Magie et figures de magiciens dans l`antiquité gréco - CDM

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Magie et figures de magiciens dans l`antiquité gréco - CDM
Magie et figures de magiciens dans l’antiquité gréco-romaine
Introduction
Repères chronologiques :
Les sources archéologiques relatives à la magie gréco-romaine que nous exploiterons dans ce TD s’étalent du
6ème siècle avant JC au 7ème siècle après. Nous n’excéderons pas ces bornes chronologiques.
Repères géographiques :
Parler de magie gréco-romaine, c’est étudier toutes les formes de pratiques considérées comme magiques dans
le monde gréco-romain. Or, les frontières de ce monde ont beaucoup évolué avec le temps, ce qui induit que
nous ne nous limiterons pas à la Grèce ou à l’Italie au sens contemporain de ces deux mots ; les objets ou textes
en rapport avec la magie ( on parle ici des textes plus ou moins longs écrits par des magiciens dans l’exercice de
leur activité, pas des textes littéraires mettant en scène des magiciens ou magiciennes) qui seront exploités proviennent de Grèce, d’Italie mais aussi de Gaule, de Germanie et d’Egypte entre autres ; pour l’Egypte, nous
nous limiterons à l’Egypte gréco-romaine bien que la magie soit attestée depuis bien longtemps avant la
conquête de l’Egypte par Alexandre puis par les Romains.
Sources disponibles pour l’étude de la magie :
- Des sources écrites, littéraires ou non (fiction ou non) qui donnent une vision partiale et partielle de la magie
et de ses pratiques
- Des documents de type archéologique qui viennent compléter ces sources, parfois les corriger (papyrus magiques provenant en grande partie d’Egypte, tablettes d’envoûtement, poupées ou figurines d’envoûtement, amulettes ou phylactères de diverses sortes).
I. Une définition de la magie ?
A. Des contours imprécis
Il va de soi que d’emblée, nous excluons l’acception moderne du terme « magicien », renvoyant à un homme –
ou une femme– de spectacle qui produit devant un public des tours de prestidigitation, magicien qu’on peut
appeler aussi « illusionniste », partant du principe que les spectateurs sont conscients que les bizarreries qu’ils
voient relèvent de procédés et de techniques propres à produire l’illusion. Ce cours sera consacré lui à des pratiques occultes et à ceux qui en étaient les agents.
Les définitions fluctuent. Toutes sont critiquables. Les Romains et les Grecs eux-mêmes n’en avaient pas de
précise et les frontières de la magie sont parfois un peu floues pour nos esprits « modernes ». Par exemple, distinguer le médical du religieux et du magique n’est pas si facile car certaines pratiques se recoupent et un
même acte peut mélanger :
- Des éléments magiques et médicaux :
Par exemple, l’emploi de pharmaka (plantes) associées à des formules dites à voix haute n’est pas propre dans
l’antiquité aux magiciens ou aux médecins. Les deux praticiens peuvent avoir recours à cette association.
Ex.1 : dans l’Odyssée, chant 19, vers 455 à 462 : Ulysse est blessé à la chasse par un sanglier qui lui donne un
coup de corne au-dessus du genou ; il est soigné par ses compagnons qui bandent sa blessure et « arrêtèrent le
sang noir en prononçant sur elle des paroles magiques » (en grec, ἐπαοιδῇ = incantation, litanie) associant ainsi
magie et médecine. Attention à la question de la traduction qui reflète ici un point de vue contemporain sur le
mot grec.
Le mot grec pharmakon (pluriel pharmaka) désigne à la fois le remède et le poison. Cf. L’Odyssée, chant IV, vers
219sq, Hélène emploie un Pharmakon (Chant IV : Au coucher du soleil, Télémaque arrive à Sparte où il est
reçu par Ménélas et Hélène. Ménélas évoque la guerre de Troie et la disparition d'Ulysse. Hélène, qui remarque
le trouble de Télémaque, offre aux hôtes une boisson contenant une drogue relaxante. « Mais un nouveau dessein naît dans l'esprit d'Hélène : elle mêle au vin où puisaient leurs coupes le suc merveilleux d'une plante qui
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bannissait du cœur la tristesse, la colère, et amenait l'oubli de tous les maux. Celui qui s'abreuvait de cette liqueur ainsi préparée, eût-il à regretter la mort d'un père ou d'une mère, eût-il vu son fils immolé par le fer, il
perdait le souvenir de son deuil ; durant tout ce jour ne coulait de ses yeux aucune larme. Tel était le charme
souverain de ce baume. Hélène l'avait reçu de Polydame, femme de Thon qui régnait en Égypte, où la terre féconde fait pulluler des plantes et venimeuses et salutaires, où chacun, plus qu'en aucun autre climat, est savant
dans l'art de guérir nos maux: ce peuple est la race de Paon, l'Esculape céleste.
- Ex. 2 : La célèbre formule abracadabra apparaît pour la première fois dans un traité de médecine en vers écrit
par un poète-médecin romain du 3ème siècle Quintus Serenus Sammonicus, compilateur de recettes populaires.
Pour traiter une personne atteinte de la fièvre demi-tierce (fièvre qui redouble deux fois chaque troisième jour
après le premier accès), il préconise d’utiliser la formule abracadabra ; il écrit : - Ecrivez sur un morceau de papier ABRACADABRA ; puis répétez ce mot autant de fois qu’il y a de lettres dans le mot, mais en retranchant
chaque fois une lettre, de sorte que le tout ait la figure d’un cône. Cela fait, suspendez avec un fil de lin le morceau de papier au cou du malade.
L’image présentée en illustration sur le site vient d’un vieux livre numérisé sur Google Books intitulé Dictionnaire
abrégé de la fable de Chompré (1727), auteur d’ouvrages pédagogiques.
Abracadabra viendrait, selon Chompré, du nom Abracax ou Abraxas qui serait un autre nom pour Mithra, dieu
des Perses (à retenir car on verra plus loin le rôle des Perses dans la magie, selon les Grecs), nom dont les lettres
en caractères grecs, prises chacune pour un chiffre, donnent 365, le nombre des jours de l’année, donc un nom
à valeur symbolique. ΑΒΡΑΞΑΣ =1+2+100+1+60+1+200=365. En fait, aujourd’hui, l’origine de ce nom est
discutée ; il viendrait sans doute de l’araméen ou de l’hébreu.
L’ouvrage de Sammonicus n’est pas à considérer comme un ouvrage de magie puisqu’il n’a pas été rédigé pour
un petit cercle d’initiés, mais comme un ouvrage populaire destiné à tous ; d’ailleurs, c’est parce que cet ouvrage
connut un vif succès jusqu’au moyen-âge que cette formule devint célèbre et connut le destin que l’on sait.
Cet exemple montre clairement que ce qui pour nos mentalités d’occidentaux du 21ème siècle relève clairement
de la superstition et de la magie (rituel étrange mêlant geste et formule répétée, sorte de litanie dont le sens nous
échappe, et dont on voit mal le rapport qu’elle entretient avec le mal qu’elle est censée soignée), relève pour les
hommes de l’antiquité de la sagesse populaire. Dans ces conditions, on peut donc s’attendre à ce que l’univers
de ces hommes soit baigné par la magie.
- Des éléments religieux et magiques :
-Ex. 3 : Les 9, 11 et 13 mai, on fête à Rome les LEMURIA : il s'agit d'empêcher les lémures (revenants), de
revenir hanter le monde des vivants. Pour ce faire, chaque pater familias, dans sa maison, après s'être purifié les
mains dans une eau courante, jette derrière lui 9 fèves noires ; cela est censé satisfaire l'appétit des lémures. Ce
geste superstitieux relève de la religion, non de la magie, puisqu’il s’agit de pratiques codifiées..
-Ex.4 : Le motif du cercle que l’on dessine à terre pour déterminer les contours d’un territoire relève aussi bien
de la religion que de la magie. Ainsi, Romulus, fondateur de Rome, trace avec un soc de charrue l’espace du
pomerium romain, c’est-à-dire l’enceinte sacrée de la ville // Avant de faire un sacrifice en l’honneur des dieux,
une fois que l’animal, paré, est conduit à l'autel, le prêtre tourne autour de l'autel, comme pour délimiter l'espace
sacré // Dans Le Satiricon, de Pétrone, scène de transformation en lycanthrope (loup-garou) : le personnage se
dénude, pose tous ses vêtements au bord de la route, tourne autour d’eux en pissant, et le voilà qui se transforme en loup. Ses vêtements, eux, se changent en pierres.
-Ex.5 : Les sacrifices relèvent autant de la magie que de la religion officielle. Cicéron, dans le Contre Vatinius,
accuse le personnage d’être un magicien (sans employer le terme précis dans ce passage) : « Toi qui t’es adonné
à des rites inconnus et impies, qui a pour habitude d’évoquer les âmes des enfers, d’apaiser les dieux mânes avec
des entrailles d’enfants, quelle perversion de l’esprit, quelle folie t’ont conduit à mépriser les auspices? » L’accusation porte ici, plus précisément, sur des sacrifices d’enfants, ce qui, dans l’esprit de Cicéron, distingue magie et
religion.
Des sanctions sont prévues par les lois contre les sacrifices humains (des sorciers).
En fait, c’est souvent l’intention de la personne qui agit et le contexte de l’événement qui permettent de faire
la différence entre magie, médecine et religion. Les Romains distinguaient, dans des pratiques similaires en apparence, celles qui compromettaient l’intégrité des personnes et de leurs biens, et celles qui étaient dénuées d’intentions malveillantes. C’est donc l’intention (et éventuellement le résultat de l’acte) qu’on condamnait et punissait, pas les pratiques en elles-mêmes. Cela apparaît clairement si l’on se penche sur deux lois romaines :
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- La loi des douze tables, en fait un corpus de lois romaines écrites sur 12 tables de bronze vers -450.
Une des lois interdit d’enlever par des sortilèges (excantare) les récoltes d’un voisin. Dans la 8ème Bucolique de
Virgile, une bergère raconte qu’elle a vu Mœris, un homme, grâce au pouvoir d’herbes et de poisons cueillis
dans les campagnes du Pont, « transporter dans un autre champ les moissons sur pied » (vers 99). La loi ne
punit pas la démarche magique (le moyen), mais le fait de porter atteinte à la propriété d’autrui!
-La loi appelée lex Cornelia de sicariis et veneficis = loi contre les assassins et les empoisonneurs, loi que Sylla fait
voter à Rome en -81 et qui doit servir de base à toute action légale contre la magie. Or, le mot veneficium qui
signifie l’empoisonnement finit par devenir un synonyme de « confection de philtres magiques » et de « magie »
et le mot latin, de la même famille, qui signifie « empoisonneur » (veneficus) devient synonyme de sorcier ou sorcière. Or, on peut très bien empoisonner quelqu’un sans faire de la magie pour autant. Cette évolution sémantique prouve bien que dans l’esprit des législateurs, ce qui caractérise la magie, c’est l’intention criminelle qui y
préside, pas l’acte en soi, ce qui rend les limites de ce domaine très élastiques et ne nous éclaire pas sur les pratiques magiques, rituels et objets utilisés par exemple. D’ailleurs, les Romains, au 1er siècle avant JC, emprunteront aux Grecs les termes magus et magia mais leur préféreront les mots maleficus et maleficium qui signifient
littéralement « celui qui fait du mal » et « le maléfice ». La terminologie est donc très équivoque. Du coup, tout
acte néfaste ou mauvais qui paraît difficilement explicable peut se voir taxer de magique et toute personne
soupçonnée de mauvaises intentions contre quelqu’un peut risquer une accusation de magicien.
Exemple historique : relaté par Pline l’ancien. C. Furius Cresimus, un affranchi, propriétaire d’un petit domaine,
en tirait des récoltes plus abondantes que ses voisins, des propriétaires plus riches. Il se fit donc détester de ces
derniers qui l’accusèrent de pratiques illicites (c’est-à-dire magiques) et il eut à comparaître devant un tribunal
où il se défendit en se présentant avec ses employés agricoles, robustes et énergiques, et son matériel agricole
(charrue et bœufs) en ajoutant à sa défense que malheureusement, il ne pouvait pas présenter à ses juges ses
nuits de travail, ses sueurs et ses veilles. Il fut acquitté.
B. Une attitude parfois contradictoire par rapport à la magie :
L’attitude des anciens par rapport à la magie est, de toute façon, très ambiguë et contradictoire. La position de
Pline l’ancien en est symptomatique. Pline peut être considéré comme un scientifique de son temps (on sait
qu’il mourut en 79 pour s’être trop approché de l’éruption du Vésuve, ce qui traduit bien l’attitude d’un homme
à l’esprit scientifique, curieux des phénomènes naturels) et il écrivit une Histoire naturelle en 37 livres ; le livre
XXX est consacré à la magie et à la pharmacopée. Le livre est intéressant à plus d’un titre car d’emblée, son
auteur commence par y faire une critique virulente de la magie (il emploie les termes de la famille de magia) ; il
dit de la magie qu’ elle est « le plus fallacieux des arts (fraudulentissima artium)», et prévient son lecteur qu’il se fixe
pour but de dévoiler les « impostures magiques » (Noter que son propos se « limite » aux remèdes médicaux.) Il
le fait parfois explicitement par exemple au §29 : « Dans les cas de délire ... Je rangerai la cendre des yeux de
hibou au nombre de ces recettes ridicules par lesquelles les charlatans se jouent de la crédulité des hommes.
C'est surtout dans les fièvres que la médecine renonce à leurs prescriptions. »
Mais l’ensemble du texte se présente plutôt comme un catalogue de recettes étranges, de remèdes qui aujourd’hui peuvent prêter à sourire mais que Pline oublie en cours de route de dénoncer comme frauduleux et qu’il
cite sans mise à distance, si bien qu’on ne sait plus ce qu’il en pense vraiment. Il se contente le plus souvent de
reprendre les affirmations des « mages » (« selon leurs dires », « il en est qui prescrivent de », « je lis que ») sans
les commenter et même oublie ces formules d’introduction au bout d’un moment, ce qui annule toute distance.
Puis des contradictions apparaissent : §30 (suite de ce qui a été cité précédemment) : « dans la fièvre quarte, la
médecine clinique est à peu près impuissante. C’est pourquoi nous rapporterons plusieurs remèdes des mages,
et d’abord ceux qu’ils prescrivent comme amulettes : la poussière dans laquelle s’est roulé un épervier et qu’on
enferme dans un petit linge attaché avec un fil rouge. »
§42 : « beaucoup de ces recettes ne doivent pas être prises au sérieux ; il ne faut cependant pas les omettre,
puisqu’elles ont été publiées. » Pline est en fait partagé entre d’un côté, son esprit critique et, de l’autre, son
respect de la tradition. Pour nous, esprits du XXIème siècle, on est dans la superstition pure. De plus, ces recettes nous apparaissent en général répugnantes ; elles sont le plus souvent à base de cendres d’animaux brûlés, de
fientes d’oiseaux, de pattes de grenouilles, de vers de terre malaxés dans du miel, d’organes encore chauds d’animaux tout juste dépecés…
De plus, elles apparaissent comme particulièrement délicates, voire impossibles à confectionner : cf. textes d’illustration : « On scarifie les gencives avec les os du front d'un lézard, qu'on extrait pendant la pleine lune, sans
leur laisser toucher la terre.// D'autres font prendre vingt et un de ces insectes broyés dans une hémine d'eau
miellée, à l'aide d'un roseau, attendu que s'ils touchent les dents ils sont inefficaces. »
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