À 9 ans, je suis devenu noir dans le regard de l`autre

Transcription

À 9 ans, je suis devenu noir dans le regard de l`autre
N° 34 – FÉVRIER 2012
ÉDITION NATIONALE
DOSSIER Spécial
ÉLECTIONS 2012
Débats, médias,
élus de la diversité
ACTU
La loi contre les
« nounous voilées »
soulève un tollé
Imprimé sur du papier recyclé. Ne jetez pas ce magazine sur la voie publique : donnez-le. Merci !
ÉCONOMIE
Les MDD halal
surfent sur la crise
BEAUTÉ
Aimer et
se sentir aimée
LiliAN THURAM
« À 9 ans, je suis devenu Noir
dans le regard de l’autre »
SALAMNEWS N° 34 / FÉVRIER 2012
SOMMAIRE
ÉDITO
En avant toute !
ACTU
6 Selon Benoît Hamon, « le PS ne devra pas
A
adopter » le texte anti-nounous voilées
France-Palestine : les Assises
de la coopération décentralisée, à Hébron
Droit de vote des étrangers :
le clivage gauche-droite
favorisées par la crise
SPORT
8 Le sport, ascenseur salarial
© Lahcène Abib
ÉCONOMIE
6 Halal 2012 : les marques de distributeur
Thierry Henry, sportif français
le mieux payé
TÊTE D’AFFICHE
16 Lilian Thuram « À l’âge de 9 ans, je suis devenu Noir dans le regard de l’autre »
CULTURE
20 Tahrir : touche pas à ma Place !
BEAUTÉ
18 Oum : « Rien de tel que de s’aimer
© D. R
Zarafa, une girafe pas comme les autres
et de se sentir aimée »
De VOUS À NOUS
22 Faire son deuil
FOCUS
Spécial ÉlECTIONS 2012
10 La campagne présidentielle est lancée
11L’appel à voter à bout de souffle ?
1 3 Médias sous influence
14 Qu’est-ce qu’un élu de la diversité, au juste ?
Salamnews est édité par Saphir Média, SARL de presse au capital de 10 000 euros.
Salamnews : 113-115, rue Danielle-Casanova – 93200 Saint-Denis – Fax : 09 81 70 00 91
Directeur de la publication : Mohammed Colin. N° ISSN : 1969-2838. Dépôt légal : février 2012.
Directeur commercial : Mourad Latrech – 09 81 72 10 72. Directeur de la rédaction : Mohammed Colin.
Rédactrice en chef : Huê Trinh Nguyên. Journalistes : Mérième Alaoui, Hanan Ben Rhouma, Mounir Benali,
Nabil Djellit, Nadia Henni-Moulaï, Karima Peyronie. A participé à ce numéro : Chams en Nour.
Rédaction : [email protected] – 09 81 78 10 72 – www.salamnews.fr
Conception graphique : Pierre-André Magnier.
Imprimé en France. Tirage : 130 000 exemplaires. Photo de couverture : © Lahcène Abib
© SFG
Le Web politique prend le pouls
de la société
u risque de paraître naïfs auprès
de nos plus anciens, nous n’avions
pas vu venir le coup.
Oui, parce qu’ingénus que nous sommes,
ce tir a été porté d’un endroit – en l’occurrence le Sénat fraîchement élu et passé à
gauche –, sur lequel on ne portait aucun
soupçon. Nous pensions, au contraire, que
cette honorable assemblée allait apaiser les
humeurs.
Alors, de là à imaginer que des sénateurs
de gauche – en soumettant les assistantes
maternelles accueillant des enfants chez
elles à « une obligation de neutralité en
matière religieuse dans le cours de son activité
d’accueil d’enfant » – surenchérirait une
laïcité culturelle et identitaire, davantage
à droite même que l’UMP…, il y avait de
quoi fumer des produits plus ou moins
illicites !
Mais ce qui est à souligner, c’est la motivation affichée, prétendument pour éviter
l’endoctrinement des jeunes esprits, qui a
conduit au vote de cette loi, car elle en dit
long sur le climat ambiant. Nous sommes
désormais pleinement dans l’ère du soupçon permanent envers celles et ceux qui
ont un lien, proche ou lointain, avec l’islam. Si nous n’y prenons pas garde, ce lien
deviendra bientôt un délit en France. Pour
le moment, le soupçon est tenace puisqu’il
se poursuit jusque dans la sphère privée.
Et c’est là une très grande nouveauté que
de vouloir instaurer une neutralité dans le
foyer familial, dont l’espace de vie est tout
sauf neutre.
Avec cette loi, on pourrait alors exiger de
décrocher la photo de la figure paternelle
en voyage à La Mecque ou celle de la communion du petit dernier, et, pourquoi pas,
de les remplacer par un portrait de
Marianne pour s’assurer d’une loyauté
100 % républicaine ! ■ Mohammed Colin
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SALAMNEWS N° 34 / FÉVRIER 2012
4
ACTU
w Pour plus d’actus, saphirnews.com,
le premier quotidien musulman d’actualité
SOCIÉTÉ
Selon Benoît Hamon, « le PS ne devra pas
adopter » le texte anti-nounous voilées
SPECTACLES
© Mathieu Delmestre / Solfé Communications
LAÏCITÉ. Le texte de loi visant à étendre
l’obligation de neutralité religieuse aux
structures privées en charge de la petite
enfance a été adopté dans son intégralité
en première lecture au Sénat, mardi 17
janvier. Le Rassemblement démocratique
et social européen (RDSE, à majorité
radicaux de gauche), à l’initiative du texte,
et le PS ont voté pour. Toutefois, la gauche,
en majorité au Sénat, est apparue divisée
sur le sujet. Sur l’ensemble du texte, les
communistes se sont abstenus, les écologistes ont voté contre, tandis que l’UMP
s’est partagée entre abstentions et
contre.
Le bureau national du Parti socialiste ne
s’est pas encore prononcé officiellement
au sujet de cette proposition de loi (PPL),
mais une voix de la plus haute importance
se fait entendre : celle de Benoît Hamon,
qui n’est autre que le porte-parole du
PS.
Dans un entretien accordé à Saphirnews
mardi 24 janvier, il s’oppose fermement
à la PPL, qu’il juge comme « incompréhensible » et « inconstitutionnelle », assurant
AGENDA
avoir été « surpris » par l’initiative, car « le
bureau national n’a jamais été saisi de la
question alors que c’est une décision lourde
qui nous engage quelque part ».
C’est bien l’article 3 du texte, proposant
d’étendre le principe de neutralité politique et religieuse aux assistantes maternelles exerçant à domicile, qui suscite les plus
vives réactions du porte-parole. « L’État
n’a pas à légiférer dans la sphère privée au
point d’interdire aux femmes musulmanes
voilées de ne pas pouvoir être assistante maternelle à domicile : cela relève du libre choix
des parents qui décident de confier leurs
enfants. Une proposition telle que celle-ci ne
passera même pas le cadre de la Constitution », prévient-il. ■ Hanan Ben Rhouma
RENCONTRES
Semaine
anticoloniale
Une « semaine »
qui dure un mois,
riche en colloques,
ciné-débats, théâtre,
salon… Point d’orgue,
les 25 et 26 février,
avec la remise du prix
Frantz Fanon et du prix
du livre anticolonial.
w Du 7 février
au 11 mars
À Paris, Saint-Denis,
Aubervilliers, Bordeaux…
Programme complet
sur : anticolonial.net
INTERNATIONAL
France-Palestine : les Assises de
la coopération décentralisée, à Hébron
EXPOSITION
© cgfrancejerusalem
PAIX. Les Assises de la coopération décentralisée franco-palestinienne se sont tenues
les 23 et 24 janvier à Hébron, en Cisjordanie, en présence du Premier ministre
palestinien Salam Fayyad et du ministre
français chargé de la Coopération Henri
de Raincourt.
Cette rencontre, la troisième du genre mais
la première à se tenir dans les Territoires
occupés palestiniens, a réuni 400 participants, dont 200 élus et représentants de
collectivités locales françaises, engagés dans
des accords de coopération avec les villes
palestiniennes. « Un vrai succès », qui
témoigne de la vigueur de l’engagement
des collectivités « au service du développement et de la paix », selon Claude Nicolet,
président du Réseau de coopération décentralisée avec la Palestine.
Un nouveau fonds pour la coopération
décentralisée franco-palestinienne pourrait bien voir le jour en 2013 pour développer les relations bilatérales, notamment avec des zones difficiles que sont
Gaza, la zone C (sous contrôle d’Israël) et
Jérusalem-Est. Une convention d’aide
de la France à hauteur de 10,5 millions
d’euros visant à améliorer l’alimentation
en eau au nord de la Cisjordanie a été
signée. ■ Hanan Ben Rhouma
Made in WIP
Révolution(s)
Coup de projecteur
sur l’effervescence
artistique du monde
arabe en pleine mutation
démocratique. Théâtre,
chorale, danse, films et
débat avec les artistes
venus d’Égypte, du Liban,
de Tunisie et d’ailleurs.
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Paris 19e
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Muslim Pride :
dépasser les
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et pédagogique sur
les relations entre islam,
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les étudiants de l’IEP
d’Aix-en-Provence,
en partenariat
avec l’Observatoire
du religieux. En parallèle,
des débats et
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POLITIQUE
Droit de vote
des étrangers :
le clivage
gauche-droite
INTÉGRATION. Le 8 décembre, la proposition de loi sur
le droit de vote et d’éligibilité
des étrangers aux municipales,
dans les cartons du PS depuis
1981, a été approuvée par le
Sénat (dont la nouvelle majorité est à gauche), à quelques
voix près : 173 voix pour, 166
voix contre…
Une victoire plutôt symbolique,
puisque la proposition de loi
doit ensuite passer en deuxième
lecture à l’Assemblée nationale… à majorité UMP. Cette
proposition de loi montre ainsi
le fort clivage qui oppose la
gauche et la droite sur la question d’une France plurielle.
Selon un sondage IFOP (déc.
2011), tandis que 55 % des
Français seraient favorables au
droit de vote des étrangers résidant depuis plus de cinq ans en
France, ils ne sont que 48 % à
se déclarer favorables à leur éligibilité aux élections locales. On
note que le droit de vote et
d’éligibilité remporte une plus
forte adhésion des sympathisants de gauche (76 %) au
contraire des sympathisants de
droite (31 %, dont 37 % chez
les proches de l’UMP et 20 %
chez ceux du Front national).
« Ce sont ici deux visions philosophiques de la citoyenneté qui
s’affrontent, explique Jérôme
Fourquet, directeur du département Opinion de l’IFOP.
Une vision d’une citoyenneté
comme une appartenance à une
nation et une vision de gauche,
qui défend un droit de participation à la vie de la cité locale
pour les personnes étrangères,
économiquement intégrées à cette
cité. » ■ H. T. N.
SALAMNEWS N° 34 / FÉVRIER 2012
6
ÉCONOMIE
Halal 2012 : les MDD favorisées par la crise
CONCURRENCE. Jusqu’en
décembre 2010, la marque
Wassila du groupe Casino était
la seule marque de distributeur
(MDD) active sur le marché
du halal en France. Carrefour
l’a depuis intégré en lançant
sa propre marque, Carrefour
Halal ; et, selon Abbas Bendali, directeur du cabinet Solis
spécialisé dans les études de
marketing et de consommation, la crise économique est
favorable au développement
de nouvelles MDD.
Celles-ci sont en effet perçues
comme étant moins chères,
au détriment des marques
nationales et historiques déjà
implantées dans les grandes
et moyennes surfaces (GMS).
« C’est une logique du marché.
Avec le lancement de nouvelles
MDD, nous prévoyons une
concurrence plus vive entre les
distributeurs et les industriels. »
La crise économique,
un challenge
pour les industriels
Le circuit d’écoulement des
produits alimentaires halal
passe encore, pour la plus
grande partie, par les commerces traditionnels comme
les boucheries musulmanes,
les épiceries ou encore les
marchés, mais les enseignes
poursuivent « le développement
de leur offre halal, avec une
stratégie merchandising volontariste et qui sera plus affinée en
2012 », précise l’agence Solis.
« Une vraie bataille entre les
marques », estime M. Bendali,
qui dit s’attendre à « plus de
promotions pour les produits, y
compris hors période du mois du
Ramadan ».
Des consommateurs
« plus avertis »
Reste à savoir si les consommateurs de culture musulmane
seront vraiment séduits par ces
nouvelles stratégies. L’affaire
des Knacki Herta (compor-
© Lahcène Abib
Dans le contexte de crise économique, les grandes enseignes
devraient pouvoir rattraper leur retard dans le secteur du halal,
en lançant leurs propres marques de distributeur (MDD).
Le marché du halal poursuit
sa croissance en 2012, mais la crise
économique a considérablement ralenti
son rythme et tend à la concentration
des entreprises de ce marché.
tant, selon une étude, des traces d’ADN de porc) les avaient
mis en émoi en début d’année
2011. Face aux craintes du
« faux halal », 53 % des sondés
déclarent n’acheter que les produits certifiés par des organismes de contrôle bien précis et
40 % n’achètent leurs produits
que dans des commerces tenus
par des musulmans. ■
Hanan Ben Rhouma
8
sport 114
SALAMNEWS N° 34 /FÉVRIER 2012
w Sur 182 pays répertoriés, à 114 reprises, le sportif le mieux payé est
un footballeur. Le basketball arrive en deuxième position. Mais c’est le sumo
Hakuho (Mongolie) qui remporte la palme, avec un salaire de 400 000 $ par an.
© Dan Rowley / Colorsport / SIPA
Par Nabil Djellit
Thierry Henry,
sportif français
le mieux payé en 2011,
avec 18,3 M€
Avec un salaire
de 4,2 millions d’euros,
Thierry Henry est
le deuxième joueur
le mieux payé du
Championnat américain
derrière David Beckham.
Le sport, ascenseur salarial
Des salaires astronomiques, une machine à fric : pendant
que les Français se serrent la ceinture, le sport business tourne
à plein à régime. Explications.
INFLATION. Dans nos sociétés, le montant des
salaires des sportifs professionnels est de plus en
plus élevé. Pour expliquer cette évolution, deux
arguments sont généralement avancés : celui de
la brièveté de la carrière et celui des « compétences rares ».
Des sommes qui peuvent paraître indécentes au
commun des mortels et surtout en temps de crise,
mais qui se justifient par l’intensité émotionnelle
que provoquent les sportifs de haut niveau. Les
champions sont des fournisseurs officiels de rêve
et cela n’a pas de prix [lire l’encadré].
Au-delà de leur extravagance, si les chiffres choquent, c’est parce que dans nos sociétés les salaires jouent un triple rôle : ils participent à la
satisfaction des besoins, ils permettent de situer
leur détenteur dans l’échelle sociale, et ils transmettent un signal aux autres. Des salaires qui
peuvent même animer la défiance de certains.
Plus prompt à dénoncer l’inflation des émoluments des sportifs alors que les parachutes dorés
des grands patrons du CAC 40 bénéficient d’une
haute bienveillance, il y a un an et demi de cela
Nicolas Sarkozy avait animé le débat, se fendant
d’une attaque ciblée : « Je suis choqué par les
salaires mirobolants de certains footballeurs et de
certains sportifs. » Et comment ne pas souligner
l’absence de femmes dans le top 20 des sportifs
les plus payés de la planète ?
Bling-bling versus générosité
Que faire de cet argent ? Si le bling-bling l’emporte souvent dans les comportements ou les
investissements financiers, certains sportifs
conservent un comportement éthique. L’international franco-malien Cédric Kanté, lui, n’a
pas oublié d’où il venait : « J’ai envie d’investir
10 000 ou 20 000 € à chaque fois dans des boîtes
issues de la banlieue. J’y vois une opportunité et
un acte solidaire. » D’autres investissent dans
leur foi… En 2007, le geste du footballeur francomalien Frédéric Kanouté est resté célèbre. Alors
que le bail de la mosquée de Séville devait être
mis en vente, le joueur a débloqué une enveloppe
de 500 000 dollars (un an de salaire) pour acheter la mosquée de la ville et la mettre à disposition des croyants de la capitale andalouse.
Plus près de nous, la communauté musulmane
du nord de la France a également eu son mécène
sportif. Inauguré le 1er août 2011, la nouvelle
mosquée de Villeneuve-d’Ascq a profité de la
générosité du footballeur franco-sénégalais
Moussa Sow : on parle d’un don en dizaine de
milliers d’euros… ■
TRICOLORE. Les jambes de
Thierry Henry, 34 ans, tournent
moins vite, d’où l’idée pour le
Français de traverser l’Atlantique.
Sous contrat avec le club américain
des New York Red Bull, et même
s’il vient de faire une pige de deux
mois avec Arsenal, l’attaquant ne
connaît pas de baisse de régime au
niveau de ses émoluments.
En passant de Barcelone à New York,
le meilleur attaquant français de l’histoire a maintenu son revenu grâce à
un copieux salaire américain (5,6 M$,
soit 4,2 M€). La pub lui apporte le
reste, bien que son contrat mondial
(au moins 5 M€) avec Gillette se soit
terminé fin 2010. Il s’est d’ailleurs
laissé pousser la barbe depuis…
Malgré le désastre du Mondial français en Afrique du Sud, certains
annonceurs ont continué à lui faire
confiance. Du fait de sa belle cote
sur le marché britannique, Renault
UK a récemment lancé un spot dans
lequel Henry croise la stripteaseuse
Dita von Teese, icône de la mode.
Sur le podium des tricolores, on
trouve, juste derrière le champion
du monde 1998, son pote le basketteur Tony Parker avec 12,2 M€,
suivi de Karim Benzema, qui flirte
avec la barre des 10 M€. ■
LE TOP
1. Manny Pacquiao (boxe, Philippines)
et Alex Rodriguez (baseball, États-Unis) :
32 millions de dollars par an.
3. Kimi Raikkonen (rallye, Finlande) :
26,33 M$. – 4. Fernando Alonso
(Formule 1, Espagne) : 22,73 M$.
5. Johan Santana (baseball, Venezuela) :
21,64 M$. – 6. Valentino Rossi (moto,
Italie) : 20,80 M$. – 7. Cristiano Ronaldo
(football, Portugal) : 19,50 M$.
8. Carlos Beltrán (baseball, Porto Rico) :
19,33 M$. – 9. Carlos Tevez (football,
Argentine), Alfonso Soriano (baseball,
République dominicaine), Carlos Lee
(baseball, Panama) : 19 M$.
Source : ESPN Magazine.
SALAMNEWS N° 34 / FÉVRIER 2012
10
FOCUS
Spécial Élections 2012
© Haley / SIPA
« L’élection présidentielle
devra se faire avec la voix
de la banlieue », prévient
Mohamed Mechmach,
président d’AC le feu
(Association collectif,
liberté, égalité, fraternité,
ensemble, unis).
Ce collectif, né à la suite
des révoltes sociales
de 2005 qui ont secoué
la France après la mort
de Zyad et Bouna,
a incité les jeunes,
fin 2011, à s’inscrire
sur les listes électorales.
La campagne présidentielle
est lancée
C
Par Mérième Alaoui
Si Nicolas Sarkozy ne s’est pas encore officiellement déclaré candidat,
la campagne pour la présidentielle a bel et bien commencé.
Tous les candidats des partis de gauche et de droite
sont en piste pour la course à l’Élysée.
C’est avec un discours plus clivé, intrinsèquement de gauche et très en
opposition avec la politique de Nicolas
Sarkozy, jamais cité nommément, que
François Hollande a enfin lancé sa campagne qui tardait à décoller. À peine
les 25 000 militants socialistes venus
l’écouter au Bourget, le 22 janvier, sontils rentrés chez eux que les flingueurs de
l’UMP ont commencé à tirer. François
Hollande « n’a pas les mêmes priorités »
que les Français, déplore Xavier Bertrand. Le candidat du PS serait un «
candidat des années 1970-1980 », selon
Brice Hortefeux.
Et le CSA de compter scrupuleusement
les temps de parole des soutiens des
candidats, encartés ou non, depuis le
1er janvier 2012. François Hollande
n’est bien sûr pas le seul candidat en
lice... À gauche, Nathalie Artaud (Lutte
ouvrière), Éva Joly (Europe ÉcologieLes Verts, EELV), Jean-Luc Mélenchon
(Front de gauche). Le centre est partagé
par Hervé Morin (Nouveau Centre) et
François Bayrou (Modem), mais aussi
Patrick Lozès (Allez la France !). À droite,
Dominique de Villepin (République
solidaire) s’est lancé, mais aussi Christine Boutin (Parti chrétien démocrate),
Corinne Lepage (CAP21), Nicolas Dupont-Aignan (Debout la République),
Frédéric Nihous (Chasse, pêche, nature
et traditions, CPNT) et Marine Le Pen
(Front national, FN)... Les candidats à la
présidentielle sont nombreux.
Nicolas Sarkozy, quant à lui, préfère garder
son costume de président encore un peu,
avant de se dévoiler, vraisemblablement
en mars. La crise économique et ses conséquences ont commencé à investir les débats,
ce qui ne l’arrange pas du tout.
La crise économique
en toile de fond
La perte du triple A prononcée par l’agence
d’évaluation Standard & Poor’s, le 13 janvier, est un coup dur. « Cela va imprégner
la toile de fond de la campagne et servir
d’instrument pour délégitimer tel ou tel programme », estime Frédéric Dabi, directeur
www.salamnews.fr
52 %
w C’est la proportion des Français qui choisiront l’Internet pour suivre les présidentielles,
après la télévision (65 %), mais avant la presse écrite et la radio. (Source : OpinionWay, 2011)
du département Opinion de l’IFOP.
Laurent Fabius a ainsi dénoncé une « dégradation Sarkozy ». Pour l’ancien Premier ministre
socialiste, c’est principalement l’aggravation de
la dette de « 600 milliards d’euros depuis 2007 »
et la faiblesse de la croissance qui expliquent la
sanction de l’agence de notation. Même son
de cloche chez Dominique de Villepin : « La
dégradation de la dette signifie clairement l’échec
du quinquennat. » Un coup dur pour Nicolas
Sarkozy, qui, deux jours après la dégradation
financière de la France, a appelé les Français au
« sang-froid » dans « l’épreuve de la crise » et a justifié, face aux critiques, la poursuite des réformes.
Islam et laïcité,
thèmes faciles de campagne
L’autre grand sujet devrait être, sans surprise,
(encore) l’islam et la laïcité. François Hollande,
lors de son meeting du Bourget, s’est engagé à
inscrire dans la Constitution la loi de 1905 sur
la séparation des Églises et de l’État. La laïcité
« est une valeur qui libère et qui protège », a-t-il
déclaré sans s’expliquer plus. Il s’agirait d’« une
main tendue aux musulmans et une volonté d’arrêter de polémiquer en légiférant à tout-va », d’après
un cadre du parti.
Placer une loi dans la Constitution la rend
intouchable. « La proposition de François
Hollande représente un progrès », estime Jean
Baubérot, président d’honneur de l’École
pratique des hautes études (EPHE) et historien et sociologue de la laïcité. Si « en 1946,
la Constitution a déclaré que la République
est “laïque” (...) le contenu de la laïcité ainsi
constitutionnalisée est resté flou », expliquet-il. Or « la laïcité doit être indivisible, républicaine, démocratique et sociale », analyse
M. Baubérot. Au contraire de ce qui a prévalu dans les débats (identité nationale, voile
intégral…) qui ont eu lieu ces deux dernières
années : « Quand on dit “laïcité”, on pense en
fait “islam”. Cette équivalence est insupportable
», relève le chercheur. Il faudrait « cesser de
voir en l’islam un ennemi ! », prévient Esther
Benbassa, sénatrice EELV du Val-de-Marne
et directrice d’études à l’EPHE.
Rejet et drague des musulmans
Dans ce contexte, la proposition de loi visant à
interdire le port du voile au personnel de la petite
enfance en crèches publiques mais aussi à domicile votée en première lecture au Sénat (pour
la première fois majoritairement de gauche)
interpelle tout autant. Cette loi traduirait-elle la
position du bureau national du PS et celle du
candidat Hollande ? À en croire Benoît Hamon,
porte-parole du parti, il se dit « surpris » par cette
loi « incompréhensible et inconstitutionnelle » :
« Un dommage collatéral du débat sur l’identité
nationale », initié par la droite en 2009 et suivi
par de nombreux autres débats qui ont « beaucoup pollué l’espace public et démocratique au
point de brouiller les représentations dans les têtes
de nombreuses personnes, y compris au sein de la
gauche », nous déclare-t-il.
De fait, du Conseil français du culte musulman
(CFCM) au Collectif contre l’islamophobie en
France (CCIF), en passant par la Coordination
contre le racisme et l’islamophobie (CRI), les
Étudiants musulmans de France (EMF) et le
collectif Mamans toutes égales (MTE), tous
s’insurgent contre « le dernier délire laïcard et
islamophobe », selon le slogan du CRI. « Cette
proposition de loi constitue une violation du droit à
la vie privée consacré par la Convention européenne
des droits de l'homme et apparaît incontestablement
comme disproportionnée », ajoute Mohammed
Moussaoui, président du CFCM.
Pour une fois que l’UMP n’est pas visée par ces
cris d’indignations, le ministre de l’Intérieur
Claude Guéant en profite : « L’islam ne doit pas
être un sujet d’empoignades en 2012. » Déclaration surprenante après des années de coups de
boutoir…
Éva Joly veut aller plus loin dans la drague aux
musulmans. Beaucoup plus symbolique, elle
propose que les fêtes de l’Aid el-Kébir et de Yom
Kippour deviennent des jours fériés pour que
chaque religion « ait un égal traitement dans l’espace public ». Mais le CFCM n’est pas vraiment
séduit : « La proposition qui intervient à la veille de
grandes échéances électorales est inopportune, même
si cela part d’un bon sentiment » et les musulmans
ne sont pas dupes…
Les thèmes « islam » et « laïcité » continuent
d’être au cœur des débats politiques et il est très
probable que les Français de culture musulmane
ressentent davantage le besoin de s’exprimer par
la voix des urnes. Mais quel parti va en profiter ?
C’est la grande inconnue de ce scrutin tant le
vote des musulmans a été jusque-là disparate. En
2007, on se rappelle qu’une semaine seulement
avant le premier tour de l’élection présidentielle,
l’Union des organisations islamiques de France
(UOIF) avait appelé à voter François Bayrou…
Si la campagne a donc bien commencé, encore
faut-il que les nombreux candidats obtiennent
avant le 16 mars les 500 signatures d’élus d’au
moins 30 départements. En attendant, ils ne
sont que des candidats potentiels ou des candidats à la candidature. ■
11
CHRONO
■ 31 DÉCEMBRE 2011
Date limite d’inscription sur les listes
électorales
■ 23 FÉVRIER 2012
Décret de convocation des électeurs
et envoi des bulletins de parrainage
aux élus
■ 16 MARS 2012
Date limite de dépôt des 500
parrainages nécessaires aux candidats
■ 20 MARS 2012
Publication au Journal officiel de la liste
des candidats établie le 19 mars
par le Conseil constitutionnel
■ 9 AVRIL 2012
Début de la campagne électorale
officielle
■ 20 AVRIL 2012
Fin de la campagne officielle
pour le premier tour en Guadeloupe,
Guyane, Martinique, à Saint-Pierreet-Miquelon, Saint-Barthélemy,
Saint-Martin, en Polynésie française
et dans les ambassades et postes
consulaires situés sur le continent
américain (y compris Hawaï)
■ 21 AVRIL 2012
Fin de la campagne officielle
pour le premier tour
■ 21 AVRIL 2012
Premier tour de l’élection
en Guadeloupe, Martinique, Guyane,
à Saint-Pierre-et-Miquelon,
Saint-Barthélemy, Saint-Martin
et en Polynésie française
■ 22 AVRIL 2012
Premier tour de l’élection présidentielle
■ 5 MAI 2012
Second tour de l’élection en Guadeloupe,
Martinique, Guyane, à Saint-Pierreet-Miquelon, Saint-Barthélemy,
Saint-Martin et en Polynésie française
■ 6 MAI 2012
Second tour de l’élection présidentielle
■ 17 MAI 2012
Début du mandat du nouveau président
de la République
■ 3 JUIN 2012
Premier tour des élections législatives
en Polynésie et pour les députés
des Français de l’étranger
■ 10 JUIN 2012
Premier tour des élections législatives
en France métropolitaine, Guadeloupe,
Martinique, Guyane, à Saint-Pierreet-Miquelon, Saint-Barthélemy
et Saint-Martin
■ 17 JUIN 2012
Second tour des élections législatives
SALAMNEWS N° 34 / FÉVRIER 2012
12
FOCUS
Spécial Élections 2012
Par Mérième Alaoui et Nadia Henni-Moulaï
L’appel à voter à bout de souffle ?
Après le succès de 2006, des associations
ont remobilisé les quartiers jusqu’aux derniers jours de 2011,
pour sensibiliser les jeunes à voter.
MOBILISATION. Plusieurs associations ont
mené des campagnes de sensibilisation pour
encourager les jeunes électeurs potentiels à
s’inscrire sur les listes électorales avant la date
butoir du 31 décembre. L’association Cités en
mouvement, dont l’affiche met en valeur ses
membres habillés en men in black, propose de
s’armer d’une carte électorale. Dans le même
esprit, le collectif Armons les quartiers a diffusé
un visuel directement inspiré du film Scarface :
© D.R.
questions à
Pierre Guillou*
La France, contrairement aux
États-Unis, semble à la traîne
en matière d’outils numérique.
Êtes-vous d’accord ?
Concernant les candidats
à la présidentielle, leurs
démarches est assez similaires.
Que ce soit François Hollande
« Oyé Sapapaya, ça vous dirait d’aller voter avec
mon ami et moi ? » À Bobigny, l’association La
Balle au centre poursuit le combat avec le
même slogan : « Si tu ne t’occupes pas de la politique, c’est elle qui s’occupera de toi. » D’après un
sondage de 2010 du CEVIPOF, 70 % des musulmans interrogés ne se sont pas manifestés
aux urnes aux élections régionales. Pour combler le fossé évident entre les aspirations de la
jeunesse et celle de la classe politique, les Scouts
musulmans de France (SMF) et la fédération
laïque des citoyens de sensibilité musulmane
Mosaïc ont entrepris, chacun de leur côté, un
tour de France pour appeler les jeunes à voter.
« La flamme de l’espoir citoyen » des SMF a ainsi
sillonné 26 villes en 2011. « Nous avons travaillé
avec des centaines d’élus de tous bords et organisé
de nombreux débats politiques à chaque étape. Le
Front national a même accepté de débattre avec
nous à Cannes ! », raconte Hocine Sadouki, directeur général des SMF. Mosaïc, pour sa part,
a lancé le Pack Jeunesse 2012, « un récapitulatif
des 13 mesures qui sont revenues le plus souvent
lors du tour de France, au cours duquel 4 500
votes furent enregistrés ».
Mais l’action la plus médiatisée reste celle
du collectif AC le Feu, né après les révoltes
urbaines de 2005, et qui a réussi a attiré
toute la presse. Opération coup de poing à
l’Espace 93, à Clichy-sous-Bois, le 9 novembre dernier. 400 Clichois ont répondu à
l’appel du collectif accompagné par Jamel
Debbouze, La Fouine, Grand Corps Malade
ou Yvan le Bolloc’h, venus spécialement
dans la ville nichée au fin fond du 93. Ces
people sont venus convaincre de l’importance de voter. Ils ont même accompagné les
jeunes qui le souhaitaient à la mairie pour
s’inscrire sur-le-champ.
Jamel Debbouze a été très direct : « Moi, je voterai à gauche, car voter à droite, c’est mauvais
pour ma santé ! » Quant au centre, l’humoriste
estime qu’« il ne sert à rien tout comme l’arbitre
lors d’un match PSG-OM : qui est pour l’arbitre
? », déclare-t-il face à son public hilare.
S’ils sont sensibles aux bonnes vannes, pas
sûr que ces jeunes se déplaceront tous aux bureaux de vote. À Clichy-sous-Bois, le taux
d’abstention aux dernières régionales était
de 71,4 %. ■ M. A.
« Le Web politique, un moyen de toucher le quotidien des Français »
ou François Bayrou, ils ont
des sites modernes, novateurs
à l’instar de ceux de Barack
Obama ou de Mitt Romney.
En termes de « machine » Web,
il y a des différences notables
selon les partis. Si l’on regarde
le FN, on voit bien que
les militants ont saisi les atouts
du Web. Au Modem, l’équipe
est bien constituée avec
un usage régulier de Twitter
et de Facebook pour inonder
ses réseaux et mailing-list.
Peut-on dire qu’il y a
une meilleure maîtrise de
ces outils par rapport à 2007 ?
Oui. On sent bien
qu’en l’espace de cinq ans
on est passé à un Web
* Fondateur de Elu 2.0 et de Idéose, une société de conseil en stratégie politique.
politique organisé. Le PS
et l’UMP emploient
une dizaine de salariés pour
communiquer sur l’Internet.
Ce n’est pas moins de 10 %
du budget qui lui est consacré.
Sur 20 millions d’euros,
la somme est donc non
négligeable. Dans un parti
comme Europe ÉcologieLes Verts, le Web est plutôt
l’affaire des bénévoles.
C’est donc un handicap ?
Pas forcément. Regardez
le Front de gauche. Le parti
a une équipe de jeunes derrière
lui, des geeks, qui contribuent
aussi à moderniser l’image
de Jean-Luc Mélenchon.
L’UMP ou le PS vont déployer
tout l’arsenal du Web politique
avec le risque de délivrer
un message peu motivant,
de type entreprise.
Le Web peut-il supplanter
les médias classiques
comme la télévision ?
Il est nécessaire d’afficher
que l’on maîtrise le Web,
la télévision reste néanmoins
irremplaçable. Quand Nicolas
Sarkozy fait le 20 heures
de TF1, l’impact est plus fort
que celui du Web. Internet
reste néanmoins un outil
incontournable pour gagner
la présidentielle… De plus,
le numérique porte un enjeu
plus large que de communiquer
sur les réseaux sociaux :
le Web est en effet un
formidable moyen de prendre
le pouls de la société. ■
Propos recueillis par N. H.-M.
www.salamnews.fr
20 %
w En France, seuls 20 % des élus disposent d’un compte Tweeter contre 90 % aux États-Unis.
(Source : OpinionWay, 2011)
13
Médias sous influence
CONNEXIONS. Les relations
entre médias et politiques appellent, instantanément, un adjectif :
dangereuses. Une proximité jetant l’opprobre tant sur les journalistes que sur les élus. Lina, 36
ans, porte un jugement sans
appel. « Les liens qui existent entre
journalistes et hommes politiques
m’inspirent essentiellement des choses négatives », analyse cette juriste, souvent très au fait de
l’actualité politique. Selon elle,
ces rapprochements conduisent à
« une manipulation pure et simple
de l’information ». L’honnêteté
intellectuelle des journalistes ?
« Je n’y crois pas trop ! Comment
être impartial dans ses sujets si l’on
copine avec un responsable politique ? » Pas faux. La question mérite d’être soulevée.
Des relations biaisées
D’autant que les médias sont
parfois sous la coupe de propriétaires au nom clairement
connoté. Serge Dassault, dont
la fortune familiale provient de
l’industrie de l’armement, fut
un temps patron du Figaro,
quotidien résolument marqué à
droite. À l’inverse, le journal Libération est un pur produit de la
gauche. Parmi ses fondateurs,
Jean-Claude Vernier, militant
maoïste, Jean-Paul Sartre, célèbre philosophe, ou encore Serge
July, qui en devient dès 1972 le
directeur de publication. Des
titres symboles de la presse
d’opinion, dont le succès repose
sur un traitement spécifique et
engagé de l’information.
Pas étonnant selon Jean-Marie
Charon, chercheur au CNRS
et spécialiste des médias :
« N’oublions pas que la France a
une tradition où presse et politique sont très imbriquées. » Et
d’ajouter : « À partir de la IIIe
République jusqu’à la Seconde
Guerre mondiale, la plupart des
hommes politiques possédaient
des organes de presse. » Georges
Clemenceau ou Léon Blum.
« On est loin du modèle à l’anglosaxonne, où la presse représente le
quatrième pouvoir. »
Des journalistes
politisés ou politiques ?
Cette connivence naturelle
entre médias et politiques est
symptomatique de l’exception
à la française. « On a Le Figaro
qui soutient clairement Nicolas
Sarkozy pour les présidentielles.
Cela a été dit sur un blog », glisse
Jean-Marie Charon. Auteur de
la confession ? Étienne Mougeotte, directeur des rédactions
du groupe Le Figaro ‒ rappelons que l’homme est un intime
de l’actuel président de la République ‒, qui participe à un
think thank réunissant, entre
autres, Jean-René Fourtou, président du conseil de surveillance de Vivendi (propriétaire du
groupe Canal+, lui-même détenant i>Télé). Objectif de ce cercle de réflexion ? Accompagner
le très probable candidat de
l’UMP vers un second mandat
élyséen.
Les syndicats veillent. Et de
l’aveu même du Syndicat national de journalistes (SNJ), la période est propice au mélange des
genres. « Certains journalistes sont
davantage des attachés de presse »,
© TSCHAEN / SIPA
Médias et politiques font-ils bon ménage ?
Dans une démocratie comme la France,
la réponse semble évidente.
Sauf que la réalité est plus complexe.
En 2007, le candidat Sarkozy à la présidentielle se montrait sous ses plus beaux
atours, à cheval, en Camargue. On se souvient aussi qu’une horde de journalistes
avait été invitée à ce « reportage », qui relevait davantage d'une mise en scène.
lance Dominique Pradalier,
membre du syndicat et journaliste à France 2. Quand le président de la télévision publique est
nommé par l’Élysée, comment
empêcher les soupçons ?
Depuis le 15 juin dernier, la
Charte des antennes adoptée
par le groupe vise à se prémunir
contre toute dérive, dont la
profession semble être apparemment encline. Sans parler
des pressions déguisées exercées
par les sommets de l’État. « Les
journalistes évitent d’aller filmer
les Roms ou encore les clandestins
embarqués de force dans les avions… », fait-elle observer.
Un œil sur la presse
Autre garde-fou, le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA),
où le principe d’équité du temps
d’antenne et du temps de parole
prévaut du 1er janvier au 20 mars
2012. Avec des règles très strictes. Depuis 2009, le CSA a mis
en place un nouveau système de
surveillance. « Hors périodes électorales, le temps de parole des partis découle de leur représentation à
l’Assemblée nationale », nous explique le CSA. L’espace médiatique correspond à la représentativité électorale.
Une mesure mise en place, également, pour permettre aux petits partis d’exister dans le
paysage médiatique. En la matière, pas de tricherie possible :
« Les chaînes nous envoient leur
décompte régulièrement. » Et en
cas de manquement, elles
n’échappent pas à une mise en
demeure. Au 3e trimestre 2011,
cinq chaînes de télévision et de
radio ont été rappelées à l’ordre, dont BFM, i>Télé et LCI.
En cause, « un temps de parole
trop important attribué à l’opposition en comparaison de celui de
la majorité. Primaires et affaire
Strauss-Kahn. »
En périodes électorales, la donne
change. Aux chaînes de définir
elles-mêmes les temps de parole
accordés aux candidats à partir
de critères de l’équité tels que définis par le CSA : « Résultats électoraux précédents, dynamisme de
la campagne, représentativité du
parti qui soutient le candidat »,
explique-t-on au CSA. « Nous
sommes en contact avec ces médias
tous les jours pour les conseiller et,
le cas échéant, rectifier le tir en cas
de manquement au principe
d’équité entre les candidats. »
Le CSA entame d’ailleurs une
série de rendez-vous avec les radios et les chaînes. « Elles vont
nous donner leur décompte du
mois. » À trois mois du premier
tour, les oreilles de patrons de
presse vont-elles siffler ? ■
N. H.-M.
SALAMNEWS N° 34 / FÉVRIER 2012
14
FOCUS
Spécial Élections 2012
Par Mérième Alaoui
Qu’est-ce qu’un élu de la diversité, au juste ?
OUVERTURE. Les partis politiques font tous
le même constat, on manque de diversité, notamment à l’Assemblée nationale et cela devra
changer en 2012. Mais s’agit-il de diversité
ethnique, avec des élus aux noms étrangers ?
Pourquoi alors Anne Hidalgo ou Manuel
Valls, tous deux nés en Espagne, ne sont-ils
pas concernés ? Ou bien s’agit-il de diversité
sociale, avec des jeunes qui ont grandi et travaillé dans les banlieues ? S’agit-il des femmes, pour qui l’accès aux mandats est toujours
très complexe ?
La réponse de l’UMP est sans détour. « La
diversité représente les Français d’origine étrangère, notamment portant un nom étranger... »,
explique simplement Olivier Stirn, secrétaire
national en charge de la diversité. « La question de l’origine sociale est importante, elle peut
être associée à celle de l’origine ethnique, mais
c’est une question à poser dans un deuxième
temps », poursuit l’ancien ministre qui assure
que le parti du président de la République va
présenter une dizaine de candidats en position de devenir député. À l’UMP, les candidats sont directement nommés par les
instances nationales.
Côté PS, en théorie les candidats se présentent au sein de leur section locale et ce sont les
militants de la circonscription qui investissent leur champion(ne). Mais pour favoriser
la diversité, 22 territoires ont été « gelés »
pour un candidat d’origine étrangère. L’opération a été organisée au PS par Christophe
Borgel, secrétaire national chargé des élections et des fédérations.
Le libre arbitre a pourtant ses limites. Parmi
ces 22 circonscriptions, des nominations ont
été imposées par les instances nationales, les
militants de terrain n’ont donc pas eu leur
mot à dire. De plus, une grande partie des 22
territoires est considérée comme ingagnable
en 2012…
Plus qu’une simple
bonne volonté
Réserver des territoires à la diversité. L’idée
n’a pas toujours plu à Akli Mellouli, fin
connaisseur de la question au sein du PS.
© Mathieu Delmestre / Solfé Communications
« Diversité ». Un substantif qu’on entend à longueur de débat
et qu’on a de plus en plus de mal à définir clairement.
Qu’est-ce qu’introduire plus de diversité dans un parti politique : des femmes, des jeunes, des porteurs
de patronyme à consonance étrangère ? Au sein du Parti socialiste, 22 circonscriptions sont réservées
aux candidats issus de la diversité. Mais une partie d’entre elles est ingagnable aux législatives de 2012…
Maire adjoint à Bonneuil-sur-Marne et membre du Conseil national du PS, il brigue la
première circonscription du Val-de-Marne.
« Je suis engagé dans la politique depuis 30 ans
et je ne voyais pas pourquoi je serais traité différemment… Mais avec le temps, j’ai constaté
que, à l’instar de la parité hommes-femmes, la
présence de Français issus de l’immigration nécessitait plus que de la simple bonne volonté »,
analyse-t-il. « C’est triste, mais pourquoi retient-on davantage mes origines algériennes plutôt que mon passé dans la Ligue de l’enseignement,
ma riche expérience au sein de la CFDT et ma
bonne connaissance du syndicalisme ? », regrette
Akli Mellouli.
De son côté, Kamel Hamza, conseiller municipal UMP de La Courneuve est beaucoup
plus amer. Âgé de 40 ans, il est le présidentfondateur de l’ANELD (Association des élus
locaux de la diversité). « Il faut être clair : la
diversité pour les partis, ce sont les élus aux origines africaines », lance l’attaché parlementaire
d’Éric Raoult. « Avec notre réseau, nous voulons
sortir du symbole de l’Arabe ou du Noir, qui est
forcément musulman », explique-t-il. « Dans
toutes les élections locales, quels que soient les
partis, on a besoin de quelques élus de la diversité qui sont vite mis de côté, sans compétences ni
portefeuille… », déplore-t-il. « Et les territoires
donnés à la diversité pour les législatives sont le
plus souvent complètement à conquérir. »
Tirs groupés,
à droite comme à gauche
Si la question de la diversité en politique est
rarement traitée sur le fond, elle l’est souvent
via la polémique. Les régionales ont offert
plusieurs exemples flagrants. Tirs groupés à
droite comme à gauche contre la présence de
la « candidate voilée » Ilham Moussaïd du
Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) , remise
en question du candidat socialiste des Bouches-du-Rhône Toufik Chergui, du simple
fait de son appartenance au CRCM (Conseil
régional du culte musulman). Sans oublier les
attaques de Francis Delattre, sénateur-maire
UMP de Franconville – condamné en janvier
2012 pour diffamation –, contre Ali Soumaré, tête de liste du PS dans le Val-d’Oise, qu’il
avait accusé d’être « un délinquant multirécidiviste ».
La bataille pour plus de représentativité de
toutes les composantes de la société française
est encore longue. Peut-être avancera-t-elle
lorsque le mot « diversité » passera aux
oubliettes ? ■
SALAMNEWS N° 34 / FÉVRIER 2012
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Tête d’affiche
Lilian THURAM
Ancien footballeur international,
engagé et militant,
Lilian Thuram est président
de la fondation Éducation
contre le racisme.
Revue de société
avec un homme qui aime
déconstruire les préjugés.
© Lahcène Abib
« À l’âge de 9 ans,
je suis devenu Noir
dans le regard
de l’autre »
Lilian Thuram, un défenseur à l’attaque. Il est commissaire général de l’exposition « Exhibitions :
l’invention du sauvage », au musée du quai Branly (Paris, jusqu’au 3 juin 2012).
Il y a 50 ans décédait Frantz Fanon, Français,
Martiniquais et Algérien de cœur.
Figure de la décolonisation, il ne pèse pas bien
lourd dans nos livres d’Histoire.
Pourquoi cette amnésie ?
Lilian Thuram : Frantz Fanon dénonce d’abord
la colonisation française. Dès lors, on peut comprendre qu’on ait du mal à le retrouver dans nos
livres d’Histoire. Le plus étonnant, c’est qu’aux
États-Unis il est extrêmement connu. On voit
qu’il revient à la lumière, on parle de lui à la
radio. Et c’est un bon signe : cela veut dire que
notre société a progressé et qu’elle est capable
d’avoir une critique de son passé. Comme chaque individu, nous devons apprendre à nous
connaître ; et la société, elle aussi, doit faire ce
travail.
Vous êtes commissaire de l’exposition
« Exhibitions : l’invention du sauvage ».
Comment peut-on expliquer une telle
fascination de l’Occident pour les « zoos
humains » (on parle de plus d’un milliard
de spectateurs cumulés) entre 1800 et 1958 ?
À l’époque, il n’y avait ni la télévision, ni
la radio, ni la possibilité de voyager. Il existe
une forme de curiosité à l’égard de ce qui ne
nous ressemble pas. C’était aussi la période de
la colonisation. N’oublions pas les discours
qui étaient portés sur l’autre. Les politiques de
l’époque conditionnaient les masses à accepter
une domination de certains sur d’autres. Dans
un passé très proche, on parlait encore de races,
avec une supériorité de la prétendue race blanche sur les autres races ; et la race noire était
entre le singe et l’homme. Les visiteurs des zoos
humains ont finalement intégré le racisme de
façon inconsciente.
Quel est le but de cette exposition,
où un défenseur comme vous tacle
le mythe du « sauvage » ?
Ce qui m’anime, c’est comment ont pu se
former nos imaginaires et notre façon de penser.
Cette exposition est avant tout un questionnement sur l’altérité : comment je perçois l’autre et
pourquoi je le perçois ainsi ? Il faut aussi rappeler
que les stigmatisations ne sont pas simplement
liées à la couleur de la peau. Je trouve qu’il est
intéressant de se questionner sur ses propres préjugés, afin de pouvoir de les dépasser.
En 1931, les arrière-grands-parents de Christian Karembeu (son ami footballeur, ndlr) ont,
par exemple, été exhibés. Est-il plus compliqué
avec un vécu pareil de chanter La Marseillaise ?
BIO EXPRESS
Arrivé à l’âge de 9 ans des Antilles,
Lilian Thuram grandit à Avon,
près de Fontainebleau (Seine-et-Marne).
L’enfant de Pointe-à-Pitre est doué
pour le football. À 19 ans, il est recruté
par Monaco. Il y débute sa carrière
professionnelle de footballeur.
À ce moment-là, il ne sait pas encore
qu’il deviendra le joueur le plus capé
de l’histoire du football français.
Fort de ses 142 sélections, d’un titre
de champion du monde en 1998
ou d’un Euro en 2000, et d’un parcours
exceptionnel en club, le défenseur réputé
intraitable sur le terrain se démarque
et affiche ses convictions : antiracisme,
égalité républicaine… Dès 2003,
il siège au Haut Conseil à l’intégration.
Il mouille le maillot en 2005,
lors d’un tête-à-tête tendu face
à Nicolas Sarkozy, après les déclarations
de ce dernier sur le « nettoyage
au Kärcher » des banlieues.
Depuis sa retraite sportive, en 2008,
il a créé une fondation vouée
à l’éducation contre le racisme
(www.thuram.org). Son livre,
Mes étoiles noires (Éd. Philippe Rey,
2010 ; Éd. Points, 2012), a reçu le prix
Seligmann contre le racisme. Récemment,
il a pris une position forte et sans
ambiguïtés dans les polémiques portant
sur les quotas dans le football français.
www.salamnews.fr
« On ne naît pas raciste, on le devient par conditionnement :
le racisme est une construction intellectuelle et culturelle »
Il faudrait poser la question à Christian. Effectivement, on ne se rend pas compte que c’était
hier. On ne peut pas nier qu’il y ait un lien
entre le passé et le présent. Voilà pourquoi il
faut questionner notre passé pour comprendre
notre présent, afin de construire quelque chose
de meilleur dans l’avenir. Présenter les arrièregrands-parents de Karembeu au Jardin d’acclimatation comme des Kanaks sauvages : on
imagine toute la construction qu’il y a autour.
C’est pour cela qu’il était impératif d’écrire
l’histoire de l’invention du « sauvage ».
Par quel cheminement personnel
est passé le champion du monde 1998,
symbole d’une équipe black-blanc-beur,
qui devient aujourd’hui commissaire
de l’exposition « Exhibitions » ?
Ma naissance et mon vécu aux Antilles sont
très importants. J’arrive à 9 ans en région parisienne. Et c’est là que je deviens Noir dans le
regard de l’autre, avec les préjugés que peut véhiculer cette « couleur ». À l’époque, il y avait
un dessin animé avec une vache stupide, la noiraude, et une vache blanche, très intelligente.
Les enfants m’appelaient la noiraude et cela
m’a attristé. De questionnement en questionnement, j’ai compris que le racisme était une
construction intellectuelle. Je me suis intéressé
à l’esclavage. C’était une façon de me comprendre, de comprendre ma propre famille, la
société antillaise et française. J’ai compris que
les discours pouvaient consister à conditionner
l’autre, à ne pas accepter l’autre en raison de
sa couleur de peau ou alors à créer des inégalités comme celles qui peuvent exister entre les
hommes et les femmes.
Hormis Yannick Noah et vous,
peu de sportifs s’aventurent en politique,
dans le domaine social et celui de la culture.
Récemment, Joey Starr, dans L’Équipe
magazine, s’est ému de ne pas voir Zinedine
Zidane sur ce terrain-là. Qu’en pensez-vous ?
Je pense que chacun de nous a son parcours
de vie. Il ne faut pas critiquer les personnes
qui n’ont pas cette sensibilité. On attend trop
des sportifs. Dans les autres métiers, il n’y a
pas non plus beaucoup de gens qui vont sur ce
terrain-là.
Et Zidane…
Ce n’est pas parce qu’il ne parle pas de ces
sujets-là qu’il n’est pas sensibilisé par cela. Pour
ma fondation Éducation contre le racisme, Zidane a participé à un des outils pédagogiques.
Le 6 octobre 2001, vous avez participé
à un match entre la France et l’Algérie.
La Marseillaise avait été sifflée. Pensez-vous
que c’était une provocation gratuite
d’une catégorie de la population comme
ce fut présenté ou alors un rejet plus profond ?
Dès le lendemain du match, j’avais dit qu’il
était trop facile de dire que ces jeunes étaient
des « petits cons ». Pourquoi ont-ils sifflé La
Marseillaise ? Et pourquoi cela est-il arrivé face à
l’Algérie ? Il y a une histoire particulière entre ces
deux pays. Comme il y a eu un rapprochement
historique entre la France et l’Allemagne, après
la Seconde Guerre mondiale, il faut le même
processus pour dépasser les problématiques.
Dépasser une forme de culpabilisation chez les
Français et aussi un sentiment de victimisation
chez les jeunes Français d’origine algérienne.
C’est extrêmement compliqué pour certaines
personnes de ne pas se sentir vues comme françaises, car l’on se constitue également à travers
le regard que l’autre porte sur soi.
Les enfants de la 2e ou de la 3e génération issue
de l’immigration maghrébine ou subsaharienne
ne sont, parfois, pas encore considérés
comme des Français à part entière.
Comment peut-on l’expliquer et que faire ?
Il faut se questionner là-dessus : pourquoi
certaines personnes ne sont pas vues comme
des Français ? Quand vous avez des origines
sénégalaises, ivoiriennes, algériennes ou marocaines…, la première chose qu’il faut dire,
c’est : « Je suis français et je vais participer au
changement de mon pays. » Et cela, il faut le répéter sans cesse.
Car si vous-même, vous ne vous considérez pas
comme français, vous ne pouvez pas demander
à l’autre de vous considérer aussi comme français. Il ne faut pas intégrer le discours négatif
qui est porté sur vous, qui dit : « Vous n’êtes
pas français, je ne vous considère pas comme français. » Au final, vous vous considérez comme
étranger. Au contraire, il faut revendiquer : « Je
suis français comme tout le monde » ; l’histoire
des Gaulois, etc., c’est juste une construction
intellectuelle.
C’est pour cela que je dis aux parents des enfants qui peuvent être discriminés qu’il faut
très tôt leur expliquer l’Histoire, pour que cette
discrimination ne les touche pas. Afin qu’ils la
comprennent et intègrent la démarche intellectuelle qui a conduit à ce mode de pensée. Cela
permet ainsi d’éviter d’être dans une forme de
violence vis-à-vis de soi-même. ■
Propos recueillis par Nabil Djellit
17
ABCédaire
EÉducation
comme
C’est le plus important,
car quand quelqu’un perd tout
il lui reste son éducation.
Travailler sur l’éducation
avec les enfants,
en leur expliquant que
leur conditionnement
n’est peut-être pas le bon,
c’est essentiel.
H HISTOIRE
comme
L’apartheid, la décolonisation,
la Seconde Guerre mondiale
fondée sur une « supériorité »
de la race aryenne
ou la ségrégation aux États-Unis,
c’était hier. On n’a jamais réalisé
le travail de déconstruction
de ces Histoires. C’est pourquoi
il y a des séquelles racistes
dans nos sociétés.
I IDENTITÉ
comme
L’identité est mouvante.
Il suffit d’observer sa propre
vie. Quand on a 10 ans
ou 20 ans, on ne pense
les mêmes choses.
On rencontre les gens,
on s’enrichit. Et vouloir penser
qu’il y a une seule identité
figée, c’est un piège.
P PRÉJUGÉ
comme
Il ne faut pas se mentir :
certaines personnes ont
des préjugés sur les religions,
les couleurs de peau…
mais chacun de nous a aussi
ses propres préjugés. Et il faut
avoir le courage de (se) le dire
et de sortir de cela.
S SPORT
comme
Le sport ou la musique sont
des vecteurs du vivre-ensemble
et permettent de dépasser
les clivages de la couleur
de peau. Le sport fait
énormément pour cela.
SALAMNEWS N° 34 / FÉVRIER 2012
18
CULTURE
w Notre coup de cœur du mois : Sur la Planche, de Leïla Kilani, conte les combines de quatre jeunes
filles marocaines, ouvrières le jour, débrouillardes de l’anti-galère la nuit. De belles interprétations
féminines pour ce film qui a récolté de nombreux prix. En salles le 1er février.
Par Mounir Benali
Tahrir : touche pas à ma Place !
© Stefano Savona
Frustré d’assister, par petit écran interposé, à un monde arabe en pleine ébullition, Stefano
Savona s’est rendu en Égypte. Il y a réalisé Tahrir - Place de la libération. Bouleversant !
régime, notamment des prison- il laisse au spectateur le soin de
niers libérés et engagés grâce aux se forger sa propre opinion au
pétrodollars, est une des scènes gré des discours et des visages
choquantes du documentaire. de ces jeunes scarifiés par la
En guise de contre-attaque, les révolution. Entre cris, pleurs,
jeunes vont jusqu’à briser le sol joies et hystérie, ce film est un
de cette fameuse Place, afin d’en grand huit émotionnel, exprimé
extraire des pierres, seule arme par le peuple égyptien, alors que
la sécurité antiémeute abat une
qu’ils ont à leur disposition.
Le spectateur assiste aussi à des répression digne d’un cinéma
moments de joie comme l’an- hollywoodien.
Après Carnet d’un combattant
nonce de la démission du raïs.
kurde (2006, Grand Prix interMonté
de
façon
spectaculaire,
LIBERTÉ. Il y a d’abord une Stefano Savona nous fait vivre
national de la SCAM, festival
le
film
suit,
avec
intensité
et
place nommée Tahrir (« libé- la révolution égyptienne, qui a
du Cinéma du réel) et Plomb
passion,
ses
protagonistes
au
ration », en français), puis des débuté en janvier-février 2011.
durci (2009, Prix spécial du
jour
le
jour
dans
l’apprentissage
jeunes, et enfin d’autres per- Pendant 18 jours, sa caméra a
jury, festival de Locarno), l’exde
la
révolution
:
inventions
sonnes de toutes les générations suivi de près les tout premiers
archéologue Stefano Savona
des
slogans,
soins
donnés
aux
et de tous les milieux sociaux déroulements. Les images que
confirme sa singularité à filmer,
blessés,
discussions
sur
l’aprèsqui se rassemblent pour hurler nous rapporte Savona transpide manière totalement inédite,
Moubarak,
etc.
leur ras-le-bol de la dictature rent la spontanéité et le risque
l’Histoire en marche. ■
Le
traitement
est
toutefois
diffédu « dernier pharaon » Hosni que ces jeunes et lui ont encouru
rent
de
celui
que
fournissent
les
durant ce moment historique.
Moubarak.
Tahrir - Place de la Libération,
À travers le regard de trois jeu- La confrontation qui oppose chaînes de télévision, le cinéaste de Stefano Savona.
nes, Elsayed, Noha et Ahmed, révolutionnaires et partisans du évitant les narrations partisanes : En salles le 25 janvier.
© 2011 Prima Linea Productions /
Pathé Production / France 3 Cinéma /
Chaocorp / Scope Pictures
Zarafa, une girafe
pas comme les autres
Quand un spécialiste de l’animation
s’allie à un cinéaste du réel, cela donne
un subtil conte africain : Zarafa.
POÉSIE. Il était une fois un
enfant, Maki, âgé de 10 ans,
et Zarafa, une girafe orpheline,
cadeau du pacha d’Égypte au
roi de France Charles X. Entre
les deux naît une amitié indéfectible, qui les fera voyager de
l’Afrique à Paris, au côté d’un
prince du désert et d’un aéronaute nommé Malaterre.
Ce sont deux habitués du genre
qui se sont unis pour réaliser
cette histoire contée par un vieil
homme entouré d’enfants sous
un baobab : Jean-Christophe Lie,
issu des studios Disney de Montreuil, ayant œuvré sur Les Tri-
plettes de Belleville et Kirikou et les
bêtes sauvages, et Rémi Bezançon,
réalisateur des longs métrages Le
Premier jour du reste de ta vie et
Un heureux événement.
Objet cinématographique de
très bonne facture, Zarafa
distille, dès les premières secondes, tout l’exotisme propre
à l’Afrique du XIXe siècle. Les
éléments inhérents au conte
sont maîtrisés, afin de captiver
les jeunes spectateurs : mise
en abyme de l’histoire contée
par un ancien, mise à mort de
animaux qui s’avéreront être
attachants, gentils gags...
Les atouts de Zarafa résident
toutefois ailleurs. Car c’est
bien dans les idées visuelles
et l’esprit d’aventure que l’on
aime se perdre. Dans les douces couleurs pastel des cieux
de fin de journée du continent
du Sud, dans les plans poétiques qui jonchent l’odyssée du
jeune héros Maki et de sa girafe Zarafa. Le trait de crayon
est savoureux, davantage dans
l’esprit de nos bandes dessinées
d’aventures que dans celui des
péripéties animées de Disney
ou de Dreamworks pétries de
3D overdosées.
Enfin, Zarafa n’occulte pas le
contexte historique et social de
l’époque : les enjeux du port
d’Alexandrie, l’esclavagisme,
le racisme ambiant liée à cette
Europe au plus fort de sa puissance coloniale, le pillage des
tombes à travers le personnage
de l’odieux Moreno.
Romanesque, Zarafa est
porteur de messages forts :
l’importance de l’amitié,
de la parole donnée et de la
liberté. ■
Zarafa, de Rémi Bezançon
et de Jean-Christophe Lie.
En salles le 8 février.
www.salamnews.fr
SALAM ANNONCES
19
SALAMNEWS N° 34 / FÉVRIER 2012
20
beauté
Confidences d’
oum
Par Karima Peyronie
[3]
[4]
Photos produits © D.R.
[1]
[6]
© D.R.
[5]
[2]
« Rien de tel que
de s’aimer et de se sentir aimée »
Votre musique est un savant
mélange de jazz, pop,
oriental, variété…
On retrouve cet éclectisme
dans votre look également !
Au Maroc, nous avons la chance de baigner dans une culture
plurielle entre l’Andalousie,
le Rif, le désert et l’Afrique. Je
porte cet héritage à travers ma
musique, mais aussi mes vêtements : je suis sensible aux couleurs, aux textures, à la lumière
comme au détour d’une ballade
à Marrakech. Je suis plutôt jupes
longues et bustiers, sans oublier
d’habiller ma tête de turbans
[1], de bijoux de tête ou de chapeaux customisés.
Quelle est votre « fashionfixette » par excellence ?
Je suis fan inconditionnelle
d’Alexander McQueen pour le caractère qui émane de son style. La
faculté à pouvoir sortir de l’ordinaire avec classe. Mon autre péché
mignon, ce sont les bijoux [2].
Entre deux scènes et en pleine promo
de son deuxième album, la chanteuse
Oum s’octroie une pause pour papoter
de tout : beauté, mode, maternité…
Une discussion très zen !
Je les aime ethniques, berbères,
qu’ils aient une âme.
De la tradition marocaine,
en retenez-vous des rituels
de beauté ?
J’utilise de l’huile d’argan [3]
en alternance avec l’huile d’olive
pour mes cheveux. Au hammam,
j’aime me faire des masques au
henné sur le corps et le visage,
que j’agrémente, selon la recette
de ma mère, d’eau de rose [4],
de pétale de rose et d’une pierre
« rouge de Fès », pour hydrater et
donner un léger hâle à la peau.
m’absenter, j’essaye de ne pas
trop culpabiliser, en me disant
que l’essentiel est l’amour que je
lui porte. Une fois, il était au premier rang d’un de mes concerts,
je le voyais subjugué par le specd’oranger ou d’oud et une bougie tacle : un souvenir magnifique !
aromatique [5]. Puis, au sortir du
bain, je me passe un glaçon sur le Quel est votre secret
visage. Rien de tel pour me recen- pour avoir retrouvé
votre silhouette ?
trer et me requinquer à la fois !
Chez nous, quand on accouche, on doit plaquer la paire de
Et que trouve-t-on
babouches du mari autour du
dans votre vanity-case ?
Très peu de choses, car je ne me ventre pendant quelques jours
maquille pratiquement pas : un pour perdre le bidon ! Mis à part
khôl, le parfum « Un jardin sur cette technique, j’ai tout essayé
le toit » d’Hermès, l’huile prodi- avec plus ou moins de succès :
gieuse de Nuxe [6] et un baume les régimes, les séances d’abdos,
le yoga… Mais ce qui marche le
de chez Clarins.
mieux, c’est de s’aimer et de se
sentir aimée avant tout ! ■
Comment conciliez-vous
votre carrière de chanteuse
Vous êtes de tous les festivals et votre rôle de maman
à travers le monde, quelle est d’un petit garçon de 3 ans ?
votre astuce « anti-jet-lag » ?
Je gère les choses assez naturelleD’abord, un bain très chaud avec ment : mon fils voyage avec moi,
des huiles essentielles de fleur assiste aux répétitions. Si je dois
Le 4 février, Oum sort son deuxième
album Sweerty, aux variations
jazzy-orientales. Retrouvez la belle
dans l’émission « Acoustic », sur
TV5Monde courant février. Les dates
de ses scènes sur www.oum.ma
SALAMNEWS N° 34 / fÉVRIER 2012
22
DE VOUS À NOUS
Vous traversez un moment difficile ? Vos réactions et celles
des autres vous surprennent ? Vous avez l’impression d’être
dans une impasse ? Quelle décision prendre ?…
À partir du bel islam et d’une lecture appliquée du Coran, des solutions peuvent toujours être trouvées.
Posez vos questions à [email protected]
Par Chams en Nour, psychanalyste
Faire son deuil
« CELA VA FAIRE MAINTENANT DIX-HUIT MOIS QUE MA
MAMAN EST DÉCÉDÉE. Chaque jour, je pense à elle et je
pleure. Nous avions un lien très fort, assez conflictuel cependant, car nous avons du caractère toutes les deux. Ma famille et
mes amis s’inquiètent pour moi, mais c’est plus fort que moi. Je
me fais des reproches, je culpabilise. Trouvez-vous mon chagrin
normal ? » Kheira, 38 ans
« JE SUIS COMMERÇANT ET MON MÉTIER ME FAIT
RENCONTRER des gens très différents. Je ne peux m’empêcher de m’énerver contre les personnes qui donnent des
leçons autour d’elles sans être elles-mêmes irréprochables.
Je ne comprends pas pourquoi cela me met ainsi hors de
moi. Je ne trouve pas ça normal et j’aimerais que vous
m’éclairiez sur ce point. » Rachid, 42 ans
Chams en Nour. Qui trouverait anormal d’éprouver du
Chams en Nour. Qu’est-ce qui n’est pas normal : l’at-
titude des autres ou de vous énerver à cause de cela ? Pour
le premier point, rappelez-vous qu’un homme sachant voir
ses propres défauts est plus près de la vérité que celui qui
regarde les défauts des autres. On pourrait dire qu’il s’agit
là de faire le deuil de ses illusions sur soi-même. Le grand
jihâd, c’est cela aussi.
Sur le fait que vous manquez de patience sur les défauts des
autres, je vous renvoie à ma réflexion précédente et à cette
parole du Prophète [paix et salut sur lui] : « Pour celui qui
prospecte les faiblesses de son frère en islam, Dieu prospecte ses
propres faiblesses et les met à nu. » ■
chagrin après la mort de sa mère ? C’est une étape très douloureuse, mais aussi un passage important dans la vie de tout être
humain, qu’elles qu’aient été les relations avec la mère.
Un passage vers la conscience de son autonomie profonde.
C’est dans l’ordre de la Création d’apprendre à se détacher,
chacun est appelé à disparaître. Vous semblez avoir une réelle
difficulté à l’accepter. Il y a là pour vous une séparation à accomplir.
Quant à la culpabilisation, elle est inutile et empoisonne la
vie. Demandez-vous plutôt pourquoi ce deuil est si difficile à
faire… Vous êtes la mieux placée pour trouver les réponses. ■
$
Oui, je veux recevoir Salamnews à domicile
À retourner avec votre règlement à l’ordre de Saphir Média :
113-115, rue Danielle-Casanova – 93200 Saint-Denis
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