins, la place donnée à la représentation empiète ici sur les explications et les
visuels abstraits sont peu éclairants.
Extrait de Cours de chimie, chimie générale
et métalloïdes, 1935
Alain Bargilliat et Jacques Campbell, Éléments de
sciences pour les industries graphiques, 1962
Face à ce déficit évident de supports
graphiques, mon partenaire, Jean-Pascal
Mauvoisin, m’a demandé de créer des
contenus didactiques destinés à lier
le monde scientifique et l’univers des
arts appliqués.
61
B. UN LYCÉE QUI SE VEUT PILOTE
1. L’ÉTABLISSEMENT
LE PARACLET
2. le partenaire :
jean-pascal mauvoisin
Le Lycée privé Le Paraclet, à Quimper, en
Bretagne, est subdivisé en deux entités :
d’une part, la formation en hôtellerie ; de
l’autre, la formation en arts appliqués.
Le pôle design forme donc une fraction
importante de l’école et possède des
équipements spécifiques comme un studio de prise de vue, un laboratoire de
développement photographique et une
matériauthèque, entre autres.
Mon partenaire de projet est un jeune
enseignant de physique-chimie. JeanPascal Mauvoisin a 34 ans, après obtention du CAPES et de l’Agrégation, il a en
charge, depuis 9 ans, les classes du pôle
arts appliqués du Lycée. Il forme donc
les élèves dès leur entrée en classe de
Seconde de détermination puis les accompagne durant les années de Première et
de Terminale, assurant ainsi une continuité dans la formation. Il enseigne également aux étudiants des cursus de BTS
design graphique et de Mise à niveau en
arts appliqués.
Le cursus STD2A constitue le cœur de
la formation avec ses trois classes de
Seconde, Première et Terminale, mais
on y trouve également deux classes de
Mise à niveau en arts appliqués (MANAA)
et une section de BTS design graphique,
option imprimé et multimédia. Les classes
sont souvent divisées en deux, au vu du
nombre d’élèves par section ; c’est pourquoi de nombreux professeurs qui se partagent ces options artistiques cumulent
parfois plusieurs sections, cependant, un
seul professeur assure le cours de sciences
physiques pour toutes ces classes, il s’agit
de Jean-Pascal Mauvoisin.
62
Si les heures de cours théoriques s’effectuent devant 34 élèves, les travaux pratiques se réalisent à 17, ce qui permet une
autre approche, plus participative. D’une
façon générale, Jean-Pascal Mauvoisin
essaie de rendre les élèves actifs en proposant une grande variété de supports
de cours ou d’exercices. La plateforme
Claroline lui permet, par exemple, de
donner à ses élèves des exercices en
ligne, ce qui lui donne la possibilité d’inclure des contenus audiovisuels au sein
de l’application pour guider l’élève et lui
apporter des informations supplémentaires quant aux notions abordées. Ces
exercices mettent en relief les difficultés
qu’ont les élèves à comprendre certains
sujets, car les résultats sont enregistrés
et envoyés au professeur, qui peut alors
se rendre compte si un chapitre ou une
formule a été mal compris par un ou
plusieurs élèves.
La démarche pédagogique de mon partenaire présente l’originalité de s’être très
tôt déployée sur ces supports extra-scolaires numériques. Tout le contenu
du cours est disponible sur son site,
www.physique-chimie-en-aa.fr, accompagné de travaux réalisés par les élèves
(vidéos à thème, création d’éditions
spécifiques, prises de vues photographiques,...). En revanche, ces supports
sont, à l’heure actuelle, peu illustrés, ou
bien illustrés par les élèves eux-mêmes,
sans réelle rigueur scientifique.
Ce travail inter-disciplinaire, effectué
dans la continuité de la réforme des
programmes, lui paraît essentiel car
il donne véritablement son sens à des
matières secondaires comme la physique
et la chimie. C’est pourquoi, chaque
année depuis son affectation au Lycée
Le Paraclet, Jean-Pascal Mauvoisin se
concerte avec les professeurs d’arts
appliqués afin d’essayer de raccrocher
son cours aux sujets abordés.
Alors que cette plateforme Web était censée constituer une vitrine de l’enseignement de la physique en arts appliqués et
aider les nouveaux professeurs à établir
un contenu de cours adapté, les travaux
de Jean-Pascal Mauvoisin ne sont finalement accessibles que par ses propres
élèves, car ils utilisent des clichés et des
portraits, ce qui pose un problème juridique au niveau de la diffusion, même si
les élèves ont signé une décharge.
Dans l’idéal, Jean-Pascal Mauvoisin aimerait mettre en place des cours en co-animation : les heures de physique-chimie et
celles des matières artistiques seraient
conjointes pour que le professeur de
sciences puisse intervenir afin d’expliciter précisément des notions relatives
aux sujets abordés. Il pourrait, par
exemple, parler d’intensité lumineuse
ou de matériaux innovants pour du
design d’objet, mais aussi s’éloigner des
deux chapitres constituant le cadre du
programme en expliquant les bases de
la gravité et des forces pour des projets
d’architecture.
Portrait de Jean-Pascal Mauvoisin
63
3. LA CIBLE : LES ÉLÈVES DE
LA SECTION ARTS APPLIQUÉS
Les élèves des classes de Première et
de Terminale arts appliqués constituent
le premier public visé. Ils sont âgés de
16 à 18 ans ; et Jean-Pascal Mauvoisin
les décrit comme sympathiques, passionnés et créatifs. En général, il s’agit
d’élèves ouverts à tous les courants
artistiques. Leur culture contemporaine
est variée : séries, films, expositions et
théâtre font partie de leurs centres d’intérêt. Ils aiment les films fantastiques, de
science-fiction ou d’animation, qui font
écho à leur imagination, tout en proposant une réflexion philosophique. Au fil
des années passées dans cette filière,
ces adolescents enrichissent leur univers visuel personnel et leur intérêt pour
les arts graphiques, l’architecture ou le
design a pu se préciser. Plus que l’amorce
d’un projet professionnel, cette orientation correspond à un projet de vie. Après
le Baccalauréat, les élèves s’orientent
souvent vers les filières du design graphique, mais aussi de l’architecture, du
design de produit ou d’espace. Aucune
tendance ne se distingue réellement :
chaque élève a en tête une orientation
propre, depuis la joaillerie jusqu’à la
conception 3D.
S’ils s’investissent beaucoup dans leur
formation principale, c’est souvent
au détriment de matières secondaires
comme les sciences physiques. Si, à
partir de la classe de Première, ils commencent à discerner le rapport de cette
matière avec la formation, ce qui éveille
leur intérêt, le point épineux reste les
mathématiques, aussi bien pour les
notions de calcul que pour l’image même
64
de la matière... Après avoir questionné les
élèves du Lycée Le Paraclet, j’ai pu localiser le principal problème, il réside dans
l’abstraction : même s’ils apprennent
les formules par cœur, ils ont beaucoup
de mal à faire le lien entre celles-ci et la
réalité, et le rapport entre les lettres, les
forces et les variables n’est pas souvent
saisi, l’application de la formule devient
problématique, dès lors que ce rapport
n’est pas compris.
Cependant, ils aiment effectuer des expériences, et surtout les retranscrire, par
le biais de croquis plus aboutis que de
simples schémas, comme leur préconise
leur professeur. Si les manipulations
et les activités permettent aux élèves
d’appréhender la matière de manière
plus approfondie, ils ont, évidemment,
une préférence pour certains chapitres,
plus porteurs de notions artistiques. La
photographie est en général leur cours
préféré, de même que la synthèse des
couleurs, bien qu’ils n’en saisissent pas
tous les tenants et aboutissants scientifiques. Les activités conduites par
Jean-Pascal Mauvoisin autour du light
painting et de la photographie rendent
les élèves actifs et intéressés. Les cours
sont bien construits grâce à des supports
multiples, notamment des vidéos : c’est
pourquoi les élèves s’y réfèrent volontiers. Les exercices en ligne, par exemple,
remportent un gros succès, car les élèves
se sentent plus à l’aise sur le logiciel
Claroline que sur une copie-double...
Il me parait important, dans ce projet,
de rattacher les grandes découvertes
abordées aux objets et aux créations du
design qui ont pu en découler. L’objectif
est, bien sûr, d’acquérir des bases solides
et une bonne méthode d’analyse pour
réussir l’épreuve du Baccalauréat, dont
l’évaluation se déroule sur deux heures,
avec un coefficient 2 ; mais aussi, et surtout d’acquérir un bagage de savoir-faire
et d’automatismes qui seront très utiles
pour leurs formations futures.
65
C. LANCEMENT DU PROJET
1. PISTES GRAPHIQUES
ENVISAGÉES
Afin de transmettre les connaissances de façon pédagogique et
ludique, il faut renouveler la façon dont la science est présentée
aux élèves, spécialement dans la filière arts appliqués.
Quelques soient les supports, il me
semble pertinent de faire intervenir la
figure du scientifique, en tant que personnification de la physique ou de la chimie,
mais surtout pour réintroduire une présence humaine dans cet univers froid et
abstrait. Julien Bobroff, physicien et professeur à l’université Paris-Sud, et son
association La Physique Autrement, essaie
parallèlement de dépoussiérer la figure
du chercheur et de faire tomber les vieux
clichés notamment en présentant les
créations de designers ou d’illustrateurs.
Système de trame sur les dollars canadiens
De même, il me paraît important de souligner le fait que certains scientifiques ont
été également des artistes, par exemple
Léonard de Vinci. L’intervention de la
figure de l’artiste permettrait aussi d’installer le dialogue entre science et arts à
travers un vocabulaire commun et une
approche inter-disciplinaire.
Le traité graphique au trait de type gravure me semble intéressant. Colorisé à la
tablette, le décalage produit apporterait
la modernité nécessaire tout en restant
fidèle à la représentation réaliste.
Premiers essais de dessins type gravure
66
Cornée
Corps vitré
Rétine
Cristallin
Fovéa
Pupille
Iris
Nerf optique
Schéma anatomique
de l’œil
Portrait des Frères
Lumière
67
Autofocus
Optique Objectif
Bague de
réglage focale
Boîtier
Croquis de l’appareil réflex Nikon D90
Molette de réglages
Viseur
Écran
Rotation du miroir dans le boîtier
68
Réglage ISO
2. L’APPORT DE LA
NARRATION
La médiation scientifique peut s’opérer
par différents médiums, qu’ils soient
textuels, imagés, audiovisuels ou oraux.
Comme il est extrêmement difficile d’enseigner sans un minimum de support,
il est essentiel de donner au professeur
des outils faciles à prendre en main, utilisables dans une salle de classe, – qu’elle
soit composée de 34 ou de 17 élèves – ,
mais également constituant un outil postcours. Il s’agit de faire prendre plaisir aux
élèves afin de leur donner l’envie d’apprendre, de leur faire comprendre l’intérêt de sa matière et de créer des liens
avec leurs centres d’intérêts.
Puisque le schéma ne suffit souvent pas
à expliquer des faits concrets, il paraît
ingénieux d’utiliser les personnages
du scientifique et du designer et de les
mettre en scène à travers une narration.
Par exemple, de courtes histoires sous
forme de bande-dessinée. Scott McCloud
définit ces dernières comme :
Portraits de Louis Daguerre et Nicéphore Niépce
« un art séquentiel, constitué
d’images picturales et
autres, volontairement
juxtaposées en séquences ».
Au-delà de la bienveillance paternaliste
avec laquelle on considère généralement
la bande-dessinée, celle-ci pourrait alors
devenir un outil de transmission à part
entière.
Scott McCloud, L’Art de l’Invisible, 1993
69
« Il s’agit d’une succession de dessins
juxtaposés destinés à traduire un récit,
une pensée, un message ; le but n’étant
plus uniquement de divertir le lecteur
mais parfois de transmettre au moyen de
l’expression graphique ce que l’abstraction
de l’écriture ne parvient pas toujours
à exprimer. »
sur transparents, les dépliants en relief,
les impressions sur tissu et tous les
usages diversifiés de la photographie.
Annie Baron-Carvais, universitaire, La Bande-dessinée, Que sais-je ? N° 2212,
PUF, 1985
Si Nicolas Rouvière, universitaire et
critique de bande-dessinée, se plaît à
souligner son potentiel quant à l’enseignement de l’histoire, des lettres ou
les langues, il pointe néanmoins son
absence dans le domaine des sciences
à travers son article intitulé « Enseigner
avec la bande-dessinée » paru sur la
Revue en ligne de la Cité internationale de
la bande-dessinée et de l’image, en janvier 2013. Ce déficit est dû en partie à la
difficulté de rendre didactique certains
aspects abstraits des sciences comme
les mathématiques, ou de représenter
certains ordres de grandeur. La rareté de
l’image scientifique est également due
aux publics concernés : pour les scientifiques par exemple, l’image est un plus
mais n’est pas le plus important.
Si la bande-dessinée a été exploitée, en
dehors de l’école, à des fins de vulgarisation, son utilisation en classe suscite
depuis longtemps beaucoup plus de
débats ; ce médium a, en effet, été stigmatisé pour la pauvreté de son texte, la
teneur caricaturale de ses illustrations,
ainsi que pour son contenu généralement
pulsionnel et violent. C’est seulement à
partir des années 1970, avec la parution
de l’ouvrage d’Antoine Roux, La Bandedessinée peut être éducative (publié aux
éditions de l’École) que cet outil a acquis
une certaine légitimité aux yeux de l’éducation nationale. De même, la création du
Festival d’Angoulême, en 1974, a initié
la tenue du premier Colloque international « Bande-dessinée et éducation » en
1977. Servie alors par les éditeurs, pour
lesquels elle représente une manne lucrative, elle bénéficie de l’infinie diversité
des talents et des styles d’illustrateurs,
de graphistes et de designers de tous les
pays. Elle se situe au carrefour de plusieurs moyens d’expression artistique :
l’art graphique, l’art cinématographique
et la littérature ; elle peut aussi recourir à
d’innombrables innovations formelles et
techniques comme les images imprimées
70
« Aujourd’hui, les possibilités
de la bande-dessinée sont, comme elles
l’ont toujours été, illimités. »
Scott McCloud, L’Art de l’Invisible, 1993
De plus, la France a tendance à valoriser
son histoire, d’où un surdimensionnement de bande-dessinée historique, par
rapport à la médiatisation et la valorisation de la recherche scientifique.
Pourtant, en Amérique, la bande-dessinée a déjà acquis droit de cité dans
les milieux universitaires : plus de trois
cent cinquante institutions scolaires
médicales y ont adopté un manuel de
thérapies comportementales nommé
Contingency management in education &
other equally exciting places, rédigé par
Richard W. Malott, entièrement réalisé en
bande-dessinée...
L’utilisation de la bande-dessinée permet
surtout de susciter l’intérêt et l’empathie
du jeune public. Une fois le regard attiré,
il s’agit de traduire, graphiquement et
typographiquement, un contenu riche de
sens.
La bande-dessinée propose donc une
lisibilité directe et universelle : par son
matériel graphique et visuel, elle facilite
grandement la mémorisation. Ce type
d’imagerie peut donc permettre de palier
les passages difficiles d’une leçon et de
compléter les informations.
« La bande-dessinée est un média qui
est fondé sur la vue. L’auteur de bandesdessinées a à sa disposition tout
l’univers de l’iconographie. Sans oublier
tous les styles graphiques possibles,
de l’hyperréalisme au croquis le plus
simple et le monde invisible
des symboles et du langage. »
Comme le souligne, une fois encore, Scott
McCloud, tout le vocabulaire graphique
est à disposition de l’illustrateur dans
l’univers de la bande-dessinée, ce qui
permet de représenter ce qui est visible
ou invisible. Ces contenus peuvent
être encore enrichis par des apports du
multimédia.
Scott McCloud, L’Art de l’Invisible, 1993
Contingency management in education &
other equally exciting
places, rédigé par
Richard W. Malott
71
3. L’ALLIANCE
DU MULTIMÉDIA
ET DU PAPIER
Dans le cas d’un support post-cours, des documents imprimés et
consultables en ligne demeurent les meilleures solutions pour
pallier le déficit de manuels scolaires.
De nombreux documents imprimés sont
distribués aux élèves tout au long de
l’année ; résumés de cours et exercices se
retrouvent alors souvent perdus dans une
pochette plastique ou froissés au fond
d’un sac... Pour donner de la valeur à un
support, il faut sortir de ces immuables
formats. Les fiches de révision, par
exemple, tiennent une place importante
dans la vie du lycéen car elles constituent
un défi en raison du rapport entre leur
court format et la densité des cours qu’il
faut y retransmettre. Je souhaite donc
proposer deux types de supports : des
fiches d’activités comportant ce double
aspect science-design qui seraient complétées lors des travaux pratiques avec
le professeur ainsi que des fiches de révision qui, elles, sont utilisables en autonomie et concernent l’objectif Baccalauréat.
L’image y tiendrait une place essentielle,
non plus seulement comme auxiliaire de
l’enseignement ou agrément de l’apprentissage, mais pour ses fonctions descriptive et documentaire, qui constituent les
éléments-clés de la connaissance et de
sa vulgarisation.
72
La fiche d’activité se présenterait en
trois parties : la première, sous forme
d’un condensé du cours, contiendrait les
grandes formules à compléter ; en deuxième partie serait présentée une activité mettant en application les formules
de la première ; cette mise en application serait réalisée avec le professeur
pendant les cours de travaux pratiques,
afin d’être certain que les élèves ont
saisi comment utiliser la formule ; enfin,
la dernière partie concernerait le rapport entre la science et le design. Les
personnages du scientifique et du designer pourraient alors intervenir de façon
ponctuelle sur toute la fiche afin de servir de guides. Il est important que cette
fiche soit imprimable par les élèves, à
partir du site de Jean-Pascal Mauvoisin,
par exemple, car le format papier permet
l’annotation et la révision, quelque soit le
contexte d’utilisation.
Le site Internet de Jean-Pascal Mauvoisin
incite à un autre élément de réflexion. Il
constitue actuellement un gigantesque
portail agrégateur de cours et d’activités ; cependant, pour qu’il devienne un
outil réellement pédagogique, il gagnerait à être perfectionné, tant au niveau de
l’interface que du contenu. En effet, cette
plateforme redirige vers de nombreux
liens de travaux d’élèves qui, même s’ils
sont parfois bien expliqués, donnent
à voir la plupart du temps des « liens
morts » qui embrouillent l’élève dans sa
quête de contenu utile. De plus, l’interface graphique du site actuel gagnerait à
être rénovée afin d’être visuellement plus
actuelle et attirante.
Malgré tout, cette plateforme, déjà utilisée par les élèves, constitue pour eux
un repère non négligeable. Implémenter
de nouveaux contenus, du type animation vidéo ou gif, ainsi que des fiches ou
contenus imprimables, transformerait cet
outil en support complet et organisé.
Dans certaines universités, un format
spécifique s’est développé, le MOOC
(Massive Open Online Course), qui permet d’implémenter en ligne des contenus multimédias comme des vidéos, des
textes, des images et même des quizz
afin d’évaluer les acquis des étudiants.
Ce support est accompagné d’un forum
sur lequel les étudiants peuvent interagir entre eux. Un tel forum paraît inutile au sein d’une classe dont les élèves
se rencontrent cinq jours par semaine,
tout en restant connectés sur les réseaux
sociaux, mais la transformation du site
en une forme hybride du MOOC pourrait
être intéressante, à de multiples points
de vue.
73
74
CONCLUSION
« L’imagination est plus importante
que la connaissance. La connaissance
est limitée, alors que l’imagination englobe
le monde entier, stimule le progrès,
suscite l’évolution. »
Albert Einstein, « What Life Means to Einstein », The Saturday Evening Post,
26 octobre 1929
Les domaines de la physique et de la chimie sont constitués de
faits, d’expériences démontrables et de lois historiques. Mais
au-delà de l’apprentissage des sciences se trouve une liberté ; en
effet, la connaissance de ces éléments permet la création utile et
réalisable nécessaire aux arts appliqués. Le design permet d’allier ce côté rationnel à l’imagination pure, le sensible qui, pour
Einstein, est la plus importante des capacités.
Je crois qu’il est essentiel de conserver tout au long de mon projet, ce double aspect. Si je me dois, bien sûr, être très attentive à
l’exactitude des notions abordées afin de répondre à l’exigence
de l’éducation, mon défi se trouve dans le fait de ressusciter l’intérêt des élèves et de l’entretenir tout au long de l’année pour
les conduire à la réussite de leur examen et leur transmettre les
connaissances basiques de leur vie de futurs designers.
Je ne sais si, après le diplôme, j’aurai l’occasion de collaborer à
nouveau avec l’éducation nationale, cependant, au point où j’en
suis, tout ce que j’ai découvert me donne grandement envie de
continuer à mêler science et imaginaire dans l’esprit des élèves
de tout âge.
75
BIBLIOGRAPHIE
OUVRAGES DE RÉFÉRENCE
· Alain Bargilliat et Jacques Campbell, Éléments de sciences pour les industries graphiques (éd. Institut national des industries et arts graphiques Mesnil, 1962)
· Léonce Peyrègne, Pour une pédagogie de l’image, Communications, 2 (1963)
· Pierre Fresnault-Deruelle, Dessins et bulles : la BD comme moyen d’expression (éd.
Éditions de l’école, 1975)
· Harald Küppers, La couleur : origine, méthodologie, application (éd. Office du Livre Dessain et Tolra, 1975)
· Paul Roux, La BD, l’art d’en faire manuel de l’élève, CRDP d’Ottawa (1993)
· Benoit Peeters, La Bande-dessinée (éd. Dominos-Flammarion, 1993)
· Daniel Jacobi, Vulgariser la science : le progrès de l’ignorance (éd. Champ Vallon,
1993)
· Scott McCloud, L’Art de l’Invisible (éd. Delcourt, 1993)
· Yves Baudry, Images de la pédagogie, Pédagogie de l’image (éd. Maisonneuve &
Larose, 1998)
· Raymond Guidot, Histoire du Design de 1940 à 2000 (éd. Hazan, 2000)
· John Krige, Companion to Science in the Twentieth Century (éd. Routledge, 2002)
· Philippe Meirieu, L’évolution du statut de l’image dans les pratiques pédagogiques
(2003)
· Institut national de Recherche pédagogique (INRP), Voir/savoir, la pédagogie par
l’image aux temps de l’imprimé
· Véronique Lorillot, Enseigner les Sciences physiques en STI Arts appliqués : rapport aux
savoirs scientifiques et identité professionnelle (non-publié, 2004)
· Paul Parsons, 3 minutes pour comprendre les 50 plus grandes théories scientifiques
(éd. Trédaniel, 2010)
· Sciences et Avenir, hors-série N°164 (octobre-novembre 2010)
· Héloise Chochois & CIT Blackrock Castle Observatory, essai TARA: Look up and learn
(2014)
ÉMISSIONS & CONFÉRENCES
· France Culture, Objets trouvés (2/4) : le Design, esthétique de l’objet émission
d’Adèle Van Reeth avec Stéphane Vial
· Conférence : Désordre, potentiel critique et seuil de compréhension dans l’apprentissage de la physique, par Laurence Viennot, le 22 janvier 2015, à l’UFR de physique
de Paris
76
SITES CONSULTÉS
· Éducation nationale, http://www.education.gouv.fr/
· Éduscol, La lecture de l’image, www.eduscol.education.fr/lettres/pratiques/college/
lecture_de_limage (2013)
· Éduscol, Enseigner les sciences et la technologie à l’école élémentaire http://eduscol.
education.fr/cid46920/enseigner-les-sciences-technologie-ecole.html
· Fondation La Main à la Pâte, http://www.fondation-lamap.org/
· Site de Jean-Pascal Mauvoisin, www.physique-chimie-en-aa.fr
· Exercices en ligne de Jean-Pascal Mauvoisin sur Claroline, http://www.claroline.net/
EXPOSITIONS
·M
athématiques, un dépaysement soudain, du 21 octobre 2011 au 18 mars 2012 à la
Fond­ation Cartier pour l’Art contemporain
· Dessins quantiques, à partir du 6 octobre 2014 à l’Université Paris-Sud
77
REMERCIEMENTS
Merci, tout d’abord à toi, Jean-Pascal Mauvoisin, pour m’avoir
proposé ce projet, pour ta motivation sans faille, ton accueil et
ton implication dans cette aventure, merci aussi pour toutes ces
conversations où nous avons refait le monde du design et de la
physique jusqu’à des heures matinales,
Merci à Luce Mondor : sans votre aide lors de la rédaction de
ce premier livre et vos encouragements pour débloquer mon
écriture synthétique, je n’en serais pas là,
Merci aussi à Sterenn Bourgeois, la merveilleuse inspectrice des
espaces fines et des doubles espaces cachées,
Je remercie également l’ensemble de l’équipe enseignante et
Antoine Barnaud pour ces deux ans dans cette formation unique
et passionnante qu’est le DSAA Design d’Illustration scientifique,
Merci à mes camarades, pour les litres de café partagés,
Merci à l’éducation de continuer à nous faire utiliser nos
cerveaux à bon escient dans un monde où la peur et l’ignorance
se répandent beaucoup trop facilement.
78
79
Composé en Unit Pro,
Track et Telefono.
Imprimé sur du Munken
pure 120 g pour les pages
intérieures, couverture
peinte sur Curious Metallic
Ink 300 g.
Achevé d’imprimé
sur les presses d’ISIPRINT
Saint-Denis La Plaine,
en février 2015

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