InondationsSous les eaux, à Montargis

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InondationsSous les eaux, à Montargis
JEUDI 2 JUIN 2016
2,00 € Première édition. No 10895
www.liberation.fr
A l’origine de la polémique,
l’ancien attaquant de l’équipe
de France revient, pour
«Libération», sur l’éviction
du joueur madrilène et
les accusations de racisme
qu’elle a provoquées.
INTERVIEW, PAGES 2-5
MANUEL BRAUN
AFP
DESCHAMPS-BENZEMA
CANTONA S’EXPLIQUE
JEUDI IDÉES
ET ESSAIS
Achille
Mbembe,
l’antiFinkielkraut
Ne pas se replier
dans nos identités
mais circuler pour
se construire:
rencontre décapante
avec l’historien
franco-camerounais
n Sociologie: le bistrot,
un cas d’école
n Philosophie: quand
la médecine
s’individualise…
TOUS LES JEUDIS, 10 PAGES SPÉCIALES
CONSACREÉS AUX IDÉES, AUX DÉBATS
ET AUX ESSAIS, PAGES 18-27
Inondations Sous les eaux, à Montargis
TÉMOIGNAGES,
PAGES 12-13
IMPRIMÉ EN FRANCE / PRINTED IN FRANCE Allemagne 2,50 €, Andorre 2,50 €, Autriche 3,00 €, Belgique 2,00 €, Canada 5,00 $, Danemark 29 Kr, DOM 2,60 €, Espagne 2,50 €, Etats-Unis 5,00 $, Finlande 2,90 €, Grande-Bretagne 2,00 £,
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2 u
Libération Jeudi 2 Juin 2016
ÉDITORIAL
Par
DAVID CARZON
Sur le fond, rien ne permet
de dire que Didier
Deschamps est raciste et
même tout prouve le
contraire. Alors pourquoi
ce sentiment de malaise
persistant ? Quand on lit
l’interview qu’Eric
Cantona nous a accordée
pour revenir sur ses propos
qui ont mis le feu aux
poudres, on se dit que le
problème va bien au-delà
du cas Karim Benzema.
Nier ce malaise, ce serait
accepter de faire comme si
de rien n’était, faire comme
si l’affaire des quotas
de 2011 n’avait laissé
aucune trace. Comme si les
récents débats sur la
déchéance de nationalité
ne creusaient pas un peu
plus une fracture bien
réelle. Le symbole d’un
Zinédine Zidane, premier
joueur et entraîneur
français à gagner la Ligue
des champions, cache une
autre réalité, le bruit de
fond d’une jeunesse à qui
on ne donne aucun signe
qu’elle peut se tromper
dans ses conclusions, en
dehors des arguments
d’autorité… Le mythe de la
Coupe du monde 98 n’est
plus qu’un souvenir
lointain à regarder
comment les instances
dirigeantes du foot ou le
milieu des entraîneurs de
Ligue 1 restent un domaine
fermé à la diversité. Cette
absence d’ouverture crée
les conditions d’une
suspicion dans laquelle
s’engouffrent toutes les
interprétations possibles.
Et si les politiques ou les
intellectuels continuent
d’intervenir pour donner
leur avis pour tout ce qui
touche à l’équipe de France
et en faire un enjeu
d’exemplarité, comment
convaincre que les
décisions sont bien prises
dans un cadre purement
sportif, en dehors de toute
pression et de tout calcul ?
Autrement dit : si les
politiques ne s’étaient pas
emparés du cas Benzema,
il aurait été plus facile pour
Didier Deschamps de
rester sur le terrain du
sport. Et aujourd’hui, dans
les vestiaires et au café
du commerce, on ne
parlerait que de cette
défense qui prend l’eau. •
REUTERS
Suspicions
«La non-sélection
de Benzema est
injuste, ça m’incite
à me poser
des questions»
Eric Cantona s’explique
dans «Libération» après la
polémique suscitée par ses
propos dans le «Guardian»
où il laissait entendre que la
mise à l’écart du Madrilène
et de Ben Arfa avant l’Euro
pouvait être liée à leurs origines. L’ancien Mancunien
en profite pour souligner
l’absence de diversité dans
les hautes instances du foot
français.
Recueilli par
GRÉGORY SCHNEIDER
Envoyé spécial à Neustift Im Stubaital
C’
est peu dire que l’interview donnée vendredi par
Eric Cantona dans le
Guardian a valu à l’ancienne star de
Manchester United et des Bleus, devenue acteur et auteur de documentaires, les foudres d’une partie
de l’opinion publique ou des médias : évoquant «le nom bien français» du sélectionneur des Bleus,
Didier Deschamps, il avait laissé entendre que les mises à l’écart de Karim Benzema –mis en examen dans
une affaire de chantage à la sextape
envers son coéquipier chez les
Bleus Mathieu Valbuena– et de Hatem Ben Arfa pouvaient répondre à
des considérations racistes, que
Deschamps aurait ainsi relayées
sans en être à l’initiative.
Accusé d’avoir tenu des propos diffamatoires et de jeter de l’huile sur
le feu des communautarismes, se
sentant mal compris, Eric Cantona
nous a contacté dimanche afin de
préciser sa pensée et de reprendre
la main sur les interprétations de
ses propos. Il se trouve que l’interview fracassante donnée mercredi
dans le quotidien espagnol Marca
du principal concerné, Karim Benzema, meilleur joueur français de sa
génération accusant Deschamps
«d’avoir cédé à la pression d’une partie raciste de la France», donne à la
prise de parole de Cantona un caractère divinatoire et un poids phénoménal. Elle fait surtout sauter le
couvercle que les instances du football et les politiques avaient mis sur
l’affaire de la sextape, dossier empoisonné depuis le départ qui a valu
au président de la Fédération française de foot (FFF), Noël Le Graët,
de recevoir des courriers terribles,
les uns réclamant la suspension définitive de Karim Benzema – «Il faudrait que je dise quoi ? A mort
l’Arabe?» a déclaré Le Graët en janvier sur l’Equipe 21 – et les autres
s’étonnant d’une sanction frappant
un joueur qui n’a pas été condamné
à ce jour, au mépris de la présomption d’innocence. Eric Cantona a été
recontacté mercredi pour réagir aux
propos de Benzema dans Marca.
La prise de parole de Karim Benzema vous a-t-elle étonné ?
Absolument pas. Je remarque que
tout comme moi, il n’a accusé à
aucun moment Deschamps de racisme [«Je ne sais pas si c’est une
décision individuelle de Didier car
je m’entends bien avec lui, ainsi
qu’avec le président Noël Le Graët»,
a précisément déclaré Benzema,
ndlr]. Mais il dit qu’il a cédé à la
pression de l’opinion publique, une
pression qui se traduit en termes
d’ambiance et de Suite page 4
Libération Jeudi 2 Juin 2016
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Karim Benzema, en octobre 2013 à Clairefontaine. PHOTO FRANCK FIFE.AFP
Les Bleus sous
une chape de plomb
Tandis que Benzema est
revenu sur son éviction
mercredi matin, ses excoéquipiers de l’équipe
de France ont préféré
disserter sur le bon
air de la montagne
plutôt que de prendre
sa défense. Une réserve
symptomatique des
enjeux écrasants qui
pèsent sur les Bleus
à la veille d’un Euro
à domicile.
«J
e ne pense pas que Didier
Deschamps soit raciste.»
En une phrase dont personne ne doute qu’elle est sincère
tant le joueur est rétif au mensonge
public, Karim Benzema désamorce
dans le quotidien espagnol Marca
à peu près tous les procès à venir
–sauf celui en irresponsabilité, qui
ne tardera pas – et coupe l’herbe
sous le pied de nombre d’éventuels
détracteurs, lesquels ont utilisé ce
procès injuste fait au sélectionneur
pour tenter de décrédibiliser l’acteur et ancien joueur Eric Cantona
depuis une semaine. L’interview de
Benzema est posée, dépassionnée:
juste bien. «Deschamps a cédé sous
la pression d’une partie raciste de la
France. Il faut savoir qu’en France le
parti d’extrême droite est arrivé au
deuxième tour des dernières élections. Mais je ne sais pas si c’est une
décision individuelle de Didier, car
je m’entends bien avec lui, et avec le
président [de la fédération] Noël
Le Graët. Je m’entends bien avec tout
le monde.»
La genèse: la mise en examen de Karim Benzema au tribunal de Versailles le 5 novembre 2015 dans l’affaire du chantage à la sextape dont
est victime Mathieu Valbuena, Benzema ayant contacté son coéquipier
lors d’un rassemblement des Bleus
à Clairefontaine pour le compte d’un
de ses amis d’enfance, Karim Zenati,
susceptible «d’arranger le coup». A
ce jour, Benzema n’est pas condamné: sa mise à l’écart de l’équipe
de France relève donc en quelque
sorte du principe de précaution. Elle
n’a pas appartenu à Le Graët, qui a
au contraire plaidé la cause du
joueur dans les médias comme en
interne, retournant patiemment les
édiles fédéraux pour rendre un retour de Benzema possible.
Arguties. C’est Deschamps qui
a pris la décision aux alentours
du 10 avril. Après avoir fait le tour du
vestiaire des Bleus autour des deux
matchs amicaux disputés fin mars
par la sélection. Pour ce que l’on en
sait, les réactions des joueurs consultés ont été timides, entre souci de
ne pas endosser une responsabilité
excédant de beaucoup le terrain et
volonté de dire à Deschamps ce qu’il
avait envie d’entendre sans pour
autant lire dans les pensées du
coach. Aucun d’entre eux n’a jamais
pris la parole devant les médias pour
défendre Benzema: après la piteuse
affaire Periscope, Serge Aurier avait
eu droit à plus d’égards de ses équipiers. Dans le genre, le milieu du
Paris-SG Blaise Matuidi se défaussait ainsi : «Là, je suis en Autriche
et je ne sais pas ce que Benzema a dit
à la presse espagnole. Et même si
je le savais, on est là pour se préparer, il y a la montagne, l’air de la
montagne… C’est fabuleux, l’air de
la montagne.»
Ce silence, couplé à des arguties officielles invoquant «la capacité des
joueurs à œuvrer dans le sens de
l’unité, au sein et autour du groupe,
l’exemplarité et la préservation du
groupe» et d’autres stratagèmes du
même genre, a coulé une chape de
plomb autour des Bleus depuis des
mois. Sur une problématique – la
possible influence sur la décision
d’écarter l’attaquant d’une opinion
publique réclamant la tête du
joueur hauteur de 73% à 80% selon
les sondages– dont il aurait fallu se
dire qu’elle existait indépendamment des manipulations et de
l’omerta mise en place pour l’étouffer: on confesse s’être fait alpaguer
à plusieurs reprises depuis janvier
par l’homme de la rue, nous demandant de dénoncer le prétendu «racisme» du sélectionneur national.
Cantona a soulevé le couvercle,
Benzema l’a fait exploser.
Vox populi. L’Euro 2016 a été
conçu comme un événement dépassant le foot, une manière de cause
nationale soutenue par des investissements publics considérables: sans
présumer d’une concession pragmatique de Deschamps à une vox populi qu’il se faisait un devoir d’avoir
à l’unisson pour l’événement, le sélectionneur était sous haute pression, et celle-ci excédait sa mission
sportive. C’est ce soupçon de mélange des genres qui rattrape la sélection aujourd’hui. Dit autrement:
est-ce que Benzema aurait joué si
l’Euro s’était déroulé loin du public
français, sans comptes à rendre (ou
pas dans ces proportions) au monde
extérieur? Comme dirait Cantona:
on peut se poser la question.
G.S. (à Neustift Im Stubaital)
4 u
posture politique. Et je remarque aussi que Benzema a été victime de raccourcis incroyables, du type «Benzema dit
que Deschamps est raciste».
Comme ça, on évite de poser les
questions.
Trouvez-vous que Karim Benzema a eu un certain courage ?
Oui, parce qu’il est toujours en activité et qu’il est sélectionnable chez
les Bleus. Non, parce qu’il est normal qu’il s’exprime et agisse comme
un citoyen français avant de se penser comme un joueur. Un citoyen
qui répond à la problématique suivante: comment barrer la route aux
extrêmes ?
La question peut vous paraître
étrange, mais vous sentez-vous
redevable d’une forme de solidarité envers des joueurs d’une dimension comparable à celle que
vous aviez quand vous étiez sur
les terrains ?
Je parle comme un citoyen. Après,
il est clair que si on m’enlève un
joueur comme Benzema, on me
prive d’une partie du plaisir. Je
trouve ça injuste, ce qui m’incite à
me poser des questions.
Avez-vous été surpris de l’ampleur de la polémique qui a suivi
votre interview au Guardian ?
Je ne m’attends à rien. Et puis je
m’en tape, très sincèrement. Après,
je sais que l’on vit une époque où ce
genre de chose monte très vite et
très fort, ça dure vingt-quatre heures, parfois quarante-huit, durant
lesquelles les abrutis s’expriment.
Après ils oublient, ils passent à
autre chose, et c’est le moment où
la réflexion entre en jeu.
Moi, j’adore que l’on me mette en situation de me poser des questions.
C’est la fonction de l’art et l’art me
nourrit. Ça permet de susciter, de
déclencher, d’apprendre aussi.
Quel était le sens de votre comparaison entre Deschamps et les
mormons ?
Mais pourquoi a-t-on parlé d’insulte? Pourquoi ai-je lu ensuite que
les mormons étaient consanguins?
Comme si j’accusais Deschamps
d’être consanguin ! Ils sont 14 millions dans le monde, le mormonisme est reconnu comme une religion, pas comme une secte. Et pour
ceux qui l’ignorent, de nombreux
Noirs en sont membres, de grands
hommes d’affaires, des sportifs, des
scientifiques, des artistes… Quand
on insinue que je suis raciste et antifrançais quand je compare Deschamps à un mormon, on insulte
les mormons et on fait preuve de
discrimination envers eux! J’ai juste
dit qu’une grande majorité de mormons se mariaient entre eux par
conservatisme: beaucoup d’autres
religions sont dans ce cas-là, la religion catholique par exemple.
Autre chose: j’ai lu et entendu que
j’étais anti-français parce que j’ai
plaisanté sur le fait que Deschamps
a un nom français pouvant venir de
plusieurs générations. Mais Karim
Benzema, c’est un nom français
aussi. A consonance maghrébine,
oui, et vous conviendrez avec moi
que ça ne change rien au fait qu’il
soit français. Hatem Ben Arfa, que
j’ai défendu dans le Guardian, c’est
un nom français également. Mais
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Libération Jeudi 2 Juin 2016
alors, pourquoi ne dit-on nulle part
que je suis pro-français? Par définition, les Français d’origine maghrébine ont un nom français. Donc,
Deschamps, Benzema et Ben Arfa
ont des noms français, les origines
des deux derniers ne devant en
aucun cas les desservir dans un
contexte politico-social particulier.
J’attaquerai en justice tous ceux qui
ont tenus des propos mensongers et
insultants à mon égard.
La fédération a qualifié vos
propos de «stupides», qu’est-ce
que vous…
(Il coupe) Ils se sont servis de moi
pour effacer l’ardoise et cette
ardoise, c’est l’affaire des quotas
[en 2011, la FFF a évoqué en interne
la mise en place de quotas de jeunes
joueurs ayant un grand-parent
étranger, ce fait pouvant leur permettre plus tard de rejoindre une
autre sélection que l’équipe de
France, ndlr]. Ça leur permet d’éloigner ce souvenir dans l’esprit des
gens. Des joueurs d’origine maghrébine, il y en a, là on parle terrain,
c’est le plus souvent objectif.
En dehors, en revanche, c’est subjectif: les dirigeants d’origine maghrébine ou d’Afrique noire, ils sont où?
Et les entraîneurs de Ligue 1 d’origine maghrébine? Alors que ce sont
eux qui forment les gamins! Ils sont
assez forts et compétents pour s’occuper des jeunes joueurs, et ils ne le
sont plus quand ces mêmes joueurs
passent professionnels?
Concernant Benzema, Didier
Deschamps n’a jamais prétendu
avoir pris une décision sportive:
il est mis en examen dans une
tentative de chantage visant un
coéquipier, tentative présumée
qui a de plus eu lieu dans le cadre
d’un rassemblement des Bleus à
Clairefontaine. N’acceptez-vous
pas cette justification?
Je dirais que c’est une possibilité.
Qui ne me retire pas le droit de
m’interroger. La FFF est sous tutelle
du ministère des Sports et deux
membres du gouvernement, le ministre des Sports Patrick Kanner et
le Premier ministre Manuel Valls,
ont publiquement réclamé la mise
à l’écart de Benzema durant l’Euro.
Ces éléments sont suffisants pour
émettre un doute sur l’indépen-
Depuis les
attentats de
«Charlie Hebdo»,
on mélange tout,
on parle
de déchéance
de nationalité,
les assignations à
résidence pleuvent.
On vit une période
où on sanctionne
une communauté…
ou plutôt où on a
envie de la
sanctionner.
Ci-dessous : Le fameux départ en bus après le boycott de
l’entrainement à Knysna, au Mondial 2010. Nicolas Anelka
venait d’être débarqué pour avoir insulté Domenech. Douze
ans plus tôt, les Bleus de 98 (à droite) étaient le symbole
fantasmé d’un pays en harmonie avec ses minorités.
PHOTOS AP, REUTERS ET GRÉGOIRE KORGANOW
dance des choix du monde sportif
rapport à la politique.
Si l’on remonte votre raisonnement un cran plus loin, vous
soupçonnez Valls ou Kanner de
calcul politique par rapport aux
origines de Karim Benzema…
Là encore, je n’affirme rien. Je pose
la question. La suspension de Benzema en équipe de France est tombée le 10 décembre, entre les deux
tours des élections régionales. Depuis les attentats de Charlie Hebdo
et de l’Hyper Cacher, les choses ont
changé, l’ambiance a changé, le
regard que l’on porte sur la communauté d’origine maghrébine a
changé. On mélange tout, on parle
de déchéance de nationalité, les assignations à résidence pleuvent. On
vit une période où on sanctionne
une communauté… ou plutôt une
période où on a envie de la sanctionner. Pour en revenir à Benzema,
il est présumé innocent. S’il est lavé
de tout soupçon cet automne, il
aura manqué l’Euro quand même.
Quant à Ben Arfa, il n’est coupable
de rien. Sauf d’être l’un des deux ou
trois meilleurs joueurs français.
Oui, mais Deschamps est sélectionneur, il est libre de choisir
qui il veut…
Bien sûr. Après, vous croyez qu’il
peut dire autre chose que «j’ai suivi
des nécessités sportives, etc.»? J’ai
quand même le droit de me poser
des questions. Tenez, il paraît qu’il
va m’attaquer en justice. C’est bien
la première fois qu’il passera d’une
position défensive à une position of-
fensive, il verra si c’est si facile…
[Une remarque ironique, Cantona
ayant été un attaquant brillant
quand Deschamps se dévouait, en
tant que joueur, aux tâches défensives, ndlr] Avec son agent et son avocat, ils ne seront pas trop de trois
pour réfléchir et distinguer ce qui
relève de la diffamation du fait
de mettre le problème sur la place
publique. Ça n’a rien à voir, mais
puisqu’on parle de son agent [JeanPierre Bernès], je tiens à dire que ce
même agent s’occupe aussi des intérêts de certains joueurs [sousentendu: Didier Deschamps a le pouvoir de valoriser ces joueurs en les
sélectionnant chez les Bleus, ce qui
ferait la bonne fortune de son agent,
ndlr]. Vous trouvez ça normal ?
Quand on dirige une fédération, on
écarte tout soupçon, me semble-t-il.
On vous a prêté l’intention de
régler des comptes anciens
avec Didier Deschamps…
Je n’ai de comptes à régler avec personne. Je parle d’une chose, et ensuite je parle d’une autre. Quand je
m’attaque aux banques en demandant aux gens de retirer leur argent,
je n’ai aucun compte à régler avec
les banques.
Le football ne doit-il pas être
protégé d’enjeux aussi lourds
que les communautarismes ?
Doit-il, à l’inverse, être utilisé
pour montrer l’exemple, quitte
à entrer sur un terrain que ses
acteurs maîtrisent mal ?
En France, les politiques se sont
emparés en 1998 du «Black-Blanc-
Beur » [les champions du monde tricolore étaient censés refléter une société multiethnique et harmonieuse,
ndlr], ils peuvent bien s’emparer du
reste… J’ai beaucoup travaillé sur
le sujet en réalisant des documentaires: de Mussolini à Pinochet, en
passant par les pays de l’Est, les politiques ont toujours utilisé le foot
puisque c’est un sport de masse. Là,
avec le cas du champion du monde
du Bayern Munich d’origine ghanéenne Jérôme Boateng, victime
d’une remarque raciste d’un responsable d’un parti populiste expliquant que les Allemands «ne voudraient pas de lui comme voisin», il
s’est passé quoi ? Le fait que son
parti soit minoritaire n’y change
rien : la politique se sert du sport.
Bien sûr que le foot doit montrer
l’exemple : c’est un vecteur d’intégration extraordinaire. Zinédine
Zidane est devenu samedi le premier entraîneur français à remporter la Ligue des champions après
l’avoir gagné comme joueur : il
ouvrira une voie.
Dernière critique vous ayant
touché après l’interview du
Guardian : vous jouez avec le
feu, appuyant là où ça fait mal
aujourd’hui –les communautarismes, en gros. Pourquoi fallaitil soulever le couvercle ?
Parce que c’est la grandeur d’une
démocratie. C’est sain. Que tout le
monde puisse m’écouter, que je
puisse écouter tout le monde et que
ça concourt à une forme d’enrichissement mutuel. •
Libération Jeudi 2 Juin 2016
u 5
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A Bobigny,
les ados
balayent
le procès
en racisme
Les jeunes voient dans
l’éviction de Benzema
une sanction contre
les joueurs caractériels.
U
Du «black-blanc-beur»
à la chasse aux «racailles»
Entre le psychodrame
de Knysna, l’affaire des quotas
et les exigences politiques
d’exemplarité, tout concourt
pour faire de l’unité post-98
une simple illusion.
O
n est donc passé de la génération blackblanc-beur en 1998 à un joueur qui
pointe du doigt le poids de l’extrême
droite en France pour expliquer sa non-sélection. Tollé ? Plutôt glissement progressif et
symptôme du mélange des genres. Le symbole
explose officiellement en 2010, à Knysna, lors
de la Coupe du monde en Afrique du Sud. Les
Bleus refusent de descendre d’un bus et menacent de faire grève après l’exclusion de leur partenaire, Nicolas Anelka. Les footballeurs «racailles» sont pointés du doigt, avec un
traitement spécial pour Patrice Evra et Franck
Ribéry, considérés comme les chefs de la
bande. Au fil des jours, l’histoire s’éloigne du
volet sportif, pour s’imbriquer dans le contexte.
Quelques mois avant, le président Sarkozy avait
lancé la polémique sur l’identité nationale,
avec en filigrane la question du patriotisme,
des banlieues, des enfants d’immigrés. Débat
pour les uns, stigmatisation pour les autres.
Un an après Knysna, en 2011, l’affaire des quotas: la discrimination et les clichés touchent
aussi les gamins dans le foot. Lors d’une réunion au sommet de la fédération, il est question
du physique des Noirs. Le nom de Laurent
Blanc, alors sélectionneur des Bleus, est cité.
«Qu’est-ce qu’il y a actuellement comme grands,
costauds, puissants? Les Blacks. Je crois qu’il
faut recentrer, surtout pour des garçons de
13-14 ans, 12-13 ans, avoir d’autres critères, modifiés avec notre propre culture», avait-il déclaré. L’affaire s’essouffle, mais ressort systématiquement depuis cinq ans. En novembre 2014
lorsque Willy Sagnol, ex-joueur de l’équipe de
France et alors entraîneur des Girondins de
Bordeaux, balance de gros clichés sur les
joueurs africains. Puis en février dernier au moment où Serge Aurier, défenseur du PSG, a dérapé sur Periscope en insultant –entre autres–
Laurent Blanc, son coach. Quand certains ont
dénoncé la sortie d’un voyou ingrat et réclamé
des sanctions exemplaires, d’autres se sont demandés pourquoi son entraîneur n’a jamais été
puni alors qu’il a baigné dans une affaire aux
relents nauséabonds plus grave qu’une poignée
d’insultes. Le passé dure longtemps.
Fric. La scission est là et s’exprime souvent via
les mêmes canaux qu’utilisent les politiques
pour s’indigner des affaires des footeux: les réseaux sociaux. Il y a quelques semaines sur Facebook et Twitter, c’était l’incompréhension
dans la frange qui dénonce une France dans le
déni sur la thématique du racisme: pourquoi
des politiques montent au créneau pour défen-
dre Michel Platini, embourbé dans des histoires
de fric pas clair à l’UEFA et enfoncent Karim
Benzema dans son affaire de sextape? En mars,
Manuel Valls s’était prononcé publiquement
pour réclamer son exclusion de l’équipe de
France, arguant la nécessité de l’exemplarité.
Payer double. A son échelle, l’attaquant du
Real Madrid a fait de la com de la même façon
qu’un homme politique. Le résultat du mélange des genres. Il est sorti du guet dans un
contexte qu’il a trouvé favorable. Après sa victoire en Ligue des champions, les mots d’Eric
Cantona et même la sortie de Guy Roux. En
avril, l’ex-entraîneur emblématique de
l’AJ Auxerre estimait que le problème de Benzema, c’est de «s’appeler Karim». «Il faut avoir
le courage de le dire. S’il s’appelait Jean-Claude
et était né à Brest, on ne parlerait pas autant
de cette affaire.» Ce glissement ne laisse pas les
joueurs insensibles. Quelques heures après la
sortie de Karim Benzema, on a croisé l’agent
de plusieurs joueurs en Ligue 1. L’un d’entre
eux évolue en équipe de France. Il nous a confié: «On parle souvent des polémiques avec mes
joueurs de couleur. Ils ne me disent pas que la
France est raciste. Ils connaissent la règle du
jeu : le meilleur joue. Par contre, ils se disent
qu’ils paieront double à la moindre erreur. C’est
pour cette raison qu’il garde une certaine distance avec les médias et les instances du foot,
même lorsque tout va bien.»
RAMSÈS KEFI et RACHID LAÏRECHE
n mercredi après-midi banal, à l’Etoile Football Club
de Bobigny, en Seine-SaintDenis : les ados du quartier tapent
dans la balle sous le regard des éducateurs. L’équipe de France n’est pas
très loin. Ces dernières semaines, la
sélection des Bleus pour l’Euro 2016
est largement débattue au club.
Ici, tous s’accordent sur un point: le
racisme latent que pointe Cantona
n’est pas une réalité avérée. Mais
l’éviction de Karim Benzema suscite une déception unanime. «Si on
ne regarde que la partie professionnelle, ce n’est pas normal qu’il n’ait
pas été sélectionné. C’est son comportement médiatique qui a joué
dans sa non-sélection, il y a trop
d’affaires qui l’entourent, et luimême le sait», explique Mickaël
Lama, entraîneur des 14-15 ans.
Chez les plus jeunes, les «affaires»
qui entourent Karim Benzema importent moins que l’Euro 2016.
Ryan, 13 ans, se dit «très déçu» par
la composition du groupe de Didier
Deschamps. Pour lui, Karim Benzema a fait une belle saison, qui
aurait dû être récompensée par une
présence à l’Euro. Pour le reste, il dit
ne pas très bien connaître «ces histoires de sextape.»
Derrière la surmédiatisation des
«affaires Benzema», les mots d’Eric
Cantona accusant Didier Deschamps de racisme sont très mal
accueillis au club de Bobigny, commune qui connaît une importante
mixité et dont les membres affirment croire en cette France «blackblanc-beur».
Pour Godi, 14 ans, la non-sélection
de l’attaquant du Real Madrid n’est
pas du tout une «histoire de couleur
de peau». «Je ne pense pas qu’il y a
du racisme dans le football, car ici,
tout le monde se parle, les Arabes, les
Chinois, les Blancs, les Noirs!» L’entraîneur des 12-13 ans, Cheick Sall,
confirme et ajoute : «Je ne me permettrais pas de juger Didier Deschamps. Zlatan a insulté la France
et il n’a rien eu, la sanction doit être
appliquée à tous. Pour moi, Benzema fait surtout partie de cette génération de joueurs caractériels qui
sont évincés progressivement. C’est
plus une histoire de génération que
de racisme.»
A l’Etoile Football Club de Bobigny,
la mise à l’écart de Benzema est l’occasion de rappeler une leçon: l’attitude du joueur dépasse les limites
du terrain.
ROZENN MORGAT
6 u
Libération Jeudi 2 Juin 2016
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Trois minutes pour comprendre
une thèse Un concours annuel a sacré
VU SUR
LE WWW
mardi trois doctorants qui ont su brillamment résumer leur thèse en 180 secondes, rendant passionnants et drôles les
sujets les plus barbares à coups de métaphores inventives. Les meilleurs exemples en vidéo.
EXPRESSO/
Agression d’un policier: «Entre province
et capitale, y a-t-il deux poids, deux mesures?»
En 2013, le ministre Valls
promettait à un agent
pris à partie sur une plage
marseillaise d’être promu.
Alors que l’épisode de la
voiture brûlée à Paris ravive
ce souvenir, Yazid Halil
attend toujours.
Par
STÉPHANIE HAROUNYAN
Correspondante à Marseille
C’
est en découvrant, dans la presse,
l’affaire du policier blessé lors de
l’incendie de sa voiture, en marge de
la manifestation parisienne du 18 mai, que
Yazid Halil a voulu réagir. En 2013, ce policier
marseillais de 37 ans avait lui aussi eu droit
aux félicitations du ministre de l’Intérieur.
Lui aussi avait risqué sa vie en service, pour
venir en aide à un couple de touristes agressés
par des jeunes gens. A lui aussi, on avait promis de l’avancement. Mais trois ans après, il
attend toujours que les promesses faites face
caméra se concrétisent.
Yazid Halil face à Manuel Valls et Patrick Mennucci, en 2013. A.-C. POUJOULAT. AFP
Attroupement. En 2013, Yazid Halil est
maître nageur de la police nationale affecté
à la plage des Catalans, l’une des plus fréquentées de Marseille. Trop, selon le policier,
qui doit assumer avec l’aide d’un seul réserviste la sécurité sur le sable et dans l’eau.
«J’avais fait un rapport pour dire qu’avec cette
fréquentation, la plage était impossible à surveiller, explique-t-il. Et que nous, les policiers,
nous n’étions pas non plus en sécurité.» Le
8 juillet, la plage était effectivement surpeuplée quand il remarque un attroupement
dans l’eau. Une quinzaine de jeunes prennent
un couple à partie, le bousculent. Le policier
tente de calmer l’affaire. «Mais d’un coup, ils
sont passés à une trentaine autour de moi. Les
coups ont commencé à pleuvoir…» Yazid Halil
est immergé jusqu’à la taille, ses agresseurs
en profitent pour lui plonger la tête sous l’eau
à plusieurs reprises. «J’ai beaucoup de trous
de mémoire, confie-t-il, jusqu’au moment où
j’ai vu mon collègue arriver et gazer les jeunes.» Cette intervention lui sauvera la vie.
A l’époque, l’affaire est largement médiatisée,
la bande d’agresseurs –tous mineurs– interpellée, et Manuel Valls, ministre de l’Intérieur, descend à Marseille pour applaudir le
policier. Yazid Halil, alors mal en point, quitte
son lit d’hôpital pour le rencontrer sur la
plage. «Il m’a félicité pour avoir sauvé la vie de
ce couple, et aussi pour ne pas avoir fait usage
de la force. Puis en aparté, il m’indique qu’au
vu de mon comportement exemplaire, il me
nommerait brigadier-chef. Le préfet de police,
que je rencontre quelque temps après, me le
confirme.» Un avancement dit «au titre de
d’avocat n’ont jamais été payés. Le policier ne
lâche rien, écrit à François Hollande, à Bernard Cazeneuve, qui a remplacé Manuel Valls,
interpelle à nouveau le préfet de police. Rien
n’y fait. Il perd courage, jusqu’à ce qu’il découvre, l’an dernier, l’existence d’un médiateur
interne à la police nationale. Il lui envoie son
dossier. S’ensuit une enquête de sept mois
dont les conclusions sont rendues en février
dernier : «Il me donne raison sur les trois
points – l’avancement, le remboursement de
la cure et les frais d’avocat. Mais c’est un avis
consultatif.» Une commission doit statuer sur
son cas en juin. Mais après tant de désillusions, Yazid a perdu confiance et dénonce un
«harcèlement moral».
Pour le syndicat Alliance, qui soutient le brigadier, son cas est loin d’être isolé. «Lorsque
des policiers sont grièvement blessés, les ministres se déplacent, avancent des choses et s’en
vont. Sauf que derrière, l’administration ne
suit pas», affirme Jean-Marie Allemand (Alliance), qui évoque le cas de deux démineurs
du Vaucluse gravement blessés : «Tout le
monde est venu à l’hôpital. Certes, on les a fait
passer au grade au-dessus, ce qui représentait
un gain de 40 euros par mois, mais sachant
qu’ils ne pouvaient plus travailler, qu’ils
avaient été amputés… Et il a fallu que je croise
Manuel Valls lors d’un congrès pour que ce
dossier soit réglé. Sinon, on y serait encore !»
Il ajoute : «Yazid, il se défend, mais les collègues qui voient ça se disent qu’ils vont risquer
leur vie et que derrière, ils n’auront rien…»
«Rancœur». Après deux ans d’arrêt, Yazid
La plage des Catalans, où le policier était affecté en 2013. PHOTO Y. HALIL. ONLY FRANCE
l’article 36», qui implique qu’une commission
administrative paritaire statue. Pour Yazid
Halil, la décision tombe en janvier 2013: il est
promu… brigadier, un grade auquel il aurait
accédé de toute façon deux ans plus tard,
d’après le tableau d’avancement de la police.
S’estimant lésé, il interpelle le préfet de police, d’autant qu’un autre problème se pose:
normalement, quand un fonctionnaire est
blessé en service, ses frais médicaux et d’avocat sont pris en charge. L’administration a
bien payé les soins, mais elle pinaille sur le
remboursement d’une cure thérapeutique
prescrite par le médecin. De même, ses frais
HISTOIRE
DU
JOUR
Halil a repris son activité et fait de la prévention dans les écoles. «J’ai toujours la fibre
pour aider les gens, mais j’ai beaucoup de
rancœur. La police, c’était une vocation. Je
ressens un abandon total. Et quand je vois l’affaire du policier de Paris, où en une semaine
tout est réglé [il a été décoré de la médaille d’or
de la sécurité intérieure et Bernard Cazeneuve a annoncé sa promotion comme gardien de la paix, ndlr]. Est-ce qu’il y a deux
poids, deux mesures entre la province et la capitale? Pour qu’une victime puisse se reconstruire, il faut que la reconnaissance soit à la
hauteur.»
En septembre, le brigadier sera sur les bancs
du tribunal pour le procès de ses agresseurs.
Un moment qui l’angoisse : «La position de
l’administration à mon égard me fait douter.
On a l’impression de ne pas être à sa place de
victime.» D’ici là, en juin, la commission devrait avoir statué. Du moins, Yazid l’espère:
«Il y avait déjà eu une commission en mars,
juste après la remise du rapport du médiateur,
mais mon cas n’a pas été examiné. Ils avaient
perdu mon dossier.» Contacté, le préfet de police de Marseille indique ne pas avoir été mis
au courant de l’existence du rapport. Ses services assurent qu’ils suivront le dossier de
très près. •
Libération Jeudi 2 Juin 2016
u 7
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SUR LIBÉRATION.FR
Mai dans la vie des femmes
WHO RUN
THE WORLD ?
Chaque mois, Libération fait le point
sur les histoires qui ont fait l’actualité
des femmes, de leur santé, de leurs
libertés et de leurs droits. Au programme du neuvième épisode : affaire Baupin, tuto gynéco, offensive
anti-IVG… MONTAGE DR
Attentats: le tourisme antiterrorisme
d’élus belges et français en Israël
SOMALIE
Deux personnes sont mortes lors de ce qui est apparu
tout d’abord comme une
fusillade dans l’université
UCLA de Los Angeles, mercredi, dont le campus est
resté bouclé plus de deux
heures. De nombreux étudiants étaient cloîtrés, et
des «centaines» de policiers
étaient mobilisés pour sécuriser les lieux, selon le Los Angeles Times. La police a finalement annoncé que le tireur
comptait parmi les victimes,
et qu’il s’agissait d’un meurtre
doublé d’un suicide.
Les islamistes shebab ont
revendiqué une attaque à la
voiture piégée mercredi
contre l’hôtel Ambassador
dans le centre de la capitale,
Mogadiscio, qui a fait au
moins 10 morts. Dans la
soirée, différentes sources faisaient état de combats
«en cours» dans le bâtiment.
«L’attaque a débuté avec une
forte explosion et des moudjahidin sont entrés», ont affirmé
les shebab dans un communiqué publié sur Internet,
confirmant que «des combats
étaient encore en cours».
EGYPTAIR
Une boîte noire
du MS804 détectée
Un navire de la marine française a capté des signaux venant d’une des deux boîtes
noires du vol Paris-Le Caire
d’Egyptair qui s’est abîmé
le 19 mai en Méditerranée,
avec 66 personnes à bord, ont
annoncé mercredi les autorités égyptiennes. Il faudra attendre une semaine avant
l’arrivée d’un autre bateau
équipé pour remonter à la
surface les deux enregistreurs
de vol, a précisé l’Aviation civile. Les causes du crash ne
sont toujours pas connues.
MALI
Quatre morts dans
deux attaques
contre l’ONU
Un Casque bleu chinois et
trois civils – un Français et
deux Maliens – travaillant
pour l’ONU à Gao (nord du
Mali) ont été tués dans une
double attaque mardi visant
un camp des Nations unies et
les locaux d’un prestataire de
services, selon la Mission de
l’ONU au Mali. Trois autres
Casques bleus ont été «grièvement blessés» et plus de dix
des membres du personnel de
la Minusma ont été blessés.
et avec des intervenants appartenant à la police et au
conseil national de sécurité
(censé regrouper les évaluations et élaborer des stratégies, mais sans efficacité).
Constituée en février et présidée par Georges Fenech,
député (LR) du Rhône, la
commission d’enquête française sur les attentats de Paris s’était déjà rendue en
Belgique (à Molenbeek), en
Grèce et en Turquie. En Israël, le clou de son séjour n’a
pas été la courte et discrète
rencontre de ses membres
avec Benyamin Nétanyahou, mais la visite guidée de
l’aéroport Ben Gourion de
Tel-Aviv. Car celui-ci passe
pour «le plus sûr du monde»
Le sida en Russie? La faute à la capote,
aux sex-toys et à l’Occident
En janvier, la Russie comptait
un million de séropositifs,
une «catastrophe nationale»,
selon le Centre fédéral de
lutte contre le sida. Moscou a
demandé de vérifier ces données à l’Institut de recherche
stratégique de Russie (Risi),
dont la mission officielle est
de s’occuper des «questions de
sécurité nationale» et de «lutter contre la falsification de
l’histoire». Les «experts»,
parmi lesquels ne figure
aucun spécialiste du sida, ont
présenté lundi leur rapport
aux élus sur les causes de
l’épidémie et proposé des solutions pour la combattre.
Pour la directrice adjointe de
l’Institut, Tatiana Gouzenkova, une historienne connue
pour ses considérations sur
«la fin de l’UE» et ses critiques
de la politique ukrainienne, il
existe deux modèles concurrents pour lutter contre le
sida. Selon elle, le «problème
du sida est instrumentalisé
dans le cadre d’une guerre de
l’information menée contre la
Russie» par un Occident qui
cherche à imposer son modèle, fondé sur «un contenu
idéologique néolibéral, insensible aux spécificités nationales et à l’absolutisation des
droits des groupes à risque, les
VU DE MOSCOU
toxicomanes et les LGBT»
alors que Moscou propose
des solutions qui «prennent
en compte les particularités
culturelles, historiques et psychologiques de la population,
en se fondant sur des valeurs
traditionnelles». Plus explicitement: le rempart le plus sûr
contre le sida, c’est le couple
monogame, hétérosexuel et
fidèle.
L’ennemi, selon le rapport,
c’est le préservatif: non seulement les fabricants de contraceptifs incitent les mineurs à multiplier les
relations sexuelles le plus tôt
possible, mais aussi «cinq
contacts avec protection, à
l’adolescence, sont équivalents
à un contact non protégé», affirme un coauteur du rapport. En outre, le porno reste
trop accessible et les fabricants de sex-toys sont des
«lobbyistes dont l’objectif est
de pervertir la population».
Et pour ce qui est de l’éducation sexuelle à l’école, elle est
imposée à la Russie par l’Oc-
cident, dans le but de «contenir démographiquement un
concurrent géopolitique».
En attendant, la moitié des
séropositifs d’Europe vivent
en Russie, dont 1,5% à2% de
la population sont contaminés, note le médecin Dimitri
Trochtchanski, qui a traité les
premiers cas de VIH en Russie à la fin des années 80. Et si
aucune mesure drastique
n’est prise rapidement, 6 millions de personnes seront
touchées d’ici à 2020. L’un
des moyens de contenir l’épidémie serait d’assurer un accès maximal aux traitements.
«Seuls 20 % des séropositifs
peuvent se payer les médicaments», regrette le médecin.
Ce dernier craint que le document obscurantiste du Risi,
«dont l’objectif est de justifier
les financements de l’Institut», soit dangereux: «Il risque d’être utilisé par les législateurs», affirme-t-il.
C’est d’ailleurs ce qu’a déjà
promis une députée connue
pour son opposition aux programmes de réduction des
risques sanitaires, incluant la
distribution de seringues et
de préservatifs: «Ce n’est pas
tant le sida qu’il faut combattre, que la drogue et le dévergondage.» V.D. (à Moscou)
en raison des mesures qui y
sont appliquées depuis 1972,
année de l’attaque sanglante
menée par des membres de
l’Armée rouge japonaise
pour le compte du Front populaire de libération de la
Palestine (26 morts). Depuis,
l’arsenal des mesures sécuritaires de l’aéroport n’a cessé
d’être renforcé, pour atteindre des sommets de sophistication. Ce n’est pas un
hasard si le responsable
actuel de ce système se voit
régulièrement proposer des
ponts d’or à l’étranger.
L’Etat hébreu s’est plié en
quatre pour accueillir les
parlementaires français et
belges à Jérusalem et à TelAviv: leur visite aide à redo-
rer le blason d’Israël et conforte l’image de «fer de lance
de la lutte antiterroriste» que
cherche à donner le Premier
ministre. En outre, Nétanyahou répète à l’envi que les
terrorismes de l’Etat islamique et des Palestiniens seraient les doigts d’une même
main. A l’entendre, Israël, la
France, la Belgique et «toutes
les démocraties occidentales
éclairées» seraient sur le
même bateau. Le moment
est donc venu de s’entraider,
ce qui explique pourquoi il
insiste auprès des Français
et des Belges pour une
intensification des échanges
de renseignements avec les
services israéliens.
N.B. (à Tel-Aviv)
LA PHRASE
«L’économie mondiale est
prise au piège d’une croissance
molle qui nécessitera de
recourir de manière plus large
et mieux coordonnée
aux politiques budgétaires,
monétaires et structurelles.»
AFP
ÉTATS-UNIS
«Israël, terre promise de
l’antiterrorisme.» Tel pourrait être le nouveau slogan
publicitaire de l’Etat hébreu,
après les visites que viennent d’y effectuer les commissions d’enquête créées
en France et en Belgique
après les attentats de Paris et
de Bruxelles. Certes, les élus
français et belges ne s’étaient
pas concertés, mais ils se
sont rendus en Israël à quelques heures d’intervalle et ils
y ont, au début de la semaine, effectué quasiment
le même parcours. A savoir:
des rencontres avec des spécialistes de l’antiterrorisme
issus du Shabak (la Sûreté
générale) et de l’Aman (les
renseignements militaires),
ÁNGEL
GURRÍA
secrétaire
général
de l’OCDE
Dans son dernier rapport sur les perspectives économiques publié ce mercredi, l’Organisation de coopération et de développement économique estime que la
croissance mondiale ne devrait pas dépasser 3% cette
année et 3,3 % en 2017. «Si une croissance aussi faible
se prolonge, le risque est que les perspectives d’emploi
soient moindres pour les jeunes et que les engagements
pris envers les personnes âgées en matière de santé et
de retraite ne puissent être tenus», estime Catherine
Mann, chef économiste de l’OCDE. Pour 2017, la Russie
(-4,3%) et le Brésil (-1,7%) devraient en récession. La
Chine verrait la hausse de son produit intérieur brut
(PIB) passer de 6,5% cette année à 6,2% l’an prochain.
Seule l’Inde (avec 7,5%) échappe au marasme. Du côté
des pays industrialisés, la reprise modérée se poursuivrait aux Etats-Unis (1,8% et 2,2%). Les pays de la zone
euro devraient connaître une légère amélioration avec
une croissance de 1,6% cette année et 1,7% en 2017. En
France, «la croissance économique devrait atteindre
1,4 % cette année et 1,5 % en 2017», prévoit l’OCDE.
8 u
Libération Jeudi 2 Juin 2016
SUR LIBÉRATION.FR
Tu mitonnes Chaque jeudi, passage en
cuisine et réveil des papilles. Cette semaine,
ode à la pistache, fruit de la contemplation et
du grignoteur qui baye aux corneilles, avec
une somptueuse recette de cake aux carottes, épices, pistaches et amandes, crème à
l’eau de rose. Un hommage parfumé à la cuisine iranienne. PHOTO EMMANUEL PIERROT . VU
PROFIL
Odile RenaudBasso, première
femme à la tête
du Trésor
C’est une première. Mercredi,
le porte-parole du gouvernement, Stéphane Le Foll, a annoncé la nomination d’une
femme à la tête du Trésor, la
plus influente administration
de Bercy: le 30 juin, Odile Renaud-Basso, 51 ans, jusqu’à
présent directrice générale
adjointe de la Caisse des dépôts, va ainsi succéder à
Bruno Bézard, qui quitte la
fonction publique pour le
fonds d’investissement franco-chinois Cathay Capital.
Le 18 mai, par décret, un «comité d’audition pour la nomination des directeurs d’administration centrale» a été
mis en place dans le but de
«promouvoir la parité et la
diversification des parcours»
jusqu’au sommet de l’administration. Voilà qui explique
que trois des quatre candidats
étaient des femmes. Enarque,
Odile Renaud-Basso prend la
direction d’une administration où elle a déjà occupé plusieurs postes. Après avoir
commencé sa carrière à la
Cour des comptes, elle avait
passé une dizaine d’années à
la direction du Trésor avant
de rejoindre les sphères européennes. «C’est surtout la
capacité d’assurer immédiatement cette dimension européenne» qui a guidé ce choix,
a précisé Le Foll. A Bruxelles,
Renaud-Basso a passé cinq
ans à la Direction générale
des affaires économiques et
financières. Elle a ensuite occupé les fonctions de chef de
cabinet adjointe du président
du Conseil européen, en
pleine crise de la zone euro.
Elle a aussi été directrice adjointe de cabinet de l’ex-Premier ministre Jean-Marc Ayrault. N.R. PHOTO AFP
EXPRESSO/
Admission post-bac:
l’algorithme dévoilé (à moitié)
Ils réclamaient le code
source in extenso et la note
explicative allant avec. Ils
devront se contenter d’une
partie de la réponse. Mercredi, le ministère de l’Education nationale a dévoilé en
partie l’algorithme d’APB
(admission post-bac), cette
plateforme informatique
géante qui répartit les futurs
étudiants dans 12000 filières de l’enseignement supérieur (prépa, BTS, fac…).
L’association Droits des lycéens avait saisi la Commission d’accès aux documents
administratifs fin avril pour
faire pression sur le gouvernement, qui s’était engagé
en décembre à «lever le secret» sur le fonctionnement
d’APB, objet de tous les fantasmes. Généralisé en 2008
pour simplifier les inscriptions administratives, APB
est depuis devenue une
énorme machine opaque.
Surtout pour les affectations
à l’université. Censées être
ouvertes à tous, les universités sont de plus en plus
nombreuses à déclarer des
«filières en tension», quand
les demandes d’inscription
excèdent les capacités d’accueil. En janvier, 347 filières,
soit 14% de l’ensemble des
licences, étaient concernées.
Dans ces facs-là, sur quels
critères sont «choisis» les
étudiants?
Les informations publiées
apportent des réponses,
confirmant ce qui avait déjà
été évoqué par le ministère
sans que cela ne soit jusqu’ici formalisé et donc diffusé aux futurs étudiants…
Cette publication intervient
au lendemain de la clôture
des vœux pour la prochaine
rentrée. «Il aurait été trop
anxiogène pour les familles
de publier ces informations
au dernier moment», justifiait l’entourage de la ministre Najat Vallaud-Belkacem.
Quand une université est
débordée par le nombre de
demandes, un premier tri
s’opère: APB est alors paramétré pour donner la priorité aux élèves de l’académie
(ceux qui y ont passé leur
bac ou qui y résident). Une
fois ce tri fait, si les candidats sont toujours trop nombreux, nouvelle moulinette:
l’algorithme est alors programmé pour les trier en
fonction de l’ordre de leurs
souhaits. En deux étapes :
d’abord en regardant le premier vœu relatif (le premier
parmi les filières non sélec-
Bloctel
C’est le nom du nouveau service d’opposition
au démarchage téléphonique mis en place par
le gouvernement, qui fait suite à la loi consommation. Il est entré en service mercredi, a annoncé
Martine Pinville, secrétaire d’Etat chargée de la
Consommation: «Les consommateurs peuvent dès
aujourd’hui inscrire leurs numéros de téléphone,
fixe ou portable, sur Bloctel» pour éviter les appels
téléphoniques intempestifs. L’inscription se fait sur
le site bloctel.gouv.fr et doit être confirmée par
courriel. Sous peine d’amende, toutes les entreprises de démarchage devront retirer de leurs bases
de données les numéros de téléphone de la liste.
LA FRESQUE
tives) et ensuite, si cela ne
suffit pas, le premier vœu
absolu (toutes filières confondues).
La moulinette APB crée un
groupe avec tous les premiers vœux relatifs. Et si ça
ne suffit pas, sont prioritaires ceux qui ont choisi la fac
en premier vœu absolu… Et
quand ils sont encore trop
nombreux, tirage au sort
parmi ce dernier groupe
(pratiqué 188 fois l’année
dernière)! Autrement dit, un
élève qui demanderait en
premier une prépa a très peu
de chance, voire aucune,
d’aller dans une fac en capacité limitée, inscrite en second choix. «Pourquoi ces
règles n’ont pas été rendues
publiques avant la clôture,
hier soir ? C’était pourtant
un engagement du ministère
et cela aurait pu permettre
aux lycéens de faire un choix
éclairé», a réagi mercredi
Clément Baillon, le président de l’association Droits
des lycéens. «Des flous demeurent, pointe-t-il, comme
l’utilisation faite par les universités des notes aux épreuves anticipées du bac, et des
bulletins scolaires: ont-elles
la possibilité de les consulter?» M.Pi.
Joe Sacco ou l’horreur de la bataille
de la Somme
C’est la pièce maîtresse du nouveau musée de Thiepval
ouvert au public mercredi: une fresque de 60 mètres dessinée par Joe Sacco, célèbre auteur de romans graphiques,
offrant un panorama terrible du premier jour de la bataille
de la Somme, le 1er juillet 1916. C’est après avoir découvert
la bande dessinée de Sacco la Grande Guerre que la direction du musée a su qu’elle tenait «sa tapisserie de Bayeux»,
susceptible de montrer au public ce que fut le jour le plus
sanglant de l’histoire britannique. PHOTO DENIS CHARLET.AFP
SANTÉ
Généralistes : vers une consultation
à 25 euros ?
L’assurance maladie propose d’augmenter le prix de la consultation de
base des médecins généralistes à 25
euros, contre 23 actuellement, pour
un budget global compris entre 570 et 737 millions d’euros,
selon les pistes détaillées dans un document consulté mardi
par l’AFP et qui sert de base aux négociation entre les syndicats de médecins libéraux et l’assurance maladie autour de
la future convention médicale, texte qui régit pour cinq ans
les relations entre les deux parties et fixe les honoraires
des praticiens.
«La stratégie
de défense
de Baupin est
en complet
décalage.»
QUATRE ÉLUES
ÉCOLOGISTES
qui ont accusé le
député d’agression ou
de harcèlement sexuels
Quatre des accusatrices de Denis
Baupin ont regretté mercredi les
déclarations du député écologiste, qui conteste farouchement
toute accusation de harcèlement
sexuel ou d’agression sexuelle et
ne reconnaît, dans un entretien
à paraître ce jeudi dans l’Obs,
que «des jeux de séduction». Pour
Isabelle Attard, Elen Debost, Annie Lahmer et Sandrine Rousseau, la «stratégie de défense» de
Denis Baupin est «en complet décalage avec l’importance, la répétition et la concordance des
faits décrits par les 13 femmes qui
témoignent […]. En niant les actes, en tentant de décrédibiliser
les victimes, Denis Baupin emploie là une stratégie malheureusement bien trop classique dans
ce type d’affaire», regrettent les
quatre élues, qui appellent «les
femmes qui auraient eu à subir
les comportements déplacés de
M. Baupin à témoigner, à révéler
les faits».
Libération Jeudi 2 Juin 2016
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SUR LIBÉRATION.FR
L’Euro de foot expliqué aux enfants
Le nouveau P’tit Libé vient de sortir ! Cette
fois-ci, on parle Euro de foot. Comment
marche ce championnat ? Qui en sont les
stars ? Et après tout, pourquoi le foot est-il
un sport aussi populaire ? Le P’tit Libé a
chaussé ses crampons pour expliquer tout
ça aux 7-12 ans.
INTOX
AFP
«[Il faut] interdire le paiement
des jours de grève dans
la fonction publique,
dans les entreprises publiques.»
GUILLAUME PELTIER
porte-parole du parti
Les Républicains dans l’une
de ses «Douze propositions
pour reconstruire la
démocratie sociale»
DÉSINTOX
Guillaume Peltier semble oublier une chose essentielle: la loi
prévoit déjà de ne pas payer les fonctionnaires quand ils font
grève. Et ce, depuis 1961. La loi de finance rectificative dispose
que «l’absence de service fait, pendant une fraction quelconque
de la journée, donne lieu à une retenue». En cas de grève, et
donc de service non effectué, une retenue sur le traitement
est opérée. Les articles L2512-1 à L2512-5 du code du travail
rappellent ainsi qu’une retenue sur salaire s’applique aux
agents de la fonction publique et des entreprises chargées de
la gestion d’un service public. Le montant de la retenue varie
toutefois selon les catégories de fonctionnaires. Pour les
agents publics de l’Etat, une circulaire de 2003 rappelle la règle du «trentième indivisible». Que les agents se mettent en
grève une heure ou une journée entière, la retenue sur le salaire sera la même. Pour la fonction publique territoriale, la
jurisprudence a établi la règle de la proportionnalité. Soit 1/30e
pour une journée de grève, 1/60e pour une demi-journée…
Même chose dans la fonction publique hospitalière. Concernant le secteur public des transports, la loi de 2007 sur le service garanti rappelait que «la rémunération d’un salarié participant à une grève est réduite en fonction de la durée non
travaillée en raison de la participation à cette grève». P.M.
Richard Gasquet, à terre et battu
EN IMAGE
Pour la première fois, Richard Gasquet avait franchi le mur des huitièmes de finale à RolandGarros, qui l’avait vu échouer à quatre reprises avant l’édition 2016. Pour la première fois, après
deux belles copies rendues face à Kyrgios et Nishikori, on sentait la tête de série numéro 9 capable de chatouiller les sommets Porte d’Auteuil, tant les absences (Federer, Monfils) ou abandons
(Nadal) s’étaient multipliés jusque-là. Mais comme d’habitude, Gasquet a montré ce qui le
séparait encore des tout meilleurs mondiaux. En l’espèce Andy Murray, numéro 2. Après une
«remontada» dans le premier set et une belle bataille dans le deuxième, l’ancien petit prince
du tennis français s’est fait dominer de la tête –beaucoup– et des épaules –un peu– par l’Ecossais (7-5, 6-7, 0-6, 2-6). Un petit prince jamais sacré ne peut prétendre être roi. A la différence
du tenant du titre, Stan Wawrinka, qualifié pour les demies. PHOTO CHRISTOPHE ENA. AP
Le conflit social noyé sous les inondations?
La pluie aurait-elle enfin
décidé de jouer en faveur
de François Hollande ? En
squattant les gros titres des
médias depuis le début de la
semaine, les inondations ont
relégué le conflit social entourant la loi travail au second plan, permettant une
désescalade entre l’exécutif
et la CGT en coulisses. Vu les
revendications de la centrale
syndicale, on est encore très
loin de la sortie de crise, mais
le ton a changé.
Des raffineries et dépôts pétroliers, la contestation s’est
déportée vers les transports
en commun cette semaine.
«Nous ne sommes pas sortis
du conflit mais ce changement de nature va plutôt
dans le bon sens», a noté le
chef de l’Etat, mercredi, lors du Conseil des ministres.
Globalement, «le
climat n’est plus le
même que la semaine dernière où
les angoisses étaient
liées à une éventuelle pénurie
d’essence», abonde un de
ses conseillers.
Evidemment, l’Elysée et Matignon mettent ce début de
dégel sur le compte de leur
fermeté. Après une cacophonie rarement égalée depuis le
début du quinquennat sur
une réécriture de l’article 2 de
la loi El Khomri, Hollande et
Valls ne varient pas d’un iota:
la loi, qui est un «texte de progrès», ne sera pas retirée.
Par ailleurs, les invectives
échangées par Philippe Martinez et le
patron du Medef,
Pierre Gattaz, permettent à Valls de
poser en homme
du compromis.
A Matignon, les
mots pour qualifier la CGT
ont radicalement changé.
Plus question de dire qu’un
syndicat ne peut pas faire la
loi. On note au contraire que
«le sujet réel de préoccupation
de M. Martinez sur le dumping social est loin d’être médiocre», tout en assurant que
le texte contient toutes les garanties pour l’empêcher.
De son côté, le leader de la
CGT dit que le retrait de la loi
travail n’est plus «un préalable» et vante le compte per-
ANALYSE
sonnel d’activité – une première depuis le début du
conflit. «Martinez a remporté
une partie de la partie, note
un conseiller de l’exécutif. Il
était inconnu, il est connu. Il
a tenu la ligne dure décidée
lors du congrès de Marseille en
avril et la centrale s’est refait
une santé médiatique» après
la mauvaise passe sur l’affaire
Lepaon. Mais Martinez réclame toujours le retrait de
«quatre articles majeurs»: revenir sur la primauté de l’accord d’entreprise sur l’accord
de branche, «le périmètre des
licenciements collectifs», la
question du référendum en
entreprise et la médecine du
travail. Soit, sur le fond, la
même impasse que depuis
trois mois. L.Br.
CONFLIT
Un jeune militant CGT en préventive
Un syndicaliste est en prison depuis
deux semaines et pourrait y rester
jusqu’à son jugement, le 9 juin à
Lille. La justice reproche à Antoine
C., 28 ans, brancardier, d’avoir frappé un policier lors de
la manifestation lilloise du 17 mai contre la loi travail. Ce
qu’il nie. A la cour d’appel de Douai, le parquet a requis
son maintien en détention provisoire au motif qu’il pourrait recommencer et pourrait ne pas se présenter à
l’audience. Que s’est-il passé? Le 17 mai, en début de manif, trois costauds se ruent sur cet homme de petite taille.
Il se débat, il est maîtrisé, à terre, un genou sur sa tête. Ce
sont des policiers en civil. Selon eux, ils se sont approchés
d’Antoine pour contrôler son identité, et le militant a répondu par un coup de poing au visage de l’un des fonctionnaires. Le militant dit qu’il s’est débattu parce que des
gens dont rien ne dit qu’ils étaient policiers lui ont sauté
dessus. De fait, sur une vidéo qui circule sur Facebook
(mais qui ne montre pas le début de la bagarre), ceux qui
tapent sont en jean et tee-shirt et ne portent aucun brassard. Ce que confirment dans le dossier les policiers qui
ont analysé la vidéo image par image, selon l’avocat d’Antoine C.
10 u
MONDE
Libération Jeudi 2 Juin 2016
RWANDA
«La terrible journée»
de Kabarondo
racontée aux assises
Témoignage Mardi, dans le procès à Paris
d’Octavien Ngenzi et Tito Barahira,
poursuivis pour génocide, l’abbé Incimatata
a livré un récit accablant du massacre
de l’église du village, le 13 avril 1994.
L’
le 7 avril au matin. Après la messe,
ce jour-là, une dame m’a dit que les
meurtres avaient commencé dans
un secteur proche. Dans l’aprèsmidi, un second secteur a suivi.» Ces
secteurs –équivalents administratifs des cantons – sont ceux tenus
par le colonel Rwagafilita, «l’homme
fort de la préfecture», en lien direct
avec Kigali, craint par tous les
bourgmestres. Le soir, l’abbé Incimatata voit arriver dans sa paroisse
les premiers réfugiés, qui viennent
chercher sa protection. Un réflexe
gravé dans la mémoire collective
des Tutsis, depuis les pogroms
de 1959 et 1962. «A 9 ans, j’ai moimême fui les persécutions en me réfugiant dans une église», explique
l’abbé. Jusqu’à 1994, les édifices religieux sont considérés comme des
sanctuaires inviolables.
ESCORTE
Le 8 avril, Oreste Incimatata célèbre
la messe – il le fera jusqu’au bout,
même le jour du massacre. Les tueries s’étendent de secteur en secteur. Le flot de réfugiés qui arrivent
à l’église grossit. Le prêtre discute
de la situation avec le bourgmestre,
qui consent à lui prêter une escorte de Kabarondo. «Dans notre secteur,
pour aller chercher des vivres à il y avait des partis d’opposition très
l’évêché. «Je ne peux pas oublier forts, ce qui explique pourquoi les
cette journée. C’est la dernière fois tueries n’ont pas commencé tout de
que j’ai vu ma famille. A mon retour suite, commente Incimatata. A cette
à Kabarondo, il y avait une centaine réunion, les extrémistes du Hutu
de réfugiés à l’église. Tout le monde Power voulaient “poursuivre le traracontait la traque. Notre secteur vail” [tuer des Tutsis, selon le vocaétait cependant toujours épargné.» bulaire des génocidaires, ndlr] mais
Les jours suivants,
ils étaient minoritaires. Nous
Octavien Ngenzi
avons décidé de tenter de
vient rencontrer
pacifier les secteurs où
OUGANDA
les réfugiés, à pluil y avait des meursieurs reprises.
tres. Ngenzi est allé
RWANDA
D’après Incimachercher les miliRÉP.
tata, il leur protaires pour nous
DÉM.
Kigali
CONGO
pose même de
aider.» Sur la
Kabarondo
s’installer dans un
place du marché,
bâtiment commula population atnal, mieux protend le verdict de la
BURUNDI
tégé. «Si c’est pour
réunion. L’abbé ap20 km
être tués, nous préfépelle au calme. «Vous
rons mourir dans l’église»,
nous embrouillez : Baralui répond une Tutsie. Des ronhira nous dit de tuer les Tutsis et
des d’autodéfense sont organisées vous nous dites le contraire ?» lui
autour de la paroisse. Les violences lance la foule. Barahira, le représense rapprochent. L’abbé court d’un tant du MRND, le parti présidentiel,
endroit à l’autre, parfois accompa- est alors présent sur la place, d’après
gné de Ngenzi.
l’ecclésiastique.
Le 11, le bourgmestre convoque une Devant la cour d’assises, depuis pluréunion avec tous les responsables sieurs jours, l’accusé nie pourtant
IE
CÉLIAN MACÉ
TA
NZ
AN
C’est le premier témoin à aborder le
carnage de l’église, qui marque, à
Kabarondo, le commencement du
abbé Incimatata ne pouvait processus d’extermination à grande
pas changer le cours d’un échelle de la population tutsie. La
génocide, planifié et rigou- précision de son verbe et de sa méreusement exécuté, mais il vient de moire – il a détaillé sans notes son
changer celui du procès d’Octavien emploi du temps d’il y a vingt-quaNgenzi et Tito Barahira. Il fut le tre ans quasiment heure par heure–
protagoniste central d’un effroya- contraste avec l’approximation de
ble épisode de l’histoire du ceux qui l’ont précédé à la barre plus
Rwanda: le massacre de l’église de tôt dans la journée. Des paysans huKabarondo. Son église. Celle où il tus aux costumes trop grands pour
avait accueilli 4000 personeux, qui ont décrit un rasnes fuyant les tueries entre RÉCIT
semblement au terrain de
le 7 et le 13 avril 1994. Mardi,
football du village où Tito
aux assises de Paris, jusque tard Barahira aurait donné le coup d’endans la soirée, Oreste Incimatata voi des tueries.
est venu raconter l’horreur et té- L’autre accusé, Octavien Ngenzi,
moigner du rôle des deux accusés était un ami proche d’Oreste Inci– l’un étant le bourgmestre de Ka- matata. A Paris, mardi, les deux
barondo à l’époque des faits, l’autre, hommes se revoient pour la preson prédécesseur, à la tête du parti mière fois depuis avril 1994. L’exlocal – pendant ces cinq premiers bourgmestre parle avec la gorge
jours du génocide.
nouée. L’homme d’église, partie ciL’audition du prêtre rescapé, grand vile au procès, ne laisse rien transet digne, s’exprimant à la barre de paraître de son émotion. Il débute
façon extrêmement précise et apai- son récit par «l’étincelle du génosée, constitue un tournant à mi-par- cide»: «J’ai appris la mort du présicours de ce procès historique qui dent Habyarimana [dans un attendoit durer en tout huit semaines. tat contre son avion, ndlr] à 5 h 50,
Par
Libération Jeudi 2 Juin 2016
u 11
www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe
Des vêtements ayant
appartenu aux victimes,
au mémorial du génocide
de Murambi (Rwanda).
PHOTO ALEX MAJOLI. MAGNUM
la voiture rouge du bourgmestre
partir vers la préfecture. Elle est revenue une demi-heure plus tard,
avec des gendarmes armés. Ils ont
commencé à tirer. Sur nous! Les policiers municipaux aussi. La bataille
était perdue. Certains jeunes ont
tenté de forcer les rangs des miliciens
pour fuir vers la forêt. Je voyais les
gens tomber. Les corps s’entassaient
sur la place.»
–parfois jusqu’à l’absurde– avoir eu
connaissance de l’hécatombe qui
frappe le pays avant le 13 avril.
«Tout autour, on tuait des gens, on
tuait des enfants, on éventrait des
femmes, tout le monde ne parlait
que de ça. Il est impossible qu’il n’ait
pas été au courant, balaye Oreste Incimatata. Barahira n’était pas un
tendre. Il était connu pour sa brutalité et il était bien décidé. Son seul
point commun avec Ngenzi, c’était
leur parrain politique, Rwagafilita:
c’était le père, le chef, il était impensable de le contredire.» Est-ce directement de lui que Ngenzi prend ses
ordres ? Quelques heures après la
réunion, le bourgmestre revient de
ABONNEZ
VOUS
«Les femmes, les
enfants, les vieux
avaient été tués
à l’arme blanche.
Les tueurs sont
venus achever
les nourrissons
le lendemain.
La nuit, ils ne
tuaient pas.»
ORESTE INCIMATATA prêtre
la préfecture sans les militaires.
Puis s’oppose aux rondes des réfugiés. «A mon avis, il avait reçu des
instructions. A partir de ce jour-là,
Ngenzi ne m’a plus jamais parlé.
C’est là que tout a changé.»
«AUTODÉFENSE»
Le registre de la paroisse compte
désormais 3 500 noms, «mais on
s’est arrêté de noter, il y avait trop de
monde». L’abbé reprend sa respiration. Il arrive à la «terrible journée»
du 13. «Je sortais de la messe quand
un conseiller communal est venu me
dire : il faut que les réfugiés rejoignent la population pour organiser l’autodéfense. J’ai pensé que
c’était une idée merveilleuse. J’ai
demandé aux hommes de venir, et
aux femmes et aux enfants de rester
à l’église. Nous nous dirigions vers
la place quand des hommes sont revenus en criant : “Ce n’est pas une
réunion, c’est un piège, ils nous tirent dessus !”» L’attaque de Kabarondo a commencé. Elle durera des
heures.
Autour de l’église, les Tutsis résistent en jetant des pierres et des briques «destinées à agrandir la paroisse». «On était attaqué de toute
part. J’étais devenu un commandant de guerre. J’allais d’un groupe
à l’autre pour les encourager, raconte le prêtre. A un moment, j’ai vu
«GOÛT DE LA VÉRITÉ»
Retranché dans son bureau, Oreste
Incimatata voit depuis la fenêtre les
grenades lancées sur le toit de
l’église, puis les lance-roquettes arriver. Il se cache alors sous le lit de
sa chambre pour éviter les éclats.
D’ici, il écoute les Hutus vociférer
contre ces Tutsis qui «sont difficiles
à tuer». Il entendra aussi le massacre des réfugiés de l’église, une fois
les portes ouvertes. «Quand je suis
sorti, j’ai vu des bébés téter le sein de
leurs mères mortes. Les femmes, les
enfants, les vieux avaient été tués à
l’arme blanche. Les tueurs sont venus achever les nourrissons le lendemain. La nuit, ils ne tuaient pas.»
L’abbé réussira à quitter Karabondo
en cachette en soudoyant des militaires. Arrêté à plusieurs reprises au
cours de sa fuite, il échappera à la
mort de justesse.
A la barre, Oreste Incimatata ne fatigue pas. Il parle depuis bientôt trois
heures. «Il y a des témoins qu’on n’a
pas envie de laisser partir, lâche
Françoise Marthe, l’avocate d’Octavien Ngenzi. Ce que vous dites a le
goût de la vérité.» L’abbé est notamment questionné sur son ancien
ami. «C’est un homme intelligent,
opportuniste aussi. Je pense qu’il a
reçu des ordres à la préfecture. Qu’il
les a appliqués, peut-être à contrecœur, je ne sais pas.» L’avocat général, Philippe Courroye, ne s’en
contente pas :
– Selon vous, monsieur l’abbé, le génocide au Rwanda était-il préparé?
– C’est une certitude.
– Il y avait des listes ?
– Des listes de Tutsis à éliminer au
niveau national et local, oui.
– Les bourgmestres en avaient-ils
connaissance ?
– Je ne peux pas imaginer autre
chose. Les bourgmestres étaient des
courroies de transmission très sûres.
– Donc Ngenzi savait ?
– Il savait.
– Selon vous, il se rallie donc à la
thèse génocidaire ?
– A partir du 11, absolument. •
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12 u
FRANCE
Libération Jeudi 2 Juin 2016
A Montargis
(Loiret), mercredi.
Le Loing, qui
traverse la ville,
a dépassé son
niveau
de 1910. PHOTOS
ALBERT FACELLY
Par
ÉLISE GODEAU
Envoyée spéciale à Montargis
CAMILLE GÉVAUDAN
et RICHARD POIROT
L
a ville de Nemours coupée en
deux par le débordement du
Loing, l’autoroute A10 fermée en
direction d’Orléans, montée des eaux
sur plusieurs axes routiers près de Blois,
des départements placés en vigilance
rouge (Loiret et Seine-et-Marne) ou
orange (Meuse, Moselle, Meurthe-etMoselle, Loir-et-Cher), et des pompiers
qui ont effectué 8000 interventions en
quelques jours. Côté SNCF, la circulation est interrompue depuis mardi soir
sur plusieurs axes, notamment entre
Paris-Montparnasse et Versailles-Chantiers, suite à des menaces d’effondrement d’un mur, entre Moret-sur-Loing
(Seine-et-Marne) et Montargis (Loiret),
ou encore entre Paris et Nevers.
Petit-Morin, des affluents de la Marne.
Mais la capitale n’est pas vraiment menacée. «L’eau va continuer à croître progressivement à Paris. Les voies sur berges seront inondées, mais il n’y aura pas
de conséquences graves en ville. Cependant, en cas de pluies importantes dans
les prochains jours, la réaction des bassins pourrait être forte, les lacs réservoirs à l’amont de Paris étant presque
pleins et ayant donc des capacités
d’écrêtement faibles», explique encore
Vazken Andréassian.
Tongs. Dans la «Venise du Gâtinais»,
comme on surnomme parfois Montargis (Loiret), la décrue s’amorçait mercredi. Dans les rues, les habitants ont
chacun leur technique : des bottes de
pluie – voire des cuissardes, pour les
mieux équipés– ou bien des tongs pour
pouvoir se déplacer sans craindre l’eau.
Certaines artères sont toujours noyées
sous plusieurs dizaines de centimètres
d’eau. Les riverains les plus exposés
Lit. La France vit au rythme des crues. ont quitté leurs maisons la veille, mais
Il est tombé de dimanche à mardi, les pompiers continuent d’intervenir
l’équivalent de deux mois de précipi- pour évacuer certaines rues. Le Loing
tations en Ile-de-France, en Picardie, a dépassé son niveau de 1910. «Pris en
dans la région Centre, selon Météo- sandwich» entre le canal de Briare et le
France. L’eau est tombée «sur des sols Loing, Bertrand Plouviez, 48 ans, vériqui étaient déjà humides. […] La même fie que sa porte d’entrée est bien calfeupluie au cœur de l’été, sur des sols secs, trée. «Avec mon voisin, on a carrément
aurait eu beaucoup moins d’effet», sou- cassé le muret devant nos maisons, pour
ligne Vazken Andréasque l’eau qui arrive par l’arrière
sian, directeur adde la maison et qui vient du
joint scientifique à
Loing, puisse se déverser
l’Institut de recherde l’autre côté, dans
che en sciences et
le canal de Briare.»
Montargis
technologies pour
Les gens s’entraiOrléans
L’Ouanne
l’environnement et
dent, certains prenLOIRET
l’agriculture (Irsnent des photos.
Loing
tea). Du coup, pluLes enfants jouent
Lo
sieurs cours d’eau
dehors, car les écoire
sont sortis de leur lit,
les sont fermées. Elle
notamment le Loing et
le seront aussi ce jeudi.
l’Yerres, affluents de la
Météo France annonce
10 km
Seine ainsi que les Grand et
de la pluie, encore. •
Inondations
«On sauve les
objets à valeur
sentimentale»
Météo En trois jours, il est tombé
par endroits l’équivalent de deux mois
de pluie. A Montargis, les habitants
racontent leur lutte contre l’eau.
Libération Jeudi 2 Juin 2016
u 13
www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe
HAUTEUR D’EAU
À LA STATION PARIS AUSTERLITZ
En mètres
9
Crue de janvier 1910 8,62 m
8
7
Crue de janvier 1982 6,15 m
6
5
4,37
4
3
2
1,75
1
0
25 mai 11h
1er juin 17h
HAUTEUR D’EAU
À LA STATION MONTARGIS
En mètres
3,36
Crue de janvier 1982 2,68 m
3
2,3*
2
1
0
0,39
25 mai 11h
Source : Vigicrues
FRÉDÉRIQUE DUFAUT, 46 ANS
«ON A ATTRAPÉ LES DESSINS DES ENFANTS»
DOMINIQUE BRANCHU, 58 ANS
«J’AI PRIS UNE COUETTE»
«On s’était préparé parce que le Loing était en crue : on avait donc
calfeutré toutes les entrées de la maison mais l’eau est passée par les
murs, on la voyait s’infiltrer par le carrelage. Je ne pensais pas que
c’était possible, on ne s’y attendait pas. J’ai été débordée par la rapidité
des événements. En quinze minutes, on avait de l’eau jusqu’aux genoux. Puis ça montait moins vite, alors on a fait la chaîne pour transférer des objets à l’étage, avec mes fils et mon mari. Ça nous a pris deux
heures, dans le noir, car on avait coupé le courant.
D’abord, on pense aux choses importantes et de valeur qu’on peut sauver, à l’électronique. Mais on réalise rapidement qu’on ne peut pas faire
grand-chose pour le gros électroménager, et puis ce sont des choses
qu’on peut remplacer. J’ai donc donné priorité aux objets à valeur sentimentale. On a tout de suite attrapé les cartons contenant des dessins
de mes enfants, des photos et le carton avec les décorations de Noël.
Heureusement, c’était bien rangé. On a aussi pris les bouteilles de vin,
en faisant attention que les étiquettes ne se décollent pas. La nourriture, on l’a montée en dernier. Tant pis pour le reste. La chaudière, la
tondeuse, la machine à laver, le karcher, l’aspirateur… c’est perdu. On
a quand même réussi à surélever la moto et le motoculteur. Je n’aurais
jamais pensé que l’eau pouvait rentrer comme ça dans une maison
en pierre meulière, sans qu’on ne puisse rien y faire. Il y a même eu
une espèce de vague, un afflux d’eau soudain, à un moment. C’est assez angoissant.» Recueilli par É.G.
«N’ayant pas la télévision, je n’avais pas trop suivi les infos, et je
ne savais pas que la situation allait être critique à ce point chez
nous. Quand l’eau est arrivée, j’ai commencé par écoper. Au début,
il n’y avait pas grand-chose. Et maintenant, mon frigidaire flotte
sur un mètre d’eau dans mon salon… Je vis au rez-de-chaussée.
Mon réflexe a été de prendre quelques habits, et de surélever les
autres. J’ai monté mon lit sur des tréteaux. En allant chez le voisin
qui m’héberge, j’ai aussi emporté une couette. Mais dans la panique, j’ai oublié mon ordinateur. Je l’ai récupéré depuis, il est un peu
humide, j’espère ne pas avoir tout perdu.
«Ce qui me désole en revanche, c’est que je n’ai pas pris les trois
clés USB sur lesquelles cinq ans de travail sont enregistrés. Je fais
du dessin assisté par ordinateur. Plus de 400 dessins et peintures
sont dessus, et je ne sais pas où elles sont. Je fais de la musique.
Pour mon piano, c’est foutu, il y a de l’eau jusqu’aux touches. J’ai
pensé à prendre mes autres instruments. Ma guitare, une tambura,
une guitare basse. On se souvient de ce qu’on a laissé petit à petit.
Je viens de penser à la belle photo de ma mère, décédée en 2009,
qui était accrochée au mur. Elle est naze. Et puis ça, ce n’était pas
numérisé. Pour l’électroménager, l’assurance s’en chargera. Ce n’est
que du matériel. Mais c’est impressionnant, tout est inondé.
Aujourd’hui, Montargis est vraiment la “Venise du Gâtinais”, comme
on la surnomme parfois !» Recueilli par É.G.
MURIEL LESEURRE, 55 ANS
«LE PIANO A ÉTÉ EMPORTÉ PAR LA RIVIÈRE»
«En arrivant de Paris pour voir l’ampleur des
dégâts, on a découvert un trou béant à la place
d’un des murs de notre maison de Montargis.
Nos locataires ont été évacués mardi. La maison est située sur une presqu’île, comme
encerclée entre plusieurs bras du Loing, en
crue. Sur un des côtés, l’eau a imbibé le bâtiment, et le courant a fini par emporter un mur.
Derrière ce mur, il y avait une pièce de stockage, où on gardait des choses qu’on ne pouvait pas emporter ou garder à Paris.
«C’est impressionnant de voir nos meubles
à quelques centimètres du cours d’eau, qui
menace de grignoter encore plus la maison.
Dans cette pièce, il y avait aussi un piano. Il
a vraisemblablement été emporté par la
rivière, puisqu’il n’est plus là. Même chose
pour des cartons, où on conservait des souvenirs, des tableaux, et de la jolie vaisselle
de Gien, qu’on gardait pour les enfants. La
moitié de la pièce est partie et le courant
continue à frôler dangereusement ce qu’il
reste du carrelage. Ça donne l’impression que
le Loing passe juste en dessous de notre
plancher.
«Des meubles sont encore là, mais ils ont été
complètement attaqués par l’eau et sont sans
doute fichus. Et on arrive trop tard pour sauver
tous les objets qui nous tiennent à cœur.
La seule chose qu’on puisse faire, c’est vider
ce qui reste, mettre quelques petites choses
de côté pour l’assurance. Et il nous faut être
prudents, vu la situation. On ne connaît pas la
solidité du sol.
«Il va falloir faire de gros travaux. Au-delà du
matériel, ça fait vraiment mal au cœur. C’est
sentimental : c’était la maison d’enfance de
mon mari, là où il a grandi. Quand on a appris
qu’une partie de la bâtisse partait avec la
rivière, on a été très affectés. Qu’est ce qu’elle
va devenir ? A ce rythme, le premier étage
pourrait s’effondrer aussi.» Recueilli par É.G.
31 mai 18h30
* station indisponible suite à la communication coupée
par l'inondation puis inondation de la station elle-même
ANGÉLIQUE
TOUALBIA, 42 ANS
«L’ORDINATEUR
ET LA TABLETTE»
«Chez moi, c’est catastrophique. Je n’ai presque rien pu sauver. Mardi, je faisais la sieste à
l’étage avec mon bébé, et j’ai été
réveillée par du bruit venant de
la rue : tout le monde était dehors car l’eau commençait à
monter. Mais elle était encore
loin et elle arrivait doucement.
Je ne me suis pas vraiment
rendu compte de la gravité de
la situation. J’ai commencé à ramasser certains objets pour les
protéger: de la décoration, des
coussins, des couvertures… J’ai
mis en sécurité les appareils
électroniques comme l’ordinateur et la tablette. Mais sans
vraiment y croire, sans véritablement réfléchir à ce qui était
important de sauver. Je n’ai pas
tout enlevé car je ne pensais
pas que l’eau monterait autant.
Et puis je suis partie chercher
mes autres enfants à l’école. Le
temps de faire l’aller-retour, tout
était inondé. Ma maison comporte un étage, mais ma cuisine
et ma salle à manger sont au
rez-de-chaussée. L’eau y est
montée sur plusieurs dizaines
de centimètres. Derrière, on ne
voit même plus le jardin. Tout
est ruiné. J’ai pu confier mes enfants à des amis, mais c’est temporaire. C’est une catastrophe,
je ne sais juste pas quoi faire. Je
suis complètement perdue, ma
priorité, ce sont mes enfants.»
Recueilli par
MARINE GIRAUD
14 u
FRANCE
Libération Jeudi 2 Juin 2016
LES MAIRIES
FONT CAUSE
COMMUNE
Intercommunalité Contraints
par la loi à se regrouper d’ici 2017,
de nombreux élus municipaux ont
déjà opté pour l’union, avec moins
de résistance qu’attendu.
Au 99e Congrès des maires de France, porte de Versailles, à Paris, mercredi.
Mais le mouvement a dépassé toutes les prévisions : pas moins de
164 regroupements de plus de
50 communes, voire plus de 100. A
l’Assemblée des communautés de
u Congrès des maires de France, on les appelle «les commuFrance, la commune a tou- nautés XXL». Autre déferlante imjours été objet de culte. prévue, celle des communes nouCette «petite république dans la velles, fusion pure et simple de
grande», comme le dit le président plusieurs d’entre elles. Instaurées
du Sénat, Gérard Larcher, au public en 2010, elles sont 317 à ce jour.
du grand auditorium porte de Ver- «Certaines réformes chahutent plus
sailles, à Paris, semble éternelle. Le les élus que les habitants», philosopolitologue Pascal Perrineau, qui phe Françoise Gatel, maire de Châprésente une étude du Ceviteaugiron (Ille-et-Vilaine) et
pof sur le sujet, en rajoute : RÉCIT rapporteure de la commis«La commune fait patrie.»
sion intercommunalité de
Mais voilà, le temps des petites pa- l’Association des maires de France
tries semble bien fini. Depuis la loi (AMF). «Nous avons anticipé la loi»,
Notre (nouvelle organisation des témoigne Benoît Arrivé, maire de la
territoires), les communes n’ont commune nouvelle Cherbourg-enplus le droit de rester dans leur Cotentin (Manche), née «après des
splendide isolement. Au 1er jan- heures et des heures de discussion»
vier 2017, elles sont tenues de se re- de la fusion de cinq villes membres
grouper dans des intercommunali- de la communauté urbaine de Chertés d’au moins 15 000 habitants.
bourg. Cette structure «était déjà
Lors du débat au Parlement, ce chif- dans le cœur des habitants, car c’est
fre avait fait hurler: il semblait inat- leur bassin de vie», assure le maire.
teignable dans les zones rurales. Autour de Cherbourg, onze inter-
Par
ALAIN AUFFRAY
et SIBYLLE VINCENDON
Photos IORGIS MATYASSY
A
communalités se sont regroupées
en une seule. Autre pionnier: Didier
Huchon, maire de Sèvremoine
(Maine-et-Loire). Dans son pays de
Mauges, six communes nouvelles se
sont formées, «à l’unanimité des
conseils municipaux».
«MESURES RURALICIDES»
Dans le monde rural, la commune
nouvelle se révèle une heureuse surprise: elle présente les avantages du
regroupement, avec la mutualisa-
tion des services, et elle met l’ensemble à l’abri de toute baisse de dotations de l’Etat pour les trois
prochaines années. André Laignel,
vice-président PS de l’AMF et fervent défenseur de la commune, enjoint les élus à se méfier «de cette petite carotte parce que la carotte sera
brève et la vie sera longue». Mais
pour Vincent Aubelle, professeur à
l’université Paris-Est-Marne-la-Vallée, la commune nouvelle est la réforme la plus intéressante. Elle
DGF : L’ÉTAT JOUE LA MODULATION
Ne pas asphyxier la croissance naissante, ni se dédire sur sa
gestion budgétaire «rigoureuse» : c’est l’équation que
François Hollande doit résoudre dans son discours ce jeudi
après-midi devant l’Association des maires de France (AMF),
dont les élus, remontés comme des coucous, réclament
l’étalement voire l’annulation de la baisse de la dotation
globale de fonctionnement (DGF) prévue pour 2017 (lire sur
Libération.fr). Pour les villes, cela représente un nouveau tour
de vis de 2 milliards d’euros. Le choix «ça ne sera pas “vannes
ouvertes”», prédit un grand élu proche de Hollande. D’où
l’idée de moduler un peu plus la dotation de l’Etat en fonction
de la taille des communes, pour aider surtout les petites. L.Br.
«oblige à sortir de l’intercommunalité palliative telle qu’on la pratique
depuis vingt ans» et dont «le bilan
sur les coûts reste à faire». Les communes nouvelles se structurant à
partir de chartes ouvertes, elles peuvent se montrer plus inventives.
Au fil des témoignages, il apparaît
que les regroupements sont désormais admis par les élus. Certes, il
reste des résistances. Philippe Dubourg, maire de Carcarès-SainteCroix, une commune rurale des
Landes, dénonce ainsi, «au risque
d’être un peu archaïque, une fuite en
avant qui nous dépasse». Il parle de
«mesures ruralicides» qui «signent la
mort de nos communes». De fait, le
forcing de certains préfets pour réaliser les plus grandes intercommunalités possibles donne à certaines
petites communes le sentiment de
servir de bouche-trou. Même si
l’idée des mariages progresse, la
question de la représentation des
villages au sein de l’exécutif des
grandes agglomérations inquiète.
Comme le rappelle le sénateur PS
Alain Richard, «les intercommunali-
Libération Jeudi 2 Juin 2016
u 15
www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe
Issy-Boulogne,
un mariage
d’argent
Séparées par la Seine,
les deux villes des
Hauts-de-Seine veulent
s’associer par simple
délibération
municipale. Avec
la dette boulonnaise
en toile de fond.
E
trente-six ans de développement
immobilier à forte dose de bureaux. La ville est suffisamment
opulente pour pouvoir financer
sur fonds propres 20 millions
d’euros d’équipements en 2015.
Rive droite, Boulogne-Billancourt,
ex-patrie de la régie Renault. Après
avoir aménagé pendant quinze ans
les anciens terrains du constructeur automobile, Boulogne est
prospère. A cela près que la société
d’économie mixte (SEM) d’aménagement de la commune présente
un déficit financier de 250 millions
d’euros. En cause: l’absence d’investisseurs sur les 11 hectares de
l’île Seguin, depuis 2008.
E- IS
IN EN
SE T-D
N
I
SA
n annonçant en avril que
Boulogne-Billancourt et
Issy-les-Moulineaux, dans
les Hauts-de-Seine, allaient s’unir
en une commune unique, André
Santini, maire Nouveau Centre
d’Issy, et Pierre-Christophe Baguet, maire LR de Boulogne, ont
créé la surprise. Ce rapprochement ne figurait en effet dans «Hold-up». Une fusion pour
aucun des deux programmes faire partager la dette? Pas du tout,
municipaux.
rétorque Baguet. «L’île Seguin,
Député LR de Boulogne mais c’est mon affaire.» Et d’ailleurs,
pourtant opposant farouche du rectifie-t-il, «il n’y a pas de déficit
maire, Thierry Solère, ne décolère de la SEM, il y a des comptes négapas contre ce fait accompli. «Si l’on tifs». Certes, la société ne vend
fait cela, il faut expliquer pour- rien et n’encaisse donc aucune requoi», estime-t-il. Il rappelle que cette, mais «on verra à l’arrivée».
pas un des deux n’a fait campagne «Je n’ai aucun problème sur l’île
sur cette hypoSeguin, affirme le maire. Ça
VAL-D’OISE
thèse. «Pierrevaut quelque chose,
Christophe
l’île Seguin. J’ai des
HAUTSBaguet s’est
promoteurs qui
DE-SEINE
fait élire sur le
font la queue
Nanterre
slogan : “Pasleu leu.»
Boulognesionnément
Ce qui a motivé
PARIS
Billancourt
boulonnais !”
sa démarche
rappelle-t-il.
vers la fusion,
VALIssyÇa ne donne
explique-t-il, ce
DE-MARNE
les-Moulineaux
pas vraiment
sont les prélèvemandat pour une
ments opérés par
fusion.» Pour l’opl’Etat au titre de la
3 km
ESSONNE
posant, «on ne peut pas
péréquation entre villes
faire cette fusion sans l’avis
riches et pauvres. Une fois les
de la population». Légalement, si. communes mariées en une seule,
Il suffit d’avoir deux délibérations Baguet compte se «redonner des
concordantes des conseils muni- marges de manœuvre». Par quel
cipaux des villes concernées. Et miracle? A Issy-les-Moulineaux,
à en juger par le secret et la rapi- Santini, qui n’a pas voulu répondre
dité qui ont entouré la décision à nos questions, se plaint lui aussi
des deux élus, un référendum ne de ces prélèvements, qu’il qualifie
semble pas d’actualité.
dans la presse de «hold-up».
Restent les enjeux de personnes.
Opulente. Géographiquement, Qui sera maire? «C’est moi, répond
l’union de ces deux communes Pierre-Christophe Baguet. André
séparées par la Seine est curieuse, Santini deviendra président du
la continuité territoriale étant plu- territoire.» Au second l’urbanisme
tôt la base de ce genre de démar- qu’il aime tant. Et quoi de mieux
che. Rive gauche, la florissante que de voir sa commune dispaIssy-les-Moulineaux, avec un raître quand on ne s’est jamais
endettement proche de zéro et un résolu à désigner un dauphin ?
trésor de guerre accumulé au fil de
S.V.
10 000 élus, remontés contre la baisse des dotations de l’Etat, sont réunis jusqu’à ce jeudi.
tés sont aussi le lieu d’un rapport de
forces». Gilles Grimaud, maire de Segré (Maine-et-Loire), s’inquiète de
la diminution du nombre d’élus :
«Avec la commune nouvelle on passera de 225 élus à 35. Ne pourrait-on
pas le faire par étapes?» La loi prévoit qu’au 1er janvier 2017, la nouvelle
carte administrative sera bouclée.
Pour toujours? Evoquant les quatre
textes législatifs intervenus depuis
six ans, Larcher écarte toute perspective d’une nouvelle réforme: «Il
me paraît essentiel que nous n’allions
pas vers un nouveau chamboule-tout
à chaque alternance. L’idée de reve-
nir en arrière peut paraître sympathique, mais ça ne fait pas avancer.»
Exactement ce que François Baroin,
président de l’AMF, a déclaré samedi
dans un entretien au Monde.
NUMÉRO DE CHARME
Tel n’est pas l’avis de son nouveau
mentor Nicolas Sarkozy, qui recevait
mercredi quelques centaines de
maires de droite au siège de son
parti LR. Toujours à la peine dans les
sondages, malgré un frémissement,
l’ex-chef de l’Etat a offert aux élus un
grand numéro de charme. «Il n’est
pas question de toucher au réseau
des 36000 communes de France», at-il promis, sous les applaudissements. Au nom de l’efficacité et de
la rationalité, le même Sarkozy était
pourtant de ceux qui voulaient en finir avec cette «anomalie française».
Protecteur des maires ruraux, il a dit
son attachement aux cantons: «Je
crois de toutes mes forces à leur utilité», a-t-il proclamé. «A l’écoute du
terrain», il a garanti aux maires une
grande liberté, tant dans l’organisation des rythmes scolaires que dans
la décision de s’engager, ou pas,
dans des regroupements de communes. Parole de candidat. •
FESTIVAL DU
CINÉMA
Okada Media présente
NIGÉRIAN
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du 2 au 5 juin 2016
Projections, Ateliers, Débats, Musique, Culture, Gastronomie
Cinéma l’Arlequin
76 Rue de Rennes
75006, PARIS
16 u
VOUS
Libération Jeudi 2 Juin 2016
ASKIP,
Par VIRGINIE BALLET
faut plus dire
CHANMÉ
Lexique Pour rester au fait du langage
des jeunes qui évolue sans cesse, Violette
Duplessier, 16 ans, et David Kuhn, 42 ans,
publient «J’ai le seum», un manuel de
survie en terres ados.
A
lors les yeuves, on se croyait pépouze? Oui
vous, les croulants (au moins quadra), on
pensait chiller OKLM pendant que d’autres
taffent pour le bac? Sérieux? Le seum, grave. Parce
qu’il n’y a pas de raison qu’il n’y ait que les ados qui
révisent en plein mois de juin, il en est deux qui
ont décidé de remettre les parents au travail.
Violette Duplessier, collégienne francilienne
de 16 ans, et David Kuhn, journaliste, auteur
de 42 ans («autant dire, un pied dans la tombe»,
plaisante-t-il) publient ce jeudi un guide (1) à
l’usage des adultes qui souhaiteraient (enfin) comprendre leur progéniture. Au programme? Une leçon de langage des 12-16 ans, et quelques clés pour
se repérer au royaume du sébum.
«Ce n’est surtout pas un dictionnaire», précise David Kuhn, pour qui «on est plus proche du guide
touristique sans prétention». Destination: l’adolescence. «Pour y avoir séjourné au moins une fois,
n’importe quel adulte sait à quel point ce pays est
un “Mordor existentiel”, écrivent les auteurs en
guise de prologue. C’est loin, c’est cher, pas forcément beau, les conditions d’hygiène y sont douteuses et l’autochtone est assez peu avenant, quand il
n’est pas carrément hostile.»
«Ping-pong». Par chance, David Kuhn disposait
d’une fixeuse pour explorer sans risque ce territoire. Violette Duplessier, sa jeune coauteure, est
la fille d’un ami un peu largué, qui ne «comprenait
strictement rien à ce qu’elle raconte, narre-t-il. Une
fois, il m’a dit que sa fille l’appelait parfois “gros”,
ce qui a fini par lui filer des complexes». Il était
donc temps de fournir un manuel de survie «pour
les vieux paumés», dixit Violette Duplessier, «conçu
comme un ping-pong» entre générations, exercice
qu’ils manient à l’évidence avec délectation quand
on les rencontre dans les locaux de leur maison
d’édition.
Pont-levis. La méthode fut simple: «Dès que mon
père ne comprenait pas un mot, il l’inscrivait sur
une liste, et je lui en donnais la définition», explique
la demoiselle, jean troué et top noir (note: on ne dit
plus «tee-shirt» depuis la préhistoire, semble-t-il).
Le «vieux» assumé du binôme, lui, est venu ensuite
poser son «texte de vieux», parfois moqueur, mais
toujours «très bienveillant». «Il y a un langage différent pour chaque tranche d’âge», observe Violette
Duplessier, qui tacle: «Vous, c’est plutôt le langage
château fort, chez nous ça vient de partout.» Du rap,
de la rue, de l’arabe, de l’anglais…
La dernière tentative marquante d’abaisser le
pont-levis entre ces deux mondes remonte à 2014,
lorsque parut le Dictionnaire des ados français, de
Stéphane Ribeiro (lire Libération du 31 octobre de
cette année-là). A ceux qui étaient trop saucés de
se prendre pour de bons élèves parce que maîtrisant le swag, vous êtes trop des boloss. «C’est un
langage évolutif, qui change rapidement», avertit
David Kuhn. D’où les pages blanches à la fin du livre, pour compléter, personnaliser, ou procéder
à une interro en règle. D’ici là, un cours de français
stylé s’impose. A vos stylos, on ramasse les copies
dans deux heures. Et silence dans les rangs. •
(1) J’ai le seum, de David Kuhn et Violette Duplessier,
éditions Ipanema, 144 pages, 9,90 euros.
RÈGLE 1: ABRÉGER
Le Nokia 3310 a fait son temps, les smartphones et leurs correcteurs
d’orthographe sont partout, et pourtant, l’abréviation continue, semble-t-il, de régner en maître dans les échanges virtuels: «TKT» («t’inquiète»), «SLT» («salut»), mais aussi GlaN («j’ai la haine») ou encore
OKLM («au calme», sigle popularisé par Booba dans un single
en 2014)… Mais pourquoi tant de flemme ?! La réponse est dans la
question, bande d’insolents. «La flemme», souffle Violette Duplessier
en levant les yeux au ciel. C’est cette même pulsion de glande qui
poussera à lâcher un énigmatique «balec», plutôt que de s’échiner
à écrire qu’on s’en frappe les parties; à amputer «vas-y» de son «v»
initial («azy»), ou encore à faire d’«askip» («à ce qu’il paraît») une
poétique anaphore. C’est aussi cette délicieuse paresse qui leur fait
parfois dire qu’un emoji vaut mieux qu’un long discours. «Moi, au
moins, si un parent braque mon Facebook, il comprendra rien», dixit
Violette Duplessier. «J’avoue !» («je suis d’accord avec toi»).
Cas pratique :
«Azy, askip la prof de français est pas là. TKT on va être OKLM.»
(«Il semblerait que la professeure de français soit absente. Nous allons pouvoir passer du bon temps.»)
Libération Jeudi 2 Juin 2016
u 17
www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe
Le 31 août 2012, dans
le XIXe arrondissement
de Paris.
PHOTO JEAN-MICHEL SICOT
RÈGLE 4:
ÊTRE STYLÉ
Avant la rencontre avec le doctissime spécimen adolescent auteure de cette bible,
une collègue chébran a glissé dans notre
besace cette interrogation existentielle :
peut-on encore dire «chanmé» ? «Non
merci», a tranché l’intéressée, intraitable.
Quid du «swag» ? «Les gens qui disent
swag, je les dénigre, je les bannis, c’est pas
mes amis», répond Violette Duplessier
(l’adolescence frôle parfois la dictature).
Trois heures de colle pour quiconque oserait nous traiter de «has been». Avoir de
l’allure de nos jours se dit donc être «frais»,
«stylé». Les plus séduisant(e)s sont qualifiés de «peufra», verlan de «frappe», employé dans le langage militaire pour évoquer l’envoi de bombes. Vous l’avez ?
Les mecs craquants et un brin mauvais garçons (oui, on est restés québlo dans Hélène
et les garçons) sont, pour leur part, des
«bandidos», allusion, semble-t-il, au gang
de bikers texans. Ce qu’on découvre là,
c’est du «fat» (ça envoie du lourd). Alors
pour fêter ça, «on s’enjaille» ? Selon le Robert, qui vient d’intégrer ce verbe venu de
Côte-d’Ivoire et dérivé du enjoy anglais («Il
a trahi en passant dans le dico, de l’autre
côté», s’amuse David Kuhn), il s’agit là de
«s’amuser, faire la fête». Variante : «On va
se casser le crâne.» «Mais rien à voir avec
l’alcool», jure Violette Duplessier.
RÈGLE 2:
RESTER FLOU
«C’est un langage volontairement flou, qui louvoie.
Un peu comme le jeune, cette anguille», blague
David Kuhn. Il n’empêche qu’à bien regarder certains mots présents dans le livre, on ne peut effectivement s’empêcher de se sentir un brin lost in
translation: ainsi, si par malheur vous vous épanchez un peu trop sur les platitudes pénibles qui
meublent évidemment votre vie de vieux, ne vous
étonnez pas de vous voir stoppé(e) d’un «staive»
(«c’est ta vie»), ou pire, d’un «osef» («on s’en fout»).
Plus étonnant encore, les adjectifs à double sens:
«dar» peut tour à tour signifier «bien» ou son
contraire.
Cas pratique :
«Gava, être en mode “soum soum” chez les ados,
ça déchire.» («Mon gars, cette immersion en sousmarin dans l’adolescence est fort plaisante.»)
Cas pratique :
«Téma le bandido trop frais de 3e C, il envoie
du fat.» («Observe le bellâtre scolarisé en
troisième C, il est absolument charmant.»)
RÈGLE 3: TACLER
«Faites pas crari vous avez tout compris au
bouquin» ou sa variante «Crari, vous avez tout
compris au bouquin», aurait pu nous lancer
n’importe quel spécimen de 15 ans. Comprendre : «Ne prétendez pas avoir tout assimilé,
nous ne sommes pas dupes.» Inutile d’essayer
de leur «mettre des disquettes» (de les
arnaquer, d’abuser de leur confiance) à ces
fins limiers, sous peine de passer pour une
bouffonne, ou pire : un Kevin. Soit «un individu d’une débilité profonde». L’héritier
du mythique et peu enviable Régis des Nuls,
en somme.
Comprendre les ados, on l’avait pressenti,
«c’est ghetto» (ça n’est pas simple), limite on
se sent «gâtée». Mais pas comme à Noël
quand Mamie tricotait des jolis pulls, plutôt
comme une vieille tomate flétrie sur un étal,
en fin de marché. «Hassoul» (mot arabe pour
«bref»), on aura essayé. Précision importante
en matière de survie : «ne vous faites pas de
gifs» (de films), le «tête-à-tête» n’a rien de romantique, c’est une exhortation à la bagarre.
Ayant renoncé à toute dignité, on se sent désormais «trop rincée». Traduction ? «Nulle,
pourrie, qui ne sert à rien.» Merci Violette.
Cas pratique :
«Crari, tu vas me mettre une disquette? Viens,
on part en tête-à-tête.» («N’imagine pas
pouvoir me berner, allons croiser le fer dans
une ruelle.»)
l’essentiel
COMMUNIQUÉ du jeudi 2 juin 2016
Spécial Habitat Social
Semaine nationale des HLM (4-12 juin 2016) :
“être acteur d’une société qui change”
La Semaine nationale des HLM se tiendra du 4 au 12 juin. Cette
quatrième édition entend mettre l’accent sur les mutations
sociétales que les acteurs du logement social accompagnent et
anticipent au quotidien.
“E
tre acteur d’une société qui
change” : tel sera, du 4 au
12 juin prochains, le leitmotiv de la Semaine nationale des HLM.
Pour cette quatrième édition, l’événement s’est en effet donné pour but de
valoriser les enjeux majeurs que sont la
dynamique des territoires, le renouvellement urbain, la cohésion sociale, le pouvoir d’achat, la transition énergétique
ou encore
les évolutions démog r a p h i q u e s.
Au cœur de
mutations
sociétales que
les acteurs du logement social accompagnent et anticipent au quotidien, le
Mouvement HLM entend démontrer
par l’exemple ce travail de fond réalisé
sur le terrain par les bailleurs et la créativité du secteur et des habitants, dans une
logique toujours plus participative.
Français sur cinq, les organismes HLM
sont en prise directe avec les mutations de
notre société : nouvelle donne démographique, effritement du pouvoir d’achat,
cohésion sociale fragilisée, rappelle JeanLouis Dumont. Face à ces évolutions,
tout attentisme est à proscrire. Nous
avons le devoir d’agir. Partout sur le territoire, les organismes HLM apportent des
solutions nouvelles. Notre volonté est tout
autant d’être
acteur d’une
société qui
ch a n g e q u e
de donner les
moyens d’agir
aux habitants.
Plus que la promesse d’un toit, l’habitat
social contribue aujourd’hui à construire
la société de demain.”
Partout sur le territoire,
les organismes HLM
apportent des solutions
nouvelles
Cette ambition n’est pas un vain mot
pour Jean-Louis Dumont, le président de
l’Union sociale pour l’Habitat (USH), à
l’initiative de la Semaine. “En logeant un
Cet esprit anime le projet Cap HLM.
Portée par l’Union sociale pour l’habitat, cette démarche collective vise à définir une nouvelle feuille de route pour le
Mouvement HLM afin d’adapter ses
missions et ses propositions aux attentes
de la société française. Co-construit avec
l’ensemble des collaborateurs et parties
prenantes du Mouvement, le projet doit
permettre, à la veille de l’élection présidentielle, de promouvoir les ambitions du
secteur, d’identifier des nouvelles perspectives et de fixer les conditions de la réussite.
Signalons enfin que la Semaine renouvelle également son concours de courts-
métrages “HLM sur cour(t)” : ouvert
à tous, débutants ou professionnels,
ce concours offre la possibilité à chacun, quels que soient son origine et
son parcours, d’exprimer sa vision du
vivre-ensemble. Trois courts-métrages
sélectionnés par un jury de professionnels du logement et du cinéma sont
actuellement tournés et montés. Un prix
récompensera le meilleur court-métrage
le 9 juin prochain. n
Les HLM en dix chiffres
Ils logent celles et ceux qui peinent à trouver un toit à un prix abordable, ils participent
au dynamisme de l’économie française et ils sont essentiels à l’organisation de villes
durables, soucieuses de mixité. Dix chiffres pour prendre la mesure de l’importance
des HLM en France.
4,7 millions
Les logements locatifs et les
foyers gérés quotidiennement
par les quelque 740
organismes HLM.
Plus de 10 millions
Les personnes logées au sein
du parc HLM.
500 000
Les familles qui emménagent
chaque année dans des
logements neufs ou libérés par
leurs occupants.
93 000
Les logements locatifs et
foyers qui ont été financés en
2014.
construire, entretenir et
améliorer le parc HLM, mais
également pour servir et
accompagner les locataires.
16,9 milliards d’euros
La somme investie par les
HLM dans l’économie chaque
année, soit l’équivalent de
135 000 emplois directs.
105 000
Les logements familiaux qui
ont été réhabilités en 2014.
82 000
Les salariés qui oeuvrent
chaque jour au sein du
Mouvement HLM pour
9 800
Les logements vendus
en accession sociale à la
propriété par les opérateurs
HLM en 2014. Par ailleurs, près
de 7 500 logements locatifs ont
été vendus à leurs locataires
ou à d’autres personnes.
2,9 milliards d’euros
Le montant consacré chaque
année à l’entretien du parc
HLM, soit 15 % des loyers.
20 %
L’économie d’énergie moyenne
réalisée en habitation HLM
par rapport au reste des
résidences françaises.
Source : union-habitat.org
L’Essentiel est édité par la SARL Execopress, RCS Paris 512 042 706 – 45, rue Aristide Briand 92300 Levallois-Perret • Tél. : +33 (0)1 80 87 54 70 • E-mail : [email protected]
Directeur général : David Journo • Rédacteur en chef : Patrick Juillard • Création/réalisation : Marc Perazzi • Chargé de mission : Joseph Smadja.
La Rédaction de Libération n’a pas participé à la réalisation de ce dossier.
II
l’essentiel
Spécial Habitat Social – jeUdI 2 jUIN 2016
“Salvia développement, des solutions globales,
du pilotage des opérations immobilières à la
gestion technique et énergétique du patrimoine”
préSidente de SaLvia déveLoppement, FranÇoiSe Farag nouS
préSente L’oFFre innovante de Ce FourniSSeur de SoLutionS
inFormatiqueS dédiéeS aux baiLLeurS SoCiaux.
PouvEz-vous rEtracEr
L’HIstoIrE DE saLvIa Dans
sEs granDEs LIgnEs ?
Quand je présente Salvia
Développement, j’ai coutume de
dire qu’on est une “jeune vieille
société”. L’avènement de l’entreprise se confond avec celui
de la micro-informatique dans
les années 1980. L’activité a
débuté avec l’édition de logiciels
de gestion des emprunts puis
de gestion comptable du patrimoine destinés aux collectivités
locales et aux bailleurs sociaux.
Indépendante au départ, et après
plusieurs changements d’actionnaires, l’activité est rachetée par
le groupe SAGE en 2005.
On m’a alors confié la direction
de l’entité, avec pour objectif
d’en faire une Business Unit indépendante avec une dynamique
de croissance. La société était
déjà très bien implantée dans le
monde des collectivités locales
et des bailleurs sociaux, avec
un taux de pénétration compris
entre 73 à 97 %. Une étude de
marché nous a permis de constater que le suivi de la construction
des programmes immobiliers
était très peu informatisé faute
d’outils transverses capables de
faire le lien entre les services techniques et les services financiers.
Nous avons donc commencé
à développer Salvia Pilotage
Opérations à la fin des années
2000 ; une offre aujourd’hui arrivée à maturité, qui intègre toutes
les étapes de la vie du projet,
depuis les simulations financières
jusqu’à la gestion de la trésorerie
des opérations, en passant par le
suivi budgétaire, avec une mise
à disposition des indicateurs clés
sur tablette, PC ou smartphone.
Depuis peu, nous avons fait l’acquisition de la société ID-BAT,
experte en solution de gestion
technique et énergétique du
patrimoine, nous permettant
ainsi de compléter notre offre
à destination de nos marchés
historiques.
quanD saLvIa
DévELoPPEMEnt naît-ELLE
Et à quI s’aDrEssE-t-ELLE ?
En 2012, SAGE a décidé de
se séparer des activités qui
étaient en dehors de son cœur
de métier. Ainsi est née Salvia
Développement, en mai 2013.
Nous sommes aujourd’hui une
PME indépendante, détenue
conjointement par un fonds
d’investissement, l’équipe managériale et un certain nombre de
collaborateurs. De 73 salariés au
départ, nous sommes aujourd’hui
115, avec un chiffre d’affaires de
Témoignage
Pourquoi avoir choisi
la solution Salvia
Développement ?
Olivier Dakessian, directeur
du pôle Finances et Gestion,
Grand Lyon Habitat : “Avec
un volume de 100 M€
d’investissement par an, à la
fois en constructions neuves et
en réhabilitations, nous avions
besoin d’un système d’information
performant et transverse. En
effet, Grand Lyon Habitat programme chaque année
environ 500 nouveaux logements. L’organisme suit
de très nombreuses opérations de réhabilitations
mais aussi des opérations de réaménagement
urbain.
Aussi, nous souhaitions un outil commun à toutes
les équipes afin de favoriser le partage des
informations pour un meilleur suivi des opérations
d’investissements. La solution informatique de
Salvia Développement nous a intéressés parce
qu’elle permet de créer un enchainement métier
logique de l’étude de faisabilité, en passant
par le montage et suivi d’opération, et jusqu’au
dénouement des opérations en comptabilité. Ainsi,
nous allons pouvoir répondre à nos objectifs :
● Doter l’office d’un outil transversal qui permette
la bonne répartition des responsabilités, la
coordination des acteurs de chaque projet
immobilier et le partage des informations
● Intégrer les données relatives aux simulations
d’opération, aux dates clefs, aux principaux
documents (aujourd’hui sur des outils dispersés)
● Répondre à l’accroissement de l’activité et à sa
complexité (TVA notamment)
● Faciliter le suivi des délais par la gestion d’un
planning consultable à tout moment
● Pouvoir extraire facilement toute information
pour tous les métiers
● Piloter l’activité au moyen de tableaux de bord
intégrés et automatiques
Nous sommes actuellement en train de déployer
la solution. Après avoir analysé et paramétré
les modules simulation, procédures, budget
et financement, nous commençons la saisie
des opérations nouvelles et récentes. Salvia
Développement travaille, par ailleurs, à reprendre
en masse toutes nos données issues de notre
système d’information précédent. L’ensemble de ces
travaux se déroulent sur l’année
2016 et nous espérons bénéficier
de toutes les fonctionnalités sur
les derniers mois de l’année
et enchainer sur la clôture des
comptes d’investissement avec ce
OPH, au savoirnouvel outil.”
faire éprouvé
11,5 M€ en 2015, et nous comptons près de 2000 clients.
97 % des bailleurs sociaux sont
clients de Salvia Développement.
Notre souhait est d’être dans
une dynamique de partenariat permanent avec eux et de
leur fournir des outils informatiques innovants et utiles à leur
développement. En 2014, nous
sommes passés à des méthodes
“agiles”, mettant les équipes
marketing produit et R & D en
interaction avec nos clients dès
le départ de nos projets de création de nos nouvelles offres.
quELs sErvIcEs oFFrEzvous aux baILLEurs
socIaux ?
Nous accompagnons nos
clients dès l’avant-vente et
lorsqu’ils deviennent utilisateurs de nos solutions, notre
équipe Assistance prend le
relais de notre équipe Projet.
Nos consultants capitalisent
au fur et à mesure de leurs
expériences dans le déploiement des solutions. Lorsque
nous déployons Salvia Pilotage
Opérations, le logiciel doit faire
le lien entre services techniques
et services financiers. Il faut
placer le curseur au bon niveau
afin de conseiller au mieux le
bailleur social. En dehors de
l’installation, du paramétrage
et de la formation au logiciel,
nous participons à la conduite
du changement et à la diffusion
des bonnes pratiques.
quID DE votrE soLutIon
D’oPtIMIsatIon DE La
gEstIon DEs FLuIDEs ?
Au-delà des outils financiers,
et de pilotage des opérations
immobilières, il nous manquait
la phase d’exploitation du patrimoine, dans laquelle une bonne
gestion des fluides représente
de substantielles économies. Un
outil de pilotage des dépenses
énergétiques s’imposait comme
complément naturel à notre
offre. En septembre 2015, nous
avons donc fait l’acquisition
d’ID-BAT, société spécialisée dans les états des lieux sur
tablette et la gestion technique
DEs états DEs LIEux sur tabLEttE DE
quaLIté avEc saLvIa EDELE !
et énergétique du patrimoine.
L’outil de suivi énergétique a
été actualisé et est devenu Salvia
Energie Performance. Il collecte
l’information des différents fournisseurs d’énergie, la rattache à
chacun des bâtiments et exploite
les résultats pour en déduire
des plans d’action d’entretien
du patrimoine. Le bailleur
pourra ainsi cibler les travaux
prioritaires pour optimiser les
économies d’énergie et avoir
le meilleur retour sur investissement, aujourd’hui estimé à
20 %, selon l’expérience de nos
clients actuels.
quELs avantagEs cEttE
soLutIon PrésEntE-t-ELLE ?
En dehors des gains financiers,
elle génère des analyses et des
comparatifs mettant en évidence
les dysfonctionnements et les
anomalies. L’outil permet également de produire l’étiquette
énergie et ainsi d’informer les
locataires sur la performance
énergétique de leur bâtiment.
Communiquer de façon très
pédagogique autour du développement durable est essentiel
pour sensibiliser au quotidien
les occupants aux bonnes pratiques ; des graphes compréhensibles de tous et mis à jour en
temps réel mettent en lumière
les efforts faits par les bailleurs
qui ont choisi notre solution et
veillent ainsi à leur RSE. n
www.salviadeveloppement.fr
contact : 01.71.86.24.49
l’essentiel III
Spécial Habitat Social – jeudi 2 juin 2016
ALILA engagé aux côtés des acteurs de la ville
Le Groupe ALILA présente la particularité de se concentrer exclusivement sur l’habitat
conventionné et intermédiaire. Hervé Legros, son Président, nous en explique la philosophie.
Résidence NATUREO à Vénissieux (69)
Pouvez-vous nous
expliquer ce qui fait la
particularité du modèle
d’ALILA ?
Le Groupe ALILA n’est pas
un promoteur classique. Nous
avons créé un modèle nouveau : celui de spécialiste privé
de l’habitat conventionné et
intermédiaire. Nous accompa-
gnons les bailleurs sociaux dans
la production de logements en
respectant leurs livres blancs et
en répondant à leurs attentes.
Si ces acteurs, et aussi les élus,
les communes, les Métropoles,
nous font confiance, c’est
parce qu’ils savent que le
Groupe ALILA n’est pas un
allié de circonstance : parce
que nous construisons uniquement des logements sociaux,
nous sommes un appui dans la
durée, qui mène le combat pour
la construction de logements de
haute qualité à leurs côtés.
Notre particularité c’est aussi
un ancrage régional fort, dans
6 grandes régions de France.
Logement : pour les Français, la mixité sociale se dégrade
A l’occasion de la présentation du projet de loi
égalité et citoyenneté en conseil des ministres,
le Groupe ALILA a présenté les résultats d’un
sondage exclusif, réalisé avec l’institut Elabe, sur
les attentes des Français en matière de logement
et mixité sociale. Premier constat, les Français
posent le diagnostic d’une dégradation de la mixité
sociale en France depuis dix ans (52 % d’entre eux
se prononcent en ce sens, contre 32 % qui estiment
que la situation n’a pas évolué et 16 % qu’elle s’est
améliorée). Parmi les moyens identifiés par le
projet de loi pour favoriser la mixité sociale, 73 %
des Français sont convaincus que la construction
raisonnée de logements sociaux est un levier
incontournable (construire davantage là où il n’y a
pas assez de logements sociaux, et en dehors des
quartiers qui en comptent plus de 50 %).
Un Français sur deux juge à ce sujet l’effort actuel
de construction de logements sociaux insuffisant
(à 51 %), alors même que les Français sousestiment massivement la part de la population
qui y est éligible. Dans le détail, pour favoriser
la mixité sociale par le logement, les Français
jugent plus efficaces les mesures “d’ouverture”
(accession à
la propriété et
construction
raisonnée) que
le recours à
la contrainte.
Ainsi, près de 7
français sur 10
(69 %) jugent
qu’il serait efficace de favoriser les programmes
d’accession à la propriété et de logement
intermédiaire pour attirer les classes moyennes
dans les communes déjà fortement pourvues
en logements sociaux. Ils sont également 65 %
à juger “efficace” la mesure tendant à limiter
la construction de logements sociaux dans les
communes où le taux de logement social est
supérieur à 50 %. En revanche, les Français
sont partagés sur l’efficacité des mesures
contraignantes : seul un Français sur deux (50 %)
juge “efficace” l’élargissement du rôle du préfet au
détriment du maire et seuls 46 % jugent efficace
le durcissement des amendes à l’encontre des
communes récalcitrantes à la construction de
logements sociaux.
Nous sommes sur le terrain
avec les acteurs de la ville pour
trouver des solutions pour loger
leurs habitants.
Dans quelle mesure
accompagnez-vous les
organismes HLM dans
la production d’habitat
social ?
Face à la nécessité et à l’urgence
de construire plus, l’alliance
public-privé est devenue une
alternative réelle. Notre approche
est complémentaire.
Elle consiste à identifier des terrains en zones urbaines proches
des commerces et des transports.
Nous développons ensuite avec
les collectivités locales des programmes pour répondre aux
besoins de leurs habitants. Puis
nous cédons l’opération en
VEFA aux bailleurs sociaux, qui
assurent la gestion locative et
l’entretien.
Notre mission est de continuer à convaincre que face
à la crise du logement, nous
pouvons développer ensemble
d e s s o l u t i o n s. L e d é f i e s t
de taille : la France compte
aujourd’hui 1,8 millions de
demandeurs de logements
sociaux en attente !
Se pose la question de
la maîtrise des coûts
dans un secteur très
réglementé…
La construction de logement
social a ses codes, que nous maîtrisons grâce à nos 10 années
d’expertise. Notre modèle
repose sur une conception
intelligente de l’habitat, une
gestion rigoureuse des coûts et
une exigence sur la qualité de
construction. Nous sommes
aussi à l’écoute et très réactifs.
La clé, c’est que nous construisons pour les habitants, pas
pour les investisseurs ou pour
faire de la défiscalisation. Nous
sommes attentifs au moindre
détail dans le diagnostic dès la
conception.
Quels sont vos
engagements en matière
de qualité de logement ?
La qualité pour ALILA, c’est le
sur-mesure. Nous n’avons pas
de modèle que l’on duplique.
Nous nous adaptons aux réalités locales en matière d’architecture, de prestations, de
respect des nor mes HQE.
Sans oublier l’intégration aux
paysages. Sur chacune de nos
opérations, un architecte paysagiste travaille dans ce but.
Notre obsession ? Que les
clients de nos clients, les habitants, soient heureux dans leurs
résidences. Tous nos immeubles
sont certifiés par Cerqual et NF
Logement. ALILA a pour principe d’aller chercher 10 à 30 %
de mieux que la réglementation
en vigueur. Nous faisons de
l’architecture haut de gamme,
à prix maîtrisé, destinée à du
logement social.
Quel rôle joue ALILA
pour favoriser la mixité
sociale ?
Le logement social, c’est la
mixité ! Nous menons actuellement dans les Yvelines une
opération de résidences intergénérationnelles. Nous construisons aussi pour des salariés, des
étudiants (à Saclay), des familles
monoparentales. Il faut savoir
qu’en matière de logement, nous
répondons aux besoins de 83 %
de la population française.
L’habitat social est au cœur des
enjeux de mixité. Nous sommes
convaincus que bien vivre son
logement est la première pierre
pour bien vivre ensemble. n
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: 01. Jun f2016
- 16:37:18
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Libération Jeudi 2 Juin 2016
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jour de fête
M.Coquelicot, je vous
aimais dans le costume
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aussi dans celui de Pascal.
Me faire lacher prise est
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Platon. Venez plutôt dans
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bienvenu aussi.
Votre fée
Edité par la SARL
Libération
SARL au capital
de 15 560 250 €.
23, rue de Châteaudun
75009 Paris
RCS Paris: 382.028.199
On hésite entre l’effroi et le malaise en visionnant ce
Complément d’enquête consacré aux recruteurs du
jihad, et notamment Omar Omsen, figure de la guerre en
Syrie que l’on croyait mort et qui réapparaît à cette
occasion. L’effroi devant tous ces jeunes que le natif de
Nice, ancien gangster reconverti en gourou du jihad a
convaincus de tout quitter du jour au lendemain pour
le rejoindre. L’effroi de constater que l’impact de son
travail de prédication auprès des jeunes des quartiers
populaires et sur Internet, est passé sous les radars.
L’effroi devant son discours justifiant les attentats de
Charlie. Le malaise aussi devant les conditions de
tournage du film. Il est rare qu’une figure du jihad
accepte se faire filmer. La voix off explique pourquoi :
«C’est lui a qui fixé les conditions, le planning, il a
sélectionné ceux de son groupe qui parle à visage
découvert.» Résultat, on a l’impression de voir un club
de vacances avec des gentils organisateurs. Si les
auteurs prennent bien soin de contrebalancer à chaque
fois les propos d’Omar Omsen, il y a quelque chose de
gênant à lui laisser ainsi le champ libre. On se dit que
lui y a intérêt mais on ne perçoit pas trop pourquoi.
DAVID CARZON
Principal actionnaire
Altice Média Group
France
Cogérants
Laurent Joffrin
Marc Laufer
Directeur général
Richard Karacian
messages
personnels
Chère madame,chère
mere, Vous n'en avez
cure, que je sois malade,
déprimé, que la foule
me marche dessus.
Vous n'avez pas de coeur,
ni de raison de me traiter
ainsi.
Non ha un cuore,e una
pietra !
[email protected]
Votre
journal
Jihad en libre antenne
www.liberation.fr
23, rue de Châteaudun
75009 Paris
tél.: 01 42 76 17 89
NOUVEAU
est habilité pour toutes
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sur les départements
75 - 91 - 92 - 93 - 94
Renseignements commerciaux
de 9h00 à 18h00 au 01 40 10 51 51
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Directeur
de la publication
et de la rédaction
Laurent Joffrin
Directeur en charge
des Editions
Johan Hufnagel
Directeurs adjoints
de la rédaction
Stéphanie Aubert
David Carzon
Alexandra Schwartzbrod
COMPLÉMENT D’ENQUÊTE ce soir sur France 2 à 22 h 40
Rédacteurs en chef
Christophe Boulard
(technique),
Sabrina Champenois,
Guillaume Launay (web).
◗ SUDOKU 3057 MOYEN
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Directeur artistique
Nicolas Valoteau
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Midi Print (Gallargues)
POP (La Courneuve)
Nancy Print (Jarville)
CILA (Nantes)
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Petites annonces. Carnet
Team Media
25, avenue Michelet
93405 Saint-Ouen cedex
tél.: 01 40 10 53 04
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Pour joindre un journaliste
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et Développement
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Imprimé en France
◗ SUDOKU 3057 DIFFICILE
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adjoints
Michel Becquembois
(édition), Grégoire Biseau
(France), Lionel Charrier
(photo), Cécile Daumas
(idées), Matthieu Ecoiffier
(web), Jean-Christophe
Féraud (futurs), Elisabeth
Franck-Dumas (culture),
Didier Péron (culture),
Sibylle Vincendon et
Fabrice Drouzy (spéciaux).
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Libération Medias
23, rue de Châteaudun,
75009 Paris tél.: 01 44 78 30 67
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Par GAËTAN
GORON
HORIZONTALEMENT
I. Il est utile pour régler un
problème à chaud II. Aller de
pis en pis ; Désormais parmi
nous III. Saisis IV. Ils sont durs
sous les pieds mais fondants
en bouche V. Elle n’est pas
dans un état normal ; Participe
enjoué VI. Un sport de Barjots ;
Possessif VII. En principe, il
vous fait du bien ; Mit de
côté VIII. VIII x VIII - XIII ; Fît
l’amour assez vulgairement
IX. Il fait l’objet d’une quête
d’une bien trop grande partie
de la population ; Il apparaît
sous notre meilleur profil X. Il
dit du bien ; Il dit du bien mais
ne le fait pas toujours XI. Se
rapprocher de l’incompétence
ou de la disparition
VERTICALEMENT
1. Il a eu l’Alsace et la Lorraine 2. Lieu de triomphe ; Liée à un problème de
peau 3. Donnant des reflets colorés ; On nous le sert (trop ?) souvent sur un
plateau 4. Le dernier millésime de son équipe favorite était assez insipide ;
Chemins exigeants 5. Les habits qui font le moine ; Exclue du mouvement
6. Désagréables en bouche ; Deux parmi quatre 7. Appel vocal ; Chantés
au Tyrol 8. Qui passe tout facilement 9. Il est en pointe dans son domaine
Solutions de la grille d’hier
Horizontalement I. SCHPOUNTZ. II. CHARIVARI. III. HÉLÈNE. OK.
IV. DILUA. V. REPARTIE. VI. OS. LOEB. VII. USTENSILE.
VIII. MEURS. DAN. IX. PUTT. BOND. X. FLUAIS. DÛ. XI. SESTERCES.
Verticalement 1. SCHTROUMPFS. 2. CHE. ESSEULÉ. 3. HALEP. TUTUS.
4. PRÉ. ALERTÂT. 5. OINDRONS. IE. 6. UVÉITES. BSR. 7. NA. LIBIDO.
8. TROUÉ. LANDE. 9. ZIKA. PENDUS.
18 u
Libération Jeudi 2 Juin 2016
IDÉES/
Achille
Mbembe,
globe
penseur
Dégonfler les héroïsmes nationaux
et redéfinir une pensée de la circulation
et du détachement: les thèses décapantes
de l’historien franco-camerounais
rafraîchissent le débat dans une Europe
rongée par le «désir d’apartheid».
C’
est un homme qui n’a pas peur de jeter par la fenêtre l’histoire nationale,
les identités et les frontières. L’universalisme à la française? «Péteux», affirme
l’historien Achille Mbembe. Comme le petit
dernier d’une famille, brillant mais insolent,
l’intellectuel à la renommée internationale
peut se permettre de bousculer ce vieux pays
qu’est la France. Malgré une carrière menée
depuis trente ans entre les Etats-Unis et l’Afrique du Sud, il continue de «penser et d’écrire»
en français.
D’une certaine façon, Achille Mbembe est
l’anti-Finkielkraut par excellence. A ceux qui,
dans le sillage de l’académicien français, prônent le repli identitaire, l’historien avance le
détachement. A la manière d’un Edouard
Glissant, un de ses maîtres à penser, il ne limite pas sa géographie à celle de la nation
mais l’élargit au «Tout-Monde». Il rêve d’écrire
une histoire commune à l’humanité qui dégonflerait tout héroïsme national tapageur et
redessinerait de nouveaux rapports entre le
même et l’autre? Dans une France et une Europe qui redoutent même leurs ombres, on
voit bien le potentiel subversif de la pensée
de Mbembe. Son dernier livre publié à la Découverte, au printemps, Politiques de l’inimitié, dresse le portrait peu amène d’un continent rongé par le «désir d’apartheid», mû par
la recherche obsessionnelle d’un ennemi et
avec la guerre comme jeu favori. Exagéré? Lui
assume le trait volontairement forcé. «Il faut
réveiller ce vieux continent», dit-il lors d’une
rencontre en mai à Paris.
«Puissant et transgressif». Ce qui frappe
chez lui, c’est son calme olympien, proche
d’une béatitude amusée, si éloigné de la violence de certains de ses écrits. Immense crâne
et lunettes d’intello à bords noirs et épais, il
dégage le magnétisme de ceux capables de
subjuguer un auditoire par une fulgurance
théorique. N’a-t-il pas reformulé dans son
précédent livre, Critique de la raison nègre (la
Découverte, 2013), le concept même de «nègre», qui, dans un environnement néolibéral,
concerne en fait tous les subalternes de tous
les pays. Des «hommes-marchandises», analyse-t-il. «La condition nègre ne renvoie plus nécessairement à une affaire de couleur. Le nègre
est devenu post-racial.»
Souvent, l’historien est présenté comme l’un
des pères des études postcoloniales: il a écrit
en 2000 De la postcolonie en France, devenu
un classique enseigné dans les programmes
américains. Mais, Mbembe déborde largement de ce cadre théorique. Tout en partant
du fait colonial, il déploie une analyse plus
globale qui prend en compte l’ensemble des
mécanismes de domination. Il s’attaque aussi
bien à la critique de l’universalisme qu’à celle
du néolibéralisme. Lui, l’historien reconnu
pour ses travaux sur la société camerounaise,
a glissé petit à petit vers une philosophie politique portée par une écriture littéraire.
«C’est une personnalité transgressive, puissante, imaginative, dit de lui son vieil ami, le
politologue Jean-François Bayart qui a longtemps dirigé le Ceri (Centre d’études et de recherches internationales) à Sciences-Po Paris. Mais c’est vrai, je regrette parfois qu’il ait
mis de côté la recherche historique pure…»
Certains lui reprochent quelques facilités
théoriques destinées à plaire au plus grand
nombre…
Son fan-club traverse les continents à l’image
de son itinéraire. Naissance et études au Cameroun, doctorat à la Sorbonne et Sciences-Po Paris, professeur à l’université de Columbia à New York puis à Dakar où il reste
quelques années avant de s’installer entre
deux continents, professeur à l’université de
Witwatersrand à Johannesburg comme à
celle de Duke aux Etats-Unis. «C’est un cosmopolite», dit Jean-François Bayart. Mbembe a
coutume de dire que notre lieu de naissance
relève du hasard. «Devenir homme dans le
monde, écrit-il, est une affaire de trajet, de circulation et de transfiguration.» Défiant les
origines, il croit en cette capacité de recevoir
des «héritages qui n’ont rien à voir avec des
histoires de naissance». Lui parle et écrit en
français, non pas dans la dévotion d’une francophonie si complaisamment célébrée mais
dans une recomposition politique de la langue. «Je me situe plutôt dans le prolongement
d’une pensée de langue française qui n’est pas
francocentrée. Cette pensée, qui est tout à fait
différente de la littérature dite francophone,
est une pensée de la circulation, de la traversée
et du mouvement. C’est celle de Césaire, Glissant, Fanon et d’autres.»
«Ethique du passant». Plus insoupçonné,
domine dans son parcours son passage à la
Jeunesse étudiante chrétienne quand il était
étudiant au Zimbabwe. «Il a été marqué par
la dimension prophétique du christianisme,
explique Jean-François Bayart, on la retrouve
aujourd’hui dans ses écrits.» L’un de ses mentors est l’ancien jésuite devenu philosophe,
Fabien Eboussi Boulaga. De ses multiples apports, Mbembe tire une «éthique du passant»:
au fond, nous ne serions les citoyens d’aucun
pays en particulier. Une radicalité qui peut
choquer mais qui a le mérite de renouveler le
débat en France, pays à bout de souffle sur
son histoire et son pedigree.
CÉCILE DAUMAS
Libération Jeudi 2 Juin 2016
u 19
www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe
Achille Mbembe,
au musée Dapper, à Paris,
dans l’exposition
Chefs-d’œuvre d’Afrique
(jusqu’au 21 décembre).
PHOTO MANUEL BRAUN
«La France peine à entrer
dans le monde qui vient»
Identité, nation, voile,
violence, migration…
Achille Mbembe renvoie
le continent européen
à ses crispations
et à son immobilisme.
C’
est l’un des nombreux paradoxes d’Achille Mbembe : il peut faire preuve
d’une noirceur absolue sur le genre
humain tout en déployant une philosophie que d’aucuns pourraient
qualifier de béate. Rencontre avec
l’historien, professeur à l’université
de Witwatersrand à Johannesburg
en Afrique du Sud et à celle de Duke
aux Etats-Unis.
Dans le débat autour des questions d’identité, de frontières et
d’islam, la France voit remettre
en cause une de ses valeurs phares, l’universalisme. Une chance
ou une épreuve ?
La France change, elle y est obligée.
C’est justement, parce que des
transformations irréversibles sont
en train de s’opérer autour de ces
questions que les lignes de confrontation et de conflit se raidissent. Les
temps sont propices, pour les pays
européens, à redéfinir les paramètres non plus de l’universel, mais de
ce qui nous est commun en cet âge
planétaire. A cause de sa très riche
et complexe histoire, la France
pourrait, si elle le voulait, contribuer à une compréhension inédite
des enjeux nouveaux liés à notre
condition terrestre. Ce que l’humanité a désormais en commun, c’est
le fait que nous sommes appelés à
vivre exposés les uns aux autres, et
non enfermés dans des frontières,
des cultures et des identités. C’est le
propre de l’humain, mais c’est aussi
le cours que prend désormais notre
histoire avec d’autres espèces sur
cette Terre. Vivre exposés les uns
aux autres suppose de reconnaître
qu’une part de notre «identité» s’origine dans notre vulnérabilité. Celle-ci doit être vécue et entendue
comme un appel à tisser des solidarités, et non à se forger des ennemis.
Malheureusement, tout cela est
trop compliqué pour le tempérament de notre époque, portée
qu’elle est vers des idées toutes faites. Plus notre monde se complexifie, plus nous avons tendance à recourir aux idées simples.
Mais on peut comprendre que la
défense de l’universalisme,
d’une identité et d’une culture
propre à un espace géographique soit indissociable de l’histoire européenne et française…
Je comprends tout cela. Le problème, c’est que ni l’Europe, ni la
France ne sont le monde. Le problème, c’est quand l’universalisme
se fait ethnique. C’est quand l’identité se conjugue avec le racisme et
que la culture se présente sous les
traits d’une essence immuable. En
vérité, ce que l’on appelle l’identité
n’est pas essentiel. Au fond, nous
sommes tous des passants. Le
monde que nous habitons a commencé longtemps avant nous et
continuera longtemps après nous.
Alors qu’émerge lentement une
nouvelle conscience planétaire, la
réalité d’une communauté objective
de destin doit l’emporter sur l’attachement à la différence.
Nous sommes pourtant tous nés
quelque part…
… mais accidentellement. Etre né
quelque part est une affaire d’accident. Ce n’est pas une affaire de
choix. Sacraliser les origines, c’est
un peu comme adorer des veaux
d’or. Cela ne veut rien dire. Ce qui
est important, c’est le trajet, le parcours, le chemin, les rencontres
avec d’autres hommes et femmes en
marche, et ce que l’on en fait. On devient homme dans le monde en
marchant, pas en restant prostré
dans une identité.
Peut-être est-ce plus simple pour
vous d’être «un passant» : vous
êtes né au Cameroun, enseignez
en Afrique du Sud et aux EtatsUnis, avez étudié en France…
Je suis attaché à la France, conséquence d’une rencontre. Or, je ne
suis pas né ici. Je ne vis pas ici non
plus. Il y a des héritages qui n’ont
rien à voir avec des histoires de
naissance. J’écris par exemple en
français, une langue que j’ai reçue
en héritage. Je pense en langue
française. Je contribue avec d’autres
au rayonnement mondial de la pensée de langue française, et cela n’a
strictement rien à voir avec je ne
sais quelles racines. Au contraire,
cela a à voir avec le fait qu’à un moment historique donné, la langue
française a cessé d’être une langue
ethnique. L’Afrique a permis à la
langue française d’échapper à son
destin ethnique. Au demeurant,
c’est toujours Autrui qui nous octroie notre pesant d’universel. On
ne peut pas s’autoproclamer universel. Quant aux plus faibles d’entre
nous, il s’agit justement souvent de
gens qui, pour survivre, doivent absolument bouger. Il s’agit de gens en
permanence en mouvement. Or, on
sait combien, de nos jours, il est
presque devenu impossible de bouger, du moins pour certaines catégories de l’humanité. Celle-ci se divise entre ceux qui peuvent aller
partout dans le monde et ceux qui,
soit ne doivent pas bouger, soit ne
peuvent le faire que sous des conditions draconiennes.
Votre description de l’Europe occidentale est terrible… Vous évoquez un territoire aussi accueillant qu’un «banc de glace».
Le tableau n’est pas noir. Ce qui me
frappe, c’est la grisaille. Il suffit de
regarder les frontiè- Suite page 24
20 u
autre : ils sont le fait d’une vieille
puissance qui refuse de faire face à
son déclassement international.
Mais en France, la réalité a été
extrêmement violente en 2015…
Le terrorisme n’est pas une fiction.
Il est bien réel et la France en fait
l’épreuve. Mais le centre de gravité
du terrorisme n’est pas l’Occident.
Boko Haram a provoqué la mort de
dizaines de milliers de gens au Nigeria, au Nord Cameroun et sur les
pourtours du lac Tchad. L’expérience de dévastation due au terrorisme n’est pas une exception européenne, c’est une expérience
partagée. Hormis les deux épisodes
de 1914-1918 et 1939-1945, l’épicentre de la violence de notre monde,
c’est hors d’Europe qu’il se situe depuis le XVe siècle.
Le terrorisme n’est pas une attaque contre l’identité ou la culture européenne ?
A vrai dire, les terroristes font assez
peu dans la discrimination. Pour les
victimes, il suffit parfois d’être là, au
mauvais endroit et au mauvais moment. Le terrorisme s’attaque à
l’Etat de droit. En même temps, il
favorise la montée en Europe de
discours paranoïaques qui accompagnent par ailleurs le déclassement international dont l’Europe
fait l’expérience. De tels discours
évoquent la sorcellerie : il y a toujours quelqu’un qui m’en veut en
raison de qui je suis et non à cause
de ce que je lui ai fait. Le discours
paranoïaque et le discours sorcier
sont tous deux des raisonnements
mythologiques. A un moment où la
mythologie de la nation est vide de
sens, où la politique et la démocratie font de moins en moins sens, où
les véritables centres de décision
sont dénationalisés, sinon offshore,
le raisonnement mythologique permet de combler un vide presque
métaphysique. Mais il nourrit également des violences potentielles.
C’est en effet un type de discours
qui a toujours besoin d’un ennemi,
peu importe lequel ; d’un bouc
émissaire ou de quelqu’un contre
lequel on peut déployer une violence sans retenue. Ce fut le cas hier
avec les Nègres et les Juifs. Si l’on
n’y prend garde, ce sera bientôt le
cas avec les musulmans et toutes
sortes d’étrangers.
Les démocraties occidentales
sont-elles devenues des machines de guerre ?
Plus elles perdent de leur signification à l’intérieur, plus les démocraties atlantiques ont besoin de conduire des guerres interminables au
loin. Tout cela exige l’invention permanente du «bon ennemi», celui-là
qui nous permet de décharger à l’extérieur le surplus de violence qu’on
aurait sinon à exercer à l’intérieur,
au risque de déclencher une guerre
MANUEL BRAUN
res de l’Europe, et surtout ses frontières méridionales. Elles sont devenues des
fosses communes. Il faut secouer
cette Europe assoupie, qui n’arrête
plus de ronfler. Sinon, plongée dans
une sorte d’ennui existentiel, elle
risque de devenir une menace pour
le reste de l’humanité.
Elle est assoupie, mais à vous
lire, elle est très violente…
Les deux choses vont de pair. L’Europe devient violente par ennui. La
violence devient le moyen de son
divertissement, une manière de se
rassurer. Le racisme qui va avec
l’ennui est, lui aussi, une forme de
joyeuseté. Il est pratique au nom
d’une pseudo-critique du «politiquement correct», cette expression
fourre-tout que beaucoup assimilent à la répression. A la place, on
cherche à se défouler, à briser tabous et interdits. On se met à rêver
à des temps de licence absolue lorsque tout, croit-on, était permis. Le
racisme contemporain est de ce
point de vue une forme de démocratisation d’une jouissance perverse. Par ces temps de grand ennui, tout le monde peut y avoir
accès. Il n’y a pas de tarif d’entrée.
Si, à l’époque coloniale, le racisme
et la violence européenne étaient
symptomatiques de la montée en
suprématie du continent,
aujourd’hui leur fonction est tout
Suite de la page 23
Libération Jeudi 2 Juin 2016
civile. La guerre externe permet à la
démocratie de faire reculer le spectre de la guerre civile. Auparavant,
ce sont les colonies qui servaient
d’exutoire à ce surplus de violence.
Elles servaient de champ d’expérimentation de toutes sortes de guerres hors-la-loi et de toutes sortes
d’atrocités. Aujourd’hui il faut externaliser cette violence d’une autre
façon. Il faut par ailleurs comprendre que la guerre est devenue un
rouage essentiel de la vie économique et technologique des démocraties. Elle est devenue une nécessité
et ne relève plus de l’épisodique.
Enfin la violence prend part à l’ordre économique international, où
la force brute ne s’exerce pas seulement aux dépens des ex-colonies.
L’histoire récente de la Grèce est
tout à fait significative de ce point
de vue. Peu importe la volonté dé-
mocratique des Grecs, les puissances financières sont capables de la
congédier pour imposer le remboursement des dettes.
Les Grecs sont-ils l’exemple de
cet élargissement de la condition de «Nègre» que vous avez
théorisée?
Les Grecs sont en effet les nouveaux
Nègres d’Europe. On peut leur imposer à loisir le genre de traitement
que l’on n’impose qu’aux peuples
vaincus lors d’une guerre. La sorte
de mépris dans lequel on ne tient
que les Nègres leur est étendue.
Plus globalement, qu’est-ce qui
définit le «Nègre» aujourd’hui?
Une classe et une race, voire une espèce d’individus, peu importe la
couleur de la peau, au regard desquels la vieille distinction entre le
sujet humain et la chose ne compte
plus. Pis, des gens dont on n’a stric-
MARCEL GAUCHET PHILOSOPHE ET HISTORIEN
«JE CROIS, AU CONTRAIRE D’ACHILLE MBEMBE, QU’IL FAUT
PRENDRE LE PROBLÈME DES “IDENTITÉS” AU SÉRIEUX»
PAP NDIAYE HISTORIEN
«SI JE PASSE DE PLUS EN PLUS DE TEMPS
EN AFRIQUE, C’EST UN PEU GRÂCE À LUI»
«A
«M
d’universalisable dans ce que la domination coloniale charriait avec elle,
quelque chose de plus fort qu’elle et
capable de la renverser.
«C’est ce noyau d’universalité qui est
au cœur de la seconde mondialisation,
celle qui nous secoue si fort. Il a
émergé en Europe, mais a échappé
aux Européens. Chacun se l’approprie à sa façon.
Mais ce faisant, il oblige tout le monde à se redéfinir dans sa particularité par rapport à lui, en
même temps qu’à se situer par rapport aux autres
manières de s’en saisir et d’en jouer. Bien sûr, de
ce point de vue, que les histoires nationales ont
plus que jamais du sens, mais ce ne sont plus les
mêmes. Voilà ce qui nous expose les uns aux
autres, mais aussi ce qui nourrit les réactions identitaires. Car il n’y a pas plus dérangeant que cette
obligation de se regarder du dehors. Elle est vécue
comme une effraction par les uns et comme une
dépossession par les autres, ceux qui se croyaient
détenteurs de l’universel et qui découvrent qu’ils
n’en offraient qu’une version parmi d’autres. Personne ne sera plus jamais tranquille chez lui, d’où
qu’il vienne et où qu’il soit. Si nous voulons calmer
les fièvres dangereuses que provoque ce constat,
sachons en identifier la source et mettons nos intranquillités en commun.» •
bembe a influencé celles et ceux
qui, comme moi, réfléchissent à la situation des
“afrodescendants” d’Europe et des Amériques. Il
dit quelque chose d’essentiel : la situation des Noirs dans le
monde dépend en bonne part de la
situation de l’Afrique. Même s’ils
tournent le dos à l’Afrique, même
s’ils ne s’y intéressent pas (ce n’est
pas une bonne idée mais c’est leur
droit), les Noirs ne peuvent échapper à cela. Ils ne peuvent s’en sortir
à l’échelle de l’histoire que si l’Afrique se relève.
«Quand j’ai rencontré Achille
Mbembe, il y a vingt ans à Philadelphie, il m’a dit en substance :
“N’oublie pas l’Afrique !” Si je passe
de plus en plus de temps en Afrique,
c’est un peu grâce à lui. C’est peutêtre pour cela qu’on peut parler de
diaspora noire : la prise de conscience d’un destin lié au continent
des ancêtres. L’universalisme n’est
AFP
AFP
chille Mbembe a raison :
“Nous sommes appelés à
vivre exposés les uns aux
autres, et non dans des frontières, des
cultures.” Mais il a tort de dire : “C’est
le propre de l’humain.” C’est en train
de le devenir, depuis peu, douloureusement, et c’est une immense révolution. C’est ce que nous appelons «mondialisation»
qui nous l’impose. Le problème dit des «identités»
sort de là. Je crois, au contraire d’Achille
Mbembe, qu’il faut le prendre au sérieux. Il n’y a
pas si longtemps, chacun vivait dans son coin,
sans se tracasser de son identité. Elle vous était
tout simplement donnée avec votre société. Ce
qui a tout changé, c’est la conquête occidentale
du globe, l’impérialisme colonial de la première
mondialisation vraie, celle de la fin XIXe-début
XXe siècle. Cette construction du monde s’est
faite sous le signe de l’enfermement des Occidentaux dans la conviction de la supériorité de leur
civilisation. A l’arrivée, cette histoire atroce a
donné lieu à de l’imprévu. N’oublions pas que la
décolonisation s’est faite au nom du droit des
peuples à disposer d’eux-mêmes, un droit que les
Européens avaient consacré chez eux, mais
oublié d’appliquer au-dehors. Il a triomphé partout. Comme quoi il y avait bien quelque chose
pas la négation ou l’effacement des identités
singulières: en ce cas, il
n’est qu’un “uniformalisme” qui masque plus
ou moins hypocritement un rapport de domination sur les subalternes de tout poil. C’est au contraire
en approfondissant les cultures sans
les enfermer dans une tradition inventée, sans les durcir en dogmes,
que l’on accède à l’universel. C’est
un travail d’une infinie délicatesse,
toujours tenaillé par l’assignation
identitaire d’un côté, et l’universel
chauvin de l’autre, ces vieux complices d’autant plus véhéments ces
temps-ci qu’ils sont finalement sur
la défensive. La littérature et la philosophie permettent les déplacements
de soi vers l’autre, le “changer en
échangeant sans se perdre pour
autant” comme dit Glissant. Ce nouvel universalisme, tissé de mille fils
chatoyants, n’est pas acquis, loin
s’en faut: il sera le fruit d’une bataille
politique et intellectuelle.» •
Libération Jeudi 2 Juin 2016
u 21
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«Etre né quelque part est une affaire
d’accident. Sacraliser les origines, c’est un
peu comme adorer des veaux d’or.
Cela ne veut rien dire. Ce qui est
important, c’est le trajet, le parcours.»
tement guère besoin, une classe de
superflus dont aucun maître n’a ni
besoin ni envie, même pas en tant
qu’esclaves. Le problème n’est plus
de les exploiter: le souhaiteraientils, il n’y aurait guère preneur.
En France a eu lieu une violente
polémique avec la ministre des
Droits des femmes autour du
mot «Nègre». Pourquoi avezvous le droit d’employer ce mot
à longueur de livres, et elle non?
Parce qu’en n’en connaissant ni les
tenants ni les aboutissants historiques, elle emploie ce terme à tort et
à travers. Au passage, elle blesse, en
toute bonne conscience, des gens.
Il y a des termes lourds d’histoire
que des gens incultes, mais qui se
prévalent d’une parole officielle, ne
peuvent utiliser qu’à leurs risques
et périls.
Comment expliquez-vous le débat français autour du voile ?
Je ne comprends pas cette fixation.
Nous traversons une époque caractérisée par une profonde incertitude dès lors qu’il s’agit de dire avec
exactitude qui est qui. Le moment
terroriste a pour effet de réactiver
les dispositions paranoïaques qui
existent à l’état latent dans toutes
les sociétés. Quand la peur devient
si intense et si interne, et le préjugé
si viscéral et si partagé, le désir de
démasquer l’ennemi potentiel, de
l’exposer, d’en révéler l’identité pro-
fonde et secrète devient un besoin
presque anal! Je crains que la fixation sur le voile ait davantage à voir
avec cette forme de l’analité qu’avec
la laïcité !
Carrément? Vous exagérez, non?
Cet acharnement n’est-il pas plutôt lié à une angoisse identitaire?
Qui êtes-vous ? D’où venez-vous
vraiment? Quelles garanties avonsnous que vous êtes bien celui ou
celle que vous dites être ? Tout
tourne désormais autour de cela.
Démasquer et dévoiler font partie
des opérations dont on pense qu’elles nous permettront de savoir avec
exactitude qui est parmi nous, pour
nous ou contre nous. Or le visage
nu, à découvert, sans sociabilité,
aussi important soit-il, ne permet
pas à lui seul de répondre à ces
questions. Vous pouvez dévoiler
toutes les femmes musulmanes de
France et de Navarre, cela ne vous
fera pas avancer dans la connaissance véritable de qui elles sont.
Dans le régime de surveillance généralisé que favorise la guerre contre la terreur, et le désir d’apartheid,
l’identité est devenue une affaire
purement policière. Des histoires de
traçage, de fichage, de délation.
On vous dira que lutter contre le
voile c’est une façon de défendre
le droit des femmes à être libres
et à disposer de leurs corps…
Il faut faire confiance aux femmes
musulmanes. Elles sont capables de
défendre elles-mêmes leurs droits.
En ont-elles le pouvoir ?
Elles auront le pouvoir qu’elles s’octroieront. En attendant, essayons
surtout de sortir de la logique coloniale : «Ce sont tous des enfants, il
faut les aider.» Les opprimés se libèrent eux-mêmes. Dans l’histoire de
l’humanité, personne n’a jamais libéré les opprimés à leur place.
Qu’est ce que cette polémique dit
de la France ?
Elle peine à rentrer de plain-pied
dans le monde qui vient.
Est-ce là ce qu’on appelle l’impensé colonial ou de l’esclavage?
Le fait est que les vaincus sont obligés, pour survivre, de connaître non
seulement leur propre histoire,
mais aussi celle de leurs dominants.
Les dominants, eux, non. L’ignorance suffit. Du coup, ce n’est pas
parce que l’on a eu un passé ensemble que l’on aura nécessairement un
futur en commun. Un tel futur, il
faudra le construire consciemment.
Par la lutte.
Vous dites: l’histoire des Nègres
fait partie de notre histoire commune, celle de la France mais
aussi du monde entier.
Il n’y a guère d’histoire de l’Afrique
qui ne soit en même temps une histoire du monde. Tout comme il n’y
a guère d’histoire du monde qui ne
soit en même temps une histoire
d’Africains ou de leurs descendants.
Et ceci ne vaut pas que pour hier.
Cela signifie que l’histoire nationale…
… ne veut rien dire ! Il n’y a d’histoire que dans la circulation des
mondes, dans la relation avec
Autrui. C’est l’autre, le lointain, qui
m’octroie mon identité. Une société
qui refuse de se voir donner son
identité par l’Autre est une société
profondément malade, agitée par
toutes sortes de troubles.
C’est pour cela que vous remettez aussi en cause l’universalisme à la française que vous
qualifiez de «péteux» ?
L’universalisme péteux est celui qui
ne sait pas faire place à cette parole
qui le conteste, ou qui exige d’être
prise en compte. Il ne dispose plus
des ressources de l’inclusion. C’est
le cas de tout universalisme de type
finalement ethnique. Quand j’entends ces gens –toutes sortes d’individus venus d’horizons divers qui
ont fini par faire souche ici, mais
que l’on ne cesse de renvoyer à leur
différence– dire «je suis Français»,
je n’ai pas l’impression qu’ils veulent créer un Bantoustan en plein
cœur de Paris. Ce que j’entends,
c’est: «Ouvrez-la toute grande, cette
porte.» La malhonnêteté consiste à
voir du «communautarisme» là où
cherche à s’exprimer une requête
d’appartenance et d’inclusion, de
possible vie commune ou à tout le
moins conviviale. L’universalisme
péteux, c’est celui qui, tout en les
assignant à une différence supposée inéradicable, leur adresse le reproche de ne point vouloir s’intégrer.
C’est ce système symbolique qui
craque aujourd’hui ?
Il étale partout ses limites. Il faudrait en assurer l’approfondissement non plus dans le sens de la différence ou même de cet universel
que je viens de critiquer, mais en direction de l’en-commun. Dans un
pacte de soin, le soin de la planète
et le soin apporté à tous ses habitants, humains et non-humains.
On va vous dire que c’est très
beau, très gentil, mais totalement idéaliste, de la poésie.
Et bien, vive la poésie ! Elle est
d’autant plus nécessaire que la trajectoire inverse, à savoir la relation
d’inimitié, est implacable. On a besoin d’ouvrir portes et fenêtres. On
a besoin d’un peu d’air par ces
temps touffus et irrespirables.
L’époque nous force à dormir tout
en nous empêchant de rêver. Il faut
redonner sa chance au rêve et à la
poésie, c’est-à-dire à de nouvelles
formes de la lutte, cette fois-ci sur
une échelle véritablement planétaire.
Recueilli par CÉCILE DAUMAS
et SONYA FAURE
ELISABETH ROUDINESCO HISTORIENNE DE LA PSYCHANALYSE
«JE N’ADHÈRE PAS À L’IDÉE
D’UN DIFFÉRENTIALISME EXACERBÉ»
PIERRE SINGARAVELOU HISTORIEN
«IL NOUS INVITE À METTRE AU JOUR LA DIMENSION
TRANSNATIONALE DE L’HISTOIRE»
«A
«L’
se sont inspirées les études
postcoloniales. C’est dans
cette filiation que je me situe.
Bien entendu je pense qu’il
faut critiquer les adeptes de
l’universalisme abstrait qui ont
tendance à nier l’importance
des différences culturelles.
Mais je n’adhère pas à l’idée d’un différentialisme exacerbé. Il est impossible de penser l’universel sans la différence et le débat
identitaire actuel nous ramène beaucoup
trop à un manichéisme. Pour moi, le choix
est fait: ni rejet de l’universel, ni culte de la
différence pour elle-même. Je ne crois pas
que l’on doive passer son temps dans la repentance et le culte des mémoires.
«Je ne partage pas la critique de Mbembe
sur la laïcité et je suis favorable à l’interdiction du foulard à l’école et du niqab dans
l’espace public. Dans un cas, il s’agit de jeunes filles mineures, dans l’autre d’une atteinte à l’idée que le visage soit l’expression
d’une subjectivité. Cette loi permet de
combattre l’asservissement des femmes
même volontaire. Mais je pense qu’il ne faut
ni interdire le foulard à l’université, ni persécuter les musulmanes qui le portent.» •
œuvre d’Achille
Mbembe contraste
avec l’atonie du débat intellectuel franco-français.
Il formule une critique radicale
de l’ordre néolibéral et sécuritaire qui soumet les sociétés démocratiques à des formes spécifiques de violence (guerres d’occupation
et de prédation, pratiques de zonage, etc.).
Le travail de Mbembe, qui puise dans l’histoire sociale autant que dans la sociologie
politique, transcende la vulgate postcoloniale qui s’est enfermée en France dans
une critique étroite et manichéenne du républicanisme et de l’humanisme des Lumières. Il ne s’agit pas de désigner l’ennemi
et de reprendre à notre compte les oppositions binaires mais de comprendre ce qui
rend possible l’interaction, l’échange, et finalement le vivre ensemble dans le cadre
national comme à l’échelle planétaire.
«Face à la frilosité des micro-approches, au
conservatisme du nationalisme méthodologique ou encore au relativisme postmoderniste, il propose une analyse globale qui
permet de penser ensemble les mécanismes de domination en Occident et dans le
DR
AFP
chille Mbembe semble se contredire. J’ai
assisté comme lui, le
17 mars, à la conférence inaugurale d’Alain Mabanckou au Collège de France qui a rendu hommage à toute la littérature
anticolonialiste du XXe siècle
–de Michel Leiris à Aimé Césaire et Frantz
Fanon. Il a montré combien elle avait
nourri son imaginaire. J’ai eu l’occasion de
souligner qu’il y avait aujourd’hui en
France un désir refoulé de fascisme. Je partage avec lui l’idée qu’il y a maintenant une
véritable hystérisation de l’identité qui consiste à assigner chacun à résidence dans
des racines et je considère que le terme de
subjectivité est préférable. Mais Achille
Mbembe ne parle que du colonialisme
français et pas du tout de l’anticolonialisme. Dois-je rappeler que le mouvement
anticolonialiste a été très important en
France depuis les surréalistes jusqu’à Sartre, Vidal-Naquet et le Manifeste des 121 en
passant par le réseau du Musée de l’homme
et l’œuvre de Claude Lévi-Strauss ? C’est
aussi en France qu’on a produit une contestation des horreurs du colonialisme dont
reste du monde, en soulignant
leur intime imbrication. Il nous
invite à mettre au jour la dimension transnationale de
l’histoire de France qui remet
en question les frontières trop
évidentes entre le dedans et le
dehors, entre le même et
l’autre. En historien, il a montré comment
l’exacerbation des identités ethniques et religieuses en Afrique et en “Occident” a été
instrumentalisée afin d’asseoir la domination d’une minorité d’intérêts particuliers.
Il pointe également la responsabilité conjointe des élites africaines et “occidentales”
arc-boutées sur leurs privilèges et des “majorités silencieuses” (au sens de Jean Baudrillard) soumises, qui ont abandonné
toute velléité de contrôle démocratique.
Pour déjouer les pièges du repli identitaire,
Mbembe, en philosophe cette fois, ouvre
la possibilité d’un humanisme renouvelé,
élargi au “Tout-monde” (Edouard Glissant),
car, écrit-il dans Critique de la raison nègre,
«il n’y a qu’un seul monde». Il reste dès lors
à définir cette troisième voie prometteuse,
au-delà de l’universalisme républicain et du
particularisme multiculturel.» •
22 u
Libération Jeudi 2 Juin 2016
IDÉES/
POLITIQUES
MARATHON
France Culture et le centre
Pompidou : un week-end de fête
pour célébrer la création et les idées
Par
ALAIN DUHAMEL
Loi travail: la guerre
des symboles
En jouant la stratégie de la confrontation,
la CGT comme le gouvernement se sont
embourbés dans ce qui ressemble
à une impasse.
I
l y a bien sûr le fond, la loi
el Khomri elle-même ou ce qu’il
en reste: quelques avancées modestes (jeunes, compte personnel
d’activité) mais surtout le fameux
article 2 avec son inversion (relative) des normes et donc l’incitation
aux accords d’entreprises. Rien qui
ressemble, certes, à la Révolution de
1917 mais rien non plus qui annonce
un autodafé des droits sociaux.
Tout juste une réforme ponctuelle
à l’allemande, avec pour objectif
d’introduire un peu de souplesse et
de pragmatisme dans notre éléphantesque code du travail.
Et puis, il y a le grand théâtre de la
dramaturgie sociale avec, depuis le
départ, une guerre féroce des symboles et des imaginaires entre trois
acteurs principaux, la CGT de Philippe Martinez, la CFDT de Laurent
Berger et le gouvernement de Manuel Valls. L’initiative est venue du
gouvernement qui, après la renonciation sans gloire à la réforme
constitutionnelle de la nationalité,
une humiliation et un aveu d’impuissance, a voulu reprendre l’initiative avec le projet de loi sur le travail. L’intention était judicieuse
mais le terrain miné et la mise en
œuvre s’est avérée catastrophique.
Moderniser, simplifier, décentraliser notre système de relations sociales dans l’entreprise, c’était, c’est
toujours une priorité.
La France bat dans ce domaine tous
les records de vétusté et de complexité. Encore fallait-il avoir à l’esprit qu’on touche là au cœur même
du pouvoir syndical et de l’autorité
patronale. La cible était donc excellente mais explosive. Or, le gouvernement a voulu en faire une démonstration de force, de rapidité et
d’efficacité, afin de redorer son bla-
son. Excellente intention, réalisation calamiteuse. Les syndicats ont
été court-circuités et la CFDT a refusé tout net le fait accompli.
La CGT a aussitôt décrété la mobilisation générale, le Parlement s’est
rebellé. Par maladresse et par amateurisme, tout le débat public a
porté, non pas sur les améliorations
qu’introduisait le texte gouvernemental mais sur la caricature qu’en
dessinait la CGT. Au lieu de renforcer son image, Manuel Valls l’a dégradée. Pour sortir honorablement
du conflit, il ne lui reste plus qu’à
maintenir jusqu’au bout l’article 2,
ultime symbole de sa fermeté et de
sa ténacité. Faute de quoi sa présence à l’hôtel Matignon n’aurait
tout simplement plus de sens.
L’imaginaire de Manuel Valls, sa
Le gouvernement
a voulu faire
une démonstration
de force, de rapidité
et d’efficacité, afin
de redorer son
blason. Excellente
intention,
réalisation
calamiteuse.
Les syndicats ont
été court-circuités
et la CFDT a refusé
tout net le fait
accompli.
trajectoire, son clémencisme dépendent de cet étrange critère-là.
La CGT a cru tenir enfin sa revanche
sur la social-démocratie, sur le gouvernement Valls et sur son propre
déclin. Philippe Martinez, au lendemain d’un congrès de Marseille qui
évoquait déjà une radicalisation, a
lancé toutes ses forces dans la bataille. Rêvait-il d’un nouveau 1995
et se voyait-il dans le blouson de
Bernard Thibault ? En tout cas, la
CGT a multiplié spectaculairement
les manifestations, les grèves, les
blocages et les menaces en tout
genre. Suivie par la FSU, par Sud et
par FO qui s’en mord déjà les doigts,
elle a joué la stratégie de la confrontation, refusant le dialogue, exigeant le retrait pur et simple de la
loi. C’était un quitte ou double. Cela
ressemble à une impasse.
Les grévistes ont été moins nombreux que prévus, les manifestations, gâchées par les casseurs, ont
gagné en violence ce qu’elles ont
perdu en affluence. Les Français
n’aiment pas cette loi ou ce qu’ils
croient qu’elle est mais ils n’approuvent pas pour autant la CGT.
Le risque est maintenant de voir
l’opinion se retourner. Philippe
Martinez l’a bien compris, et se
montre désormais disposé au dialogue. Le retrait de la loi n’est plus le
préalable. Ce n’est pas la paix après
la guerre mais c’est le signe que la
CGT, après avoir succombé à son
imaginaire batailleur, revient dans
le monde réel de la négociation.
Ce monde-là, c’est celui du troisième personnage du conflit, c’està-dire la CFDT. Elle n’a pas la légende historique de la CGT, elle ne
mime pas son style héroïque ou
pompier mais elle est devenue,
après quelques errances, la force
modératrice la plus efficace de notre société. Le Medef, la CGT, FO et
le gouvernement, tous parlent encore en 2016 la langue du XXe siècle.
La CFDT, avec sa ténacité modeste
et son pragmatisme obstiné, appartient au contraire au XXIe siècle.
Manuel Valls a besoin de sauver la
face du gouvernement. Philippe
Martinez doit trouver une porte de
sortie. Laurent Berger, lui, peut rester lui-même. Il est le moins médiatique des trois mais le plus créatif.
Il ne gagne jamais mais il finit souvent par être le bénéficiaire. •
Les 4 et 5 juin, deux institutions culturelles s’associent
pour un marathon intellectuel volontairement festif.
A côté des traditionnels débats autour du rôle de la
culture ou du pouvoir des images, le centre Pompidou
et France Culture ont conçu des propositions plus originales pour susciter échanges et conversations : des
matchs de football sur la piazza inclinée devant le musée, grande marelle de la connaissance, exploration des
arts numériques, expérimentation de sons avec l’Ircam,
studio radio installé au cœur du musée…
C.D.
Imagine, les 4 et 5 juin
www.franceculture.fr – www.centrepompidou.fr
REVUE
L’Europe, un continent en guerre ?
La revue le Débat de mai-août 2016
(1) propose de revoir la diplomatie
européenne à l’aune des leçons
tirées des crises récentes. Elle consacre un dossier à la «nouvelle géopolitique» du continent avec une interview de l’ex-ministre des Affaires
étrangères, Hubert Védrine. «L’Europe n’a plus sur la
marche du monde l’influence que nous pensions avoir»,
y affirme-t-il. Les Européens fédéralistes ont sous-estimé leurs voisins comme la Russie. L’ex-ministre prédit : «La réalité va s’imposer, sans l’Europe.» Sombre
pronostic renforcé par une carte du géographe Michel
Foucher, qui donne une Europe désormais figurée
entièrement noire pour «Etats en guerre» (soit impliqués dans des conflits extérieurs, soit touchés par le terrorisme). Ainsi, 83% des 75 tensions graves, crises sévères et guerres civiles dans le monde se situent dans un
rayon de trois à six heures de vol de Bruxelles.
Raphaël Georgy
(1) Le Débat, numéro 190, mai-août 2016, Gallimard.
BLOG
Sexe, politique et parole publique
Geneviève Fraisse revient sur le blog collectif LibéRation de philo sur l’affaire Baupin: «Et puisque le pouvoir
est jouissance, ce dont personne ne doute, comment
fait-on ? Là, cela devient intéressant. Car on peut être
convaincu de l’égalité des sexes (par exemple un député
écologiste) et ne pas pouvoir la mettre en pratique tant
la jouissance est un bien individuel. La rivale alors doit
être replacée au bon endroit de la jouissance, comme sexe
uniquement. Et le tour est joué. Sexe tu es, sexe tu resteras. Et on ne partage rien, pas même le plaisir sexuel
puisque le harcèlement, il faut le dire, cela ne se conclut
pas toujours en réalisation effective.»
http://liberationdephilo.blogs.liberation.fr/
Libération Jeudi 2 Juin 2016
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HISTORIQUES
u 23
L'ŒIL DE WILLEM
Par
SERGE GRUZINSKI
Historien, directeur de recherches
émérite au CNRS, professeur
invité à Princeton
Les miracles du Web
N’est-il pas temps pour l’historien
de mettre de côté le livre pour privilégier
d’autres supports, et mieux partager
son savoir ?
P
ourquoi le MoyenOrient envahit-il régulièrement notre quotidien? Le 17 mai, la chaîne
Arte a consacré une soirée
Thema à la question en réunissant, comme de coutume,
plusieurs documentaires. Le
programme avait le mérite
de replacer la crise actuelle
dans la longue durée, autrement dit dans le sillage des
fameux accords conclus à la
fin de la Première Guerre
mondiale entre le Français
François Georges-Picot et le
Britannique Mark Sykes: en
se répartissant la région, les
alliés ont construit la poudrière qui continue d’exploser un siècle plus tard.
L’impact des images et des
cartes, la mise en perspective séculaire, la diversité
des approches et des témoignages – sur les chrétiens
d’Orient, sur la colonisation
imposée à la Palestine avec
la bénédiction de l’Union
européenne, mais aussi sur
la genèse du terrorisme et de
l’islamisme – composaient
une belle leçon d’histoire.
Les historiens classiques reprochent souvent à l’image,
à la différence du livre, de ne
pas laisser le temps de la réflexion : gageons qu’après
une soirée de ce genre, le
spectateur a pu faire son
plein d’idées autant qu’à la
lecture de quelques articles
de fond. Ce n’est qu’un
exemple de ce qu’apporte
une télévision intelligente,
qui traite le spectateur en
adulte en lui fournissant
de quoi aborder le monde
contemporain. Même si
cette offre reste exception-
nelle sur le PAF, l’historien
peut se demander s’il ne
serait pas temps après tout
de laisser tomber le livre
pour privilégier d’autres
supports, et mieux partager
son savoir.
C’est ce à quoi l’incitent de
l’autre côté de l’océan, des
publications toujours plus
nombreuses qui s’interrogent sur l’avenir de l’histoire dans une ère digitale
comme Writing History
in the Digital Age de Kristen
Nawrotzki et Jack Dougherty. L’histoire aurait vécu
pendant des siècles, accrochée à l’écriture, comme si
elle était indissociable de
son support papier, thèse,
livre ou article. Aujourd’hui,
l’invasion de l’image sous
toutes ses formes, l’omniprésence des écrans, la révolution digitale et le recul du
livre entraîneraient une radicale redistribution des
cartes. Fini l’historien cloîtré dans sa tour d’ivoire,
jalousement recroquevillé
sur ses données, défendant
pied à pied son territoire,
finie la solitude du coureur
de fond. L’interactivité devrait enfin l’obliger à descendre de sa tour, il apprendrait à soumettre ses textes
«in progress» à une communauté qui dépasserait le cercle étroit de ses pairs pour
s’ouvrir au plus grand nombre. Finie la lenteur de recherches interminables qui
mettent encore plus de
temps à trouver leurs lecteurs. Haro sur le chercheur
individuel qui dissimule les
tenants et les aboutissants
de sa démarche sans par-
tager ses secrets de fabrication avec les historiens en
herbe. Vive la transparence,
la vitesse et l’efficacité qu’offre le Web, et qui doivent
mettre en contact, en moins
de temps qu’il ne le faut
pour l’écrire, les trouvailles
du chercheur avec la sphère
publique.
Toutes ces critiques ne sont
pas sans fondement. Qui
connaît un peu le monde
universitaire où que l’on se
trouve sur la planète en conviendra aisément. Mais elles
traduisent aussi un mépris
et une méconnaissance du
métier d’historien, fruit
d’un populisme aguicheur
maquillé en pensée de gauche. Elles sont pain bénit
pour nos technocrates de
tout bord qui s’empresseront d’appliquer ces principes pour continuer, consciemment ou non, à miner
les moyens de la recherche
et de la réflexion en sciences
humaines.
Il n’y a donc pas que le présentisme ou l’amnésie où
s’enfoncent les sociétés contemporaines qui menacent
la réflexion historique. A la
différence du journaliste ou
du chroniqueur, l’historien
a besoin de temps et de distance pour digérer et interpréter ses sources. Il a également besoin de techniques
qui sont aussi sophistiquées
que celles d’un informaticien ou d’un gestionnaire
d’entreprise: contextualiser
et critiquer une source ne
s’acquièrent pas du jour au
lendemain. Mais il lui faut,
en outre, se forger des outils
conceptuels innovants sur
lesquels les hérauts de la
révolution digitale outreAtlantique restent désespérément courts. Certes, plus
question d’écrire l’histoire
comme on le faisait au
XXe siècle, mais c’est moins
pour des raisons de supports que pour des impératifs de contenu. Les miracles
du Web ont des limites : la
révolution digitale si prolixe
sur les nouveaux supports
ne nous dit rien des contenus à mettre en ligne. Et
notre époque en général,
paresse ou incompétence, se
garde généralement d’aborder la question. Or, c’est
l’avènement d’un monde
global qui commande
aujourd’hui une révolution
des outils conceptuels et des
problématiques. Il nous
oblige à être bien plus attentifs à ce qui s’est passé
au Moyen-Orient, en 1917
qu’à la énième commémoration de Jeanne D’arc. Nos
mondes dorénavant sont
pluriels, et donc nos passés
sont multiples: à nous d’en
prendre conscience, de nous
y faire et de nous y retrouver
pour ne pas perdre totalement la maîtrise de notre
avenir. •
Cette chronique est assurée par
Laure Murat, Serge Gruzinski,
Sophie Wahnich et Johann Chapoutot.
24 u
Libération Jeudi 2 Juin 2016
LIVRES/
Lebistrot,
rêvede
comptoir
Par
SIBYLLE VINCENDON
O
n a commencé cet article en
allant déjeuner au bistrot.
Celui dont il est question
dans la Vie de bistrot. Il est quand
même rare, lorsqu’on lit un ouvrage
sur, mettons, la vie de l’Elysée,
qu’on puisse aller vérifier in situ la
pertinence de ce qu’écrit l’auteur.
Là, nous voilà attablée au Martignac, au 109, rue de Grenelle à Paris VIIe, établissement qui sert de
support à Pierre Boisard pour cerner «l’esprit bistrot».
«Un jour, écrit-il, j’ai fait la rencontre d’un patron passionné et de son
étonnant bistrot […] Grâce à lui, j’ai
compris qu’un bistrot n’est pas seulement un zinc, un percolateur, une tireuse à bière et des tables, mais
d’abord un état d’esprit, celui de qui
le façonne à sa main.» Yves Morlot,
le façonnier du Martignac, possède
la manière. Par exemple, il ne dit
pas : «Aujourd’hui, en plat du jour,
on a…», mais: «Aujourd’hui, en plat
du jour, j’ai fait…» C’est décrit dans
le livre et c’est vrai dans la vie. Tout
comme l’assortiment de desserts
qu’il pose sur la table, avec le bol
de mousse au chocolat pour faire
bon poids, sans qu’on n’ait rien
demandé. Sous la plume de Pierre
Boisard, la description fait saliver.
Dans la réalité, l’expérience envoie
à la sieste.
Le sociologue Pierre Boisard
retrace l’esprit convivial de ces
lieux de rencontres et d’échanges
si chers aux Parisiens à travers
l’exemple du Martignac, tenu par
les époux Morlot.
Pierre Boisard est un sociologue du
monde du travail qui aime les bonnes choses. Il a déjà consacré un livre au camembert, c’est dire. C’est
aussi un «piéton urbain» qui admet:
«J’ai poussé les portes de bien des
troquets sans jamais me demander
si j’entrais dans un café, un troquet
ou un bistrot.» Le bistrot, constatet-il, «ne se révèle qu’à l’usage». Cet
établissement n’est défini en tant
que tel dans aucune classification
officielle, l’Insee plaçant dans la
même case l’ensemble des lieux où
l’on peut boire et manger. Dans cet
endroit «mi-privé mi-public», on
trouve de tout. «J’ai connu de bonnes et de mauvaises surprises, des
décors originaux, de beaux éclairages, des serveuses souriantes, des
bières exquises et des vins typés,
mais aussi les cafés imbuvables, les
verres mal lavés, les garçons négligés, les musiques bruyantes et les pa-
trons mal lunés.» Entré par hasard
au Martignac, discutant avec le taulier et ne s’en décollant plus, Pierre
Boisard en a tiré l’impression que
c’est bien le bonhomme «qui incarne à lui seul l’esprit du bistrot».
Aussi est-ce en partant du parcours,
plutôt atypique, de ce Yves Morlot
que le sociologue arpente l’histoire
du bistrot et les enjeux qui l’attendent à l’époque des Starbucks.
BIOTOPE DU SPLEEN
Des ouvrages sur les bistrots, il n’en
manque pas, qu’il s’agisse de sélections des «meilleurs», de beaux livres illustrant les objets du bistrot,
les décors de bistrots, les devantures de bistrots. Le sujet est aussi
souvent facteur de nostalgie,
comme si l’espèce était en voie de
disparition. Voire sujet de recherches, lorsque les spécialistes se penchent sur l’histoire et la géographie
du phénomène. Biotope naturel du
spleen et du cafard accoudé au zinc
devant un ballon de côtes, il constitue un cadre idéal pour les héros
que la fiction, cinéma ou littérature,
veut bien y placer. En général, le patron y fait au mieux une figuration
en ronchonnant derrière son comptoir. Mais qu’il puisse être le centre
du récit, jamais.
En décidant de raconter l’antique
commerce de la limonade à travers
l’histoire singulière d’Yves Morlot
et de sa femme, Nathalie, qui n’est
pas un second rôle, Boisard emprunte une voie originale. Car loin
d’être l’archétype de l’Auvergnat, ou
un descendant de ces dynasties qui
font encore l’essentiel des comptoirs de la capitale, Morlot est né à
Paris en 1956 d’une mère ouvrière et
d’un père footballeur professionnel.
Cet homme, qui ne se remit jamais
d’avoir vu une promesse de carrière
coupée net par la mobilisation en
Algérie, meurt d’une cirrhose alcoolique à 47 ans. La mère part alors
travailler dans l’auberge de la tante
d’Yves, à Thiers. Et voilà l’Auvergne.
Le gamin a une dizaine d’années.
«Tout ce que j’ai vécu en Auvergne
[…], raconte Morlot à Pierre Boisard, je m’en souviens comme d’un
film triste.» Pourtant, dit-il aussi,
«mes clients s’imaginent que j’ai
suivi l’itinéraire classique des
Auvergnats venus ouvrir un bistrot
à Paris».
DÉTERMINATION
DES BOUGNATS
Comment ne le penseraient-ils pas?
D’après l’auteur, «il est en effet impossible d’ouvrir un café, un restaurant ou un bistrot à Paris sans un
visa délivré par l’empire auvergnat,
puissance aussi considérable que secrète». L’Auvergne, poursuit Boi-
Libération Jeudi 2 Juin 2016
u 25
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Dans un bistrot
parisien en 1953.
PHOTO PAUL ALMASY.
AKG-IMAGES
«Il est impossible
d’ouvrir un café, un
restaurant ou un
bistrot à Paris sans
un visa délivré par
l’empire auvergnat,
puissance aussi
considérable que
secrète.»
PIERRE BOISARD
auteur de la Vie de bistrot
sard, «a cette faculté surprenante et
unique d’ubiquité qui lui permet de
se manifester simultanément en
deux endroits à la fois». En gros,
dans une zone du Massif Central
dont le périmètre est si flou qu’il
provoque «le désarroi des géographes», et à Paris. Yves Morlot, dont
Boisard nous raconte l’interminable
bourlingue dans toute la France
avant son atterrissage au Martignac,
n’est certes pas l’héritier de l’un
de ces marchands de charbon du
Second Empire qui servaient aussi
un coup à boire au client et ont vite
compris que le vin était l’investissement d’avenir.
Des Auvergnats d’aujourd’hui, «on
dit que leur domination s’effrite et
que de nouveaux venus, Kabyles puis
Chinois, contestent leur suprématie,
note l’auteur. Néanmoins, selon les
sources les plus fiables, environ 60%
des CHR –en clair, cafés, hôtels, res-
taurants – seraient encore en leur
possession.» Il est toutefois curieux
qu’en partant de l’itinéraire d’un tenancier atypique, Pierre Boisard
parvienne à dessiner le tableau
d’ensemble des bistrots parisiens.
Mais Parisien d’origine et sans nostalgie particulière pour la terre des
ancêtres, Morlot a quand même
«partie liée à l’Auvergne». Arrivé
dans la capitale sans un rond, il se
précipite sur l’Auvergnat de Paris,
hebdomadaire où se trouvent les
petites annonces du métier. Bien
des années plus tard, alors que le
Martignac a été cambriolé, c’est la
communauté auvergnate qui va dépanner les époux Morlot pour
que leur commerce reparte au plus
vite. «Le bistrot est une création
auvergnate et un don des Auvergnats à Paris où ils se sont révélés à
eux-mêmes», résume Boisard. Beau
destin…
Cela ne s’est pas fait par la seule détermination de chaque bougnat. Le
livre décrit leur opiniâtreté historique mais aussi l’aide apportée par
les grands distributeurs de café et
de boissons que sont les Tafanel,
Cafés Richard et Olivier Bertrand,
auvergnats également. Créés dans
les années 30 pour les deux premiers et plus récemment pour le
troisième, ils approvisionnent les
bistrots mais font aussi office
d’agents immobiliers et, éventuellement, de banquier. «Avant d’être
concurrents en affaires, les Auvergnats font primer une entraide qui
a joué un rôle essentiel dans leur
conquête des cafés et restaurants
parisiens», écrit l’auteur. La communication n’est pas le point fort
de ces sociétés mais Boisard a récolté, de la bouche d’un autre patron, l’histoire d’un prêt en liquide
avec un taux d’intérêts fort bas.
Pour le prêteur, qui connaît les gens
du métier et la qualité des emplacements, le risque est faible.
BOUDINS ET TERRINES
A la recherche de cet «esprit bistrot»
qu’il tente de cerner, Boisard passe
des heures à, si l’on ose dire, cuisiner Yves Morlot. Qui ne lui donne
pas grand-chose à manger: «Je suis
bistrot parce que j’aime ça. Quand
on fait ce métier-là, le plus important, c’est d’aimer les gens et de chercher à leur plaire.» Ce postulat ne
l’empêche pas de raconter aussi
comment il remet les mauvais plaisants à leur place. A savoir: «Je vire
ceux qui ne me conviennent pas.»
Par exemple, la section locale du FN
qu’il a trouvée dans les meubles en
rachetant le fonds et qu’il a priée
d’aller se réunir ailleurs. Sur l’un des
grands miroirs du Martignac, on
peut lire : «Ici pas de wi-fi. Parlez-
vous !» Morlot cause en revanche
d’abondance de la cuisine, qu’en
tant que titulaire d’un CAP de charcuterie il accomplit jusqu’à la fabrication des boudins et des terrines.
Mais l’esprit bistrot peut-il se résumer au souci de la casserole ? En
s’incrustant toute une journée dans
les lieux, à partir de 5heures quand
même, Pierre Boisard a vu un
homme qui n’arrête jamais, commençant par cuire ses croissants du
matin et terminant avec les feuilletés de l’apéritif. Il pourrait aussi bien
acheter la viennoiserie à la boulangerie du coin et se contenter de cacahuètes. Mais peut-être que dans
ce cas d’espèce, l’esprit bistrot réside
aussi dans ce genre de choix.
Le plus étrange là-dedans, c’est que
si l’esprit du bistrot est difficile à définir, l’origine du mot n’est pas plus
simple. Pierre Boisard évoque l’hypothèse que l’on entend partout.
«En 1814, la Grande Armée napoléonienne est en déroute, poursuivie
jusqu’à Paris par l’armée du tsar
Alexandre Ier et ses régiments de cosaques. En garnison à Paris, les
vainqueurs ont soif mais sont interdits de sortie par leurs officiers.»
D’où les cris : «Bistro, bistro !», soit
vite, vite ! quand ils parviennent à
filer au cabaret. Est-ce l’origine ?
«On aimerait le croire mais les linguistes […] n’y accordent aucun crédit.» Entre 1815 et 1884, le mot n’apparaît plus nulle part. Après cette
seconde date, Pierre Boisard restitue le fil de ses occurrences au fil
du XIXe siècle, qui se multiplient
dans la littérature et dans les dénonciations de l’ivrognerie. Longtemps, le «bistro» s’est écrit sans son
«t» final. Longtemps, le terme a
désigné le patron. Le bistro, c’était
lui. Apparemment, c’est toujours
vrai aujourd’hui. •
PIERRE BOISARD
LA VIE DE BISTROT
PUF, 207 pp., 19 €.
26 u
Libération Jeudi 2 Juin 2016
LIBÉ WEEK-END
LIVRES/
Chaque samedi, dans Libération, retrouvez
huit pages spéciales consacrées à l’actualité
littéraire. Rencontre, cette semaine, avec
l’écrivain irakien Ali Bader, réfugié politique
à Bruxelles, dont Vies et morts de Kamal
Mehdat est le deuxième roman traduit en
français, l’histoire rocambolesque d’un violoniste juif irakien assassiné.
ESSAI
Soins personnalisés, à votre santé
Le philosophe Xavier Guchet
esquisse l’avenir de
la médecine contemporaine
à travers les avancées
technologiques et les
traitements ciblés.
à «la carte d’identité» génétique et cellulaire
du patient –mais non à ce qu’il «est» ontologiquement, existentiellement, moralement,
socialement, etc. Les tenants du cure triompheraient donc de nouveau sur ceux qui s’attachent au care – et il est fort probable que
cette victoire sera soutenue par tous si la médecine d’aujourd’hui, qu’elle se qualifie ou
non de «personnalisée», parvient à traiter de
plus en plus de pathologies aux réponses thérapeutiques encore insuffisantes, cancers,
diabètes, maladies cardiovasculaires ou neurodégénératives…
La position de Xavier Guchet est d’un extrême
intérêt, parce qu’elle sort justement de ce dilemme et propose une thèse tout à fait originale: c’est du foyer même de la médecine personnalisée – la médecine hautement
technicisée, qui applique prioritairement la
génétique et les biomarqueurs à la clinique,
et qui est accusée de n’être plus «humaine et
sociale»– que va sourdre un nouveau concept
de la personne. Au lieu donc de partir d’une
éthique de la personne, «pour juger en position de surplomb la médecine personnalisée»,
Guchet part de l’épistémologie et des techniques sophistiquées de cette médecine moléculaire, voire pharmacogénomique, pour
montrer que «sur ce plan, déjà, dans la fabrique même des concepts et des outils de diagnostic et des thérapies moléculaires, la médecine est contrainte d’assumer un concept de
personne irréductible aux molécules».
Par
ROBERT MAGGIORI
S
ans doute, depuis Hippocrate, la médecine s’est-elle toujours trouvée tiraillée
entre deux tendances: «prendre soin»
d’un sujet, momentanément malade, ou «traiter» une maladie, dont tel ou tel corps, indifféremment, est atteint. Il semblerait qu’avec
le temps, la première tendance, au moins
dans le discours médical, se soit imposée.
Pourtant, dans un texte daté de 1970, le psychanalyste Donald W. Winnicott craignait encore que le geste thérapeutique, le traitement
technique de la maladie (cure), ne «prenne le
pas» sur le soin (care), comme «intérêt et attention portés au patient qui souffre». Il est
certain que, du côté des patients, cette crainte
est bien réelle, d’être des «numéros» ou des
«corps sans nom» – parfois abandonnés sur
un brancard dans un couloir d’hôpital.
«Diagnostics». Aujourd’hui, le «nouvel horizon des politiques de santé à l’échelle internationale» est constitué par la «médecine personnalisée». L’appellation est rassurante, en
ce qu’elle indique que la médecine est une
pratique relationnelle, qu’elle associe indissolublement care et cure, et s’adresse à une personne, un sujet particulier, enraciné dans une
histoire, relié à un milieu social, professionnel, religieux, etc. Tout va bien, donc: le médecin traite enfin ses patients non comme des
«corps-objets soumis à ses savoirs» et aux
«pouvoirs des techniques médicales», mais
comme des «subjectivités singulières souffrantes» – et le patient ainsi humanisé s’en
trouve bien heureux. Mais ce n’est pas si simple, comme le montre dans la Médecine personnalisée le philosophe Xavier Guchet,
professeur à l’université de technologie de
Compiègne, héritier, quant à la pensée de la
technique, de Gilbert Simondon, et, sur le
versant de l’épistémologie biomédicale, de
Georges Canguilhem.
Depuis les années 90 –autrement dit depuis
le «tournant génétique» de la cancérologie et
le rôle paradigmatique attribué à l’activité des
proto-oncogènes cellulaires (qui «ne remplissent plus leur fonction régulatrice et deviennent des oncogènes, favorisant la survenue et
le développement des cancers»)– la «médecine
personnalisée» fait l’objet d’innombrables
débats, dus entre autres au fait que son nom
est assez ambigu. On pense intuitivement
qu’elle désigne une médecine ad personam,
où personne aurait, disons, le sens philosophique de sujet doté de conscience de soi,
Impact. La Médecine personnalisée est un
La médecine personnalisée est au cœur d’innombrables débats. L.LAWRY. COSMOS
en possession d’une identité, capable d’actions morales, porteur de liberté et de responsabilité. En réalité, dans le langage épistémologique contemporain, le programme de
la «médecine personnalisée» – qui implique
tous les acteurs de la santé, «chercheurs, cliniciens, pouvoirs publics, industriels, associations de patients» et qui, soumise au marché
libéral, fait la fortune des grands laboratoires
pharmaceutiques– se réfère à la «promesse de
diagnostics et de thérapies finement adaptés
aux caractéristiques génétiques de chaque patient pris individuellement», et à l’améliora-
tion de ces traitements grâce aux nouvelles
technologies du séquençage à très haut débit
des génomes, aux puissants outils d’analyse
des réseaux d’interactions moléculaires complexes, de biostatistique et de modélisation
informatique.
ouvrage très rigoureux, dense, soutenu par
d’impressionnantes connaissances philosophiques et médicales (aussi certaines pages
sont-elles ardues), qui devrait avoir le même
impact que les premiers travaux de Simondon ou de Canguilhem, voire –toute distance
de pensée gardée– de Michel Foucault sur le
bio-pouvoir, et qui, surtout, pointe des problèmes de santé, de politique de santé, de
rapports entre soignants et soignés, auxquels
personne ne peut se dire étranger. On laissera
découvrir la façon dont, après avoir dessiné
le contexte historique et scientifique où
émerge la médecine personnalisée, Xavier
Guchet rapproche le «biomarqueur moléculaire» de la notion de «trace» que l’on trouve
chez Emmanuel Levinas et Jacques Derrida,
afin de montrer que «dans sa signification
biologique et dans sa valeur clinique», il est
essentiellement lié à ce qui, «au-delà de toute
choséité», fait «la spécificité de la personne
humaine» –c’est-à-dire la transcendance. «En
accumulant et traitant des données moléculaires en masse, on ne trouvera jamais la personne», a-t-on dit. Et si ce n’était plus vrai? •
Biomarqueurs. Elle traduit donc une
conception «exclusivement biologique et moléculaire» de la «personnalisation»: la thérapie
génique, qui fait naître beaucoup d’espoirs,
notamment en cancérologie, est en ce sens
une thérapie individualisée, ciblée, adaptée
XAVIER GUCHET
LA MÉDECINE PERSONNALISÉE.
UN ESSAI PHILOSOPHIQUE
Préface de Frédéric Worms.
Les Belles Lettres, 432 pp., 23,50 €.
Libération Jeudi 2 Juin 2016
À SAVOIR
Animation Riad Sattouf (photo) est le parrain
Mouvement Lectures, projections, perfor-
cette année du Pari des libraires, grande fête
qui a lieu le vendredi 3 juin dans une centaine
de librairies parisiennes. L’auteur des Cahiers
d’Esther (Allary) lance la manifestation ce jeudi
à 19 heures à la Maison de la poésie. Il présente
sa bibliothèque idéale. PHOTO YANN RABANIER
Maison de la poésie, 157, rue Saint-Martin, 75003.
Rens. : www.parislibrairies.fr
mances : la Maison de la poésie de Nantes propose une soirée «Général Instin» ce jeudi à
19 h 30 au Lieu unique (photo). Patrick Chatelier,
Cécile Portier, Lucie Taïeb, Eric Caligaris et
Guénaël Boutouillet présentent ce collectif
dont deux livres viennent de paraître aux
éditions du Nouvel Attila. J. LOÏC. PHOTONONSTOP
Lieu unique, 2, quai Ferdinand-Favre, Nantes (44).
DOCUMENT
SCIENCES
L’Arcouest 1930. A gauche,
Jean Perrin. A droite,
Charles Seignobos à côté
des filles Curie et de
Frédéric Joliot-Curie.
PHOTO MUSÉE CURIE, COLL. ACJC
génieur. Il est aussi le seul du
groupe à fréquenter l’autochtone. En 1935, Irène et Frédéric
Joliot-Curie décrochent le prix
Nobel de chimie, ça nous en fait
quatre pour l’Arcouest.
«Illusion». Ils se détendent,
«Sorbonne plage»,
atomes crochus
Retour sur ce lieu
de villégiature
breton fréquenté
au début
du XXe siècle
par le groupe
de l’Arcouest,
composé
d’intellectuels
et de savants, dont
quatre Prix Nobel.
C
e sont des progressistes
doublés de scientifiques
de haute volée, qui
œuvrent pour le bien de l’humanité et contribueront à sa
perte, si on peut raccourcir
ainsi le chemin qui mène de la
découverte du radium à la
bombe atomique lâchée sur
Hiroshima. Ils ont été dreyfusards, ils seront socialistes,
voire communistes, et inspirateurs du Front populaire. Chaque été, ils se retrouvent dans
un coin de Bretagne qu’ils ont
colonisé. C’est là qu’Edouard
Launet les a trouvés: une trentaine de familles en villégiature
avant la guerre – et encore un
u 27
www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe
peu aujourd’hui –, qu’on appelle le groupe de l’Arcouest, du
nom de la presqu’île dont Louis
Lapicque, pionnier de la neurologie, et l’historien Charles Seignobos, sont tombés amoureux
à la fin du XIXe siècle.
Scandale. Au bout de cette
«longue avancée rocheuse entre
Paimpol et l’île de Bréhat», Liliane Bettencourt a une villa qui
lui vient de son père, mais c’est
une autre histoire. Ici, on est
entre intellectuels, anciens élèves de l’Ecole normale supérieure et professeurs à la Sorbonne. On dit aussi, à propos de
leur communauté, «Sorbonne
plage», et c’est le titre choisi par
l’auteur pour son enquête.
Après Lapicque (oncle et père
adoptif du peintre Charles
Lapicque) et Seignobos, qui se
font construire une maison, arrivent deux autres professeurs
(à la Sorbonne), le chimiste Victor Auger dont le fils Pierre donnera dans la physique atomique, l’historien Georges Pagès,
puis Jean Perrin, futur Prix Nobel de physique (1926), Emile
Borel, mathématicien sorbonnard, et sa femme, la romancière Camille Marbo, Prix Femina 1913.
En 1912, les Perrin et les Borel
viennent au secours de leur
amie Marie Curie, veuve dont la
liaison avec Paul Langevin vaut
scandale à Paris. Elle est deux
fois Prix Nobel, mais ça ne fait
pas une vertu. Marie Curie
s’installe à l’Arcouest, vient lessiver dans les eaux froides de la
Manche l’affront dont elle est
l’objet, et marche pieds nus sur
les rochers, rapportent les journalistes. Elle est là avec ses
filles, Irène et Eve. La seconde
écrira la biographie de sa mère,
où on peut lire : «Les demeures
d’été de Marie Curie se ressemblent toutes. Dans un grand terrain, une villa exiguë. Des pièces
mal arrangées, presque délabrées, garnies de pauvres meubles. Et une vue sublime.» La
première, Irène, épouse un original, Frédéric Joliot. Il n’est
même pas normalien, il est in-
nagent, dansent, chantent et se
marient entre eux. Première
Guerre mondiale: «Cette gauche
universitaire dreyfusarde et
ardente met sa science au service
du grand effort national», écrit
Launet. Vingt ans plus tard,
l’horizon est noir: «La science
pensée comme force libératrice
alliée aux belles lettres et au socialisme va bientôt apparaître
pour ce qu’elle est: une illusion.»
Tout en évoquant jeux, sorties
en mer et films de vacances,
Edouard Launet fait le point sur
les travaux en cours, fission du
noyau atomique, réaction nucléaire en chaîne, découvertes
qui aboutissent au champignon
en passant par des cerveaux
français, allemands, américains,
et hongrois (Leo Szilard). La
boucle est bouclée lorsque les
cendres de Paul Tibbets –commandant du bombardier qui a
largué la première bombe atomique, le 6 août 1945– ont été
dispersées dans la Manche.
La prédilection d’Edouard Launet pour cette mer qu’il voit
verte est connue, elle a donné
lieu à un livre, le Seigneur des
îles (Stock, 2014). Quant au
goût de l’auteur pour les sérieuses bizarreries, il a nourri
maintes chroniques dans Libération, «On achève bien d’imprimer» (sur les mœurs littéraires), mais aussi «Au fond du
labo à gauche».
CLAIRE DEVARRIEUX
ÉDOUARD LAUNET
SORBONNE PLAGE
Stock, 214 pp., 18 €.
Tout en évoquant les jeux, sorties
en mer et films de vacances de
ces scientifiques idéalistes, l’auteur
fait le point sur leurs découvertes
qui aboutiront, malgré eux,
à la création de la bombe atomique.
Chronologie
d’un crash
mystérieux
Un an et demi après la mort de
l’ex-PDG de Total Christophe
de Margerie, une enquête
revient sur les circonstances,
non éclaircies, du drame.
O
n ne saura jamais avec certitude
si l’accident d’avion dans lequel
l’ex-patron de Total Christophe
de Margerie a trouvé la mort le 20 octobre 2014 à Moscou, n’a découlé que d’un
terrible enchaînement de circonstances.
Toujours planera le doute : et si cela n’avait
pas été un accident ? Muriel Boselli a le
mérite de poser ouvertement la question
dans ce livre qui retrace, outre le parcours
de cet homme hors norme, toutes les heures et tous les incidents qui ont précédé le
drame. A la lire, on ne peut s’empêcher
d’être troublé. Ce n’est plus un document,
c’est un roman d’espionnage ! «Résumons,
écrit-elle. Le pilote, les yeux rivés sur la
piste, aperçoit quatorze secondes après
s’être élancé sur la piste un “camion” dont il
voit les gyrophares, sans que cela suscite
chez lui de réaction d’urgence. Puis, quatorze secondes plus tard, alors que l’avion
s’apprête à prendre de l’altitude, le pilote
revoit l’imposante déneigeuse Schmidt
Supra 5001, mais cette fois il est trop tard.
Comment est-il possible que le pilote ait
aperçu une première fois la déneigeuse
traverser le tarmac, mais ne l’ait pas vue
revenir ?» Et comment imaginer que le
conducteur de la déneigeuse percutée
par le Falcon n’ait à aucun moment vu ou
entendu l’avion ? Surtout que, contrairement à ce qui a été dit dans un premier
temps, il n’était pas saoul ! Et comment
expliquer qu’il soit sorti indemne d’une
telle collision ? Ces questions, un homme
refuse de les garder sans réponse : le mari
de Ruslana, l’hôtesse ukrainienne
de 39 ans qui a péri ce soir-là. Mais peu
de chance qu’il soit fixé un jour.
Incroyable destin que celui de Christophe
de Margerie, qui était «plus un homme
d’Etat qu’un chef d’entreprise» tant ses réseaux étaient puissants avec les grands de
ce monde. Muriel Boselli rappelle ainsi
qu’en 1990, c’est lui qui a insisté pour que
Total avance plusieurs millions de dollars
au Qatar qui, à l’époque, n’avait pas les
moyens de développer l’énorme potentiel
de l’émirat. Un prêt dont celui-ci, devenu
quatrième producteur de gaz naturel au
monde, sut se souvenir.
A.S.
MURIEL BOSELLI
L’ÉNIGME MARGERIE
Robert Laffont, 270 pp., 20 €.
Libération Jeudi 2 Juin 2016
www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe
Poubelle la vie
Shirley Manson La chanteuse charismatique
du groupe Garbage refuse qu’il y ait une date
de péremption pour les femmes artistes.
Q
uand Shirley Manson entre dans la pièce, elle n’a jamais paru aussi jeune. De cuir et court vêtue, cheveux
roses, paupières bleues, ongles pailletés, elle a une allure de lolita désaxée. Mais lorsqu’elle se rapproche, l’Ecossaise a bien le visage de son âge, soit un demi-siècle, ou presque. Même si son groupe Garbage n’a jamais cessé d’exister
et sort son sixième album, il est emblématique des années 90
où ses hymnes queer et sarcastiques ont fait ondoyer les clubs.
Fort d’un succès critique et commercial culminant en 1999,
quand le groupe a composé une chanson du James Bond,
il représente l’underground qui séduit le grand public, sensibilisé aux affres des rockeurs depuis le suicide de Kurt Cobain.
Shirley Manson, la chanteuse explosive, seule femme au milieu de trois hommes, l’Ecossaise expatriée chez les Américains, mal dans sa peau, détaillant sa détresse dans ses paroles, ne s’est pas collé un pistolet sur la tempe, mais faisait
l’effet d’une bombe à retardement.
«Supervixen». Aujourd’hui, elle semble aller bien. Malgré
plusieurs décennies passées sur le sol américain, elle a gardé
son accent écossais et roule toujours les «r». A l’aise, elle détaille ses réponses, ne prend pas la mouche quand on sous-entend que son heure de gloire est derrière elle, explose parfois
d’un rire qui secoue l’espace, notamment lorsqu’elle plaisante
sur ses cheveux couleur Barbie («on me dit d’arrêter, mais c’est
la première fois que je me sens aussi bien, je sais, je suis incroyablement immature»). Elle est venue défendre seule Strange
Little Birds, un album difficile à juger tant sa voix fait toujours
sonner Garbage comme du Garbage. Malgré la nostalgie bienveillante qu’il évoque, il manque de fraîcheur, la propension
historique du groupe à la grandiloquence n’étant
plus compensée par l’ironie. La chanteuse revendique une forme d’honnêteté: «On voulait un disque
authentique par rapport à l’époque, donc sombre et
chaotique. Quand on allume la radio, il n’y a que de la pop
joyeuse, c’est terrifiant. Ça donne l’impression d’une déconnexion totale avec la réalité.»
«Only Happy When It Rains». Chez elle, la quête
d’authenticité n’est pas une lubie, mais a plutôt été un moyen
de survie. «Mes trente premières années, j’ai eu le sentiment
que je n’étais pas faite pour cette terre», se souvient-elle. D’où
cela venait-il? Un sourire éclaire son visage, semblant signifier
une multitude de possibles: sa position merdique au milieu
de la fratrie, sa dent de devant cassée et remplacée par une
couronne métallique «qui [lui] a appris à ne pas sourire», sa
couleur naturelle de cheveux (rousse), sujet de moquerie…
Elle s’est mise à détester son corps, et sa réussite professionnelle n’a pas suffi à panser son ego blessé. Castée par les autres
membres du groupe pour être chanteuse, elle est devenue une
force créatrice à leur égal. Sa présence a permis à Garbage de
percer. «Je pensais que le succès me ferait me sentir mieux,
admet Shirley. En 1998, alors qu’on était numéro 1 dans une
quinzaine de pays, je me souviens avoir explosé en larmes dans
Hyde Park parce que rien n’avait changé, je n’avais pas échappé
à moi-même.» L’anxiété n’empêche pas d’être charismatique:
le groupe a toujours capitalisé sur son physique étrange
(les yeux écartés, les pommettes saillantes), la mettant au
centre des clips où elle alpague la caméra, vénéneuse et
déglinguée.
«Not My Idea». Le succès vacille après deux albums. Beautiful Garbage (2001) est bien reçu, mais peu vendu. Le petit label
de Garbage se fait ingérer par une major estimant que vendre
un million d’albums ne suffit pas. «Il voulait de la musique
“commerciale” quoique ça veuille dire. Il fallait courir après
une chimère», se souvient Shirley Manson. Le groupe préfère
partir pour «rester fidèle à
[s]es principes». De manière
à peu près concomitante, la
n 26 août 1966
chanteuse, qui avait signé
Naissance
pour un album solo chez une
à Edimbourg.
autre major, se fait rembarrer
n 1995 Premier album
avec son «disque arty». On lui
Garbage.
demande d’être une «popn 10 juin 2016
star internationale, ambiSixième album :
tieuse», avant de lui annonStrange Little Birds
cer que, de toute façon,
(Stunvolume – Pias).
elle est «trop vieille pour
passer à la radio». L’absurdité de l’histoire fait sourire. Elle reprend, sérieuse : «Vous
trouvez ça drôle, mais c’est accablant de penser que quoi que
tu fasses, on ne t’écouteras pas parce que tu es une femme et tu
es vieille.» D’autant que les hommes, eux, ne perdent jamais
leurs galons de rock-star.
«Dog New Tricks». La médiocrité du milieu n’a pas rendu
Shirley amère, au contraire. Elle n’est pas nostalgique de l’époque où personne ne supposait que la musique pouvait être
gratuite. «Dans les nineties, il y avait beaucoup trop d’argent
et d’excès. Le milieu grouillait de boulets qui voulaient squatter
les limousines des rock-stars… aujourd’hui, ceux qui bossent
encore là sont passionnés et talentueux.» Sa seule réelle critique envers le business du disque concerne le manque de
diversité parmi les représentantes du sexe féminin. «C’est toujours des filles extrêmement jolies, populaires, divertissantes,
avec des voix exceptionnelles comme Beyoncé ou Lady Gaga
que l’on entend. Tant mieux pour elles. Mais j’aimerais aussi
savoir ce que des artistes plus discrètes, provocantes et bizarres
ont à dire. Des Joanna Newsom ou Karen O.»
«A Stroke of Luck». C’est pourtant grâce à une pop-star
que Shirley s’est tirée de sa mélancolie. A une baby shower
chez Gwen Stefani, l’Ecossaise rencontre un scénariste qui
lui propose de jouer dans une adaptation télévisée de Terminator. Il trouvait qu’elle ferait «un parfait robot» (sic). Dans
les faits, le costume de Cyborg sied bien à Shirley, mais on ne
saura rien de son potentiel dramatique: son rôle se limitant
à afficher un visage impassible pour zigouiller des innocents
à l’aide de ses bras en acier et de conclure à chaque fois son
carnage par une vanne nulle. Peu importe, Shirley se sent
mieux. Une expo consacrée à Louise Bourgeois achève de lui
remonter le moral: «Je me suis rendu compte qu’elle continuait
de créer à 90 ans.» Garbage se remet au travail, fonde son
propre label et sort un nouvel album en 2012.
«Fix Me Now». Aujourd’hui, Shirley semble avoir une vie
paisible. Elle vit à Los Angeles, mariée à un ingénieur du son,
«un homme très tendre qui n’est pas guidé par la testostérone». Ils forment un couple équilibré :
«J’ai l’impression de me reconnaître dans certains
comportements “masculins”, notamment au niveau
de l’agressivité. Dans le groupe, c’est moi qui ai des couilles.»
Elle n’a pas d’enfant, «répugnée» par l’exemple de sa mère qui
s’est «sacrifiée» pour elle et ses sœurs, elle s’estime de toute
façon trop autoritaire pour s’occuper de jeunes humains,
elle préfère élever des chiens. Et continuer d’user de son droit
à créer. Puisqu’elle ne se considère pas comme une entertaineuse ou une pop-star, mais comme une artiste, elle estime
ne pas avoir de date de péremption. A raison. •
Par ELVIRE VON BARDELEBEN
Photo PAUL ROUSTEAU

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