un patrimoine religieux en devenir

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un patrimoine religieux en devenir
ANALYSIS | ANALYSE
UN PATRIMOINE RELIGIEUX EN DEVENIR :
LES ÉGLISES DE L’ARRONDISSEMENT
ROSEMONT–LA PETITE-PATRIE À MONTRÉAL1
SOPHIE RIOUX-HÉBERT complète un mémoire
de maî t r ise en géogr aphie à l’UQ AM. sur
> S OPHIE R IOUX -H É B E R T
les fonctions géo-identitaires des églises de
quartier. En septembre 2005 elle entreprend
des études doctorales dans le programme
conjoint en études urbaines (UQAM/INRS).
Elle est associée à la Chaire de recherche du
Canada en patrimoine urbain.
L
e Québec, comme plusieurs autres
régions du monde occidental, est aux
prises avec un problème d’aménagement
des plus complexes en ce qui concerne
les lieux de culte désaffectés ou en voie
de l’être. En effet, la diminution de la
pratique religieuse, jumelée à l’augmentation des coûts d’entretien des églises et
au manque de relève sacerdotale oblige
les diocèses, tant catholiques que protestants, à fusionner et à éliminer des
paroisses dans le but de consolider leurs
avoirs et leurs activités2. Ces diocèses procèdent ensuite à la vente des lieux de culte
excédentaires qui, si le transfert à une
autre communauté religieuse se révèle
impossible, sont reconvertis à d’autres
usages ou encore démolis.
Cette tendance se remarque surtout dans
les quartiers centraux des principales villes
québécoises, attendu que leur population,
plus importante, y a généré un plus grand
nombre de lieux de culte. Par contre, les
résidants de ces quartiers s’opposent fréquemment à la liquidation de leurs églises,
alléguant que ces bâtiments font partie
du patrimoine collectif. Ce conflit d’usage
interpelle l’administration municipale qui
s’efforce de préserver les bâtiments religieux les plus significatifs à l’échelle du
quartier. Toutefois, ce qui est significatif pour les experts en patrimoine et les
autorités municipales ne l’est peut-être
pas pour les résidants.
ILL. 3. L’ÉGLISE SAINT-ÉDOUARD | JONATHAN CHA
JSSAC | JSÉAC 30 > N os 1-2 > 2005 > 5-16
Un tel contexte soulève plusieurs questions : Comment les résidants d’un quartier
procèdent-ils pour déterminer la valeur
relative de leurs églises ? Témoignentils d’une certaine conscientisation dans
leurs choix ou plutôt d’un attachement
lié à l’usage et à la connaissance ? Se représentent-ils les églises comme des lieux
3
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DROUIN
IOUX -H ÉBERT
| ANALYSE
| ANALYSE
> ANALYSIS
> ANALYSIS
voués principalement au culte ou comme
des lieux patrimoniaux qui possèdent des
valeurs historiques et artistiques ?
À partir de l’exemple de l’arrondissement
Rosemont–La Petite-Patrie à Montréal, le
présent essai examine les représentations
que les résidants se font de leurs églises de
quartier afin de découvrir si ces représentations témoignent de l’émergence d’une
conscience patrimoniale.
LES REPRÉSENTATIONS
COLLECTIVES DES ÉGLISES, UNE
PERSPECTIVE PEU ÉTUDIÉE
Un rapide survol de la littérature concernant les lieux de culte permet de constater
la pauvreté de la recherche scientifique sur
les représentations collectives des églises
de quartier dans un contexte de sécularisation. La géographie de la religion, champ
disciplinaire où l’on pourrait s’attendre à
trouver ce type d’étude, ne génère que
peu de recherches en ce sens 3 . Il existe
bien deux études géographiques datant
des années 1980 qui examinent le recyclage des églises rurales du Minnesota et
du Manitoba en lien avec les représentations identitaires qu’en possèdent les
familles qui habitent à proximité 4 . Ces
études concluent que les résidants considèrent toujours leurs églises, malgré leur
désaffectation, comme des bâtiments
signifiants pour des raisons religieuse,
historique et culturelle, mais surtout
parce qu’ils entretiennent avec celles-ci
des liens affectifs forts développés sur
plusieurs générations5.
De l’autre côté de l’océan, en France de
l’Ouest, des géographes ont étudié l’impact des réaménagements paroissiaux sur
les représentations et les comportements
religieux de divers groupes sociaux sans
toutefois examiner les rapports possiblement affectifs et identitaires que ces
groupes entretiennent avec leurs lieux
de culte6.
4
ILL. 1. MONTRÉAL ET L’ARRONDISSEMENT ROSEMONT-LA PETITE-PATRIE
Au Québec, les études qui explorent le rôle
des églises dans la société québécoise ont
émané principalement d’historiens, d’architectes et d’urbanistes. Toutefois, malgré
le fait que le patrimoine religieux suscite
depuis quelques années un intérêt de plus
en plus marqué de la part des médias et
de la population, comme en témoigne
le nombre d’émissions de télévision et
d’articles de journaux qui lui sont réservés,
les études scientifiques qui abordent le
problème de la conservation des lieux de
culte demeurent peu nombreuses. Au sein
de ce mince corpus, nous n’avons trouvé
aucune étude scientifique analysant précisément les représentations collectives
des églises de quartier dans le contexte
actuel de la désaffectation ; tout au plus,
certaines études soulignent l’importance
des aspects culturel et identitaire dans
la création d’un patrimoine religieux 7.
C’es t pourquoi nous nous tournons
vers la géographie de la représentation
pour alimenter le cadre théorique de
notre étude.
Les études géographiques sur les
représentations mentales se révèlent
particulièrement fécondes pour notre
analyse. À l’instar de Debarbieux et de
Bailly8, nous considérons que la représentation mentale de l’espace est un schéma
cognitif, une interprétation du réel, transmis soit par la perception d’un lieu, soit
par les modes de communication, et qui
s’inscrit dans un cadre idéologique. Ces
représentations individuelles interagissent
entre elles grâce aux moyens de communication, aux symboles et aux expériences
pour se combiner et s’altérer mutuellement. De cette association, ou socialisation,
résultent des représentations collectives9.
Celles-ci, continuellement alimentées par
de nouvelles représentations individuelles,
fluctuent, se construisent ou se déconstruisent au fil du temps10. Par ailleurs, ces
représentations collectives comportent
une assise spatiale dans la mesure où le
groupe social ou culturel projette sur un
lieu des valeurs affectives et identitaires, lui assignant par le fait même une
symbolique qui ancre dans celui-ci l’identité du groupe. Cette projection de valeurs
résulte en un marquage territorial qui
s’effectue par la production et l’entretien de
référents identitaires, auxquels on accole
fréquemment le terme « patrimoine ».
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SOPHIEMARTIN
RIOUX-H
ÉBERT >
ANALYSIS || ANALYSE
ANALYSE
> ANALYSIS
DROUIN
VILLE DE MONTRÉAL
ILL. 4. L’ÉGLISE NOTRE-DAME-DE-LA-DÉFENSE | JONATHAN CHA
ILL. 2. L’ARRONDISSEMENT ROSEMONT–LA PETITE-PATRIE, SES TROIS QUARTIERS AINSI
QUE LES DEUX ÉGLISES DES PAROISSES-MÈRES | PRODUIT PAR SOPHIE RIOUX-HÉBERT
Selon Gravaris-Barbas, « l’identification
d’un groupe à un territoire [s’exprime]
essentiellement à travers les éléments
patrimoniaux matériels, portés par le territoire »11. Ainsi, les représentations collectives peuvent mener à la patrimonialisation
d’un lieu dans la mesure où il y aurait un
consensus au sein du groupe sur la valeur
historique, architecturale, artistique et
culturelle du lieu et sur l’importance de
celui-ci dans l’affirmation identitaire et
territoriale du groupe.
LE CONTEXTE SOCIOHISTORIQUE
DE L’ARRONDISSEMENT
ROSEMONT–LA PETITE-PATRIE
Pour illustrer nos propos, nous avons choisi
d’explorer les représentations que les résidants de l’arrondissement Rosemont–La
Petite-Patrie possèdent de leurs églises.
Le choix de cet arrondissement n’est pas
fortuit. Celui-ci possède une riche histoire
religieuse, s’étant développé autour de
deux pôles paroissiaux catholiques, les paroisses Saint-Édouard et Sainte-Philomène
(qui devint, en 1964, la paroisse SaintEsprit-de-Rosemont). Il importe de men-
JSSAC | JSÉAC 30 > N os 1-2 > 2005
tionner que l’arrondissement se compose
de trois quartiers plus ou moins distincts :
la Petite-Patrie, Rosemont et NouveauRosemont (ill. 1 et 2).
La Petite-Patrie s’est développé au tournant du vingtième siècle grâce à l’inauguration d’un tracé de tramway qui longe la
rue Saint-Denis (ancien chemin du Sault),
entraînant le peuplement de ce quartier
du nord de la ville12. Les limites actuelles du
quartier englobent une partie de deux anciennes municipalités, Saint-Louis du Mile
End et Coteau Saint-Louis, et de deux quartiers, Saint-Jean et Saint-Denis13. Composé
majoritairement de Canadiens français, à
l’origine le secteur accueillit aussi des Italiens et des Canadiens anglais. Les premiers
s’établirent autour de la rue Saint-Denis
et fondèrent la paroisse Saint-Édouard en
1895. La construction de l’église, située au
coin des rues Saint-Denis et Beaubien, fut
terminée en 1909, ce qui en fait le lieu de
culte le plus ancien de l’arrondissement
(ill. 3). Aujourd’hui encore, l’église SaintÉdouard constitue le cœur névralgique
du quartier. De même que les francophones, les Canadiens anglais s’établirent à
proximité de la ligne de tramway, mais ils
ILL. 5. L’ÉGLISE NOTRE-DAME-DE-LA-CONSOLATA
| JONATHAN CHA
ILL. 6. L’ÉGLISE SAINT-ARSÈNE | JONATHAN CHA
5
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IOUX -H ÉBERT
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| ANALYSE
> ANALYSIS
> ANALYSIS
6
ILL. 7. ÉGLISE SAINT-ESPRIT | JONATHAN CHA
ILL. 8. ÉGLISE ST. LUKES | LUC NOPPEN
ILL.9. ÉGLISE SAINT-JEAN-DE-LA-CROIX | LUC NOPPEN
nommèrent le secteur Amherst Park, du
nom d’une des compagnies immobilières
qui le développa. Les nombreux lieux de
culte protestants qui parsèment toujours
le quartier témoignent de cette présence
culturelle importante. Pour sa part, la
communauté italienne s’établit autour du
boulevard Saint-Laurent, entre les rues SaintZotique et Jean-Talon, et c’est pourquoi ce
secteur est nommé Piccola Italia (PetiteItalie). L’église Notre-Dame-de-la-Défense
(1911), classée monument historique national par le gouvernement fédéral en 2002,
et l’église Notre-Dame-de-la-Consolata
(1961) demeurent les deux lieux de culte
les plus visibles de cette communauté (ill. 4
et 5). En 1985, pour tenter de renforcer
l’appartenance des résidants au quartier14,
l’administration municipale lui accola
l’appellation de Petite-Patrie, inspirée du
titre d’un roman autobiographique de
Claude Jasmin dans lequel il raconte son
enfance dans le quartier15 . Aujourd’hui,
la communauté anglophone a pratiquement disparu du quartier et la population
italienne a beaucoup diminué16. Par contre, une population latino-américaine s’y
est installée. Celle-ci, dans une perspective d’économie, ne s’est construit aucun
lieu de culte, utilisant plutôt l’église
catholique Saint-Arsène (1954), située
sur la rue Bélanger (ill. 6).
ciale, jouit toujours d’une position centrale
dans le quartier. Par ailleurs, des angloprotestants et, plus tard, des immigrants
ukrainiens de confessions orthodoxe et
catholique s’installèrent dans le quartier
pour travailler aux usines Angus. Tout
comme les catholiques, ces communautés
y ont laissé leur marque sous la forme de
nombreux lieux de culte. En 1961, la fermeture partielle des usines Angus amorça le
lent déclin de Rosemont. Les anglophones
et les Ukrainiens quittèrent graduellement
le quartier pour s’établir dans différents
secteurs de l’ouest de la ville. Toutefois,
depuis les dix dernières années, Rosemont
a subi un embourgeoisement semblable à celui de La Petite-Patrie grâce à la
t e n d a n c e a u r é i nv e s t i s s e m e n t d e s
quartiers centraux, mais surtout grâce à
la reconversion des usines Angus, fermées
en 1992, en technopôle et à la construction d’un vaste projet domiciliaire sur une
partie des terrains laissés vacants.
De même que La Petite-Patrie, Rosemont
a connu une urbanisation rapide vers le
tournant du vingtième siècle. L’élément
déclencheur en fut l’arrivée du Canadien
pacifique dans le sud-ouest du quartier17.
En effet, en 1902, le Canadien pacifique
décida d’y installer ses usines de fabrication et d’entretien de locomotives,
communément appelées les Shops Angus.
À partir de ce moment, les possibilités
d’emplois aux Shops Angus ont amené un
flot constant de nouveaux résidants dans
le quartier. La paroisse Sainte-Philomène,
qui devint Saint-Esprit en 1964, vit le jour
en 1904 et, l’année suivante, le village de
Rosemont fut fondé et annexé à la ville de
Montréal. En 1933, la chapelle Sainte-Philomène, devenue trop exiguë, fut remplacée
par l’actuelle église Saint-Esprit, plus vaste
et majestueuse (ill. 7)18. Celle-ci, située sur
la rue Masson, principale artère commer-
Au contraire de Rosemont et de La Petite-Patrie qui se sont urbanisées dès le
début du vingtième siècle, la partie est
JSSAC | JSÉAC 30 > N os 1-2 > 2005
SOPHIEMARTIN
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ÉBERT > ANALYSIS | ANALYSE
ILL. 10. ÉGLISE SAINT-ÉTIENNE | CHRISTIAN CAPERÁA
ILL. 11. ÉGLISE SAINT-EUGÈNE | JONATHAN CHA
de l’arrondissement ne se développa véritablement que dans les années 1950 pour
répondre au manque de logement causé
par le boom démographique de l’après
Deuxième Guerre mondiale. Deux projets
ont favorisé ce développement : le jardin
botanique inauguré dans les années 1930
et l’hôpital Maisonneuve construit dans
les années 1950. Considéré comme une
extension de Rosemont, le quartier s’est
vu attribuée l’appellation de NouveauRosemont. De plus, la population moins
dense de ce quartier s’avère beaucoup plus
homogène que dans le reste de l’arrondissement. Ainsi, seulement deux églises
catholiques francophones y ont pignon
sur rue. Ne possédant aucun centre névralgique, Nouveau-Rosemont peine toujours
à se construire une identité distincte.
mais aussi protestante et orthodoxe19 .
Ce corpus imposant d’églises positionne
l’arrondissement au centre de la polémique
liée à la désaffectation des lieux de culte
Valeurs architecturale
et artistique
55 %
57 %
75 %
62 %
50 %
En 1992, l’administration municipale
regroupa ces trois quartiers en arrondissement, mais ce dernier n’obtint de véritables pouvoirs décisionnels qu’en 2001
grâce à la réforme municipale. Aujourd’hui,
l’arrondissement compte 37 églises de
confession majoritairement catholique,
Valeur identitaire
(attachement et
habitude)
38 %
33 %
18 %
28 %
41 %
Valeurs sociale et
communautaire
5%
8%
7%
5%
8%
Valeur historique
1%
2%
0%
3%
1%
Valeur spirituelle
1%
2%
0%
2%
1%
JSSAC | JSÉAC 30 > N os 1-2 > 2005
urbains. En effet, depuis les trois dernières
années, quatre événements ont suscité de
vifs débats sociétaux tant au sein qu’à l’extérieur de l’arrondissement, sur l’avenir des
Tableau 1
Les cinq églises les plus importantes selon les répondants et les types de raisons
évoquées pour justifier ces choix
Proportion de
répondants ayant
choisi ces églises
Types de raisons
1. Église
Saint-Édouard
2. Église
Saint-Esprit
3. Cathédrale
orthodoxe
Sainte-Sophie
4. Église SaintJean-de-la-Croix
(avant sa reconversion)
67 %
50 %
44 %
38 %
5. Église
Saint-Marc
34 %
Proportion de réponses se classant dans chaque catégorie de raison pour chacune des églises
7
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IOUX -H ÉBERT
| ANALYSE
| ANALYSE
> ANALYSIS
> ANALYSIS
1, 2, 3, 5. PHOTOS : JONATHAN CHA 4. PHOTO : PIERRE LAHOUD
1. ÉGLISE SAINT-ÉDOUARD
2. ÉGLISE SAINT-ESPRIT
églises de quartier. Il y eut tout d’abord,
en 2002, la démolition de l’église anglicane St. Lukes (1928) qui fut remplacée
par des condominiums, suivie en 2003 de
la démolition de l’église catholique SaintÉtienne (1914) qui fit place à des logements
sociaux et de la reconversion de l’église
catholique Saint-Jean-de-la-Croix (1926)
en condominiums haut de gamme. Finalement, la reconversion, amorcée en 2004,
de l’église catholique Saint-Eugène (1954)
en hall communautaire d’un complexe de
logements sociaux se poursuit toujours
(ill. 6-9). Ces récents bouleversements,
qui ont marqué l’imaginaire collectif des
résidants, ainsi que la présence toujours
forte des églises dans le tissu urbain de
l’arrondissement, en font un terrain privilégié pour l’étude des représentations
collectives de ces mêmes bâtiments.
DES REPRÉSENTATIONS INÉGALES
Dans le but de découvrir si les représentations collectives des églises témoignent
d’un processus de patrimonialisation,
nous avons interrogé 304 résidants de
Rosemont–La Petite-Patrie au printemps
200420. Nous avons classé les résultats en
trois thèmes devant nous permettre de
saisir, en partie du moins, la nature de
leurs représentations : l’importance relative des églises et les raisons justifiant
ces choix, les fonctions que les résidants
associent aux églises et les valeurs qu’ils leur
confèrent.
8
3. CATHÉDRALE ORTHODOXE
SAINTE-SOPHIE
4. ÉGLISE SAINT-JEAN-DE-LA-CROIX
L’importance relative des églises
Nous avons cherché à connaître les églises
de l’arrondissement qui sont considérées
par les résidants comme étant les plus importantes. Pour ce faire, nous leur avons
présenté une planche-photo répertoriant
toutes les églises de l’arrondissement en
leur demandant de choisir les trois plus importantes selon leurs propres critères. S’ils
avaient de la difficulté à répondre, nous
leur demandions ensuite quelles étaient
leurs trois églises préférées. L’analyse
des résultats montre que cinq églises se
démarquent particulièrement des autres :
l’église Saint-Édouard, l’église Saint-Esprit,
la cathédrale orthodoxe Sainte-Sophie,
l’église Saint-Jean-de-la-Croix et l’église
Saint-Marc (tableau 1).
Ce qui surprend de prime abord dans cette
liste, c’est le rang qu’occupe l’ancienne
église Saint-Jean-de-la-Croix. En effet,
celle-ci se classe au quatrième rang des
églises les plus importantes de l’arrondissement, selon les répondants, ce qui
s’avère tout de même étonnant pour une
église qui fut reconvertie en copropriétés
en 2003. Un autre résultat quelque peu
surprenant concerne la cathédrale orthodoxe Sainte-Sophie qui se classe au
troisième rang. Pourtant, seulement un
répondant de notre échantillon était de
confession orthodoxe, tandis que 71 %
des répondants étaient de confession catholique21. Cette majorité de répondants
catholiques peut expliquer pourquoi les
5. ÉGLISE SAINT-MARC
quatre autres églises en tête de liste sont
de vocation catholique. Fait à noter, les
deux églises des paroisses fondatrices de
l’arrondissement, l’église Saint-Édouard et
l’église Saint-Esprit, arrivent au premier et
au deuxième rangs respectivement. On
note également que, à part la cathédrale
orthodoxe Sainte-Sophie qui fut érigée en
1962, toutes les églises de cette liste furent érigées pendant la période allant de
1900 à 1935. On peut d’ailleurs observer
des similitudes architecturales entre celles-ci. En effet, ces églises possèdent un
style architectural traditionnel caractérisé
par une monumentalité, une élévation du
plancher, un plan longitudinal et de hauts
clochers22. Ces similitudes dans l’architecture de quatre des cinq églises en tête de
liste nous portent à croire que les répondants auraient une préférence pour les
églises qui arborent ce style architectural
traditionnel.
Par ailleurs, il importe de noter qu’aucune
de ces cinq églises n’est classée patrimoniale par le gouvernement du Québec ou du
Canada. Seule l’église Saint-Esprit bénéficie d’une protection à l’échelle municipale,
car elle fait partie d’un site du patrimoine
constitué en 199023. La seule église qui a
une protection nationale, l’église NotreDame-de-la-Défense, classée monument
historique du Canada, n’apparaît qu’en
treizième position de notre liste. Ce constat suggère que l’église Notre-Dame-dela-Défense jouisse d’un statut mal défini
à l’intérieur de l’arrondissement, mais
JSSAC | JSÉAC 30 > N os 1-2 > 2005
SOPHIEMARTIN
RIOUX-H
DROUIN
ÉBERT > ANALYSIS | ANALYSE
que son statut d’église-mère de la communauté italienne de Montréal lui confère
un rayonnement important aux échelles
régionale et nationale.
Nous avons classé en cinq catégories les
raisons qui justifient les choix des répondants : 1) valeurs architecturale et artistique, 2) valeur identitaire liée à l’habitude
et à l’attachement, 3) valeurs sociale et
communautaire, 4) valeur historique et
5) valeur spirituelle (tableau 1). De plus,
puisque les répondants justifiaient fréquemment leurs choix en évoquant plusieurs raisons se classant dans différentes
catégories, nous avons divisé le nombre
de réponses dans chaque catégorie par le
total de raisons évoquées pour chacune
des églises et non par le total de répondants. Les résultats de cette analyse montrent que la raison principale qui motive
les choix des répondants est d’ordre
esthétique. De fait, les répondants se sont
grandement basés sur les dimensions et le
style architectural d’une église pour faire
leurs choix. C’est pourquoi les églises les
plus majestueuses se trouvent en tête de
liste alors que les églises de style moderne
n’y figurent pas. La deuxième raison évoquée le plus souvent relève d’un sentiment
identitaire lié à l’habitude et à l’attachement. Plusieurs répondants ont choisi des
églises auxquelles ils s’identifient, soit parce qu’ils les connaissent depuis longtemps
(s’y étant mariés, ayant passé leur enfance
dans la paroisse, etc.), soit parce qu’ils les
côtoient fréquemment (y assistant à la
messe régulièrement, passant devant tous
les jours, habitant à proximité, etc.). Nous
remarquons que la cathédrale orthodoxe
Sainte-Sophie a été choisie beaucoup plus
pour ses qualités esthétiques que pour des
raisons liées à l’habitude et à l’attachement. Beaucoup de répondants semblaient
la reconnaître et apprécier son architecture
de style byzantin qui ajoute, selon eux, un
exotisme au quartier ; cependant, comme
c’est un lieu de culte orthodoxe, peu s’y
sont identifiés.
Pour ce qui est des activités sociales et
communautaires, peu de répondants
ont choisi ces raisons pour justifier leurs
choix. Encore plus marquant est le fait
que personne ou presque n’ait évoqué
la valeur historique de ces églises comme
raison de leurs choix. Pourtant, l’église Saint-Édouard, la plus ancienne de
l’arrondissement, a joué un rôle non
négligeable dans le développement du
nord de la ville. Aussi, nous remarquons
que 3 % des répondants accordent une
valeur historique et 2 % une valeur spirituelle à l’église Saint-Jean-de-la-Croix, une
église qui pourtant n’existe plus comme
lieu de culte. Finalement, pour ce qui est
de la qualité spirituelle, c’est-à-dire la
qualité et la fréquence de la messe, la
disponibilité du prêtre, etc., la faible proportion de gens qui ont choisi cette raison
reflète sans doute la faible fréquentation
de ces lieux pour le culte.
Par contraste, l’examen des cinq églises
qui ont obtenu le moins de mentions de
la part des répondants nous apporte un
éclairage complémentaire sur la nature des
représentations des résidants (tableau 2). Il
importe d’abord de noter qu’à part l’église
nationale polonaise Sainte-Croix, toutes
les églises sont de vocation protestante. La
majorité des répondants étant catholiques,
ces lieux de culte les interpellent donc
d’une manière moindre. Il faut dire que le
lieu de culte pour les protestants ne revêt
pas la même signification, la même symbolique, que pour les catholiques. En effet,
pour une grande partie des protestants, à
l’exception des anglicans, le culte se célèbre dans une sobriété et une simplicité qui
Tableau 2
En ordre décroissant, les cinq églises les moins importantes de l’arrondissement selon les répondants
1. Église adventiste
Beer Sheba
1.
PHOTO : FONDATION DU PATRIMOINE RELIGIEUX
2. Ministère de la foi
en Jésus-Christ
3. Centre évangélique
église du Nazaréen
4. Église nationale
polonaise Sainte-Croix
5. Rosemount
United Church
2, 3, 4, 5. PHOTOS : JONATHAN CHA
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| ANALYSE
| ANALYSE
> ANALYSIS
> ANALYSIS
Les fonctions des églises
de l’arrondissement
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Un élément qui révèle une facette différente de la représentation que possèdent
les résidants de leurs églises réside dans
leur perception de l’utilité de celles-ci.
Nous avons donc posé aux résidants la
question suivante : « À quoi servent les
églises de votre arrondissement selon
vous ? ». Nous avons classé leurs réponses
en six catégories qui ne sont pas exclusives,
puisque plusieurs personnes ont nommé
plus d’une fonction :
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1. fonction spirituelle ;
ILL. 12. LES FONCTIONS DES ÉGLISES DE L’ARRONDISSEMENT SELON LES RÉPONDANTS
10
1910, ce qui en fait les lieux de culte les
plus anciens de l’arrondissement après
l’église Saint-Édouard. Ainsi, en dépit de
la modestie de leur architecture, ces lieux
de culte possèdent une valeur historique
non négligeable puisqu’elles témoignent
de la présence de la communauté angloprotestante dès les débuts du développement de l’arrondissement. Finalement,
le piètre classement de l’église nationale
polonaise Sainte-Croix peut s’expliquer par
la banalité de son architecture, sa situation
sur une rue tranquille ainsi que la faible
représentativité des résidants d’origine
polonaise dans notre échantillon26.
3. fonction sociale
(lieux de rassemblement, endroits où
rencontrer des gens, etc.) ;
4. fonction ludique
(danses, fêtes, etc.) ;
5. fonction économique
(pôle d’attraction et de développement dans le quartier) ;
6. fonction touristique.
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se reflètent dans l’architecture dépouillée
du lieu de culte24 . Au contraire, dans la
tradition catholique romaine, les églises,
érigées pour la gloire de Dieu, témoignent
de la grandeur de la foi de ceux qui financent leur construction et du pouvoir
de l’Église catholique dans la société. C’est
pourquoi les églises catholiques possèdent
bien souvent une somptuosité et un faste
qui n’ont aucun égal dans l’architecture
des bâtiments environnants25. En outre, il
faut comprendre que les communautés religieuses protestantes qui se sont établies
dans l’arrondissement étaient de taille
réduite et n’avaient donc pas les moyens
financiers ni le besoin de bâtir de plus
grands et plus riches lieux de culte. Par
conséquent, le style architectural austère
de ces quatre temples, qui se positionne à
l’encontre de l’archétype de l’église pour
les catholiques, a certainement joué en
leur défaveur. Par ailleurs, leurs dimensions réduites et leur emplacement sur des
rues résidentielles ne leur donnent pas une
visibilité et un rayonnement très grands.
Pourtant, elles font partie des dix églises
les plus anciennes de l’arrondissement.
Trois de celles-ci, le centre évangélique
église du Nazaréen, le Ministère de la
foi en Jésus-Christ et Rosemount United
Church, furent construites dans les années
2. fonction communautaire
(événements de charité, bazars, etc.) ;
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ILL. 13. LES VALEURS DES ÉGLISES DE L’ARRONDISSEMENT SELON LES RÉPONDANTS
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RIOUX-H
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ÉBERT > ANALYSIS | ANALYSE
L’analyse nous démontre que la grande
majorité des gens considèrent que la fonction principale des églises est spirituelle
(ill. 12). En deuxième et troisième positions
arrivent les fonctions communautaire et
sociale. La fonction touristique, envisagée
par certains auteurs comme une possible
solution de reconversion27, arrive loin derrière dans le classement avec seulement
2 % des répondants de 20-34 ans qui
l’ont suggérée. Ce 2 % annonce toutefois l’émergence d’une transition dans la
perception de l’église d’un lieu cultuel à
un lieu culturel. Cette transition s’observe
d’ailleurs entre la perception des gens plus
âgés qui, à 80 %, considèrent que l’utilité
principale des églises est le culte et celle
des autres groupes d’âge qui accordent un
peu moins d’importance à cette fonction
et un peu plus à la fonction communautaire. Malgré ce faible décalage entre les
groupes d’âge, les représentations des répondants concernant l’utilité des églises
demeurent conservatrices. De fait, même
si la majorité de ceux-ci ne fréquentent
plus que très rarement, sinon jamais, les
églises, ils les perçoivent toujours comme
des bâtiments voués principalement au
culte et seulement ensuite comme des
endroits de sociabilité et de charité.
Les valeurs conférées aux églises
En troisième lieu, nous avons demandé
aux répondants de choisir, entre six valeurs
que possèdent les églises, les deux qui
leur semblaient être les plus importantes
(ill. 13). Pour ce faire, nous avons retenu
les cinq valeurs évoquées par Mercier28 et
y avons rajouté la valeur artistique, car
celle-ci s’avère un critère central dans les
évaluations patrimoniales des églises :
1. valeur religieuse : culte ;
2. valeur historique : patrimoine ;
3. valeur artistique : concentration
d’œuvres d’art, architecture ;
JSSAC | JSÉAC 30 > N os 1-2 > 2005
4. valeur sociale : différents usages ;
5. valeur urbaine : intégration de la
forme architecturale dans le paysage
urbain ;
6. valeur économique : valeur du
bâtiment, du terrain.
Contre toute attente, notre analyse révèle
que le tiers des répondants ont choisi la
valeur religieuse. Les valeurs sociale et
historique se positionnent en deuxième
et troisième places respectivement. Un
résultat encore plus surprenant concerne
la valeur artistique qui ne se classe qu’en
quatrième position. Pourtant, interrogés sur les motivations de leurs choix à
la question de l’importance des églises
de l’arrondissement, les répondants ont
massivement évoqué cette valeur comme
critère de classement. Nous pouvons donc
observer un glissement dans les représentations collectives selon le degré d’abstraction des questions. En effet, quand nous
leur demandons de faire un choix concret,
les répondants se basent plutôt sur l’appréciation esthétique, tandis que lorsque nous
les interrogeons sur l’une ou l’autre des six
valeurs des églises de l’arrondissement, ils
leur accordent une valeur spirituelle bien
avant une valeur artistique. Cependant, il
ne faut pas négliger le fait que la valeur
historique se classe en troisième position,
presque à égalité avec la valeur sociale,
ce qui démontre une reconnaissance du
rôle des églises dans le développement de
l’arrondissement. Ce résultat est d’autant
plus significatif que nous avions accolé à
cette valeur le mot « patrimoine ». Nous
sommes d’ailleurs surprise que cet aspect
ne fût pas plus souvent évoqué par les
résidants pour justifier leurs choix à la
question de l’importance des églises.
Tout comme à la question sur les fonctions des églises, l’âge semble avoir une
incidence sur les représentations puisque
les répondants de 55 ans et plus attachent
plus d’importance à la valeur religieuse et
moins à la valeur historique que les plus
jeunes. Cette variation s’explique par le
fait que ce groupe d’âge regroupe la majorité des pratiquants et que ceux-ci confèrent traditionnellement plus d’importance
à la valeur religieuse. Par conséquent,
en ce qui a trait aux valeurs des églises,
les répondants privilégient les valeurs
religieuse, sociale et historique bien avant
la valeur artistique. À première vue, ces
résultats semblent contradictoires avec
ceux obtenus à la question de l’importance des églises. Pourtant, comme nous
allons le démontrer à la prochaine section,
ils ne font qu’éclairer une autre facette des
représentations collectives des églises.
UN PATRIMOINE RELIGIEUX
EN DEVENIR ?
L’analyse préliminaire des résultats de cette
notre révèle l’existence de représentations
complexes dans lesquelles transparaît une
véritable conscientisation patrimoniale à
l’égard des églises de quartier. Ainsi, quand
vient le temps de choisir concrètement les
églises les plus importantes de l’arrondissement, les répondants semblent accorder
davantage de valeur aux églises catholiques de style monumental. Les critères
sur lesquels ceux-ci s’appuient renvoient
en grande partie aux qualités architecturales et artistiques de ces églises, bien que
les critères liés à l’identification suivent
de près. Le style traditionnel « typique »
des églises montréalaises, représenté par
l’église Saint-Édouard, mais surtout par
les églises Saint-Jean-de-la-Croix et SaintMarc 29 , leur plaît tout particulièrement
puisque ce style caractérise en quelque
sorte l’identité franco-montréalaise.
La valeur patrimoniale des cinq églises
qui se positionnent en tête a d’ailleurs
été reconnue par la ville de Montréal,
en partie d’abord dans le plan directeur
11
SOPHIE RIOUX-HÉBERT > ANALYSIS | ANALYSE
de l’arrondissement de 1992, puis dans
le rapport de l’évaluation du patrimoine
urbain de l’arrondissement de 200430. De
plus, une étude de la Chaire de recherche
du Canada en patrimoine urbain de l’Université du Québec à Montréal confirme
la valeur patrimoniale élevée des églises
Saint-Édouard, Saint-Esprit et Saint-Marc31.
Bien que la valeur historique de l’église
Saint-Jean-de-la-Croix y soit mentionnée,
celle-ci n’a pas fait l’objet d’une évaluation patrimoniale de même nature que les
trois précédentes, puisqu’elle a déjà subi
passablement de modifications architecturales 32 . Enfin, notre étude souligne la
valeur emblématique de la cathédrale
orthodoxe Sainte-Sophie qui lui procure
un rayonnement au-delà des frontières
de l’arrondissement. Cette comparaison
avec les études patrimoniales de la ville
et des experts nous incite à conclure que
les répondants, malgré leur faible évocation de la valeur historique des églises
choisies, ont fait preuve d’une conscience
patrimoniale dans leurs choix.
le moins, la conservation de la fonction
cultuelle pour quelques-unes des églises
de l’arrondissement. Il importe de souligner que ces rites et ces célébrations font
partie des traditions qui appartiennent à
l’identité et à la culture québécoises et
c’est pourquoi certains résidants y sont
attachés. À ce sujet, il faut s’interroger
sur un possible glissement sémantique du
terme « religieux » (du mot latin religare),
de sa définition originelle « relier à Dieu »
vers une nouvelle interprétation qui signifie « relier aux autres », dans la mesure où
les traditions religieuses catholiques ne
serviraient plus autant à communiquer
avec Dieu, qu’à affirmer son appartenance
à un groupe culturel.
Si les répondants démontrent une sensibilité à la beauté architecturale et artistique des églises, ils semblent difficilement
pouvoir se les représenter autrement
qu’en lieux de culte. De fait, les résultats
liés à la perception de la fonction et des
valeurs des églises montrent des représentations beaucoup plus traditionnelles
que ce à quoi nous nous attendions. Ainsi,
en dépit du fait que leur fréquentation
a beaucoup diminué, les répondants se
représentent toujours les églises comme
des lieux servant principalement au culte
et comme des lieux investis d’une valeur
religieuse avant tout.
CONCLUSION
De tels résultats suggèrent que les églises
possèdent toujours une dimension sacrée à
leurs yeux et qu’elles répondent toujours à
un besoin de spiritualité qui, même s’il ne
se matérialise que pour les rites de passage
ou les fêtes religieuses, requiert, à tout
12
Finalement, le décalage entre les générations au sujet des valeurs et des fonctions des églises indique une plus grande
ouverture chez les plus jeunes à de possibles
reconversions qui valoriseraient les aspects
historique, social et communautaire des
églises de l’arrondissement.
Pour conclure, l’analyse des représentations collectives des églises de l’arrondissement Rosemont–La Petite-Patrie tend à
démontrer l’émergence d’une conscience
patrimoniale qui coexiste avec une représentation traditionnelle des églises. Cette
conscience, plus présente chez la jeune
génération qui regroupe la plus faible
proportion de pratiquants, confirme l’idée
que la patrimonialisation des bâtiments
survient avec la perte graduelle de l’usage de ceux-ci33 . Par ailleurs, la présente
étude souligne l’intérêt d’une approche
patrimoniale qui évaluerait non seulement
le potentiel des bâtiments d’un quartier,
mais aussi les représentations qu’en possèdent les résidants de ce même quartier.
Le cas de la reconversion de l’église SaintJean-de-la-Croix illustre admirablement
l’importance de prendre en considération
les représentations collectives dans tout
projet visant à recycler ou à démolir une
église. En effet, notre étude, en démontrant la place prédominante qu’accordent
toujours les résidants à la valeur religieuse
ainsi qu’à la fonction cultuelle des églises de leur arrondissement, éclaire d’une
nouvelle façon leur résistance au projet
de sa reconversion résidentielle. De plus,
ce projet s’est approprié, à des fins mercantiles, un lieu public qui, rappelonsle, est considéré par plusieurs résidants
comme un référent identitaire important
à l’échelle de l’arrondissement. Par conséquent, l’analyse des représentations,
en faisant ressortir les perceptions, les
croyances et les préférences des résidants
d’un quartier, en l’occurrence l’arrondissement Rosemont–La Petite-Patrie, nous
permet de mieux comprendre le rapport
que ceux- ci entretiennent avec leurs
églises de quartier. Dans le contexte
actuel de la rapide désaffectation des
lieux de culte, cette compréhension accrue nous semble nécessaire pour assurer
une meilleure gestion de notre patrimoine religieux ce qui, en définitive, devrait
permettre un aménagement plus durable
du cadre bâti et garantir la pérennité de
l’identité montréalaise et québécoise.
NOTES
1.
Cette analyse s’insère dans le contexte plus vaste
d’une maîtrise de géographie à l’Université du
Québec à Montréal qui porte sur les fonctions
géo-identitaires des églises de quartier. Ce
mémoire est dirigé par le professeur Mario
Bédard que je remercie de ses précieux conseils
et
commentaires,
notamment
lors
de
la
préparation de cet article.
2.
À titre d’exemple, en 1999, le redécoupage
paroissial du quartier Limoilou à Québec a réduit
le nombre de paroisse de 11 à 3 (Routhier, Gilles,
2001, « La paroisse québécoise : évolutions
récentes et révisions actuelles », dans Serge
Courville et Normand Séguin (dir.), La Paroisse,
Atlas historique du Québec, Sainte-Foy, Québec,
Les Presses de l’Université Laval, p. 46-59).
JSSAC | JSÉAC 30 > N os 1-2 > 2005
SOPHIEMARTIN
RIOUX-H
DROUIN
ÉBERT > ANALYSIS | ANALYSE
3.
Kong, Lily, 2001, « Mapping ‘New’ Geographies
L’Homme, la Société, l’Espace, Paris, Anthropos,
répertoriées, pour les besoins de l’enquête,
of Religion: Politics and Poetics in Modernity »,
Économica.
nous avons inclus dans notre échantillon deux
Progress in Human Geography, vol. 25, no 2,
p. 211-233 ; et Kong, Lily, 1990, « Geography
and Religion: Trends and Prospects », Progress
in Human Geography, vol. 14, p. 355-371.
4.
Foster, Richard, H. Jr., 1981, « Recycling Rural
Churches in Southern and Central Minnesota »,
Bulletin of the Association of North Dakota
Geographers, n 31, p. 1-10 ; et Foster, Richard,
o
H. Jr., 1983, « Changing Uses of Rural Churches:
Examples from Minnesota and Manitoba »,
Yearbook of the Association of Pacific Coast
Geographers, no 45, p. 55-70.
5.
Ibid.
6.
Humeau, Jean-Bertrand, 1997, « Paroisses et
paroissiens en milieu rural dans l’Ouest de la
France », Norois, vol. 44, no 174, p. 253-273;
Muller, Colette, 1997, « Les comportements
religieux
en
Basse-Normandie »,
Norois,
vol. 44, no 174, p. 235-252 ; et Mercator, Paul,
1997, La fin des paroisses ? Recompositions
des communautés, aménagement des espaces,
Paris, Desclée de Brouwer.
7.
un territoire urbain », Géographie et Cultures,
n 20, p. 55-67.
o
Saint-Jean, collection « Pignon sur rue », no 11,
Montréal, Ville de Montréal / Ministère des
Affaires culturelles.
se sont déroulés dans plusieurs endroits publics
dans Christian Ekemberg (dir.), Le Patrimoine
(parcs, rues commerçantes, entrées du métro,
en marche, Montréal, Héritage Montréal.
etc.) de l’arrondissement. Nous avons procédé à
14. Levac, Louise, 1988, La re-création d’une
identité de quartier : une enquête sociogéographique sur le quartier La Petite Patrie,
mémoire de maîtrise, Montréal, Université du
Québec à Montréal.
1995, « Les représentations en géographie »
dans Antoine Bailly, Roger Ferras et Daniel
Pumain (dir.), Encyclopédie de géographie,
Paris, Économica, p. 371-383.
Relph, Edward, 1976, Place and Placelessness,
Londres, Plon ; et Durkheim, Émile, 1967,
17. Benoît, Michèle, et Roger Gratton, 1991, Fours
à chaux et hauts fourneaux. Le patrimoine
de Montréal. Quartiers Rosemont et SaintMichel-Nord, collection « Pignon sur rue », n 9,
o
Montréal, Ville de Montréal / Ministère des
Affaires culturelles.
du
l’arrondissement
patrimoine
religieux
Rosemont–La
de
Petite-Patrie
à Montréal, mémoire de maîtrise, Montréal,
Université du Québec à Montréal.
secteurs correspondant aux trois quartiers
desquels a émané cet arrondissement. Ainsi,
nous avons interrogé un nombre de répondants
de ces quartiers : ainsi, 122 personnes ont
été sollicitées dans La Petite-Patrie, 125 dans
Rosemont et 57 dans Nouveau-Rosemont.
Un compte-rendu détaillé de la démarche
méthodologique de cette enquête apparaîtra
au mémoire que nous déposerons au mois
21. D’une part, 71 % des répondants ont affirmé
être de tradition religieuse catholique, 3 %
de tradition protestante, 2 % de tradition
musulmane et 1 % appartenir à diverses
traditions religieuses (orthodoxe, mormon,
ont affirmé n’appartenir à aucune tradition
religieuse, la majorité de ceux-ci étant des
définition exclut ainsi les lieux de culte situés
franco-québécois âgés de 20 à 34 ans.
malgré le fait que les lieux de culte protestants
dans des locaux et des édifices transformés
et les chapelles des couvents, des hôpitaux et
géographie », dans Antoine S. Bailly (dir.) Les
soient plutôt connus par leurs communautés
concepts de la géographie humaine, 3e édition,
sous le vocable « temples », nous ne faisons
Paris, Masson, p. 199-211 ; et Di Méo, Guy, 1991,
pas ici cette distinction. En plus des 37 églises
JSSAC | JSÉAC 30 > N os 1-2 > 2005
à travers celui-ci, nous l’avons divisé en trois
de lieu de culte et ouverts au public. Cette
matiques de l’image et de la représentation en
Bernard,
la densité et la répartition de la population
bouddhiste). D’autre part, 23 % des répondants
des résidences pour personnes âgées. De plus,
10. Debarbieux,
couvre une vaste superficie et que nous
bâtiments construits dans le but de servir
problé-
universitaires de France
catégories d’âge : 20-34 ans, 35-54 ans et 55 ans
19. Nous incluons sous le vocable « église » les
2001, « Les
philosophie,
faire, nous avons divisé la population en trois
d’août 2005.
18. Cha, Jonathan, 2005, Évaluation du potentiel
Presses
et
population totale de l’arrondissement. Pour ce
proportionnel à la population totale de chacun
Paris,
Sociologie
pour obtenir un échantillon représentatif de la
voulions obtenir un échantillon qui reflète
La Presse.
monumental
un échantillonnage non probabiliste par quotas
et plus. En outre, puisque l’arrondissement
15. Jasmin, Claude, 1972, La petite patrie, Montréal,
www.ville.montreal.qc.ca], mars 2004.
sociétés, Paris, Belin, p. 791 ; et Bailly, Antoine,
20 ans et plus, à l’aide d’un questionnaire à
questions préformées. Ces entretiens directifs
l’urbanisme ; Noppen, Luc, Lucie K. Morisset, et
Dictionnaire de la géographie et de l’espace des
20. Nous avons interrogé 304 répondants, âgés de
13. Hanna, B. David, 1992, « La Petite-Patrie »,
Rosemont–La Petite-Patrie, Montréal, [http://
dans Jacques Lévy et Michel Lussault (dir.),
puisque celle-ci, rachetée par une communauté
caodaïque, sert toujours au culte, ce qui porte
ville de Québec », Ville de Québec, Service de
Debarbieux, Bernard, 2003, « Représentation »,
les identifier en tant qu’églises. Nous avons
notre échantillon à 40 églises.
Profil socio-économique : Arrondissement de
du Québec, Commission des biens culturels.
architecturale extérieure permet toujours de
Quartiers Saint-Édouard, Villeray, Montcalm et
« Lieux de culte situés sur le territoire de la
patrimoine religieux au Québec, Gouvernement
de-la-Croix et Saint-Eugène, mais dont la forme
cité du nord. Le patrimoine de Montréal.
économique et du développement urbain, 2004,
du Septentrion ; et Simard, Jean, 1998, Le
églises récemment fermées au culte, Saint-Jean-
aussi inclus l’ancienne synagogue Poale Zedek
12. Benoît, Michèle, et Roger Gratton, 1991, La
Noppen, Luc, et Lucie K. Morisset, 1994,
églises dans les villes-centres, Sillery, Les éditions
9.
“sol”: le patrimoine, facteur d’appartenance à
16. Ville de Montréal, Service du développement
Robert Caron (dir.) 1997, La conservation des
8.
11. Gravari-Barbas, Maria, 1996, « Le “sang” et le
22. Routhier, Gilles, 2001, « La rupture des années
1960 », dans Serge Courville et Normand Séguin
(dir.), La Paroisse, Atlas historique du Québec,
Sainte-Foy, Québec, Les Presses de l’Université
Laval, p. 114-117.
13
SOPHIE RIOUX-HÉBERT > ANALYSIS | ANALYSE
23. Ville de Montréal, Service de la mise en valeur
du territoire et du patrimoine, Division du
patrimoine et de la toponymie, 2004, Évaluation
du patrimoine urbain. Ville de Montréal,
Arrondissement de Rosemont–La Petite-Patrie
– 26, 5 mai 2004, Montréal.
24. Munkittrick,
protestantes
Coaticook,
Judy
de
la
Québec,
A.,
1984,
région
Musée
Les
de
églises
Coaticook,
Beaulne ;
et
Bergevin, Hélène, 1981, L’architecture des
églises protestantes des Cantons de l’Est et
des Bois Francs au XIXe siècle, Art ancien du
Québec / Études, no 3, Sainte-Foy, Québec,
Université Laval.
25. Martin, Paul-Louis, 2001, « Le paysage des
noyaux religieux », dans Serge Courville et
Normand Séguin (dir.), La Paroisse, Atlas
historique du Québec, Sainte-Foy, Québec, Les
Presses de l’Université Laval, p. 53-81.
26. Sur les 304 répondants, un seul a affirmé être
d’origine polonaise.
27. Blais, Sylvie, et Pierre Bellerose, 1997, « Analyse
du potentiel touristique du patrimoine religieux
montréalais », Téoros, vol. 16, no 2, p. 38-40 ;
Noppen, Luc, et Lucie K. Morisset, 1997, « À
propos de paysage culturel : le patrimoine
architectural religieux, une offre distinctive au
Québec ? » Téoros, vol. 16, no 2, p. 14-20 ; et
Noppen, Luc, et Lucie K. Morisset, 2003, « Le
tourisme religieux et le patrimoine ? » Téoros,
vol. 22, no 2, p. 69-70.
28. Demers,
Christiane,
1997,
« Rapport
de
l’atelier 1: L’économie » dans Noppen, Luc,
Lucie K. Morisset, et Robert Caron (dir.) 1997, La
conservation des églises dans les villes-centres,
Sillery, Les éditions du Septentrion, p. 141-144.
29. Cha, loc. cit.
30. Ville de Montréal, 2004 ; et Ville de Montréal,
Service de l’habitation et du développement
urbain, 1992, Plan d’urbanisme : plan directeur
de l’arrondissement Rosemont / Petite-Patrie,
Montréal.
31. Cha, loc. cit.
32. Cha, loc. cit.
33. Noppen et Morisset, 2003 : 69-70.
40. Greenway.
14
JSSAC | JSÉAC 30 > N os 1-2 > 2005