Moreau - Rouault : de l`atelier à la communion des âmes,Eichmann
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Moreau - Rouault : de l`atelier à la communion des âmes,Eichmann
Moreau Rouault : de l’atelier à la communion des âmes Georges Rouault, Le Modèle, souvenir d’atelier, huile, encre, gouache sur toile, H. 81,3 ; L. 65,1 cm, Collection particulière. © JL Losi © ADAGP Paris 2015 Initialement présentée au Japon en 2013, « Gustave Moreau – Georges Rouault, souvenirs d’atelier » est bien plus qu’une exposition comparative, vouée à la confrontation de deux grands artistes. Ici, le Musée Gustave Moreau invite à un dialogue esthétique, une communion des âmes. Certes, l’histoire qui nous est contée est celle d’un enseignement artistique empli d’émulation ; mais c’est surtout un héritage sensible entre les deux hommes qui se dessine en filigrane. Ainsi, ces « souvenirs d’atelier » reconstituent dans une émouvante sincérité, ce lien privilégié entre un maître et son élève : un sentiment quasi filial. Devenu conservateur du musée en 1902, Rouault commentera peu les œuvres de son professeur ; il exprimera en revanche sa profonde admiration pour l’homme qu’il était, dévoilant une amitié véritable. C’est ce que traduisent leurs échanges épistolaires ici exposés : Rouault, au détour d’une lettre, avoue à son maître qu’il avait été pour son art, « […] le guide, le meilleur et le Père » ; et Moreau de lui répondre qu’il plaçait en son cher élève, « la plus extrême confiance dans [son] bel avenir ». Georges Rouault, Le Christ mort pleuré par les saintes femmes, 1895-1897, fusain, pierre noire, rehauts de craie blanche sur papier vergé, marouflé sur toile, S. D. b. d. : G. Rouault 1897, H. 112 ; L. 143 cm, Paris, Fondation Georges Rouault. © JL Losi © ADAGP Paris 2015 De cette osmose, l’exposition met en lumière quatre thématiques iconographiques – communes ou dissonantes : paysages, représentations de la femme, visions du sacré et matérialité de l’œuvre, prendront place au fil des salles. Mais au commencement, se situe l’atelier d’artiste et sa cohorte d’élèves ; nous sommes en 1892, et Moreau succède à Elie de Delaunay comme professeur à l’Académie des Beaux-arts. Son enseignement artistique qui se veut libre de tout carcan, émancipateur et imaginatif, lui vaut d’être jugé trop subversif par ses collègues. Hors des sentiers battus et réfractaire aux dogmes académiques, il encourage ses élèves à se démarquer. Et dans les œuvres de Rouault, transparaît cette richesse : certes l’inspiration qu’il puise chez son maître est palpable, mais sa créativité transperce la toile. Cela, Moreau le perçoit rapidement. Il décèle chez son élève, un réel talent pour la couleur et la matière, ainsi qu’une grande maîtrise picturale du clair-obscur inspiré de Rembrandt – déjà visible dans Christ mort pleuré par les saintes femmes. Gustave Moreau, Jupiter et Sémélé. Variante, huile sur toile, H. 149 ; L. 110 cm, Paris, musée Gustave Moreau, Cat. 73. © RMN-Grand Palais/Philippe Fuzeau Dès lors, il le pousse à participer aux concours, à exposer au Salon des artistes français ou de la Rose+Croix. Grâce à la confiance qu’il place en lui, Rouault obtient sa première commande concernant deux peintures allégoriques, destinées à orner l’escalier d’honneur d’un hôtel particulier. Ces décors baptisés Stella Matutina et Stella Vespertina, sont mis en parallèle avec une variante de la toile Jupiter et Sémélé de Moreau : ici, la fascination que Rouault éprouvait pour la palette chromatique de son maître est saisissante. Cette influence mutuelle, entre onirisme, mythologie et réalité, est tout aussi manifeste dans les paysages qu’ils peignent. Mais osera-t-on parler de « peinture de paysage », pour un artiste comme Moreau ? Lui qui ne considérait ces décors naturels que comme des cadres, des toiles de fond destinées à abriter des sujets bibliques ou mythologiques. A l’inverse de ses contemporains, il ne s’essaye guère à la peinture en plein air ou sur le motif : la nature qu’il esquisse n’est qu’imaginaire, et fruit d’habiles reconstitutions. Sous nos yeux, l’huile sur toile Thomyris et Cyrus – dont le sujet est emprunté à Hérodote, illustre ce cruel désenchantement du paysage entre rêve et matérialité : dans un panorama fugitif et inquiétant, comme rongé par une beauté chimérique, se déroule une scène aussi sanglante qu’inéluctable. En regard, Le Bon Samaritain de Rouault, dévoile une obscurité redoutable, funeste linceul d’un homme battu et laissé pour mort par des voleurs. Et chez le maître comme chez l’élève, l’évanescence de la scène confère à la poétique de l’œuvre, l’empreinte de l’illusion. Gustave Moreau, Thomyris et Cyrus dit aussi La Reine Thomyris,huile sur toile, S.b.d – Gustave Moreau – H. 57,5 ; L. 87 cm, Paris, musée Gustave Moreau, Inv. 13978. © RMN-Grand Palais/Gérard Blot Pour autant, l’œuvre de Rouault n’est pas exempte de tout réalisme, notamment lorsqu’il peint des figures féminines. C’est probablement à travers cette section dédiée à la « Pécheresse, la courtisane, et la fille », que la rupture picturale avec son maître est la plus manifeste. Georges Rouault, Fille dit aussi Nu aux jarretières rouges, 1906, aquarelle et pastel sur papier, M. D. h. d : GR 1906, H. 71 ; L. 55 cm, Paris, Musée d’art moderne de la Ville de Paris, AMD 143, Legs Girardin 1953. © Musée d’Art Moderne/Roger Viollet © ADAGP Paris 2015 Si les femmes ébauchées par Moreau, se confondent dans l’inébranlable archétype d’une silhouette lisse et idéalisée, les modèles de son élève en appellent à la vie-même et à la rue. Sous ses pinceaux, les « filles de joie » aux corps lourds retrouvent cette part d’humanité que des artistes comme Toulouse-Lautrec ou Degas, leur ont sarcastiquement déniée : chez Rouault, l’empathie se lit dans leurs traits disgracieux ; et dans sa palette de couleurs, se déploie une beauté dissonante qui érafle les canons esthétiques si bien-pensants. Chrétien, il ne condamne pas la pécheresse, mais les hommes qui l’ont réduite à cette condition, ainsi que le péché luimême : « Au fond des yeux de la créature la plus hostile, ingrate ou impure Jésus demeure », dira-t-il. Courbatue et souffrante, mais capable d’un indicible éclat, voilà l’Humanité telle que Rouault la perçoit. De son iconographie religieuse, affleure une infinie compassion, teintée cependant d’une honnêteté sans fard : quand les âmes sont mises à nu, la beauté physique n’est plus qu’un masque dissimulant la laideur morale ; les figures qu’il peint deviennent alors grotesques, véritables caricatures de l’hypocrisie de ses contemporains. En miroir, l’art sacré de Moreau s’apparente davantage à une spiritualité cérébrale, une manière de combler ses angoisses métaphysiques. Gustave Moreau, Sainte Cécile, huile sur toile, H. 86 ; L. 68 cm, Paris, musée Gustave Moreau, Inv. 13972. © RMN-Grand Palais/Philippe Fuzeau En effet, si son vocabulaire pictural emprunte au christianisme, il puise aussi dans le registre déiste ou syncrétique, tout en s’inspirant des écrits de Blaise Pascal et des philosophes jansénistes de Port-Royal. Une angoisse théologique qui transparaît d’ailleurs, dans sa toile Sainte Cécile : plongée dans l’obscurité, cette dernière semble faire face à une vision spectrale bien plus qu’au traditionnel ange. L’exposition esquisse d’ailleurs un parallèle pertinent avec l’aquarelle L’Apparition, où la tête coupée de Jean-Baptiste apparaît en halo devant Salomé ; une subtile évocation de ces séductrices bibliques qui avaient bien souvent les faveurs de l’artiste. De Moreau et Rouault, de cette amitié, de leur passion de la matière et de la couleur, « Souvenirs d’atelier » dresse un portrait touchant et habilement maîtrisé : jamais le talent de l’un n’obscurcit le génie de l’autre. Et comme si le maître veillait encore sur son précieux élève, on trouvera ici un peu plus d’œuvres de Rouault ; mais que l’on se retourne, et l’atelier de Moreau prend vie sous nos yeux. De ce parcours, émerge enfin une envie singulière : celle d’en savoir plus sur ces deux artistes qui leur vie durant, partagèrent à travers l’amour de l’art, un respect des plus sincères. Thaïs Bihour « Gustave Moreau – Georges Rouault, souvenirs d’atelier » – L’exposition se tient jusqu’au 25 avril 2016 au Musée Gustave Moreau. Plus d’informations sur http://musee-moreau.fr/ Eichmann : la banalité systématique du mal Pascal Victor/ArtcomArt Lorsqu’en mai 1960, Eichmann est capturé à Buenos Aires en Argentine, puis transporté en Israël à Jérusalem, c’est dans un théâtre transformé en tribunal que son jugement a lieu. Il est ainsi donné en spectacle aux caméras du monde entier. En ce moment, le théâtre Majâz rejoue le procès de l’homme – pour ne pas dire monstre – à l’origine de la « solution finale ». En revendiquant un théâtre engagé, la compagnie a utilisé les retranscriptions d’époque du procès ainsi que de nombreux fonds d’archives pour dire le réel. Le projet a vu le jour avec non pas l’idée de jouer un Eichmann bourreau, mais de le dépasser pour donner la parole au responsable logistique qu’il a été, d’utiliser ses propres mots, lui qui n’eut d’autre ligne de défense que de prétendre avoir répondu aux ordres ou servi le système et fut condamné à mort en 1961. Toute la mise en scène de Ido Shaked et la scénographie concourent à l’interrogation du système, à travers la parole collective d’Eichmann et du potentiel dramatique de son procès. Au nombre de sept, les comédiens qui forment une troupe éclectique se répartissent la parole fragmentée d’un Eichmann jamais vraiment incarné, ce qui rend son système davantage intelligible et ne provoque ni empathie ni détestation à l’égard de l’homme. À de multiples reprises d’ailleurs, les comédiens devenus juges ou témoins adressent sèchement au public « Je vous interdis toute manifestation de sentiments ». Un jeu saisissant dans leur tentative de faire dire au « spécialiste » ce qu’il savait. La scénographie dans laquelle le procès a lieu est sombre, tout est noir excepté la photographie d’Eichmann émergeant symboliquement d’un papier blanc. Avec seulement une table, quelques chaises et un rétroprojecteur qui accentuent l’effet administratif de la démarche, l’explication de la politique d’extermination se dessine littéralement sur le sol. C’est sur un plateau monté sur rivets qui de fait est complètement instable et bouge suivant un système de balancier que les comédiens dessinent à la craie blanche des organigrammes, recréent des tableaux d’archives avec rigueur et méthode avant de tout effacer, comme on laverait l’histoire de ses plaies. Pour autant, dans cette atmosphère désincarnée, aucune violence n’est montrée, si bien que les photographies à la vue insoutenables qui furent projetées par le passé et que le monde voyait pour la première fois ne sont plus qu’un écran vide comme frappé des claquements du projecteur. Face à ces plans de camps, de chemins de fer, de bombardements, les acteurs portent le texte avec force comme étant eux-mêmes devenus des rouages de la machine. Tous sont poignants alors que leur parole nous assomme de vérité et de possibilités interprétatives. Sans en dire plus que l’histoire, ses plaies et ses silences, la troupe parvient à une adaptation saisissante du procès d’un homme normal englué dans la banalité du mal, qui a prétendu ne pas savoir et « ne pas être apte à décider » concernant les déportations. Recomposés de la sorte et joués avec autant de finesse et solidité, les faits parlent d’eux-mêmes. Le caractère administratif de la situation suffit à dire la violence de ce que l’on sait de la déportation. Après la Maison du peuple qui fut le théâtre du procès, le théâtre Gérard Philipe se transforme à son tour en tribunal pour une grande leçon d’Histoire mais surtout, un grand moment de théâtre. « Eichmann à Jérusalem ou les hommes normaux ne savent pas que tout est possible », Théâtre Majâz, texte de Lauren Houda Hussein, mise en scène de Ido Shaked, jusqu’au 1er avril 2016 au Théâtre Gérard Philipe, Centre dramatique de Saint-Denis, 59, boulevard Jules-Guesde, 93207 Saint-Denis. Durée : 1h15. Plus d’informations et réservations sur www.theatregerardphilipe.com Liaisons Dangereuses : des rires sans les larmes Copyright : Brigitte Enguerand Dès le lever de rideau, Cécile Volange bondit sur scène telle une gamine écervelée. Le ton du parti pris de Christine Letailleur est ainsi donné : Choderlos de Laclos, mis ainsi en dialogues, ressemblera davantage à du Marivaux qu’à du Machiavel. La metteure en scène ira jusqu’à faire « claquer les portes » lorsque le Chevalier Danceny court après Cécile. Des lettres reformulées en sentences dans le but de faire rire le public. « Les Liaisons dangereuses » deviennent drôles, et seulement drôles, dénuées de perversité. Le paroxysme du nonsens est atteint lorsque Valmont, pénétrant Cécile de force, dira à celle qui le repousse « mais ce n’est pas ma main qui est en vous, c’est moi-même ! », devant des spectateurs hilares. Merteuil et Valmont semblent être deux nobles dont la vengeance est prétexte à l’amusement et à la rigolade. La dimension perverse est occultée, tout ne paraît que futilité dans leur univers où, pourtant, la question du rapport au monde est capital – on l’entend dans la référence incessante faite aux fameuses « réputations » que les deux méchants héros entretiennent. Vincent Perez ressemble à un jet-setter snob et amusé de rien, rendu ridicule par son costume. Aucune finesse dans son jeu, chacune de ses apparitions sur scène s’accompagne de postures exagérées et d’une voix guturale, cliché du dragueur arrogant en ruth. Cela jusque dans la dernière demi-heure de la pièce où de graves violons viennent soutenir sa chute inévitable de la façon la plus pathétique qui soit. Était-il incapable de jouer sa déchéance sans cet artifice sonore ringard ? À vouloir faire des personnages détachés de leurs émotions, Christine Letailleur en fait des grotesques, il ne manque que les masques pour faire de la (mauvaise) comedia. Seule Dominique Blanc parvient, malgré des enjeux dramatiques si réduits, à utiliser son immense talent pour faire naître les fêlures dans l’âme de Merteuil, notamment par la lettre où elle explique ses choix de femme forte et libre. Madame Tourvel aussi joue juste, elle est la seule qui semble ressentir des émotions réelles et non pas mondaines. Bien sûr, Christine Letailleur reste une incroyable créatrice d’images, notamment au moyen de la lumière. Le spectacle est forcément esthétique et fait ressortir des contrastes splendides entre la couleur des costumes et le sombre de la scénographie, support parfait aux jeux d’ombres et lumières. Mais l’esthétique ne vient pas au secours de l’approche superficielle de l’histoire. Ces « Liaisons dangereuses » ne franchissent pas la barrière du rire et nous font grâce des larmes, mais n’est-ce pas un équilibre entre les émotions que devrait nous produire une histoire si profonde ? En voulant casser les codes et déconnecter l’œuvre de sa morale, Letailleur compose un spectacle attendu et finalement assez classique. Ce n’est pas ennuyeux, mais déplorable de voir un roman ainsi vidé de sa substance. Dépoussiérer ou adapter un texte n’a jamais été synonyme de destruction. « Les Liaisons Dangereuses », adaptation et mise en scène de Christine Letailleur, d’après Choderlos de Laclos, jusqu’au 18 mars au Théâtre de la Ville, 2 place du Châtelet, 75004 Paris. Durée : 2h50. Plus d’informations et réservations sur www.theatredelaville-paris.com L'explosif Gilles Ostrowsky hache menue les Atrides Copyright : Ronan Thenadey Meurtres, parricides, incestes, infanticides, matricides, viols, guerres… Qui dit mieux ? À eux seuls, les Atrides cumulent. Si les dieux s’acharnent sur eux sur des générations, la faute vient d’Atrée, qui a fait manger à Thyeste, son frère jumeau, ses deux enfants cuits en morceaux. Sur scène, à en croire Gilles Ostrowsky qui incarne à tour de rôle une foule de personnages, ce fut un régal. Seul sur le plateau, dès les premières secondes, déjanté aux mimiques inépuisables nous fait rire Enfermé dans une cage, casque de centurion sur tongs aux pieds, c’est tout naturellement élaboration de son ragoût nécessitant deux bébés le comédien aux éclats. la tête et en pleine frais et de la feta que l’acteur lance son spectacle loufoque. Pas facile de découper des bébés ? À l’époque non seulement ça se fait, mais ça se digère plutôt bien. Surtout entre jumeaux consanguins. Arborant des tenues délurées, modulant l’environnement à sa guise, se travestissant sans limites, Gilles Ostrowsky est fou, son hystérie est communicative. Bien orchestré, le spectacle ne souffre d’aucun temps mort, la création sonore est efficace et le décor ne cesse de surprendre. Entre moments d’incarnation des personnages mythologiques et considérations hilarantes bien que réfléchies sur cette famille. La réussite tient surtout au fait que l’on comprend finalement assez bien l’histoire, recomposée à un rythme frénétique dans nos esprits. Et quelle histoire ! Pour se venger de son frère, Thyeste, en plein doute, va voir l’Oracle qui lui conseille de faire un enfant à sa fille, celui-ci le vengera. Logique ! Se dit Thyeste. Pélopia, sa fille enceinte et à son tour en plein doute, se marie alors à son oncle qui élève le fils qui le tuera, Egisthe, aussi meurtrier d’Agamemnon. Survolté, Gilles Ostrowsky invoque les dieux et saute les générations sans difficultés alors que le sang déferle sur scène. Si le spectacle qui couvre aussi la Guerre de Troie jusqu’au jugement d’Oreste accusé de matricide est aussi jubilatoire, c’est que le comédien parvient admirablement à faire de cette histoire tragique un moment extrêmement comique notamment par des jeux de mots habilement placés. On pense notamment à la berceuse que chante Pélopia à son fils intitulée l’air de rien « Moussaka et Tzatziki », ou aux moments d’extrême simplification du mythe dont on se ne lasse pas conduisant à ce genre de dialogue entre Oreste et Clytemnestre : « Tu vas me tuer ? – Oui Maman ». Avec une grande économie de moyens, Gilles Ostrowsky a misé sur un jeu clownesque très bien mené laissant voir qu’il n’y a rien de pire qu’un grec en plein doute désespéré au point d’écouter l’Oracle. Qu’à cela ne tienne, voilà un spectacle délirant qui se digère bien, on en veut encore ! « Les fureurs d’Ostrowsky, Délire mythologique », un spectacle de Gilles Ostrowsky, d’après (très très lointainement) la terrible histoire des Atrides, jusqu’au 24 avril au Théâtre de Belleville, 94 rue du Faubourg du Temple, 75011 Paris. Durée : 1h15. Plus d’informations et réservations sur www.theatredebelleville.com Reprise au Festival OFF d’Avignon 2016 – du 7 au 30 juillet à 16h10 au Gilgamesh Musée d’Art Moderne : nouveaux accrochages dans les collections permanentes Le 12 février dernier, le Musée d’Art Moderne de la ville de Paris présentait ses nouveaux accrochages au sein des collections permanentes. Soucieux de présenter toute la richesse et la vitalité de la création artistique contemporaine, ce dernier dévoile un parcours où l’éclectisme est au rendez-vous : entre acquisitions du Comité pour la photographie, art vidéo, et œuvres picturales, le cheminement esthétique s’annonce riche, de la réalité la plus crue à l’onirisme fabuleux. Charlotte von Poehl, The Notepiece, 2004. © ADAGP, Paris 2016 Charlotte von Poehl ouvre la voie : ses œuvres, axées sur le jeu sériel de la répétition, offrent une vision privilégiée de son travail où citations et réflexions forment un journal de bord illustré. L’attention dédiée à la temporalité est ici primordiale, presque vitale ; elle est la trace sensible ébauchée sur le papier, de la pratique artistique quotidienne. Harmonieuse, sa démarche se fonde sur une cohérence créatrice, où aucune pièce ne peut être isolée : la série The Notepiece, à travers cent dix dessins formant un même projet, témoigne de ce mécanisme singulier en constante évolution. De même, ses Arrow Drawings où de multiples flèches identiques s’entremêlent, semblent esquisser la caractéristique d’un monde, où règnent le semblable et le conforme. Puis, fidèle au travail de l’artiste Tacita Dean – déjà exposée dans les collections, le Musée d’Art Moderne présente JG, une vidéographie acquise en 2014. Sous nos yeux, les douces ondulations aquatiques de lacs gelés apparaissent, presque figées sur la pellicule argentique. Filmées par prises de vue en temps réel et entrecoupées de plans fixes, les séquences défilent lentement. Tacita Dean se joue de la perception et prolonge l’instantanéité dans le temps, troublant le rapport du spectateur à l’image. Cette valeur accordée à la temporalité est redoublée par la référence à la composition de Robert Smithson, Spiral Jetty : œuvre de Land art, elle fait elle-même écho à l’ouvrage de science-fiction La Voix du Temps, écrit par J.G Ballard en 1960. Tout ici n’est qu’enchevêtrements où passé, présent et futur s’unissent dans une spirale temporelle, tant symbolique que matérielle. Tacita Dean, JG, 2013, Film 35 mm, couleur et noir et blanc avec son optique 26 minutes et 30 secondes. A l’art vidéo de Tacita Dean succèdent les sculptures et toiles peintes d’Alain Séchas, dont l’accrochage met en dialogue deux œuvres de l’artiste déjà présentes dans les collections du Musée, avec ses créations récentes. Alain Séchas, Côte-d’Or, 2015, Huile sur toile, 130 x 97 cm. © ADAGP, Paris 2016 La figure sculptée Le Chat écrivain et la composition abstraite Untitled 49 forment ainsi la trame créatrice de l’artiste, la clef pour appréhender son travail. Ses nouvelles peintures mettent encore en scène ce personnage mi-homme michat auquel il est attaché : s’il en reprend la figure, elle se fait plus evanescente, comme absorbée par le décor. Avec retenue, Alain Séchas donne à ses chats une posture d’intermédiaire entre le spectateur, l’environnement et les œuvres. Une réflexion picturale, humoristique parfois, bienveillante souvent. Hugh Weiss, Charon me tend la main, 2007, 100 x 100 cm, Collection Musée d’Art moderne de la Ville de Paris. © Hugh Weiss Six toiles du peintre américain Hugh Weiss données au Musée d’Art Moderne par sa femme, Sabine Weiss, s’exposent aussi. Présentées aux côtés de photographies, carnets de l’artiste et dessins de Niki de Saint Phalle – avec qui il entretenait une amitié, elles retracent les dernières années d’un artiste heurté par la maladie, mais dont la force et la créativité ne se démentiront pas. Certes inspiré par le mouvement Cobra ou l’abstraction lyrique entre autres, Hugh Weiss fera toujours preuve d’une grande autonomie, s’émancipant des carcans stylistiques pour forger sa liberté. Parfois associé à la figuration narrative – notamment pour sa participation à l’exposition « Mythologies quotidiennes II » en 1977, il élabore cependant un langage pictural qui lui est propre, où références mythiques, récit personnel et humour se mêlent et se répondent. Ses dernières compositions réinterprètent ces thématiques récurrentes où des monstres étranges et chamarrés se pressent à la surface de la toile : des couleurs vives, de l’onirisme et une ultime légèreté, devant l’imminence de la mort. J.D. ‘Okhai Ojeikere, Abebe, 1975, Courtesy Galerie MAGNINA, Paris. © J.D. ‘Okhai Ojeikere Enfin, les derniers accrochages acquisitions du Comité pour la sont consacrés aux photographie 2015, et complètent les fonds du Musée : une œuvre de Malick Sidibé présentant le personnage de Ballo, styliste pour les soirées culturelles de Bamako dans les années 1960 ; et deux ensembles de J.D.’ Okhai Ojeikere et Kaveh Golestan. Le premier artiste – J.D.’ Okhai Ojeikere, dévoile à travers ses clichés en noir et blanc, un tableau de la culture nigériane. Contrairement à ses contemporains photographes travaillant en studios, cet artiste – mort en 2014, souhaitait se confronter à la richesse du Nigéria et à sa population ; un travail esthétique qui sublime le quotidien et les modèles qu’il met en avant. Ici, cinq photographies issues de la célèbre série Hair Style sont présentées : collectées dans les années 1960, ces coiffures vues de dos ou de profil offrent un panel de parures féminines qui par leur complexité, s’apparentent parfois à des sculptures. Enfin, dix clichés du photo-reporter iranien Kaveh Golestan sont exposés. Héritage précieux par leur caractère unique, ils sont issus de la série pratiquement détruite lors de la Révolution iranienne de 1979, nommée Les prostituées du quartier rouge de Shahr-e No à Téhéran. Des photographies fortes et émouvantes sur la vie de ces femmes vendant leur corps ; des fragments de vie capturés sur la pellicule, avec élégance et sans aucun jugement. De ces récentes acquisitions où les médiums se confondent, affleure un parcours où la variété des œuvres incite à la réflexion autant qu’à la contemplation. Un témoignage sur une histoire esthétique réinventer. et culturelle qui ne cesse de se Thaïs Bihour Nouveaux accrochages se présentant sous la forme de plusieurs expositions indépendantes, au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris. Plus d’informations sur http://www.mam.paris.fr/