Mémoire de fin d`études
Transcription
Mémoire de fin d`études
Inès Rouxel ESRA 3D 3 Mémoire de fin d’études «Les Princesses Disney : Un homme, une Histoire, une vision de la femme.» Directeur de mémoire : Mr Patrice Pincé E.S.R.A. Bretagne 1 Sommaire Introduction ................................................................................................................... page 3 Partie 1 : La première génération de Princesses «Femmes idéales et un gout certain pour le changement» (1901 - 1959) A. La condition des femmes et les prémices du changement ....................................... page 4 B. Une Amérique s’imposant dans un monde en ruines .............................................. page 7 C. Les débuts, le succès et les valeurs de Walt Disney dans un monde en guerre ...... page 11 Partie 2 : Un revirement soudain au sein de l’Amérique traditionnaliste «Un bouleversement des pensées et des femmes de caractère» (Années 1960-1970) A. La perte de confiance du peuple américain ............................................................ page 34 B. Un immense mouvement féministe ........................................................................ page 43 C. Un changement d’horizons pour Walt Disney ........................................................ page 47 Partie 3 : La seconde génération de princesses «Une vision de la femme enfin en phase avec la société occidentale» (1991 à nos jours) A. L’impérialisme américain et l’apparition de limites ............................................... page 50 B. Des princesses en phase avec la société occidentale ............................................... page 54 Conclusion .................................................................................................................... page 63 Bibliographie ................................................................................................................ page 64 2 Introduction Walter Elias Disney, né le 5 décembre 1901 et décédé le 15 décembre 1966 est un homme que l’on ne présente plus. Producteur, réalisateur, scénariste et animateur, cet homme aux multiples casquettes demeure le créateur de ce que l’on peut aujourd’hui appeler «L’empire Disney». Avec plus de vingt-neuf courts et longs métrages de son vivant, et l’invention du concept du parc à thèmes, c’est une autre vision de l’homme qui sera abordée ici. Un homme aux valeurs patriotiques et conservatrices qu’il a su étendre au monde entier, dans les ruines d’un monde meurtri par la seconde guerre mondiale. De part sa capacité à créer des films de propagande puissants et éducatifs, Disney acquit un grand pouvoir et pu donner au monde un aperçu doré des Etats Unis d’Amérique et fut considéré comme un véritable bâtisseur de la morale publique, l’incarnation du parfait américain. The Walt Disney Company, actuellement leader en terme de loisirs tient une importance majeure dans la formation des futurs adultes de par sa visibilité et son influence mondiale. D'après une étude d'Elena Gianini Belotti, «Du côté des petites filles», «les contes originaux desquels sont tirés la plupart des productions Disney mettent en scène des personnages féminins inaptes à quoi que ce soit. Les fées et magiciennes, pour celles qui ne sont pas maléfiques, ne tiennent leur pouvoir que de puissances supérieures et donc extérieures à elles. Cet univers magique constitue donc un support de transmission aux enfants des règles qui cloisonneront plus tard une vision différenciée des sexes, de leurs capacités et de leurs rôles.» L’image que l’entreprise renvoie de ses personnages et plus particulièrement de la femme n’est pas anodine et n’est donc absolument pas dénuée d’importance. En prenant en compte son influence mondiale et son rôle dans la formation des esprits de demain, quels évènements historiques et sociologiques façonnèrent Walter Elias Disney et son Empire ? Quelle vision de la femme renvoie t’il et inculque t’il par le biais de ses princesses ? 3 Partie 1 - La première génération de Princesses «Femmes idéales et un goût certain pour le changement» (1901-1959) A. La condition des femmes et les prémices du changement 1901, seuil du XXème siècle. La Reine Victoria décède, détennant alors entre ses mains la moitié du monde. Symbole de la respectabilité anglaise, elle met un point d’honneur à donner le ton du savoir vivre élaboré et exige la haute moralité, et ces règles rigides de bonne conduite seront rapidement remplacées par une moralité sophistiquée, représentée par Edouard XII, aussi nommé «prince des plaisirs». Aux USA, la société de l’époque est reconnue pour son cachet de respectabilité. La femme est sous l’emprise d’une étiquette du savoir vivre particulièrement rigide, et ne peut uniquement s’occuper de son mari et de son foyer. Elle est bien évidemment non fumeuse et le vin se boit par petites gorgées occasionnelles. Elle ne doit de plus jamais parler d’anatomie humaine et rougit à l’évocation d’un simple baiser. En bref, l’honnête femme est sans cervelle, sans caractère et assexuée. Cependant, Edouard VII succède à sa mère. Le monde a le droit de désserrer petit à petit le corset dans lequel sa spontaneité et ses désirs étaient enfermés. La jeune fille américaine commence alors à s’inspirer pour façonner la personnalité qu’elle choisit d’avoir en défiant toutes les conventions. En 1905, un canon de beauté féminin voit le jour 4 dans les revues : La Gibson Girl, essence de ce que la femme américaine aspire à devenir. Elle est fraiche, élancée et surtout capable d’étourdir ses aspirants par son esprit vif et son franc-parler. La Gibson Girl Lorsqu’elle se marie, la Gibson Girl entrevoit un brillant avenir. La publicité de 1906 déclare que les tâches ménagères ne sont plus une corvée. En effet, la cuisinière à gaz fait disparaitre la saleté causée par le poële à bois et la toute nouvelle machine à laver à vapeur vous permet de consacrer votre temps à de nouvelles activités pendant que le linge se lave tout seul. Les loisirs, alors un luxe inaccoutumé pour les femmes, sont alors permis durant tout le temps libre obtenu et ouvre de nouvelles perspectives. De toutes ces inventions, rien n’enthousiasme plus la ménagère que le tout nouveau Nickelodeon, où elle découvre alors tout un monde inconnu pour un nickel, soit environ cinq centimes. Accompagné par des accords de piano, l’écran tremblotant devient le reflet de la mode, des manières et des moeurs de l’époque. Mary Pickford, l’une des premières grandes vedettes du cinéma de l’époque, transperse l’écran. Elle a la chance d’incarner la pureté et la bonté, et représente exactement ce qu’une nation désire pour ses filles. Toutefois, en dessous de ces rôles qui semblent lui coller à la peau, elle cache des qualités de femme d’affaire, ce qui ne manque pas de rejouir les quelques très rares féministes de l’époque 5 pour lesquelles une femme se doit d’être indépendante financièrement, moralement et spirituellement. Mais pour les autres femmes, restreintes à une carrière d’institutrice si elles viennent du bon milieu, ou de travailleuse sociale si elles en ont la trempe, ou d’infirmière si elles sont admises aux études, l’indépendance demeure un concept très vague. Il y a malheureusement à l’époque toujours du travail pour les pauvres, mais non de l’indépendance. En 1905, un million de femmes travaillent à l’usine pour 8 dollars par semaine, et souvent moins. Leur travail est pénible, les heures incroyablement longues et les conditions dangereuses. L’incendie de la manufacture Triangle Shirtwaist le 25 mars 1911 à New York , éveille par son tragique la conscience d’une nation. Et pour cause, il fit 146 victimes, en grande partie constituée de femmes. L’indignation déclenche une vague de protestation et des groupements sociaux se métamorphosent soudainement. Le suffrage féminin, après avoir cinquante ans couvé sous la cendre devient une brulante question d’actualité, et les femmes pronant le droit de vote féminin risquent l’arrestation pour plaider leur cause et bouleversent les campagnes présidentielles. L’ancien président Grover Cleveland déclara alors «Les femmes raisonnables ne souhaitent pas voter», tant toujours selon lui «les positions relatives de l’homme et de la femme furent déterminées il y a bien longtemps par une intelligence supérieure à la nôtre». Le bilan de l’incendie de la manufacture Triangle Shirtwaist 6 En 1917, le mouvement suffragiste rentre en veilleuse lorsque les USA rentrent en guerre. Mary Pickford, alors adulée, vend sur les écrans l’obligation de guerre. Elle symbolise à sa façon la révolution dans laquelle s’engagera bientôt la femme américaine, qui entrera alors dans ce domaine si fermé et s’y verra bien accueillie. Huit millions et demi de femmes sont employées dans l’effort de guerre et, devant ces chiffres, les traditions de toute une société s’effondrent, tout un mode de vie s’écroule. B. Une Amérique s’imposant dans un monde en ruines LA PREMIERE GUERRE MONDIALE Les États-Unis décidèrent de prendre part à la guerre 1914-1918 en 1917, contrairement aux déclarations du président Woodrow Wilson le 4 mars 1917 : «Il est des nations trop fières pour se battre». Ils étaient très attendus : des mutineries éclatèrent en 1917 dans 68 divisions des 112 qu’en comptait l’armée française, et cinquante soldats exécutés s’ajoutèrent aux terribles chiffres des pertes humaines, qui seront de plus de 18 millions en 1918. En avril 1917, des navires marchands furent coulés dans les zones de guerre par les forces de l’Axe, pour prévenir tout arrivage de munitions à l’égard des Alliés. Wilson déclara alors «Je ne consentirai jamais à ce qu’on limite en aucune façon les droits des citoyens américains». Pour beaucoup, cette tentative de justification de la part de la présidence cacherait des nécessités économiques : les États-Unis traversaient une crise depuis 1914, crise des affaires, prix agricoles en chute libre, banques déséquilibrées et chomâge important. Cependant, l’industrie lourde redressa fortement la barre en acheminant de l’armement, et en avril 1917, plus de deux milliards de dollars avait émanés de cet accord entre les ÉtatsUnis et les Alliés, ramenant la prospérité. De nombreux marchés étrangers avaient de plus été implantés par les États-Unis : en 1897, les investissements américains s’élevaient à 700 millions de dollars pour passer à 3,5 milliards en 1914. La Première Guerre Mondiale fut alors le berceau du «capitalisme à rivalité internationale [...] qui créa une communauté artificielle d’intérêt entre riches et pauvres 7 propore à supplanter la communauté originelle entre pauvres qui engendrait des mouvements sporadiques de révolte», selon Howard Zinn, historien et politologue américain. C’est au lendemain de l’Armistice, le 12 novembre 1918, que Walter Disney prend par à la Première Guerre Mondiale en s’engageant dans la division des ambulance de la Croix-Rouge américaine en France, ajoutant une année de plus sur son passeport, car il n’est agé que de 16 ans. Il restera en France une année, jusqu’en septembre 1919, et rentrera chez son frêre à Kansas City. Il détournera alors l’offre d’emploi de son père afin de se lancer dans une carrière de dessinateur publicitaire. Walt Disney devant une ambulance de la Croix Rouge en 1918 LES ANNEES 20 A la fin de la Première Guerre Mondiale, la deuxième Révolution industrielle était alors en marche, et tout s’enchaina très vite aux États-Unis. La guerre est terminée et la Gibson Girl auparavant timide, accueille son homme avec un abandon auquel il n’était pas habitué lors de son départ. Les femmes reviennent 8 dans la rue plaider la cause suffragiste, et pour la première fois le sentiment public est de leur côté tant leurs efforts furent cruciaux en temps de guerre. Le président Wilson déclarera au Congrès : «Démocratie veut dire que la femme jouera son rôle dans les affaires sur le même pied que l’homme». La loi incorporant le droit de vote des femmes à la constitution est alors signée en 1919 mettant une fin à longue lutte. Aux élections présidentielles de 1920, la femme a alors le droit d’exprimer son opinion sur les affaires de la nation, et elles ne devront plus quitter la table lorsqu’arrive le café cognac. En réalité, l’image des «Roaring Twenties», littérallement «Les années vrombissantes» n’est pas totalement fausse, et surtout dans les faits : de 1920 à 1927, le nombre de demandeurs d’emplois baissa de 4 270 000 à 2 000 000 et le salaire moyen augmenta, surtout dans le milieu agricole. Période de forte prospérité économique, le PNB passe de 78,9 milliards à 104,4 milliards de dollars de 1919 à 1929. Cette forte évolution est notamment due à de multiples progrès techniques : l’énergie électrique s’impose peu à peu dans un grand nombre d’industries, accompagnée de réorganisations du travail. Frédéric Taylor développe «The Principles of Scientific Managment», l’organisation scientifique du travail qui est très vite rejoint par la chaine de production d’Henri Ford, grâce aux progrès de la mécanisation. La Ford T, petite automobile, est considérée comme l’emblème de la révolution économique de cette période, devenant rapidemment un symbole de l‘ «American Way of Life». La plupart des familles peuvent alors enfin se permettre des achats «modernes» : automobiles, radios, réfrigérateurs... bien sur fortement aidées par la publicité, car, selon Henri Ford : «Ce n’est pas l’employeur qui paie les salaires mais le client». La part de publicité dans le PNB des U.S.A. passe de 360 millions de dollars américains en 1890 à 3 milliards en 1929. Et cette publicité trouve rapidemment de nouveaux supports : journaux, radios, qui sont à l’époque les principales sources d’informations. La concurrence entre vendeurs devient alors féroce, et de nouveaux besoins de consommations sont créés pour s’enrichir encore plus, allant jusqu’à étendre certaines camapgnes jusqu’à l’échelle nationale. Certaines célébrités viennent jusqu’à témoigner pour certains produits afin de faire naitre d’avantage d’envie chez l’auditeur ou le lecteur. C’est la naissance du fameux «business» américain, accompagné de forts profits pour l’heureux vainqueur de la course, course malheureusement au détriment de ceux qui ne rentrent pas dans le cadre du parfait Américain moyen. 9 En effet, des milliers de petits fermiers et immigrés dans les grandes villes se retrouvaient pauvres et sans travail, ne subvenant plus à leurs besoins les plus primaires. De 1922 à 1929, les revenus annuels des actionnaires firent un bon de 16,4 % tandis que ceux de l’industrie augmentèrent de 1,4 %, et plus de 42% des familles vivaient avec moins de 1000 dollars par an. Quelque 25 000 travailleurs trouvaient la mort sur leur lieu de travail, et 100 000 autres restaient handicapés à vie. Les conditions de logement au plein coeur de New York étaient déplorables, à tel point que pas moins de 2 millions d’habitants logeaient dans des appartements considérés comme des chausse-trapes en cas d’incendie. Au cours des années 1920, très peu de personnalités prirent la parole au nom des pauvres du pays. Le début des années 20 est aussi marqué par des décisions et mouvements radicaux. En janvier 1919, la fabrication, l’achat, la vente et la consommation de boissons contenant plus d’un degré d’alcool sont interdits, sous couvert de décision de santé publique. Le nerf de cet amendement est plus profond, tant il est le fruit de propagande et de lobbying de «ligues de tempérance». Des organisations voient alors leur influence grandir en reprenant en main le marché noir des boissons alcoolisées, souvent associé avec celui de la drogue, du jeu d’argent et de la prostitution. Al Capone reste sans doute un des personnages les plus marquants de l’histoire de la prohibition des années 20. Al Capone 10 En ces temps de prospérité lourdement scandés par une partie de la population, de nouveaux fléaux sociaux voient le jour. Au lendemain de la guerre, le modèle américain capitaliste se sent en danger face aux courants opposés tels que le bolchévisme, le syndicalisme ou encore l’anarchisme, et les adeptes sont fortement surveillés. La population américaine fait très vite l’amalgame entre ces «menaces» et tout ressortissant étranger, un comble pour une nation entièrement fondée sur l’immigration. L’Europe, en ruines, est donc la première cible des lois, de peur de flux d’immigrés trop importants. Le Congrès mit fin au flot d’immigrants, soit environ 14 millions entre 1900 et 1920 en votant des lois instaurant des quotats. Ces derniers favorisaient à l’évidence l’immigration anglo-saxonne, et arrêtaient net l’arrivée des Africains et des Asiatiques, tout en limitant à hauteur de 3% les arrivants latins, Juifs et Slaves. Les pays africains n’étaient en mesure d’envoyer qu’environ une centaine d’hommes, femmes, et enfants, tout autant que la Chine, la Bulgarie et la Palestine. Le Ku Klux Klan fait aussi son grand retour durant les «Roaring Twenties», dirigé par le colonel William J. Simmons en 1915. Il s’étendit même jusque dans le Nord, et comptait en 1924 plus de 4 millions et demi d’adeptes, semant la haine raciale sur son passage. La notion de WASP, White Anglo-Saxon Protestant est alors scandée par tous. Marcus Gavey, immigré jamaïcain, devint leader d’un mouvement nationaliste et pronaient un séparatisme radical et un retour aux pays d’origines pour les gens de couleur noire tant l’idée que l’homme de couleur devienne un jour l’égal de l’homme blanc était désespérée. C. Les débuts, le succès et les valeurs de Walt Disney dans un monde en guerres Walter Disney lance dans ce climat l’entreprise Laugh-O-Gram en 1922, centrée sur de courts dessins animés tirés de contes populaires. Le studio dépose très vite le bilan après un dernier film melant animation et prises de vue réelle «Alice’s Wonderland», et ce dernier constitue la pierre fondatrice des débuts de Disney. Il décide alors de tout quitter 11 pour partir en Californie, avec selon les croyances, uniquement 40 dollars sur lui. Une fois arrivé sur place, il décide de monter dans la maison de son oncle, un modeste studio d’animation avec son frère Roy. Le 16 octobre 1923, Margaret Winkler, qui détient les droits de la série Félix le chat, décide de commander douze films sur le même modèle qu’ «Alice’s Wonderland». Les studios Disney sont nés. Une image d’Alice’s Wonderland Durant un de ses nombreux retours en train de New York City, Disney créa un personnage qui fut une fondation de son empire culturel, Mortimer Mouse, bientôt renommé Mickey Mouse, aidé par son ami Ub Iwerks. Outre des progrès techniques impressionants, Mickey devint le porte parole du rêve américain en apportant une vision stéréotypée de la vie quotidienne et selon les rumeurs, fut pendant longtemps l’alter égo de Walt Disney. L’entêtement, le courage, l’imagination, toutes les valeurs de Disney étaient alors réunies en une seule petite souris. S’en suivit Minnie Mouse, la femme américaine accomplie, amenant la romance, Pluto, le meilleur ami de l’homme, Dingo, le comique absurde, et Donald Duck, le défenseur des USA durant la seconde guerre mondiale. Les «Fab Five», littérallement les «Cinq fabuleux» offraient 12 sur un plateau les différentes facettes de la personnalité américaine et permirent aux studios de gagner encore plus d’influence. Mickey Mouse et Donald Duck Prohibition, paix, prospérité et optimisme de la vie aux USA sont les mots d’ordres des années 20, mais les modes et les moeurs subissent une tranquille transformation. Les jeunes filles qui affluent aux universités sont les premières à préssentir un âge nouveau, et un doctorat sur sept est alors décroché par une femme. Elles seront demain les Flappers, les Jazz Babies, les Flaming Youth, symboles de femme affranchie et se rendent alors compte qu’elles seulent sont capables de façonner le monde qui les attend. L’age de Jazz arrive aux USA et la femme américaine, aux prises avec une moralité chancelante, se révolte délibérement. Elle ajoute à son vocabulaire le mot «naked». Les femmes expriment alors leur défiance de mille façons, afin de célebrer leur liberté retrouvée. Rien du domaine de l’homme ne demeure sacré. La femme émancipée se retrouve partout, même dans le domaine des sports où la femme athlète ne craint pas d’affronter ses rivaux. Elle plonge dans une épidémie de frivolité et s’acharne à se moquer de toutes les traditions. Le monde de la mode réflete bientôt les changements de la femme américaine : le corset et le camouflage sont alors en voie de disparition, remplacés par des jupes «courtes», à comprendre au dessous du genoux. 13 Les femmes sont alors plus minces, les poitrines plus plates, et leurs cheveux sont courts. Mary Pickford, dont les tresses furent le symbole de l’innocence durant tant d’années, se conforme elle aussi à l’air nouveau. La mort de Rudolph Valentino en 1926, symbolisant aux yeux de toutes «l’amour passion», crystallisera cependant l’image de la femme des années 20, hurlant d’hystérie et bousculant lors d’un dernier hommage. La frénésie de la femme des années 20 se termine à 15h30 le 24 octobre 1929, journée du Krach de la Bourse, premier jour de la dépression. L’âge des plaisirs est mort et dans toutes les familles on revient aux tâches les plus essentielles et vitales. L’optimisme est rapidemment remplacé par l’appréhension et la peur, dont elles en cherchent les raisons dans leur conscience. La femme américaine retrouve alors sa conscience sociale dans les lignes de piquetage; la frivolité n’est plus de mode, et la femme se penche sur les problèmes de la nation avec un serieux retrouvé. Les femmes aisées se consacrent alors à la charité et à la bonté, et deviennent le symbole d’une nation rendue à ses sens cherchant fébrilement à sortir de sa misère. En 1933, Franklin Roosevelt redonne le goût de vivre aux populations en lancant le 100 days deal et lancant la carrière d’Eleanor Roosevelt. Elle sillonne le pays pour son mari, lui faisant rapport de ce qu’elle constate. Elle bat la marche devant la femme américaine des années 30. Tout une génération de femmes de carrières emergera à l’image de la première dame de la nation. Une femme est même nommée secrétaire du travail dans le cabinet Roosevelt, Frances Perkins tandis que les reines de l’écran exultent un air de femmes du monde, telles Greta Garbo ou Claudette Colbert. Elles sont les déesses d’un monde de fantaisies, mais Amelia Earhart incarne d’autant mieux les valeurs de la femme des années 30 avec naturel, hardiesse et bon sens. Elle devient la première femme à franchir l’atlantique en avion et est acclamée par la population. Son avion disparaitra cependant durant sa tentative de tour du monde, et une nouvelle page de la femme américaine se fermera. Fort de ses multiples succès, Walt Disney voit les évènements à venir en plus grand. Afin de dégager un profit de ses studios, l’idée d’un premier long métrage germe dans son esprit créatif et désireux de montrer au monde meurtri ce qu’il peut produire. Se souvenant en présence de ses coéquipiers d’un film de 1916, Blanche Neige, il décida de baser son film sur cette histoire, elle même directement adaptée du conte des Frères Grimm. Ridiculisé par ses concurrents de l’industrie cinématographique, Walt Disney 14 s’entêta et décida qu’il mettrait tout en oeuvre pour créer l’Histoire. Pour assurer ses arrières financiers durant la période et surtout si le film eut été un échec, il décida tout de même de tester ses nombreuses techniques innovantes sur de nombreux travaux. Ces créations se portaient principalement sur l’animation réaliste des personnages humains et non anthropomorphes comme ses Fab Five. The Old Mill, sorti en 1937, fut l’occasion de tester l’invention de Bill Garity, originellement ingénieur du son, la caméra multiplane, permettant de donner un effet de perspective et de profondeur alors inédit dans un dessin animé. Ce projet de long métrage fut tout de fois fastidieux pour les troupes, mais, malgré tout, Walter Disney n’en démordant pas, il mit à la disposition de ses employés des formations et des sources d’inspirations venues d’Europe afin d’assurer à Blanche Neige et les Sept Nains une qualité inattendue et à la hauteur de ses espérances. Le film est projeté pour la première fois le 21 décembre 1937, deux mois après la sortie de The Old Mill, et c’est un franc succès, recevant une standing ovation de la part des spectacteurs. Il reçoit également en 1938 le titre de film le plus rentable de l’année, récoltant la modique somme de huit millions de dollars de l’époque, soit environ 98 millions de dollars aujourd’hui. Mais qui est Blanche Neige ? Nous connaissons tous sa merveilleuse histoire, la plupart du temps celle des studios Disney, édulcorée pour plaire au plus grand nombre. Ce que le grand public ignore souvent est le fait que Blanche Neige a en réalité quatorze ans. Entrant tout juste dans le développement de sa féminité, elle incarne l’innocence pure et les valeurs fondamentales d’une amérique n’ayant pas connu d’évolution fondamentale depuis le règne de Victoria. Blanche Neige n’a pas de poitrine, et seule sa robe peut laisser percevoir un dessin de hanches. Pourvue d’une mentalité juvénile, entrant inocemment dans la maison des sept nains, dormant dans leurs lits, et se souciant très peu de ce que les habitants penseraient de ses actions. Blanche Neige n’a absolument pas conscience de sa condition de femme, de sa propre personne, de sa beauté, et du regard qu’un étranger pourrait poser sur elle. Le prince, conscient pour sa part de ses attributs avantageux, gagne très vite sa confiance, malgré l’effraiement primaire dont elle fait preuve lors de ses premières approches, prenant ses jambes à son cou. Sa relation avec le dit prince a cependant des tendances agressives, mais il met tout de même en oeuvre des efforts pour réussir à séduire la jeune fille. Il a dix huit ans et lorsqu’il est témoin de la fuite de Blanche Neige après leur premier contact, il met de côtés ses penchants brusques et met au point une autre 15 technique de séduction pour arriver à ses fins. Il chante pour elle, la dessine et commence à se conduire de façon plus respectueuse. Son attachement purement physique évolue en une relation plus personnelle, cherchant à la connaitre. Néanmoins, Blanche Neige reste une femme naïve et crédule, malgré sa bonté et sa pureté. Elle croque dans la pomme empoissonnée de la méchante reine et meure, sans qu’elle ne puisse faire quoique ce soit. Tout n’est pas perdu cependant, car le prince charmant, confiant, lui fait finalement l’honneur de lui donner un baiser, qui aura le pouvoir de la réanimer subitement. Le baiser du Prince de Blanche Neige Il est important de noter que dans la version des frères Grimm de 1812, soit plus d’un siècle avant la version de Disney, le dénouement portant clairement le sceau d’une domination masculine n’était pas présent. Le prince ne faisait pas la cour à Blanche Neige, mais passait seulement sur le même chemin que le cortège funéraire de la jeune fille. Tombant subitement amoureux, il obtenait la permission d’emmener le corps, et un morceau de pomme se décoincait de la gorge de Blanche Neige, la réanimant. Le prince lui demandait ensuite sa main. 16 L’adaptation du conte des frères Grimm fut d’ailleurs le théatre de nombreux changements fondamentaux, pour plaire au plus grand nombre : la mère de Blanche Neige ne meure donc pas en couche, la Reine devient une vilaine sorcière à la place d’une simple vendeuse et le chasseur tente une seule et unique fois de la tuer (et non pas trois fois de par divers stratagèmes barbares). Le conte prend de plus une tournure comique par le biais de la personnalisation des sept nains, ainsi qu’un romantisme évident de par la relation entre Blanche Neige et le prince. Illustration du conte des frêres Grimm de Franz Jüttner, 1905 Blanche Neige et les Sept Nains, en plus de porter à l’écran un modèle féminin dépassé, fut aussi l’objet d’un épisode contreversé de la vie des Disney. D’après Leonard Mosley, Roy Disney fut reçu par Joseph Goebbels, bras droit d’Adolf Hitler, pour une projection privée dans le cinéma de ce dernier à Obersalzberg. Selon certaines sources, le film d’animation devint le préféré du Führer : «Blanche-Neige, adaptée à l'écran d'après le conte de Jacob et Wilhelm Grimm, originaires de Hesse, n'est-elle pas l'archétype de la beauté nordique et aryenne issue de la littérature allemande ? Et la sorcière au nez crochu, un symbole de l'esprit malfaisant, donc sûrement juif ?» aurait-il déclaré. Walt Disney faisait preuve selon les témoignages des salariés de l’époque d’un paternalisme exacerbé. Les années 1930, théatre des naissances et évolution de nombreux syndicats dans l’industrie du cinéma, ne tardèrent cependant pas à rattraper les Studios 17 Disney en 1941 qui voyait son nombre d’employés croitre de façon impressionnante, si bien que Walter ne pouvait plus connaitre et exercer une pression sur chacun d’entre eux. Durant la Seconde Guerre Mondiale, les studios Disney furent contraints de réduire leurs effectifs de plus de cinquante pourcent, conséquence directe des productions ne générant plus assez de bénéfices. Les primes et les augmentations des salaires furent gelées, et les employés de Disney sentent leur bulle dorée éclater, tant leur emploi n’est plus assuré. Les employés des studios Disney sont en effet les mieux payés de l’époque et travaillent dans des conditions révées pour le plupart des travailleurs, mais le mécontetement grandit de jour en jour sous pression de l’annonce. De nombreux employés rognaient tout de même sur une grande partie de leur temps libre, notamment sur le film Blanche Neige, car la seule augmentation de salaire de Walt Disney constituait en le fait de faire des heures supplémentaires et poussait les petites mains bien plus loin que les quarante heures hebdomadaires jusqu’aux frontières du code du travail américain, le Wagner Labor Relations Act. Le climat de tension constant n’aidait pas non plus l’administration à payer les employés dans les meilleurs délais, généralement selon leur importance : les animateurs les plus importants étaient de ce fait payés très rapidement, tandis que les faibles salaires des assistants ou tout simplement des mains à tout faire n’étaient pas versés en temps et en heure. D'après Richard Schickel, journaliste américain, Walt Disney aurait "répondu durement à la pression de sa situation économique difficile et grandissante". Les séances de travail sur l’écriture des scénarios devinrent alors très abruptes, tant Disney sentait la dérive de l’oeuvre de sa vie partir en morceaux. Cependant, il commit une erreur aux yeux de la Screen Cartoonist Guild, association de protection des employés du milieu de l’animation. En effet, il s’avèra que l’intégralité des employés licenciés étaient des employés syndiqués. A la fin de la grève, les USA entre dans la Seconde Guerre Mondiale, et l’âge d’or du cinéma d’animation touche à sa fin. Ce mouvement de protestation eu pour principale conséquence un changement dans la mentalité des employés de Disney. Walt Disney devint un membre supplémentaire du patronat comme il en existe beaucoup d’autres, et le cinéma d’animation devint une industrie. Walt Disney perdit complètement le visage paternaliste qu’on lui prêtait et le surnom des studios passèrent de Mouse House, la maison de la souris, à Mouse Factory, l’usine de la souris. 18 LA SECONDE GUERRE MONDIALE Durant la seconde guerre mondiale, les femmes américaines connaissent de nouveau les durs moments des adieux et après celle ci, le rôle de la femme dans la société ne sera plus jamais le même. Certaines ne resteront pas au foyer, leur utilité ayant été établie au cours de la grande guerre. Les femmes exigent et obtiennent uniforme qui leur est propre et plus de 200 000 femmes s’enrolent dans les forces militaires, apprenant à devenir soldat. La Glamour Girl d’Hollywood suit aussi les troupes, en donnant des spectacles aux forces armées. Ann Sheridan, Carol Lindus apportent des précieux moments de détente et d’oubli. Au pays, le «music-hall de guerre» est créé, mettant de jolies jeunes femmes en scène afin de divertir la population restée sur place, tandis que dans les usines, les femmes «au bandeau» participent à l’armement dans les lignes d’assemblage et, au point culminant de la guerre, 19 millions de femmes sont au travail. Les pénuries de la guerre et le fonctionnement par bon pour s’approvisionner en nourriture contraignent la femme américaine à gérer le bon fonctionnement de sa famille, et jamais elle ne sera restée si longtemps sans l’écho d’une voix d’homme. Ann Sheridan 19 Les studios Disney furent en les studios les plus productifs durant la Seconde Guerre Mondiale. Walt Disney s’efforca de mettre son équipe d’animateurs aux service du gouvernement américain pour produire des films éducatifs et militaires, afin de continuer à divertir le public mais surtout pour renforcer les idées populaires concernant l’Axe et le temps de guerre. Les studios Disney devinrent très rapidement des vecteurs de la culture américaine, de consommation et de profits, dirigés par un Walt Disney imposant ses idéaux. De sa jeunesse jusqu’au début de la seconde guerre mondiale, Walt Disney developpa ces derniers autour d’une simple notion : Le rêve américain, qu’il défendit jusqu’à sa mort en 1966. Chaque homme ou femme ayant la possibilité de vivre une vie heureuse emplie de succès professionnel et familial avait les critères pour son rêve américain. Celui ci était atteint selon lui par un travail acharné, la recherche de l’autonomie, l’innovation, le progrès, mais surtout par le patriotisme, l’individualisme, la moralité et la famille. Dès 1942, 90 % des employés des studios Disney travaillent pour des productions commandées par le gouvernement américain. Seulement, ceux ci n’avaient que très peu de succès. Disney trouva alors une parade pour promouvoir la culture américaine qu’il aimait depuis longtemps. Les dessins animés comme Superman des studios Warner, qui venait sauver Loïs des mains des nazis ne furent pas une inspiration, étant à son goût trop dur et promouvant sans pincettes les vertues patriotiques. Les films Disney allaient tout simplement être divertissants et promouvoir la culture américaine elle même. Les américains pensaient simplement que contribuer à la guerre était leur devoir, il illustra alors cette volonté, et comme la plupart des américains, Mickey et Donald partirent en guerre afin de renforcer un peuple uni pour leur patrie. Donald Duck part en guerre 20 En 1945, de longues années d’attente interminable prennent fins et les familles cherchent le retour à la vie normale, la défaite de l’Axe redonnant toute sa grandeur à aux USA. Une nouvelle révolution dans la cuisine suit de près le babyboom de 1946, et après des années de rigueur et privation, la ménagère ne demande qu’à prendre ses aises dans le nid confortable que constitue son foyer. Fidèle amatrice de télévision, la ménagère devient alors l’objet de consommation le plus choyé de l’histoire, avec plus de 75% de la réclame télévisée. Hollywood crée aussi l’image à laquelle elle aspire : la femme «toujours désirable», avec Marilyn Monroe ou Grace Kelly. Plus d’un milliard de dollars est dépensé chaque année par les femmes à la poursuite de la beauté éternelle, dans une société oppulente où un luxe est devenu nécessité. La beauté s’avère être une grande entreprise commerciale et de Main Street à la 5ème avenue, l’américaine a le choix entre 140 000 salons où, selon ses moyens, elle sera choyée et parée. A 13 ans, l’adolescente modèle a son propre téléphone, à 14 ans, son bikini, à 15 ans, ses cheveux sont décolorés et à 16 ans, elle obtient une voiture. Elle n’aspire qu’à terminer ses cours supérieurs puis entrer à l’université, et se mariera sans doute à 20 ans. Vingt millions de jeunes femmes deviendront alors des femmes de carrières, à l’égal de hommes, mais avec un statut social inférieur et un salaire diminué de 25%. Souvent stoppée par la maternité, la femme à carrière devient souvent mère au foyer et ne réintègre pas le monde du travail. La femme américaine reste indécise quant au rôle qu’elle doit jouer dans la société. «Femme avec caddie», caricature de la femme américaine, Duane Hanson, 1969 21 LA GUERRE FROIDE En 1947 commence la sombre période de la «Guerre froide» entre les USA et l’URSS, selon les mots en 1945 de George Orwell, divisant le monde en deux blocs idéologiquement radicalement différents. Les Etats Unis, vainqueurs de la Seconde Guerre Mondiale et heureux détenteurs de l’arme nucléaire fraichement utilisée, sortent triomphants du conflit, renforcés économiquement et militairement. Considérés comme la nation de la Liberté en ayant brisé le joug qui pesait sur l’Ouest de l’Europe et une partie de l’Allemagne, ils bénéficient d’un immense prestige moral et cherchent à étendre leur modèle idéologique, basé sur le libéralisme économique et le capitalisme. La démocratie, les libertés de presse et d’opinion ainsi que l’American Way of Life sont très vite pronés haut et fort sur la moitié de la planète. Ce modèle est donc radicalement opposé à celui du Staline, totalitaire et reposant sur une économie planifiée favorisant l’égalité des classes sociales. C’est donc en mars 1947 que tout débute. Le président Harry Truman, démocrate élu en 1945, tire la sonnette d’alarme visant directement l’expansion soviétique à travers l’Europe de l’Ouest et est fermement décidé à endiguer toute nouvelle avancée. Ses mots furent les suivant : «Je crois que les États-Unis doivent soutenir les peuples libres qui résistent à des tentatives d'asservissement […]. Je crois que nous devons aider les peuples libres à forger leur destin […]. Je crois que notre aide doit consister essentiellement en un soutien économique et financier. […] de maintenir la liberté des États du monde et à les protéger de l'avancée communiste.» Les terres de l’Europe de l’Ouest étaient en effet propices au développement du communisme. La situation dramatique dans laquelle étaient les Européens, en ruine après la Seconde Guerre Mondiale, aggravée par les hivers froids, voyaient déja les partis communistes italien et français remporter d’impressionnants succès électoraux. L'Europe est donc à reconstruire. Ses infrastructures ont beaucoup souffert et la production est quasiment nulle suite à la surexploitation et la destruction en période de guerre. La situation en Allemagne est l’une des plus préoccupantes : le froid tue les citoyens affamés, tant les barrières économiques et les restrictions de commerce forcent leurs anciens partenaires commerciaux à détruire leurs surplus agricoles. 22 Les USA ne sont toutefois pas simplement de généreux bienfaiteurs. Leur économie se porte bien, et leurs produits cherchent de nouveaux marchés. Le plan Marshall en juin 1947 prévoit alors de trouver des débouchés à l’étranger, financés par des prêts remboursables en dollars, permis uniquement grace à la banque mondiale et le fond monétaire international en adéquation avec les accords de Bretton Woods en 1944. Les USA sont alors les seuls à détenir un droit de véto. Les prêts étaient d’ailleurs autorisés uniquement en dollars ou en or pour ne perdre en aucun cas de l’argent dans le cas où un pays européen ruiné dévalue fortement. Les transactions en dollars étaient aussi l’assurance que l’argent reviendrait un jour sur le territoire pour être de nouveaux utilisés par les consommateurs internes. Seize pays d’Europe, France y compris, acceptent alors le plan Marshall tandis que l’URSS et ses «satellites» refusent. La protection militaire et économique des USA est alors très vite offerte dans le cadre du Traité de l’Atlantique Nord, l’OTAN (1949) et de l’OECE (1948). Les Etats Unis assoient donc leur domination sur une grande partie du monde en empêchant la propagation du communisme. Cependant, l’atmosphère ambiant cause une véritable paranoïa dans l’opinion américaine qui s’exprime directement par une crainte du communisme proné par le bloc soviétique. Dans une lettre adressée à Jaspers, philosophe allemand en 1949, Hannah Arendt elle même «philosophe» (elle ne se définissait pas comme telle) allemande naturalisée américaine, exprime son désarroi face au climat de la société américaine : «Ici, l’atmosphère politique générale, surtout dans les universités et les collèges (à l’exception des très grands), est actuellement peu agréable. La chasse aux rouges est en marche et les intellectuels américains, surtout dans la mesure où ils ont un passé radical et sont devenus antistaliniens au fil des années, se mettent en quelque sorte à l’unisson du Département d’État.». Dès 1946, Truman instaure une commission initiallement temporaire, chargée d’obtenir des renseignements personnels sur la loyauté des servants de l’état. La «chasse aux rouges», le McCarthysme sont lancés, tant la grande Amérique pense dur comme fer détenir en son sein des partisans d’idéologies ou régimes adverses, tels le fascisme, le nazisme et surtout le communisme. 23 Affiche de propagande américaine Cinq mois plus tard, le 21 mars 1947, l’Executive Order 9835 déclare la commission permanente. Malgré le ton sévère des mesures, le gouvernement Truman recevra des attaques de la part de conservateurs, notamment de Joseph McCarthy lui même, reprochant au gouvernement sa «complaisance à l’égard des communistes», appelée alors 24 Le gouvernement Truman reste toutefois l’objet d’attaques de la part des Républicains conservateurs, notamment les sénateurs Style Bridges (New Hampshire), William Jenner (Indiana), Karl Mundt (Dakota du Sud), et Joseph McCarthy lui-même, sur le thème de la présence de communistes au gouvernement et de sa «complaisance à l’égard des communistes». Le Comité des activités anti-américaines (HUAC), en place depuis 1938 et dirigée par Joseph McCarthy, est chargée alors d’infiltrer les réseaux et de débusquer toute personne ayant des rapports privilégiés avec les régimes «totalitaires». Pour ne pas enfreindre d’amendement de leur constitution, elle se basait essentiellement sur les lois concernant la haute trahison à l’encontre de la nation. Cependant, plusieurs personnes seront incarcérées pour avoir oser emettre l’idée que ce comité enfreignait les lois de la liberté d’expression. Joseph McCarthy se montre sous son meilleur jour peu démocratique en manquant ouvertement aux rêgles du Comité. Il se retrouve alors très vite maitre de son propre bateau : lui seul signe les assignations des accusés, envoyées souvent de façon à donner très peu de temps de préparation à ces derniers, et toutes les sessions exécutives doivent avoir lieu à huis clos, sauf exception faite pour des amis journalistes de McCarthy. En 1953, il obtiendra le droit d’engager et de remercier seul les membres du Comité. La HUAC étend son enquète dans le milieu du cinéma en 1947. Des scénaristes, des producteurs, et un acteur (Larry Parks) sont alors convoqués et seul onze d’entre eux se rendent sur place, les surnommés ensuite «Les Dix d’Hollywood» et Bertolt Brecht, metteur en scène et dramaturge allemand qui quittera le pays pour toujours le 30 octobre 1947, après avoir déclaré ne pas appartenir au parti communiste. Les dix autres refusèrent de répondre aux interrogations du comité en invoquant le premier amendement de la constitution américaine : «Le Congrès ne fera aucune loi qui touche l'établissement ou interdise le libre exercice d'une religion, ni qui restreigne la liberté de parole ou de la presse, ou le droit qu'a le peuple de s'assembler paisiblement et d'adresser des pétitions au gouvernement pour le redressement de ses griefs.» Ils seront inculpés pour outrage, accompagné par des peines de prison de six mois un an. 25 Les Hollywood Ten et leurs familles, 1950 La Motion Picture Association of America, représentant des six plus gros studios d’Hollywood tels que Paramount Pictures ou Twentietg Century Fox, déclare en 1947 toujours qu’elle n’emploirait plus de communistes, donnant naissance à une liste noire, composée d’artistes ou non, qui ne trouveraient bientôt plus d’emplois. Orson Welles ou encore Charlie Chaplin durent alors quitter le territoire américain, et ce jusqu’en 1960. La MPPA instaure de plus le Code Hays, nommé selon le président de la MPPA à l’époque, le sénateur William Hays et actif de 1934 à 1966. Le texte, composé en 1929 par deux hommes d’Eglises, vise à ne produire aucun film portant atteinte aux valeurs morales des spectateurs. Ainsi, la loi ne peut être ridiculisée et les personnages mauvais, comme le bandit ou la femme avec très peu de vertue ne doivent jamais attirer la sympathie du public. Le crime ne doit pas pousser à l’imitation selon sa représentation, et mène au domaine de l’implicite denué de détails, sans forcemment posséder une arme à feu. La vengeance est interdite si l’action se passe dans une époque contemporaine. Le trafic de drogue quant à lui est tout à fait banni de l’image, mais la consommation d’alcools forts est tolérée si elle est justifiée. 26 Mais dans notre cas, le plus important reste les valeurs de la sexualité imposées au cinéma, et donc dans les films Disney, jusqu’à 1966. La mariage et la famille consituent des valeurs fondamentales aux yeux des redacteurs. Ainsi, la passion, les caresses sensuelles et autres gestes sugestifs ne trouvent plus leurs places dans un scénario, et encore moins l’adultère qui ne doit pas être représentée explicitement. Selon les rédacteurs toujours, «La présentation de chambres à coucher doit être dirigée par le bon goût et la délicatesse». Ensuite, la séduction et son opposé le plus direct, le viol, ne sont uniquement présent si cruciaux au scénario et n’ont pas leur place dans une comédie. Pour finir, c’est filmé sous un drapeau américain présenté de façon respectueuse que les acteurs évoluront. Message diffusé avant tous les films certifiant leur respect du code de production, aussi appelé code Hays Walter Disney eut droit lui aussi à son lot de moments sombres durant la période de la Guerre Froide. En 1947, il témoigne dans un cadre privé, devant l’enquêteur en chef pour l’HUAC Robert E. Stripling, afin de dénoncer trois de ses employés majeurs qu’il soupçonne d’avoir des penchants vers le communisme. Ces trois hommes, car les femmes n’avaient pas le droit d’obtenir des postes à responsabilités ou pas le droit du tout de travailler aux studios, était Herbert Sorrell, gestionnaire et chefs d’unions professionnelles qui appela à la grève des Studios Disney en 1941, David Hilberman, animateur et pilier du style animé des années 1940 et William Pomerance, lui aussi animateur. Ces trois collègues lancèrent ensemble le studio d’animation nommé Tempo. 27 L’accusation est grave, et Walter Disney reviendra sur ces évènements avec pour seul et unique commentaire «No one has any way of proving», personne ne saura donc réellement si les propos étaient vrais. Une autre version des faits penche vers l’hypothèse que la vraie raison de cette dénonciation fut la rancoeur de Disney dans le rôle des trois hommes dans les grêves de 1941 au studio Disney. Cependant, malgré des accusations hasardeuses, tout n’est pas perdu pour Disney. Il profite de ces confessions pour s’enorguillir de vertues patriotiques et morales à toute s épreuves, et recevra pour son geste les chaudes félicitations du jury chargé de l’affaire. En 1950 sort Cendrillon. L’interpretation la plus populaire du film Cendrillon qui dore de façon non négligeable le blason du travail scénaristique des studios Disney est celle de l’élévation sociale d’une jeune servante devenant princesse. Cette interprétation est tout simplement fausse compte tenu du fait que Cendrillon n’est pas une roturière. Issue de sang royal, elle passe sa jeunesse dans un cocon au coeur d’un élégant chateau d’un royaume européen. Cependant, la mort de sa mère laisse place à l’arrivée de sa belle-mère, dilapidant l’argent à tout va et décidant de contraindre Cendrillon à une vie de guenilles. Il s’avère que Cendrillon reste purement l’incarnation de la formule de l’héroine passive parfaite, au coeur pur, formule magique des studios s’inspirant des comptes dans lesquels ils puisent leurs idées. Cendrillon est une vraie femme. Dotée de courbes harmoniseuses et d’une structure faciale d’adulte, elle aborde les évènements de son histoire de manière plus mature que Blanche Neige, tout en étant très consciente du monde qui l’entoure. Tout comme elle, Cendrillon n’a aucune expérience en ce qui concerne le domaine des comportements masculins. Elle ne fuit pas devant les avances du Prince, mais bien au contraire lui déclare sa flamme avec un enthousiasme candide peu dissimulé. Cendrillon rêve, comme Blanche Neige, du bonheur. Les héroines de ces deux contes passent leur temps à chanter entourées d’animaux dont elles prennent grand soin, et qui les aide en retour dans leurs tâches ménagères. Cendrillon nourrit aussi les animaux, les protège comme une mère et ses enfants. Le prince quant à lui a d’autres priorités. Cendrillon est une femme, une vraie et il ne cache pas son attirance physique envers elle, en prenant des décisions superficielles. Lorsque la future princesse fuit au douze coups de minuit, il fait même preuve de possessivité brutale en la retenant pas le bras. D’un autre côté, il ne sort même pas 28 personnellement de son chateau pour la chercher préférant envoyer son serviteur, comme s’il allait tout simplement chercher son jouet favori plutôt que l’amour de sa vie. Cendrillon et le Prince au bal Princesse Cendrillon permet d’assoir un formalisme et un idéal de la femme chez les studios Disney, jusqu’alors partiellement définis avec Blanche Neige. La recette se compose de bases religieuses le plus souvent issues du christianisme, mélangées avec le folklore traditionnel propre aux contes desquelles elles sont tirées. Les valeurs du rêve américain, celui du succès et de la richesse, d’une élévation de la condition de vie et du matérialisme sont aussi très importante, le tout surmonté d’un brin de magie et d’une morale qui peut très souvent se résumer dans la phrase suivante : le Bien triomphe du Mal. 29 Illustration de Cendrillon par Gustave Doré en 1867 Grace à Cendrillon, les studios Disney renouent enfin, après de longues années d’errances, avec le succès financier, ce qui leur permettent, seulement neuf ans plus tard, de mettre en avant une nouvelle princesse : Aurore, la Belle au Bois Dormant. Ce long métrage est de nouveau adapté du conte des frères Grimm et de Charles Perrault, et Walt Disney décide d’en faire son chef d’oeuvre, souhaitant démontrer la supériorité de l’animation Disney, mais l’esquisse du scénario se révela plus difficile que pour les précédentes adaptations. Selon Walter Disney, «Produire une autre fable bien connue comme La Belle au bois dormant est difficile car il y a des éléments que nous avons déjà utilisés dans Blanche-Neige et les Sept Nains (1937) et Cendrillon (1950). Vous devez donner à vos créateurs de nouveaux sujets pour qu'ils conservent leur enthousiasme. Vous avez un problème s'ils se posent la question Avons-nous déjà fait cela avant ? Dans ce cas, de nouvelles approches doivent être conçues.» 30 Malgré cela, de nombreux éléments non utilisés dans les films précédents seront réutilisés, comme l’ouverture sur un livre de conte qui deviendra alors la signature des adaptation de contes Disney ou encore la scène du Prince sauvé par les oiseaux, originellement prévue pour Blanche Neige. Aurore, la Belle au Bois Dormant Diffère l’importance du Prince Philippe dans cette adaptation, qui est l’un des seuls moyens de caractérisation d’Aurore. Il est décrit comme gentil, agréable, instruit, courtois, romantique et par dessus tout courageux, mais, si ce film n’avait pas eu pour but d’être un film familial et surtout créé par Disney, l’interrogation du simple désir charnel d’un jeune homme venant profiter d’une belle femme endormie aurait pu être soulevée. La version originelle confirmerait de plus cette interrogation tant Aurore et Philippe deviennent parents de deux merveilleux bambins... avant même le réveil d’Aurore. Comble du gentilhomme, le Prince ne supporte pas la refus et montre des tendances aggressives envers la princesse et envers son entourag : il attrape la Belle et lui bloque le passage lorsqu’elle tente de fuir. Son père n’est qu’un piètre homme à ses yeux, qui ne mérite pas le respect, qu’il ne manque pas d’ennuyer lorsqu’il s’entête en son mariage avec Aurore. 31 Cette dernière, face à ce comportement, ne sait définitivement pas sur quel pied danser. Elle fuit, retombe dans les bras du Prince, fuit de nouveau puis l’invite chez elle. Elle ne se révolte devant aucune autorité, ni celle des fées qui lui annoncent son mariage arrange, ni envers Philippe, inconnu envers lequel elle ressent un très fort attachement emotionnel et dont elle se crée l’idée du besoin de façon très soumise, à la manière d’un syndrome de Stockholm. Elle a trois actions principales (seulement) : être maudite, tomber amoureuse et se rendormir, sans réel champ d’action entre celles-ci. La Belle au Bois Dormant, illustration de Gustave Doré, 1867 David Whitley, écrivain britannique, constate que «les trois princesses, BlancheNeige, Cendrillon et Aurore, sont toutes des archétypes de la princesse des contes à sauver, des héroïnes passives, particulièrement douées pour les tâches ménagères 32 assistées par des animaux». Bob Thomas, journaliste américain, s'interroge lui sur le fait «qu'Aurore tombe amoureuse au premier regard du prince car, si elle a obéi à ses marraines, Philippe doit être le premier garçon de son âge qu'elle rencontre». Christopher Finch, auteur américain, aggrémente les propos des deux personnages précédents en déclarant que «les deux héros sont le summum du personnage creux dont les éléments les constituant proviennent uniquement de clichés». Le personnage principal du film, celui qui attire l’attention des spectateurs, devient la méchante sorcière Maléfique, ce qui n’arrange guère la vision du personnage féminin dans La Belle au Bois Dormant, donnant au spectateur le choix entre une princesse fade et sans personnalité et une méchante sorcière. Malgré des critiques cinématographiques peu clémentes et un accueil du public mitigé, le film se hissa tout de même au sommet des films les plus caractéristiques de l’univers magique des studios Disney. Maléfique, la méchante sorcière Malgré les difficultés rencontrées tout au long de son parcours, Walt Disney su hériger ses studios comme les meilleurs et imposer à tous un discours et des valeurs patriotiques et conservatrices très peu en phase avec l’évolution de la société. Qu’en sera t’il lors des évènements à venir bouleversant totalement la société américaine, et surtout après sa mort en 1966 ? 33 Partie 2 - Un revirement soudain au sein de l’Amérique traditionnaliste «Un bouleversement des pensées et des femmes de caractère» (Les années 1960 - 1970) A. La perte de confiance du peuple américain LA REVOLTE NOIRE En marge du climat de Guerre Froide régnant et encore pour de longues années, les USA font face à un combat interne d’une toute autre ampleur. De 1950 à 1960, la Révolte Noire prit tout le monde de court. La population afro-américaine, sans cesse lynchée et humiliée au cours de l’histoire du pays de par le temps de l’esclavage, aboli en 1865 par Abraham Lincoln et de la ségrégation rongeant le quotidien, générations après générations. Le mal être s’exprime alors souvent à travers l’art : le blues, pourtant si calme, chante la colère tandis que le jazz, si joyeux fait retentir le son de la révolte et même la soumission qui transpirait de part des signes plus irrespectueux les uns que les autres, tels que le «nègre» incapable et servile au théatre, ne pouvait signifier autre chose que le ressentiment et la colère. La population afro-américaine, malgré toutes les violences subies depuis de nombreuses années, s’en tinrent à la non-violence. Le premier janvier 1960, quatre jeunes collègiens noirs décidèrent de leur plein gré de s’assoir et déjeuner à la caféteria d’un magasin où seuls les blancs étaient admis. Il ne furent pas servis et de par leur obstination, 34 la caféteria fut fermée une journée, mais s’entéterent à revenir chaque midi, suivis à chaque fois silencieusement par d’autres élèves de couleur noire. C’est un des premiers exemples de sit-in, stratégie que si rependit vite dans les deux semaines qui suivirent. La plupart des manifestants pacifistes furent alors brutalisés, mais leur but de combattre la ségrégation leur donnait la force de continuer et au cours de l’année suivante, plus de 50 000 personnes participèrent à des centaines de manifestations dans tout le pays. Le sit in de la caféteria de Greensboro Le CORE (Congress of Racial Equality) se forma aussi cette année là et organisa les «Freedom Rides», consistant en des hommes de couleurs noires et blanches prenant ensemble la route vers le Sud en bus, terre de la ségrégation, afin de dénoncer les inégalités dans les transports en commun. Ces pratiques étaient en effet illégales mais les autorités fédérales ne veillaient pas à la bonne application de la loi. Le 4 mais 1961, deux bus quittent Washington DC et n’arriveront jamais à bon port. Les passagers du premier bus furent roués de coups à la barre de fer en Caroline du Sud et le second fut incendié, sous les yeux de la police et des agents du FBI présents en tant qu’observateurs, qui prirent des notes sans sourciller. 35 Ces mouvements eurent surtout une grande importance dans la formation de la jeunesse des années 1960. Le SNCC, Student Nonviolent Coordinating Commitee devient l’un des principaux organismes de la contestation. En 1963, pendant que des milliers de Noirs se retrouvèrent confrontés aux matraques de la police et aux lances d’incendies, les jeunes du SNCC s’activaient dans le Sud, secondés par des personnalités locales, en accompagnant les communautés noires à voter et protester contre le racisme et la violence. Cependant, la peur des Noirs s’installait de nouveau dans ces mouvements. Les lois fédérales étaient bafouées, les militants battus et emprisonnés et trois jeunes, deux Blancs et un Noir furent assassinés en pleine rue par le sherif et son adjoint dans l’Etat du Mississipi, conséquence directe du refus du gouvernement de protéger la population noire des violences. Le mécontentement contre le gouvernement grondait. En 1965, le Congrès finit par réagir et garanti la protection fédérale du droit de s’inscrire sur les listes électorales et le droit de vote pour la population noire. Le gouvernement fédéral, de son côté, essayait d’endiguer la colère par des mécanismes bien rodés tels que les manifestations autorisées et les pétitions. Durant l’été 1963, la marche sur Washington fut organisée et le président Kennedy ne tarda pas à récupérer le projet. Martin Luther King déclara le fameux discours «I have a dream», cependant très peu représentatif de la colère des populations face aux violences et inégalités ambiantes. Le président Kennedy quant à lui apprécia énormément les faux airs de calme et d’endiguement des problèmes sociaux, dénué de toute énergie militante, car la population noire avait été stoppée par lui même ce jour là. Malheureusement pour lui, son plan fut déjoué. Les Noirs ne pouvaient pas se tenir à une marche spectaculaire laissant un goût amer, s’additionnant par dessus des lois civiques ne changeant rien à leur condition ainsi que divers attentats et violences. En 1964, 50% de la population noire vivait sous le seuil de pauvreté, contre 12 % de la population blanche, démontrant que les solutions au racisme et à la pauvreté n’étaient pas celles déja prises. Jusqu’en 1967, le pays fut secoué par d’inombrables violences, mais rien de comparable à la révolte urbaine la plus importante de l’histoire des USA. Quatre-ving-trois personnes furent tuées lors de ces emeutes dont le mot d’ordre étaient «Black Power», sur un modèle décrit par l’écrivain blanc Huxley «les libertés ne se donnent pas, elles se 36 prennent». Malcolm X fut sans nulle doute l’un des plus grands porte paroles de ce mouvement, pronant l’indépendance de la population noire, en s’hérigeant tel le martyre. Malcolm X Martin Luther King devint en 1968 l’une des cibles privilégiées du FBI, en réagissant et en s’indignant directement contre la guerre du Vietnam. Il établissait en effet un lien direct entre la guerre et la pauvreté : «Nous devons inévitablement soulever la question du tragique renversement des priorités. Nous dépensons tout cet argent pour la mort et la destruction alors que nous n’en accordons pas assez pour la vie et le développement». En 1976, un rapport du FBI écrit noir sur blanc qu’ils cherchaient à «détruire le Réverend Martin Luther King», qui s’interessait aux questions trop délicates. Son assassinat en 1968 entraina de nouvelles émeutes urbaines à travers le pays, réveillant une organisation créée en 1967 par le gouvernement, encadrant les travailleurs noirs dans le but d’éviter tout mouvement révolutionnaire. La Ligue des travailleurs noirs était un fléau pour le gouvernement, car beaucoup plus dangereux que les mouvements 37 civiques : il permettrait de ralier Blancs et Noirs autour du sujet de l’exploitation sociale. En novembre 1963, Randoplh, militant de la cause, s’était d’ailleurs exprimé «Les protestations des Noirs aujourd’hui ne sont que les premiers soubresauts de la «sousclasse». Les Noirs aujourd’hui sont dans la rue, mais les autres chômeurs, toutes races confondues, viendront les y rejoindre». Les femmes noires commencèrent elles aussi à se révolter. En 1970, Patricia Robinson évoquait le lien entre domination masculine et capitalisme et, selon ses dires : «la femme noire est aux côtés de tous les déshérités du monde et se retrouve dans leurs combats révolutionnaires et [...] remet en question les abus de la domination masculine et la hiérarchie des classes qui la conforte, c’est-à-dire le capitalisme». Au début des années 70, les Noirs votaient en grand nombre. En 1977, plus de 2000 Noirs occupaient des fonctions dans l’administration et deux membres du Congrès, onze sénateurs, 267 délégués de comté, 76 maires et 18 shérifs étaient de couleur noire. Des progrès spectaculaires, qui malheureusement ne pouvaient pas arreter le chômage, la drogue, les crimes et la violence des classes populaires noires. Le racisme s’installa aussi dans les villes du Nord à mesure que le gouvernement faisait des concessions envers la population noire défavorisée, la mettant directement en concurrence avec les Blancs pauvres. LA GUERRE DU VIETNAM Les événements lors de la révolte noire remirent en cause le gouvernement paternaliste américain et la confiance s’ébranlait. La Guerre du Vietnam, de 1954 à 1975, ne plaida une fois de plus sa cause. En 1954, les Français perdent la guerre d’ Indochine, la population locale soutenant fortement la politique d’Ho Chi Minh, et une conférence internationale se réunit à Genève afin de nouer un accord de paix entre le France et le Viet Minh. Cependant, les USA s’efforcèrent d’empêcher la réunification des deux Viet Nam et placèrent le Sud-Vietnam dans une sphère d’influence américaine, avec à sa tête un ancien dirigeant vietnamien, Ngo 38 Dinh Diem. Ce dernier empêcha, sur demande des USA, les élections pour un Vietnam uni et son gouvernement s’installa fermement grace aux aides financières et militaires des USA. Mais Diem deviend très rapidemment très impopulaire, étant catholique dans un pays majoritairement bouddhiste, propriétaire terrien dans une nation rurale. Il emprisonna aussi massivement ceux qui s’opposait à son régime, qu’il menait d’une main de fer. Le Front de Libération National vit le jour dans le Sud Vietnam en 1960, et se lanca alors dans une véritable guerilla et mettant le paysan vietnamien au centre de toutes les préoccupations, et ayant pour but de rétablir l’égalité sociale. John F. Kennedy prend ses fonctions en 1961 et approuve alors directement un plan secret autorisant des opérations militaires au Laos et au Vietnam, concernant en partie des sabotages au Nord Vietnam. En 1956, il avait déja applaudi les exploits de Diem et affirmé que «son libéralisme politique était une source d’inspiration». En mai 1963, un moine bouddhiste s’immole par le feu afin de crier haut et fort son opposition au régime, et, après des interventions de police musclées, Diem fait fermer tous les temples et pagodes provoquant une manifestation meurtrière de plus de 10 000 personnes à Huê. John F. Kennedy 39 Kennedy brisa alors les accords de Genève en envoyant plus de 16 000 militaires au lieu des 685 autorisés, mais Diem devint de plus en plus impopulaire, le FNL dirigeant déja la plupart des zones rurales du Sud Vietnam, et il fut dès alors considéré comme une gène entre les USA et le Vietnam. Diem prit alors la fuite du palais présidentiel en novembre 1963 mais fut très vite arrêté par des généraux insurgés et exécuté, et Kennedy de déclarer : «Comme vous le savez, les USA volent depuis plus de dix ans au secours du gouvernement vietnamien et de la population vietnamienne pour garantir leur indépendance» à la population américaine. Trois semaines après l’éxecution de Diem, Kennedy était assassiné. Cependant, le FNL était toujours aussi populaire, et les troupes vietnamienne gardait un moral au beau fixe. En 1964, le président Johnson annonça à la population américaine au milieu du mois d’août que des torpilleurs vietnamiens avait attaqué de destroyers américains, une «agression injustifiable». Il s’avera quelques années plus tard que ces affirmations étaient un coup monté et que la CIA était en opération secrète dans la même zone au moment des faits. Le fameux destroyers, «Maddox», était lui aussi en mission d’espionnage dans les eaux vietnamiennes. Une seconde attaque déclarée par Johnson, une «attaque délibérée», fut inventée de toutes pièces. Le gouvernement obtint la permission à l’unanimité d’engager une intervention militaire en Asie. Cependant, l’opinion restait sérieusement divisée au sujet de leur politique belliqueuse, et des petitions furent signées par centaines afin de déclarer l’inconstitutionnalité de la guerre. De nombreuses régions du Vietnam furent déclarées «Free Fire Zones», c’est à dire que toute personne y était considérée comme ennemi, hommes, femmes et enfants et les survivants envoyés dans des camps de réfugiés y étaient battus et violentés. Des régions entières furent détruites par les produits chimiques, et pire encore, une génération entière fut touchée par des malformations à la naissance suite à l’exposition de leurs mères. Le 16 mars 1968, un hameau fut investi par les forces américaines. Sur ordre, ils regroupèrent hommes, femmes et enfants dans une fosse et les exécutèrent tous un à un. Tout était détruit dans l’horreur sur le passage de l’armée américaine. Aux yeux du gouvernement, ce genre d’incidents n’était qu’infimes dans leur entreprise de destruction des populations civiles. La destruction de barrages et d’écluses pour inonder les rizières et provoquer la famine est un parfait exemple des moyens désespérés mis en oeuvre au fur et à mesure que la popularité du gouvernement vietnamien et des décisions américaines diminuait. Le FNL continuait quant à lui à s’imposer comme le choix du peuple et les bombardements massifs 40 sur les zones civiles, et non militaires exclusivement comme le déclarait Johnson à la population, n’y changera rien. De nouveaux doutes s’implantèrent des les esprits américains. Début 1968, beaucoup commencèrent à prendre conscience de la cruauté de cette guerre, et de l’incapacité de la gagner du pays qui avait déja fait tuer 40 000 soldats américains et blesser 250 000 autres. La popularité du président était au plus bas, et chaque apparition publique s’accompagnait d’une manifestation : «LBJ (Lyndon B. Johnson) combien as tu tué d’enfants aujourd’hui ?». Nixon, élu en 1968, s’engagea à sortir les USA de la guerre, mais ne fit en réalité que cesser les actes de «barbarie» et laissa tout de même plus de 150 000 soldats américains accompagner les troupes vietnamiennes au sol. En 1970, il lanca une tentative d’invasion du Cambodge qui ne fut jamais révelée à la population américaine. L’information arriva tout de même au pays et provoque une vague d’indignation et de contestation face à un nouvel échec militaire. Un véritable changement d’opinion s’opéra. De plus en plus nombreux, les jeunes refusèrent de s’enroler dans la guerre et à partir de 1964, le slogan «Nous n’irons pas» apparu sur tous les murs. De gigantesques feux de joie furent organisés pour brûler des centaines de lettres d’incorporations, et une opération de «retour à l’envoyeur» massive fut organisée en 1967. Fin 1969, plus de 33 OOO jeunes avaient refusé de participer à la guerre. Le 2 novembre 1965, Norman Morrison, un pacifiste de 32 ans s’immola par le feu sous la fenêtre du secrétaire de la Défense en signe de protestation. En 1971, 20 000 individus se rendirent à Washington afin de dénoncer les atrocités au Vietnam et 14 000 d’entre eux furent interpellés, ce qui constitue encore aujourd’hui la plus grande arrestation de l’histoire des USA. Des personnalités s’engagèrent même dans la dénonciation de la guerre : Robert Powell et Arthur Miller refusèrent de se rendre à un diner à la Maison Blanche tandis que la chanteuse Eartha Kitt choqua en exprimant son opinion devant la femme du président. La classe moyenne se mit également à hausser le ton. En mai 1970, le New York Times titrait «Mille éminents hommes de loi se joignent aux pacifistes», tandis que le milieu des affaires tremblait devant une répercussion de la guerre sur leur business. Le mouvement pacifiste fut aussi rejoint par des membres inhabituels, tels que des prêtres et religieuses catholiques, qui brisèrent le conservatisme catholique et relièrent une communauté de plus à la cause. En 1971, plus de 60% de la population américaine favorisait le retrait des forces armées du Vietnam. 41 A l’automne 1973, les USA proposèrent un compromis avec le Nord Vietnam : leur invasion serait stoppée nette en l’état et les forces armées seraient retirées. Saigon rejeta cette solution et l’armée américaine lanca un dernier assaut sur les maisons et hopitaux, qui se solda elle aussi par un échec. Protestation anti guerre du Vietnam La guerre du Vietnam démontre que les dirigeants politiques furent les derniers à se résoudre à faire un pas en direction de la paix, devancés de très loin par le peuple. L’administration américaine tenta de faire croire aux Américains que la guerre cessait car la paix allait finalement être négociée mais des documents confidentiels vinrent contrecarrer ces déclarations, laissant toute l’institution politique au plus bas de sa popularité, très loin du gouvernement puissant et aimé des décennies précédentes. En 1974, le scandale du Watergate, sombre affaire d’espionnage forcant le président Nixon à démissionner, brisera à tout jamais la confiance totale du peuple américain. 42 B. Un immense mouvement féministe Et le bouleversement de la pensée collective ne s’arretera pas là. En 1964, la sociologue et féministe Alice Rossi déclarait «S’il il n’y a pas d’antiféminisme déclaré dans notre société, ce n’est certes pas parce que l’égalité des sexes y est acquise, mais parce qu’il n’y a quasiment plus la moindre étincelle de féminisme chez les Américaines». Certaines femmes, la plupart du temps issues du milieu bourgeois blanc, commencèrent alors à prendre la parole, et exprimèrent un malaise commun cependant à toutes les femmes : un sentiment d’insatisfaction, d’attente, devant lequel chaque femme luttait seule dans leur quotidien de ménagère, qu’elles mirent un jour en commun. Le problème était que l’idéal de la femme durant les années 60 reposait sur la femme épouse et la femme mère, vivant pour son mariage et sa descendance, sacrifiant ses propres aspirations, pourtant cruciales à son bien être. Les femmes, lorsqu’elles travaillent, restaient bien souvent à des postes qui semblaient «naturellement» leur être confiés. Ainsi, elles exercèrent majoritairement des postes de secrétaires, femmes de ménages, institutrices, vendeuses, serveuses ou infirmières. Elles étaient généralement victimes d’une remise en cause de leurs facultés intellectuelles, raillées de par l’objet sexuel qu’elles représentaient aux yeux des hommes, insultées et exploitées de par de hautes exigences, supérieures à celles demandées aux hommes. Le reste des femmes n’étaient cependant pas reconnues comme travailleuses aux yeux de la société capitaliste, et restaient en dehors du système économique moderne, tels les paysans d’autrefois. Vers 1967, des femmes issues de tous horizons commencèrent à se regrouper en tant que femmes, tandis qu’en 1968, les Radical Women se révoltèrent et manifestèrent contre l’éléction de Miss Amérique, en qui elle voyait un «idéal féminin tyrannique». Elles se mirent à jeter sur scène toutes sortes de sous-vêtements féminins, des bigoudis, des faux cils et autres accessoires qu’elles considéraient comme des artifices dégradants pour la femme, et sacrèrent une brebis miss Amérique. Certaines femmes membres des Radical Women formèrent peu après la WITCH (Women’s International Terrorist Conspiracy from Hell, acronyme signifiant sorcière en anglais) dont les membres se déguisaient en sorcières pour distribuer des tracts : «Dans toute femme, une sorcière vit et ricane. Elle est l’être libre en chacune de nous, derrière les sourires timides, l’acceptation de l’absurde 43 domination masculine, le maquillage ou les vêtements qui torturent nos corps et que la société nous impose. Nulle n’est tenue de rejoindre les WITCH. SI vous êtes une femme et que vous osez regarder en vous-même, vous êtes une Sorcière et vous dictez vos propres règles.». Elles manifestèrent notamment pour dénoncer les conditions de travail des femmes mais aussi les activités et l’exploitation du Tiers-Monde, et s’engagèrent à protéger toute femme déclarant de vive voix sa passion féministe. En 1968, Dorothy Bolden, blanchisseuse, forma le NDWU, la National Domestic Workers Union. Elle se donna pour objectif de défendre les femmes afin qu’elles soient écoutées au sein de leur communauté et d’améliorer leurs conditions de vie. Elle estimait que les femmes avaient été trop longtemps méprisées et suivirent ses pas sportives, artistes, journalistes qui, de part et d’autre du pays commençaient enfin à dénoncer haut et fort les injustices faites au femmes. En 1974, plus de cinque cent universités proposaient des Women Studies, des cours de questionnement de la condition de la femme. La presse ne tarda pas à rattraper son retard. De nombreux journaux féministes, à toutes échelles, firent leur première parution, et ils étaient si nombreux que des rayons entiers durent leur être consacrés. La télévision aussi était touchée par l’ouragan féministe et certaines publicités ouvertement misogynes disparurent du petit écran face aux pressions exercées. En 1967, le président Johnson signa un décret interdisant la discrimination sexuelle dans l’administration fédérale, et les femmes veillèrent à ce que ce décret soit appliqués dans les faits. Ainsi, plus d’un millier de procès furent intentés contre des entreprises ne le respectant pas. L’opinion publique devint de plus en plus favorable à l’expression des désirs et des objectifs des femmes. Fin 1973, à la suite d’un long débat, la Cour suprême annonça que l’Etat ne pouvait intervenir en interdisant à une femme l’interruption de sa grossesse dans les trois premiers mois de gestation, les avortements clandestins faisant des milliers de mortes chaque année. Poussée par ce vent favorable, les femmes décidèrent de dénoncer un sujet grave : le viol. Plus de 50 000 étaient rapportés chaque année. En outre l’enseignement de l’autodéfense, les femmes s’engagèrent dans un combat contre le traitement des affaires de viols par la police qui accusait et humiliait bien souvent la victime. Un amendement fut alors demandé mais s’annonçait déja comme inéfficace. Shirley Chilsom, représentante noire du Congrès, déclara lors de ce combat : «La loi ne peut pas le faire pour nous. Nous devons le faire nous-mêmes. Les femmes de ce pays 44 doivent être révolutionnaires. Nous devons refuser d’assumer les vieux modes de pensée négatifs concernant notre féminitépar des manières positives de penser et d’agir». Cette déclaration résume bien le mouvement féministe des années 1960. Il était devenu clair aux yeux de toutes les femmes qu’une réelle prise de conscience, en plus des victoires réelles telles que l’avortement et l’égalité devant l’emploi, s’opérait. Cette prise de conscience entrainera alors une redistribution des rôles, le refus de l’infériorité, la confiance en leur personne, et surtout une nouvelle communauté solidaire. Les femmes brisèrent alors les codes. Elles découvrirent leurs corps, autrefois «prison biologique» et abordèrent des sujets jamais évoqués auparavant : leur anatomie privée, l’homosexualité féminine, la contraception, les périodes d’indisposition, les maladies vénériennes ou encore les plaisirs du corps. La mode changea aussi radicalement : de nombreuses femmes abandonnèrent soutien-gorge et gains au profit des jeans et autre pantalons. Le corps, autrefois signe de faiblesse, devint une ressource inestimable et de nouvelles valeurs émergeaient à la même vitesse que les esprits s’ouvraient. La vie sexuelle avant le mariage, la sexualité durant le mariage, la masturbation et l’homosexualité n’étaient plus considérés comme tabous. La censure visant les livres érotiques et pornographiques fut même levée et le cinéma osait de nouveau montrer des corps nus et de très nombreux Américains furent choqués par ces nouveaux comportements, incompréhensions souvent regroupées sous le terme de «conflit de générations». Cependant, certains jeunes gens restaient très traditionnels dans leurs pensées et actes tandis que des personnes agées se redécouvraient parfois totalement. L’Eglise, dans les esprits directement liées au conservatisme, patriotisme et à la guerre ne fut pas épargnée par ce vent nouveau de modernité. Ainsi, il fut état de quelques hommes et femmes de religion renonçant au célibat pour vivre une vie maritale et avoir des enfants. L’éducation traditionnelle fut elle aussi remise en question. Le patriotisme et l’obeissance, l’ignorance et parfois le mépris envers les autres cultures inculqués jusqu’ici firent réfléchir l’opinion publique sans pour autant déstabiliser le puissant système en place. Un nouveau mode de vie émergeait au quatre coins du pays suite à cette perte générale de confiance. La contre culture hippie est l’un d’entre eux. La plupart des 45 partisans de cette nouvelle communauté des années 1960 était issue du baby boom d’après guerre et rejetaient en bloc les valeurs traditionnelles que ce soit au niveau de l’éducation, du patriotisme, de la société de consommation, de l’autorité en général ou des modes de vie. Le mouvement hippie recherchait par des formes inédites, par exemple l’art psychédélique ou la musique, des rapports humains plus authentiques et en rupture avec les normes des générations précédentes. La domination d’un homme sur l’autre, même en tant que parents, était remise en cause. Ils cherchaient avec leurs propres enfants à développer une éducation anti autoritaire et il va s’en dire que les forces de l’ordre, surnommée «pigs» n’étaient pas une notion en accord avec leur façon de vivre. Très critiques, ils ne proposaient toutefois aucune solution concrète à grande échelle à ce qu’ils décriaient, mais demandait uniquement à vivre comme bon leur souhaitait dans le respect de l’être humain. Les hippies étaient fondamentalement des pacifistes, et on ne saurait oublier la fameuse expression «Peace and Love», paix et amour, mais aussi en réponse directe à la guerre du Vietnam sévissant «Make Love, not War», faites l’amour, pas la guerre, tirée de la chanson de John Lennon «Mind Games» en 1974. Hommes et femmes appartenant au mouvement hippie Le mouvement perdit de son ampleur au fil des années mais influenca énormément la prise de conscience des années 1960-1970. 46 C. Un changement d’horizons pour Walt Disney Dans la vie de Walter Disney, l’année 1955 est bien loin des futures préoccupations des bouleversements de la société américaine, au tout du moins, d’un autre ordre. 1955 est l’année de l’ouverture du tout premier parc Disneyland, endroit enchanteur où la magie traditionnaliste Disney peut s’exprimer à huis clos. Walt Disney n’est donc à partir de ce moment plus considéré comme un homme de cinéma, mais bien un homme d’affaire aguerri accompagné de très près par son frère Roy, réussissant l’exploit déja à l’époque d’investir et de réussir dans de nombreux domaines. Ainsi, les films, la télévision avec Zorro et The Mickey Mouse Club, les produits dérivés et maintenant le tout nouveau parc posent les bases d’un tout nouvel empire commercial qui ne connaitra jamais la faillite. Walter Disney inaugurera le parc avec ces termes : «À tous ceux qui pénètrent dans cet endroit enchanté - bienvenue. Disneyland est votre pays. Ici, les anciens revivent les souvenirs plaisants du passé et ici, les jeunes peuvent goûter aux défis et aux promesses du futur. Disneyland est dédié aux idéaux, aux rêves et aux événements indiscutables qui ont créé l'Amérique… avec l'espoir d'être une source de joie et d'inspiration pour le monde entier.» Ces mots ne sauraient contredire les valeurs attribuées au personnage jusqu’ici, tant ils sont empreints de paternalisme patriote. Ce qui n’était à la base qu’un parc dans lequel les employés pourraient passer du temps avec leurs enfants prend rapidemment une autre envergure, tant les idées sont nombreuses dans la tête du créateur et ses aspirations bien plus hautes. Il décide alors d’ajouter une toute nouvelle filiale à sa société, nommée WED Enterprises, dans laquelle ingénieurs et planificateurs nommés «Imagineers» s’évertuent à assouvir la perfection demandée par le patron. Quand ce dernier présente son plan aux Imagineers, il déclara modestement «Je veux que Disneyland soit le plus merveilleux endroit de la terre». La même filiale sera engagée en 1960 pour organiser les cérémonies d’ouverture et de fermeture des Jeux Olympiques d’hiver de Squaw Valley. Disneyland, l'un des premiers parcs à thème au monde, ouvre finalement le 17 juillet 1955 et devient rapidement un succès. Les visiteurs du monde entier viennent 47 visiter Disneyland, qui comprend des attractions adaptées de nombreux films ou franchises à succès de Disney. Le chateau de Disneyland, Californie, en 1954 Le 15 décembre 1966, Walt Disney décède d’une tumeur au poumon gauche, suite de longues années de tabagisme. Mickey Mouse et son créateur, 1950 48 Il ne menera pas à terme le gigantesque projet de Walt Disney World Resort, débuté en 1964 avec l’achat de plus de 111 kilomètres carrés de terrain en Floride, soit une superficie plus grande que la ville de Paris. C’est le frère de Walt, Roy Disney qui continuera la construction du petit frère de Disneyland, dans une version plus large et plus élaborée, aussi appelé «Magic Kingdom», le Royaume enchanté, et qui aura la même juridiction qu’une ville et sa propre monnaie. Quand le Magic Kingdom ouvre en 1971, le Walt Disney World Resort employait environ plus de cinq mille employés. Aujourd'hui, il en emploie plus de 52 000, dépensant plus de 1,1 milliard de dollars en salaires et dégageant 478 millions de dollars de bénéfices chaque année, ce qui en fait le plus grand employeur sur un seul site des États-Unis, avec plus de 3 000 métiers. Le tout nouveau parc attira les foules, surtout pour de courts séjours touristiques, mais aussi à long terme : la population de la région vers 1960 était d'environ 395 000 habitants, et atteignit les 900 000 en 1980. Et tout doit être fait pour que toute personne puisse accèder à la magie Disney : l’entreprise fit pression sur le gouvernement local d’Orlando afin qu’un aéroport soit ouvert. Walt Disney avait même prévu de construire son propre aéroport dans le cas échéant. Magic Kingdom, 1971 Mais quelles furent les répercussions des révolutions sociales et de la mort de Disney sur leurs princesses ? 49 Partie 3 - La seconde génération de Princesses «Une vision de la femme enfin en phase avec la société occidentale» (1991 à nos jours) A. L’impérialisme américain et l’apparition de limites En 1991, la Guerre Froide se termine par la disparition du bloc soviétique, laissant aux USA la totale domination du monde en tant qu’hyperpuissance, ayant entre ses mains les marchés économiques, technologiques, militaires et possèdant une idéologie forte influençant les peuples à échelle mondiale. La doctrine stratégique des USA qui permet d’assoir leur domination reside aujourd’hui en des aspirations néo-conservatrices, envisageant la possibilité de guerres préventives envers des gouvernements suspectés d’être hostiles au bien de la nation, ou de menacer la démocratie dans des pays anciennement dirigés sous des régimes totalitaristes. En 2003, les USA décidèrent de l’invasion de l’Irak, bien que le Conseil de sécurité des Nations Unies n’aient pas donné leur accord. C’est un parfait exemple de la notion de Pax Americana, Paix Américaine, faisant référence à la période de «paix» entre les pays occidentaux et les grandes puissances de 1945 à nos jours, périodes coincidant avec la domination économique, militaire et cuturelles des USA. Ces derniers se placent dans le rôle moderne que purent avoir l’Empire Romain et l’Empire Britannique, allant de paire avec un rôle de «Gendarmes du monde», n’hésitant pas à utiliser les armes si nécessaire «pour le bien de tous les pays». 50 Au niveau culturel, Hollywood domine de loin tous les marchés du ciném, un film à l’affiche sur deux étant américain. Les domaines de la musique ou des séries télévisées suivent le même modèle. Pour finir, la plupart des grandes marques reconnues telles que Nike ou Levi’s ainsi que le modèle de restauration rapide participent grandement à la diffusion de l’ «American Way of Life» dans le monde. Aux USA, la parité n’est toutefois pas encore atteinte. Selon une étude intitulée «Graduation to a Pay Gap», être diplomée et moins bien payée, réalisée par l’American Association of University Women (AAUW), une femme titulaire d’une licence gagne en 2009, un an après l’obtention de son diplôme, 82 cents contre un dollar pour son homologue masculin. Même chez les enseignants, les femmes gagnent 89% de ce que gagnent les hommes. Malgré tous les évènements traversés pour assurer l’égalité entre les genres, un nouveau fléau a vu le jour depuis les années 2000 aux USA et maintenant eu niveau mondial. En reprenant le mouvement féministe des années 1960 et en le présentant comme un mouvement «anti-sexe», la liberté sexuelle pourtant pronée durant ces années a été redéfinie pour le genre féminin en un droit, celui d’être aussi aussi sexy qu’un homme voudrait qu’une femme le soit. L’hypersexualisation, selon un rapport du Centre de recherche et d'information des organisations de consommateurs en 2011, «consiste à donner un caractère sexuel à un comportement ou à un produit qui n'en a pas en soi. C'est un phénomène de société selon lequel de jeunes adolescentes et adolescents adoptent des attitudes et des comportements sexuels jugés trop précoces. Elle se caractérise par un usage excessif de stratégies axées sur le corps dans le but de séduire et apparaît comme un modèle de sexualité réducteur, diffusé par les industries à travers les médias, qui s'inspire des stéréotypes véhiculés par la pornographie : homme dominateur, femme-objet séductrice et soumise.». Ainsi, «on parle d’hypersexualisation de la société lorsque la surenchère à la sexualité envahit tous les aspects de notre quotidien et que les références à la sexualité deviennent omniprésentes dans l’espace public : à la télévision, à la radio, sur Internet, 51 dans les cours offerts, les objets achetés, les attitudes et comportements de nos pairs. » Ce phénomène est, selon les auteurs du rapport, fondamentalement sexiste. Le corps des jeunes filles est le plus souvent utilisé, et significativement moins celui des jeunes garçons. Il influe directement les manières de penser et d’agir bien plus loin que la sexualité, mais surtout au niveau des rapports entre les genres au sein de la société. Une mini-miss de quatre ans : maquillage outrancier, faux ongles, rajouts de cheveux aggrémentés d’une pose et d’un regard suggestifs L’égalité hommes-femmes est donc largement menacée. L’hypersexualisation de la société peut être interpretée comme une façon de remettre les femmes et les filles «à leur place» tant les préoccupations superficielles inculquées monopolisent leurs esprits et les frênent dans les différents projets essentiels à leur bien être. Le Girl Power des annéées 70, encourageant les filles à accéder à tous les domaines réservés aux garçons, ne veut désormais plus rien signifier, mis à part le droit d’acheter et d’avoir l’air sexy. Les inégalités sont accentuées et selon le RQASF, Réseau Québécois d’Action pour la Santé des Femmes, a des conséquences directes telles que la recrudescence des agressions sexuelles, 52 des violences, tant «la presse, les vidéos, les jouets et les stars des médias accentuent quotidiennement le message que le corps des filles et femmes peut être utilisé, exploité, vendu et agressé». La mode sexualisée n’épargne aucune génération, y compris les bambins, qui sont maintenant en mesure de porter des vêtements portant des inscriptions faisant référence au sexe. Le pouvoir de la sexualité, pourtant toujours détenu au cours de l’histoire, est désormais présenté aux petites filles omme leur unique pouvoir, et réduisent une personne à son seul attrait sexuel. Les conséquences là aussi se répercutent sur l’ensemble de la société : « En adoptant cette mode, les adolescentes ont “rajeuni” la norme. Ça influence les femmes de tous âges. Toutes sont fragilisées par la mode sexy qui dévoile et moule leur anatomie. » Les enfants sont donc sexualisés de plus en plus tôt, trop tôt, jusqu’à developpé des comportements sexués ne correspondant pas à leur stade de développement psychologique. Les enfants apprennent du monde des adultes et deviennent de plus en plus vulnérables face au marketing qui les vise désormais directement, notion découlant directement du modèle capitaliste et de la société de consommation. L’impérialisme américain est, en 2013, une notion que l’on ose tout à fait remettre en question à la vue de nouveaux facteurs mondiaux. Les USA semblent se laisser submerger par l’émergence de nouveaux concurrents tels que la Chine mais aussi l’Union Européenne. La crise des Subprimes, débutée en 2007, entâcha aussi sérieusement l’image de ce pays de par une prise de conscience de la fragilité de leur modèle économique. Georges W. Bush, président du pays de 2001 à 2009, fit de plus l’objet de nombreuses critiques durant son mandat. Malgré la présidence beaucoup moins controversée de Barack Obama, les USA s’apprêterait peut être à terminer ce grand chapitre de leur histoire. 53 B. Des princesses en phase avec la société occidentale ARIEL, UNE FEMME POISSON QUI JOUE DE SES CHARMES Ariel, la petite sirène En 1989 sort «La petite sirène» adapté du conte d’Andersen du même nom, mettant en scène Ariel, fille du roi Triton. C’est la première princesse à voir le jour après le décès de Walt Disney. Coincidence ou non, les valeurs de ce dernier semblent s’être assouplies, bien loin de Blanche Neige ou Cendrillon. Ariel a seize ans et a une perception de l’amour très idéaliste et romantique, très extrème. Elle vit dans la communauté fermée des êtres vivants sous l’océan et décide un jour de remettre en cause l’autorité de son père, et de suivre sur la terre ferme le Prince Eric pour qui elle a un coup de coeur depuis qu’elle l’a sauvé de la noyade lors d’une tempête. Mais tout cela a un prix. Pour pouvoir être dotée de jambes, elle troque sa magnifique voix à Ursulu, une femme pieuvre très peu encline à la négociation. 54 Selon David Whitley, auteur britannique, Ariel n’est «qu’une déclinaison sousmarine de l'archétype de la princesse qui se fait une place dans le monde, devant s'appuyer sur les forces de la nature et ses représentants, les animaux. Elle rejoint donc Blanche-Neige, définition de cet archétype et ses variations, Cendrillon et Aurore.» Cependant, il est important de relever de légères différences qui dénotent une évolution dans les studios Disney. Comme énoncé plus haut, Ariel est dépourvue de sa voix durant ses premières rencontres avec le prince Eric et de ce fait n’use uniquement que le langage du corps afin de le séduire. Le fait de tomber dans ses bras lors de leur toute première rencontre ne pourrait d’ailleurs pas être si hasardeur que l’on puisse penser, en prenant en compte le grand sourire qu’elle adresse à ses amis à ce moment précis. Ariel sait pertinemment ce qu’elle souhaite, réflechit et use de ses charmes dont elle a conscience afin de l’obtenir, contrairement au destin des princesses précédentes dont le destin n’était basé que sur le bon vouloir de l’homme. Et cette mouvance ne se cantonne pas qu’à la femme dans «La petite sirène», tant le prince Eric est en admiration devant Ariel. Pour la première fois également, il ne pense pas tout de suite à épouser la femme qui lui a sauvé la vie et n’est pas sur qu’elle accepterait. Il ne réalise le romantisme de leur relation seulement lorsqu’une personne tierce les évoque et semble vouloir plus d’une femme qu’un joli visage. Il ne souhaite pas épouser la princesse qui lui est promise, a des aspects féminins dans sa personnalité et par là nous sommes en droit de nous interroger sur une probable inversion des rôles dans ce film. Ces côtés sont toutefois contrebalancés avec insistance par la présence de Grimsby, le valet très efféminé. Dans le conte original, l’histoire est légérement différente et très peu adaptée à un jeune public. Les sirènes, à la différence des humains, ne sont pas dotées d’âmes éternelles et la petite sirène en désire une. Pour ce faire, elle doit se faire aimer et épouser par un humain. Elle finit par aller visiter la sorcière des mers, qui prend sa voix en lui coupant la langue pour que la petite sirène puisse se transformer en humaine de façon très douloureuse, et risque de se dissoudre dans l’eau si elle ne mène pas sa quète à bien. Elle rencontre le Prince qui semble attiré par elle, mais ne peut lui expliquer qu’elle est la femme qui lui a sauvé la vie, à qui le Prince voue son amour. Il finira par épouser la fille d’un roi voisin, qui s’avère être la jeune femme l’ayant trouvé sur le rivage après sa 55 noyade. La petite sirène eut le cœur brisé, mais ses sœurs viennent à elle avec un couteau magique. Si la petite sirène frappe au cœur le prince avec ce couteau, elle redeviendra sirène à nouveau et pourra continuer sa vie sous-marine, mais la petite sirène echoue lors de sa tentative de meurtre envers le Prince, endormi auprès de l’autre femme. Elle se jette alors à l’eau et devient écume. A contrario, Ariel obtient le mariage qu’elle désire. Un autre axe d’interprétation pourrait évoquer le fait que Disney n’a fait évoluer ses valeurs qu’en surface. En effet, par cet acte sous couvert de «film familial», l’héroine est récompensée pour avoir mis de côté ses penchants de rebellion envers son père, pour passer sous le joug d’un autre homme sans jamais mettre en péril la notion de soumission au patriarcat. Ce film selon certains valoriserait donc la féminité passive menant au bonheur, renforcée par le fait qu’Ariel doive recevoir un baiser d’Eric et non lui en donner un, en l’opposant à l’image d’Ursula, avide de pouvoir assimilé au patriarcat et donc considérée comme une menace. Cette dernière est dépeinte comme une femme excessive, entreprenante, cette personnalité se refletant sur son physique tout en rondeurs et son maquillage très peu discret. BELLE, MAIS PAS QUE «La Belle et la Bête» est quant à lui projeté sur les écrans en 1991 et est une adaptation du conte de Jeanne-Marie Leprince de Beaumont, publié en 1757. Le film s’hérige dès le titre comme prônant la beauté intérieure face à la beauté extérieure, notion encore une fois inédite dans une histoire d’amour manufacturée Disney. Un prince, hargneux et arrogant, n’offra pas de toît à une vielle femme lors d’un soir d’orage car il était dégouté par sa laideur. Pour le punir, la vieille femme lui donna une apparence de monstre et jusqu’à ses 21 ans pour se faire aimer d’une femme. Le cas échéant, il resterait dans cet état toute sa vie. 56 Belle, et la Bête L’histoire est celle d’une jeune fille prénommée Belle, vivant avec son père Maurice dans un petit village français sans histoire. Les habitants du village vantent sa beauté mais la trouvent étrange en raison de sa passion pour les livres qu’elle dévore. Gaston, chasseur et propriétaire de la taverne locale, tente de séduire Belle mais ses tentatives se soldent par des échecs tant Belle le considère comme «grossier et vaniteux». Un jour, Maurice se perd dans les bois, poursuivi par une meute de loups et arrivent devant un chateau lugubre dans lequel il rentre. Grand mal lui fit, la Bête le fait prisonnier. Belle vient à son secours, guidée par le cheval de son père et décide de se faire prisonnière à vie si son père, malade est libéré. Après de nombreuses péripéties, la Belle et la Bête tombent amoureux et Gaston meurt d’une chute vertigineuse. Belle est donc présentée comme une jolie jeune femme certes, mais surtout pour une amoureuse de la lecture qui aime cultiver son esprit. Elle ignore d’ailleurs Gaston, le «Prince Philippe» de l’histoire et n’est choquée qu’une seule fois par le visage de la Bête que tous les villageois exècrent et rejettent. Paradoxalement, la Bête constitue l’un des princes les moins agressifs envers la Belle malgré son apparence et ne fait Belle prisonnière non pas pour la possèder car il la respecte, mais car il est désemparé de voir ses vingt et unième année arrivée sans pour autant avoir un jour été aimé. Il a espoir que Belle brise le sortilège mais ne sait plus comment s’y prendre en matière de séduction. Certes, il la voit 57 comme un outil, mais change d’opinion au fur et à mesure qu’avance l’histoire. Il n’a pas confiance en lui contrairement à Philippe et n’a pas assez de cran pour faire ses avances à la belle, ce qui fait de lui un des princes les plus caractérisés par sa beauté intérieure. De plus, malgré le fait qu’il ait conscience que Belle soit attirante, il vante ses mérites de l’esprit en premier. La Belle est la Bête est donc une véritable ode aux qualités de l’esprit et de l’âme et cette morale est directement tirée du conte original, la lecture d’un recueil de Mme de Villeneuve, intitulé «Les Contes Marins ou la Jeune Américaine» Ce conte a pour volonté d’apprendre aux jeunes enfants à différencier la laideur morale de la laideur physique, et à favoriser l’intelligence, la bonté de coeur et de l’âme dont on passe parfois à côté de par un physique ingrat. L’histoire repose sur le mariage des deux soeurs de Belle, totalement inéxistantes dans l’adaptation de Disney. Elles épousent en effet deux hommes, un brillant pour sa beauté et l’autre par son intelligence. Belle, quant à elle, ne peut cesser d’aimer la Bête malgré ses premiers refus et l’incompréhension de son entourage, car elle voit en lui des qualités inestimables à ses yeux et leur relation evolue d’amitié à amour, fondée sur des sentiments purs. Cependant, ce conte fut parfois utilisé à des fins d’apaisement, car il constitue une très bonne justification à l’époque des mariages entre très jeunes filles et maris d’âge mûr, souvent veufs. Les jeunes filles devaient respecter le rang de leur mari et celui ci lui porterait des attentions inégalables. TIANA, UNE PRINCESSE POLITIQUE Trente ans plus tard, en 2009, une étape majeure est franchie par les studios Disney. En effet, la première princesse afro-américaine, est animée. Tiana, l’héroine de «La Princesse et le Grenouille», est malgré elle embarquée dans l’histoire du prince Naveen, jeune homme arrogant et narcissique, transformé en grenouille comme punition par un terrifiant sorcier vaudou. Volant un baiser à Tiana qu’il 58 croit être une princesse, alors qu’elle n’est qu’une simple serveuse, l’effet est inverse : la jeune fille elle-même se transforme en grenouille. Tiana, originalement nommée Maddy, prénom finalement jugé trop proche de «Mammy», offensant pour la communauté afro-américaine, est une jeune femme avec des objectifs très précis sur son avenir. Ayant perdu son père passionné de cuisine, elle met un point d’honneur à économiser jusqu’au dernier centime pour ouvrir un restaurant en sa mémoire. Elle a constamment des choses à faire, des lieux où être et des gens à rencontrer. Elle n’a cependant que très peu faire du prince Naveen qui n’est pas du tout en accord avec ses valeurs. De son côté, elle représente une jolie fille comme les autres à ses yeux, tant sa confiance en lui l’empêche de voir plus loin que la beauté extérieure. C’est d’ailleurs uniquement lorsqu’il doit obtenir quelque chose qu’il fait attention à la personne en face de lui. Tiana, et Naveen transformé en grenouille Mais surtout, la fable «La Princesse et la Grenouille» restera dans les mémoires comme le miroir de l'avènement de Barack Obama : en animant pour la première fois une jeune femme afro-américaine, Disney a senti le vent de l'histoire avant même que celui-ci ne commence à souffler. 59 John Musker, co-réalisteur du film, confia dans une interview que le projet avait commencé bien avant l’élection du premier président de couleur noire des USA, exacement quatre ans avant, alors que celui-ci n’était alors que sénateur de l’Illinois. L’idée du film se basa originellement sur un tout autre évènement. «L'idée d'une héroïne métisse s'est imposée à partir du lieu de l'action : très choqué par le passage de l'ouragan Katrina, John Lasseter, fondateur de Pixar, venait d'arriver à la tête de Disney. Et il voulait un film qui se déroule à La Nouvelle-Orléans pour qu'à sa sortie, en 2009, il attire l'attention sur cette ville et soutienne ainsi le tourisme et l'économie locale.» Aujourd’hui, le cinéaste est très fier au nom du studio d’avoir peut être apporté sa brique à l’édifice historique de l’élection d’Obama en 2009. Ce n’est pourtant pas tous les mérites que l’on peut attribuer à «La Princesse et le Grenouille». En effet, le mythe de la princesse Disney y est totalement réinventé. Bien sur, il est forcemment question d’une jeune fille blonde et de couleur blanche qui ne rêve que d’épouser un prince charmant, mais elle ne tient que le seconde rôle. Charlotte, qui ne deviendra jamais princesse, est certes bien née mais totalement dénuée d’esprit et de responsabilités. Tiana, jeune métisse, ne rêve pas d’amour ou de gloire, mais seulement d’ascension sociale, et est considérée pour cela comme une princesse moderne. Ron Clements, l'autre co-réalisateur de «La Princesse et la Grenouille», déclara «C'est la première fois qu'une princesse Disney a un job, deux même, pour subsister, c'est une fille qui ne rêve pas de se marier ou de rencontrer un prince. Elle se fiche de cela, et se moque d'ailleurs de son amie Charlotte que cela obsède. Tiana, elle, n'ambitionne qu'une chose : pouvoir un jour être propriétaire de son propre restaurant à La NouvelleOrléans». Cependant, malgré d’énormes avancées, le film reste tout de même dans la veine Disney, avec une véritable histoire de princesse. De nombreux journalistes, ici Jennie Bond, correspondante de la BBC auprès de la famille royale britannique, s’étonne toujours de la persistance du «mythe de la princesse» aux USA, bien qu’ils n’aient jamais connu de royauté. Selon elle, «Cela s'explique peut-être tout simplement par le fait qu'on rêve toujours plus fort de ce qu'on ne connaît pas. C'est une drôle de chose que la royauté. Elle incarne une élite, un club très exclusif et donc fascinant. D'ailleurs, les Américains continuent d'entretenir, cinquante ans après, toute une mythologie autour du couple 60 Kennedy, qui s'impose comme le phénomène le plus proche de la royauté qu'ont connu les États-Unis.» RAIPONCE, PREMIERE FEMINISTE CHEZ DISNEY ? Raiponce, et sa poêle Le dernier film produit uniquement par Disney est «Raiponce», sorti en 2010, inspiré du conte des frères Grimm. Raiponce est jeune fille de 17 ans à la chevelure d’or de plus de vingt mètres de longueur. A bientôt 18 ans, sa mère Gothel la retient dans une tour «pour son bien». Le film reprend tous les codes du conte de fées classique, avec une princesse enfermée dans un donjon, un chevalier servant venant à sa rencontre et même des animaux ayant des caractéristiques très humaines bien que toujours dénués de paroles. Cependant, tous ces codes, y compris la personnalité de la princesse tout sauf potiche, sont détournés. Raiponce devient une jeune femme fougeuse et avide de nouvelles aventures qui, accompagnée de sa poêle à frire, se frayera un chemin dans ce monde hostile à une jeune fille si peu experimentée. Le principe même du prince charmant est tourné en dérision, la figure masculine étant incarnée par Flynn, un gentil brigand voleur un peu trop 61 sur de lui que Raiponce saura maitriser. Les studios se permettent même de se moquer d’eux mêmes : Flynn est le premier personnage à s’étonner du fait que les personnages se mettent tous ensemble à chanter les fameuses chansons qui entrecoupent tous les longs métrages Disney. Malheureusement, quelques évènements viendront teinter le bel effort «féministe» de Disney. Originellement nommé «Rapunzel» en anglais, et dominé par une princesse active et puissante, les studios Disney renommèrent le film en «Tangled», «Emmelée», et mirent Flynn, le personnage masculin, au premier plan par pure stratégie marketing, afin d’attirer les petits garçons dans les salles obscures. L’arme de la poêle à frire soulevera aussi quelques interrogations tant l’accessoire culinaire semble assimilé à l’image très traditionnelle de la femme en cuisine et Raiponce ne s’est finalement pas échappée elle même de sa tour, et a du attendre l’arrivée d’un homme pour le faire. De plus, la conclusion du film reste en demi-teinte, Raiponce abandonnant les armes pour apporter une bienveillance maternelle au Royaume. Il est toutefois important de noter que, malgré des «films de princesse» toujours en demi-teinte en ce qui concerne leur vision de la femme, les studios Disney dans «Raiponce» semblent vouloir amorcer un changement de par la déconstruction du genre et des personnages caractéristiques. 62 Conclusion Walt Disney souhaitait créer un univers magique destiné tant aux enfants qu'aux adultes, monde idyllique permettant à tous de vivre une enfance dorée. Jan Švankmajer, réalisateur tchèque connu notamment pour ses films d'animation, déclare à son sujet lors d'une interview à Positif en 1995 : «Walt Disney est un des liquidateurs les plus importants de la culture européenne; le plus important peut-être, car il l'a détruite dans l'œuf, c'est-à-dire dans l'âme des enfants. Walt Disney appartient à la pop'culture décadente qui embrasse tout, et qui, ayant remporté la « Troisième Guerre mondiale », inonde le monde vaincu.» Comme une troisième guerre mondiale, les studios Disney ont su gérer leur influence en masse pour l’éteindre au plus grand nombre. Leurs princesses restent des idéaux féminins pour toutes les petites filles. Telle l’incarnation du parfait rêve américain, The Walt Disney Company est à présent le premier groupe de divertissement au monde dans les domaines médiatiques, cinématographiques, télévisuels, touristiques. La production de produits dérivés est aussi assurée, avec plus de quarante deux milliards de dollars de chiffre d’affaire en 2012. Les studios, ayant encore de beaux jours devant eux, véhiculent et véhiculeront encore longtemps leurs valeurs aux quatre coins de la planète. Mais ce propos est à nuancer. L’Empire Disney évolua avec son temps au gré du capitalisme et su tout de même apporter des touches modernistes en phases avec la pensée collective et les princesses Disney, tout comme les femmes, ont tout de même su évoluer avec leur temps. Il ne tira pas en profit des dérives de la société capitaliste, et bien que restant ancré sur des valeurs certes traditionnelles, l’image générale de la femme reste et restera toujours respectueuse en tant que personne, c’est à dire en ne la privant pas de ses droits fondamentaux. A l’opposé, de nouvelles entreprises restent avides d’exploiter les failles de l’éducation et l’accès facilité à une multitude d’informations à portée de clic. Tout le monde a un rôle à jouer pour contribuer à la formation d’une nouvelle pensée collective, si souvent oubliée. L’éducation des enfants et le développement d’un esprit critique, sans refreiner trop d’envies naturelles des jeunes évoluant dans notre société, reste un point crucial pour contribuer à l’évolution des pensées, et assurer un meilleur avenir pour les générations futures. 63 Bibliographie ● Geneviève Djénati «Psychanalyse des dessins animés», édité en 2001 aux éditions Archipel. ● Marie-Louise von Franz «La femme dans les contes de fée», édité en 1993 aux éditions Albin Michel. ● Bruno Bettelheim «Psychanalyse des contes de fées», édité en 1999 aux éditions Pocket. ● Howard Zinn «Une histoire populaire des Etats-Unis» édité en 2002 aux éditions Agone. ● www.lecinemaestpolitique.fr ● pour leurs articles sur Ariel et Raiponce. www.wikipedia.org pour leurs articles sur Walt Disney, The Walt Disney Company, la Guerre Froide, le Code Hays, le féminisme, ainsi que les contes originaux desquels sont tirés les films de princesses Disney. 64