Patrick Kanner : « On a besoin d`une France qui gagne »
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Patrick Kanner : « On a besoin d`une France qui gagne »
2 Magazine Trente-quatre millions de Français agissent avec et autour du sport. C’est sans doute la matière qui concerne le plus les Français. ENTRETIEN LA VOIX DES SPORTS LUNDI 17 NOVEMBRE 2014 L’invité 0082. PHOTO MAXPPP Une ligue 1 à 18, ce n’est pas la panacée, ce n’est pas populaire mais ça permettrait quelques matchs en moins et aux clubs français d’être plus compétitifs en Coupe d’Europe. Une équipe qui se tape le championnat, la Coupe de la Ligue, la Coupe de France, plus des matchs européens, il ne faut pas s’étonner qu’il y ait des choix effectués dans certaines compétitions. LA VOIX DES SPORTS LUNDI 17 NOVEMBRE 2014 L’invité 0082. Oui, j’aurais aimé que le derby ait lieu à Lille. Lors d’une convention en février entre le conseil général du Nord et celui du Pas-de-Calais, j’avais d’ailleurs porté l’écharpe de Lens et Dominique Dupilet celle de Lille. Il y avait forcément un message, mais Michel Seydoux avait le droit de dire non comme il l’a fait. Magazine PHOTO PATRICK DELECROIX 3 Si j’étais hôtelier ou restaurateur à Lille, je me frotterais les mains à l’annonce de l’arrivée de tous ces grands événements. Le ministre des Sports s’est longuement confié à La Voix des Sports Patrick Kanner : « On a besoin d’une France qui gagne » Nommé ministre de la Ville, de la Jeunesse et des Sports le 26 août, Patrick Kanner nous a accordé un entretien de près d’une heure. Le temps pour le ministre lillois d’évoquer quelques dossiers du moment et d’affirmer son ambition de redonner au sport une plus grande place dans notre pays. – Un ministre des sports a-t-il le temps de faire du sport ? « Je faisais pas mal de sport pendant mes vacances, notamment de la natation en mer et en piscine. Le problème, c’est que je n’ai plus de vacances. Le seul sport, désormais, pour évacuer le stress, c’est un peu de marche. Mais pour des raisons de sécurité, on nous interdit de marcher tout seul. À Paris, ma notoriété est moindre, mais à Lille où je reviens tous les week-ends, les gens me reconnaissent. J’ai donc deux officiers de sécurité obligatoirement avec moi. Ils sont très discrets, professionnels. J’ai donc ramené des appareils de sport pour faire un peu de musculation ici. Mon cabinet m’a offert un vélo elliptique, je n’ai pas encore essayé, mais je préférerais courir. » – Et avant d’être ministre ? « J’avais fait un peu de football au LOSC quand j’étais gamin. J’ai fait du tennis à l’université et j’ai pratiqué au TC Lille dont je suis président d’honneur. J’ai aussi fait du ski, deux ou trois fois par an à l’époque. Après, un ministre des sports peut être pertinent sans avoir pratiqué à haut niveau. Il y a effectivement eu des grands champions qui ont été ministres, je pense à Bambuck ou Douillet, mais je pense qu’il vaut mieux être ministre que sportif. » – Quand vous avez été nommé, avez-vous procédé à une remise à niveau de vos connaissances dans certains sports ? « Je le fais au travers des médaillés des différentes disciplines, auxquels je téléphone à chaque fois. Quand on va accueillir la Ryder Cup, je vais m’intéresser au golf. Je ne prétends pas être exhaustif et omniscient sur tous les sports, je ne sais d’ailleurs pas s’il y a un spécialiste de tous les sports en France. J’ai aussi un secrétaire d’État, Thierry Braillard, qui a été adjoint aux sports à Lyon et qui à une connaissance plus précise. De mon côté, je dois m’adresser à l’organisation des grands événements, à la question d’une candidature éventuelle de Paris aux JO, au dopage, aux dossiers transversaux. Il m’arrive d’aller faciliter des rencontres, par exemple liées au RC Lens. Je suis intéressé par la partie événementielle, compétitive mais aussi la partie sociétale. J’ai toujours considéré le sport comme un outil d’intégration, d’insertion. On a d’ailleurs un projet de circulaire porté avec Najat Vallaud-Belkacem afin de profiter de la réforme des rythmes éducatifs pour valoriser le sport pendant les temps libres des enfants. » – Dans un gouvernement resserré, un ministère des Sports est-il vraiment utile ? Je ne prétends pas être exhaustif et omniscient sur tous les sports. « Certains disent qu’il n’y a qu’à faire une agence de financement et laisser au mouvement sportif le soin de gérer toutes les politiques publiques en la matière, mais je pense qu’il faut trouver un équilibre entre le cap qui doit être fixé par un gouvernement, donc le ministère des sports, en la matière car il y a quand même 17 millions de licenciés et 17 millions de gens qui pratiquent sans être licenciés, donc 34 millions de Français qui agissent avec et autour du sport. C’est sans doute la matière qui concerne le plus de Français. D’un autre côté, le mouvement sportif est d’une puissance extraordinaire qui mérite d’être considérée. Je souhaite co-construire les politiques de sport avec le mouvement sportif. Ce serait une erreur de considérer l’État comme une simple tirelire et ce serait une erreur aussi, dans l’autre sens, de ne pas considérer le mouvement sportif. Est-ce que j’aurai en fin de mandat une grande loi sport ? Ce n’est pas impossible. Depuis la loi Buffet, il y a dix ans, beaucoup d’éléments nouveaux sont intervenus et méritent d’être légiférés. Pour l’instant, la seule loi que j’ai portée, c’est une loi d’habilitation pour transcrire dans le code du sport le code mondial antidopage. C’est une reconnaissance du fait que la France se met à niveau dans ce domaine. » – On entend davantage Thierry Braillard, votre secrétaire d’État, que vous dans les médias. Quelle est la répartition des rôles entre vous ? « On se partage les passages sur les événements car c’est l’une des missions les plus chronophages. Sinon, je porte des dossiers de coordination, notamment sur les grands événements sportifs comme l’Euro 2016, de grands dossiers transversaux. Thierry travaille davantage sur des dossiers qui touchent plus à la vie du sport, comme par exemple le statut du sportif de haut niveau. Une centaine de sportifs à peine vivent très bien de leur art en France. Si on veut avoir des champions, il faut leur éviter tous les soucis matériels, qu’ils ne consacrent leur énergie qu’à leur vie de champion. Il ne faut pas pour autant les mettre dans un cocon, mais beaucoup de progrès sont à faire sur les conditions de vie de nos champions dans de nombreuses disciplines. Il faut aussi voir comment on les prépare à la sortie, une fois qu’ils ont donné au pays. Qu’est-ce que le pays peut leur proposer comme perspectives ? » – On parle souvent de la faiblesse du budget des Sports, êtes-vous d’accord ? Le RC Lens, c’est plus que du foot, c’est un élément culturel du bassin minier. Pas peu fier d’exhiber un kimono de l’équipe de France à son nom, qui trône dans son bureau, Patrick Kanner a pris sa mission à bras le corps, tout en gardant le sourire. « Le ministre des Sports va vous dire qu’il préférerait avoir plus, mais on a sanctuarisé les crédits aux fédérations. On a un problème sur l’investissement. Le CNDS en 2012 était en quasi dépôt de bilan car des promesses de financements avaient été engagées par le précédent gouvernement sans en avoir les moyens. On a réussi avec une taxe sur la FDJ à financer une partie des stades sur l’Euro 2016 sans toucher au CNDS. Je pense qu’on peut faire perdurer cette taxe. Sinon, je souhaite qu’en 2015, on fasse un point d’étape pour réfléchir avec le CNOSF et les collectivités territoriales sur une nouvelle organisation territoriale, de nouvelles compétences. Il faudrait aussi voir quel est le poids du sport dans ce pays. Beaucoup voient le sport comme une matière mineure alors qu’il y a des enjeux économiques énormes, une image de la France à valoriser. La finale de la Coupe Davis, la Ryder Cup, l’Euro de basket, l’Euro de foot, le Mondial de hand, les Mondiaux de lutte, peut-être la Coupe du monde de foot féminin… Notre pays est une terre d’excellence pour l’accueil de très grands événements sportifs. Et c’est du développement économique, ça permet aux sociétés françaises de faire du business à l’étranger. En ce moment, si j’étais hôtelier ou restaurateur à Lille, je me frotterais les mains à l’annonce de l’arrivée de tous ces grands événements. Le sport, ce n’est pas que des dépenses, c’est aussi des créations de richesses. » – Vous avez évoqué le RC Lens. Estce le rôle de l’État d’intervenir sur ce genre de dossier ? « Le gouvernement est là pour faciliter les contacts, aider Gervais Martel à rencontrer des gens plus facilement, plus rapidement. Après, on ne rentre pas dans le fond du dossier, c’est une affaire privée. Il ne s’agissait bien évidemment pas de dire à l’Azerbaïdjan : il faut payer ! Je ne vois d’ailleurs pas comment on pourrait le faire. Mais si par un contact privilégié, on est capable de faire passer les informations au bon niveau, c’est notre boulot. On a une obligation de moyens, pas de résultats. Maintenant, j’espère que Gervais Martel pourra obtenir les fonds qui lui sont dus. Le RC Lens mérite d’être accompagné, c’est plus que du foot dans le Pas-de-Calais, c’est un élément culturel du bassin minier. » – En tant que Nordiste, regrettezvous que le derby Lens-Lille se joue au stade de France ? « Je vais vous donner mon sentiment personnel, pas celui du ministre des Sports. Oui, j’aurais ai- mé qu’il ait lieu à Lille ce match. Lors d’une convention en février entre le conseil général du Nord et celui du Pas-de-Calais, j’avais d’ailleurs porté l’écharpe de Lens et Dominique Dupilet celle de Lille. Il y avait forcément un message, mais Michel Seydoux avait le droit de dire non comme il l’a fait. » – Vous vous êtes récemment positionné pour une Ligue 1 à 18 Ce serait une erreur de considérer l’État comme une simple tirelire. clubs. Pourquoi ? « Déjà, je suis pour une ligue non fermée. La première année serait bien sûr la plus compliquée. Mais une équipe qui se tape le championnat, la Coupe de la Ligue, la Coupe de France, plus parfois des matchs européens et des matchs internationaux pour certains de leurs joueurs, il ne faut pas s’étonner qu’il y ait des choix effectués dans certaines compétitions. Une ligue 1 à 18, ce n’est pas la panacée, ce n’est pas populaire mais ça permettrait quelques matchs en moins et aux clubs français d’être plus compétitifs en Coupe d’Europe. C’est un débat que je veux poser sur la table. » – On parle de plus en plus du désengagement de l’État dans les CREPS. Qu’en est-il ? « La proposition que je vais faire, c’est de régionaliser. Les CREPS doivent devenir des équipements portés par les régions. Le Graal national restera à l’INSEP. Ce serait une complémentarité entre les collectivités régionales et l’État. Une compétence partagée. » ■ RECUEILLI PAR DAVID DELPORTE ET OLIVIER ROUSIES PHOTOS STÉPHANE MORTAGNE MAKING OF « Et allez le Nord ! » C E n’est pas tous les jours que La Voix des Sports s’invite chez un ministre. Le rendez-vous avait été pris trois semaines plus tôt. Un jeudi à 16h30 au ministère de la Ville, de la Jeunesse et des Sports, rue Saint-Dominique à Paris, à deux pas de l’Assemblée nationale. Puis avancé d’une heure en raison d’un changement d’agenda. « Une demiheure, ça vous ira ? En tout cas, le ministre est ravi de vous recevoir », nous avait assuré son attachée de presse. L’entretien eut finalement lieu avec… une heure de retard. « Désolé, une réunion avec les partenaires sociaux », s’excusa Patrick Kanner, en nous accueillant dans le petit salon d’accueil avec un grand sourire et une poignée de mains chaleureuse. On ne nous avait pas menti. Le ministre des Sports est toujours heureux de retrouver des gens du Nord. « Je suis abonné à La Voix du Nord, mais je la reçois avec un jour de retard. Je n’ai pas encore eu le temps de lire celle d’aujourd’hui, mais regardez, elle est là. » Une petite pile de journaux s’amoncelle sur une table basse, en face d’un grand bureau de verre où s’empilent des dizaines de dossiers à côté d’un fa- nion de l’Euro 2016. « Ne faites pas attention ! Il me faudrait une journée pour tout ranger et classer, mais quand on est ministre, ce n’est pas possible. » Détendu et plutôt bavard, Patrick Kanner nous accordera finalement plus de trois quarts d’heure d’entretien, au grand dam de sa sympathique attachée de presse chargée du respect du timing. À l’arrivée : pas de révélation, mais aucune question éludée… sauf celle concernant la candidature de Paris pour les JO de 2024. « Désolé, mais le président devrait faire une annonce à ce sujet ce soir… (1). » Après avoir accepté une rapide séance photos et nous avoir présenté, non sans une certaine fierté, le kimono de l’équipe de France de judo, à son nom, qui trône sur un cintre à l’entrée de son bureau, il est l’heure de prendre congé. Le ministre nous raccompagne. La poignée de mains est toujours aussi chaleureuse et le sourire sincère. Son rendez-vous suivant est déjà là. « Bon retour et allez le Nord ! » ■ O. R. 1. L’entretien a été réalisé le 6 novembre, jour de l’émission de François Hollande sur TF1. LIRE LA SUITE EN PAGE 4