La Conférence sur une zone exempte d`armes de destruction
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La Conférence sur une zone exempte d`armes de destruction
La Conférence sur une zone exempte d’armes de destruction massive et leurs vecteurs au Moyen-Orient Nouvelles perspectives à la lumière de la crise syrienne et de l’élection présidentielle iranienne Bérangère Rouppert 2013/8 Les activités du GRIP sont soutenues financièrement par le Ministère de la Région wallonne, le Ministère de la Communauté française, le Ministère de la Région de Bruxelles-Capitale (ACTIRIS), le Ministère des Affaires étrangères du Luxembourg, le Ministère des Affaires étrangères de Belgique, le Fonds Maribel Social © Groupe de recherche et d'information sur la paix et la sécurité (GRIP) chaussée de Louvain, 467 B-1030 Bruxelles Tél.: (32.2) 241.84.20 Fax: (32.2) 245.19.33 Courriel: [email protected] Site Internet: www.grip.org Le Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité (GRIP) est une association sans but lucratif. La Conférence sur une zone exempte d’armes de destruction massive... Sommaire Liste des Acronymes 4 Résumé 5 Introduction 6 1. Le Moyen-Orient et les armes de destruction massive : état des lieux 1.1. Détention et prolifération des armes chimiques et biologiques 1.2. Détention et prolifération des armes nucléaires 1.3. Détention et prolifération des missiles 2.De l’émergence de l’idée d’une ZEAN au Moyen-Orient au tournant de 2010 2.1. L’émergence de l’idée d’une ZEAN au Moyen-Orient 2.2. La résolution de 1995 en mal de promoteurs pendant 15 ans 2.3. Le tournant de la Conférence de révision du TNP de 2010 7 7 8 10 12 12 13 15 3.La Conférence d’Helsinki : un échec programmé 17 3.1. Facteurs de succès 17 3.1.1. Les mesures concrètes de 2010 en application 17 3.1.2. La mobilisation internationale 18 3.1.3. Le ferme engagement des États arabes en faveur d’une ZEAN/ZEADM 18 3.2. Facteurs d’échecs 19 3.2.1. Un mauvais timing 19 3.2.2. Une participation non garantie 21 3.2.3. Le programme nucléaire iranien : une menace ? 22 4.2013 : vers de nouvelles perspectives ? 26 4.1. Des circonstances favorables 26 4.1.1. L’utilisation d’armes chimiques en Syrie : prise de conscience et réaction 26 4.1.2. L’élection surprise d’un président iranien « modéré » 27 4.1.3. Un gouvernement israélien en mauvaise posture 29 4.2. Mais des obstacles certains 31 4.2.1. De l’adhésion à la CIAC à la mise en œuvre des obligations internationales 31 4.2.2. La mainmise du Guide suprême sur le programme nucléaire iranien 32 4.2.3. Un Premier ministre israélien déterminé à agir contre l’Iran 33 5.Recommandation : délimiter la Conférence 35 5.1. Sur le plan géographique : de l’inclusion de la Turquie dans la ZEADM 35 5.2. Sur le plan thématique : de l’intérêt d’aborder la ZEAN sous un angle nouveau qui rassemble 36 5.2.1. Ne stigmatiser aucun État ni aucune arme de destruction massive 36 Rapport du GRIP 2013/8 5.2.2. Envisager la question sous un angle non sécuritaire 5.3. Sur le plan des objectifs : « l’humilité n’empêche pas l’ambition » 5.3.1. Avoir des objectifs réalistes, autrement dit réalisables 5.3.2. La création d’une ZEAN : une politique des petits pas 36 37 37 37 Conclusion 40 Annexes 42 Liste des acronymes ACRS Arms Control and Regional Security AGNU Assemblée générale des Nations unies AIEA Agence internationale de l’énergie atomique ANT Armes nucléaires tactiques ADM Armes de destruction massive CCLH Code de conduite de La Haye CIAB Convention d’interdiction des armes biologiques CIAC Convention d’interdiction des armes chimiques CSNU Conseil de sécurité des Nations unies DIH Droit international humanitaire E(N)DANÉtats (non) dotés de l’arme nucléaire MTCR Missile Technology Control Regime NBC Nucléaire Biologique Chimique OTAN Organisation du Traité de l’Atlantique Nord TNP Traité de non-prolifération nucléaire TICE Traité d’interdiction complète des essais nucléaires TIPMF Traité sur l’interdiction de production des matières fissiles ZEAN Zone exempte d’armes nucléaires ZEADM Zone exempte d’armes de destruction massive La Conférence sur une zone exempte d’armes de destruction massive... Résumé La question de la prolifération des armes de destruction massive se pose avec d’autant plus d’acuité au Moyen-Orient que trois États restent en dehors de traités les interdisant. En effet, ni l’Égypte ni Israël ni la Syrie ne sont parties à la Convention sur l’interdiction des armes biologiques (CIAB) ; l’Égypte n’a pas signé la Convention d’interdiction des armes chimiques (CIAC) tandis qu’Israël ne l’a pas ratifiée ; et l’État hébreu refuse également de signer le Traité de non-prolifération nucléaire (TNP). L’adhésion de chacun est conditionnée à l’adhésion de l’autre ou des deux autres. En outre, tous ces États se sont engagés depuis plusieurs années dans une politique d’accumulation de missiles de plus en plus performants, capables de transporter tant des charges conventionnelles que non conventionnelles et d’atteindre des cibles de plus en plus éloignées. Plus de cinquante ans ont été nécessaires pour que le concept de zone exempte d’armes nucléaires et autres armes de destruction massive (ZEAN/ZEADM) soit envisagé concrètement pour la région du Moyen-Orient. Porté par les États de la région eux-mêmes dans différentes enceintes internationales, c’est finalement dans le cadre des conférences de révision du TNP que le processus de création de cette ZEAN/ ZEADM a finalement trouvé sa place. Après la résolution sur le Moyen-Orient incluse dans le document final de la Conférence de révision du TNP en 1995, il a fallu attendre celle de 2010 pour que soit décidée l’organisation, pour 2012, d’une Conférence sur l’établissement d’une ZEAN/ZEADM dans la région. Malgré des efforts tous azimuts du facilitateur désigné pour l’occasion, de la société civile mobilisée au niveau international, et des pays de la région, la Conférence d’Helsinki n’a pas eu lieu, comme de nombreux facteurs le laissaient présager. Tous les États de la région, sauf Israël, avaient assuré de leur participation. Mais la situation volatile dans la région à la fin 2012 (guerre civile en Syrie, reconnaissance de l’État palestinien à l’ONU, heurts à Gaza) et le « manque de consensus entre les États de la région » ont poussé les États-Unis à annuler sa tenue. En 2013, de nouvelles perspectives ont vu le jour pour que soit organisée une Conférence sur une ZEAN/ZEADM au Moyen-Orient avant la Conférence de révision du TNP de 2015: l’utilisation par Damas d’armes chimiques contre sa population a provoqué un tollé international et une escalade de la rhétorique guerrière. L’option militaire a finalement été évitée grâce à un accord russo-américain portant sur le démantèlement et la destruction de l’arsenal chimique syrien, ainsi que sur l’adhésion de Damas à la CIAC. Cela ouvre la voie à l’adhésion de l’Égypte voire d’Israël à ce traité. Par ailleurs, l’élection à la présidence iranienne d’un homme à la rhétorique moins belliciste et plus conciliante laisse entrevoir une possible avancée sur les négociations internationales portant sur le programme nucléaire iranien. Le rapport conclut en livrant quelques réflexions qui mériteraient d’être menées avant que ne débute la Conférence, afin de délimiter sa portée géographique et thématique. . « US says conference on WMD-free Middle East cancelled ». Spacedaily. 23 novembre 2012. Rapport du GRIP 2013/8 Introduction Un an après l’annulation de la Conférence d’Helsinki sur la création d’une zone exempte d’armes nucléaires (ZEAN) et autres armes de destruction massive (ZEADM) au Moyen-Orient, telle que prévue par les conclusions de la Conférence de révision du Traité de non-prolifération nucléaire de 2010, de nouvelles perspectives s’offrent en cette fin d’année 2013. L’adhésion inespérée de la Syrie à la Convention sur l’interdiction des armes chimiques (CIAC) et l’élection d’un président iranien beaucoup plus ouvert au dialogue avec les pays du P5+1 (les cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies et l’Allemagne) rendent possible l’organisation d’une nouvelle conférence sur le sujet, avant la nouvelle conférence de révision du TNP en 2015. Dans un contexte où des armes chimiques ont été utilisées contre des civils et ont grandement choqué l’opinion publique internationale et où la crainte sur les possibles objectifs militaires du programme nucléaire iranien se fait de plus en plus forte en Israël, cette réunion est une occasion unique de faire descendre la pression d’un cran et d’engager un dialogue constructif sur le devenir des armes de destruction massive et de leurs vecteurs dans la région. Afin de saisir l’importance de cette Conférence pour l’avenir du Moyen-Orient, le présent rapport dresse en première partie un état des lieux de la prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs au Moyen-Orient. La deuxième partie effectue un retour sur les circonstances qui ont présidé à l’émergence du concept de ZEAN en général et de son application en particulier à la région du Moyen-Orient, tel qu’envisagé par différentes déclarations, décisions et résolutions jusqu’en 2010. Les facteurs d’échec de la Conférence d’Helsinki seront ensuite passés en revue avant de souligner en quoi les récents développements dans la région sont susceptibles de mener à la tenue d’une Conférence avant la Conférence de révision du TNP de 2015. En guise de conclusion, le rapport livre quelques remarques afin d’ouvrir la réflexion sur certains points thématiques clés de l’éventuelle réunion. . Par armes de destruction massive, on entend communément armes nucléaires, biologiques/bactériologiques, chimiques ; armes dont les conséquences résonnent pour tous comme une catastrophe en termes humains, sécuritaires, et environnementaux. . Depuis l’introduction par l’Égypte en 1990 de la notion de ZEADM, les termes de ZEAN et de ZEADM sont employés indistinctement. Nous ferons de même. . Nous retiendrons comme cadre géographique de la ZEAN/ZEADM au Moyen-Orient, celui adopté par la résolution du 10 octobre 1990 de l’Assemblée générale des Nations unies, à savoir « tous les États ayant un lien direct avec les conflits actuels dans la région, c’est-à-dire tous les États membres de la Ligue arabe, la République islamique d’Iran et Israël ». A/45/435, p. 20. . Rapport final du Comité préparatoire de la Conférence des Parties chargée d’examiner le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires en 2010 (parties I et II). [NPT/CONF.2010/50]. 2010. La Conférence sur une zone exempte d’armes de destruction massive... 1.Le Moyen-Orient et les armes de destruction massive : état des lieux Les armes de destruction massive ont toutes fait l’objet de traités internationaux en vue de les interdire et d’empêcher leur prolifération. Ainsi le Protocole de Genève a interdit, dès 1925, l’interdiction de l’usage des gaz asphyxiants, toxiques ou similaires, mais n’en a pas interdit la production, le développement, l’acquisition ou le stockage : tous les États du Moyen-Orient l’ont ratifié. Il a par contre fallu attendre 1972 et 1993 pour que soient respectivement signées une Convention sur l’interdiction des armes bactériologiques (biologiques) ou à toxines (CIAB) et une Convention sur l’interdiction des armes chimiques (CIAC). Pour ce qui concerne les armes nucléaires, seul Israël demeure en dehors du Traité de non-prolifération nucléaire (TNP) adopté en 1968. Cette partie dresse un état des lieux du développement des programmes d’armes de destruction massive et de leurs vecteurs, ainsi que de leur prolifération dans les États du Moyen-Orient. 1.1. Détention et prolifération des armes chimiques et biologiques Si la plupart des États du Moyen-Orient sont aujourd’hui parties à la CIAC et à la CIAB, certains d’entre eux ont un lourd passif avec les armes chimiques et biologiques, ont été ou sont encore soupçonnés de manquer de transparence. Ce fut notamment le cas de l’Irak, qui a mené des programmes d’armes chimiques et biologiques et en a fait usage dans les années 1980 contre les Kurdes. La deuxième guerre du Golfe (1990-1991) a conduit à l’élimination des stocks et des infrastructures abritant ces programmes mais l’administration américaine conservait quelques doutes. Ces derniers ont mené en 2003 à la troisième guerre du Golfe, à l’issue de laquelle les inspecteurs de l’Iraq Survey Group n’ont trouvé aucun stock d’armes de destruction massive. D’autre part, en Libye, les nouvelles autorités ont découvert deux stocks d’armes chimiques non déclarés, malgré l’adhésion du pays à la CIAC. Enfin, l’Iran, malgré ses dénégations, est suspecté par les services de renseignement américains de « maintenir une capacité de production d’agents chimiques ». D’autres États en revanche ne font pas mystère de leurs intentions : jusqu’à l’adhésion de la Syrie à la CIAC le 14 octobre 2013, ni elle, ni l’Égypte, ni Israël n’étaient parties à la Convention d’interdiction des armes chimiques ni à la Convention d’interdiction des armes biologiques (CIAB). Ces trois États n’étaient donc pas tenus de respecter les obligations et interdictions enserrées dans les textes – interdiction de développer, produire, acquérir, stocker, détenir et transférer directement ou indirectement des armes chimiques/biologiques, obligation pour les États parties de détruire leurs stocks et, pour les parties à la CIAC, de se soumettre à un régime de vérification strict comprenant des inspections imprévues. Derrière ce refus d’adhérer aux Conventions citées, il y avait pour la Syrie et il y a toujours pour l’Égypte et Israël, une volonté d’entretenir le flou sur l’existence ou non de programmes d’armes biologiques et chimiques. L’existence de programmes d’armes chimiques dans les trois pays a été avérée : Le Caire a fait usage de telles armes au Yémen . Iran Profile-Overview. NuclearThreat Initiative. Mise à jour en juillet 2012. Rapport du GRIP 2013/8 entre 1963 et 1967 ; Israël a été accusé par l’ONG HumanRights Watch d’avoir utilisé en 2006 et en 2009 du phosphore blanc près de Gaza ; le 23 juillet 2012, les propos du porte-parole du ministère syrien des Affaires étrangères, indiquant qu’« aucune arme chimique ou biologique ne sera jamais employée dans le cadre de la crise en Syrie » ont sonné comme un aveu de la possession de telles armes10. Ensuite, en septembre 2013, le rapport des Nations unies ne laisse plus de doutes quant à « l’utilisation d’armes chimiques au cours du conflit entre les parties de la République arabe syrienne, également contre des civils, y compris des enfants sur une échelle relativement grande »11. Quant à l’existence de programmes d’armes biologiques dans les trois États, les informations sont rares et seules existent des allégations non vérifiées et non vérifiables12. Pour comprendre en quoi l’adhésion de la Syrie à la CIAC en octobre 2013 ouvre de nouvelles perspectives, il faut se pencher sur les raisons qui ont poussé ces trois États à demeurer en dehors des traités régissant les armes de destruction massive. Les nonadhésions égyptienne, syrienne et israélienne s’expliquent par les tensions sécuritaires permanentes au Moyen-Orient et la volonté de conserver une marge de manœuvre en termes de capacités militaires vis-à-vis de potentiels adversaires régionaux. Ce type d’armes non conventionnelles constituerait en quelque sorte un instrument de défense asymétrique face au non-déclaré programme nucléaire israélien pour la Syrie et face au potentiel programme nucléaire iranien pour l’Égypte. Parce qu’elles nécessitent des ressources financières moins importantes et un délai de fabrication moindre – que celui d’une arme nucléaire par exemple –, et occasionnent des dommages aussi dissuasifs que l’arme nucléaire, les armes chimiques, biologiques ou bactériologiques sont en effet considérées comme une arme de dissuasion du faible au fort, ou du pauvre au riche. Quant à Israël, sa non-adhésion à ces Conventions fait partie de sa stratégie de dissuasion à l’égard de ses voisins arabes dont l’État hébreu se méfie et sert également de pression pour pousser à un accord de paix dans la région. 1.2. Détention et prolifération des armes nucléaires Plusieurs facteurs expliquent que de lourds soupçons aient pesé sur certains États de la région concernant le développement de programmes nucléaires à visée militaire, notamment les conflits incessants dans la région et l’importance accordée aux dépenses militaires qui en découle, la nature des régimes en place (régimes autoritaires, monarchies absolues, république islamique, régime parlementaire…), la volonté de pallier les insuffisances des politiques socio-économiques par le prestige militaire, ou encore l’existence non déclarée de l’arsenal israélien. À l’exception d’Israël, l’ensemble des États du Moyen-Orient a adhéré au TNP, acceptant pour certains de renoncer volontairement à tout programme nucléaire militaire. C’est le cas notamment de l’Égypte. En effet, après avoir été longtemps soupçonnée . Rapport annuel de la Commission des sciences et des technologies de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN. Neutraliser les menaces biologiques et chimiques : la voie à suivre. 87 STC 11 F rev. 1 final. . Human Rights Watch. Rain of Fire: Israel’s unlawful use of white phosphorus in Gaza. Mars 2009. . « Damas évoque ses armes chimiques, poursuite des combats. Reuters. 23 juillet 2012. 10.Pour de plus amples informations sur le programme chimique syrien, voir : Armes chimiques syriennes: risques avérés ou fausses menaces ? Bérangère Rouppert. Note d’Analyse du GRIP. 3 août 2012. http://www.grip.org/fr/node/549 11.«Forensic Details in U.N. Report Point to Assad’s Use of Gas ». The New York Times. 16 septembre 2013. 12.AMINI Gitty. Weapons of Mass Destruction in the Middle East. Nuclear Threat Initiative. 1er février 2003. La Conférence sur une zone exempte d’armes de destruction massive... par l’AIEA d’avoir des activités nucléaires significatives, l’Égypte a signé le TNP en 1968 et l’a ratifié en 1981. Le Caire s’est montré dès lors très actif pour établir une zone exempte d’armes nucléaires (ZEAN) au Moyen-Orient : à l’origine des premières propositions allant dans ce sens en 1963, 1974 et 1991, Le Caire semble convaincu que l’établissement d’un espace dénucléarisé dans la région est la seule voie pour y amener la paix. Depuis le début des années 1990, l’Égypte promeut également l’idée d’une zone exempte d’armes de destruction massive (ZEADM) au Moyen-Orient. Quelques bémols sont à relever toutefois : elle n’est partie ni au Protocole additionnel de l’AIEA, qui donne des garanties plus complètes au régime de non-prolifération et accroit les capacités de l’agence, ni au traité d’interdiction complète des essais nucléaires. Lors d’inspections de l’AIEA en 2004 et en 2009, les inspecteurs ont découvert des activités non déclarées de conversion de l’uranium puis des traces d’uranium hautement enrichi sur le site du réacteur nucléaire civil d’Inshas, à un taux supérieur à celui nécessaire pour des applications civiles. L’Égypte s’est toutefois montrée très coopérative avec l’AIEA à laquelle elle a fourni les informations complémentaires demandées13. D’autres États ont été stoppés dans ce qui apparaissait comme être leur marche vers l’acquisition de l’arme nucléaire. L’Irak a ainsi vu ses tentatives en matière de nucléaire militaire interrompues temporairement par le bombardement israélien de 1981 sur sa centrale nucléaire d’Osirak ; le programme a ensuite repris avant d’être définitivement arrêté, à l’issue de la deuxième guerre du Golfe, par l’AIEA qui a entrepris de démanteler et détruire les installations nucléaires et de confisquer le combustible nucléaire. Quant à la Syrie, de très lourds soupçons pesaient sur elle jusqu’à très récemment, et ce, malgré sa ratification du TNP en 1969. En 2007, Israël a bombardé ce qu’il jugeait être un réacteur destiné à la fabrication de plutonium. En 2011, l’AIEA a confirmé que les soupçons portant sur le site syrien de DairAlzour étaient « vraisemblables » (verylikely). Elle a aussi souligné les manquements de Damas quant à l’application des garanties de l’Agence et a pressé les autorités syriennes de ratifier le Protocole additionnel14. Cependant, et bien que de nouvelles découvertes aient été rapportées fin 201115, l’opposition sino-russe rencontrée au Conseil de sécurité des Nations unies (CSNU) au motif que le bombardement israélien de 2007 sur le réacteur a mis fin au programme nucléaire syrien, empêche toute action16. Depuis 2003, à la suite de révélations portant sur des installations nucléaires du pays, le programme nucléaire iranien est sous surveillance. La République islamique d’Iran a, dans un premier temps, reconnu mener des activités d’enrichissement et de conversion de l’uranium et accepté d’appliquer le Protocole additionnel de l’IAEA (2003) et de suspendre ses activités liées à l’enrichissement (2004) suite à un accord avec la France, la Grande-Bretagne et l’Allemagne. Mais, le jugeant trop contraignant, le nouveau président Ahmadinejad a fini par le rejeter officiellement et reprendre la conversion de l’uranium (août 2005). Frappé par de multiples sanctions internationales, des sabotages et des cyberattaques à l’encontre de ses installations nucléaires, l’Iran ne 13.Nuclear Egyptian Profile. Nuclear Threat Initiative. Août 2012. 14.Résolution adoptée par le Conseil des gouverneurs. « Implementation of the NPT safeguards agreement in the Syrian Arab Republic », GOV/2011/41, 9 juin 2011. http://www.iaea.org/Publications/Documents/Board/2011/ gov2011-41.pdf 15.« Syria nuclear weapons site revealed by UN investigators ». The Guardian. 1er novembre 2011. 16.HIBBS Mark, Enrichment uranium program in Syria ? Carnegie Endowment for international Peace. 1er novembre 2011. 10 Rapport du GRIP 2013/8 cesse de clamer l’objectif pacifique de son programme nucléaire et mène un double jeu avec la Communauté internationale, acceptant la reprise des négociations mais refusant toute solution de sortie de crise17. L’État hébreu, quant à lui, nie toutes les accusations concernant la détention d’un arsenal nucléaire et ne cesse d’affirmer, depuis les années 1960, qu’il ne « sera pas le premier État à introduire l’arme nucléaire au Moyen-Orient »18, sans qu’aucune définition ne soit donnée au terme d’« introduction »19. Pourtant, plusieurs sources ont indiqué le contraire, qu’elles soient américaines ou israéliennes20. Aujourd’hui, le nombre d’ogives nucléaires détenu par Israël est estimé par le SIPRI (Stockholm International PeaceResearch Institute) à 8021. La stratégie d’opacité de l’État hébreu sur un éventuel arsenal nucléaire lui permet d’« entretenir la crainte par une certaine ambigüité »22, principe même de sa stratégie de dissuasion à l’égard de ses voisins arabes. 1.3. Détention et prolifération des missiles « Les missiles [étant] à la maîtrise des armes de destruction massives ce que les munitions sont aux armes légères»23, la Conférence d’Helsinki ne peut en faire abstraction. La résolution 687 du CSNU en 199124 considérait déjà comme indissociables la question des armes de destruction massive et celle de leurs vecteurs. Ces derniers peuvent prendre la forme de roquettes, de missiles balistiques ou de croisière de portée différente, voire de drones. Le Moyen-Orient est une région, sinon la région, qui connaît la plus grande prolifération de missiles depuis les années 1970, en raison des conflits réguliers qui opposent les États de la région entre eux ou certains de ces États à des acteurs non étatiques. Car, les missiles, au Moyen-Orient entre autres, ne sont pas l’apanage des États : le Hezbollah et le Hamas notamment comptent sur « des roquettes comme force de frappe principale », n’ayant « aucune capacité à employer d’autres vecteurs »25. Des missiles y ont d’ailleurs été utilisés à plusieurs reprises26. Parmi les États du Moyen-Orient, la Jordanie et la Turquie ont adhéré au Code de conduite de La Haye (CCLH)27, tandis que seule la Turquie est membre du régime de 17.Pour une chronologie plus détaillée du programme nucléaire iranien et des mesures prises à son égard par la Communauté internationale, voir la chronologie établie par Nuclear Threat Initiative sur son site web : http://www.nti. org/country-profiles/iran/nuclear/ 18.Propos tenus par Shimon Pérès en 1961 et repris par lui-même in « Shimon Pérès : sanctionner l’Iran peut marcher ». Le Figaro. 23 juillet 2007. 19.Sur ce débat, voir le reportage « Israël et le tabou de la bombe nucléaire ». Arte. 14 août 2012. 20.Voir l’historique de la bombe israélienne dressé par la Federation of American Scientists sur son site web : http://www. fas.org/nuke/guide/israel/nuke/index.html 21.Kile Shannon, Schell Phillip et Kristensen Hans, Israeli nuclear forces. SIPRI Yearbook 2012. p. 341-342. 22.Propos de l’ambassadeur israélien en Allemagne de 1993 à 1999. Avi Primor in « Israël et le tabou de la bombe nucléaire » déjà cité. 23.Christophe Carle cité in Mampaey Luc. Le contrôle des missiles : un état des lieux. Note d’Analyse du GRIP. 3 mars 2008, p. 1. http://www.grip.org/en/node/239 24.Résolution 687 du Conseil de sécurité des Nations unies adoptée lors de 2983ème séance, 3 avril 1991. http://www. un.org/french/documents/view_doc.asp?symbol=S/RES/687(1991) 25.Présentation d’un panéliste lors du deuxième Consortium de l’UE sur la non-prolifération consacrée au thème d’une zone exempte d’armes nucléaires et autres armes de destruction massive au Moyen-Orient. Bruxelles. 56 novembre 2012. 26.Dès la guerre d’octobre 1973, l’Égypte a fait usage de missiles contre Israël. Lors de la guerre Iran-Irak des années 1980, des missiles ont été lancés de part et d’autre avec un paroxysme de l’usage des Scud irakiens en 1988 contre plusieurs villes iraniennes. Lors de la première guerre du Golfe, des soldats américains ont péri sous des missiles irakiens. Depuis 2000, Israël est régulièrement la cible de roquettes du Hezbollah, etc. 27.Le CCLH contre la prolifération des missiles balistiques incite à la « retenue en matière de conception, d’essais La Conférence sur une zone exempte d’armes de destruction massive... contrôle de la technologie des missiles (MTCR)28. Si ces deux principaux mécanismes internationaux29 destinés à contrôler la prolifération des missiles n’ont pas empêché la dissémination des systèmes de lancement au Moyen-Orient en raison de certaines faiblesses30, ils en ont néanmoins rendu l’approvisionnement plus difficile. Certains États de la région « se sont [alors] tournés vers de nouveaux fournisseurs d’armes et de technologies comme la Corée du Nord » (Égypte, Émirats arabe unis, Iran, Libye, Syrie, Yémen) ou se sont engagés dans des programmes nationaux de fabrication de missiles de croisière et de missiles balistiques (Iran, Israël, Syrie, Turquie)31. Aujourd’hui, malgré ce que laisse entendre l’intitulé de la Conférence, les systèmes de lancement sont moins recherchés pour leur capacité de transport de charges NBC (nucléaire-biologique-chimique) que pour leur longue portée, en raison de la menace nucléaire et balistique iranienne, ainsi que le montrent les acquisitions militaires des monarchies du Golfe32. Et cela, même si l’Iran, parallèlement à son programme nucléaire, développe un programme de missiles balistiques susceptibles de transporter des charges nucléaires, tels les différentes versions du Shahab. Le chercheur Stéphane Delory estime que la course actuelle à la modernisation et à l’accumulation des vecteurs peut mener à la fragilisation de l’équilibre de la dissuasion dans la région33. Tandis que les monarchies du Golfe voient dans leur acquisition un moyen « d’empêcher le phénomène de sanctuarisation agressive » de la part de l’Iran, Israël et la Syrie les considèrent, combinées à des charges NBC, comme des instruments de dissuasion efficaces et l’Iran y voit un moyen « d’empêcher tout interventionnisme américain et la formation de toute coalition »34. Le rôle joué par les missiles de croisière et les missiles balistiques dans les stratégies sécuritaires des États du Moyen-Orient explique donc le manque d’adhésion aux normes internationales relatives à la prolifération des missiles. En effet, dans le contexte volatile de la région, où les armes conventionnelles sont tout autant que les armes de destruction massive utilisées comme des instruments de terreur à l’encontre des populations civiles, toute limite ou élimination de ces vecteurs est susceptible d’« affecter la capacité conventionnelle d’un État » et donc d’avoir un impact sur ses intérêts vitaux et sa sécurité : « désarmer dans ces conditions n’améliore pas la sécurité »35. et de déploiement de missiles balistiques susceptibles de servir de vecteurs à des armes de destruction massive, y compris […] en réduisant les stocks nationaux de ces missiles » et vise la « rédu[ction] et la préven[tion] de la prolifération des missiles balistiques susceptibles de servir de vecteurs à des armes de destruction massive, au niveau mondial aussi bien que régional ». Voir Code de conduite de La Haye contre la prolifération des missiles balistiques, 25 novembre 2002. http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/enjeux-internationaux/desarmement-maitrise-des-armements/colonne-droite-4884/textes-de-reference-4988/article/code-de-conduite-de-la-haye 28.Le MTCR de 1987 pose plusieurs directives que chaque État membre applique selon sa législation en vue de contrôler les exportations de technologies liées aux missiles. 29.Le registre des armes classiques de l’ONU et l’arrangement de Wassenaar en sont deux autres. 30.Manque d’universalité, faible portée des exigences (communication d’informations, application nationale des mesures…) et autres lacunes (pas de réelle interdiction, manque d’un organe de surveillance) sont régulièrement pointées du doigt. 31.DELORY Stéphane, The dynamics of missile proliferation in the Middle-East and North Africa, Background Paper, EU seminar to promote confidence building and in support of a process aimed at establishing a zone free of WMD and means of delivery in the Middle East. Brussels, 6-7 juillet 2011, p. 1-2. Disponible sur : http://www.nonproliferation. eu/documents/backgroundpapers/delory.pdf 32.Ibidem, p. 14-15. 33.Ibidem, p. 17-18. 34.Ibidem, p. 15-17. 35.Présentation d’un panéliste lors du deuxième Consortium de l’UE sur la non-prolifération consacrée au thème d’une zone exempte d’armes nucléaires et autres armes de destruction massive au Moyen-Orient. Bruxelles. 5-6 no vembre 2012. 11 12 Rapport du GRIP 2013/8 2.De l’émergence de l’idée d’une ZEAN au Moyen-Orient au tournant de 2010 Plus de cinquante ans ont été nécessaires pour que le concept de zone exempte d’armes nucléaires et autres armes de destruction massive soit envisagé concrètement pour la région du Moyen-Orient. Porté par les États de la région eux-mêmes dans différentes enceintes internationales, c’est finalement dans le cadre des conférences de révision du TNP que le processus de création de cette ZEAN/ZEADM a trouvé sa place. 2.1. L’émergence de l’idée d’une ZEAN au Moyen-Orient Le processus qui a mené à l’émergence du concept de zone exempte d’armes nucléaires résulte d’une combinaison de propositions individuelles, d’initiatives internationales et d’événements et initiatives régionaux. Lors d’une séance du sous-comité de la Commission du désarmement des Nations unies en mars 1956, l’URSS a, la première, proposé un accord « interdi[sant] d’installer […] des formations militaires atomiques ainsi que des armes atomiques ou à l’hydrogène de type quelconque » sur « le territoire des deux parties de l’Allemagne ainsi que celui des États voisins »36. En 1957, c’est au tour de la Pologne de présenter un plan prévoyant l’absence d’armes nucléaires sur le territoire de plusieurs États de la région37. Ces propositions ont finalement été reprises par l’Assemblée générale des Nations unies (AGNU) qui, en 1965, a reconnu à « un groupe quelconque d’États » le « droit de conclure des traités régionaux de façon à assurer l’absence totale d’armes nucléaires sur leurs territoires respectifs »38. Droit dont ont rapidement usé les États d’Amérique latine et des Caraïbes en se constituant les premiers en ZEAN en 1967, et qui s’est vu confirmé en 1968 par l’article VII du TNP39. À la suite des révélations sur l’existence d’un arsenal nucléaire israélien et à la dégradation de la situation sécuritaire consécutive à la guerre des Six Jours (1967) et à la guerre d’Octobre 1973, un courant prônant un Moyen-Orient débarrassé des armes nucléaires a vu le jour au sein des États arabes de la région. En septembre 1974, les représentants de l’Iran et de l’Égypte ont soumis à l’AGNU une proposition de résolution allant dans ce sens40, adoptée quatre mois plus tard41. En 1975, l’ensemble des membres de l’AGNU s’est accordé sur la définition d’une zone exempte d’armes nucléaires, à savoir « toute zone reconnue comme telle par l’Assemblée générale de 36.3ème rapport du sous-comité de la Commission du désarmement. Supplément janvier-décembre 1956, Annexe 5, DC/SC.1/41, 27 mars 1956. http://disarmament2.un.org/Library.nsf/0bb8a163b66d627f85256beb0073f596/ 66aa5d4736a7dcd58525765b004d9a0b/$FILE/Supplement%20for%201956.pdf 37.PRAWITZ J. et LEONARD J. A zone free of weapons of mass destruction in the Middle East.Unidir. 1996, p. 1. 38.Résolution 2028 de l’Assemblée générale des Nations unies. 28ème session. 1382ème séance plénière. 19 novembre 1965. http://www.un.org/french/documents/view_doc.asp?symbol=A/RES/2028(XX)&Lang=F 39.« Aucune clause du présent Traité ne porte atteinte au droit d’un groupe quelconque d’États de conclure des traités régionaux de façon à assurer l’absence totale d’armes nucléaires sur leurs territoires respectifs », Traité de nonprolifération nucléaire. http://www.un.org/fr/disarmament/instruments/npt.shtml 40.« Égypte et Iran : demande d’inscription d’une question à l’ordre du jour provisoire de la 29ème session ». Documents A/9693 et add. 1 à 3, présentés le 17 septembre 1974. 41.Résolution 3263 de l’AGNU, 29èmesession, 2309ème séance plénière, 9 décembre 1974. http://www.un.org/french/ documents/view_doc.asp?symbol=A/RES/3263(XXIX)&Lang=F La Conférence sur une zone exempte d’armes de destruction massive... l’Organisation des Nations unies, que tel ou tel groupe d’États, agissant dans le libre exercice de leur souveraineté, a établie en vertu d’un traité ou d’une convention aux termes duquel ou de laquelle : a) est défini le statut d’absence totale d’armes nucléaires auquel la zone sera soumise, avec la marche à suivre pour délimiter la zone ; b) est établi un système international de vérification et de contrôle en vue de garantir le respect des obligations découlant de ce statut »42. Presque tous les ans, l’Égypte43 a veillé à faire voter une résolution promouvant l’instauration d’une ZEAN au Moyen-Orient44, avant de proposer, en 1990, d’y « interdire toutes les armes de destruction massive sans exception, c’est-à-dire les armes nucléaires, chimiques, biologiques »45. En avril 1991, le CSNU, reprend à son compte l’objectif d’une zone exempte d’armes de destruction massive et rappelle la nécessité d’y parvenir46. La même année, dans le cadre du processus de paix de Madrid portant sur le conflit israélo-palestinien, cinq groupes de travail ont été constitués dont un portait sur la Maîtrise des armements et la sécurité régionale - ACRS selon l’acronyme anglais47. L’objectif était que les quatorze États de la région puissent échanger sur leurs perceptions des menaces afin de mieux se comprendre, et d’instaurer peu à peu un climat favorable à un dialogue de fond sur l’adoption de mesures de confiance et de sécurité : de là et des négociations de paix entreprises en parallèle, devaient résulter des discussions sur les arsenaux conventionnels et non conventionnels48. Le refus égyptien d’aller plus avant dans les discussions sans que soit résolue la question du nucléaire israélien a conduit au report indéfini des discussions du groupe ACRS. 2.2. La résolution de 1995 en mal de promoteurs pendant 15 ans C’est dans un contexte de blocage des discussions au sein du groupe ACRS mais d’avancées notables dans le processus de paix israélo-arabe (accord Israël-OLP et Israël-Jordanie, progrès des discussions israélo-syriennes) que s’est déroulée, en 1995, la Conférence d’examen et de prorogation du TNP, initialement en vigueur pour vingt-cinq ans. Celle-ci semblait plutôt mal engagée puisque trois mois plus tôt, les monarchies du Golfe, menées par l’Égypte et la Syrie et rejointes par l’Iran, avaient exigé, en échange de leur voix pour la prorogation du Traité, qu’Israël le signe49. Les succès de cette Conférence ont donc été obtenus à grands renforts de négociations et de 42.Résolution 3472 B de l’AGNU, 30ème session, 2437ème séance plénière, 11 décembre 1975. http://www.un.org/ french/documents/view_doc.asp?symbol=A/RES/3472(XXX) 43.Pour une étude approfondie de l’activisme égyptien au cours de cette période, voir l’article très fouillé de FeldmanShai, Le Moyen-Orient et l’extension du TNP, in Prolifération et non-prolifération nucléaire : les enjeux de 1995 sur l’extension du TNP, Fondation pour les études de défense : Perspectives stratégiques, 1995. 44.Chaque année depuis la résolution A/RES/31/71 du 10 décembre 1976 jusqu’à la résolution A/RES/45/52 du 15 décembre 1990, à l’exception de 1986. 45.Lettre datée du 19 avril 1990, adressée au président de la conférence du désarmement par le représentant permanent de l’Égypte transmettant le texte d’une lettre adressée au Secrétaire général de l’ONU par M. Ahmed Esmat Abdel Meguid, Vice-Premier ministre et ministre des Affaires étrangères de l’Égypte concernant la création d’une zone exempte d’armes de destruction massive au Moyen-Orient et d’une déclaration du président Hosni Moubarak à ce propos. CD/989. 20 avril 1990. 46.Résolution 687 du CSNU. 47.De l’acronyme anglais Arms Control and Regional Security. 48.LANDAU Emily, Le Groupe de travail sur la maîtrise des armements et la sécurité régionale : les succès, les échecs et les possibilités actuelles pour la région. In La Maîtrise des armements au Moyen-Orient. Forum du désarmement n° 2. 2008, p. 15-16. 49.LABBÉ Marie-Hélène. « Le TNP : un traité devenu permanent ». Défense nationale. Août-septembre 1995, p. 69. 13 14 Rapport du GRIP 2013/8 c ompromis50 : l’extension indéfinie du TNP a été obtenue en échange d’un renforcement du processus de révision du traité, d’une déclaration des principes et objectifs relatifs à la non-prolifération et au désarmement, et d’une résolution sur l’établissement d’une zone exempte d’armes nucléaires et d’armes de destruction massive au MoyenOrient51. Cette résolution « fait siens les buts et objectifs du processus de paix au MoyenOrient », estimant qu’ils « contribuent […] à l’instauration d’une zone exempte d’armes nucléaires ainsi que d’autres armes de destruction massive au Moyen-Orient » (§1) ; elle « engage tous les États du Moyen-Orient […] à adhérer au Traité et à faire appliquer les garanties intégrales de l’Agence [internationale de l’énergie atomique] à leurs installations nucléaires » (§4), notamment ceux qui n’ont pas soumis ces dernières aux garanties de l’AIEA (§3) ; elle encourage « tous les États du Moyen-Orient à prendre […] des dispositions concrètes pour progresser sur la voie de la création au Moyen-Orient d’une zone exempte d’armes de destruction massive, nucléaires, chimiques et biologiques, et de leurs vecteurs » ou, à tout le moins, de ne pas entraver ce processus (§5) ; enfin, la résolution souligne le rôle que doivent jouer les États parties au Traité, en particulier les États dotés de l’arme nucléaire (EDAN), dans la poursuite de cet objectif (§6)52. Il est à noter que la résolution a été adoptée après que la mention explicite à Israël et à ses installations nucléaires a été supprimée53, ce qui souligne combien il importe de ne pas stigmatiser un État ou une arme de destruction massive en particulier. Malgré l’adhésion au TNP des Émirats arabes unis en septembre 1995 et du sultanat d’Oman en janvier 1997 – les deux seuls États arabes qui, lors de la résolution de mai 1995, n’en étaient pas membres –, la résolution de 1995 sur le Moyen-Orient s’est trouvée en mal de promoteurs pendant quinze ans. Jusqu’à la Conférence de révision du TNP de 2000, les tensions internationales (rejet américain du Traité d’interdiction complète des essais nucléaires (TICE), essais nucléaires indiens et pakistanais en 1998, intervention de l’OTAN au Kosovo, défense antimissile américaine qui inquiète la Russie et la Chine…) ont détourné l’attention des grandes puissances du processus d’établissement d’une ZEAN au Moyen-Orient. Si le document final de la Conférence de 2000 se contente de réaffirmer l’importance de cet objectif adopté cinq ans plus tôt, il mentionne toutefois nommément Israël pour le presser d’adhérer au TNP54. Aucun progrès n’a été obtenu à la Conférence de révision suivante, cinq ans plus tard sur ce sujet – comme sur les autres d’ailleurs. Le manque d’implication des ÉtatsUnis à la fois dans la résolution du conflit israélo-palestinien et dans la Conférence du TNP où leur priorité était de protéger leurs intérêts et donc de s’attacher avant tout à 50.La prolongation du traité pour une nouvelle durée de 25 ans (le Venezuela), pour une succession de périodes déterminées (25 ans) reconductibles automatiquement ou non (l’Indonésie), et, enfin son extension pour une période illimitée avec des conférences d’examen tous les cinq ans (le Mexique). Voir ANDEMICAE Berhanykun, OPELZ Merle et PRIEST, Jan. Histoire d’un compromis : le TNP et l’avenir. AIEA Bulletin, 3/1995, p. 30-31. 51.Voir l’ensemble de ces décisions sur la page consacrée à la Conférence de révision du TNP en 1995 sur le site de l’Acronym Institute for Disarmament Diplomacy. http://www.acronym.org.uk/official-and-govt-documents/decisionsadopted-1995-npt-review-extension-conference?page=show 52.Voir le texte de la Résolution en annexe. 53.STEINBERG Gerald M. Middle-East Peace and the NPT Extension Decision.The Non-proliferation Review. Autom ne 1996, p. 24. 54.2000 NPT Review Conference-Final document. http://www.armscontrol.org/act/2000_06/docjun La Conférence sur une zone exempte d’armes de destruction massive... ce que ne soit fait mention ni du TICE ni du TIPMF (Traité sur l’interdiction de production des matières fissiles) ni des 13 mesures concrètes de la Conférence de 2000, n’a pas favorisé d’initiatives sur le Moyen-Orient. Sans compter que l’établissement d’une ZEAN dans la région doit être le fait de ces États précisément, y compris d’Israël qui se trouve en dehors du traité. Or, entre 2000 et 2005, la situation au MoyenOrient n’était pas propice en raison de l’impasse des négociations sur le processus de paix israélo-palestinien55, d’affrontements violents réguliers dans la région (deuxième Intifada, conflit israélo-libanais de 2006, guerre de Gaza de 2008-2009) et du refus systématique d’Israël de rejoindre le Traité de non-prolifération nucléaire et de se soumettre au système de vérification de l’AIEA. L’impulsion nécessaire n’a de ce fait pu être donnée pour obtenir une quelconque nouvelle déclaration sur le Moyen-Orient à la Conférence de 2005. En 2007, sous l’impulsion des États arabes, l’Assemblée générale de l’ONU a, une nouvelle fois, voté une résolution sur la création d’une ZEAN au Moyen-Orient, en soulignant pour la première fois l’exception israélienne au regard du TNP et en appelant les autorités de l’État hébreu à « adhérer sans plus tarder au Traité, [à] ne pas mettre au point, fabriquer, mettre à l’essai ou acquérir d’aucune autre manière des armes nucléaires, [à] renoncer à posséder de telles armes et [à] placer toutes ses installations nucléaires non soumises aux garanties sous les garanties intégrales de l’Agence », arguant qu’il s’agirait d’« une mesure de confiance importante entre tous les États de la région et un pas vers lerenforcement de la paix et de la sécurité »56. Cette résolution a agi comme un révélateur de la dynamique existante au sein des pays de la région pour tenter de progresser vers la création d’une zone exempte d’armes nucléaires au Moyen-Orient. 2.3. Le tournant de la Conférence de révision du TNP de 2010 Quand la Conférence de révision du TNP s’est ouverte en 2010, l’échec n’était pas permis au risque de signifier la mort du régime de non-prolifération57. Parce que les enjeux portaient principalement sur l’extension des compétences de l’AIEA, le renforcement du contrôle des exportations des technologies et matériels nucléaires et l’universalisation du traité et d’autres accords internationaux complémentaires du TNP,rien ne laissait présager qu’une telle importance serait accordée à la résolution de 1995 sur le Moyen-Orient58. Des propositions ont été émises par le Mouvement des non-alignés et la Ligue arabe, encouragés par la nouvelle administration américaine, partisane d’un monde débarrassé de l’arme nucléaire. Celle-ci s’est d’ailleurs montrée 55.Après les accords d’Oslo (1995) et de Wye Plantation (1998), c’est l’échec des négociations de Camp David II (2000), les désillusions dues au sommet de Taba (2001) et aux propositions de la feuille de route proposée par le Quartet et l’incapacité à appliquer la solution à deux États prônée par l’initiative de paix arabe en raison de la politique de colonisation pratiquée par Israël et dénoncée par la Communauté internationale. 56.Résolution de l’Assemblée générale de l’ONU sur le risque de prolifération nucléaire au Moyen-Orient. A/ RES/62/56. 62e séance plénière. 5 décembre 2007. http://daccess-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/ N07/467/14/PDF/N0746714.pdf ?OpenElement 57.La Conférence précédente en 2005 a échoué, le retrait nord-coréen du TNP en 2003 a été laissé sans réponse et les sanctions à l’encontre de l’Iran n’ont pas permis de mettre un terme au développement de son programme nucléaire. 58.Sur les enjeux de la Conférence de révision de 2010, voir ROUPPERT Bérangère. La Conférence d’examen du TNP 2010 : vers un renforcement du régime de non-prolifération. Note d’Analyse du GRIP. 5 mai 2010. http://www.grip.org/fr/ node/160 15 16 Rapport du GRIP 2013/8 très active avant et pendant la Conférence, notamment pour faire avancer le sujet de la ZEAN au Moyen-Orient59. C’est ainsi que le document final de la Conférence intègre une partie spécifiquement dédiée au Moyen-Orient dans laquelle sont présentées des mesures concrètes afin de permettre l’application de la résolution de 1995. Après avoir souligné que « la résolution [de 1995] rest[ait] valide jusqu’à ce que ses buts et objectifs aient été atteints », le document final charge le Secrétaire général des Nations unies et les auteurs de la résolution de 1995 d’organiser une Conférence en 2012 sur l’établissement d’une zone exempte d’armes nucléaires et d’armes de destruction massive au Moyen-Orient, et de désigner un facilitateur et un pays hôte. 59.Sur le déroulement et les résultats de la Conférence de révision de 2010, voir MEKDOUR Mehdi et ROUPPERT Bérangère.Conférence de révision 2010 du Traité de non-prolifération – Succès et désillusions d’une nouvelle dynamique de désarmement nucléaire. Rapport du GRIP. Juin 2010. http://www.grip.org/fr/node/550 La Conférence sur une zone exempte d’armes de destruction massive... 3. La Conférence d’Helsinki : un échec programmé Tout au long de l’année 2012, les perspectives de réussite de la réunion ont suscité des sentiments contradictoires : facteurs de succès et d’échecs se sont succédé et accumulés, trahissant les espoirs et les désillusions de tous les acteurs concernés à la veille de l’événement. 3.1. Facteurs de succès 3.1.1. Les mesures concrètes de 2010 en application Il a fallu attendre un an et demi après la Conférence de révision du TNP pour que les Nations unies, les États-Unis, la Grande-Bretagne et la Russie désignent, le 14 octobre 2011, la Finlande comme pays d’accueil de cette Conférence et nomment l’ambassadeur JaakkoLaajava, sous-secrétaire d’État aux Affaires étrangères de Finlande, comme facilitateur « chargé d’appuyer l’application de la résolution 1995 en procédant à des consultations avec les États de la région et à des préparatifs en vue de réunir la Conférence en 2012 »60. C’est donc à ce titre que celui-ci a entrepris de nombreuses démarches pour préparer la Conférence dont il a rendu compte dans un rapport présenté, en mai 2012, au premier comité préparatoire à la Conférence de révision du TNP de 2015. Il s’est d’abord doté d’un cabinet composé d’experts sur toutes les questions ayant trait à la Conférence et chargé de l’assister dans le processus préparatoire. Il a adopté une « approche inclusive » en dialoguant avec tous les États de la région sur un grand nombre de sujets afin de se familiariser avec leurs attentes, leurs priorités et leurs suggestions mais également afin de relever leurs divergences dans leur approche de la question et leurs craintes. Il a également mené « plus de cent consultations » avec les EDAN, les organisations de la société civile, les organisations internationales et le milieu académique61. Toutefois, malgré des efforts tous azimuts, la Conférence n’a cessé d’être repoussée vers la fin de l’année 2012 sans qu’une date précise puisse être fixée. De plus, la difficulté majeure pour le négociateur a été de s’assurer de la présence de tous les États à cette Conférence. Or, dès le mois de septembre 2012, Israël a fait savoir qu’il ne souhaitait pas prendre part à cet événement ; position qu’il a maintenue même après l’annonce par l’Iran début novembre 2012 de sa participation. Il n’a en outre pas été possible de s’accorder ni sur un agenda ni sur les objectifs à atteindre : lorsque la Conférence a été annulée fin novembre, le flou délibérément entretenu62 dans le document final de 2010 persistait encore. 60.Conférence des Parties chargées d’examiner le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires. Document final, volume 1, voir Première partie « conclusion et recommandations concernant les mesures de suivi ». NPT/ CONF.2010/50 (Vol. I). Mai 2010. http://www.un.org/ga/search/view_doc.asp?symbol=NPT/CONF.2010/50 (VOL.I)&referer=http://www.un.org/en/conf/npt/2010/confdocs.shtml&Lang=F 61.Report of the Facilitator to the First Session of the Preparatory Committee for the 2015 Review Conference of the Parties to the Treaty on the Non-Proliferation of Nuclear Weapons. 8 mai 2012. http://www.reachingcriticalwill.org/images/documents/Disarmament-fora/npt/prepcom12/statements/8May_Laajava.pdf 62.Afin de laisser une marge de manœuvre plus large aux organisateurs. 17 18 Rapport du GRIP 2013/8 3.1.2. La mobilisation internationale Parallèlement à cette démarche, de nombreux acteurs de la société civile ont uni leurs voix pour encourager la tenue de cette Conférence et émettre des recommandations portant, entre autres, sur les mesures garantissant la participation de tous les acteurs, sur le rôle à jouer par la société civile, sur les étapes nécessaires avant d’atteindre l’objectif d’un Moyen-Orient sans armes de destruction massive63. Les think tanks spécialisés sur le sujet se sont également mobilisés, organisant des tables rondes regroupant des experts du monde entier pour faire avancer la réflexion, partager les points de vue et émettre des recommandations : c’est le cas notamment du James Martin Center for Non ProliferationStudies du Monterey Institute of International Studies, du Center on International Cooperation de l’Université de New York, du Project on Nuclear Issues du Center for Strategic and International Studies. L’Union européenne s’est engagée dans un processus similaire en organisant, via son consortium sur la non-prolifération, un séminaire de deux jours en 201164, contribuant ainsi au renforcement du dialogue entre experts et diplomates venant de nombreux pays, dont les EDAN et plusieurs États du Moyen-Orient65. L’AIEA a également organisé un forum en novembre 2011 où des États appartenant à des ZEAN ont fait part de leurs expériences concernant les processus qui ont mené à la création d’une ZEAN dans leur région66. 3.1.3. Le ferme engagement des États arabes en faveur d’une ZEAN/ZEADM Ainsi que nous l’avons rappelé précédemment, ce sont l’Égypte et l’Iran, suivis par la Ligue arabe qui ont été les instigateurs et les soutiens de la création d’une ZEAN puis d’une ZEADM dans la région. La non-adhésion de l’Égypte – mais également jusqu’en octobre 2013 de la Syrie – à des traités comme la CIAC et la CIAB doit être vue, selon les États arabes, comme un instrument de pression politique qui, s’il venait à ne plus exister, « élargirait le fossé » entre les États parties au TNP et Israël67. Depuis la résolution de 1995, la Ligue arabe, emmenée par l’Égypte, « n’[a] eu de cesse d’engager la communauté internationale à prendre des mesures concrètes » pour voir cet objectif devenir réalité, et de dénoncer l’exception israélienne, cautionnée par « le silence […] de la communauté internationale », qui représente « une menace pour la paix et la stabilité des États membres de la Ligue arabe […] et pour la crédibilité du Traité »68. Cet engagement des États arabes a également pris la forme de tentatives de résolution du conflit israélo-arabe/palestinien afin d’avancer vers une pacification de la région, rendant plus plausibles des discussions sur une ZEAN au Moyen-Orient. 63.Voir l’ensemble des rapports quotidiens NPT News in Review écrits par les membres de Reaching Critical Will pendant toute la durée du premier comité préparatoire de la Conférence de révision du TNP en mai 2012. http://www. reachingcriticalwill.org/disarmament-fora/npt/2012/nir 64.Un autre est prévu les 5 et 6 novembre 2012 à Bruxelles. 65.Voir le site internet du consortium : http://www.nonproliferation.eu/activities/activities.php 66.Même s’« il n’existe pas un seul modèle » pour parvenir à un tel résultat en raison des « spécificités de chaque zone », les différentes présentations ont mis en exergue certains traits communs dont pourraient bénéficier les parties prenantes à la Conférence d’Helsinki, notamment le rôle prépondérant des EDAN, des Nations unies et de l’AIEA. Voir Forum summary. IAEA Forum on Experience of possible relevance to the creation of a nuclear-weapon-free zone in the Middle East. Vienne. 21-22 novembre 2011. http://www.iaea.org/newscenter/focus/iaeanwfz/index.shtml 67.Propos du représentant permanent de l’Égypte auprès des Nations unies cité in ELDEEN ALY, Hossam. A Middle Eastern WMD-Free Zone: Objectives and approaches of Arab States. Arms Control Today. Avril 2012. 68.Application du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires. Rapport présenté par le Canada lors du Comité préparatoire de la Conférence de révision 2010. NPT/CONF.2010/PC.II/WP.2. 14 avril 2008. La Conférence sur une zone exempte d’armes de destruction massive... La position des États de la région est constante dans les résolutions de l’Assemblée générale, à chaque réunion d’un comité préparatoire de la Conférence de révision du TNP ou encore lors des sommets de la Ligue arabe : ils demandent à Israël d’adhérer au TNP comme État non doté d’armes nucléaires et de placer ses infrastructures nucléaires sous le contrôle de l’AIEA. Cette étape doit être première en ce qu’elle permettrait de « remédier au déséquilibre existant en matière d’engagements des uns et des autres visà-vis du nucléaire » et d’instaurer un climat de confiance puisque « toutes les activités et installations nucléaires de la région seraient sous le contrôle de l’AIEA »69. Depuis la Conférence de 2010, les États de la Ligue arabe ont répondu aux sollicitations du facilitateur lors de rencontres dans les capitales de la région et au sein d’autres organisations internationales, et participé à des forums et conférences qui leur ont permis d’émettre quelques propositions lors du premier comité préparatoire de 2012 : ils estiment nécessaires de s’inspirer des expériences des autres ZEAN tout en « continuant à chercher des outils adéquats aux particularités de la région » ; ils appellent également les Nations unies, son Secrétaire général et les co-auteurs de la résolution de 1995 à « prendre leurs responsabilités » dans ce processus70 et à ne pas tenter d’« évoquer tout autre sujet que celui de la ZEAN »71. La Conférence de 2012 représente une « opportunité qu’ils ne peuvent pas manquer »72 au vu des efforts fournis pendant les trente dernières années pour promouvoir l’idée de la ZEAN au Moyen-Orient. 3.2. Facteurs d’échecs 3.2.1. Un mauvais timing Une région sous tensions permanentes accrues aujourd’hui Si l’on considère la région du Moyen-Orient depuis la création de l’État d’Israël en 1947, celle-ci n’a pas cessé d’être secouée par des guerres, des éclats de violences armées ou des ruptures diplomatiques aigues menant à de très fortes tensions. Aujourd’hui, la tension est entretenue par les autorités iraniennes qui refusent de se plier à l’autorité de l’AIEA et poursuivent le développement de leur programme nucléaire, et par le gouvernement israélien qui menace de frappes préventives la République islamique, avec des risques de réactions en chaîne dans la région73. En outre, si le soutien de Téhéran aux soulèvements populaires au Bahreïn et au Yémen a « resser[é] les liens » entre les monarchies du Golfe, il a considérablement hypothéqué un apaisement des tensions entre ces dernières et la République islamique74. À ce paramètre s’ajoute celui du changement de régime en Égypte : l’arrivée au pouvoir des Frères musulmans et les propos du nouveau président Morsi sur une nouvelle 69.ELDEEN ALY Hossam. Op. cit. 70.Document de travail présenté par les Émirats arabes unis au nom des États membres de la Ligue des États arabes, à la première session du Comité préparatoire de la Conférence des Parties chargée d’examiner le Traité sur la nonprolifération des armes nucléaires en 2015. NPT/CONF.2015/PC.I/WP.17. 23 avril 2012. 71.« Le Caire : réunion arabe préparatoire en prévision de la Conférence d’Helsinki ». Algérie presse service. 2 septembre 2012. 72.AL-ASSAD Wae. Arab States are ready for the Conference. In The 2012 conference on a weapons of mass destruction-free zone in the Middle East: prospects, challenges, and opportunities. James Martin Center for non proliferation studies – Monterey Institute of International Studies. Juillet 2012, p. 4. 73.En effet, Israël pourrait subir des représailles de la part de l’Iran mais également des acteurs non-étatiques soutenus par la République islamique, qui se trouvent au nord d’Israël et à ses frontières. 74.DJALILI Mohammad-Reza, KELLNER Thierry. L’Iran et la Turquie face au « printemps arabe ». GRIP. 2012, p. 111. http://www.grip.org/fr/node/394 19 20 Rapport du GRIP 2013/8 donne stratégique dans la région visant à rapprocher son pays de l’Iran, ont fait craindre à Israël une remise en cause de l’équilibre régional. Celui-ci remonte aux accords de Camp David de 1979 portant sur la restitution du Sinaï à l’Égypte en échange d’une démilitarisation de la zone75. Contrairement à toute attente, les relations entre l’Égypte des Frères musulmans et l’État hébreu ont été meilleures que prévues. Depuis l’attaque début août 2012 d’un poste de garde-frontières égyptiens dans le Sinaï qui a fait plusieurs morts côté égyptien, le Caire a entrepris de déployer militaires, tanks et appareils de l’armée de l’air dans la péninsule76. Par ailleurs, le président Morsi s’est beaucoup impliqué pour obtenir la conclusion d’un accord de cessez-le-feu entre le Hamas et Israël lors des événements de Gaza en novembre 2012. La destitution du président Morsi en juillet 2013 et les affrontements qui se sont déroulés les semaines suivantes soulèvent finalement plus de questions pour la sécurité d’Israël qu’ils n’en résolvent : ainsi que le fait remarquer un ancien ambassadeur israélien au Caire, « malgré toutes les craintes, Morsi n’était pas si mauvais pour Israël » et « le canal [qui s’était formé] entre les islamistes égyptiens et le Hamas « ayant permis la conclusion du cessez-le-feu » en 2012, risque « de ne plus exister avec un gouvernement plus séculier»77. En deux ans, le conflit syrien, qualifié dès l’été 2012 de « guerre civile »78, est allé en s’intensifiant et a pris l’allure d’une « guerre par procuration » (proxy war) où ÉtatsUnis, France, Grande-Bretagne, Arabie saoudite et Qatar s’affichent en soutien de la rébellion syrienne notamment en poussant à la levée de l’embargo sur les livraisons d’armes ou en soutenant les rebelles79. Tandis que la Russie et la Chine affichent leur soutien au régime de Bachar el-Assad, lequel se matérialise principalement par leur veto à toute résolution proposée au Conseil de sécurité des Nations unies. En outre, certains groupes rebelles, notamment Al-Nosra, ont été ralliés par les combattants étrangers d’Al-Qaïda, ajoutant à la confusion des camps. Dans les parties s’opposant sur le terrain, alaouites et chiites contre sunnites, des observateurs voient également une confessionnalisation du conflit qui pourrait potentiellement s’étendre aux pays voisins et les déstabiliser à leur tour: la Turquie est secouée par des attentats frontaliers ; le Liban n’a plus de gouvernement depuis mars 2013 et doit faire face à un afflux de plus d’un million de réfugiés, alors même qu’il ne compte que quatre fois plus d’habitants. S’ajoutent également les tensions turco-syriennes faisant suite à des tirs de l’artillerie syrienne touchant le territoire et des civils turcs au début du mois d’octobre 2012 mais également des attentats à la voiture piégée dans les zones frontalières. Des autorités étatiques et gouvernementales en manque de légitimité Quelques mois après la Conférence de révision du TNP, le monde arabo-musulman a été secoué par une vague de révoltes populaires dont l’objectif était de pousser à des réformes ou au changement de régime. Si certains dirigeants sont tombés, tels 75.« Israel asks Egypt to remove tanks from Sinai ». New York Times. 21 août 2012. 76.Israël a déjà donné une autorisation à l’Égypte pour un tel déploiement l’an passé et soutient l’Égypte dans sa lutte contre le terrorisme au Sinaï « L’Égypte déploie ses tanks dans le Sinaï avec l’accord d’Israël ». RFI. 15 août 2011. 77.« Israeli government tight-lipped as events unfold in Egypt ». Washington Post. 4 juillet 2013. 78.Pour plus de détails sur le conflit syrien, sa qualification, ses acteurs et les transferts d’armes, voir DE GROOF Mélanie. « Arms transfers to the Syrian Arab Republic: practice and legality ». Rapport du GRIP. 2013 (à paraître fin novembre 2013). 79.DE GROOF Mélanie. « Armer les rebelles syriens ? Une action en principe illégale ! ». Les Nouvelles du GRIP n°2, 20 juin 2013. http://www.grip.org/fr/node/922 La Conférence sur une zone exempte d’armes de destruction massive... Zine el-Abidine Ben Ali en Tunisie, Mouammar Kadhafi en Libye, Hosni Moubarak en Égypte ou Ali Abdallah Saleh au Yémen, d’autres, à grands renforts de répression, se maintiennent tels le roi bahreïni, Hamed ben Issa Al-Khalifa, et le Syrien Bachar el-Assad. Dans les États où les émeutes ont débouché sur un changement de régime s’est posée la question de la traduction politique des revendications politiques et socio-économiques de ces centaines de milliers de manifestants. En Égypte, nombreux se sont sentis dépossédés de leur révolution et dits prêts à redescendre dans la rue80 : en juillet 2013, l’armée égyptienne a d’abord « cherch[é] à fai[re] pression sur le politique »81, puis fait le choix d’installer le président de la Haute cour constitutionnelle à la tête du pays, chassant de ce fait Morsi. La situation ne s’est pas pour autant apaisée puisque des heurts violents entre partisans du président déchu et opposition se sont produits pendant plusieurs semaines. En Syrie, la conclusion de l’accord de Genève sur un régime de transition en juin 2012 et la formation par l’opposition d’un gouvernement transitoire a remis en cause l’autorité du gouvernement central de Bachar el-Assad, tandis que l’issue du conflit demeure toujours incertaine – malgré la conclusion d’un accord sur le démantèlement et la destruction de l’arsenal chimique syrien. Ces deux exemples soulèvent plusieurs questions : en cas de tenue de la Conférence, quelle autorité syrienne inviter sachant que du côté des opposants au régime de Bachar elAssad, il devient de plus en plus difficile de distinguer les affiliations entre les groupes de rebelles? Quelle légitimité accorder à des interlocuteurs dont la représentativité n’est plus avérée ? En cas d’adoption d’un document à l’issue de cette conférence, quelle garantie y a-t-il, en cas de renversement des autorités ayant adopté ce document, que les nouvelles poursuivent dans la voie du document adopté ? Autant de questions qui, dans un contexte de troubles, soulignent la difficulté d’organiser une Conférence dans les circonstances actuelles. Un contexte apaisé serait plus propice au dialogue mais surtout garantirait la présence de tous les acteurs de la région. Certes, il est important de ne pas laisser des événements régionaux et circonstanciels dicter le rythme de réunions internationales destinées à promouvoir la paix et la sécurité. Toutefois, force est de constater que, dans la région la plus explosive du monde, précipiter des rencontres peut être contreproductif ainsi que l’a fait remarquer l’ambassadeur égyptien aux États-Unis : « Si la rencontre a lieu, mais que les participants ne se préparent pas correctement, la réunion se transformera en un événement rhétorique rythmé par des échanges acerbes et des passions accrues »82. 3.2.2. Une participation non garantie Pour qu’une telle conférence puisse aboutir à quelque chose de concret, la participation de tous les États de la région est indispensable : il suffit de l’absence d’un seul 80.Sans propositions politiques alternatives, sans engagement politique de certains de leurs membres, ces mouvements contestataires se sont retrouvés, à la veille des élections, sans représentation politique. À la lecture du résultat des urnes, ils ne se sentent pas représentés et contestent les nouvelles autorités issues du courant des Frères musulmans et des salafistes. Exposé-débat de Vincent Legrand, spécialiste du monde arabe, « Les évolutions politiques des pays du printemps arabe ». Les Midis Stratégiques du GRIP. Bruxelles. 20 septembre 2012. 81.Opinion de Fanny Lutz. « L’armée égyptienne, force motrice du changement ? ». RTBF, 2 juillet 2013. 82.FAHMY Nabil. « Salvaging the 2012 Conference ».Arms Control Today. Septembre 2011. 21 22 Rapport du GRIP 2013/8 État de la région pour faire « capoter » l’ensemble du processus car la création d’une ZEAN/ZEADM implique un accord librement consenti selon des modalités librement choisies par l’ensemble des États d’une région. Tout effort de négociation, tout progrès quelconque, tout consensus, aussi minime soit-il, serait anéanti par cette absence, d’autant plus s’il s’agit d’un État suspecté de développer un programme ou de détenir un arsenal d’armes non conventionnelles. Tout doute sur la participation de l’Égypte ou de la Syrie est à balayer compte tenu de leur appartenance à la Ligue arabe, laquelle se trouve être fortement engagée dans le processus de création d’une ZEADM au Moyen-Orient. En revanche, si Israël ou l’Iran faisaient défaut, la question de l’utilité de la conférence serait soulevée puisque ce sont les principaux États susceptibles d’avoir la volonté, la technologie et les connaissances nécessaires à l’élaboration d’un programme d’armes de destruction massive, plus particulièrement d’un programme nucléaire. Quant à l’Iran, il a annoncé lors du Consortium de l’UE sur la non-prolifération en novembre 2012, qu’il participerait à la Conférence. Un an plus tard, au vu de la figure du nouveau président iranien, il y a fort à parier que si une nouvelle Conférence était organisée dans les mois à venir, la participation de la République islamique serait actée. En 2012, Israël, après avoir soufflé le chaud et le froid quant à sa participation83, avait finalement déclaré qu’il ne serait pas présent à une telle initiative, arguant de la situation explosive dans la région. On peut penser que chacun conditionne sa venue à la présence de l’autre mais, plus pragmatiquement, on peut fortement parier que les deux États seront présents et ce, pour plusieurs raisons. Tout d’abord, aucun des deux ne voudrait porter la responsabilité de la non-tenue de la Conférence, sous peine d’être de plus en plus montré du doigt dans la région. Aucun des deux ne voudrait non plus porter la responsabilité de l’échec de la Conférence : les absents ayant toujours tort, si l’un des deux venait à ne pas se présenter autour de la table de négociation, il risquerait de cristalliser l’ensemble des critiques qui empêcherait toute avancée dans les débats et donc tout succès de la Conférence. En outre, chacun des deux États profiterait de l’absence de l’autre pour souligner son côté « mauvais élève » et donc son manque de volonté et de coopération dans la construction de la paix dans la région. Enfin, aucun des deux ne souhaitant que cette conférence ne se transforme en tribune d’accusation in absentia, ils préféreront être présents pour assurer leur défense. 3.2.3. Le programme nucléaire iranien : une menace ? Les aspects menaçants du programme nucléaire iranien Une autre menace a vu le jour au début des années 2000 et ne cesse de prendre de l’ampleur : l’élaboration par l’Iran d’un programme nucléaire que certains pays occidentaux, États-Unis en tête, suspectent d’être à visée militaire. Si conformément à l’article IV du TNP, il est reconnu à l’Iran, partie au TNP, le « droit inaliénable […] de développer 83.Tandis que le 20 septembre, le porte-parole du ministère israélien des Affaires étrangères annonçait lors de la Conférence générale de l’AIEA que son pays n’assisterait pas à la Conférence (« Israël ne participera pas à la une conférence sur la dénucléarisation du Moyen-Orient ». Le Monde. 20 septembre 2012), il déclarait le lendemain que Tel-Aviv n’avait pas encore pris sa décision (Israel undecided on attending WMD-Free Middle East meeting. Nuclear Threat Initiative. 21 septembre 2012.). La Conférence sur une zone exempte d’armes de destruction massive... la recherche, la production et l’utilisation de l’énergie nucléaire à des fins pacifiques », celui-ci a adopté une attitude suffisamment ambiguë pour susciter des doutes parmi les inspecteurs de l’AIEA sur ses véritables intentions. - Deux sites d’enrichissement, Natanz et Fordou, faisant désormais l’objet d’inspections régulières de l’AIEA, étaient à l’origine développés en secret par l’Iran. Dans ces circonstances, il est « raisonnable de supposer que l’Iran a investi dans des installations d’enrichissement cachées »84. - En outre, l’Iran ne cesse d’augmenter ses capacités d’enrichissement d’uranium. En effet, elle modernise les centrifugeuses – de sorte qu’elles peuvent produire plus d’uranium enrichi en un temps raccourci –, et en augmente de façon constante leur nombre85. La conséquence logique en est un accroissement de son stock d’uranium enrichi à 20%, au-delà de la quantité nécessaire pour alimenter son programme nucléaire pacifique86. Si l’Iran venait à décider d’enrichir à 90% (uranium enrichi à un niveau militaire) son stock existant d’uranium enrichi à 5% et 20%, il aurait la capacité de fabriquer près de 7 bombes nucléaires87. - De plus, dans son rapport trimestriel de novembre 2011 faisant état de la mise en œuvre de l’accord de garanties, l’AIEA a fait état de la fabrication d’un dispositif nucléaire explosif88. - Par ailleurs, contrairement à la résolution 1929 du CSNU lui demandant de respecter les prescriptions du Conseil des gouverneurs de l’AIEA89, l’Iran a refusé à plusieurs reprises de coopérer avec l’AIEA et d’apporter des éléments de réponses sur son programme nucléaire. Par exemple, elle refuse de dévoiler davantage son programme d’enrichissement par laser90. L’Iran refuse de laisser les inspecteurs de l’Agence internationale accéder au site militaire de Parchin, alors que l’Institute forScience and International Security (ISIS), après analyse d’images satellitaires, relève régulièrement des activités sur le site qui semblent destinées à dissimuler des programmes entrepris précédemment. Par exemple, en mai 2013, une partie du site que l’AIEA souhaitait inspecter, a été recouverte d’asphalte91. L’Agence des Nations unies estime que cela « compromet sérieusement »92 ses capacités de vérification de supposées activités nucléaires à caractère militaire : dans son rapport de novembre 2011, l’agence indiquait que l’Iran avait installé une cuve de confinement d’explosifs afin de conduire des expériences hydrodynamiques sur le site de Parchin, ce qui constituait de « solides indicateurs d’une possible mise au point 84.GRAHAM Allison (Directeur du Belfer Center for Science and International Affairs). « How Close Is Iran to Exploding Its First Nuclear Bomb? » Scientific American, 30 mai 2012. 85.En 2003, le premier rapport de l’AIEA ne fait état d’aucune installation de centrifugeuses ni de stock d’uranium enrichi. En 2013, l’Iran possède environ 17 000 centrifugeuses réparties sur deux sites, plus de 6 tonnes d’uranium enrichi à 5% et un stock croissant d’uranium enrichi à 20%. Hadley, Stephen, Joseph Lieberman, and Jim Steinberg. « Iran’s nuclear ambitions demand urgent reaction from international community » Washington Post, 13 juin 2013. 86.HEINONEN Olli et HENDERSON Simon. « Nuclear Talks with Iran: Diplomacy and Diminishing Time». The Washington Institute. 23 septembre 2013. 87.GRAHAM Allison. « Will Iran get a bomb or be bombed itself this year? ». The Atlantic, 1er août 2013. 88.Rapport de l’AIEA GOV/2011/65, 8 novembre 2011. 89.Rapports de l’AIEA GOV/2006/14 du 4 février 2006 et GOV/2009/82 du 27 novembre 2009. 90.Rapport de l’AIEA GOV/2013/40, 29 août 2013. 91.ALBRIGHT David, WALROND Christina, and STRIKER Andrea. « ISIS analysis of IAEA Iran Safeguards report». ISIS. 22 mai 2013. 92.Rapport de l’AIEA GOV/2013/27, 22 mai 2013. 23 24 Rapport du GRIP 2013/8 d’armes nucléaires »93. De nouvelles inspections seraient nécessaires afin de lever tout doute sur la nature de ce dispositif. - Enfin, l’Iran a développé un réacteur à eau lourde sur le site d’Arak. S’il peut être un élément du programme nucléaire pacifique de l’Iran, il constitue également une voie alternative à l’enrichissement de l’uranium pour construire une bombe nucléaire. Aux doutes qui se sont fait jour sur le programme nucléaire iranien au cours de la décennie écoulée s’est ajoutée la crainte de voir l’Iran procéder à de dangereux transferts d’armes de destruction massive à son allié du Hezbollah dans la région ou encore avec la Corée du Nord avec laquelle elle mène ouvertement une coopération scientifique depuis l’accord d’août 201294. Un Iran nucléaire : course à l’armement ou équilibre de la terreur ? Deux courants de pensées se font face dès lors qu’il s’agit d’envisager les conséquences d’un Iran doté de l’arme nucléaire. D’un côté, de plus en plus de craintes sont émises relativement à une possible course à l’armement en général et à l’arme nucléaire (Arabie saoudite, Égypte, Turquie) en particulier dans la région si l’Iran devenait une puissance nucléaire. Plusieurs arguments viennent en effet à l’appui de cette hypothèse : un Iran nucléaire accroitrait le risque d’un conflit opposant l’Iran et les États-Unis avec Israël, jetant les monarchies du Golfe dans le second camp et les exposant donc à des représailles de Téhéran95 ; un Iran nucléaire viendrait s’ajouter aux autres menaces représentées par le voisin israélien, l’influence iranienne croissante parmi la minorité chiite marginalisée des pays majoritairement sunnites de la région et l’absence de garantie d’une protection américaine sans réserve en cas de conflit96. Autant de facteurs à même de renforcer des craintes sur une possible prolifération nucléaire dans la région. D’un autre côté, quelques experts s’interrogent au contraire quant à savoir si l’émergence d’un Iran nucléaire ne serait pas garant d’une plus grande sécurité régionale97 au même titre que la dissuasion fut une « théorie du maintien de la paix »98 pendant les quelque quarante ans qu’ont duré la Guerre froide. L’arme nucléaire ne serait plus le produit d’une « conception défensive [ou] stratégique » mais celui d’une « conception politique [née d’] une frustration à l’égard de certains voisins, pour des raisons territoriales ou politiques»99. Cependant, il nous semble qu’une course aux armements nucléaires dans la région soit peu probable pour plusieurs raisons. Tout d’abord, le développement d’un programme nucléaire nécessite des infrastructures particulières, de solides connaissances et expériences scientifiques et des capacités technologiques qu’aucun État arabe ne possède pour le moment ; certes, les monarchies du Golfe disposent de ressources financières considérables qui les rendraient capables de « se payer » tous les moyens 93.Rapport de l’AIEA GOV/2011/65. Op.cit. 94.« Iran et Corée du Nord signent un préoccupant accord de coopération scientifique ». RFI. 2 septembre 2012. 95.Vying for influence: Saudi Arabia’s reaction to Iran’s advancing nuclear program. Nuclear Threat Initiative.1er juillet 2008. 96.« US reassures Saudis with arms ». Gulfnews. 1er octobre 2010. Lors de la Révolution islamique, l’administration du président Carter a envoyé des chasseurs F-15 non-armés pour protéger l’Arabie saoudite. 97.WALTZ Kenneth N. Why Iran should get the bomb: nuclear balancing would mean stability. Foreign affairs. Juilletaoût 2012, p. 2-5. 98.SUR Serge. ADM et sécurité internationale. Questions internationales n° 13, mai-juin 2005, p. 5. 99.Ibidem, p. 6. La Conférence sur une zone exempte d’armes de destruction massive... nécessaires pour développer un tel programme mais ils se heurteraient à de nombreux dispositifs internationaux destinés à empêcher de tels transferts de technologies et de savoir-faire. Par ailleurs, les implications d’une course à l’arme nucléaire seraient néfastes pour la région tout entière : les États auraient plus à y perdre qu’à y gagner au regard de ce qu’un engagement dans une telle voie supposerait en termes d’isolement diplomatique, de sanctions, et d’arrêt de toutes les formes d’investissements et d’aides. Les monarchies pétrolières auraient à craindre d’importantes répercussions sur les exportations pétrolières et, consécutivement, sur leur économie nationale. L’Arabie saoudite aurait à craindre pour sa relation stratégique avec les États-Unis, notamment en matière d’approvisionnement d’armes et équipements militaires100 ainsi que pour les investissements étrangers nécessaires au développement socio-économique du pays101. Dans un contexte où la population saoudienne connaît des difficultés économiques croissantes, un tel isolement accroîtrait les craintes du régime relatives à une contagion des mouvements qui secouent le monde arabe, mettant en péril sa survie. Quant à l’Égypte, à l’heure d’une transition politique suite à un soulèvement qui a eu pour base des revendications socio-économiques, elle va devoir procéder à d’importants investissements dans des domaines tels que l’éducation, la santé, l’alimentation, etc., reléguant au second plan les considérations militaires et donc tout éventuel programme en matière d’armes de destruction massive. En outre, s’engager dans cette voie serait périlleux pour les nouvelles autorités égyptiennes qui sont un très gros bénéficiaire de l’aide financière militaire des États-Unis et souhaitent conserver leur statut de partenaire stratégique dans la région102. Le développement d’un programme nucléaire iranien demeure potentiellement un facteur de la non-tenue ou de l’échec de la Conférence non pas en raison de la réponse possible des États arabes de la région à une telle menace, mais plutôt parce qu’elle rendrait extrêmement difficile, voire impossible, et ce pour de nombreuses années, l’engagement d’Israël dans un processus d’établissement d’une zone exempte d’armes nucléaires et de destruction massive au Moyen-Orient. 100.Selon le rapport du Congressional Research Service, l’Arabie saoudite serait en 2011, « classée première pour ce qui concerne la valeur des accords de transferts d’armes parmi la totalité des États acheteurs du monde en développement avec 33,7 milliards USD [dont] 33,4 avec les États-Unis ». In GRIMMETT Richard F. et KERR Paul K. Conventional Arms Transfers to Developing Nations, 2004-2011. 24 août 2012. http://www.fas.org/sgp/crs/ weapons/R42678.pdf 101.AMLIN Kate. Will Saudi Arabia acquire nuclear weapons? Nuclear Threat Initiative. 1er août 2008. 102.« Today’s world is a global village; nations are closer than ever before. In such a world, respect for values and figures — religious or otherwise — that nations hold dear is a necessary requirement to build sustainable, mutually beneficial relationships. […] Egypt is going through a state of revolutionary fluidity […]. We hope that the relationships that both Americans and Egyptians worked to build in the past couple of months can sustain the turbulence of this week’s events. Our nations have much to learn from each other as we embark on building the new Egypt ». Lettre du Vice-Président, Khairat el Shater, des Frères musulmans au New York Times :« “Our condolences”, the Muslim Brotherhood says ». New York Times. 13 septembre 2012. 25 26 Rapport du GRIP 2013/8 4. 2013 : vers de nouvelles perspectives ? 4.1. Des circonstances favorables 4.1.1. L’utilisation d’armes chimiques en Syrie : prise de conscience et réaction À l’été 2012, des rumeurs ont commencé à circuler sur l’utilisation par le régime de Bachar el-Assad d’armes chimiques. En juin 2013, la Commission d’enquête internationale indépendante sur la Syrie rend son quatrième rapport courant du 15 janvier au 15 mai, dans lequel elle fait état de l’utilisation d’armes chimiques, sans toutefois pouvoir préciser la nature des agents chimiques employés. Toutefois, le gouvernement de Bachar el-Assad n’a toujours pas autorisé le déploiement de la mission d’établissement des faits chargée de vérifier les allégations selon lesquelles des armes chimiques auraient été employées dans le pays103. En juin, la France, la Grande-Bretagne et les États-Unis reconnaissent que du gaz sarin a été utilisé contre des populations civiles. Le 21 août éclate le scandale international du massacre de plusieurs centaines de personnes par armes chimiques. Des inspecteurs de l’ONU, finalement autorisés à se déployer, confirment ces dires : le choc est violent et l’émotion secoue le monde entier, à commencer par la région du Moyen-Orient. Après la guerre Iran-Irak des années 1980, à nouveau elle vient d’être secouée par un massacre par armes de destruction massive : la différence réside seulement dans la couverture médiatique beaucoup plus étendu et rapide. La condamnation est unanime. Alors que du côté de Washington, Londres et Paris, une intervention militaire se prépare pour « punir » le régime syrien, une initiative russe vient finalement proposer une solution alternative : un accord sur l’arsenal chimique syrien. Le 14 septembre, les États-Unis et la Russie se sont accordés sur un cadre pour l’élimination des armes chimiques104, qu’ils ont détaillé quelques semaines plus tard. Le 14 octobre, la Syrie devient le 190ème État partie à la CIAC. Or, comme nous l’avons vu précédemment, jusqu’à octobre 2013, seuls Israël, l’Égypte et la Syrie restaient en dehors de la CIAC et conditionnaient leur adhésion à celle des autres : face à l’adhésion de la Syrie à la CIAC, Israël pourrait envisager de ratifier le texte. Quant à l’Égypte, son ministre des affaires étrangères, a déclaré devant l’AGNU fin septembre 2013, que son pays devra adhérer à la CIAC « à condition que l’ensemble des pays du Moyen-Orient achèvent les mesures d’accession aux conventions internationales interdisant l’emploi d’armes de destruction massive ». L’Égypte, pourtant en pleine transition et confrontée à des troubles internes, a demandé à ce que soit tenue « si possible avant la fin de l’année [2013], mais d’ici au printemps 2014 au plus tard », une conférence pour la création d’une zone exempte d’armes de destruction de masse au Moyen-Orient. Dans un contexte où les armes chimiques sont la crainte principale des populations civiles au Moyen-Orient105, l’accession de la Syrie – longtemps soupçonnée d’avoir le plus vaste arsenal chimique au monde – au statut 103.Report of the Independent International Commission of Inquiry on the Syrian Arab Republic. A/HRC/23/58. 3 juin 2013. 104.Framework for Elimination of Syrian Chemical Weapons. Office of the Spokesperson. 14 septembre 2013. 105.Élément répété par différents panélistes lors du deuxième Consortium de l’UE sur la non-prolifération consacrée au thème d’une zone exempte d’armes nucléaires et autres armes de destruction massive au Moyen-Orient. Bruxelles. 5-6 novembre 2012. La Conférence sur une zone exempte d’armes de destruction massive... d’État partie à la CIAC pourrait donc initier dans la région une nouvelle dynamique en matière de désarmement non-conventionnel. 4.1.2. L’élection surprise d’un président iranien « modéré » Loin d’avoir été le favori de la campagne présidentielle en Iran, Hassan Rohani a pourtant remporté le scrutin après avoir bénéficié du soutien de l’alliance réformateurs/ modérés et de la division du camp conservateur. Face à la victoire de Hassan Rohani, un ancien secrétaire des affaires étrangères britannique a estimé que cela pourrait être « une des meilleurs nouvelles qu’a connu la région depuis plusieurs années »106 mais qu’il fallait éviter les deux écueils de croire que tout allait changer ou, au contraire, de croire que rien ne va changer. Quant aux États-Unis, ils se montrent prudents mais y voient un « possible signe d’espoir »107. Ce scepticisme mâtiné d’espoir provient du fait que le candidat Rohani a été l’un des premiers à lier la situation économique catastrophique de l’Iran aux sanctions imposées par la Communauté internationale méfiante quant à la nature de son programme nucléaire. Lors de sa première conférence de presse comme président108, s’il s’est également prononcé contre tout arrêt du programme d’enrichissement d’uranium, il a néanmoins affirmé qu’il rendrait le programme nucléaire iranien plus transparent et qu’il contribuerait à construire une relation de confiance afin de mettre un terme à l’isolement international de l’Iran. Lors d’une interview télévisée accordée à CNN, Rohani a également affirmé qu’il avait été autorisé par le Guide Suprême à négocier sur le nucléaire iranien de façon bilatérale avec les États-Unis109. En outre, depuis sa victoire à la présidentielle, Rohani ne cesse de prononcer des discours d’ouverture et d’apaisement. Ce fut notamment le cas lors de son discours devant l’AGNU en septembre 2013 – lieu que son prédécesseur Mahmoud Ahmadinejad utilisait d’ordinaire pour lancer ses diatribes contre l’État hébreu et les États-Unis – au cours duquel il a répété que « son pays ne constituait une menace ni pour le monde ni pour sa région »110. Même si le nouveau président iranien n’a pas répondu positivement à l’offre de rencontre faite par le président Obama lors du déplacement de Rohani aux États-Unis pour l’AGNU, la conversation téléphonique qu’ils ont eue a été un symbole fort pour ces deux pays dont les relations diplomatiques sont rompues depuis plus de trente ans. La poursuite des négociations avec le P5+1, à Genève à la mi-octobre, ont été marquées par ce même enthousiasme. Un haut responsable de l’administration américaine a d’ailleurs confié au New York Times qu’en « deux ans, il n’avait jamais eu de discussions aussi intenses, détaillées et directes avec la délégation iranienne »111. Des suggestions prometteuses ont été avancées comme une possible autorisation qui serait donnée aux inspecteurs de l’agence pour réaliser des inspections surprises112. S’il est trop tôt pour déjà présager d’un accord sur le programme nucléaire iranien, il est vrai 106. « Rouhani proposes nuclear transparency, easing US-Iran tensions ». Al Monitor. 17 juin 2013. 107. Ibidem. 108. « Rohani souhaite ‘‘une nouvelle entente avec le monde’’ ». Rtl. 17 juin 2013. 109. ROHANI Hassan. Interview with Christiane Amanpour. CNN. 25 septembre 2013. 110. ROHANI Hassan. Discours à l’ONU du 24 septembre 2013. 111. « After Talks on Iran’s Nuclear Program, Officials Highlight the Positive ». The New York Times. 16 octobre 2013. 112. Ibidem. 27 28 Rapport du GRIP 2013/8 que certains signaux envoyés semblent encourageants pour les discussions de début novembre 2013. Convergence des intérêts américains et iraniens Depuis que les négociations sur le nucléaire iranien ont commencé au début des années 2000, il n’y a pas eu de moment clé où un accord gagnant-gagnant était recherché autant par les États-Unis que par l’Iran. Quand l’Iran, en 2003-2004, poussé par la crainte d’être victime d’une action similaire à celle que venait de connaître l’Irak, était prêt à offrir des conditions acceptables pour conclure un accord avec les États-Unis, ces derniers n’étaient pas prêt à les accepter au vu de l’avantage dont ils jouissaient à l’époque. Lorsqu’en 2009, à la faveur de l’arrivée au pouvoir de Barack Obama, les États-Unis se montraient plus enclins à trouver un accord, les autorités iraniennes, en proie à la vague de la Révolution verte consécutive à l’élection présidentielle, étaient trop divisées pour accepter un tel accord. En 2013, il en va tout autrement : aux États-Unis, Barack Obama en est à son deuxième et dernier mandat comme président, ce qui lui laisse une marge de manœuvre suffisante pour mener à bien son agenda de politique étrangère dans le sens souhaité depuis sa première élection, celui de la main tendue accompagnée toutefois d’un discours de fermeté. De son côté, Rohani a été élu pour sortir l’Iran de son isolement international et, surtout, faire lever les sanctions qui asphyxient l’économie iranienne. S’il échoue, il laissera la voie libre aux conservateurs et sera désavoué par le Guide Suprême. Les deux chefs d’État font face dans leur pays respectif à deux camps « extrémistes déterminés à maintenir un état d’hostilité et de haine entre les deux pays : [dans ces circonstances], la logique plaide pour un changement dans la direction de la politique des deux pays de sorte à ouvrir une nouvelle page dans cette relation tourmentée et à minimiser l’état d’hostilité et de méfiance entre les deux pays »113. Enfin, les deux chefs d’État ont tout intérêt à éviter une confrontation militaire: Hassan Rohani, au vu de la perte de son seul allié dans la région (la Syrie), ne peut que rechercher l’apaisement avec la communauté internationale. Quant à Barack Obama, sa présidence est celle du repli des États-Unis après une décennie de guerre et de la « construction de la nation »114. Enfin, dans la perspective du retrait américain d’Afghanistan en 2014 et de l’élection présidentielle qui doit s’y dérouler, tant les États-Unis que l’Iran ont intérêt à assurer la présence d’un régime stable à Kaboul et à ce que les Taliban – peut-être accompagnés d’Al-Qaïda – ne reprennent pas le pouvoir. À cela s’ajoute le conflit syrien dont la confessionnalisation croissante peut s’étendre à l’Irak où une vague de contestation sunnite tente de miner le gouvernement chiite de Nouri Al-Maliki : or, ni l’Iran chiite ni les États-Unis n’ont intérêt à voir l’Irak être déstabilisé. Autant de sujets qui appellent à un dialogue entre les deux pays, lequel passe nécessairement d’abord par un accord sur le programme nucléaire iranien. 113. Hassan Rohani cité par GRAHAM Allison, « Will Iran get a bomb or be bombed itself this year? ». The Atlantic, 1er août 2013. 114. Remarks by the President in State of the Union Address. 24 janvier 2012. http://www.whitehouse.gov/the-pressoffice/2012/01/24/remarks-president-state-union-address La Conférence sur une zone exempte d’armes de destruction massive... 4.1.3. Un gouvernement israélien en mauvaise posture Si en 2012, Israël avait pu justifier son refus de participer à la Conférence d’Helsinki par la « situation explosive » au Moyen-Orient, en 2013, de nouveaux événements internes et externes pourraient infléchir la posture de l’État hébreu. En politique intérieure En 2011, un important mouvement de contestation sociale s’est produit en Israël sur le slogan « le peuple demande plus de justice sociale ». Par ces revendications, les protestataires mettaient en question la part du budget consacrée à la défense et à la sécurité du pays par rapport à celle dédiée à la protection sociale. Le chef du comité gouvernemental chargé d’examiner les changements socio-économiques a remis, fin 2011, un rapport dans lequel il souligne combien « malgré les nombreuses menaces sécuritaires auxquelles Israël doit faire face, la protection sociale de ses citoyens est tout aussi importante que sa puissance militaire »115. Si la sécurité d’Israël a toujours été au cœur des préoccupations de ses citoyens, les récentes protestations sociales ont également attiré l’attention sur un nouveau paramètre : « la sécurité économique personnelle »116. Israël est donc confronté aujourd’hui à deux impératifs : continuer à alimenter un budget de la défense conséquent et ce, d’autant plus dans un contexte régional explosif, tout en répondant aux besoins socio-économiques de ses citoyens, ce qui impliquera de faire des choix budgétaires. C’est pourquoi Israël pourrait être tenté de rechercher l’apaisement, voire la coopération, avec ses voisins arabes. En politique étrangère Sur le plan externe ensuite, le gouvernement israélien semble peu à-même, au vu des circonstances actuelles (automne 2013), de rassembler derrière lui un vaste soutien diplomatique ou militaire. Tel-Aviv continue de bénéficier du soutien inconditionnel des États-Unis dès lors qu’il s’agit de préserver la sécurité et l’existence de l’État hébreu : le président Obama a d’ailleurs répété lors d’une interview sur Channel 2 au printemps 2013, que « notre objectif est de s’assurer que l’Iran ne possède pas une arme nucléaire qui puisse menacer Israël »117. Néanmoins, face aux discours va-t-en-guerre du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou dont le plus important demeure celui prononcé en 2012 devant l’Assemblée générale des Nations unies imposant à l’Iran une « ligne rouge à ne pas franchir »118, l’administration américaine a averti Israël qu’en cas de frappe préventive et unilatérale de la part de l’État hébreu, le soutien américain ne serait pas évident. Le chef d’État-major des forces armées américaines, le Général Dempsey, estime que d’une part, une telle frappe « retarderait certainement le programme nucléaire iranien mais n’y mettrait pas fin » et que, d’autre part, il ne « souhaitait pas être complice si Israël choisissait une telle voie »119. 115. « Israel’s social security is as important as its military might, economic panel says ». Haaretz. 26 septembre 2011. 116. ELDAR Akiva, FINAUD Marc, HAAS Michael et alii. « Internal and external sources of Israeli policy change: strategies for inducing greater flexibility towards the Middle East disarmament process ». Policy brief n°15. Academic Peace Orchestra Middle East. Décembre 2012, p.1 117. OBAMA Barack. Interview with Israel’s Channel 2. 14 mars 2013. 118. Netanyahu, Benjamin. Remarks at UN General Assembly. 27 septembre 2012. 119. «Israeli attack on Iran ‘would not stop nuclear programme’». The Guardian. 30 août 2012. 29 30 Rapport du GRIP 2013/8 Si d’aventure, Israël faisait le choix de frapper l’Iran, ses capacités militaires, bien qu’importantes, seraient toutefois insuffisantes pour détruire l’intégralité du programme nucléaire iranien. Au mieux, le programme sera retardé de quelques années, si tant est que l’Iran n’ait pas développé des installations secrètes qui lui permettraient de poursuivre son programme comme si la frappe n’avait pas eu lieu. Au pire, la frappe jettera le régime des mollahs dans la fabrication d’une arme nucléaire120. Mais le savoir-faire technologique et scientifique demeurera et le programme nucléaire pourra reprendre, ce qui enlèverait tout intérêt pour Israël à entreprendre une action militaire unilatérale et donc à adopter une attitude hostile. En outre, selon un sondage réalisé par le Truman Institute de l’Université hébraïque et le Center for Policy and Survey Research de Palestine, 77% des Israéliens s’opposent à une attaque militaire sur l’Iran non approuvée par Washington, tandis que 71% l’approuveraient dès lors qu’elle recueillerait l’assentiment des États-Unis121. Par ailleurs, même si l’une des plus grandes préoccupations des monarchies du Golfe concerne le programme nucléaire iranien, il n’est pas certain qu’une frappe préventive d’Israël recueille leur assentiment. En effet, la vague des « Printemps arabes » en a ébranlé certaines d’entre elles122, et toute détérioration sécuritaire dans la régionpourrait renforcer les mouvements de contestation et contribuer à déstabiliser leur régime en interne. En outre, rallier une coalition anti-Iran aux côtés d’Israël et des États-Unis n’est pas sans risque en politique intérieure pour les monarchies arabes. La prise en compte de l’opinion « de la rue » étant devenue un paramètre de l’élaboration des politiques des régimes du Golfe, rien ne pourra être concédé par ces régimes à Israël sans qu’une avancée majeure ne soit obtenue dans le cadre du processus de paix israélo-palestinien et ce, afin de ne pas provoquer d’hostilité populaire. Si unité des monarchies arabes il doit y avoir face à l’Iran, celle-ci viendra d’elles-mêmes et se fera d’abord et avant tout entre elles123. Enfin, les États-Unis sont en mesure de pouvoir exercer une pression sur l’État hébreu comme cela a déjà été le cas par le passé, ou de proposer une forme de coopération encore plus étroite. L’on se souvient qu’au début des années 1990, l’administration Bush était parvenue, grâce à une « stratégie incitative équilibrée » à conditionner un prêt de 10 milliards de dollars à Israël en échange d’un gel des colonies dans les territoires palestiniens pendant cinq ans124. Les États-Unis sont donc les plus à-même de fournir à Israël davantage de garanties concernant sa sécurité, tout en les « assortissant de conditions plus strictes » afin de « combiner l’engagement américain pour la sécurité d’Israël avec la fin de la politique contreproductive du « soutien inconditionnel » »125. 120. En effet, les renseignements américains et israéliens s’accordent pour dire que l’Iran n’a pas encore pris de décision relativement à la nature de son programme nucléaire. James Clapper, le directeur des renseignements nationaux, a déclaré devant la Commission des forces armées du Sénat que « l’Iran développe des capacités nucléaires pour renforcer sa sécurité, son prestige et son influence régionale et se donne la possibilité de développer des armes nucléaires si une décision devait être prise en ce sens. Nous ne savons pas si l’Iran a décidé de fabriquer des armes nucléaires ». James Clapper and Lieutenant General Michael T. Flynn. Global Threats to National Security. 18 avril 2013. 121. GRAHAM Allison (Director, Belfer Center for Science and International Affairs), Douglas Dillon (Professor of Government, Harvard Kennedy School), Shai Feldman (Member of the Board, Belfer Center for Science and International Affairs). « Why Netanyahu Backed Down ». 12 octobre 2012. 122. Le Bahreïn, l’Arabie saoudite et l’Oman ont été secoués par des manifestations. 123. « Saudi Arabia Seeks Union of Monarchies in Region ». New York Times. 14 mai 2012. 124. ELDAR Akiva, FINAUD Marc, HAAS Michael et alii. Op.cit. p. 2. 125. Ibidem. La Conférence sur une zone exempte d’armes de destruction massive... Par exemple, renforcer la coopération dans le domaine de la défense anti-missile assurerait Israël de l’engagement américain envers sa sécurité, y compris dans le cas d’un Iran nucléaire, dans le cadre d’une politique de « containment »126 visant à se prémunir d’une attaque, éviter le transfert d’armes nucléaires, leur prolifération, etc. C’est pourquoi, dans un contexte où l’administration Obama tente d’obtenir des avancées sur les dossiers brûlants du Moyen-Orient, elle pourrait tenter d’utiliser « son influence » afin de générer chez son allié israélien « une plus grande flexibilité sur les questions de désarmement »127. 4.2. Mais des obstacles certains Tous ces facteurs d’espoir sont néanmoins à relativiser : au-delà des apparences ou des premières impressions, ce qui a tout d’abord suscité enthousiasme peut receler les germes de désillusions futures. 4.2.1. De l’adhésion à la CIAC à la mise en œuvre des obligations internationales Signer l’accord engageant à un démantèlement puis à une destruction de l’arsenal chimique syrien est une chose ; œuvrer à sa réalisation en est une autre. Lorsque la Syrie devient le 190ème État partie de la CIAC, les doutes sont grands quant à la façon dont vont pouvoir être respectées les obligations enserrées dans le texte : interdiction de développer, produire, acquérir, stocker, détenir et transférer directement ou indirectement des armes chimiques, obligation pour les États parties de détruire leurs stocks et de se soumettre à un régime de vérification strict comprenant des inspections imprévues128. Il est également légitime de se demander comment vont pouvoir être vérifiées la bonne application des engagements pris dans un contexte de guerre civile étant donné les difficultés suivantes: demander aux États membres de fournir du personnel civil devant être déployé et remplir sa mission sur un théâtre de guerre, procéder à la vérification de l’inventaire donné par le régime syrien (lieux de fabrication, de stockage, quantités et nature des agents chimiques déclarés, etc.), sécuriser les lieux de stockage des armes chimiques, ériger des installations pour détruire les différentes armes chimiques possédées par la Syrie, démanteler et détruire les armes chimiques – procédé complexe qui demande du temps129– sur place étant donné les risques liés au transport et au transfert vers un autre pays. Il est vrai que, contre toute attente, une semaine après la conclusion de l’accord russo-américain, le 21 septembre, le régime syrien a remis à l’OIAC une première déclaration sur la composition de son arsenal chimique130, suivie d’une seconde quelques jours plus tard (le 4 octobre). La destruction de l’arsenal a commencé dès le 6 octobre, 126. COLIN Kahl H., PATTANI Raj, and STOKES Jacob. « If All Else Fails: The Challenges of Containing a Nuclear-Armed Iran », Center for a New American Security. 13 mai 2013. 127. ELDAR Akiva, FINAUD Marc, HAAS Michael. Op. cit., p. 10. 128. Pour plus d’information sur la Convention d’interdiction des armes chimiques, voir ROUPPERT Bérangère. « Interdiction des réalisations, défis et nouvelles priorités de la Convention ». Rapport du GRIP n°3/2012, 1er mars 2012. http://www.grip.org/fr/node/178 129. À titre d’exemple, voir le cas des États-Unis et de la Russie et leurs retards enregistrés pour détruire leur arsenal chimique dans le rapport cité ci-dessus, p. 13-14. 130. Pour plus d’information sur le processus supervisé par l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques, voir le site de l’OPCW, « Syria and the OPCW » : http://www.opcw.org/fr/news-room/syria-and-the-opcw/ 31 32 Rapport du GRIP 2013/8 faisant dire à John Kerry, Secrétaire d’État américain que « le processus a commencé en un temps record »131. Au 31 octobre, l’équipe mixte Nations unies-OIAC a annoncé avoir inspecté 21 des 23 sites déclarés par la Syrie et 39 des 41 installations – les autres ayant été abandonnés et leurs stocks déplacés – et que les capacités syriennes de production et d’assemblage des armes chimiques avaient été détruites avant la date fixée du 1ernovembre132, garantissant l’essentiel aux yeux de la communauté internationale : s’assurer qu’aucune autre arme chimique ne soit utilisée à l’encontre de la population syrienne. La prochaine étape est celle du 15 novembre, lorsque la Syrie devra remettre un plan détaillé pour la destruction de l’ensemble de son arsenal. Ce sont ces mesures qui seront les plus complexes à mettre en œuvre et prendront le plus de temps, certainement davantage que la limite du 30 juin 2014 fixée pour atteindre cet objectif. 4.2.2. La mainmise du Guide suprême sur le programme nucléaire iranien Bien que l’élection de HassanRohani ait suscité un espoir certain pour l’avenir des négociations internationales sur le programme nucléaire iranien, il faut d’abord et avant tout rappeler que le qualificatif de « modéré » qui lui est accolé est à manier avec précaution. En effet, il demeure l’un des candidats choisis par le régime pour se présenter à l’élection présidentielle, autrement dit un homme qui correspond aux attentes du Guide Suprême. Hassan Rohani demeure un religieux fidèle à la République islamique qui n’a pas soutenu la révolution verte de 2009. Par ailleurs, en ce qui concerne le programme nucléaire dans la République islamique, le président a peu de pouvoir : les décisions ultimes reviennent au Guide suprême, Ali Khamenei. Aussi, même si le président Rohani peut adopter une attitude plus conciliante et s’entourer de négociateurs expérimentés, il lui sera difficile de changer la stratégie nucléaire de Khamenei. Il devra en outre composer avec le corps très puissant des Gardiens de la Révolution et le camp conservateur afin de ne pas s’attirer leur hostilité. Par ailleurs, Rohani, a rappelé dans son livre et lors de la campagne133, que le développement du programme nucléaire a continué lorsqu’il était négociateur, tout en évitant l’imposition de sanctions. Quand il a obtenu la charge du dossier en 2003, l’Iran ne possédait que 150 centrifugeuses ; quand il a quitté ce poste, l’Iran en possédait 1700134. Plus qu’un homme modéré, il faut voir en Rohani un « pragmatique » qui permettra d’une part, de mener des négociations dans une « meilleure atmosphère » et, d’autre part, d’obtenir un « allègement des sanctions en échange de concessions qui n’auront que peu d’impact sur le programme nucléaire iranien »135. Pendant la campagne électorale, il a beaucoup critiqué l’action du gouvernement, y compris sur les négociations internationales sur le programme nucléaire iranien, mais « pas le programme nucléaire en lui-même », note la chercheure Dina Esfandiary de l’IISS. Certains analystes estiment que ces élans libéraux de la campagne électorale 131. « Russia, US agree on how Syria should destroy chemical arsenal – Putin ». RT. 8 octobre 2013. 132. « Syria Destroys Chemical Equipment Despite Security Issues ». Nuclear Threat Initiative. 31 octobre 2013. 133. TULL Meredith, STRICKER Andrea. « Can Rouhani deliver a nuclear deal? Can he be trusted? ». ISIS. 19 juin 2013. 134. « Iran Presidential Candidate Slams TV Anchor Over Nuclear ‘Lies’ ». Bloomberg. 28 mai 2013. 135. JONES Greg, chercheur au Non Proliferation Policy Education Center “Breakout beckons”. The Economist, 22 juin 2013. La Conférence sur une zone exempte d’armes de destruction massive... avaient pour objectif de rallier les réformistes et ceux qui ne croyaient plus dans le système, et donc qu’il n’y a pas de véritable changement à attendre, surtout pour ce qui concerne la politique étrangère de l’Iran. Enfin, il importe ici de considérer les motifs qui poussent l’Iran à poursuivre dans le voie du nucléaire, essentiellement assurer l’existence et la survie du régime, accroitre le prestige et l’influence de l’Iran sur les plans régional et international136. Il est crucial que de part et d’autre, l’Iran/États-Unis-P5+1 comprennent les motifs derrière les actions et exigences de chacun. Dans l’immédiat, le défi le plus important demeure, selon Robert Einhorn, chercheur à la Brookings Institution, « d’obtenir un accord intérimaire qui prenne en compte le souhait du P5+1 de stopper les avancées du programme nucléaire iranien et celui de l’Iran de voir s’alléger les sanctions »137. 4.2.3. Un Premier ministre israélien déterminé à agir contre l’Iran « Distrust, Dismantle and Verify »138 (Se méfier, démanteler et vérifier) : en faisant de ce slogan son credo, le Premier ministre israélien a montré sa détermination,lors de son allocution devant l’AGNU en septembre 2013, « à ne pas autoriser l’Iran à avoir l’arme nucléaire »139. Seule voix discordante parmi la Communauté internationale – prête à donner une chance au nouveau leader iranien –, le Premier ministre israélien a voulu lancer un appel à la vigilance internationale en rappelant le double jeu auquel s’est déjà prêté le nouveau président iranien lorsqu’en menant les négociations entre 2003 et 2005, il a en réalité permis de continuer à dissimuler le développement du programme nucléaire de son pays. Il convient également de replacer le discours dans son contexte, celui des atermoiements de l’administration américaine face aux attaques chimiques commises en Iran. Étant donnée la ligne rouge posée par Obama à l’été 2012 concernant l’utilisation d’armes chimiques par le régime syrien140, l’administration Obama était condamnée à réagir sous peine de voir sa crédibilité sérieusement érodée non seulement sur le dossier syrien mais également sur tout autre sujet de politique étrangère, y compris le dossier du nucléaire iranien. Pourtant, alors que l’administration américaine semblait résolue à mener une frappe militaire aux côtés de ses alliés, elle s’est trouvée prisonnière d’une initiative de consultation parlementaire de son allié britannique qui l’a conduit à faire marche arrière et à elle aussi, demander l’aval du Congrès pour intervenir en Syrie. Le président Obama a alors été accusé de renvoyer une image d’administration « indécise » et « faible »141 dans un contexte de crise majeure, renforçant peut-être ainsi les craintes du gouvernement israélien sur la fermeté de l’engagement américain face au dossier iranien. Le ministre israélien du logement a d’ailleurs déclaré « si quelqu’un pense sérieusement que ce président va lancer des frappes contre l’Iran fondées sur le 136. REARDON Robert. « Iran’s Nuclear Ambitions: Motivations, Trajectory, and Global Implications ». Chap. 7 in Strategic Asia 2013-14: Asia in the Second Nuclear Age. Seattle, Wash.: National Bureau of Asian Research. 2 octobre 2013. 137. « After Talks on Iran’s Nuclear Program, Officials Highlight the Positive ». Op. cit. 138. Netanyahu, Benjamin. Remarks at UN General Assembly, Times of Israel, 1er octobre 2013. 139. Netanyahu, Benjamin. Remarks at UN General Assembly, 1er octobre 2013. Op. cit. Ibidem. 140. À l’été 2012, lors d’une conférence de presse, le président Obama avait indiqué que tout déplacement ou utilisation d’armes chimiques changerait ses « calculs » et la distance prise par rapport à la crise syrienne. 141. « In Syria, Anger and Mockery as Obama Delays Plan ». The New York Times, 1er septembre 2013. « Barack Obama rejects accusations of American weakness over Syria ». The Telegraph, 15 septembre 2013. « McCain, Graham: Syria deal an ‘act of weakness’ by White House ». The Hill, 14 septembre 2013. « In Syria, Anger and Mockery as Obama Delays Plan ». The New York Times, 1er septembre 2013. 33 34 Rapport du GRIP 2013/8 fait que les Iraniens auraient franchi la ligne rouge vers une arme nucléaire, ils doivent souffrir d’hallucinations »142. Fin octobre, un autre avertissement semble avoir été donné quand l’aviation israélienne a lancé un raid contre une base militaire syrienne abritant une batterie de missiles soviétiques à longue portée, que l’État hébreu soupçonnait de faire l’objet d’un potentiel transfert en direction du Hezbollah. Tel-Aviv avait menacé à plusieurs reprises d’utiliser la force, même unilatéralement, pour prévenir tout transfert en direction de ce groupe non-étatique. Regardé au prisme des gesticulations diplomatiques autour du programme nucléaire iranien et de la tentative d’organisation de négociations de paix sur le conflit syrien, cet incident peut être analysé comme un moyen de tester les réactions des États-Unis, de l’Iran et des États arabes. En effet, selon qu’il fera face à des condamnations publiques, représailles, ou critiques officieuses, Israël pourra se sentir enhardi ou non à poursuivre sur la voie de l’action armée unilatérale et « préventive ». Mais cet incident peut également être perçu comme une habile manœuvre diplomatique vis-à-vis des États-Unis : en démontrant que quel que soit l’engagement de Washington, « si Israël se voit forcé de faire face seul, Israël fera face seul [et] en défendra beaucoup, beaucoup d’autres»143, le gouvernement israélien joue la carte de l’émotion mais active également le lobby israélien, les représentants américains au Congrès et l’opinion publique, autrement dit ceux qui sont les plus à-mêmes d’accroitre la pression sur l’administration Obama. Cela peut également être interprété comme un signal envoyé à Téhéran sur la détermination israélienne à empêcher l’Iran d’acquérir une arme nucléaire, avec ou sans le soutien des États-Unis, et même dans un contexte d’ouverture du régime iranien. Enfin, dans une perspective historique, un autre facteur d’ordre interne et qui tient à la personnalité du dirigeant israélien est également à considérer. En 1981, la décision du Premier ministre Menahem Begin de bombarder le réacteur nucléaire iraquien d’Osirak avait également été motivée par la crainte que son successeur probable, Shimon Pérès, ne prendrait pas la décision « en temps opportun » de faire « ce qui serait nécessaire »144. Aujourd’hui, le discours de Benjamin Netanyahou semble aussi motivé par une volonté de ne pas apparaître comme celui qui a laissé l’Iran acquérir une arme nucléaire sans tenter de l’en empêcher. 142. « Israelis fear U.S. debate on Syria foreshadows weakness on Iran ». Los Angeles Times. 1er septembre 2013. 143. Netanyahou Benjamin. Remarks at UN General Assembly, 1er octobre 2013. Op. cit. 144. GRAHAM Allison. « Will Iran get a bomb or be bombed itself this year? ». The Atlantic, 1er août 2013. La Conférence sur une zone exempte d’armes de destruction massive... 5. Recommandation : délimiter la Conférence Avant que ne débute la Conférence d’Helsinki, des réflexions méritent d’être menées sur les contours géographiques et thématiques de l’événement ainsi que sur les résultats attendus de cette première rencontre régionale sur les armes nucléaires et de destruction massive. 5.1. Sur le plan géographique : de l’inclusion de la Turquie dans la ZEADM La question de l’intégration de la Turquie doit être posée en ce qu’elle peut influer sur l’évolution du processus de création d’une ZEADM. La Turquie a mené ces dernières années une politique étrangère sur le principe du « zéro problème avec les voisins », favorisant par-là même des « relations de proximité avec les régimes [arabes] en place »145, ce qui en fait une puissance régionale majeure dans le cadre de cette Conférence146. Parallèlement, elle s’est positionnée de plus en plus comme un pont entre l’Orient et l’Occident, ce qui s’est traduit par un rôle de médiation, notamment dans la crise nucléaire iranienne depuis 2010. Enfin, concernant le projet de création d’une ZEADM au Moyen-Orient, elle s’est beaucoup investie : elle se dit un « ardent défenseur » des objectifs contenus dans la résolution de 1995 et participe aux consultations menées par le facilitateur finlandais147. La Turquie est d’ailleurs un État partie à tous les instruments internationaux relatifs aux armes de destruction massive et à leurs vecteurs, ce qui fait de sa participation à la Conférence un argument de poids afin d’inciter les autres acteurs de la région à faire de même. Toutefois, les relations entre la République islamique et la Turquie se sont considérablement dégradées après le « Printemps arabe » : la Turquie s’est distanciée de la crise syrienne, au grand dam de Téhéran, et gagne en influence dans la péninsule arabique au point qu’en Iran, la Turquie est perçue comme un « compétiteur stratégique ». Faire venir la Turquie à la table des négociations pourrait donc être problématique vis-à-vis de Téhéran148. À ce paramètre s’ajoute la question de l’installation d’un élément du bouclier antimissile américain, sous la forme d’un radar, sur le territoire turc, et celle des armes nucléaires tactiques (ANT) américaines stationnées en Turquie, tous deux perçus comme une menace tant par la Syrie que par l’Iran. Sur ce dernier point, il est à noter que les autres zones exemptes d’armes nucléaires pallient à une lacune du TNP en incluant également une interdiction pour les EDAN d’y stationner des armes nucléaires149. Interroger la présence du radar et des bombes B-61 sur la base d’Incirlik fait intervenir directement l’OTAN dans les discussions puisque cela revient à remettre en question la dissuasion qu’elles exercent vis-à-vis de l’Iran ainsi que la protection américaine qu’elles 145. DJALILI Mohammad-Reza, KELLNER Thierry. Op. cit, p. 57. 146. AYMANGülden. Turkey is on board. In The 2012 conference on a weapons of mass destruction-free zone in the Middle East: prospects, challenges, and opportunities. Op. cit, p. 6. 147. Remarques de l’Ambassadeur turc H. E. Ünal Çeviköz. UNA-UK Conference: « A Middle East Free of Weapons of Mass Destruction ». Parlement écossais. 28 mai 2012. http://london.emb.mfa.gov.tr/ShowSpeech.aspx?ID=2199 148. DJALILI Mohammad-Reza, KELLNER Thierry. Op. cit., p. 112 à 115. 149. MAMPAEY Luc. Les zones exemptes d’armes nucléaires (ZEAN) : État des lieux, bilan et nouveaux enjeux. Note d’Analyse du GRIP. 30 avril 2010, Bruxelles, p. 4. http://www.grip.org/fr/node/161 35 36 Rapport du GRIP 2013/8 représentent pour leurs alliés ; en outre, toute décision sur ce sujet doit faire l’objet d’un accord préalable entre les 28 membres de l’Alliance atlantique150. L’intégration de la Turquie dans la ZEADM au Moyen-Orient viendrait compliquer des négociations déjà difficiles entre les différents acteurs. 5.2. Sur le plan thématique : de l’intérêt d’aborder la ZEAN sous un angle nouveau qui rassemble 5.2.1. Ne stigmatiser aucun État ni aucune arme de destruction massive Avant même que la Conférence n’ait lieu, un engagement devrait être pris par l’ensemble des États participants : celui de ne se focaliser sur aucune arme en particulier, ce qui impliquerait de stigmatiser quelques États en particulier et risquerait de transformer la Conférence en tribunal pour « mauvais élèves ». C’est pourquoi il est avantageux de parler d’armes de destruction massive en général et non d’armes nucléaires en particulier : le spectre d’États désignés par les premières est plus large puisqu’il est susceptible d’inclure l’Égypte, la Syrie, l’Iran et Israël tandis que les secondes viseraient spécifiquement l’Iran et Israël – avec une insistance sur le deuxième État en raison de sa non-adhésion au TNP. À la suite de l’adoption du document final en 2010, l’État hébreu n’avait d’ailleurs pas apprécié faire l’objet d’une mention explicite, au contraire de l’Iran, et avait alors fait savoir qu’il ne participerait pas à l’événement tant qu’il ferait l’objet d’une telle stigmatisation151. 5.2.2. Envisager la question sous un angle non sécuritaire Les politiques étrangères des États de la péninsule arabique ont pour principale préoccupation leur insécurité : selon l’État considéré, la menace est distincte et la solution apportée varie, au point que la sécurité des uns s’arrête là où commence celle des autres. La question sécuritaire est donc un sujet de friction permanente. Il pourrait être judicieux de suivre la proposition d’un groupe d’États emmenés par la Suisse et orienter le débat sous un autre angle, celui de l’impact humanitaire résultant de l’usage des armes nucléaires152 – que l’on peut d’ailleurs étendre à toutes les armes de destruction massive –, se faisant ainsi l’écho du préambule du TNP à propos des « dévastations qu’une guerre nucléaire ferait subir à l’humanité entière » et de « la nécessité […] de prendre des mesures en vue de sauvegarder la sécurité des peuples ». C’est d’ailleurs le choc suscité par l’utilisation de gaz asphyxiants au cours de la Première Guerre mondiale qui a incité la communauté internationale à signer le Protocole de Genève de 1925. Le droit international et le droit international humanitaire (DIH) ont ensuite progressivement évolué de façon à protéger les civils et leurs droits 150. De plus, la Turquie, en modernisant ses F-16 pour les rendre capables de transporter la future version des ANT américaines, semble continuer à s’équiper de façon à conserver sa capacité à mener des missions nucléaires de l’Alliance. Voir ROUPPERT Bérangère. Les armes nucléaires tactiques américaines en Europe : les enjeux d’un éventuel retrait. Rapport du GRIP 2012/5. Mai 2012. http://www.grip.org/fr/node/105 151. « Nuclear arms treaty agreed with hope for deal on Middle East ». The Guardian. 28 mai 2010. 152. Première session du comité préparatoire pour la Conférence de révision du TNP de 2015- Déclaration de la Suisse au nom de l’Autriche, du Chili, du Costa Rica, du Danemark, du Vatican, de l’Égypte, de l’Indonésie, de l’Irlande, de la Malaisie, du Mexique, de la Nouvelle-Zélande, du Nigéria, de la Norvège, des Philippines, de l’Afrique du Sud. 2 mai 2012. http://www.un.org/disarmament/WMD/Nuclear/NPT2015/PrepCom2012/statements/20120502/SwitzerlandOnBehalfOf.pdf La Conférence sur une zone exempte d’armes de destruction massive... ainsi que les militaires de maux superflus causés par l’emploi d’armes inappropriées au regard des objectifs militaires. Si cela n’a pas empêché l’utilisation d’armes nucléaires et chimiques contre des civils au cours des XXème et XXIèmesiècles, le DIH a tout de même permis de stigmatiser l’emploi de ces armes et donc de le limiter. Engager les discussions sur l’aspect humanitaire, en mobilisant la société civile et d’anciennes victimes d’armes inhumaines, a permis à la Convention sur les armes à sous-munitions de voir le jour et de stigmatiser ces armes au point qu’un éventuel usage susciterait immédiatement une condamnation internationale153. Il pourrait en aller de même pour les armes de destruction massive dont un potentiel usage est capable de mobiliser l’ensemble de la communauté internationale, comme le montre aujourd’hui la situation en Syrie, où les autorités de Damas se défendent de vouloir utiliser des armes chimiques et où certaines grandes puissances menacent le dirigeant syrien en cas d’utilisation de ces armes contre la population. Plus largement, le débat pourrait s’étendre sur les impacts durables de l’emploi de ces armes en termes environnementaux et sanitaires, en s’appuyant sur des études déjà réalisées par le CICR. Le débat pourrait également envisager une discussion portant sur « l’utilité [des armes de destruction massive] pour répondre aux défis sécuritaires actuels tels […] le changement climatique, le terrorisme et le crime transnational »154. 5.3. Sur le plan des objectifs : « l’humilité n’empêche pas l’ambition »155 5.3.1. Avoir des objectifs réalistes, autrement dit réalisables La tenue d’une Conférence sera déjà en soi un succès, tout au moins si tous les participants sont présents. Néanmoins elle ne sera que la première pierre d’un long processus dont elle lancera la dynamique. Autrement dit, il ne faut pas attendre que surgissent de cette réunion des engagements à plus de transparence sur les arsenaux d’armes de destruction massive dont disposent les États de la région, mais plutôt l’adoption d’un ordre du jour pour cette Conférence, un accord sur un agenda pour les mois à venir et un engagement à poursuivre un processus de dialogue annuel sur les questions sécuritaires des États. 5.3.2. La création d’une ZEAN : une politique des petits pas Il convient de rappeler que la Conférence d’Helsinki sur une zone exempte d’armes nucléaires et autres armes de destruction massive au Moyen-Orient ne peut et ne doit être considérée que comme le point de départ d’une démarche plus globale à l’échelle du monde. Les acteurs de la région sont impliqués dans des conflits et des rivalités qui vont bien au-delà de la région elle-même : ainsi que l’a fait remarquer la responsable du programme « Désarmement » de l’ONG Pax Christi lors du premier comité préparatoire de la Conférence de 2015, il ne faut pas perdre de vue qu’« Israël regarde l’Iran, que l’Iran regarde vers le Pakistan, que le Pakistan regarde vers l’Inde, l’Inde vers la Chine, la 153. ROUPPERT Bérangère. La Convention sur les armes à sous-munitions : un état des lieux. Rapport du GRIP 2009/9. http://www.grip.org/fr/node/562 154. Déclaration de la Suisse. Op. cit. 155. Propos tenus par l’entraîneur du club de football CS Sedan Ardennes, Landry Chauvin, lors d’une interview de Canal Plus. 24 juillet 2010. 37 38 Rapport du GRIP 2013/8 Chine vers les États-Unis et les États-Unis vers la Russie »156. Établir une zone exempte d’armes de destruction massive au Moyen-Orient est un processus d’autant plus long qu’il affecte profondément des conceptions sécuritaires intégrées depuis plusieurs décennies par les politiques de plusieurs États de la région : l’intitulé même de la zone « exempte d’armes nucléaires et autres armes de destruction massive » indique que la seconde ne serait qu’une « version étendue » progressivement de la première157. Plusieurs mesures de confiance pourraient être considérées séparément : -Envisager que chaque État participant à la Conférence fasse une ou plusieurs déclarations d’engagement sur les aspects suivants : ne pas entreprendre d’actions qui pourraient empêcher d’atteindre le but d’une ZEADM comme stipulé dans la Résolution de 1995 ; ne pas faire usage ou menacer de faire usage d’armes nucléaires et d’armes de destruction massive en premier (principe du « no first use »)158 ; s’engager à éliminer à terme tous les stocks d’armes de destruction massive sous un régime de garanties. -Envisager l’adhésion à différents instruments internationaux, tels le Traité d’interdiction des essais nucléaires qui, s’il ne garantit pas la fin du développement de programmes nucléaires, allonge le délai de validation d’une arme nucléaire et le rend plus difficile ; ou encore le Code de conduite de la Haye qui préconise la notification préalable de tirs de missiles et permettrait d’accroitre la confiance entre les États de la région. -Conditionner toute assistance en matière d’énergie nucléaire à la ratification du TNP et du protocole additionnel de l’AIEA, c’est-à-dire établir un lien entre l’adhésion au TNP/Protocole et le droit d’acquérir et de développer l’énergie nucléaire. Israël est le seul visé pour le TNP tandis que plusieurs États de la péninsule arabique, y compris Israël, sont visés par le Protocole additionnel tels l’Égypte, l’Arabie saoudite, l’Iran ou la Syrie159. Il s’agirait d’une piste à explorer au cours de la Conférence de révision de 2015, d’autant plus exploitable que les monarchies du Golfe ont très fort intérêt à développer conjointement un programme d’énergie nucléaire « pour remédier à leurs pénuries grandissantes d’électricité »160. -Relancer les discussions à travers le groupe ACRS peut être une piste d’action pour autant que des leçons soient tirées des échecs passés de ce processus : réviser la liste des participants en incluant tous les États de la péninsule arabique dont la présence est absolument nécessaire (Iran, Irak, Syrie et Liban absents à l’époque) ; ne pas lier ces discussions au processus de paix, ce qui permettrait à des États comme l’Iran de « reconsidérer leur participation »161 ; initier « un dialogue sur une sécurité régionale 156. SNYDER Susi. Side event report: Civil society strategies for establishing a nuclear free Middle East. NPT News in Review n° 4. Reaching Critical Will. 4 mai 2012, p. 13. 157. ELDEEN ALY, Hossam. Op. cit. 158. FRIEDMAN David, LANDAU Emily B., ASCULAI Ephraim, MALZ-GINZBURG Tamar, EVRON Yair. WMD no-first-use in the Middle East: a way to move forward in 2012 ? Bulletin of the Atomic Scientists. 7 février 2011. 159. Voir la liste complète sur le site de l’AIEA. Mise à jour le 20 septembre 2012. http://www.iaea.org/OurWork/SV/Safeguards/documents/AP_status_list.pdf 160. « Nucléaire iranien : les pays du Golfe proposent une sortie de crise ». L’Express. 2 novembre 2007. 161. JONES Peter. The Arms Control and Regional Security working group: still relevant to the Middle East ? Back ground paper, EU seminar to promote confidence building and in support of a process aimed at establishing a zone free of WMD and means of delivery in the Middle East, Brussels, 6-7 juillet 2011, p. 4. Disponible sur : http://www.nonproliferation. eu/documents/backgroundpapers/jones.pdf La Conférence sur une zone exempte d’armes de destruction massive... concertée » grâce à un fédérateur commun, la crainte suscitée par l’Iran162 ; repenser le leadership extérieur en charge de mener les discussions163 : le fait d’avoir nommé un facilitateur finlandais pourrait ouvrir la voie à l’Union européenne et non plus aux États-Unis mal perçus par certains acteurs de la région. 162. LANDAU Emily B. Op. cit., p. 20. 163. JONES, Peter. Op. cit., p. 10. 39 40 Rapport du GRIP 2013/8 Conclusion Que la Conférence d’Helsinki ait lieu en présence de tous les États du Moyen-Orient semble déjà un succès. S’il importe peu qu’elle se tienne en 2013 ou en 2014, il serait néanmoins souhaitable qu’elle ait lieu avant la prochaine Conférence de révision du TNP en 2015. En effet, les frustrations et désillusions comment à se faire suffisamment sentir pour que les États arabes aient discuté entre eux de leur participation ou non au comité préparatoire 2013 à la Conférence de révision du TNP 2015. L’ambassadeur égyptien a profité de cette tribune pour dénoncer le report « unilatéral de la Conférence sur une zone exempte d’armes de destruction massive au Moyen-Orient […] sans même qu’aient été consultés les États de la région », un ajournement considéré comme « un non-respect des engagements convenus »164. À l’issue de cette déclaration, l’Égypte a fait le choix de quitter la réunion afin de protester contre « l’échec inacceptable et continu à mettre en œuvre la Résolution de 1995 sur le Moyen-Orient ». On comprend ainsi mieux pourquoi la simple tenue de cette Conférence serait un succès : le paroxysme de tensions vers lequel la région tout entière s’achemine ne peut en effet appeler qu’à une issue catastrophique ou à une forte désescalade – à l’instar de ce qu’avait été la crise des missiles de Cuba dans l’instauration d’un climat de détente entre les deux Grands, au point de conclure des accords de limitations de leurs arsenaux nucléaires. Région où la prolifération d’armes de destruction massive est la plus susceptible d’engendrer une utilisation – la Syrie l’a montré récemment –, tant les passions sont exacerbées, le Moyen-Orient se donne ici rendez-vous avec son avenir : cette conférence constitue une opportunité sans précédent de dialoguer sur une pacification durable de la région et d’amorcer un tournant dans l’approche des politiques sécuritaires des États de la région. La garantie d’un processus long et pragmatique, en plusieurs étapes, tenant compte des réalités régionales et des relations interétatiques et encouragé au niveau international par des acteurs acceptés par tous, peut inciter certains États à reconsidérer la question de leur participation mais surtout de leur implication dans le processus. Aujourd’hui une opportunité se présente pour relancer une nouvelle dynamique au vu des changements récents intervenus dans la zone: l’adhésion de la Syrie à l’OIAC ouvre la voie à celle de l’Égypte et d’Israël ; l’arrivée d’un président pragmatique en Iran semble garantir, sinon un accord rapide, à tout le moins la tenue de discussions franches avec des mesures de transparence à la clé ; quant à Israël, s’il ne veut pas risquer l’isolement du fait de sa rhétorique belliciste dans un contexte régional explosif, il sera sans doute amené, par des pression internes ou externes, à plus de flexibilité. L’organisation d’une telle conférence sera sans doute affaires de personnes, de soutien populaire, de nuances verbales, de compromis et d’un dosage équilibré « de carotte et de bâton » afin d’amener l’ensemble des pays de la région autour de la table. Mais elle doit être également une affaire de patience et de compréhension mutuelle via une 164. Voir la déclaration de la délégation égyptienne du 29 avril 2013 sur le site de Reaching critical will : http://www. reachingcriticalwill.org/disarmament-fora/npt/2013/statements La Conférence sur une zone exempte d’armes de destruction massive... pratique plus soutenue du « red teaming »165 car une réunion précipitée, mal préparée et aux ambitions démesurées peut mener à des dérapages verbaux et à des crispations irréversibles de part et d’autre, au risque de laisser s’échapper l’opportunité actuelle. Au moment de clôturer ce rapport, début novembre 2013, nous apprenons qu’Israël aurait accepté de participer à une réunion secrète avec les États arabes, fin octobre à Genève, afin de préparer la tenue d’une Conférence sur une ZEAN/ZEADM au Moyen-Orient166. Un signal avait d’ailleurs été lancé en ce sens au début du mois d’octobre, lorsque devant la Knesset, le Premier ministre israélien soulignait qu’il existait des intérêts communs entre l’État hébreu et les pays arabes de la région, notamment la lutte contre le terrorisme. Netanyahou avait alors déclaré que « pour la première fois depuis la création de l’État d’Israël, le monde arabe comprend qu’Israël n’est pas l’ennemi des Arabes »167. L’option de cette réunion préparatoire avait été écartée par les pays arabes dans un premier temps par crainte qu’Israël ne s’en serve comme prétexte pour ne pas assister à la Conférence elle-même. Cette réunion, dont l’objectif avait de s’accorder sur les modalités et les objectifs de cette future conférence, semble ouvrir une nouvelle page des relations entre l’État hébreu et ses voisins arabes et de nouvelles perspectives pour que se tienne une Conférence avant la Conférence de révision du TNP de 2015. *** Panel d’experts lors de la seconde session plénière du Consortium de l’UE sur la non-prolifération et le Désarmement, Bruxelles, 30 septembre -1e octobre 2013 https://www.iiss.org/-/media/images/events/lectures/eu%20conference/eu2013plenary-2-798x449.jpg 165. Par red teaming, l’on entend une pratique courante au sein de la communauté du renseignement et du monde de la sécurité par laquelle il s’agit de se mettre à la place de l’adversaire et d’essayer de regarder le monde à travers ses yeux, de penser à ses intérêts et à la façon dont il s’y prendrait pour les promouvoir et comment il pourrait percevoir les actions de l’autre, comme dans un jeu d’échecs. L’expression renvoie à ce qui se produisait au sein de l’administration américaine dans le cadre de la guerre froide lorsqu’il s’agissait de penser comme les Soviétiques. « HarvardX online course, HKS211.1X – Central Challenges of American National Security, Strategy and the Press: An Introduction ». Élément d’explication donné par le Directeur du Belfer Center for Science and International Affairs Graham Allison lors de la section intitulée « Iran and instruments of American power ». 166. « Israël et pays arabes réunis sur les armes de destruction massives ». I24. 31 octobre 2013. 167. « Les Arabes commencent à comprendre qu’Israël n’est pas l’ennemi ». La Voix de la Russie. 14 octobre 2013. 41 42 Rapport du GRIP 2013/8 Annexes Résolution sur le Moyen-Orient adoptée lors de la Conférence des États parties au TNP de 1995168 La Conférence des Parties au Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, Réaffirmant le but et les dispositions du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, Considérant que, conformément à l’article VII du Traité, la création de zones exemptes d’armes nucléaires contribue au renforcement du régime international de non-prolifération, Rappelant que le Conseil de sécurité, dans sa déclaration du 31 janvier 1992, a affirmé que la prolifération des armes nucléaires et de toutes autres armes de destruction massive constitue une menace contre la paix et la sécurité internationales, Rappelant également les résolutions que l’Assemblée générale a adoptées par consensus, et qui appuient la création d’une zone exempte d’armes nucléaires au Moyen-Orient, dont la plus récente est la résolution 49/71 du 15 décembre 1994, Rappelant en outre les résolutions pertinentes adoptées par la Conférence générale de l’Agence internationale de l’énergie atomique concernant l’application des garanties de l’Agence au Moyen-Orient, dont la plus récente est la résolution GC(XXXVIII)/RES/21 du 23 septembre 1994, et notant le danger de prolifération nucléaire, en particulier dans les zones de tension, Ayant à l’esprit la résolution 687 (1991) du Conseil de sécurité, et en particulier son paragraphe 14, Prenant acte de la résolution 984 (1995) du Conseil de sécurité et du paragraphe 8 de la décision sur les principes et objectifs de la non-prolifération et du désarmement nucléaire adoptée le 11 mai 1995, Ayant à l’esprit les autres décisions adoptées par la Conférence le 11 mai 1995, 1. Fait siens les buts et objectifs du processus de paix au Moyen-Orient et considère que les efforts dans ce domaine et dans d’autres contribuent, entre autres, à l’instauration d’une zone exempte d’armes nucléaires ainsi que d’autres armes de destruction massive au Moyen-Orient; 2. Note avec satisfaction que, dans son rapport (NPT/CONF.1995/MC.III/1), la Grande Commission III de la Conférence a recommandé que celle-ci engage les États qui ne sont pas encore parties au Traité à y adhérer, prenant ainsi l’engagement international juridiquement contraignant de ne pas acquérir d’armes nucléaires ni de dispositifs explosifs nucléaires et d’accepter de soumettre toutes leurs activités nucléaires aux garanties de l’Agence internationale de l’énergie atomique; 3. Note avec préoccupation qu’il continue d’exister au Moyen-Orient des installations nucléaires non soumises aux garanties, et réaffirme à cet égard la recommandation contenue au paragraphe 3 de la section VI du rapport de la Grande Commission III engageant les États non parties au Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires qui exploitent de telles installations à accepter les garanties intégrales de l’Agence; 4. Réaffirme qu’il importe que tous les États adhèrent au plus tôt au Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, et engage tous les États du Moyen-Orient, sans exception, qui ne l’ont pas encore fait, à adhérer au Traité dès que possible et à faire appliquer les garanties intégrales de l’Agence à leurs installations nucléaires; 5. Engage tous les États du Moyen-Orient à prendre dans les instances appropriées des dispositions concrètes pour progresser sur la voie, notamment, de la création au Moyen-Orient d’une zone exempte d’armes de destruction massive, nucléaires, chimiques et biologiques, et de leurs vecteurs, effectivement soumise à vérification, et de s’abstenir de toutes mesures susceptibles d’empêcher la réalisation de cet objectif; 6. Engage tous les États parties au Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, et en particulier les États dotés d’armes nucléaires, à offrir leur coopération et à n’épargner aucun effort pour faire en sorte que soit rapidement créée par les parties régionales une zone exempte d’armes nucléaires et de toutes autres armes de destruction massive et de leurs vecteurs au Moyen-Orient. 168. Conférence de 1995 des Parties au Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires chargée d’examiner le traité et la question de sa prorogation. Document final, Partie I, voir annexe. NPT/CONF.1995/32 (Part I). mai 1995. http://daccess-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/N95/178/17/PDF/N9517817.pdf ?OpenElement La Conférence sur une zone exempte d’armes de destruction massive... Le Moyen-Orient, en particulier l’application de la résolution de 1995 sur le Moyen-Orient (2010)169 1. La Conférence réaffirme l’importance de la résolution sur le Moyen-Orient adoptée à la Conférence d’examen et de prorogation de 1995 et rappelle que ses buts et objectifs ont été réaffirmés à la Conférence d’examen de 2000. Elle souligne que la résolution reste valide jusqu’à ce que ses buts et objectifs aient été atteints. La résolution, qui a été coparrainée par les États dépositaires du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (États-Unis d’Amérique, Fédération de Russie et Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord), est un élément essentiel des résultats de la Conférence de 1995, sur la base desquels le Traité a été prorogé en 1995 pour une durée indéfinie, sans que la question soit mise aux voix. Les États parties se disent une fois de plus résolus à prendre, à titre individuel et collectif, toutes les mesures nécessaires à sa prompte application. 2. La Conférence réaffirme qu’elle souscrit aux buts et objectifs du processus de paix au Moyen-Orient et constate que les efforts déployés à cet égard, entre autres, contribuent notamment à la création d’une zone exempte d’armes nucléaires et autres armes de destruction massive au Moyen-Orient. 3. La Conférence note que les cinq États dotés d’armes nucléaires ont réaffirmé, à la Conférence d’examen de 2010, leur engagement en faveur de l’application intégrale de la résolution de 1995 sur le Moyen-Orient. 4. La Conférence déplore que peu de progrès aient été réalisés vers l’application de la résolution de 1995 sur le Moyen-Orient. 5. La Conférence rappelle que la Conférence d’examen de 2000 a réaffirmé qu’il importait qu’Israël adhère au Traité et place toutes ses installations nucléaires sous les garanties généralisées de l’AIEA. Elle réaffirme qu’il est urgent et important de parvenir à l’universalité du Traité. Elle exhorte tous les États qui ne sont pas parties au Traité à y adhérer en tant qu’États non dotés d’armes nucléaires de manière à assurer l’universalité de cet instrument dans les meilleurs délais. 6. La Conférence souligne la nécessité pour tous les États parties de respecter rigoureusement les obligations et les engagements qui découlent de leur adhésion au Traité. Elle exhorte tous les États de la région à prendre les mesures qui s’imposent ainsi que des mesures de confiance permettant d’atteindre les objectifs de la résolution de 1995 sur le Moyen-Orient, et demande à tous les États de s’abstenir de toute action susceptible d’empêcher la réalisation de cet objectif. 7. La Conférence souligne qu’il importe de mettre en place un processus permettant d’appliquer pleinement la résolution de 1995 sur le Moyen-Orient. À cette fin, elle appuie les mesures concrètes suivantes : a) Le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies et les auteurs de la résolution de 1995, en consultation avec les États de la région, convoqueront en 2012 une conférence à laquelle prendront part tous les États du Moyen-Orient, en vue de la création au Moyen-Orient d’une zone exempte d’armes nucléaires et de toutes autres armes de destruction massive, sur la base d’arrangements librement conclus entre les États de la région, avec le plein appui et l’engagement sans réserve des États dotés d’armes nucléaires. La Conférence de 2012 aura pour mandat la résolution de 1995; b) Le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies et les auteurs de la résolution de 1995, en consultation avec les États de la région, désigneront un facilitateur qui sera chargé d’appuyer l’application de la résolution de 1995 en procédant à des consultations avec les États de la région et à des préparatifs en vue de réunir la Conférence en 2012. Le facilitateur aidera également à faire appliquer les mesures de suivi qui auront été convenues par les États de la région à la Conférence de 2012. Il rendra compte à la Conférence d’examen de 2015 et aux réunions du Comité préparatoire; c) Le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies et les auteurs de la résolution de 1995 désigneront, en consultation avec les États de la région, un État qui accueillera la Conférence de 2012; 169. Conférence des Parties chargées d’examiner le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires. Document Final, volume 1, voir Première partie « Conclusion et recommandations concernant les mesures de suivi », NPT/ CONF.2010/50 (Vol. I), mai 2010. http://www.un.org/ga/search/view_doc.asp?symbol=NPT/CONF.2010/50 (VOL.I)&referer=http://www.un.org/en/conf/npt/2010/confdocs.shtml&Lang=F 43 44 Rapport du GRIP 2013/8 d) Des mesures supplémentaires seront prises pour appuyer l’application de la résolution de 1995; l’AIEA, l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques et les autres organisations internationales compétentes seront tenues de préparer des documents d’information pour la Conférence de 2012 en ce qui concerne les modalités devant régir la zone exempte d’armes nucléaires et autres armes de destruction massive et leurs vecteurs, compte tenu des travaux précédemment entrepris et de l’expérience acquise; e) Toutes les offres visant à appuyer l’application de la résolution de 1995 seront examinées, y compris celle de l’Union européenne d’accueillir un séminaire à la suite de celui qui a été organisé en juin 2008. 8. La Conférence souligne la nécessité d’accomplir des progrès parallèles, du point de vue du fond et de l’échéancier, vers le processus conduisant à l’élimination totale et complète de toutes les armes de destruction massive dans la région, qu’elles soient nucléaires, chimiques ou biologiques. 9. La Conférence réaffirme que tous les États parties au Traité, en particulier ceux qui sont dotés d’armes nucléaires et les États de la région, devraient continuer de faire rapport sur les mesures prises en vue d’appliquer la résolution de 1995, par l’intermédiaire du Secrétariat des Nations Unies, au Président de la Conférence d’examen de 2015 ainsi qu’au Président des réunions du Comité préparatoire qui se tiendront au préalable. 10. La Conférence constate le rôle important de la société civile dans l’application de la résolution de 1995 et encourage tous les efforts à cet égard. La Conférence sur une zone exempte d’armes de destruction massive et leurs vecteurs au Moyen-Orient Nouvelles perspectives à la lumière de la crise syrienne et de l’élection présidentielle iranienne Trois ans après la décision d’organiser en 2012 une Conférence sur la création d’une zone exempte d’armes nucléaires (ZEAN) et autres armes de destruction massive au Moyen-Orient, et un an après l’annulation de cet événement tant espéré, de nouvelles perspectives ont vu le jour : l’utilisation par Damas d’armes chimiques contre sa population a provoqué un tollé international et une escalade de la rhétorique guerrière. L’option militaire a finalement été évitée grâce à un accord russo-américain portant sur le démantèlement et la destruction de l’arsenal chimique syrien, ainsi que sur l’adhésion de Damas à la CIAC. Cela ouvre la voie à l’adhésion de l’Égypte voire d’Israël à ce traité. Par ailleurs, l’élection à la présidence iranienne d’un homme à la rhétorique moins belliciste et plus conciliante laisse entrevoir une possible avancée sur les négociations internationales portant sur le programme nucléaire iranien. Ce rapport a pour objectif de faire saisir au lecteur l’importance d’une Conférence sur une ZEAN/ZEADM pour l’avenir du Moyen-Orient : il revient sur le processus qui a conduit à la décision d’organiser cette Conférence et dresse un état des lieux de la prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs dans la région. Il passe en revue les facteurs de succès et d’échecs à la veille de cette réunion internationale et termine sur quelques recommandations. Bérangère Rouppert est attachée de recherche au GRIP. Chaussée de Louvain, 467 B-1030 Bruxelles Tél.: (32.2) 241 84 20