Scénario de Stéphane ACKEL - E
Transcription
Scénario de Stéphane ACKEL - E
TO PAC Scénario de Stéphane ACKEL INT - WAGON DE MÉTRO PARISIEN – SOIR LE WAGON CIRCULE DANS UN TUNNEL. SUR UNE SONORITÉ MUSICALE RAP AUDIBLE MAIS LOINTAINE ET DE MAUVAISE QUALITÉ, dans un wagon de métro qui traverse un tunnel, un groupe de 3 JEUNES LYCÉENS (un afro, un asiatique et un arabe, pantalon de jogging, teeshirt large, casquette, bandana) sourient, leur attention attirée vers le milieu de la rame, à en croire la direction et la portée de leurs regards… (l'un après l'autre, les visages éteints des USAGERS assis, en même temps que LE VOLUME DE LA MUSIQUE AUGMENTE jusqu’à…) …côté fenêtre dans un carré, GIA(NELLI) qui bouge la tête sous la capuche en cadence d’un RAP (50CENT & EMINEM « You don’t know ») qu'il ÉCOUTE À FOND LES ÉCOUTEURS, anorak streetwear sans manche en guise d'armure. Face à lui, une JEUNE FEMME TRÈS BELLE le dévisage avec la volonté évidente de se faire aborder. Sans effet sur Gia qui continue de bouger la tête en rythme. Au SON CARACTÉRISTIQUE DU FREINAGE SUR LES RAILS, il abaisse sa capuche : visage dur, cheveux noirs gominés, nuque et tempes rasées. La rame le long du quai, Gia se lève, le casque toujours vissé sur les oreilles, un sac de sport qu’il amène à hauteur d’épaules. Au SON D’OUVERTURE DES PORTES DU WAGON, il s’extraie prestement du carré sans prêter la moindre attention à son « admiratrice ». Déjà la SONNERIE ANNONÇANT LA FERMETURE IMMINENTE DES PORTES de la rame. EXT - LA NPE : UNE DES AGENCES PARISIENNES – JOUR Gia rentre à la NPE (la Nationale Pour l'Emploi) située en plein centre ville (BRUITS DE LA CIRCULATION BIEN PRÉSENTS et foule de passants sur le trottoir). Il est vêtu pour le bas d’un pantalon de jogging coupe large, de baskets blanches usées. INT - LA NPE : BUREAU DE MOMO – JOUR Des mains referment un dossier. Puis le visage de MOMO, un homme d'âge mûr, cheveux grisonnants, teint rubicond tranchant avec le coloris pastel de sa chemisette. Bon vivant et malgré tout, guère jovial, il SOUPIRE pour ajouter à la sinistrose ambiante. Enfin il se décide à parler. 1 MOMO Nous avions rendez-vous à 9h00 ce matin, Monsieur Gianelli. Il est 4 heures de l'après-midi. C'est quoi cette fois-ci ? Mh ? Probablement encore une de vos pannes d'oreiller... (quelques secondes d'un silence pesant) Eeet bien... ne répondez pas. Ça n'est pas moi qui vais me retrouver r-a-d-i-é (prononcé à l'américaine)... (toujours un silence de mort en retour) Bon ! Je vois. Tu en as marre de mes questions, là... (silence n°3 et soupir n° 2) Mais putain ! Réagis, bon sang ! Aide-moi à t'aider. Ressaisis-toi, là... quoi ? Qu'est-ce qui va pas ? Qu'est-ce qui cloche chez toi ? Le visage de Gia reste de marbre, regard désabusé. EXT – CITÉ « LES GROUX » – JOUR (FIN D'APRÈS-MIDI D'ÉTÉ) Au loin, plusieurs barres d'immeuble se dressent vers le ciel dont la luminosité commence à décliner en cette fin d'après-midi d'été. Gia, sac de sport sur l'épaule, grimpe les nombreuses buttes couvertes de pelouses diversement entretenues pour se diriger vers les tours de béton. EXT – CITÉ « LES GROUX » – JOUR (FIN D'APRÈS-MIDI D'ÉTÉ) Gia se déplace entre les murs de la cité, la démarche dure à l’allure décidée. Sur son chemin, il ne croise personne jusqu'à… …un groupe de 3 blacks, squattant une entrée d'immeuble. LIBASS est assis à même le sol. VERNON et MIKE sont adossés de chaque côté de l'entrée. Gia passe devant sans leur prêter attention. 2 LIBASS (prononce quelques mots inaudibles après le passage de Gia) Aussitôt, sans prévenir, Gia revient sur ses pas et fond sur Libass. Il le « savate » devant Vernon et Mike médusés par la soudaineté de l’attaque et la violence des coups portés. Ceux-ci, pourtant des costauds, s'écartent même quelque peu. VERNON Hey putain d'barge, Gianelli ! MIKE Vas-y, là ! Tu veux l'tuer ou quoi !? Gia ne ralentit pas la fréquence des coups de poings qu'il alterne de coups de pied hargneux. LIBASS (suppliant d'un ton larmoyant) Aïe, aïe, putain man, arrête, j't'en supplie, arrête... Encore une série et Gia cesse la bastonnade aussi soudainement qu'il l'a commencé. Vidé (presque « cassé en deux »), il s’écarte puis recule, laissant Libass se tenir les côtes en SANGLOTS. Guère rassurés (ils gardent un oeil sur Gianelli), Vernon et Mike se penchent aussitôt sur Libass. Gia continue de reculer, PEINANT À RETROUVER SON SOUFFLE. Arrivé au niveau de son sac de sport, il s’arrête, plaque en arrière les mèches rebelles sur son crâne avant de ramener le sac sur son épaule. Il RETROUVE QUELQUE PEU UNE RESPIRATION NORMALE mais la rage dans ses yeux !... Finalement, il se redresse, recule encore… …de quelques pas et s'en retourne. INT - HLM GIA : CAGE D’ESCALIER – JOUR (FIN D'APRÈS-MIDI D'ÉTÉ) Gia pousse la porte d'entrée d’un immeuble. Dans la cage d'escalier, il s'arrête machinalement près des boîtes aux lettres (des taguées, des ouvertes !) pour fouiller dans la poche de son pantalon de survêtement. 3 Il en sort un trousseau de clés dont l'une lui sert à ouvrir une boîte taguée « rital de merde », « forza Ritalia », « va fanculo mama ». À l'intérieur, un petit pli postal assez épais surplombe une quantité impressionnante de prospectus et autres brochures publicitaires. La main de Gia s'en empare et le retourne. Sur le verso le nom et l'adresse de l'expéditeur : 2Pac FAN CLUB PO Box 2694, Decatur, GA 30031 USA Côté recto, le destinataire : Gianfranco GIANELLI (reproduire ici une adresse de fiction) 4 INT – SÉQUENCE GÉNÉRIQUE EN STUDIO – JOUR NUIT Sur la CHANSON « PAC’S LIFE » INTERPRÉTÉE PAR 2PAC, LES NOMS AU GÉNÉRIQUE S’ENCHAÎNENT EN INCRUST. Une pure chorégraphie hip hop, véritable démonstration, est exécutée en studio par une succession de TROUPES DE DANSEURS HIP HOP, dont la moyenne d’âge augmente au fil de la chanson, passant d’ENFANTS à JEUNES ADULTES. De même, les tenues vestimentaires voient leurs coloris (assortis pour chaque troupe) s’assombrir au fur et à mesure de la chanson, passant du blanc au gris (plusieurs niveaux intermédiaires) pour finir en noir. 5 INT - HLM GIA : COULOIR ÉTAGE DE GIA – SOIR Gia se déplace la démarche cool et chaloupée dans un couloir à l’éclairage jaune palot, dont il dépasse porte après porte situées sur chaque côté. Il s’arrête côté gauche devant l’une d’entre elle et rentre la clé dans la serrure. Au milieu de ce long couloir, plutôt étroit, il pousse la porte et rentre. INT - APPARTEMENT DES GIANELLI : VESTIBULE / HALL D’ENTRÉE – JOUR Gia apparaît dans l’entrée et referme la porte derrière lui. Il laisse tomber son sac… …à ses pieds et à ceux du meuble, une commode en tec, du mobilier bon marché et modeste. Ses pieds, qu’il libère des baskets usées jusqu’à la trame. Il se sépare du trousseau de clés dans le vide-poche mais garde le pli postal à la main. GIA Papa ?... T’es là ?... La main libre dans la poche du jogging, il s’engage dans l’appartement, les épaules voûtées, la démarche en canard. Il dépasse une porte ouverte sur sa gauche à laquelle il jette un coup d’œil sans enjeu. Mais voilà qu’il bloque net et se penche en arrière, façon cartoon. INT - APPARTEMENT DES GIANELLI : CUISINE – JOUR Gia apparaît dans l’encadrement de la porte, toujours penché en arrière dans cette drôle de position comique qui rappelle franchement un personnage de cartoon américain. Dans la cuisine, de la vaisselle sale remplit l’évier. Deux tartines carbonisées sont en position éjectée dans l’antique grille-pain. Sur la petite table couverte d’une toile cirée de mauvais goût, un bol de café noir dans lequel une tartine beurrée n’est plus qu’une bouillie spongieuse. De la moisissure recouvre le beurre ouvert sur la table et du vin rouge colore le fond du verre. Guère plus dans la bouteille dont s’empare Gia, le regard dur et sévère : 6 GIA C’est pas vrai ! INT - APPARTEMENT DES GIANELLI : CHAMBRE DU PÈRE – NUIT Une forme indistincte dans l’obscurité de la pièce et en provenance d’un autre endroit de l’appartement, la VOIX DE GIA SE RAPPROCHE. GIA (off) Papa !... T’as r’mis ça ! Les RONFLEMENTS qui montent du noir COUVRENT PRESQUE LA VOIX... DERRIÈRE LA PORTE ! GIA (off) Réponds, je sais qu’t’es là ! La lumière naturelle du couloir éclaire la chambre. Effondré sur la descente de lit, un bras sur le matelas, FRANCESCO GIANELLI est en plein somme. GIA (se précipitant sur le corps inanimé) Oh papa… Au prix d’un léger effort, Gia parvient à remonter puis à réinstaller son père sur le lit. Il peut contempler… …le vieux corps sec et malingre toujours endormi, RONFLANT EN SOURDINE, comme apaisé. Un sourire amusé naît sur le visage de Gia, qui secoue la tête, l’air de signifier avec tendresse « Incorrigible !... ». Sur quoi, il s’en retourne. Arrivé à la porte, la main sur le chambranle, il adresse un dernier regard en direction du lit. L’amusement fait place à la mélancolie. Il baisse la tête et quitte la pièce, qui se trouve replongée dans la pénombre. 7 INT - APPART DES GIANELLI : VESTIBULE / HALL D’ENTRÉE → COULOIR – JOUR Dans l’entrée, Gia reprend son sac et le garde à bout de bras pour parcourir le couloir, bifurquer dans la cuisine, en ressortir le pli à la main et s’enfoncer un peu plus dans l’appartement. INT - APPARTEMENT DES GIANELLI : CHAMBRE DE GIA – JOUR Gia rentre sans joie dans sa chambre. Il laisse tomber son sac derrière la porte et jette le pli au devant de lui. Le paquet atterrit sur un lit défait au fond de la pièce. Gia marque un temps immobile, comme sonné, puis vient s’asseoir sur le lit. Le corps en avant et le regard vide, il reste quelques secondes ainsi. Enfin il pose la main sur sa nuque et effectue quelques mouvements d’assouplissement avec sa tête. S’empare du pli, se lève et commence à l’ouvrir en partant sur la gauche, vers le meuble hi-fi encastré entre bureau et armoire. Ses mains sortent un CD du paquet, en ouvrent l’emballage et s’en débarrasse sur le bureau. Puis l’une sort le CD de son boîtier pour le rentrer dans le lecteur de chaîne. Lecture… Les PREMIERS BEATS envahissent la pièce : UN INÉDIT DE 2PAC, le SON BRUT D’UNE SESSION D’ENREGISTREMENT EN STUDIO. Gia enlève son anorak sans manche qu’il accroche sur son dossier de chaise. Vient le rejoindre à cet endroit son sweat à capuche. Gia se retrouve torse nu (une musculature développée). Il ouvre la porte de son armoire. De derrière une pile de vêtements, sa main sort une boule de papier aluminium de la taille d’une balle de golf. Il se retourne, referme la porte de l’armoire avec le pied et d’un mouvement de service tennistique, sa main en guise de raquette, envoie la boule d’alu s’écraser contre le mur pour qu’elle retombe sur son lit. Gia se dirige avec contentement dans la direction de son « tir ». DEUXIÈME INÉDIT DE 2PAC (TOUJOURS LE SON BRUT D’UNE SESSION D’ENREGISTREMENT EN STUDIO). Gia, à nouveau assis sur le lit, tient un « pétard » entre ses doigts experts. Il ne tarde pas à l’allumer au briquet, à tirer dessus et à faire sortir de sa bouche une fumée abondante d’un air satisfait. 8 POV GIA Derrière l’épais rideau de fumée, on aperçoit le ciel. La nuit est quasiment tombée à présent. Alors que le premier nuage de fumée s’est presque dissipé, un deuxième vient rendre le champ de vision de plus en plus embrumé. Notre vision de la fenêtre penche sensiblement sur la gauche puis plus franchement jusqu’à se retrouver à contempler le plafond fissuré au-dessus du lit. FIN POV GIA Gia est allongé, une main sous la nuque, l’autre ramenant le « pétard » du cendrier posé sur son ventre nu à ses lèvres. Troisième bouffée. La fumée monte, s’oriente vers le milieu de la pièce. Elle commence à se disperser laissant apparaître les murs de la chambre couverts de posters de 2PAC. Gia toujours allongé sur son lit, toujours en mode fumette tandis que se poursuit la visite des fresques murales consacrées à l’artiste dont LA VOIX ÉMANENT DES HAUT-PARLEURS. Une SONNERIE REPRENANT UN BEAT DE CE DERNIER se fait entendre AU-DESSUS DE LA MUSIQUE. Gia que cette sonnerie sort de sa léthargie, plonge sa main dans sa poche de jogging, en sort son portable et regarde l’écran. Sur lequel est affiché : Mister O Gia décroche. GIA (timbre blasé) Ouais enfoiré. Alors c’est bon ?... Ben vas-y, j’arrive alors… ouais Gia lâche le téléphone sur le lit et se lève. Il tombe son pantalon de jogging et se dirige en boxer et chaussettes vers la porte, plus justement sur l’interrupteur à côté, dont il actionne le mécanisme. Une lumière jaune domestique éclaire la pièce. Il va vers l’armoire, ouvre le côté gauche, prend un vêtement, un pantalon qu’il enfile avec aise : coupe baggy. Il choisit un tee-shirt avec sérieux. Il le passe, prend une dernière chose et referme la porte. Gia se reflète dans la glace fixée sur la porte. Il noue un bandana sur sa tête, l’ajuste avec soin, façon 2pac. Il ouvre l’autre porte de l’armoire et récupère sur sa droite une casquette qu’il dépose sur sa tête et visse d’un geste précis. Dans le bas, il récupère… une paire de baskets. 9 On les retrouve aux pieds de Gia, ses mains achevant de nouer un lacet. Elles s’activent sur le sol de la chambre. Font une pause au milieu (hors champ, Gia passe son anorak sans manche), puis repartent sur quelques pas, nouvelle pause (hors champ, Gia met sa chaîne hors tension), LA MUSIQUE S’ARRÊTE. Les pieds repartent pour sortir de la pièce. On entend L’OUVERTURE DE LA PORTE, L’INTERRUPTEUR. Plus de lumière. Il fait noir. LA PORTE SE REFERME (OFF). INT - APPART DES GIANELLI : COULOIR HALL D’ENTRÉE / VESTIBULE – JOUR Gia de dos, est dans le couloir qui part de sa chambre. Il tourne à droite. Dans le couloir principal, il se dirige vers la sortie non sans marquer une courte pause devant une porte à gauche, celle de la chambre du père. Il tend l’oreille. Un SON SOURD DE RONFLEMENTS est perceptible. Il repart. DÉBUT D’UN NOUVEAU SON RAP [« THUG LIFE » KERRY JAMES / MAFIA K1 FRY] (DIFFUSION CONDITION DU DIRECT, ENVIRONNEMENT EXTÉRIEUR). EXT - HLM GIA : DEVANT L’ENTRÉE COUR CENTRALE – SOIR SUITE DU SON RAP, PLUS CLAIR (RAPPROCHEMENT DE LA SOURCE) Gia passe la porte de l’immeuble. La MUSIQUE est ENCORE PLUS PRÉSENTE. Il se retrouve dehors sous l’éclairage orangé des réverbères (la nuit est définitivement tombée). On suit puis laisse s’éloigner Gia EN DIRECTION DE LA SOURCE MUSICALE : une voiture customisée garée en plein milieu du terre-plein central, toutes portières ouvertes, AUTORADIO POUSSÉ A FOND. Des BLACKS VÊTUS STREETWEAR. Arrivé à hauteur, Gia salue façon rue black après black, sans en oublier aucun. À cette distance, la MUSIQUE À SON NIVEAU MAXIMUM, les PROPOS ECHANGÉS sont INAUDIBLES. Soudain un faisceau laser de couleur rouge s’invite dans le groupe. Origine : inconnue. Provenance : « du haut ». Gia est de dos. Un point rouge oscille sur le front de son interlocuteur direct, FRANCIS. De la sueur commence à perler puis à couler sur son visage. FRANCIS (à voix très très basse) Ouhla ouhla ouhla mec, j’aime pas ça là… mais alors j’aime pas ça du tout… Lenny, quelle position ? 10 Une tête de black intello, LENNY, prenant la question très au sérieux, apparaît près du visage de la cible humaine Francis. Ses gros yeux ronds comme des billes cherchent dans les hauteurs derrière Gia. EXT - HLM MISTER O : FAÇADE FENÊTRE APPART DE MISTER O – SOIR SUITE « THUG LIFE » PAR KERRY JAMES / MAFIA K1 FRY POV LENNY On passe d’une fenêtre à une autre de la façade. La plupart sont éclairées. Stabilisation sur l’une d’elle, aperçu fugitif et capillaire : une permanente, cheveux gris enroulé sur bigoudis. EXT - CITÉ « LES GROUX » : COUR CENTRALE – SOIR SUITE « THUG LIFE » PAR KERRY JAMES / MAFIA K1 FRY Lenny plisse les yeux tel le Vil Coyote et annonce : LENNY H1, B4 Francis cherche à son tour sur la base des indications… EXT - HLM MISTER O : FAÇADE – SOIR SUITE « THUG LIFE » PAR KERRY JAMES / MAFIA K1 FRY POV FRANCIS On fige sur une VIEILLE À BIGOUDIS occupée à fermer ses volets… 11 EXT - CITÉ « LES GROUX » : COUR CENTRALE – SOIR SUITE « THUG LIFE » PAR KERRY JAMES / MAFIA K1 FRY Francis affiche une expression incrédule. FRANCIS Quoi ??? Lenny recommence en silence en suivant ses propres coordonnées. LENNY Euh… H4B1, ‘cuse. Francis lui adresse un regard en coin, réprobateur. Un soupir. Il ne s’attarde pas, s’intéresse derechef à la façade le regard investigateur. EXT - HLM MISTER O : FAÇADE FENÊTRE APPART DE MISTER O – SOIR SUITE « THUG LIFE » PAR KERRY JAMES / MAFIA K1 FRY POV FRANCIS (Francis) tombe rapidement sur la bonne fenêtre. La MUSIQUE EN PROVENANCE DE L’AUTORADIO AU VOLUME TOUJOURS ÉLEVÉ. Des RIRES ÉTOUFFÉS pourtant. EXT - CITÉ « LES GROUX » : COUR CENTRALE – SOIR SUITE « THUG LIFE » PAR KERRY JAMES / MAFIA K1 FRY Une lueur naît dans le regard de Francis. FRANCIS (sans se retourner) Wesley, coupe la musique…non ! Plutôt, baisse le volume progressivement… 12 Dans son dos, on (Wesley) obéit. Le VOLUME SONORE BAISSE PROGRESSIVEMENT. Les RIRES ÉTOUFFÉS parviennent PLUS DISTINCTement aux oreilles de ceux d’en bas, CLAIREMENT EN PROVENANCE DE LA FENÊTRE SUSPECTE. Gia se retourne et lance dans cette direction : GIA Karim, Nadia, c’est bon montrez-vous… Le point rouge lumineux vient de Francis à Gia, lui « gribouiller » virtuellement le visage. CHRIS (off) (forte tonalité efféminée) Bordel vous z’avez pas bientôt fini vos conneries les filles !? On met un visage « biggie », celui de CHRIS - apparu à côté de Francis - sur la voix de tata, La moue fait penser à celle de Gary Coleman, l’Arnold de Willy… EXT - HLM MISTER O : FENÊTRE APPART DE MISTER O – SOIR SUITE « THUG LIFE » PAR KERRY JAMES / MAFIA K1 FRY (EN SOURDINE) DEUX TÊTES apparaissent pour disparaître aussitôt derrière le rebord de la fenêtre dans un DUO DE RIRES DE HYÈNES. EXT - CITÉ « LES GROUX » : COUR CENTRALE – SOIR SUITE ET FIN « THUG LIFE » PAR KERRY JAMES / MAFIA K1 FRY (EN SOURDINE) Chris affiche toujours une expression de mécontentement. Quand cette version masculine et hip hop (!) d’Hattie Mc Daniels se décide à passer à l’action ! CHRIS Putain j’vais m’les faire ces salopes ! 13 DÉMARRAGE « GUERRE » PAR MAFIA K1 FRY (EN SOURDINE) « Elle » est bloquée par Gia qui lui barre la route tandis que les autres « la » retiennent avec toutes les peines du monde. Le point lumineux revenu gribouiller son visage suscite sa rage, décuple ses forces. LES AUTRES BLACKS (off – voix mêlées) Calme-toi gros !... Reste cool, man… Ouais take it easy, Biggie… hi hi hi… Les RIRES D’EN HAUT rajoutés au point rouge, entretiennent la colère de Chris. CHRIS Râââh lâchez-moi ! J’ai la haiiine… Ses potes continuent de le contenir et éclatent d’un RIRE BON ENFANT. Gia affiche un large sourire, « Biggie Chris » plein les bras, et parvient à se retourner vers la source à ennuis. GIA Allez c’est bon là. Arrête de faire l’gamin, Karim !... EXT - HLM MISTER O : FENÊTRE APPART DE MISTER O - SOIR SUITE « GUERRE » PAR MAFIA K1 FRY (EN SOURDINE) Un petit drapeau blanc et remuant fait son apparition à l’endroit des deux têtes entrevues précédemment. EXT - CITÉ « LES GROUX » : COUR CENTRALE – SOIR SUITE « GUERRE » PAR MAFIA K1 FRY (EN SOURDINE) GIA Pfffh… n’importe quoi ! 14 Gia lève le barrage, mains sur les cuisses pour reprendre son souffle, regard entendu levé vers la fenêtre. Les autres relâchent leur étreinte. Chris, assagi, assène quelques tapes sur les derniers retardataires, encore accrochés à son survêt’ ! CHRIS Lâchez-moi ! Lâchez-moi ! Bas les pattes ! Vos sales pattes ! Se réajustant de partout : CHRIS (ton cinglant) Quand à vous mes chéries là-haut vous perdez rien pour attendre ! GIA (redressé, souffle repris) Bon, négros, c’est pas que j’m’ennuie mais là le devoir m’appelle, si vous voyez c’que j’veux dire. QUELQUES RIRES GRAS ET ENTENDUS répondent aux derniers mots allusifs de Gia qui n’y prête pas attention et prend congé de chacun des négros constituant la joyeuse bande sans en oublier aucun. ll termine par le gros morceau qu’il enserre, amène contre son épaule et flatte d’une tape amicale dans le dos. GIA Allez, Chris. Faut qu’tu calmes un peu. Tu prends tout trop au sérieux, vieux. CHRIS Ouais je sais chéri. T’as p’têt raison. N’empêche que ce sont pas des choses à faire. On plaisante pas avec ça. Gia et Chris se regardent avec respect. GIA C’est toi qu’à raison, Chrissie. Je vais leur passer un d’ces savons. 15 Il sert le poing avec une grimace affichant le second degré et un sourire. CHRIS Salue-les pour moi ces enfoirés ! Gia approuve de la tête et recule, adressant un dernier regard circulaire à toute la bande. THÈME MUSICAL ORIGINAL : DRAMATIQUE, TEMPO LENT, TONALITÉ TRISTE (OVER) Les visages se succèdent. Des yeux à l’humeur rougie par la conjugaison de la fumette et du manque de sommeil. (Durant cette présentation, Gia a eu le temps de s’en retourner vers la tour dans son dos). EXT - PORCHE FENÊTRE APPART DE MISTER O PORCHE – SOIR SUITE THÈME MUSICAL ORIGINAL (OVER) Gia est tout proche du porche, regard au sol. Une bombe à eau vient s’exploser à ses pieds. Un SCRATCH MET FIN AU THÈME MUSICAL. REPRISE « GUERRE » PAR MAFIA K1 FRY (À PLEIN VOLUME) Surpris, Gia recule. GIA Râââh putain !!! Il lève la tête vers les hauteurs de la tour. Les MÊMES RIRES ÉTOUFFÉS DE HYÈNES de la même fenêtre, coupable toute désignée dans l’axe du point de chute de la bombe H2O. Dans son dos, des RIRES AUX ÉCLATS ! Gia tourne la tête lentement vers l’endroit quitté il y a peu. 16 EXT - CITÉ « LES GROUX » : COUR CENTRALE – SOIR SUITE « GUERRE » PAR MAFIA K1 FRY (À PLEIN VOLUME) Toute la bande est pliée en deux de RIRES À GORGES DÉPLOYÉES. EXT - HLM MISTER O : PORCHE – SOIR SUITE « GUERRE » PAR MAFIA K1 FRY (À PLEIN VOLUME) La face de Gia est figée dans une grimace comique marquant son incrédulité. Il tourne la tête vers le spectateur (!), sobre à l’inexpressif. Il remet sa tête dans l’axe. GIA (pour lui-même) J’y crois pas. Il lève brièvement le nez vers la fenêtre et pénètre dans l’immeuble. GIA (pour lui-même) J’y crois pas. La silhouette de Gia disparaît derrière les portes battantes. Remontée le long de la façade. EXT - HLM MISTER O : FENÊTRE APPART DE MISTER O – SOIR SUITE « GUERRE » PAR MAFIA K1 FRY (À PLEIN VOLUME) Arrivé à hauteur de la fenêtre, KARIM (off – fort accent de jeune des cités) Vas-y, le v’là qui monte. 17 On rentre dans l’appart par cette ouverture, dans le redressement puis le repli de Karim vers l’intérieur. INT - APPART MISTER O : PIÈCE COMMUNE – SOIR SUITE « GUERRE » PAR MAFIA K1 FRY (À PLEIN VOLUME) C’est une nuque rasée d’une peau au hâle naturel, un haut brodé musulman sur des épaules larges et carrées et sa démarche fière et chaloupée qui caractérisent notre guide, KARIM, jeune arabe de banlieue, sportif (ou naturellement bien bâti). KARIM (off - plus excitée) Vas-y, le v’là qui monte. Karim se dirige vers un vieux sofa déglingué où l’atmosphère est enfumée et où on découvre de longues jambes en tenue de camouflage de l’armée américaine. KARIM (off - excitée) Vas-y le v’là qui monte. Mister O, fini l’bédo ! Au boulot ! Karim s’écroule sur le ventre couvert d’un tissu rouge sombre avec le célèbre dessin représentant le portrait du Che. FIN « GUERRE » PAR MAFIA K1 FRY (FADE) Les jambes de Mister O partent en l’air, ses grands pieds noirs chaussés d’antiques pataugas en cuir aux lanières distendues ou mal fixées. MISTER O (off – voix nasale) Putain Karim, tu fais chier, merde ! Ses longs bras nus et d’un noir profond repoussent Karim d’un côté, le « cône » à l’opposé. Karim pèse de toute sa masse musculaire secouée de SPASMES RIGOLARDS sur le pauvre Mister O, coincé ! Une troisième personne fait son apparition pour tirer sur le corps de Karim. 18 NADIA (off – accent typée fille de cité) Karim, vas-y t’es chiant, là ! Arrête de faire l’gamin ! Les efforts conjugués Nadia + Mister O paient et le corps de Karim est soulevé juste ce qu’il faut pour que Mister O parvienne à se décaler sur le sofa et laisse s’affaler la masse, toujours en prise avec un VIOLENT FOU RIRE, dans le creux encore chaud. Mister O s’extirpe difficilement du sofa pour se retrouver sur ses deux jambes. MISTER O Ouh !... Nadia a raison, mec. T’es qu’un gosse !... Merci Nadia. Il se caresse le ventre, involontairement, le nez du Che dessiné sur son tee-shirt, émet un FAIBLE RÂLE DE DOULEUR. La main de Nadia vient se poser à l’endroit massé par la main noire aux longs doigts fins. NADIA (voix douce et protectrice) Ça va ? MISTER O (ôtant tendrement la main de Nadia de son ventre) Ouais… mon ulcère. NADIA (ton de reproche) Tu m’avais promis d’aller voir un médecin pour ça… Mister O lève la main qui tient le big cône incandescent. MISTER O Docteur Ganja, la meilleure medicine, fillette, ah ah ah… Il entoure Nadia de ses grands bras et la serre contre lui dans un immense élan affectueux. 19 KARIM (second degré) Eh la, écarte-toi de ma fiancée, sale junkie de merde ! Les mains de Karim font leur apparition sur les épaules des deux enlacés et entament leur travail de séparation. Au tour de Mister O et Nadia de RIRE. KARIM (toujours second degré) Regardez-moi ça ! Comme deux toutous. Merde, va falloir de l’eau chaude pour les décoller si ça continue. Mister O relâche son étreinte et libère Nadia, les deux amants de papier à présent rejoints par Karim dans le RIRE. Mister O cesse soudain, pris par une violente douleur au même endroit du ventre. MISTER O Aoh ! Il (se) tient sa longue silhouette courbée. KARIM + NADIA (d’une seule voix) O !!! MISTER O Eeh, eh eh eh ! La carcasse longiligne se redresse. MISTER O J’vous ai eu ! KARIM + NADIA (d’une seule voix moralisatrice) Mister Ooo… 20 Mouvement de recul du bassin… MISTER O Ah vous auriez dû voir vos têtes ! Deux lapins pris dans les phares d’une voiture ! …ROTATION À 90° et Mister O s’éloigne vers le fond de la pièce. Nadia vient se coller à son Karim, qui l’enlace façon lover. NADIA (enjôleuse) Alors… comme ça on est jaloux ?... KARIM N’importe quoi ! NADIA (off – niveau du buste) (câline) « ‘carte-toi d’ma fiancée », j’l’ai rêvé cellelà ? KARIM (off – niveau du buste) Ouais ben p’têt, t’as vu. Moi j’sais p... « Plus haut », Nadia est en train d’embrasser Karim. « SILENCE » AMOUREUX. INT - APPART MISTER O : COULOIR – SOIR Mister O rattrapé dans le couloir, on le suit, sa nuque de rasta man (des dreads à la Bob) en ligne de mire. On se cale sur la démarche lancinante du man le plus cool sur terre. 21 INT - HLM MISTER O : LONG COULOIR D’IMMEUBLE – SOIR SPLIT SCREEN Gia se déplace dans le long couloir d’immeuble identique à celui parcouru pour rentrer chez lui tout à l’heure. L’impression de revivre la même scène à ça près qu’il ne porte pas les mêmes habits. INT - APPART MISTER O : COULOIR – SOIR SUITE SPLIT SCREEN Plus près de Mister O et de sa jungle capillaire qui se déplace tranquillement vers le bout du couloir. INT - HLM MISTER O : LONG COULOIR D’IMMEUBLE – SOIR SUITE SPLIT SCREEN Plus près de Gia qui continue sa marche en avant. INT - APPART MISTER O : HALL D’ENTRÉE / VESTIBULE – SOIR SUITE SPLIT SCREEN Mister O progresse et stoppe devant la porte d’entrée pour venir – vue de profil, visage en partie masqué par les imposantes dreads - coller son œil sur le fish-eye incrusté dans l’acier blindé. INT - HLM MISTER O : LONG COULOIR D’IMMEUBLE – SOIR SUITE SPLIT SCREEN Dans un synchronisme parfait avec la dernière action de Mister O, Gia arrive à hauteur de la porte d’entrée et se positionne face à elle pour se retrouver de profil. Un court instant, les deux hommes se retrouvent face à face, la séparation verticale du split screen pouvant être assimilé à la porte. 22 INT - APPART MISTER O : VESTIBULE - SOIR Mister O, de dos, l’œil toujours collé à l’œilleton. MISTER O Heeey, G-I-A, mon frère, comment va ? INT - HLM MISTER O : LONG COULOIR D’IMMEUBLE - SOIR Gia, de dos, poing apprêté à toquer à la porte. Finalement Gia laisse tomber sa tête en avant (sur la porte, une tête de mort signifiant « Danger »). GIA Ooo… MISTER O (off) Password, man. POV MISTER O PAR L’ŒILLETON Gia déformé par l’œil de bœuf relève, lève la tête au plafond. Il SOUPIRE. GIA (énervé) Mais putain ! C’est moi, O. Qu’est-ce que tu m’prends la tête, là ? INT - APPART MISTER O : VESTIBULE - SOIR Mister O s’empresse d’ouvrir en débloquant un premier verrou, puis un autre dessous, et encore… 23 INT - HLM MISTER O : LONG COULOIR D’IMMEUBLE – SOIR …et encore et encore… SILENCE PESANT ponctué par un ÉNIÈME SON DE VERROU. Gia attend posément devant la porte. Elle s’ouvre enfin sur le visage de MISTER O, sa face hallucinante et hallucinée, les yeux explosés par l’herbe. Il tire Gia à l’intérieur, jette un œil nerveux dans le couloir à droite, à gauche et referme la porte. On entend le SON D’UN PREMIER VERROU. INT - APPART MISTER O : VESTIBULE - SOIR Mister O continue de refermer chaque verrou. Dans son dos, Gia réajuste son teeshirt sous son anorak. GIA T’es parano ! Tu sais ça, Mister O ? Parano ! On d’vrait t’appeler Mister Parano ! MISTER O (dans sa barbe) Pourquoi pas le roi du porno pendant qu’t’y es ? Il salue Gia d’une brève accolade et sort quelque chose de sa poche qu’il lève en l’air pour lui présenter. Il s’agit d’un morceau de tige métallique, fine et tordue. MISTER O Regarde ce que j’ai trouvé dans ma serrure en rentrant ce soir… GIA Ah ouaiiis… Gia saisit le bout de métal entre pouce et index et commence à peine à loucher dessus qu’il est surpris par Mister O se remparant de l’objet. 24 MISTER O Alors qui est Mister Parano ? (il range nerveusement la « pièce à conviction » au plus profond de sa poche) Pas moi, négro ! Pas moi… Mister O part dans le couloir. Gia toujours sous l’effet de surprise (il a gardé sa main en l’air) lui emboîte finalement le pas en faisant naître un sourire encore une fois craquant. INT - APPART MISTER O : HOME STUDIO – SOIR Une feuille de papier tenue entre deux mains qu’une troisième vient arracher. KARIM Eh tarba rends-oim aç ! KARIM bondit de sa chaise (première fois que le spectateur découvre son visage) pour presser Gia, habile à mettre la feuille hors de portée, sans décoller la sienne (de chaise). GIA (rigolard) lecture de quelques lignes du texte écrit par Karim KARIM Zyva, Gia. Ça s’fait pas ! GIA (rigolard) lecture de quelques lignes du texte écrit par Karim Un TERRIBLE COUP DE FEU retentit dans la pièce. Il calme instantanément les deux « lutteurs » qui regardent dans la même direction. Celle de Mister O, casque audio autour du cou, qui s’allume tranquillement une tige et s’installe derrière sa table de mixage. 25 Une main profite de la pose figée du duo pour récupérer la feuille. Celle de NADIA dont on découvre le visage pour la première fois. Elle affiche un sourire, ponctuation de son action (en position assise). QUELQUES SECONDES PLUS TARD Gia, Nadia et Karim, qui s’est rassis, sont regroupés autour de la même feuille de papier. Ils parlent À VOIX BASSE. Un BEAT HIP HOP envahit la pièce. Mister O, casque vissé sur les oreilles s’affaire derrière la table de mixage. Très concentré, il effectue les derniers réglages, FAISANT REPARTIR L’INTRO MUSICALE DU DÉBUT À PLUSIEURS REPRISES POUR DES ESSAIS VOIX. MISTER O Un, un… Ok c’est bon pour moi. (il abaisse les énormes écouteurs) Mister O ready ! Karim est le premier à se lever. KARIM Ok, Mister O aux manettes… Karim vient se positionner derrière un micro sur pied en face de Mister O. LE TEMPO RAP REPART. Il reprend son freestyle. KARIM (bon flow de caillera) …Pas d’problème, blème Bien vite les minettes rappliquent Toutes dingues de not’ flow, yo ! Pour Mister O, à nouveau casqué, ça semble bon à en juger par le sourire et son signe de la main « pouce index » formant un « O » comme « Ok ». 26 KARIM (plus démonstratif) Chez moi pas de procédé hypocrite ! Ma technique, j’t’explique ! Rectangle blanc à la verticale (il dessine la figure géométrique dans l’air) Ma main guidée par Allah quand je prends le bic ! Et toi à l’horizontale, quand tu entends ma voix, c’est fatal ! Cette arme… NADIA (pousse-toi d’là que j’my mette avec Karim et le même flow de caillera) Fatale c’est bon on a compris ! Arrête ton char, Henri ! Moi c’est Nadia, pur femeu de téci, oui ! Avec mes sosses Gi-a et Rimka on est là ! Pas de problème, blème comme quoi ! Face au mic, ouais, face au mic ! Face au noiraud qu’on appelle Mister O !... oh oh… (elle rit) imitée par Mister O qui incline et secoue la tête. Nadia est rejointe par Karim derrière le micro. NADIA + KARIM (dans le même flow) On est là, ouais. On est là, ouais. De la main, ils invitent Gia à les rejoindre. Toujours assis, Gia refuse l’invitation d’un sourire gêné et d’un rabat de la main dans le vide pour mieux se replonger dans la lecture de la feuille de papier manuscrite. NADIA + KARIM (dans le même flow) On est là… Ils battent la mesure bras tendus en direction de Gia. 27 Il leur adresse un regard en coin furtif et retient un sourire tandis qu’il reste en mode lecture. LA MUSIQUE N’EST PLUS. NADIA + KARIM …ouais. On est là… GIA …ouais. LA MUSIQUE REPART AUSSITÔT et Gia se lève brusquement (la feuille tombe au sol) et vient se positionner entre les deux autres face au micro. GIA (flow agressif) Alors pas de problème… Il recule pour libérer le micro, sourire amusé, index pointés en direction de ses deux « choristes ». NADIA + KARIM blème ! GIA C’est G-I-A en solo, pas de mystère à taire… NADIA + KARIM Oooh… GIA Alors balance le tempo à tes tepos NADIA + KARIM Mister Ooo… GIA Et à trois on s’ra làaa… 28 NADIA (désignant Karim du doigt) Rimka ! KARIM (désignant Gia du doigt) Gi-a ! GIA (désignant Nadia du doigt) Na-di-a ! Les trois désignent en même temps Mister O. NADIA + KARIM + GIA Mister O ! Mister O répond par un SOLO DE SCRATCH qu’il ponctue d’un SON DE FOULE EN DÉLIRE. Il remercie ses fans invisibles dans un grand numéro de cabot, se levant pour leur envoyer des baisers à la ronde… MISTER O Merci ! Merci beaucoup ! …sous le regard des trois autres, Nadia, Karim chacun sous la protection d’un bras de Gia, tous soudés et unis dans UN MÊME RIRE COMPLICE. QUELQUES SECONDES PLUS TARD Mister O hyper concentré et sérieux derrière sa table de mixage. Une obscurité parfaite règne dans la pièce… vide. Seuls la silhouette de O et de son matériel baignent dans une « belle lumière de studio ». LANCEMENT D’UN NOUVEAU BEAT HIP HOP. Bénéficiant du même éclairage, Karim, derrière le micro, a le visage grave. Très concerné par l’intro musicale lancée par Mister O, sa tête suit discrètement le rythme. Au bout de quelques secondes, il commence à rapper. 29 KARIM Paroles de la chanson Son solo terminé, Karim recule pour disparaître dans l’obscurité d’un noir parfait. C’est au tour de Nadia de s’avancer dans la lumière et devant le micro pour interpréter le refrain. NADIA (d’une voix soul et aérienne) Refrain en langue ??? Nadia recule etc (voir plus-haut). Gia prend la place de Nadia. Il affiche la même expression tourmentée que Karim avant de se lancer. Et la même façon de balancer discrètement la tête d’avant en arrière. GIA Paroles de la chanson Gia cède la place à Nadia qui réapparaît pour le refrain. NADIA (d’une voix soul et aérienne) Refrain en langue ??? La BANDE MUSICALE ARRIVÉE AU BOUT, le SILENCE REVENU DANS LA PIÈCE, elle garde les yeux fermés quelques secondes pour découvrir en les rouvrant Gia et Karim venus l’encadrer. La lumière éclaire progressivement l’arrière-plan jusqu’à… …la pièce entière et de façon plus crue. Les trois interprètes adressent un regard interrogatif en direction de la technique. Mister O est en train de les fixer, les lèvres en suspens, le regard humide. Quand il se décide enfin à parler avec… sobriété. MISTER O (ton admiratif) Waoh ! 30 INT - APPART MISTER O : VESTIBULE - SOIR Gia, Karim et Nadia prennent congé de Mister O. EXT - HLM MISTER O : PORCHE – SOIR Le CALME QUI RÈGNE à l’extérieur témoigne de l’heure avancée dans la nuit. Le calme est également ce qui caractérise nos trois héros lorsqu’ils émergent du porche. Karim serre Nadia contre lui. Gia lui, avance les mains dans les poches, regard au sol, un côté gavroche. Ils arrêtent tous trois de marcher après quelques pas. Gia se tourne vers ses deux amis… …mais continue de regarder par terre, faisant rouler une balle imaginaire sous son pied, les poings ancrés au fond des poches de son baggy, la crispation de son front trahissant son tourment. Karim et Nadia se regardent, échangent un sourire amusé, puis interdits. Gia laisse échapper un SOUPIR TRÈS SONORE. GIA Bon, ils étaient où les autres ? KARIM Ben euh… Il cherche un appui du côté de la femme dans ses bras. Mais Nadia détourne la tête tout EN SE RÂCLANT POLIMENT LE FOND DE LA GORGE. KARIM (pas à l’aise) Zyno il avait un truc à régler… GIA Quel truc à régler ? KARIM Un truc à régler, quoi ! 31 GIA Ok je vois mais ça explique toujours pas pour les deux autres. KARIM Derek et Alistair ? GIA Non, Biggie et Tupac ! Bollos ! Evidemment, Derek et Alistair. KARIM J’sais pas moi. Pourquoi tu m’demandes ça à moi ? GIA Ça va j’ai compris, laisse tomber. Gia a un geste de dépit de la main et amorce un départ sur la droite. Il se ravise vite pour revenir face au jeune couple. GIA On croirait qu’y a qu’moi qu’ça fait ièch ! KARIM Sur le Coran, non. GIA (du tac au tac) Ben alors quoi ? J’pensais qu’on était un groupe. Un groupe, Karim. Tous soudés. Unis Vivre de notre rap. Nous l’rap on a qu’ça. KARIM (peu convaincu) Ouais… 32 GIA (ton léger) « Ouais » c’est tout c’que tu trouves à dire ? Nadia, i’va m’faire craquer. NADIA T’es un boss, un leader et tu l’as toujours été Gia. L’esprit du groupe, l’âme d’N’garso c’est toi ! Pas Karim, ni les Derek, Alistair ou Zyno. Moi à la rigueur, ah ah (éclats d’un rire cassé) non j’rigole. GIA (ton léger) J’espère que tu rigoles. Tu entends ce que tu dis ? Karim, on t’entend pas. T’en penses quoi ? Tu crois que je devrais songer à m’lancer en solo ? KARIM (réaction immédiate) T’es malade !!! GIA Arrêter le groupe, vous laisser tomber et tracer de mon côté ? KARIM Mais zyva arrête ça ! Nadia éclate de son RIRE RAUQUE et vient à nouveau se coller à son lascar. NADIA Ah ah, Karim a raison Gia, arrête ça. Regarde dans quel état ça l’met ! KARIM Dis wallah ? Gia tu veux arrêter ? 33 GIA Ah j’sais pas moi, t’as vu… On est trois là. Karim ne trouve rien à y redire quand soudain il pose sa main sur le ventre de Nadia. KARIM (avec entrain) Hey bientôt quatre, mec ! Gia n’a pour réaction que sa mine perplexe et éphémère : bien vite tout son visage s’éclaire. GIA Nooon… ah ah j’y crois pas ! Il attrape la main de chacun pour les entraîner vers les bancs en pierre au centre de la place. GIA (excité) Eeeh eh eh petits cachottiers, vous allez m’raconter ça. Les trois se mettent assis sur le dossier du banc en béton. Nadia au centre et Gia très attentionné pour elle. NADIA Ça va, Gia. Tu peux m’lâcher maintenant. GIA Je prends soin d’la génération future, tu permets ? NADIA (plus ferme) C’est pas pour tout de suite, d’accord ? 34 KARIM Ouais mais quand même, c’est d’ma descendance dont il s’agit. NADIA (retrouvant le sourire) Pffh, n’importe quoi. « Ma descendance », écoute-le l’autre là. KARIM (s’adressant à Gia) Tu vas voir que dans moins de deux elle va me traiter d’intégriste de merde, là. NADIA (taquine) Noon, simplement de macho. KARIM Dis wallah !? Moi macho ? Gia ? GIA …ben c’est vrai qu’parfois t’es quand même un peu lourd, Karim, enfin toi-même tu sais. Nadia éclate de RIRE, se TAPE SUR LES CUISSES. KARIM (second degré) Va t’faire foutre, Gia. GIA Merde alors, thug life, baby ! Karim et Nadia vont devenir des darons! J’aurais pas cru voir ça arriver avant que… euh… avant que… NADIA « Avant que »… ouais vas-y exprime-toi. 35 GIA Ben avant qu’on y soit arrivé. NADIA Tu veux dire avec N’Garso… GIA Ouais, qu’on brille tous ! Vous avez pas oublié. Depuis tout p’tits qu’on en rêve ! Les gars de Fresnes à Brooklyn ! KARIM Oh ça l’f’rait trop ! Et ma Nadia qui f’rait ses courses dans les magasins comme cette pute de Julia Roberts ! Nadia éclate à nouveau de RIRE. NADIA Trop d’la balle ! Comment qu’je t’viderais ton compte ! Elle SMACKe (sur) la bouche de Karim. GIA Déconnez pas ! Moi j’vous parle de New York, Baltimore, Los Angeles. Les States !!! Faut qu’ça s’fasse ! Faut qu’on brille tous ! KARIM N’garso, mec. GIA Nous l’rap on a qu’ça. 36 NADIA Eh les gars, réveillez-vous. Regardez où on vit. Dans une cité pourrie. Tous les murs sont gris. GIA Comme notre avenir si on reste ici. C’est pour ça. Faut qu’on fasse avancer tout ça. KARIM Qu’on nique tout c’système vicié, là ! Avec not’ rap de salauds, yo ! Les deux autres regardent avec amusement celui qui vient de prononcer ces mots avec un sérieux confondant. Nadia se retourne vers Gia. GIA (à Nadia) Qui sait de quoi demain sera fait ma belle. NADIA Inch Allah, t’as vu. GIA En parlant d’ça, vous savez déjà si ça s’ra un garçon ou une fille ? NADIA (racaille) Gia, c’est encore tout chaud c’t’histoire ! Sinon y-a longtemps qu’tu saurais. KARIM Ouais et pi toud’façon j’veux pas savoir avant. NADIA Pas moi. J’veux savoir avant. 37 GIA Une préférence ? NADIA Non et toi ? KARIM Ben t’as vu, on verra. Mais sinon, qu’est-ce que j’voulais dire… eh Gia, mon frère ! D’un bond, Karim descend du banc pour rejoindre Gia dans son dos. Une fois rendu à sa gauche, il passe son bras autour du cou de son ami. GIA J’te préviens Karim, si c’est encore pour m’vendre un d’tes trucs tombés du camion, oublie-moi ! Karim s’écarte de Gia. KARIM (déconneur) T’as vu comment qu’t’es ! Toud’suite. Alors que moi j’chuis là, sympa avec toi. (il revient à la charge, son bras sur l’épaule) Non écoute voilà, comme t’es un peu mon meilleur pote et que Nadia, elle est un peu comme ta sœur, et ben on a pensé tous les deux à toi comme parrain pour le p’tit. NADIA Ou la p’tite ! KARIM Alors ? Tu dis rien. 38 GIA (surpris et visiblement ému) Ben c’est que… j’sais pas quoi dire. Vous êtes marrants. Vous m’annoncez ça comme ça. KARIM Attends, parrain, tu rentres pas dans la mafia ! Tu t’la racontes Tony Montana ou quoi ? NADIA C’est Corleone, « Le Parrain ». Montana c’est dans « Scarface ». KARIM Mais vas-y, ferme ta gueule, Nadia ! NADIA Eh, comment tu m’parles, bouffon ! GIA Eh eh eh, on se calme. C’est d’accord. KARIM Ah ouais, franchement là, t’as assuré. Ils se serrent la main selon le rituel hip hop, façon rue. Nadia à son tour descend du banc pour venir prendre Gia dans ses bras. NADIA Merci. GIA Ouais ben y a pas d’quoi. NADIA Tu rigoles ! Ça lui fait super plaisir. Regardele. 39 Le visage de Karim irradie de bonheur. Tant qu’il a presque l’air (d’un) demeuré. GIA (amicalement) Cette tête !... NADIA (d’une voix ramenant à la raison) Ouais ben c’est plutôt cette tête qu’on va avoir tous les deux demain. GIA T’as cours à quelle heure ? NADIA 8 heures. KARIM (rejoignant Nadia) Ecoute là, elle. J’pars taffer tous les matins à 5 heures et elle dort encore. Revenue sous l’aile de Karim, Nadia lui donne une tape sur le ventre. Il lui répond d’un tendre bisou sur le front. GIA Vas-y Karim. Arrête de faire l’canard ! NADIA (assénant une tape plus violente que la précédente, cette fois à Gia) Mais-euh ! Gia recule d’un pas sous la poussée sans perdre son sourire taquin. Nadia resserre amoureusement. son étreinte autour de son homme qu’elle contemple 40 NADIA J’aime bien quand tu (t’)la joues lover. KARIM Dis wallah ? NADIA Sur l’Coran, Karim. Ça m’fait kiffer. Karim plonge dans ses yeux. Quand il en ressort, encore plus amoureux, il s’adresse à Gia d’un air entendu. KARIM Brother, j’pense qu’on va t’laisser si tu vois c’que j’veux dire. Sourire complice de Gia qui en guise de réponse, recule et remonte sur le banc pour s’y rasseoir. KARIM Tu restes ? GIA Mouais. KARIM Bon ben salut alors. Il s’approche du banc et à hauteur de Gia, pour un dernier salut de rue. Nadia restée à distance lui fait un petit signe de la main en guise d’au revoir, les épaules voûtées, les bras croisés serrés sous sa poitrine. Elle est parcourue d’un frisson. Rejointe par Karim, elle se blottit contre lui et il reparte bras dessus, bras dessous… sous le regard protecteur de Gia qui les observe jusqu’à… …leur entrée (à Karim et Nadia) dans l’immeuble d’en face. Gia regarde dans cette direction encore un temps, jusqu’à l’apaisement (l’esprit tranquille) quand est captée son attention. Quelque chose sur sa gauche se déplace (son regard suit lentement). 41 Une voiture de police roule au ralenti le long du trottoir. Le FLIC ASSIS SUR LE SIÈGE PASSAGER ne lâche pas Gia des yeux. Gia le fusille du regard. À travers sa vision, on suit la progression toujours lente du véhicule. Le banc largement dépassé, une dernière bravade du flic, allant jusqu’à tourner la tête pour confirmer (s’il en est besoin) sa fixation sur Gia. Jusqu’au bout, Gia soutient le regard. Le visage dur. Son corps, une masse. Voûté, replié sur lui-même mais tendu vers l’avant. Le véhicule de police s’éloigne. Gia affiche toujours la même dureté de trait. Une colère contenue. SES LÈVRES SE METTENT À PSALMODIER. DES LYRICS SORTENT DE SA BOUCHE. PAS ASSEZ FORT POUR QUE L’ON PUISSE EN PROFITER. Le voilà qui cherche fiévreusement dans les poches de son « gilet pare-balles ». Bredouille ! TOUJOURS LE FLOW VOLUME PERSO quand il se remet sur ses deux jambes fouillant le fond de ses poches. Encore bredouille ! Il enchaîne sur un demi-tour et marche à grands pas en direction de « sa » tour de béton. IL MARMONNE TOUJOURS. INT - APPART GIA : VESTIBULE / HALL D’ENTRÉE → COULOIR – NUIT La porte s’ouvre amenant brièvement l’éclairage du couloir d’immeuble dans l’entrée. Le temps pour Gia d’y pénétrer et de refermer derrière lui. Dans la pénombre, il se précipite sur la commode pour s’emparer d’un bloc-notes et d’un stylo, s’empresse d’écrire et tout en continuant de griffonner, s’enfonce dans l’appart (le couloir). Au passage devant la chambre du père, une halte. Pause stylo pour entrouvrir la porte et dans l’entrebâillement… INT - APPART GIA : CHAMBRE DU PÈRE – NUIT …distinguer dans la pénombre un corps endormi sur le lit. Tourné côté mur, immobile. Parfaitement immobile. Un SILENCE DE MORT règne dans la pièce. Gia se dirige avec appréhension vers le lit. Arrivé à sa hauteur, une première hésitation dans son inclinaison sur le corps inerte pour finalement se pencher franchement et se rapprocher… …au plus près et percevoir une FAIBLE RESPIRATION. 42 Gia alors se redresse. Expulse son stress d’UN SOUFFLE, UNE RESPIRATION et s’éloigne du lit, révélant le cadre posé sur la table de nuit. La photo représente Gia enfant, avec ses parents. On passe de Gia enfant posant à… INT - APPART GIA : CHAMBRE DE GIA – NUIT …la photo de Gia aujourd’hui, toujours en photo. Il n’y a plus qu’une personne posant à ses côtés : son vieux père. Dans la continuité, un autre cadre photo du bureau : Gia entouré de toute la bande : les blacks Derek, Alistair et Zyno, Karim… et Nadia bien sûr. Dans un 3ème cadre soudain éclairé (lampe de bureau) : INT SOIR Ces deux-là avec Gia. Atterrit sur le bureau, le bloc-notes ouvert à la page de ces quelques lignes d’une écriture empressée : (1ères lignes d’un rap relatant la venue prochaine d’un nouveau-né) Les mains de Gia apparaissent de chaque côté du bloc. La droite s’empare du stylo DÉBUT D’UNE INSTRU WESTCOAST QUI TUE - et commence à écrire à la suite des premières phrases. Remontée le long du mur couvert de posters de 2pac. Enchaînement sur Gia : travail inspiré à la table, penché sur l’ouvrage (rem : n’a même pas pris le temps de se changer) EXT - IMMEUBLE GIA – NUIT SUITE INSTRU WESTCOAST La façade de la tour sombre est « trouée » de plusieurs cases lumineuses (les fenêtres). Plus près. Plusieurs fenêtres passent au noir. Encore plus près. L’opération « extinction des feux » se poursuit devant nos yeux jusqu’à ce qu’il n’en reste plus qu’une éclairée. 43 INT - APPART GIA : CHAMBRE DE GIA – SOIR SUITE INSTRU WESTCOAST Gia, toujours absorbé par son « devoir » sur table, écriture fiévreuse et imagée, RAPPE LES MOTS QU’IL COUCHE SUR LE PAPIER (MAIS PAROLES COUVERTES PAR L’INSTRU) ! EXT - IMMEUBLE GIA - NUIT AUBE SUITE ET FIN INSTRU WESTCOAST Le jour se lève progressivement en même temps que la lumière revient derrière plusieurs fenêtres autour de celle qui a « brûlé » toute la nuit. INT - APPART GIA : CHAMBRE DE GIA – AUBE Gia est tombé en arrière sur sa chaise, nez au plafond. La bouche entrouverte émet un RONFLEMENT À PEINE AUDIBLE. Plusieurs feuilles noircies de l’écriture rap sont détachées du bloc et éparpillées autour de celui-ci. EN SURIMPRESSION INT & EXT – CITÉ « LES GROUX » – DIVERS RETOUR AU DÉBUT DE L’INSTRU WESTCOAST + LYRICS DE GIA (OFF) PAROLES ET FLOW SYNCHRONES AVEC CE QUI PASSE À L’ÉCRAN SÉQUENCE-CLIP : SUCCESSION DE SCÈNES DE LA VIE QUOTIDIENNE DE GIA Plan(s) d’entraînement de Gia à la salle de boxe Plan(s) de Gia traînant dans le quartier avec les potes Plan(s) de Gia en répèt au home studio Plan(s) de Gia disputant un match de foot en salle 44 Plan(s) de Gia « posé » dans le quartier avec les potes Plan(s) de Gia en répèt au home studio Plan(s) de Gia disputant un match de basket de rue EXT - CÉLÈBRE BOÎTE DE NUIT PARISIENNE : ENTRÉE - SOIR SUITE DE L’INSTRU WESTCOAST + LYRICS DE GIA (OFF) PAROLES ET FLOW SYNCHRONES AVEC CE QUI PASSE À L’ÉCRAN Gia et tout le crew se font refuser l’entrée : le premier parlemente, argumente avec LE PHYSIO dont les mouvements de déni de la tête nous le montre obtus. les autres, et parmi les plus démonstratifs Karim, s’en retournent, des gestes d’abandon de la main, la mine dégoûtée. INT – LE BAFANA (CLUB HIP HOP) - SOIR SUITE DE L’INSTRU WESTCOAST + LYRICS DE GIA (OFF) PAROLES ET FLOW SYNCHRONES AVEC CE QUI PASSE À L’ÉCRAN EFFET RENDU SONORE : AMBIANCE HIP HOP DU LIEU La boîte est bondée, en majorité DES BLACKS. Gia est laissé en plan par DEUX JEUNES FILLES, DES BOMBES, UNE BLACK ET UNE REBEU. GIA (rayonnant) Non mais rev’nez !... Eeh !... La joyeuse bande lui tombe dessus, Derek s’accrochant à son cou de tout son poids pour faire plier son pote charriée à mort par toutes et tous. 45 INT - APPART GIA : CHAMBRE DE GIA - AUBE Gia émerge de son somme. FIN DU RAP (FADE). Il ouvre les yeux pour découvrir son père, Francesco Gianelli, en train de lui parler. L’OUÏE ENDORMIE DE GIA ne lui PERMET PAS D’ENTENDRE LES PREMIERS MOTS PRONONCÉS par le vieil homme propre sur lui. Jusqu’à encore peu, solide gaillard, aujourd’hui, muscle fondu, traits tirés, fatigués, mais l’expression faciale gentille bien que dans le regard, une certaine absence : FRANCESCO GIANELLI (…) il t’attend dans la cuisine. Le padre fait demi-tour direction la sortie. Gia, pas encore tout à fait réveillé, tend le bras dans le vide comme pour l’attraper et le retenir. GIA (voix pâteuse) Mmh attends, papa. Qui ça m’attend dans la cuisine ? Le vieux se retourne, la main déjà sur le chambranle de la porte. DÉBUT D’UNE MUSIQUE À SUSPENS. Il revient vers Gia à petits pas. Celui-ci le regarde revenir vers lui avec une certaine appréhension. Inconsciemment, Gia rentre les épaules et se penche progressivement en avant, rejoint par l’ancêtre qui prend une des feuilles sur le bureau. Gia ne bronche pas et au contraire semble attendre le verdict avec circonspection. Au bout de quelques lignes, Francesco relève les yeux sur leur auteur pour lui adresser un sourire paternel. Gia lui renvoie timidement cette marque d’affection. Puis plus franchement. ENVOLÉE LYRIQUE DE LA MUSIQUE. FRANCESCO GIANELLI Y-a une faute à (choisir mot dans texte rap – voir page 44/45) 46 LA MUSIQUE RETOMBE. MONTE UNE MUSIQUE AU TEMPO PLUS RYTHMÉ. Le père lâche la feuille qui retombe AU RALENTI sur le bureau et sous le regard incrédule de Gia. TOUJOURS AU RALENTI, le père fait demi-tour et s’en va rejoindre la porte. Arrivé à sa hauteur : GIA (off) Euh Pa’… FIN DU RALENTI. Le père stoppe sa progression et suspend son action de passer la porte - LA MUSIQUE MARQUE UNE PAUSE – juste le temps de lui répondre de dos : FRANCESCO GIANELLI C’est ton conseiller. Ton conseiller t’attend dans la cuisine. LA MUSIQUE REPART GIA (« à la rue ») Hu, mon conseiller… ? Dans le passage de la porte au couloir : FRANCESCO GIANELLI (dans l’éloignement) NPE Gia reçoit cette dernière info de plein fouet, son visage en état de choc : les yeux ronds. AU RALENTI, le père passe la porte pour disparaître dans le couloir. Gia se dresse d’un bond sur ses deux jambes. Il ôte son tee-shirt vitesse grand V. 47 INT - APPART DES GIANELLI : CUISINE - PETIT JOUR FIN (CUT) MUSIQUE AU TEMPO RYTHMÉ / THEME ACTION Assis à la modeste table en formica, Momo jette un regard circulaire autour de lui : la vaisselle sale (une pile) accumulée dans et à côté de l’évier, la poubelle « dégueulante » de déchets domestiques, les nombreuses bouteilles vides qui jonchent le sol et enfin sur la toile cirée bon marché. Le père fait son entrée et s’installe en face de Momo. FRANCESCO GIANELLI Aaah (soupir de fatigue et de satisfaction) Il arrive. Il saisit la bouteille dans laquelle il reste encore du vin et tend le bras pour la pencher au-dessus du verre de son invité. MOMO Non ! (la main fait barrage au-dessus du verre) Le père fige net, le geste en suspens, l’air interdit. MOMO Hier encore j’aurais pas refusé. Mais depuis que le médecin est passé par là… FRANCESCO GIANELLI (ramenant la bouteille à lui) Ah !... Il se sert à ras bord, tout sourire édenté, la tête soudain prise de secousses droite gauche. Momo observe l’action à en plisser les yeux, des ridules d’inquiétude sur son front. 48 MOMO Monsieur Gianelli, il est pas un peu tôt là pour commencer ? Toujours gai, Francesco Gianelli PLAQUE LA BOUTEILLE SUR LA TABLE et lève son verre à la santé du conseiller. Il le vide d’une traite et le TAPE SUR LA TABLE. Comme un signal – REPRISE THEME ACTION - pour Gia qui surgit speed (il porte les mêmes sapes que la veille), sac de sports accroché à l’épaule. Haro sur le frigo. Momo se lève et se rapproche de Gia en plein p’tit déj’ express. Mode d’emploi : 1. des granulés de chocolat en poudre (boîte sur le frigo), s’enfourner (plein la bouche) 2. avec une bonne gorgée de lait (porte du frigo), mélanger 3. ses joues gonfler en guise de shaker (BRUIT DE BOUCHE CARACTÉRISTIQUE) Les yeux ronds, les joues rondes, Gia relève la tête du garde-manger pour tomber PAUSE DANS LE « SHAKER » SILENCE - nez à nez avec son conseiller. L’effet de surprise (dû à la proximité nez à nez) passé, il avale sa boisson chocolatée improvisée. Momo s’apprête à parler, commence pour ça à entrouvrir la bouche, quand il est bousculé par Gia qui se dirige vers la table, plonge la main dans le paquet de céréales pour en ressortir une poignée et se la fourrer aussi sec dans la bouche. S’ensuit le même rituel : une bonne rasade de lait pour faire passer. Pas une seconde de plus ! Gia quitte la pièce précipitamment. Momo a à peine le temps de s’écarter pour lui laisser le passage. MOMO Attends… Il reste désemparé dans l’encadrement de la porte donnant sur le couloir. ON ENTEND LA PORTE BLINDÉE S’OUVRIR ET SE REFERMER AUSSITÔT EN CLAQUANT – FIN (CUT) THEME ACTION. Il tourne la tête en direction du père. Celui-ci a l’air hagard, main veineuse sur le verre, tête légèrement orientée en direction du couloir, encore interpellée par le claquement. INT - SALLE DE BOXE – JOUR Un grand espace : des JEUNES s’entraînent sur les rings et en dehors. 49 Certains au saut à la corde d’autres aux abdos, seuls ou à plusieurs. Momo fait son entrée, s’avance dans le lieu, les yeux baladeurs. Il effectue quelques pas en direction d’un des rings et s’arrête à niveau. FAOUZI, un « grand » à la peau mat est occupé à entraîner deux « petits » : un black, MAMADOU et un beur, MOHEDINE. Momo s’adresse brièvement à Faouzi. Celui-ci tend le bras en direction d’un des coins de la salle. Direction adoptée par le conseiller jusqu’à Gia qui FRAPPE SUR UN SAC DE SABLE. De la puissance se dégage de chacun de ses coups. Concentré sur l’action, il ne sent pas venir Momo qui se rapproche dans son dos et reste quelques secondes à l’observer sans signaler sa présence. Finalement : MOMO J’aimerais pas être à sa place. Gia STOPPE NET DE BOXER. Il ferme les yeux, s’endurcit un petit peu plus encore et REPREND L’ENCHAÎNEMENT DES COUPS, LA RAGE RAJOUTANT DE LA VIOLENCE À LA PUISSANCE. Le conseiller vient se positionner dans son champ de vision. Jusqu’à tenir le sac ! MOMO Si seulement tu mettais autant de rage à trouver un emploi… … J’ai peut-être trouver une formation pour toi, tu sais ça ?... … Non, tu sais pas… Comment tu pourrais… Ça fait 3 semaines que je n’te vois pas !... Gia reste impassible. Peut-être INTENSIFIE-t-il juste LA CADENCE ET L’IMPACT DE SES COUPS… MOMO … Au fait, inutile de te dire que tu as perdu tous tes droits en laissant traîner les choses… La NPE t’a radié et pour la formation que tu veux faire, la prise en charge suppose le statut de demandeur d’emploi. 50 Résultat : tu l’as dans l’baba ! À moins que tu ne prennes rendez-vous avec l’Agence et que tu expliques les raisons de ton silence radio… Ça n’est pas moi qui vais pouvoir accomplir cette démarche à ta place… (long silence rythmé par les coups de Gia qui ne faiblissent pas) …Mh, tu m’prends pour un vieux ringard, c’est sûr, ou aut’ chose… Un original, à côté d’la plaque… Ouais, t’as p’t-êt’ raison. C’est p’t-êt’ moi qui suis con de m’accrocher, de croire que t’insérer je l’puis comme dirait l’autre… Un sourire furtif et un LÉGER CONTRETEMPS DANS LA « MUSIQUE » DE L’ENCHAÎNEMENT DES COUPS CHEZ GIA. Il se dirige vers un punching-ball suspendu et commence à mouliner. MOMO Ah-aaah !... Serait-ce une esquisse de sourire, jeune jedi ?... Aaah mon vieux Maurice, tu tiens l’bon bout. Au fait, je m’appelle Maurice mais tu peux m’appeler Momo… (il tend une main qui reste sans receveur) Ouais... ça m’aurait étonné… Momo reste à l’observer en silence, l’œil malin. Il s’active, passe dans le dos de Gia. Se retrouve de l’autre côté puis en face. Là, il reste à le fixer jusqu’à ce que : GIA (assénant très fort un dernier coup de poing) Quoi ! Tu vas m’tourner longtemps autour comme ça ? (face-à-face) T’es un d’ces dèp ? MOMO Johnny ? Gia fronce les sourcils, perturbé par la question. 51 GIA T’es fou, en fait… (pointant son doigt sur le front de l’adulte) bientôt la r’traite ! Gia se détourne, ainsi rompt le face-à-face, pour s’orienter vers un punching-ball sur pied. Il se remet à boxer mais cette fois en tournant tout autour. Momo, encore lui, ne tarde pas à venir rôder dans les parages. MOMO …des blanches ou des vaches ? Gia suspend à peine son jeu de jambes pour jeter un regard noir… au vieux dingo qui l’observe en souriant. Gia reprend de plus belle, virevolte autour du ballon de cuir avec une aisance à la Sugar Ray : confondante et redoutable. Momo en fait de même en sens inverse, histoire d’être toujours plein axe dans son champ de vision. Au bout de quelques tours de ce ballet sportif : MOMO T’as du style, Sugar. Gia toujours en jambes, lève les yeux au ciel sans perdre le RYTHME DES COUPS PORTÉS PAR ENCHAÎNEMENT. La coordination est parfaite et la synchronisation des deux déplacements toujours de haute tenue. MOMO Tu m’rappelles moi quand j’avais ton âge… GIA La boxe existait déjà ? MOMO Bien joué ! 1-0 52 GIA (flow saccadé par les sautillements) Pas la peine de compter les points ! À ce jeulà, j’te mets k.o, 10-0… Gia s’arrête, récupère une serviette accrochée à l’échelle et… en passant à côté du conseiller : GIA (moqueur) …Momo ! Il rabat la serviette sur son épaule et s’éloigne vers le centre de la salle. Après un temps, Momo lui emboîte le pas. MOMO (voix portée) Moi aussi je croyais au style… J’avais besoin de ça pour survivre ! Toi Luke, qu’est-ce qu’i’t’fait survivre à part le style ? Gia passe une porte dans le mur qui longe les rings. Quand elle se referme, on peut lire « Vestiaires ». À l’arrêt, Momo continue de regarder à cet endroit. MAMADOU (petite voix d’enfant) Pourquoi vous l’appelez Luc, monsieur ? Momo tourne et lève la tête vers la source. Les 3 jeunes à qui il s’était adressé en arrivant, sont alignés sur le ring. Faouzi réprimande Mamadou d’une TAPE DERRIÈRE LA TÊTE. FAOUZI (à voix très basse) Vas-y toi, qu’est-ce tu lui parles ! 53 MOMO (amusé) Un truc entre nous. MOHEDINE Le rap, M’sieu. Momo tourne la tête vers le second bout d’chou. MOMO Pardon ? MOHEDINE (sous le regard noir de Mohedine) Le rap, M’sieu. Gia et ses sosses, i’z’ont qu’ça. Une lueur d’intérêt chez le conseiller. MOMO Voyez vous ça. FAOUZI Ram’nez-vous c’soir au Bafana. Et vous (les) verrez ! Momo hoche inconsciemment la tête, un sourire discret et les yeux qui brillent déjà. INT - SALLE DE BOXE : VESTIAIRE – JOUR La PORTE D’UN CASIER SE REFERME VIOLEMMENT et un POING S’ABAT DESSUS, marque de la grosse colère d’un certain Gia. Debout entre banc et rangée de casiers, il redonne un COUP DE POING DANS LA PORTE et finit en collant son front sur le métal. 54 EXT - LE BAFANA - SOIR Le profil de Gia est remplacé par celui d’une FEMME D’ÂGE MÛR et la surface métallique en contact avec le front par une ÉNORME MAIN NOIRE qui agit en repoussoir. UNE FAN DE METALLICA comme en atteste le patch cousu dans le dos de la veste en jean, ajustée tout comme le pantalon. LE PHYSIO, une armoire à glace noire comme l’ébène, fait barrage de sa main à la volonté insistante d’entrer tête baissée de la hardos. Finalement c’est elle qui rompt la première, recule à contrecoeur. Elle n’a pas l’air bien dans sa tête, à piaffer comme elle le fait ! Et LES AUTRES AUTOUR ne font que rajouter : passant le barrage sans la moindre difficulté, leurs sourires moqueurs la narguent. Parmi eux, Chris (« Biggie ») fait son numéro. CHRIS (plus efféminé que jamais) Mais qu’est-ce qu’elle a celle-là ! Ici c’est réservé aux b-boys et aux tass’ au boul’ comme aç ! « Elle » CLAQUE À PLEINE PAUME SUR LES FESSES REBONDIES D’EBONY, beauté black et charnelle. EBONY (colère feinte, la tête ondulant de droite à gauche) Eeh Chrissie ! Tu vires ta cuti ? ou c’est juste pour amuser la galerie ! Chris, entouré d’un auditoire compressé (Francis, Lenny et les autres blacks de son crew, les jeunes de la salle de boxe : ceux reconnaissables, les Faouzi, Mohedine, Mamadou) exulte : CHRIS (les yeux ronds comme des billes) Houuh… d’J-Looooo… (tourne la tête vers sa « cour ») Sans transition, il éclate d’un RIRE ÉNORME, le communiquant à son entourage, emportant jusqu’à Ebony aux lèvres pulpeuses. 55 Toute la clique rentre à l’intérieur. Elle, bras dessus, bras dessous avec Chris qui la retient le temps d’un regard sans équivoque au videur. Le videur reste stoïque et Chris est vite entraîné à l’intérieur par la conviction de la J-Lo black. Avant de disparaître définitivement : CHRIS (pointe du doigt la fan de Metallica hors champ) Et toi… va t’laver les ch’veux ! Il repart à RIRE. Il n’est plus là. INT - LE BAFANA – SOIR L’AMBIANCE HIP HOP bat son plein. Le SON DÉCHIRE et il y a FOULE DANS LE CLUB. On suit la p’tite troupe se frayant un chemin jusqu’aux devants de la scène. Une fois les premiers rangs atteints, toute la clique se met à jumper en cadence, les bras en l’air. Sur scène (une petite estrade), UN DJ SCRATCHE DU PUR ET LOURD : le FINAL DE (son) FREESTYLE. Il enchaîne sur un NOUVEAU BEAT. qui fait encore monter la température de plusieurs degrés dans la salle : PUBLIC DÉCHAÎNÉ, AMBIANCE SURCHAUFFÉE. En provenance backstage, les membres du groupe N’garso déboulent sur la scène. Sans temps mort, les Gia, Karim, Derek, Zyno et Alistair occupent la scène, facile. Le devant pour lâcher le PREMIER FLOW en tapant dans les mains des premiers rangs. Au fond, accoudé au bar, le conseiller Momo est là. Dans ses yeux, ça pétille et la tête bouge ! Là-bas, sur la scène, c’est de la pure démonstration du savoir-faire hip-hop des 5 jeunes au style cainri. QUELQUES MINUTES ET QUELQUES TITRES PLUS TARD MORCEAU DE N’GARSO RÉPÉTÉ AU HOME STUDIO DE MISTER O (voir page 29 / 30) N’garso assure toujours. Derek, Zyno et Alistair sont en retrait, têtes baissées dans l’ombre, laissant la vedette aux 3 autres. Nadia les a rejoint pour le REFRAIN. On 56 « arrive » sur les dernières secondes chaleureusement la fin de la chanson d’interprétation. Des CRIS saluent et du concert (le groupe quitte la scène). Le PUBLIC TAPE DANS LES MAINS, HURLE, SCANDE LE NOM DU GROUPE. Le DJ toujours derrière ses platines lance un PUR INSTRU WESTCOAST. On retrouve nos rappers qui émergent d’une porte latérale à la scène. Ils se déplacent parmi leur public. On leur tape sur les épaules. Ils répondent aux mains levées en distribuant les CLAQUES DANS LES PAUMES. La petite procession parvient à atteindre le bar pour se masser au comptoir et passer commande à l’un des BARMEN. Du coin de l’œil, Gia remarque quelqu’un assis non loin. Sa bouteille de coca à la main, il rejoint Momo, s’adosse, les coudes sur le zinc. Boit une gorgée en regardant devant lui. GIA Vous ici ! Quelle surprise. MOMO Ce sont eux ! (signe indicateur du pouce dans son dos) FAOUZI est en train de danser sur la piste avec UNE BÊTE DE MEUF. Mohedine danse seul tout comme Mamoudou. Gia sourit, toujours aussi charismatique. GIA (se tournant pour la première fois vers son voisin) ??? (réplique à écrire) voir avec Deka, Mam Momo ne répond pas mais focalise toute son attention sur Gia, qui regarde à nouveau la piste, sourit, secoue la tête et se tourne pour s’accouder au bar. Il rentre les épaules, incline la tête qu’il secoue d’un côté, l’autre. La relève pour regarder à nouveau le conseiller. Ses yeux tombent sur le verre vide de Momo. GIA Vous vous la réglez là ou quoi ? 57 MOMO la… la régler ? Il prend son ticket et commence à le lire. Gia le lui prend des mains et interpelle le barman qui les a servi. GIA Steph, enfoiré ! Tu fais payer mes guest maintenant ! (il fourre la note dans la pochecœur du barman, un beau métis) STÉPHANE Il m’a rien dit. Je pouvais pas d’viner. GIA Ben maintenant tu sais. MOMO (gêné) Non mais attendez… Gia l’arrête, main en opposition. GIA (sans regarder Momo, fixant toujours le barman) Tu r’prends quoi ? Stéphane sourit à Gia en secouant la tête. STÉPHANE Ah… putain Gia, t’es gonflé. Gia attend mais aucune réponse ne vient. GIA Oh M2O, tu r’prends un truc à boire ? C’est la maison qui offre. 58 MOMO Oh… c’est que j’voudrais pas… GIA Allé, vas-y c’est bon. Mets-lui la même chose. Stéphane lève les yeux au ciel et repart. GIA Et c’est pas la peine de tchiper, là. [scène à travailler avec Mam & Deka / travail de retranscription après mise en situation] lui annonce que peut avoir une salle sur Paris conclusion INT - HOME STUDIO MISTER O - SOIR Gia, Karim, Derek, Alistair et Zyno sont assis, cool. (ask Deka / Mam comment sont quand enregistrent à Châtelet) GIA Bon alors avant de commencer, j’ai un truc à vous annoncer. Karim lève immédiatement les yeux de sa feuille pour les poser sur Gia. Quand aux 3 autres : 2 stoppent leur discussion. Le 3ème lève la tête de son portable. GIA Alors voilà. Le gars avec qui vous m’avez vu discuter hier soir, ben i’s’trouve qu’il a moyen d’nous pécho une salle sur Paris. Karim ferme les yeux et baisse la tête en soufflant. Les 3 autres restent sans réaction. 59 MISTER O (off) Shiiit !... Toutes les têtes se tournent vers la gauche. Mister O est figé, casque à la main. DEREK (off) Attends,... Le big popa, avachi sur sa chaise, revient sur Gia. DEREK Si j’comprends bien, l’daron c’est un prod. ALISTAIR (lumineux) Nooon… Il tape dans les mains de Derek. ZYNO (off) Vas-y… (corps vers l’avant sur sa chaise) …explique. Gia sourit. GIA Ho, les mecs ! C’est pas un prod, d’accord ? KARIM Ben c’est quoi alors ? GIA Mh ! « C’est quoi » ? D’après toi ? 60 KARIM (rigolard) C’est un daron ! J’chais pas moi ! ZYNO (sérieux) Oh la. C’est quoi ça ! On va pas y passer 10 plombes ! DEREK Il a raison. Calcule pas l’aut’ touareg, là ! ALISTAIR (écroulé de rire) Hou hou hou… KARIM Qui est-ce que tu traites de touareg ! Personne ne fait attention. KARIM (bas et à Derek) Cafard ! GIA (hésitant) C’est… un gars qui bosse pour le gouvernement. ZYNO C’est quoi ça le gouvernement ? J’te jure des fois t’es trop cainri. DEREK Ouais en fait c’est l’Etat. ALISTAIR C’est un fonctionnaire, quoi. 61 Il éclate de RIRE et présente sa main paume en l’air à son voisin de droite, Derek, qui TAPE dedans. GIA Si vous voulez, mais qu’est-ce que ça change ? Qu’il bosse pour Death Row, Bad Boy, fuck ! I don’t give a shit, men ! Karim ricane dans sa barbe. GIA Et toi l’blédard, qu’est-ce qui t’fais rire ? ZYNO Mais ouais, laisse tomber lui. ALISTAIR C’est vrai ça, qu’est-ce qui t’arrive ? DEREK Oh Tonton ! KARIM (irrité) Mais cassez-vous ! Sur l’Coran ! On peut plus rigoler maintenant ? GIA Ouais mais là c’est du sérieux, tu comprends ? Gia garde son sérieux. Karim cligne des yeux dans un SILENCE DE MORT. Il tourne la tête à droite. DEREK & ALISTAIR (avachis en arrière dans leur chaise) Eh ouais mec. 62 Il détourne à gauche pour y voir un Zyno 100% sérieux. KARIM (à Gia) Dis wallah ? Gia éclate de RIRE en même temps que les 3 autres. Jusqu’à Mister O qui retrouve vite ses esprits pour relancer sur le sujet. MISTER O (se roulant un joint de taille honorable) Et donc alors peu importe ton gars, là. La salle, tu l’as vu ? GIA Non, j’l’ai pas vu. Il m’en a parlé que hier soir. MISTER O Tu sais au moins de quelle salle il s’agit ? GIA NPE Spectacles… KARIM Hein !? NPE ? T’es malade ! DEREK Tu nous vois aller pointer ? ALISTAIR Au guichet rap ! ZYNO Ces enfoirés ! J’ai même pas droit aux Assedics… 63 KARIM Mais ouais, vas-y ! Moi j’m’en fous, j’ai pas la carte ! Gia baisse la tête en soufflant. Mister O repart d’un RIRE HEUREUX. MISTER O Non non non, détendez-vous. (il allume le oinj et tire dessus : voix nasale) Putain c’est d’la bonne ! KARIM Ben vas-y O, fais tourner ! Il se lève et vient jusqu’à O pour goûter. DEREK (à Karim) Alors ? GIA Alors vous n’avez pas laiss… DEREK (toujours fixé vers Karim) Attends GIA …é finir… KARIM (voix nasale) Elle… déchire ! ZYNO Mais alors vas-y, ‘ros, ramène ça ! 64 ALISTAIR T’es un enfoiré Karim ! Passe le oinj ! MISTER O Eh mais oh ! (il retient Karim par le bras) C’est pas un coffee shop ici ! Il reprend son bien. DEREK Mister O t’es un ouf ! ALISTAIR Un rat tu veux dire ! ZYNO Ben tu sais quoi ? Va t’faire… GIA (tandis que Zyno termine de s’adresser à Mister O en silence) Eh les mecs c’est quoi c’Bronx ! C’est pas un coffee shop ! C’est un ch’nil ! Karim revient à sa place. KARIM C’est ça, traite-nous d’chiens d’la casse pendant qu’t’y es ! GIA (en colère) Karim !!! KARIM (se faisant tout p’tit) Vas-y pourquoi tu t’énerves. 65 DEREK Bon alors quoi ! C’te salle, t’accouches ! ALISTAIR Ouais, tu vas lâcher le morceau ? ZYNO Vas-y annonce ! GIA (à Mister O) Vas-y toi. Moi j’peux plus ! MISTER O (zen) Oooh faut pas t’mettre dans cet état ! Reste cool, Gia. Reste coool (il éclate d’un rire désordonné) GIA Ok d’accord, j’ai compris. Bon vous m’écoutez ou vous préférez continuer à fout’ le dawa ? KARIM (voix de stentor) On fout l’dawa ! Gia bondit de sa chaise sur Karim. GIA Putain ! LES 3 BLACKS Oh oh oh Gia commence à savater Karim au sol. Il est vite maîtrisé par les autres membres du groupe. 66 DEREK T’es och ! Il est ‘chiré. Regarde. Karim est plié en deux par terre mais de RIRE. GIA (à Mister O) Va t’faire foutre Mister O ! C’est quoi cette merde que tu fumes ? Mister O est mort de RIRE. Les 3 blacks à leur tour. Reste Gia qui craque enfin et relève Karim. GIA Allé, gros. J’m’excuse. À PEINE PLUS TARD… Tout le monde assis. Karim, un verre à la main dont il avale le contenu en grimaçant. ALISTAIR Voilà ! C’est bien. DEREK (à Gia) Donc si j’résume c’que tu viens d’dire, on fixe une date, on voit si la salle est libre à cette date et c’est tout ? GIA C’est tout sauf qu’une fois la date confirmée c’est du taf ! Entre les répèts, l’organisation, la promo ! ZYNO C’est tout pour not’gueule ? 67 GIA On peut dire ça. SILENCE MISTER O (gêné, à la main, un mug décoré d’une caricature de Bob Marley) Ouais… GIA Je l’savais et j’ai dit non. J’ai bien fait à voir vot’ réaction. Derek se réveille. DEREK What !!! ALISTAIR (léger) T’as très bien entendu, DK. Ce G a pas confiance ! ZYNO (à Gia) Hey mec ! Ecoute-moi bien. Les répèts, tu peux les fixer, j’y serai ! La promo, les gars d’N’garso, ils assurent ! Alors tu vas rappeler ton gars, là. Et tu vas lui dire que c’est ok pour moi et tous mes sosses du tiéquar’. On s’ra là pour fout’ le dawa ! La téci monte à Paris. Gia affiche un sourire de réconfort. KARIM Moi tant qu’j’chuis pas tout seul à coller les affiches. 68 Le reste de l’assemblée éclate de RIRE. À PEINE PLUS TARD… DÉMARRAGE D’UN BEAT SYNCOPÉ PROPICE À POSER UN FLOW GIA (en mode intro parlée) Ok… bon là c’est l’histoire d’un gars qui vient d’sortir de prison… EXT - PRISON DE FRESNES : SORTIE – JOUR SUITE BEAT SYNCOPÉ PROPICE À POSER UN FLOW SOFRANE, un jeune black au visage dur passe la porte de la prison dans le sens sortie. Il reste sur le trottoir et regarde durement à droite, à gauche. SOFRANE (over) (suite texte rap) à retranscrire INT - HOME STUDIO MISTER O – SOIR SUITE BEAT SYNCOPÉ PROPICE À POSER UN FLOW SOFRANE (over) 3 piges que j’chuis coincé dans c’bordel à 4 murs… N’garso sans le N en configuration rap session. Par la fenêtre du « studio »… 69 EXT - CITÉ « LES GROUX » - JOUR SUITE RAP SOFRANE (OVER) retranscrire …jusqu’en bas dans la cité où un bus dépose Sofrane et son allure de jeune caïd. Le bus redémarre et son ex-passager reste un court instant sur place, regard circulaire sur le quartier : tout est CALME. R.A.S. À part qu’il semble reconnaître quelqu’un à en juger son signe de tête et le fait qu’il se dirige vers… DEUX BLACKS en planton dont un va à sa rencontre. Salut de rue. Libass (!) présente ALI au revenant Sofrane. INT - CHÂTELET / FORUM DES HALLES : PLACE CARRÉE – JOUR SUITE RAP SOFRANE (OVER) retranscrire Gia, démarche affairée, portable à l’oreille. INT - NPE : BUREAU DU CONSEILLER – JOUR SUITE RAP SOFRANE (OVER) retranscrire Momo à l’autre bout du « fil ». Il semble ravi. Assis en face de lui, un JEUNE PUNK fatigué. NOIR ÉCRAN INT - PARKING SOUTERRAIN – SOIR SUITE RAP SOFRANE (OVER) retranscrire Ouverture d’un coffre sur le visage de Sofrane. Dans le coffre, des sachets de poudre blanche jusqu’à cette couleur PLEIN ÉCRAN. 70 EXT - PARKING SOUTERRAIN – JOUR (ASK DEKA / MAM IF EFFET LOGIC) SUITE RAP SOFRANE (OVER) retranscrire Une voiture de luxe type Mercedes sort du souterrain. On est dans… la cité des Groux. Peu de temps après, sort Sofrane, un sac de sport bien rempli à bout de bras. Il croise des JEUNES DU QUARTIER en train de distribuer des tracts. INT - PHOTOCOPIEUSE : À LA SORTIE DES FEUILLES – JOUR SUITE RAP SOFRANE (OVER) retranscrire De nombreuses photocopies sur papier couleur annonçant le concert d’N’garso sortent à la chaîne et s’accumulent. INT - LIEU SECRET – JOUR SUITE RAP SOFRANE (OVER) retranscrire Des petits sachets blancs sont déversés sur une table en bois brut. EXT - RUES DE PARIS – JOUR SUITE RAP SOFRANE (OVER) retranscrire Les membres du groupe négocient pour placer les affiches maison annonçant le concert avec DIFFÉRENTS COMMERÇANTS et avec plus ou moins de succès. EXT - CITÉ « LES GROUX » - JOUR SUITE RAP SOFRANE (OVER) retranscrire Une JEUNE FILLE échange quelques billets contre un petit sachet blanc. Dans le rôle du dealer : Libass. 71 EXT - RUE DE PARIS - CRÉPUSCULE SUITE RAP SOFRANE (OVER) retranscrire Distribution de main à main du tract du concert. Gia vérifie auprès de Karim et Nadia, qui distribuent en binôme, ce qu’il leur reste de flyers. A l’arrière-plan, les 3 blacks de N’Garso en pleine action. INT - CITÉ « LES GROUX » : VOITURE - NUIT SUITE RAP SOFRANE (OVER) retranscrire Les billets remplacent les tracts dénombrés. La liasse est entre les mains de Sofrane. Une part est remise à Ali, ici assis derrière le volant. À son tour, Ali ponctionne quelques billets pour les tendre aux deux jeunes caillera assis à l’arrière (le sieur Libass et un des « ses » renois : le sieur Vernon). Le duo de petites frappes s’empare des euros et les fourre illico presto dans les blousons. Sofrane rallume la liseuse au-dessus du rétro central… INT - SALLE DE CONCERT - SOIR SUITE RAP SOFRANE (OVER) retranscrire …Un projecteur suspendu s’allume à pleine intensité. Au sol, bord scène, Gia donne ses directives éclairage au TECHNICIEN DU LIEU. Le reste du crew reconnaît la scène, Mister O aux platines ! Côté salle, les GROUPIES sont de la répèt ! L’UNE D’ENTRE ELLES, boul’ d’enfer, se lève de son siège. Démarche chaloupée… EXT - CITÉ « LES GROUX » - NUIT SUITE RAP SOFRANE (OVER) retranscrire Reprise dans la continuité du déhanché sur une autre créature, une PUTE que nous prenons en « filature ». Dans une ruelle, elle se déplace sur talons hauts et jupes filées, entre D’AUTRES comme elle, adossées contre la paroi tôlée. Elle, est accompagnée d’un CLIENT. À la sortie du boyau, le « couple » bifurque à gauche sur quelques pas jusqu’à une portière que l’homme ouvre. 72 Une fois assise côté passager, la pute replie ses jambes gainées résille dans la caisse. La portière se referme sur elle. Le « consommateur » fait le tour du véhicule. Le temps de découvrir le visage de la prostituée, une très jeune fille typée et de son « chauffeur », profil du jeune cadre dynamique. Le luxueux bolide démarre et fait le tour du fameux terre-plein central entre les tours de béton. Au loin, le véhicule croise une autre jeune fille. AU RAP DE SOFRANE SE SUBSTITUE PEU À PEU UN RAP INTERPRÉTÉ PAR NADIA Qu’on identifie plus près, en conversation téléphonique kit main libre ! LE RAP PASSE EN FOND SONORE. NADIA Attends Elle fige sur le passage de la 4 roues et de ses deux occupants. Son visage exprime l’inquiétude en lien direct avec ce qu’elle vient de voir. Elle reprend pourtant sa marche. NADIA Ouais excuse-moi, mais y avait un truc chelou, là. Euh… ouais ben ouais sinon j’ai… (dial / taf pour la promo du concert) Attends, Gia. J’te rappelle. Mohedine fait le pet devant l’entrée de la tour où logent Nadia et Karim. Nadia RETIRE LES ÉCOUTEURS DE SES OREILLES. SON RAP (FADE CUT) Le minot a l’air embêté de cette rencontre. NADIA Putain !... (à écrire vrai) C’est quoi ça !? Qu’est-ce que tu fous dehors à c’t’heure-ci ???... (silence en face) Hein ?... Oh ! Mohedine est tétanisé. Derrière lui, la porte vitrée et derrière, Sofrane encore en biz chelou avec Libass et ses deux acolytes : Vernon et Mike. Nadia se décompose cash en apercevant les bad guys. 73 Libass indique à Sofrane la présence de Nadia à l’extérieur. Sofrane se retourne sans stress, affiche vite un sourire qui lui donne un air antipathique. Il interrompt là son biz, passe les portes et vient à la rencontre de Nadia. SOFRANE (ouvrant les bras) Nadia… NADIA (tendue mais forte) Sofrane. SOFRANE (mettant les mains sur les épaules du p’tit Mohedine) Tu fais connaissance avec ma dernière recrue. NADIA J’crois pas, non (elle attrape le p’tit) Viens là Moulé. Elle retourne Mohedine vers elle et le tient fermement par les deux bras. NADIA Tu devais pas aller aider Karim et les autres aujourd’hui ? Mohedine baisse la tête, l’air coupable. NADIA Tu sais ce que Gia t’a dit à propos de tout ça. 74 SOFRANE Tout ça ? C’est nouveau… ça ! C’est comme… ça ! Fait pas ci et fais pas ça ! Eh… Nadia ! Qu’est-ce qui t’arrives ? J’chuis un mec peace, tu sais ça. Au fait, tu m’demandes pas comment c’était ? NADIA (toujours protectrice envers l’enfant) Comment c’était ? SOFRANE Approche déjà pour me souhaiter la bienvenue. NADIA T’attends pas à c’que ce soit la fête, Sofrane. Merde ! Tu tiens à ce qu’il soit au courant ? SOFRANE Tu as raison. Alors laisse-moi au moins m’approcher. (mouvement amorcé vers l’avant) NADIA (un pas en arrière avec l’enfant) Pourquoi faire ? SOFRANE Oh, oh, oh. Voyez-vous ça ? Pris à témoin, les trois autres derrière (sortis entre-temps) RICANENT. SOFRANE (sérieux brusquement) Quoi ! Je ne peux même plus embrasser une amie à présent ? 75 NADIA On a tous changé, Sofrane. « Une amie », mh ! Tu as oublié pourquoi tu es parti ces dernières années. Le quartier est bien sans toi. Bien mieux en tous cas. Et lui là, tu vois, tu l’auras pas. SOFRANE Nadiaaa… tais-toiii… Tu vois pas que t’es toute seule à parler. Et que moi j’ai des choses, tant d’choses à te dire. Il tente à nouveau un mouvement vers l’avant. NADIA (mâchoires serrées) Ne m’approche pas ! SOFRANE (énervé) Bon ! Tu sais quoi !? Vas-y ! Casse-toi ! J’veux plus entend’ le son d’ta voix ! NADIA Tu ne l’entendras pas souvent. En tous cas, fais en sorte qu’on ait pas à s’croiser trop souvent dans l’quartier. SOFRANE C’est ça. En attendant, lui, il reste avec moi. Pris par surprise à l’épaule, Mohedine se retrouve sous la tenaille de Sofrane. NADIA Non ! Elle tente de récupérer Mohedine dans un geste désespéré. Sofrane l’attrape par les cheveux et la fait plier. 76 SOFRANE Tu vois Nadia, « ces dernières années » comme tu dis, ne m’ont pas changé. Ce que je veux… je l’prends ! SANGLOTS de Mohedine. Sofrane s’approche du cou de Nadia. Il hume. SOFRANE Putain ! J’avais oublié ton odeur. Jamais d’parfum, hein la miss. 100% naturelle. Une pure femelle. LIBASS Hola Sof. Y-a son mec. À plusieurs mètres au loin, Karim est planté dans le sol, témoin incrédule de la scène. Sofrane ouvre sa main d’un seul coup et libère Nadia qui manque de s’effondrer au sol. Karim reconnaît sa Nadia et se met à courir vers elle. Arrivé à sa hauteur : KARIM Nadia ! Bébé, ça va ? Il n’attend pas la réponse et fait face à Sofrane. KARIM Putain ! C’est… Il reconnaît Sofrane. Et de l’énervement, passe à l’incompréhension. KARIM …quoi ton problème, Sof ! 77 SOFRANE Ouais merci Karim. C’est gentil. Ben écoute je suis sorti il y a une semaine. Soit 259 de moins que celles passées dans une cellule à maudire le moindre d’entre vous, tas d’bougnouls ! KARIM Eh (il étouffe un rire de surprise) Qu’est-ce qui t’prends d’parler comme ça ? On y est pour rien Nadia et moi si t’as déconner ! Sofrane sort une arme qu’il braque sur la tempe de Karim. SOFRANE (ton menaçant) « Déconner » ? Tu veux vraiment que j’déconne avec toi, bouffon ! NADIA (en panique) Sofrane ! J’t’en prie ! Arrête ça ! Sofrane stoppe illico le coup de pression et range l’arme. SOFRANE Pour toi, c’que tu veux chérie. Sofrane relève la tête et sans crier gare assène un coup de poing en pleine face à Karim, qui, surpris par l’impact vacille sous le choc et s’écroule en arrière. Nadia ne peut réprimer un cri de terreur quand elle se précipite sur son homme au sol. Elle n’a pas le temps de se pencher sur lui qu’elle est reprise par les cheveux. Sofrane se positionne derrière elle et la retient ainsi prisonnière : SOFRANE Me dis pas que c’est ça son mec ! Nadia rassure-moi. 78 KARIM Lâche-la-aaah ! Karim essaie de se relever mais Libass lui balance un coup de pied en plein ventre. NADIA No-oon ! SOFRANE Alors c’est vrai. Tt-tt-tt (il secoue la tête) Tu m’déçois, Nadia. Tu m’déçois là. Sofrane fait se courber Nadia et la promène à son gré tandis que Karim est maintenu par terre (on le voit essayer de se remettre sur ses deux jambes mais à chaque tentative, une jambe d’un des trois blacks qui l’entourent l’en empêche). Sofrane fait encore plus (se) plier Nadia pour présenter son visage tordu de douleur à la face de Mohedine, observateur immobile et muet de l’humiliation subie par le jeune couple. SOFRANE Regarde-là ! Regarde-là bien, petit ! Cette salope va bientôt travailler pour moi ! Mohedine a le visage bouleversé par les larmes. Il est aussi terrorisé. Nadia ne montre pas sa souffrance. Tout juste un GÉMISSEMENT. Au sol, Karim se tord de douleur. KARIM (ton suppliant) Laisse-la, Sooof… SOFRANE (imitant Karim, Nadia toujours « face à face » avec Mohedine) « Laisse-la, Sooof », non mais tu t’entends ? Putain d’merde, Karim ! On est où là ? C’est quoi c’délire ? Vous êtes tous dev’nu des fiottes, des putains d’tarlouzes ! Et toi, petit ? Fais-moi plaisir ! Me dis pas que t’en prends l’chemin ! 79 Mohedine change peu à peu d’expression. Il passe de la crainte à une plus crâne assurance. Sofrane s’en rend compte. SOFRANE Oh oh non ! Pas du tout les amis. Regardezmoi ce p’tit dur. Ouaiiis allé, eh eh eh, c’est ça. Montre-moi. KARIM (non plus suppliant) Enfoiré ! Immédiatement, Karim reçoit un violent coup de pied dans le ventre. Mohedine accuse le coup comme pour lui-même. Les CRIS DE DOULEUR de Karim « coupé » en deux, provoquent chez l’enfant des « microvibrations » des paupières, des muscles des pommettes et des zygomatiques. Il serre ses petits poings de mini boxeur, bras pendants le long de son corps. SOFRANE Alors c’est tout ! C’est ça ta colère ? Regarde tes amis. Tous les deux à ma merci. Tu d’vrais être en feu ! Là t’es juste une petite baltringue. Les dernières coulées de larmes sur les joues de la « baltringue ». SOFRANE Attends, tu veux que j’te foute vraiment la haine ? Hein ? Alors écoute bien. La chienne que t’es en train de contempler, écoute bien (il resserre la torsion des cheveux provoquant un nouveau râle de douleur chez Nadia) el… MOHEDINE (mâchoires soudées) Arrêt’ça ! 80 SOFRANE Quoi ! Sofrane relâche Nadia dans les bras de Libass et fait « face » à Mohedine. SOFRANE (se penchant, l’oreille tournée vers la bouche du p’tit) T’as dit quoi ? J’ai pas dû bien entendre. Respiration heurtée de Mohedine, terrorisé, continuant malgré tout à tenir tête à Sofrane. SOFRANE (se redressant) Ouais… j’ai dû mal entendre. Parce que si ç’avait été ce que j’ai cru avoir entendu… ça aurait été fâcheux pour notre… collaboration naissante, tu n’crois pas ? (il se penche d’un coup tout près du visage de Mohedine et sur un ton très violent) Tu n’crois pas ! Mohedine se remet à pleurer et tout son visage, son corps, se mettent à trembler comme une feuille. Satisfait du résultat de son effet de voix, Sofrane se redresse. SOFRANE (sans équivoque et conclusif, ton sec) N’oublie pas qu’tu bosses pour moi. Un bref regard pour Karim toujours au sol, surveillé par les deux cerbères, Vernon et Mike. À nouveau fait-il face à Nadia, proie facile entre l’étau des bras de Libass. NADIA Sur l’Coran, Sofrane, quand Gia va savoir ça ! 81 SOFRANE Sur le Coran, Nadia, ça m’fait trop peur. Brrrrr, j’en frissonne. NADIA (déroutée par l’attitude de Sofrane) Ouais c’est ça… ben en attendant tu f’rais mieux d’nous laisser tranquille. SOFRANE Pas avant que tu m’ais souhaité la bienvenue dans les formes, Naaa-diii-a (chantonnant) Sofrane approche son visage tout près de celui de Nadia pour l’embrasser et sa main se dirige vers le bas... Sans crier gare, le genou de Nadia vient heurter de plein fouet les parties de Sofrane qui se « casse en deux ». Elle (l’)enchaîne en lui crachant dessus. Vernon et Mike ne réagissent pas. Libass lui, rétorque : pliant le corps de Nadia vers l’arrière, exerçant dans le même temps une torsion musculaire sur ses bras. NADIA CRIE INTENSÉMENT SA DOULEUR. Du sol, Karim chasse de la jambe celles de Vernon qui perd l’équilibre en arrière. Dans sa chute, entraîne Karim pour la même en avant. Tête la première, Vernon se tamponne avec Mike : direct en plein ventre. Karim se relève, libéré se rue vers sa dulcinée. Le bras tendu de Sofrane comme un ultime barrage. Stoppé en pleine course, l’impact est suffisant pour renvoyer Karim au sol. Pas encore tout à fait remis de sa douleur à l’aine (il grimace et RESPIRE FORT), Sofrane ressort le gun qu’il pointe à nouveau sur Karim. Tout de suite, Nadia produit l’ultime effort pour se soustraire à l’emprise de Libass et venir s’effondrer sur le corps de Karim. Mohedine l’imite et de toute son envergure (!) vient rajouter du m2 de bouclier humain. Sofrane arme le revolver (SON CARACTÉRISTIQUE) MISTER O (off) Sofrane ! Sofrane relève la tête en direction de la voix (toujours de là où sont déjà venus Nadia puis Karim). C’est Mister O, plus cool que jamais. 82 Un sachet en plastique rempli de quelques commissions, l’heure tardive associés à une tenue d’intérieur (tee-shirt long et large, vieux bas de treillis et pataugas à même la peau) atteste du passage de Mister O chez l’épicier du coin. Mais l’expression affichée n’est pas celle d’un mec peace and love. Plutôt celle d’un mec dangereux, à qui il ne faut pas la faire. Quelques secondes qui paraissent interminables, durant lesquelles les deux « frères » s’observent. Finalement, Sofrane lève les mains en l’air (donc cesse de braquer les 3 au sol) et range l’arme. Un puis deux pas en arrière, un CLAQUEMENT DE DOIGTS sonnent le rappel des troupes. Mais ce regard que les deux hommes continuent d’échanger fait froid dans le dos. Glacial ! Jusque dans le volte-face de Sofrane pour s’en retourner à l’intérieur de l’immeuble, sa cage d’escalier, son QG. La p’tite famille, elle, fait toujours tas au sol. Mister O continue d’affronter Sofrane du regard même de derrière la vitre. Sofrane lui sourit, révélant tout un potentiel de sadisme. Puis il se retourne et s’intéresse à ce que Libass est en train de raconter aux autres JEUNES SQUATTEURS DE PORCHES ET DE CAGES D’ESCALIER. Tout est redevenu comme avant. Dehors, Mister O rompt le visuel en droite ligne pour l’abaisser en direction du sol. Ainsi s’intéresse-t-il à un cumul de trois corps. Prend le temps d’attendre un premier signe de vie. Mais rien ne s’anime par là. MISTER O (après un, deux clignements de paupières à la lenteur calculée) Pour info, vous avez l’intention de dormir ici ? C’est Mohedine qui réagit en relevant la tête le premier. Il présente à Mister O un visage dont l’innocence de l’enfance a disparu. Mister O sait lire ce tourment, à son rictus de peine. Difficilement il parvient à un sourire qui se veut rassurant. Avec le retour sur ses deux jambes de Mohedine encore tout tremblant de terreur, le corps de Nadia agité de soubresauts devient visible. Et le son de ses SANGLOTS ÉTOUFFÉS plus présent. 83 MISTER O Nadia, Karim, on y va. P’tit, tu rentres chez toi et surtout tu n’oublies pas tout ça. Mohedine, encore bouleversé, regarde dans la direction de Mister O mais ne semble pas le voir. Karim entame de se relever, ménageant Nadia qui ne veut toujours pas se décider à se séparer de lui. MISTER O Hey Moulé, j’te cause. Tu m’as compris ? Mohedine acquiesce de la tête et part, toujours pas remis, la démarche mal assurée, sous le regard avisé de Mister O. Karim a achevé de se relever aidant en même temps Nadia à remonter. Se soutenant l’un l’autre, ils marchent en direction de Mister O. Arrivés à sa hauteur, ils passent à côté de la silhouette dégingandée sans la voir et s’éloignent sur la place. Mister O baisse la tête pour ne lever que les yeux et adresser un dernier regard à… …Sofrane qui tourne la tête pour lui rendre son regard, agrémenté d’un sourire au sadisme éprouvé. Mister O soutient l’œil pour œil sans jamais l’esquisse d’un rictus. Le premier, il se décide à arrêter le petit jeu : le regard puis le corps dans un mouvement de repli, un dernier coup d’œil noir et il part… …dans le sillage de Karim et Nadia. MISTER O Oh ! Un peu plus haut, Karim arrête leur marche. L’ami O les rejoint à grandes enjambées. FONDU AU NOIR QUELQUES SECONDES DE SILENCE BROUHAHA D’UNE SALLE, SONS DE VOIX SUR FOND DE BALADE ROCK, DU LIVE AMATEUR MAIS PRO DANS LE SIRUPEUX (OFF) 84 INT - SALLE NPE SPECTACLES : LA SALLE - SOIR OUVERTURE sur un auditoire policé. Assis sur des chaises en plastique, une galerie de MONDAINS PARISIENS, lookés jeunes (et moins jeunes) artistes dans le vent. Le cheveux long laissé libre ou retenu (catogan). Il y a aussi DE LA JEUNE (ET MOINS JEUNE) COMÉDIENNE, de l’art « plastique » ! AMBIANCE COCKTAIL FEUTRÉ (LE LIVE EST TIMIDE) où tout le monde se connaît. Ça CHUCHOTE entre les rangs. Un pan du rideau tenu, relâché. Le tissu retombe droit. INT - SALLE NPE SPECTACLES : COULISSES – SOIR Karim se retourne vers nous. Il porte les séquelles de son altercation avec Sofrane mais pas de pansement ! KARIM Pffh, c’est un truc de ouf ! J’les sens pas ces gens ! C’est pas not’ public ça les mecs. Le reste du groupe sapé pour monter sur scène : tunique large, baggy repassé, baskets neuves ou c tout comme. Interpellé par l’intervention de Karim, Momo aux côtés de Nadia, elle aussi en tenue de scène. GIA (ajustant un poignet éponge) T’es en panique Karim, dis plutôt ça. ZYNO Mais ouais. Tu fais dans ton froc, avoue ! Karim « PFFH » de plus belle et zyeute à nouveau sans être vu. Derek et Alistair sont dans un coin. Ils s’exercent à un PASSE-PASSE VOCAL, VOIX VOLONTAIREMENT APHONES. 85 GILLES LAGERFELD (voix à la Karl, son homonyme) Ah alors voilà, ils sont là. GILLES LAGERFELD passe en trombe devant Derek et Alistair. Il provoque le sursaut de Karim, le frôlant à toute vitesse pour stopper sa course folle, planté en piquet devant Gia. Gia le jauge du regard avec cette assurance naturelle. GILLES LAGERFELD (tend la main à Momo) Mohamed, tout s’passe bien ? (ils se serrent la main chaleureusement) Ce sont eux alors les… (il consulte un grand organiser plein à craquer, dégueulant de tracts et autres flyers)… N’Garso ! MOMO C’est exact et voici Gia dont je t’ai parlé. Bon allé, on va faire les présentations. Gia donc que tu connais. A côté c’est Zyno, là-bas Derek et Alistair et celui qui tient le rideau, c’est Karim. GILLES LAGERFELD (sourire forcé) Ok !... Et la charmante demoiselle à tes côtés, c’est parce qu’elle fait juste bien dans le décor, ou bien ? MOMO J’y venais. Il s’agit de la jeune fille dont je t’ai parlé sur le fax. Rassure-moi, tu l’as bien reçu ? GILLES LAGERFELD (roublard) Ah ah ah, pour le fax, je l’ai là ! (il sort une feuille de papier pliée en quatre de son big almanach). En revanche, il me semble pas pour… 86 (il déplie la feuille, galère un peu, une seule main de libre, l’autre au bout du bras support de l’agenda grand format. Il chausse ses lunettes pendantes au bout d’une chaîne) … Nadia ! (prononcé dans un grand sourire béat et un franc élan d’empathie) Momo SE RÂCLE LA GORGE une première fois puis PLUS INSISTANT LA DEUXIÈME (Karim a rejoint le petit groupe tout comme Derek et Alistair). Le vieux beau sort de sa torpeur. GILLES LAGERFELD Euh-euh… oui. J’m’présente. On n’se connaît pas. Je suis Gilles Lagerfeld, directeur artistique de cet espace, en charge de la programmation régulière à l’année et comme aujourd’hui des mises à disposition exceptionnelles… (il reprend son souffle) à titre gratuit. Alors comme vous l’voyez, le spectacle bat déjà son plein ! (son coup de tête vers la droite incite le petit auditoire à en faire de même). De cette partie des coulisses, on a une vue de biais de la scène et du groupe qui s’y produit. Enfin on met un visage sur le CHANTEUR BRAILLEUR, grand, beau gosse aux cheveux sales, la guitare électrique lui arrivant aux genoux (!) Gia et ceux qui l’entourent affichent un regard bovin et se retournent en chœur sur Lagerfeld. KARIM (à voix détimbrée) C’est pas gentil c’que vous leur faites là. Momo fait les gros yeux à Karim mais propos sans conséquence : le Gilles, il « entrave que dalle ! » 87 GILLES LAGERFELD (toujours « sur scène », sourire béat) Ceux-là j’les ai déniché dans une cave de St Germain. J’dois avouer que je suis assez fier. (en un instant Lagerfeld rompt la liaison avec la scène pour s’intéresser à Gia. L’expression change, plus âpre) Bon, vous les p’tits jeunes !... (Gia lève les yeux plus fixement sur le bonhomme. Les autres se regardent en coin) …qu’est-ce que vous m’proposez ? Il se tourne vers Momo. GILLES LAGERFELD Tu m’avais pas dit qu’ils étaient si nombreux ! (tête vers les « p’tits jeunes ») Bon alors on part sur quoi ? Vous savez faire quoi ? Gia lève un sourcil circonspect. Il regarde Momo. MOMO (un peu gêné par la tournure de l’échange) Euh… hum. (sourire embarrasé) Ils rappent Gilles, en fait ils rappent. GILLES LAGERFELD (sourcils froncés, l’air perdu) Ça j’veux bien mais ils rappent quoi ? Des recettes de cuisine ? Ils ont bien des textes ces jeunes gens et une langue peut-être ! Gia relâche la pression de son regard sur Momo pour s’intéresser de nouveau à Lagerfeld. Il ferme les yeux (respire à fond), les rouvrent et se lance : 88 GIA J’comprends pas, là. Vous êtes en train d’nous dire que c’est même pas sûr qu’on passe ? Il regarde à nouveau Momo, de l’incompréhension plein les yeux. DEREK (sur Lagerfeld) Quoi !!! ALISTAIR (sur Lagerfeld) Non mais attends, là… ZYNO (sur Lagerfeld) T’es sérieux quand tu dis ça ? NADIA Oh ! Oh !... Oh !!! Vous faites quoi, là ? Vous voulez qu’on s’fasse virer ou quoi ? L’daron là, c’est un peu l’patron ici ! (elle pose son bras autour du cou de Lagerfeld) Et vous là avec vos conneries, vous allez juste réussir à nous afficher ! Les mecs baissent pavillon. NADIA Moi j’pense que Gilles, j’peux vous appeler Gilles ? Moi c’est Nadia – N, A, D, I, A GILLES LAGERFELD Euh… oui non mais là n’est pas la question !... 89 NADIA Tt ! Moi j’crois qu’t’as un grave problème de communication en fait. Nous tu vois, on est des jeunes pour qui le respect, c’est primordial. Mes sosses et moi-même, toute go’ que j’suis, avons une fierté. KARIM Mais ouais, t’es malade ou quoi ! MOMO (mal à l’aise par la tournure) Nadia, j’pense pas que… NADIA Attends, attends, Momo. J’finis après tu m’diras si je m’trompe. Mais j’pense pas m’tromper. Parce que vous l’avez tous ressenti ici (elle regarde tout le monde) On était entre amis, bien cool et tout. Et toi, D’jil, mon pote, tu t’amènes en t’la jouant big boss… Lagerfeld la regarde dans le blanc des yeux par-dessus ses carreaux. GILLES LAGERFELD (après un léger temps de réflexion, ton catégorique) Non. NADIA (sans se départir, après le même léger temps de réflexion) Désolé mais c’est la réalité. Tu viens pas comme ça à 5 minutes d’un concert demander aux artistes leur cv. T’as à faire à la crème du rap français. Eux là, ils plaisantent pas ! Ils sont là ! Et leur son, il est brut ! Il est lourd ! Il fait mal ! 90 GILLES LAGERFELD (ton de petit bureaucrate chichiteux) Oui non mais j’en doute pas… Il jette un œil vers la scène, alerté par les APPLAUDISSEMENTS. Le chevelu est en train de saluer, la guitare en pendaison au niveau des genoux, des gestes de présentation des autres membres du groupe en dehors du champ de vision de Lagerfeld. GILLES LAGERFELD (début de panique) …mais les textes, vos textes, ça dit quoi ! MOMO (raisonné) Giiilles… La formation de rock mou passe derrière Lagerfeld, direction les loges. GILLES LAGERFELD (à Momo) Quoi « Giiilles » ? T’es marrant toi. Tu m’les sors d’on-n’sait-où et je devrais dire amen sans garantie de caution. DEREK (pour Alistair) C’est pas caution de garantie qu’on dit ? ALISTAIR (pour Derek) Tt ! J’en sais rien. INT - SALLE NPE SPECTACLES : SALLE - SOIR Plusieurs signes d’impatience du public. Plus ou moins discrets et plutôt moins du côté des jeunes…des Groux ! Biggie, presque trop volumineux pour sa pauvre 91 chaise, et toute la clique, les « grands frères », les moins grands et… Mohedine aussi, à son sourire, ravi d’être ici. Leur comportement dissipé – vol et jet de casquette, récupération au sol par son propriétaire et réponse coup d’poing assénée sur l’épaule, entre autres exemples – leur attire les foudres de regards bien-pensants de plusieurs « catogans », « cols roulés » et autres « écharpes-1-tour-de-cou ». Mais « la cité » se calme, son attention captée par la scène. INT - SALLE NPE SPECTACLES : SCÈNE – SOIR Un JEUNE BEATNIK prend place au centre de la scène et y dépose un imposant djembé. Jambes écartées, il prend ses appuis au sol, baisse la tête (ses cheveux : une déferlante devant son visage) et prend une grande inspiration dans un SILENCE DE MORT à présent. Il attaque : ses mains frappent le DJEMBÉ avec une énergie insoupçonnable et dans une série de grands gestes amples. INT - SALLE NPE SPECTACLES : SALLE - SOIR Les « Grouards » sont comme les victimes d’un rayon paralysant, leurs visages figés en une même expression interdite, comique dans un tel immobilisme. Francis (page 10) oriente lentement son regard (sa tête bien sûr) vers la gauche pour découvrir des visages paisibles, sérieux à l’air professionnel, souriants amateurs, bref des mélomanes en plein kif ! Retour sur Francis : une grimace indique son désappointement. Il jette un œil du côté de ses potes. Biggie affiche un large sourire et concède un ÉCLAT DE SON GROS RIRE en guise de « j’y crois pas ». INT - SALLE NPE SPECTACLES : SCÈNE - SOIR Le jeune beatnik se déchaîne de plus belle, dans une sorte de transe. Mais ce qu’IL JOUE FAUX !... INT - SALLE NPE SPECTACLES : LOGE - SOIR Le chanteur brailleur et capillaire du groupe de rock mou lève la tête au plafond et dans une crispation des traits de son visage : 92 LE CHANTEUR BRAILLEUR (accent américain) Shiiit !... On part de la loge à toute berzingue pour monter un petit escalier, traverser les coulisses (PLUSIEURS PERSONNES CROISÉES) et arriver sur des visages connus : N’garso & Co. Eux aussi arborent les traits crispés d’ouïes en souffrance. Gia garde l’expression en se retournant vers Lagerfeld. GIA Vous aviez fumé pour celui-là ? KARIM Oooh la la, il a craquééé… NADIA Ah ouais là t’as déconné, mon pote ! Lagerfeld regarde chacun avec un petit air naïf. GILLES LAGERFELD Quoi ? Ca ne vous plaît pas ? Vous croyez pouvoir faire mieux peut-être ? ZYNO Quoi !? Mais t’es malade ou quoi ! Vas-y c’est bon… (rabat de la main en se tournant de ¾) DEREK (discret à Gia) Zyno a raison. C’est qui c’bouffon !? Alistair, occupé dans son portable, ne voit pas venir le coup de coude de son éternel complice. Dans un sursaut : ALISTAIR Hein ? Ouais, c’est bon alors ? 93 GIA (fixant Lagerfeld, l’air toujours aussi dégoûté) Ouais, j’crois bien qu’c’est bon. Sans attendre la réponse de Lagerfeld, il part direction la scène ! Tout le groupe lui emboîte le pas non sans partir sur un dernier regard de dédain à Lagerfeld. GILLES LAGERFELD (dépassé) Eeeh eeh… pour les textes… Momo toujours à côté de Lagerfeld, légèrement en retrait. MOMO Giiilles… Il lui tapote l’épaule au passage et rejoint le groupe. Tous sont massés sur les « ailes » de Gia, en plein passage de l’entrée/sortie de scène. Les yeux fermés, ultime concentration et trac qui monte à quelques secondes de se « lancer ». On entend LES PREMIERS SIFFLETS ET AUTRES HUÉES QUI MONTENT de la part des lascars présents dans la salle. Momo vient se poster près de Gia. Il garde le silence, en observation et respect de la concentration des jeunes artistes. INT - SALLE NPE SPECTACLES : SCÈNE - SOIR Le jeune beatnik frappe LE DERNIER COUP SUR LE DJEMBÉ et reste le bras suspendu en l’air, encore tremblant d’émotion. DES APPLAUDISSEMENTS PARTENT mêlés aux premières critiques : « VAS-Y RENT’ CHEZ TOI ! », « CASSE-TOI ! », « SALE CHIEN ! »… Une feuille de papier roulée en boule vient rebondir sur la « déferlante » capillaire. 94 INT - SALLE NPE SPECTACLES : COULISSES - SOIR Quand Gia rouvre les yeux : MOMO (voix apaisante) Hé, foire pas c’coup là. Gia balance son sourire d’enfant et rentre sur scène EN DONNANT DE LA VOIX, suivi des autres, particulièrement loquaces eux aussi. INT - SALLE NPE SPECTACLES : SCÈNE - SOIR Dans le croisement, Gia vient volontairement percuter l’épaule du jeune beatnik, encore la cible d’une boule de papier (!) dans ce qui ressemble plus à une fuite qu’à une sortie de scène triomphale. INT - SALLE NPE SPECTACLES : SALLE - SOIR Surpris par une entrée en scène qui ressemble à une prise d’otages, un braquage, Lenny (page 11) (un peu simple) gèle son geste de parfait lanceur de paperball pour réagir au quart de tour à l’apparition des gars N’garso sur l’estrade. Une seule et commune réaction dans le rang : LE DAWA ! Une JOIE DÉMONSTRATIVE quand « l’autre public » réserve un accueil plus que timide aux jeunes rappeurs (+ une rappeuse). INT - SALLE NPE SPECTACLES : SCÈNE - SOIR Tandis que N’garso (5 rappeurs, 1 rappeuse) termine d’occuper l’espace, derrière s’installe aux platines, Mister O. Gia vient à lui et tourne donc le dos au public. LE CALME DANS LA SALLE REVIENT PEU À PEU. 95 INT - SALLE NPE SPECTACLES : SALLE - SOIR Momo prend place parmi les jeunes des Groux. Quelques rangs devant, Lagerfeld rejoint sa chaise entre DEUX GUINDÉS DE PREMIÈRE. Bref échange d’amabilités mais Lagerfeld est tendu. INT - SALLE NPE SPECTACLES : SCÈNE - SOIR Silence parfait que seuls viennent troubler une QUINTE DE TOUX, un RÂCLEMENT DE GORGE. L’échange entre Gia et Mister O est terminé. Gia s’écarte en reculant, encore dos à la salle. Mister O ne le lâche pas des yeux, encore en questionnement. Gia se retourne et rejoint le devant de la scène. Aucun des autres membres du groupe ne comprend le petit détour de Gia vers Mister O. Ils échangent des regards déconcertés. Derrière, rien ne vient. Mister O fait un blocage. INT - SALLE NPE SPECTACLES : SALLE - SOIR Momo commence à se crisper. Il interroge du regard son voisin Lenny, qui ne semble pas plus armé que lui : un haussement des épaules en guise de réponse. « L’autre public » change à son tour d’expression, leurs froncements de sourcils traduisant un début d’énervement. Des mouvements de déni de la tête chez certains trahissent leur peu d’empathie pour les jeunes rappeurs. ÇA COMMENCE À SOUPIRER, SOUFFLER, CHUCHOTER, PARLER… SIFFLER ! En observant la dissipation qui gagne les rangs, Momo se sent un cran encore plus mal. Il tique dans le croisement de ses bras, le mouvement de son dos vers le dossier de sa chaise. On passe les rangs l’un après l’autre jusqu’à… 96 INT - SALLE NPE SPECTACLES : SCÈNE - SOIR …la scène et dans le dos d’N’garso aligné face au public. Gia tourne la tête vers Mister O (vers nous) et lui adresse un regard incitatif. Mister O cède enfin et dans un geste conviction zéro, sort un 33 tours parmi la pile de disques posée à côté des platines. Il amène le vinyle de la pochette au plateau, ajuste l’un des écouteurs de son big casque entre oreille et épaule. Avant de lancer le son, un dernier regard vers Gia. Ses yeux disent : « T’es sûr de ce que tu fais ? » Ceux de Gia, couplés à un signe de tête, répondent : « Mais oui, vas-y ! » Le leader d’N’garso ne peut masquer son énervement, revenant s’intéresser aux spectateurs, que L’INTRO PART. Gia au quart de tour : GIA (tests voix au mic’) Houuu ! Ok !... C’est la merde, mec ! Dans le groupe, on fait les gros yeux. On se regarde terrorisés et reporte son attention sur Gia, en quête d’une explication, une logique. Mais pris en otage de ce train musical en marche (L’INTRO COURT), ils rentrent dans le morceau, se dispersent en pas cadencés sur le BEAT À L’EFFICACITÉ IMPARABLE. Gia plus que tout autre n’a pas de rival pour ce qu’il s’agit de bouger avec style. Il vient en place au bord de la scène, face au public et face à Lagerfeld. Le micro soudain devant la bouche : GIA Ferme ta gueule ! (sursaut de Lagerfeld en contrebas) Fallait bien qu’un jour j’m’exprime. Rimes 200% pour ceux qui m’croient… (etc – écouter morceau) Gia passe le flow à Zyno, très pro. 97 ZYNO Bla bla bla… c’t’enculé !... INT - SALLE NPE SPECTACLES : SALLE – SOIR SUITE RAP N’GARSO Un QUARANTENAIRE, catogan un peu grisonnant, réagit d’une expression outrée. INT - SALLE NPE SPECTACLES : SCÈNE - SOIR SUITE RAP N’GARSO ZYNO ENCHAÎNE LE FLOW. Derrière lui, Derek et Alistair, synchros sans accroc dans leur danse hip hop. Nadia et Karim en ghetto ambianceurs, les pieds figés au sol, les bras tendus battent la mesure à la verticale. Gia qui tourne en rond, arpente la scène tel un fauve en cage. Au refrain, tout en hargne-rage-haine : l’impression d’une meute de pitbulls lâchés sur scène ! Chorégraphie désordonnée ! Hardcore dans la forme. Hardcore dans le fond !... TOUT N’GARSO (refrain) Fait pas chier c’est comme ça – comme ça ! On parle peu on parle bien, on fout la merde, parle comme ça ! Comment ça ? Oooh mais j’t’emmerde À l’anglaise, fuck moi, fuck me, fuck elle ! INT - SALLE NPE SPECTACLES : SALLE – SOIR SUITE RAP N’GARSO / REFRAIN BIS (OFF) Les « balais dans l’cul » sont déconcertés. Contraste saisissant avec les jeunes fans du groupe : en délire ! Debout (!), ils reproduisent les mêmes mouvements que Karim et Nadia. Certains s’essayent même à reproduire sur place la choré’ de Derek et Alistair D’AUTRES PRÉFÈRENT RAJOUTER DE LA VOIX AU REFRAIN HARDCORE. 98 Perdu parmi eux, Momo reste assis, tête baissée, main sur le front. Quand il relève les yeux, de sa chaise Lagerfeld est en train de l’interroger du regard : « pourquoi ? » INT - SALLE NPE SPECTACLES : SCÈNE - SOIR SUITE RAP N’GARSO Sur LA FIN DU REFRAIN, Gia descend de l’estrade/scène… INT - SALLE NPE SPECTACLES : SALLE - SOIR SUITE RAP N’GARSO …pour venir plus près de Lagerfeld, dans l’axe : GIA (s’adressant ouvertement à Lagerfeld) Eh à ce que je vois t’es bien entretenu… Etc.compléter INT - SALLE NPE SPECTACLES : SCÈNE - SOIR SUITE RAP N’GARSO Sur scène, les membres du groupe assurent toujours le spectacle malgré l’imprévu. Ils affichent un intérêt commun pour ce qui se passe en contrebas (des petits coups d’œil ni vus ni connus). Jusqu’à Mister O continuant aussi à remplir sa fonction scénique au sein du groupe mais plus que tout autre captivé par ce qui se passe làbas. Arrive LA BOUCLE DU REFRAIN. INT - SALLE NPE SPECTACLES : SALLE - SOIR SUITE RAP N’GARSO Gia reste en place pour asséner son texte à l’attention directe de Lagerfeld. 99 GIA (N’garso en back) Refrain Il reçoit un appui inattendu de Mohedine qui lui aussi vient rapper hardcore à l’adresse du responsable. GIA + MOHEDINE (N’garso en back) Refrain Lagerfeld ose à peine regarder cet enfant qui lui met la pression en adulte. INT - SALLE NPE SPECTACLES : SCÈNE - SOIR SUITE RAP N’GARSO Effet garanti auprès du reste du groupe. N’GARSO AU COMPLET (+ Mohedine, Gia en off) Refrain suite Sourire aux lèvres, Nadia pousse du coude Karim et lui indique là où il faut regarder à nouveau. À son tour, sourire de Karim qui passe l’info à ses voisins. C’est au tour de Derek de prendre le flow. DEREK Blabla (écouter morceau et retranscrire paroles) Très vite relayé par Alistair pour un passe-passe vocal de haute tenue. ALISTAIR Blabla (écouter morceau et retranscrire paroles) Revient le refrain. 100 N’GARSO Refrain (bis) (Sur le bis, retour sur scène de Gia pour renforcer le chœur !) INT - SALLE NPE SPECTACLES : SALLE - SOIR SUITE RAP N’GARSO N’GARSO (off) Ter du refrain Mohedine est resté au bas de la scène pour une chorégraphie improvisée qui n’a rien de ridicule. Au dernier rang, c’est plus que jamais de la folie… urbaine. Entre les deux, un public pris en otage. Du fond de la salle, approchent Sof le caïd et ses hommes, que personne ne remarque (encore). INT - SALLE NPE SPECTACLES : SCÈNE - SOIR SUITE RAP N’GARSO TOUT N’GARSO (dans le même déluge d’énergie) Quar du refrain POINT FINAL DU PUISSANT RAP. Les membres du groupe s’éparpillent. Le(s) dernier(s) mot(s) à Gia qui seul reste au centre de la scène vers le public. GIA Yeaah… c’est la merde, mec ! Ouais, mec ! Rien à foutre, mec ! Yo, Giii-a ! Brooklyn À l’anglaise, mec ! Fuck toi, fuck lui, fuck elle! N’GARSO ! 101 Mister Oooh-oh-oh ! (rire) Ah ah rien à foutre… Gia conclue dans un tel relâchement qu’il en laisse tomber le micro au sol. Il s’en retourne vers le fond de la scène jusqu’à ce que les démarches pimp roll de chacun les fassent se rejoindre au centre de la scène. Comme il était à prévoir, le groupe récolte les HOURRAS DU PUBLIC. INT - SALLE NPE SPECTACLES : SALLE - SOIR Les jeunes de la cité ne sont pas avares de leur JOIE DÉMONSTRATIVE. Ce sont eux, les HOURRAS. Mais la majorité silencieuse compte de nouveaux partisans : Sofrane et ses amis, postés debout derrière les rangs. Sofrane fixe intensément la scène. À son côté, LAETITIA, une petite meuf de cité, jogging et maquillage outrancier, occupée à mastiquer du chewing-gum. En soutien, les fidèles chiens de garde (Libass, Vernon, Mike). Tout devant, au pied de la scène, Mohedine s’agite dans tous les sens, laisse éclater sa JOIE À SE CASSER LES CORDES VOCALES DANS UN CONCERTO EN CRIS MAJEURS. INT - SALLE NPE SPECTACLES : SCÈNE - SOIR Le collectif N’garso s’oriente lentement en direction des coulisses. LES FANS SE FONT PLUS DISCRETS. Des applaudissements qui n’en sont pas (CLAPS DANS LES MAINS trop espacés, marque d’un profond dédain) montent de la salle. Les rappeurs se retournent (Karim, Nadia et Gia, les derniers dans cet ordre) vers la provenance de ces « clap… clap » déplacés et provocateurs. Quasi simultanément et pourtant ce sont Karim, Nadia et Gia qui semblent les derniers dans cet ordre à s’intéresser au problème. 102 INT - SALLE NPE SPECTACLES : SALLE - SOIR Sofrane est l’insolent QUI APPLAUDIT À REBOURS AVEC UNE FLEMME CALCULÉE. Sa petite bande aux faciès aussi peu engageants que leur chef l’entoure toujours. L’assemblée médusée (même la cité !) n’ose pas moufter ! À l’image de Mohedine, sa tête tournée vers la scène, qui reste tétanisé. INT - SALLE NPE SPECTACLES : SCÈNE - SOIR Nadia et Karim encadrent Gia, tous trois à l’arrêt, regard porté vers l’ennemi public déclaré (sur les flancs, Derek, Zyno et Alistair soutiennent l’épreuve-test : postures désinvoltes en signe de défi, faces de bad boys). Dans la même crainte exprimée par leurs yeux hagards, Nadia et Karim viennent à se regarder puis à orienter leur vue sur Gia. Toute une gamme d’émotions transite en l’espace de quelques secondes sur le visage du leader. Mais la principale : la colère. Rentrée, contenue. Prête cependant à exploser. Tension palpable. À son comble. INT - SALLE NPE SPECTACLES : SALLE - SOIR Sofrane en termine de l’affront. CLAP... CLAP... CLAP ! Puis il reste là, sans plus rien faire. Un sourire narquois sur la fin. INT - SALLE NPE SPECTACLES : SCÈNE - SOIR Gia ne lui rend pas ce sourire. Il démarre vers le devant de la scène. Récupère le micro au sol et le porte à sa bouche. Le SOUFFLE DE SA RESPIRATION, HEURTÉ PAR LA HAINE. 103 INT - SALLE NPE SPECTACLES : SALLE - SOIR Momo, fasciné, ne perd pas une miette de Gia ! Seulement détourne-t-il la tête pour s’intéresser à la réaction de Sofrane qui n’a pas perdu son sourire. Un peu moins crâne peut-être. INT - SALLE NPE SPECTACLES : SCÈNE - SOIR Gia crispe ses doigts sur le micro. Prend une dernière inspiration et se lance. GIA Quelques phrases d’un rap à écrire (style guerrier) Il est immédiatement dedans, donne tout. La gestuelle est sûre. Et le FREESTYLE AU FLOW SI BRUT(AL) qu’il lui déforme les traits en une série d’expressions haineuses. Quand tout est dit, la main le long de sa cuisse indique le chiffre 3 à l’attention discrète de Mister O. Dans un SILENCE INTERMÉDIAIRE, Mister O s’exécute sans hésitation. Le geste sûr, il extrait le bon vinyle qu’il sort de sa pochette et dépose sur la platine. Gia ne lâche pas sa cible des yeux. ON L’ENTEND RESPIRER, REPRENDRE DU SOUFFLE. LE RYTHME BINAIRE PART SANS FAUTE. GIA C’est G-I-A !... ok ! Gia se met en retrait pour céder la place à... KARIM Et K-R-I-M… ouais yeah ok, ok… Un COUP DE FEU MIXÉ À L’INTÉRIEUR DE L’INSTRU lance la machine à rapper qu’est Karim (il tient le micro comme un vrai afro-américain). 104 KARIM (main qui rythme la tchache) Mon rap sent l’gun mais y-a pas qu’ça. Fait péter le mic et l’oseille… Nous on est… Vous c’est… Etc refrain Gia vient à côté de son pote pour un refrain à 2 voix adressé à qui vous savez. GIA & KARIM Mec tu sais qui on est nous … etc Gia reprend la suite. GIA J’ai mon cran de sécurité débloqué… Etc refrain REFRAIN CETTE FOIS POUSSÉ PAR TOUT LE CREW, ce qui lui donne une dimension encore plus évidente. C’est Zyno qui distribue à présent. ZYNO (flow bien sûr dirigé vers le fond de la salle...) Yo !... etc DEREK ALISTAIR (passe-passe) Eh mec, ça vient d’Fresnes… …Derek-Listair pour un freestyle Etc... NADIA Yo !... (elle apparaît d’entre les mecs du collectif et s’avance sur la scène, asexuée par la coupe large de son jogging) 105 Yo !... Cherche-moi ! Insulte-moi ! Tue-moi ! C’que tu veux !... Branle-toi ! Fuck-toi ! Comme tu veux ! …Rien à fout’ ! Gi-a fuck toi et ton... etc. DEREK & ALISTAIR (reprise du passe-passe) Ok ! D-K, Lister… etc TOUT N’GARSO Le refrain SUR LE BIS… INT - SALLE NPE SPECTACLES : SALLE - SOIR SUITE RAP N’GARSO …Sofrane soutient toujours les regards, fait toujours bonne figure mais n’affiche plus sa crâne assurance. SUR LE TER DU REFRAIN : son trouble est encore plus flagrant. SUR LE QUAR DU REFRAIN : il cède et sonne le départ de ses troupes. Laetitia, les autres, marque un léger temps d’arrêt avant de lui emboîter le pas, laissant là UNE LARGE PART DU PUBLIC, SCANDANT LE REFRAIN MARTELÉ AVEC STYLE. Le voisin de droite de Lagerfeld, pourtant un col roulé de première, marque le rythme de subtils mouvements du buste au cou. Lagerfeld remarque ça et dépassé par la situation, s’en retourne vers... Momo, à fond dans la gestuelle (sa main martèle le vide en cadence), debout avec les jeunes du « fan club ». Il baisse la tête vers Lagerfeld et lui sourit, rit presque. Lagerfeld détourne lentement la tête, l’œil hagard, la bouche bée. Tout devant, Mohedine, regard et sourire admiratifs pour la scène. INT - SALLE NPE SPECTACLES : SCÈNE - SOIR SUITE ET FIN RAP N’GARSO N’garso, 100% francs sourires, bouge en rythme SUR L’OUTRO MUSICALE. 106 FONDU AU NOIR SILENCE la SONNERIE D’UN RADIO-RÉVEIL. Le SON FEUTRÉ D’UN CORPS QUI BOUGE ENTRE DES DRAPS. LE SOUPIR CARACTÉRISTIQUE DE L’ÉVEIL (OFF) OUVERTURE CUT INT - CHAMBRE KARIM ET NADIA - NUIT (PÉNOMBRE) Karim est assis sur le bord d’un lit défait, le corps juste revêtu d’un boxer. Il reste ainsi à regarder le vide un moment dans LE CALME DE LA PIÈCE. Puis il tourne la tête vers l’autre côté du lit. Là, une silhouette féminine se dessine sous les draps, corps endormi de femme. Karim pose sa main au niveau des hanches de l’inconnue. La caresse fait se retourner Nadia à plat, dans un RÂLE ENSOMMEILLÉ. Il dépose doucement sa tête sur le ventre encore plat. Il garde la position une poignée de secondes et quand l’abandonne, dépose tendrement ses lèvres sur la chair. Il quitte le lit pour se retrouver sur ses deux jambes qu’il active en direction de la salle de bains (une porte donne dessus dans la pièce). Sur le radio-réveil, le cadran indique 4h05. FONDU ENCHAÎNÉ 4h15 sur le radio-réveil. Le rayon de lumière qui traverse fugitivement la pièce indique le retour de Karim dans la chambre. FONDU ENCHAÎNÉ 4h21 sur le radio-réveil. Nadia dort toujours, belle au bois. Le visage de Karim (le cou emmitouflé dans une épaisse écharpe) se penche sur celui de la jolie jeune fille pour lui embrasser tendrement le front. Un dernier effleurement du bout des doigts à cet endroit et il la quitte. 107 Dans l’éloignement, sa main sort de sa parka une enveloppe format lettre qu’il dépose en évidence sur le meuble près de la porte. Sur l’enveloppe, il y a écrit la personne destinataire : Nadia. Les « a » remplacés par des cœurs. Karim sort de la chambre, refermant la porte sur lui. EXT - CITÉ « LES GROUX » : BAS DE L’IMMEUBLE DE KARIM & NADIA - NUIT (PETIT JOUR) Karim sort de l’immeuble. Il marque un temps d’arrêt, laisse poindre un sourire satisfait sur son visage de beau gosse et enfile un bonnet de laine noire. Sac de travail à l’épaule, il met un pied devant l’autre, le pas décidé, l’air heureux. EXT - CITÉ « LES GROUX » : UNE DES RUES // LA RUELLE - NUIT (PETIT JOUR) Karim marche, les semelles de ses baskets attaquant le bitume avec fougue à la cadence des pas pressés. Il ne croise personne. Dépasse une ruelle sans ralentir. Des VOIX MÊLÉES en provenance de celle-ci : UNE FÉMININE… CELLE D’UN HOMME. LA FEMME SE MET À CRIER, APPELER À L’AIDE. Karim stoppe net, rebrousse chemin jusqu’à l’entrée de la ruelle. Là, il s’immobilise. À travers ses yeux, on découvre la scène : au bout de la ruelle, UNE FEMME se fait agresser par un BLACK, LOOK DE CAILLERA. Elle tente de (s’en)fuir mais le black la repousse violemment contre le mur et la maintient plaquée. KARIM Hé ! (Ho !) ? L’air grave, il commence à se diriger, d’abord lentement puis plus rapidement, vers le lieu de l’agression finalement vite rallié. KARIM Ho, mec ! Vas-y arrête ça, là ! Qu’est-ce que tu fous ? L’autre ne réagit pas, occupé à peloter Laetitia (!) contre le mur de béton. La « petite sœur » ne se débat plus et (p)rend plutôt bien les baisers du lascar. 108 KARIM (détimbré) Hé, mec ! J’te cause ! T’es sourd ? Il accompagne la parole : main sur l’épaule de la masse débordante d’affection. Sans accès de violence, le violeur (?) s’écarte de la belle enfant pour tourner la tête vers Karim. Il (nous) découvre(ons) le visage d’AMAR, sourire sardonique. Même lueur de vice et de cruauté dans le regard fixé sur Karim par Laetitia ! Le visage de Karim commence à se décomposer. FLASH-BACK INT - SALLE NPE SPECTACLES : SALLE - SOIR Laetitia mâchonnant crânement son chewing-gum à côté de Sofrane… RETOUR AU PRÉSENT EXT - CITÉ « LES GROUX » : LA RUELLE - NUIT (PETIT JOUR) Karim ne voit pas que dans son dos un autre lascar apparaît : Vernon ! D’un recoin renfoncé de la ruelle, sortent Mike et Libass. Karim, le trio maléfique dans le dos, garde en travers de la gorge, un « C’est quoi… c’délire !? ». Il se retourne pour partir et se retrouve face à face avec les hommes de Sofrane. Un réflexe de recul. Un sourire de détente. KARIM Oh oh… la. C’est jour de paie ou quoi ? Dans un élan soudain, il tente une percée, immédiatement sanctionnée… 109 EXT - CITÉ « LES GROUX » : ENTRÉE DE LA RUELLE – NUIT (PETIT JOUR) …(d’un coup de genoux en dessous de la ceinture). On distingue le corps de Karim s’écrouler comme un poids mort aux pieds de ses adversaires. Le gang enchaîne sur une série de coups de pieds. Ils s’y mettent tous à le tabasser à terre, dopés par les ENCOURAGEMENTS DE LAETITIA. On abandonne Karim à son sort en se tournant vers la cité endormie. FONDU AU NOIR OUVERTURE CUT EXT - CITÉ « LES GROUX » : PLACE CENTRALE – NUIT BARRY WHITE : UN DE SES TUBES DE LOVER UN BLACK, cheveux « décrépus », sapé classe pour sortir, traverse la place. Un coup d’œil à sa montre, il presse le pas, un bouquet de fleurs à la main. VOIX JEUNE Hé !!! Soulé ! PAUSE / REPRISE DU BARRY WHITE. Tout en continuant d’hâter le pas, SOULÉ jette une œillade sur le côté. Fait comme si de rien et trace sa route. PLUSIEURS VOIX JEUNES Oh Soulé !!! Enfoiré ! Heeeyyy… (rires) STOP BARRY WHITE. Soulé lève les yeux au ciel, soupire de fatigue et s’oriente vers ses admirateurs… …Qu’on découvre au fur et à mesure qu’il s’en rapproche, être tout le crew N’garso réuni sur deux bancs rapprochés. Aussi quelques éléments-phares de l’habituelle cliqua, parmi laquelle beaucoup de visages reconnus du fan-club officieux – voir le(s) concert(s). Ce qui porte à pas mal de monde qui observe, sourires aux lèvres, Mr Soulé se diriger vers eux. Une fois à leur hauteur, on note même l’œil amusé de chacun. 110 En face, c’est clair que « Papa Wemba » n’est pas à l’aise et redoute les premiers commentaires. C’est Gia qui prend la parole, main tendue en signe de salut. GIA (se donnant l’air sérieux) Alors Soulé ! Comm’ça on dit plus bonjour ? SOULÉ (en serrant la main de Gia) Ouais ben t’as vu, j’voulais pas déranger. GIA (grimaçant à l’italienne) Tt ! Quoi « nous déranger ». Depuis quand ça dérange de dire bonjour ? Hé Soulé ! C’est quoi ça ? (il pose une main sur le bouquet) Tu fréquentes ? On la connaît ? SOULÉ (sourire entendu) Ok bon, j’vais y aller là. Il fait un signe de la main pour tout le monde et commence à partir. GIA Soulé ! Il a la main en l’air. Soulé revient sur lui pour lui présenter la sienne à plat, paume tournée vers le ciel. Gia abat sa main. Un GRAND CLAQUEMENT. Mais quand Soulé veut reculer, il se retrouve prisonnier (Gia retient sa main sous l’étreinte de sa poigne). GIA Attends, viens voir là. Il attire le grand black à lui pour lui sentir le cou. 111 GIA (relâchant légèrement son emprise) J’y crois ap’ ! T’es fumpar. SOULÉ Hein !? NADIA (bras dessus, bras dessous avec son pote Gia) Hiiiii, Soulé, tu fais l’canard, avoue. SOULÉ (sur la défensive) Quoi !? TOUS LES AUTRES (chœur de charrieurs) Hééééé… GIA Super canard ! DÉMARRAGE INTRO MUSICALE (OVER) Gia et tout N’garso commence à battre la mesure de mouvements cadencés du cou. En face, Soulé, l’air dépassé, recherche dans l’atmosphère la source de diffusion sonore (!) (Les PREMIERS ÉCHAUFFEMENTS DE LA VOIX DU CÔTÉ DE GIA, ZYNO, DEREK ET ALISTAIR) C’est Gia qui lance. GIA Allé c’est reparti, pour la énième fois j’l’ai dit Être en chien, j’dis non moi mec c’est fini etc Progressivement, à l’écoute des paroles du rap « mise en boîte », Soulé passe de la fierté blessée à l’aveu de sa défaite, ses sourires de plus en plus fréquents en témoins visuels du changement d’état. 112 À l’image de l’auditoire qui augmente son kiff au fur et à mesure de l’interprétation. Jusqu’à constituer les chœurs aux moments des refrains. « L’affichage » est total quand viennent se rajouter au public, DES « MAMANS » DU QUARTIER, la mine ravie de cette animation improvisée. Le FINAL : REFRAIN A CAPELA… ou presque. Une musique, mélodie d’accompagnement qui s’invite à l’improviste et se rapproche. Celles des SIRÈNES DE LA CARAVANE DES SECOURS, LE TRIO HABITUEL : POMPIERS (SAMU), POLICE, AMBULANCE. À fond dans leur art (les DERNIÈRES SECONDES DE L’INTERPRÉTATION LIVE DE QUARTIER), les 4 rappeurs ne prêtent pas plus attention que ça à la perturbation sonore, à la différence de Nadia et de pas mal d’autres (les dames du quartier parmi), leur intérêt capté vers l’autre côté de la place centrale… …ou circule en trombe le fameux cortège annonciateur d’un drame dont le trajet pour rejoindre le lieu passe par la cité. Le point final de « Super canard » : GRAND ÉCLAT DE RIRES DU QUATUOR trop fort tranche avec les expressions d’inquiétude sur les visages de la plupart des autres, tous orientés, attentifs à l’éloignement des sonorités de malheur. Même si les secours ne sont plus à la vue des jeunes gens et adultes résidents, ils restent omniprésents par leur CONCERT DE SIRÈNES QUI TARDE À BAISSER D’INTENSITÉ. La tension se lit très vite sur les visages de tous (les 4 retardataires d’N’garso y compris). C’est Nadia qui la première s’écarte du groupe. Toute en pressentiment, elle effectue quelques pas en direction de la source sonore. Moins affectés, les autres commencent à se réunir autour d’elle. Après cette avancée, le champ de vision offert à Nadia fait apparaître le jeu de lumières des gyrophares. Elle se met d’un coup à courir vers l’endroit. Le restant suit vite dans une course moins effrénée. Reste Soulé, son bouquet de fleurs à la main. Il regarde sa montre. Un temps de réflexion. Hésitation. (Se) décide de les accompagner. Un court écart s’est creusé avec la meute, qu’il tente de rattraper à grandes enjambées. EXT - CITÉ « LES GROUX » : ENTRÉE DE LA RUELLE - NUIT Mister O, la mine bouleversée, vient à l’avance de Nadia. Autour d’eux, c’est la COHUE. BEAUCOUP DE JEUNES DU QUARTIER qui veulent s’engager dans la ruelle sont contenus par les (QUELQUES) POLICIERS en faction. À la vision du visage défait de Mister O, Nadia gravit un échelon de plus vers la peur panique. Il la dévisage sans parvenir à sortir le moindre mot. 113 Les autres achèvent de rejoindre la jeune fille : Gia, Zyno, Derek & Alistair en première ligne. Le moment que choisit O pour se laisser submerger par une vague d’émotion qui l’amène à une crise de larmes incontrôlable. Nadia bouscule Mister O et se précipite vers l’entrée de la ruelle. Gia, les 3 autres, en plan, choqués par la réaction soudaine et d’une tristesse absolue du grand Mister O. Gia est le premier à changer, envahi à son tour par une appréhension du genre qui se lit sur le visage. Il part, droit devant lui… …rejoint Nadia, en pleine scène avec les forces de l’ordre. Tout le mal du monde à contenir cette furie dont l’objectif unique est de pénétrer dans cette ruelle au périmètre sécurisé. Elle crie fort et strident. NADIA Laissez-moi !!! Laissez-moi !!! Kariiim !!!... Zyno, Derek & Alistair en entendant hurlé le prénom de leur pote, se tournent vers Mister O. Les yeux remplis de larmes, il fuit leur regard en détournant la tête. Il redouble d’intensité dans le registre du désarroi, la SONORITÉ DE SES SANGLOTS COUVERTE PAR LES HURLEMENTS DE FOLIE de Nadia. S’ajoute la voix de Gia. GIA (off) Bande d’enfoirés ! Laissez-nous passer. Les 3 blacks plantent tout le monde pour apporter leur poids au bélier humain initié par les 2 autres membres d’N’garso : Nadia qui se débat plus que jamais, Gia en négociateur au ton houleux. GIA Mais putain lâchez-la ! Vous voyez pas qu’on a un frère là-bas ! Il indique le fond de la ruelle. Où… 114 EXT - CITÉ « LES GROUX » : FOND DE LA RUELLE - NUIT …les BRANCARDIERS baignés dans une lumière irréelle sont penchés sur un CORPS COUCHÉ AU SOL. Là-bas, à l’entrée de la ruelle, quelqu’un a réussi à passer le barrage et se rapproche AU RALENTI. Il s’agit de Nadia, suivie AU RALENTI de ceux les plus prompts à profiter de la brèche : Gia bien sûr, Derek, Zyno, Alistair. Leurs silhouettes lumineuses et diaphanes se détachent dans l’étroit et sombre boyau jusqu’à atteindre la scène… du crime. En bout de course, Nadia parvient à entrapercevoir le visage ensanglanté de Karim avant que le brancardier n’ait terminé de refermer le body bag sur son corps tout entier. Elle bouscule les deux malabars et s’écroule sur le cadavre. NADIA Oh non !!! Les gestes désordonnés, les mains tremblantes, elle agit sur la fermeture-éclair pour libérer le haut du corps mort et découvrir un visage rouge sang. En découvrant le visage de son ami, Gia a une réaction de rejet. Sans détacher son regard (les yeux grands ouverts), il recule, se déporte, presque en déséquilibre. Sans mot, il reste à l’écart. Arrivent le trio Derek, Zyno, Alistair dans la même foulée. Eux, se prennent de plein fouet la scène : le buste ensanglanté de Karim, balancé d’avant en arrière, plaqué contre celui de Nadia. Nadia qui HURLE, CRIE DE DOULEUR en levant la tête au ciel. Les 3 négros cherchent à reprendre pied en levant les yeux vers Gia. Lui réagit, leur renvoie leur regard d’enfant perdu, rattrapé par la violence. Quand soudain, Gia réagit, un pas, un geste de la main, de la tête comme pour indiquer au trio l’urgence dans leur dos. Mohedine ne passe pas, bloqué par Zyno, (dé)tourné, visage plaqué contre le ventre de l’adulte. Gia, vidé de toute énergie, baisse en tension et voit son attention tirée sur le flanc. Soulé, look décalé avec le lieu, la situation, est planté là, tétanisé. Bouche entrouverte, bras ballants, il laisse échapper le bouquet qui vient s’écraser sur le sol crasseux. NADIA (off – ton implorant, suppliant) Non ! Non ! Laissez-le ! Qu’est-ce que vous faites !? 115 EXT - CITÉ « LES GROUX » : ENTRÉE RUELLE - NUIT Fermeture de la porte arrière du véhicule du SAMU. Nadia est retenue par Gia. Tout son corps est tendu vers l’arrière du fourgon et tout son visage est déformé par un masque de douleur inconsolable. D’AUTRES DU QUARTIER sont arrivés. On les reconnaît, tous entrevus depuis le début de l’histoire. Francis, alias « Point rouge frontal », secoue la tête de dégoût. Sa bande affiche des mines sombres et taciturnes. Biggie Chris peine à contenir ses larmes malgré un big mouchoir. Son émotion est vive : sa RESPIRATION HÂCHÉE ne trompe pas. Le bras de Zyno vient se poser sur l’épaule du gros pour le consoler, dignement. Derek et Alistair regardent dans la même direction. Celle de Mister O qui, malgré les quelques mètres qui les séparent, n’a d’yeux dans les yeux que pour… ? Derek et Alistair suivent la direction de ce regard pour voir Gia rendre la pareille à son observateur à distance. Lui et Mister O semblent tous deux être les seuls détenteurs d’un secret dont ils échangent les termes par télépathie. C’est Gia qui rompt le premier en regardant à nouveau devant lui. Nadia est toujours (re)tenue par ses bras. L’air grave, revanchard, Mister O porte à son tour la ligne de son regard droit devant. Le fourgon démarre et s’éloigne. LES SIRÈNES DE GIROPHARES SONT MUETTES AU PROFIT D’UNE MONTÉE DE MUSIQUE DE CIRCONSTANCE. Nadia s’effondre, corps écroulé que Gia a le plus grand mal à soutenir. Devant eux et les autres, passe le cortège. ALTERNANCE entre : l’éloignement grandissant du fourgon (un, puis deux véhicules à sa suite) l’effondrement progressif de Nadia. FONDU AU NOIR / FADE MUSIQUE OUVERTURE CUT EXT - CITÉ « LES GROUX » : ENTRÉE DE LA RUELLE – JOUR FX SON + IMAGE ÉCRAN TÉLÉ QUI S’ALLUME UNE JEUNE JOURNALISTE REPORTER TV, micro à la main, parle à la caméra. 116 LA JEUNE JOURNALISTE C’est ici à la Cité des Groux au fond de cette ruelle, cette impasse, qu’a été retrouvé le corps de… Une photo N&B PLEIN ÉCRAN LA JEUNE JOURNALISTE (off) … Karim NASRI, 25 ans. EXT - CITÉ « LES GROUX » : ENTRÉE FOND DE LA RUELLE - JOUR Cheminement SUBJECTIF dans l’étroit boyau. LA JEUNE JOURNALISTE (off) Il était 5h hier matin lorsque Karim, jeune garçon sans histoire selon ses proches, part travailler. On ne sait pas encore ce qu’il s’est passé entre le moment où il quitte son domicile et la découverte de son corps… Fin de parcours dans la ruelle sur une grande flaque de sang séché. LA JEUNE JOURNALISTE (off) …par des gamins du quartier qui traînaient là. Aussitôt les forces de l’ordre se sont rendues sur place et ont bloqué le périmètre. Une enquête est ouverte et le moindre témoignage qui pourrait apporter des éclaircissements sur cet horrible fait divers est le bienvenu. FONDU ENCHAÎNÉ 117 EXT – CIMETIÈRE - JOUR Tous en costume de deuil : Gia, Zyno, Derek, Alistair, les autres têtes connues du quartier. Gia soutient LA MÈRE DE KARIM, femme d’âge mûr, portant voile et pleurant son fils. Alistair, le plus à droite, part le premier pour venir jeter une poignée de terre sur le cercueil au fond du trou. Puis c’est Derek qui prend la suite. Zyno. Et vient le tour de la mère, fermement soutenue par Gia. Devant la fosse, elle se laisse aller à un chagrin digne de l’amour qu’elle portait à son fils. Avec beaucoup de tact et sa force de caractère, Gia est un soutien, un bras, une épaule salutaires. Il parvient à prendre un peu de terre dans le petit sac et s’en débarrasse sur le cercueil en contrebas. Son visage fermé n’indique aucune émotion, en contraste avec la femme qui s’accroche à son bras. Le couple improbable rejoint un emplacement. Vient Nadia. À l’image de son meilleur ami, elle affiche une force intérieure qui la fait rester sobre dans son émotion. Son visage est dur. Même si, le temps d’un trouble passager, elle semble contenir une vague d’émotion à la limite de la submerger. De sa doudoune noire, elle extrait une lettre. NADIA (de la difficulté à parler) Ceci… ceci est la lettre que Karim m’a écrite et que… j’ai trouvé à mon réveil le matin de… Elle déglutit. Les mots ont de plus en plus de mal à sortir. Elle reprend. NADIA Il s’agit d’un texte… ses derniers mots… La feuille tremble entre ses mains et devant ses yeux. NADIA (flow à fleur de peau) Rap / Slam à écrire sur demande en mariage de Karim à Nadia 118 Tout du long, elle aura retenu le flot d’émotion à l’affût et c’est avec une dignité, une force et un courage exemplaires qu’elle replie la feuille de papier pour la ranger dans sa doudoune. Sur elle, très proche de son visage, de ses yeux qui regardent perdus le fond de la fosse. Au bout de quelques secondes, son regard est brièvement attiré vers nous. Un coup d’œil, papillotement de paupières traduisant son trouble. Aussitôt L’IMAGE PASSE EN VIDÉO. INT – APPARTEMENT KARIM & NADIA : SALON - SOIR DU PLEIN ÉCRAN… À UN ÉCRAN DE TÉLÉ… posé sur un meuble bas… JOURNALISTE (off - voix reconnaissable, ex : PPDA) …avaient lieu aujourd’hui les obsèques de Karim Nasri, ce jeune de la cité des Groux, sauvagement assassiné et dont l’enquête ouverte pour retrouver le ou les auteurs de ce crime urbain s’annonce difficile. En effet… …parmi un fouillis au sol. À l’image, le reportage ne montre plus le gros plan sur Nadia mais des visages parmi l’assemblée qui assiste à la cérémonie au cimetière. JOURNALISTE (off) …aucun témoignage n’est venu jusqu’ici aider la police… LE SON ET L’IMAGE STOPPENT NET (EN PAUSE). (Rem : la façade de la télé indique un magnétoscope intégré) On découvre en face, assise en indien sur le sol, des photos étalées autour d’elle, Nadia, le bras en avant, à son extrémité, la télécommande. À 180°, sur l’écran télé, l’image gelée est composée d’un personnage central qui capte toute l’attention : une jeune fille toute de noir vêtue, du moins pour ce qu’on en voit (le buste). À 180°, Nadia, les yeux rougis parce qu’elle a dû pleurer, le regard fixe sur cette pause image. 119 À 180°, un détail du visage filmé : la bouche… souriante ! Pas un smile pleines dents mais un rictus sans équivoque, sinon ambigu. À 180°, Nadia ouvre un peu plus la bouche, plisse les yeux, 100% concentrée sur la petite lucarne. FX FLASH WHITE LIGHT FLASH-BACK INT - SALLE NPE SPECTACLES : SCÈNE – SOIR REPRISE DE LA CHANSON CONCERNÉE PAR L’EXTRAIT Nadia est sur la scène avec les autres, en pleine action. Son regard tombe sur quelqu’un au fond de la salle. À 180°, Sofrane avec à son côté, Laetitia. À 180°, Nadia cesse progressivement de bouger sur le rythme. Pas les autres autour d’elle. À 180°, Laetitia fait naître le même sourire que sur l’image d’elle filmée par le caméraman au cimetière… ! Nadia se fige définitivement, en état de choc sur la scène. Autour d’elle, le N’garso show se poursuit. Au ralenti (?), à moins que ce soit elle, sa tête (face catastrophée) se tourne du côté de Karim, alors en pleine forme, bougeant comme un dieu sur le son. Il disparaît progressivement - phase intermédiaire de transparence - dansant jusqu’au bout. Quand le corps de Karim n’est plus qu’un souvenir, Nadia retourne la tête vers le fond de la salle, ses yeux embués de larmes, tous les traits de son visage tendus dans une expression d’incompréhension : « Pourquoi ? » FONDU AU NOIR RETOUR AU PRÉSENT EXT – DEVANT LE LYCÉE - JOUR AMANDINE, une jeune lycéenne plutôt mignonne, look fille à papa, est dos au mur. 3 personnes de dos (2 blacks et une fille) la privent d’échappatoire. Leur échange verbal se fait À VOIX BASSE. L’ado leur ouvre nerveusement son sac à dos. 120 Laetitia se charge de fouiller à l’intérieur du sac pour en sortir un baladeur cd, qu’elle refile à Vernon. Mike surveille d’un regard vicieux Amandine. Elle, garde les yeux baissés, un peu rose de confusion, soumise au racket. LAETITIA (fort accent caill’) Voilà !... Laetitia sort un haut de sport dont elle se débarrasse sur les bras de Vernon. Et du fond du fond, un portefeuille en toile fluo qu’elle remue au visage de sa jeune propriétaire. LAETITIA Hein !... Tu voulais nous la faire à l’envers. Laetitia ouvre le portefeuille – « SCRATCH SCRATCH » DES VELCROS. Le contenu apparent (cartes, papiers) est rapidement passé en revue et chaque document jeté négligemment au sol. Puis la petite main aux doigts boudinés tire la fermeture éclair vers le bas pour s’enfoncer dans l’ouverture, en ressortir avec un billet fripé de 5 euros. LAETITIA Quoi !? 5 « e » !? Tu t’fous d’moi, là ! AMANDINE (relevant timidement les yeux, lèvres de plomb) J’vous avais dit que j’avais pas l’argent. LAETITIA (attrapant violemment l’ado par les cheveux) Ecoute-moi bien p’tite salope ! Si j’ai pas l’fric demain matin 8 heures, il va t’arriver des ennuis. Sofrane a été réglo. T’as eu ta came. Il veut être payé. Et crois-moi que tu l’paieras par tous les moyens. 121 T’as d’jà entendu parler des tournantes ? Dis-toi qu’Sof peut en organiser une spéciale rien qu’pour ta jolie p’tite gueule !... Elle relâche l’adolescente toute tremblante. LAETITIA Demain matin 8 heures ! Le trio malfaisant est sur le départ : Vernon déjà en train de tester son nouveau baladeur CD, Laetitia jette le portefeuille suivi du sac éventré aux pieds de la lycéenne ; Mike se fend d’une caresse du revers de sa grande et grosse main sur la joue de la mineure craintive. Un dernier sourire malsain et il emboîte le pas des deux autres, abandonnant… …une enfant perdue, traumatisée, qui met un petit temps avant de se rassembler. Enfin, Amandine s’accroupit pour ranger ses affaires éparpillées au sol. Une main, un bras rentrent dans sa sphère pour lui (ap)porter de l’aide dans le ramassage. Nadia rapproche, réunit les éléments qui reconstituent le contenu initial ou presque du sac. Surprise mais sans refus, Amandine remplit son sac. Nadia regarde dans la direction prise par les 3 coupables. EXT – DEVANT LE LYCÉE : PLUS LOIN - JOUR VERNON (s’affairant autour de son nouveau baladeur, casque sur la tête) Putain, c’est chaud quand même 8 heures ! À côté, Mike a aussi les mains dans les poches, marche visage impassible, un bonze. Vernon se retourne vers la p’tite princesse rose qui marche derrière mains dans les poches. LAETITIA Quoi c’est chaud 8 heures !? VERNON Ben tu lui as dit (il l’imite) « Demain matin 8 heures ! » 122 LAETITIA Ben ouais et alors ? VERNON Pffh, allé vas-y ! Ça s’ra sans moi ! Mike esquisse un rictus qui ressemble à un sourire. LAETITIA (stoppe net) Quoi ! Les deux autres s’arrêtent à leur tour et se retournent. LAETITIA (sur son redémarrage) …ouais allé c’est ça, mets ton réveil pour une fois, ça t’changera ! VERNON (dans les aigus) Houuu-ou-ou… Sur cette réplique cinglante, elle file son chemin, met de la distance. Dans son dos, les deux renois restent comme deux piquets. EXT – TROTTOIR - JOUR Laetitia toute seule, la marche un peu moins rapide. Une SONNERIE DE PORTABLE. Elle le sort de sa poche, regarde l’écran avec étonnement (elle mâche un chewing-gum). LAETITIA (voix à peine audible) Qu’est-ce que… Elle décroche, porte l’appareil à son oreille. 123 LAETITIA Ouais… Hein ? Qui ça ?... Ah non c’est pas Marie. Nan… nan… ouais voilà fait ça… voilà, allé… Elle (lui) raccroche (au nez). Avant de ranger l’appareil, elle réfléchit et dans une attitude « après tout ! », elle compose sur le clavier. Le téléphone collé à l’oreille, elle attend la tonalité de l’appel. LAETITIA Wesh Sof, ça va ?... Ouais ben c’était pour te dire que t’auras l’argent demain sans faute. Ouais c’est bien ce que… Mais puisque j’te dis que tu auras l’argent demain ! T’énerve pas là ! Elle avait PAS l’gen-ar ! Keske tu voulais qu’je fasse ! Ouais ben on verra demain d’accord !... Sinon qu’est-ce que j’voulais t’dire… t’es où ?... pourquoi ?... Attends… Nadia la croise. Laetitia s’arrête, regard accroché sur le mouvement de Nadia qui s’arrête à son tour et la regarde. NADIA Tu s’rais pas la rate qui traîne avec Sof’ ? LAETITIA (portable toujours porté à l’oreille) Attends… j’te rappelle. Si, j’te rappelle ! (elle range le portable dans sa doudoune de Barbie) Et tu lui veux quoi à « Sof » ? NADIA Ben moi rien mais lui j’sais pas. LAETITIA Quoi tu sais pas ? Vas-y accouche, j’ai pas qu’ça à faire. 124 NADIA Ben c’est qu’c’est pas facile à t’expliquer, t’es marrante. Tu d’vrais comprendre qu’entre meufs ces choses-là… euh… c’est pas… c’est paaas… c’est pas simple, voilà ! LAETITIA Oh la la, la prise de tête ! T’es relou toi comme meuf ! Vas-y m’compare pas à toi. Y-a pas d’entre meufs. Y-a toi ! Y-a moi ! Sof, tu lui veux quoi ? Dernière fois après j’trace ! NADIA Ok ben j’ai pas l’choix, j’me lance. Tu sais pas s’il est toujours à la recherche de filles ? Aucun son ne sort de la bouche de Laetitia, estomaquée. NADIA Oh la j’t’ai choquée là ou tu réfléchis ? LAETITIA (sur la défensive) Vas-y, j’t’écoute. NADIA Ben ça y est, j’ai fini. LAETITIA (toujours prudente) Tu veux savoir si Sof est toujours à la recherche de filles… NADIA Ouais c’est ça, enfin tu vois… LAETITIA Ouais vite fait. Mais euh… qu’est-ce que j’voulais dire 125 (elle se gratte la tête, se donnant l’air embarrassé) …c’est toi qui d’mande ça ou bien… NADIA Ecoute si on pouvait zapper l’interrogatoire… j’préfère si ça t’dérange pas. LAETITIA (retrouvant son côté peste) Donc c’est (bien) pour toi. Et qu’est-ce qui t’fait penser que ton mec n’en saura rien ? Un SILENCE AFFECTÉ du côté de Nadia. Qui reprend NADIA Un mec ? Quel mec ? Au tour de Laetitia de marquer un temps de trouble passager. LAETITIA J’imagine que t’es grave en galère de thunes pour venir m’parler d’ça. NADIA Grave. J’ai un loyer à payer et un salaire de vendeuse à mi-temps à cause que j’poursuis des études. Même avec la bourse, j’y arrive pas. J’t’assure, j’y arrive pas. LAETITIA Et tu t’es dit pourquoi pas… NADIA Après tout c’est pas moi qu’a eu l’idée. C’est Sofrane à vrai dire. LAETITIA Ben il a eu raison apparemment. 126 Laetitia toise Nadia du regard, un sourire narquois. NADIA Alors ça s’passe comment ? J’rentre chez moi et j’attends qu’il m’appelle ou bien ? LAETITIA Oh oh non, tu rentres pas chez toi, ma p’tite chérie. (elle ressort le portable) T’es chaude. Faut pas laisser refroidir. Attends voir… (elle compose le numéro en s’éloignant de quelques pas, faisant dos à Nadia) Allôôô… deviiine qui c’est… hein !? comment tu m’as appelé ?... Ouais bon ben ça va… oh la la t’es pas drôle… mh bref tu veux pas savoir pourquoi j’te rappelle là… ?... hein… Sof !... Sofrane… allô… allô !!! (elle regarde le portable effarée, jette un p’tit coup d’œil gêné vers Nadia toujours là)… l’enf’… il a… nooon… (elle recompose le number et passablement irritée se le recolle à l’oreille) Ouais j’disais « tu veux savoir pourquoi ? »… ah quand même… et bien figure-toi que j’ai à quelques mètres de moi une jeune fille à qui tu aurais soi-disant proposé de travailler pour oit’… mh mh c’est ça… (elle jette de temps à autre un œil en direction de Nadia, simple vérification) …ça te dit rien… Ben ouais ouais plutôt mignonne, la vingtaine, un peu ‘caill comme t’aimes. Une muslim non pratiquante, tu vois… (d’un geste futile et snob, elle couvre de sa main le bas du portable pour s’adresser à Nadia) …ton nom ! NADIA Qui d’mande ça !? 127 LAETITIA Si t’es réglo, ton futur boss ! NADIA (qui s’assombrit) Dis Nadia alors, ça suffira. LAETITIA Sofrane ? C’est Nadia. INT - SQUATT – SOIR La bouche lèvres scellées de Sofrane près de son portable. Derrière lui, dans le flou, on distingue plusieurs formes humaines sur un canapé. Deux malmènent une, à entendre les CRIS, les SONS DE GIFLES. EXT – TROTTOIR – JOUR LAETITIA …Sofrane ?... Oh eh non ça va pas r’faire chier ! (elle zyeute l’écran du téléphone) …pffh… Sofrane t’es là ?... (elle met un voile sur sa voix) T’as entendu… c’est Nadia… c’est sa meuf… INT - SQUATT – SOIR SOFRANE Je sais, ferme-là. (le mutisme à nouveau. Pas longtemps. Le temps d’un dilemme) Ecoute (moi) bien. Tu (vas) lui dis (dire) que je l’attends dans une heure devant l’ancien local. 128 EXT – TROTTOIR – JOUR LAETITIA Dans une heure ? Oh la on perd pas d’temps à c’que j’vois. Ouais ouais je m’tais je m’tais. Toud’ façon si tu crois qu’elle va pouvoir s’libérer et v’nir comme ça rien que parce que Monsieur… (a) claque(é) des doigts… Nadia vient tout à côté de Laetitia. NADIA Il a dit dans une heure ? Il veut m’voir, c’est ça ? Laetitia adresse un regard noir à l’intruse. LAETITIA Tiens, elle est juste en face de moi, là. (Si) tu veux, (tu) lui d’mande(r) ça toi-même (?) Elle tend l’appareil à Nadia qui s’en saisit avec une assurance imprévisible. NADIA (grave et concernée) Wesh Sofrane (Laetitia n’en perd pas une miette) c’est Nadia. Une heure ça l’fait. La surprise se lit sur le visage de Laetitia. INT - SQUATT – SOIR Des spasmes légers viennent troubler l’immobilisme jusque là parfait des lèvres de Sofrane. La main est également victime d’un petit tremblement. Quelques secondes de SILENCE TENDU. En fond sonore les CRIS ÉTOUFFÉS de la fille entre les pattes des deux silhouettes. 129 EXT – TROTTOIR - JOUR Nadia, le portable vissé à l’oreille, est tendue comme un arc. Laetitia stressée par le silence radio s’impatiente, veut reprendre le cellulaire. Nadia recule son buste en arrière. INT - SQUATT – SOIR SOFRANE (moins assuré que d’habitude) Devant l’ancien local alors. EXT – TROTTOIR – JOUR NADIA (sourcils froncés, l’écoute parasitée par la tentative de putsch « laetitienne ») De… devant l’ancien local, c’est c’que t’a dit ? Sof, t’es là ? Tu m’entends ? Nadia décolle le portable de son oreille pour contrôler l’écran et s’apercevoir que : NADIA (tranquille) Il a raccroché. Laetitia récupère le téléphone que Nadia lui tend et pose un regard sceptique sur l’écran, puis sur Nadia. Finalement, elle confisque l’appareil dans sa doudoune et dans un soupir : LAETITIA Bon ben c’est pas qu’j’m’ennuie mais j’vais t’laisser. T’as pas trop d’une heure pour t’arranger un peu. 130 Dit-elle en la toisant avec dédain des pieds à la tête. Nadia encaisse, décrispe un sourire. NADIA Mh, ouais c’est ça, j’vais aller m’arranger un peu. Ben merci alors. LAETITIA Me remercie pas trop vite, ma p’tite. Ça s’voit que tu l’connais pas tant qu’ça mon négro. Le PORTABLE SONNE DANS SA POCHE. Elle le ressort, décroche, en profite pour planter là Nadia sans plus un regard. Dans l’éloignement de dos : LAETITIA (au téléphone) Ouais (encore toi !) J’t’ai d’jà parlé à toi !... Ouais ben Romuald, tu vas être un brave toubab et tu vas oublier ce number et la Marie qui va avec ! Nadia la regarde partir sans masquer son mépris, le dégoût (!) qu’elle lui inspire. Après avoir mis quelques pas entre elles, Laetitia s’arrête (en raccrochant). LAETITIA (dos tourné) Hé « Nadia » (prononcé avec une pointe d’accent arabe !) Elle se tourne (en rangeant le téléphone dans sa poche habituelle). Sourire de peste. LAETITIA N’oublie pas CV, lettre de motivation. Elle part dans un GRAND ÉCLAT DE RIRE en repartant sur le trottoir. Nadia la fusille du regard, prend sur elle pour lancer dans un simili sourire : 131 NADIA (voix portée) Et pour la photo ? L’autre sans se retourner, de là-bas. LAETITIA (C’est ça !) À mon avis (tu sais quoi ?), ils en auront pas besoin pour se souv’nir de toi ! NADIA (dans un dernier effort pour paraître dans l’humour) Inch Allah, t’as vu. (voix portée) (Juste pour elle) Avec ou sans (dieu), j’te nique ta race ! (masque de haine, mâchoires serrées) LES PREMIÈRES NOTES D’UN ACCORD DISSONANT PONCTUE LA RÉPLIQUE. Nadia reste quelques secondes, visage qui fait peur, à fixer dans la direction de l’autre qui s’éloigne. LA NAPPE MUSICALE ASSOURDISSANTE. MONTE CRESCENDO JUSQU’À DEVENIR Puis AU RALENTI, Nadia se détourne, part mauvaise à l’opposé de Laetitia, à distance croissante dans son dos. Laetitia, réelle tête à claques au sourire pervers, Nadia s’éloignant derrière elle. Vue du trottoir d’en face : les deux filles qui marchent AU RALENTI dans les cardinaux opposés. SONORITÉ AU TOP DE SON VOLUME, SATURÉE AU MAX. Calé sur le tempo, UN BEAT LOURD, on « rentre » dans l’image en 2 temps. INT - APPART NADIA + KARIM : CHAMBRE – JOUR « WHO DO YOU LOVE » PAR 2PAC (ALBUM « LOYAL TO THE GAME ») (OVER) EN RYTHME, les actions s’enchaînent : Nadia fait irruption dans la chambre, remontée à bloc. 132 Se débarrasse de sa parka qu’elle laisse tomber au sol. Ouvre l’armoire, prend une robe de couleur noire sur la penderie. La jette encore sur son cintre sur le lit défait. Elle enlève son tee-shirt. Se retrouve en soutien-gorge, bas de survêt, baskets. Ouvre un des tiroirs de la commode où sont rangées les petites culottes, strings. S’empare d’un string. Referme. Ouvre un autre tiroir. S’empare d’une paire de bas. 3ème tiroir : un soutien gorge plus sexy que celui qu’elle porte. Tout ça est TOUJOURS PARFAITEMENT SYNCHRONE AVEC LE BEAT. Le pied à présent recouvert du bas noir. Le talon rentre dans la basket… noire de marque, plus fine et féminine que celles portées précédemment. Sorti du sac à mains pochette en croco noir, le stick de rouge est porté aux lèvres de Nadia qu’il colore dans un mouvement expert. Du fard à paupières à présent appliqué. Final : son regard dans la glace qui nous transperce. LA MUSIQUE DISPARAÎT PROGRESSIVEMENT FONDU ENCHAÎNÉ calqué sur les yeux de Nadia. EXT - DEVANT « L’ANCIEN LOCAL » - JOUR (à l’abandon, tags sur les portes) Les yeux écarquillés de Sofrane. Son visage, l’allumette pendante collée sur sa grosse lèvre inférieure. Très vite, il retrouve son air supérieur, revenu de tout, un petit sourire en coin, vicieux et pervers. Nadia apparaît de dos face au jeune caïd. Elle porte un manteau de cuir noir. Ses cheveux sont coiffés avec volume. SOFRANE (récupérant l’allumette entre ses doigts) (après un soupir d’admiration) Pfouh, t’es allumée de t’balader comme aç. Allé, viens là. Il attire Nadia à lui qui le repousse avec vigueur. 133 NADIA Heyyy !... Dans le mouvement de bascule arrière de son buste, Sofrane laisse apparaître Nadia de face. Très féminine. Sa beauté naturelle mise en valeur. NADIA (accent jeune de cité) Bas les pattes, tu crois quoi ? Tu m’as pris pour une meuf perdue ou quoi ? SOFRANE (rentrant dans un jeu de séduction) Vas-y arrête de faire style. Toi et moi on est d’la même rue. Quand j’ai voulu j’t’ai eu (il claque des doigts) NADIA Qu’est-ce que t’as eu ? Mon cul ? Si on compte toutes les fois où j’étais réglée, combien d’fois tu m’as dallé, hein ? Combien d’fois, vas-y dit ! (elle se rapproche du visage de Sofrane) SOFRANE (moins à l’aise, détourne les yeux, fait jouer l’allumette dans sa bouche) Allé calme-toi là. Tu parles trop (il prend l’allumette et la jette au sol) NADIA (s’écarte de Sofrane) Ouais t’as raison. C’est plutôt à toi de m’parler. SOFRANE Viens, on reste pas là ! 134 Il lui attrape le bras, déboule une voiture de marque aux vitres teintées. NADIA Aïe ! Lâche-moi-ah ! Qu’est-ce que tu f… Sofrane lui met la main sur la bouche, la pousse sur la banquette arrière, monte à côté, ferme la portière. La voiture repart. INT - COULOIR IMMEUBLE ÉTAGE APPART KARIM + NADIA - SOIR Gia marche dans le couloir. Son visage porte le deuil de Karim. Arrivé devant la porte de l’appartement, il EXPIRE UN BON COUP ET SONNE. Il attend raisonnablement et SONNE À NOUVEAU. La même attente insatisfaite. Il sort son portable et compose un numéro. Il attend, le téléphone à l’oreille. À l’autre bout, on décroche. GIA Allô Nadia, c’est moi. J’chuis d’vant ta porte là. T’es où ? Le silence ou presque à l’autre bout de la ligne. Une RESPIRATION que Gia écoute sans renchérir. L’air plus inquiet, il raccroche, range le téléphone dans sa poche et décide d’ouvrir la porte. Il y parvient simplement et pénètre dans l’appartement. DÉMARRAGE MUSIQUE À LA BADALAMENTI (tension dramatique) De dos, il progresse lentement dans le couloir d’entrée (même disposition que les apparts de Gia, Mister O…). Arrivé au coin, prend à droite. INT – APPART KARIM + NADIA : SALON - NUIT (CLAIR OBSCUR) SUITE MUSIQUE À LA BADALAMENTI (tension dramatique) Gia apparaît dans l’encadrement de la porte du salon, poursuit à l’intérieur. Il évolue en enjambant les objets nombreux et variés qui jonchent le sol (des vêtements ayant appartenu à Karim, des photos étalées, « vomies » de leur boîte de 135 rangement). Le canapé et le centre de la pièce atteints, il a un regard circulaire d’ensemble pour ce sol encombré. Quand son regard est attiré par la lumière en provenance de l’écran télé, son visage prend progressivement une expression catastrophée. LA MUSIQUE RAJOUTE À LA TENSION DRAMATIQUE. Toujours en pause, le visage de Laetitia et son petit sourire en coin à l’enterrement de Karim. INT – CAVE - SOIR SUITE MUSIQUE À LA BADALAMENTI (tension dramatique) La même Laetitia. LES SONS D’UN ACTE SEXUEL INTENSE (OFF) soumis à son regard lubrique. 1ÈRE VOIX OFF (sons coït + petits cris étouffés) Ouais vas-y c’est ça, baise-là cette salope ! 2ÈME VOIX OFF (sons coït + petits cris étouffés) Oh qu’est-ce qu’elle est bonne la chienne !!! 3ÈME VOIX OFF (sons coït + petits cris étouffés) Allé sale pute ! Open your mouth ! Open ! 2ÈME VOIX OFF (sons coït + petits cris étouffés) Ah fuck ! Baby oh ! Yeah-sss ! Un CRI DE FEMME, terrible, raisonne soudain. S’ensuivent les SONS D’UNE CONFUSION GÉNÉRALE, l’air tout à coup perdu de Laetitia, dépassée par la tournure des évènements. LA MUSIQUE S’EMBALLE → THÈME ACTION 1ÈRE VOIX OFF (empreinte de panique) Attention, elle se barre ! 136 Laetitia amorce un départ. INT – APPART KARIM & NADIA : COULOIR - SOIR SUITE THÈME ACTION Gia sort en trombe de l’appartement tirant la porte derrière lui. LA PORTE CLAQUE. EXT – SUR TOIT IMMEUBLE - JOUR SUITE THÈME ACTION Une porte blindée s’ouvre brusquement sur Nadia HURLANT AUX LARMES. Son visage est tuméfié, son maquillage a coulé et ses cheveux sont ébouriffés. Elle court, CRIE DE TERREUR, ses vêtements déchirés. Mais elle arrive vite au bord de tomber – LA MUSIQUE MARQUE UN PREMIER TEMPS. Prise de panique, elle recule, veut trouver une autre issue mais les autres sont déjà à la porte – LA MUSIQUE S’ARRÊTE. Mike, le premier à sortir, la repère au premier coup d’œil. MIKE Elle est là ! Le rejoignent Vernon avec la naissance d’un sourire quand il la voit puis Libass, tous les deux chemise ouverte. Comme à l’habitude, Vernon + Mike se mettent en retrait. Libass avance donc à pas lents vers Nadia, l’air menaçant. Elle recule, toute tremblante. NADIA (aphone) Non… non… Tout va très vite. Laetitia a suivi. Dépassée par les évènements quand elle découvre la scène, ses yeux vont d’emblée chercher les 3 blacks tous braqués dans une direction qu’elle adopte. 137 Nadia est revenu au bout du toit sans plus aucune autre échappatoire. Sa panique redouble (d’intensité) et elle sursaute à l’idée du vide derrière elle. Un HOQUET DE TERREUR. Mais elle tient l’équilibre. En face, par la porte restée ouverte, l’amorce d’une nouvelle arrivée sur le toit. Laetitia, les autres dans leur positionnement gênent la vision du ou de la nouvelle venu(e). Nadia dès qu’elle aperçoit l’inconnu(e) à nos yeux le reconnaît aux siens. Un SILENCE BLANC se fait brusquement. Le choc visuel généré provoque le déséquilibre fatal et Nadia tombe dans le vide. L’action est si soudaine que l’impression est presque celle d’un trucage à l’image. Sous l’effet de surprise, ses tortionnaires devenus ses bourreaux ne réagissent pas tout de suite. Libass, aux avant-postes, se précipite à l’endroit encore occupé il y a une seconde par Nadia. Juste avant d’arriver pour se pencher et voir, il pile, se cambre tel un cheval refusant l’obstacle. Préfère se retourner vers les autres qui tous affichent le masque figé de la peur. À contrecoeur, Libass se penche et revient très vite en position. Sa courte grimace, sorte de froncement de toute sa face, traduit la vision qu’il vient d’avoir. On découvre le dernier arrivé sur le toit. Au départ juste son torse, nu, le visage caché par le tee-shirt qu’il est en train de passer. Le visage de… Mister O (!!!) contrairement aux autres ne traduit aucune émotion. De ce « masque de cire » jusqu’au point de départ de la chute de Nadia dans un mouvement virtuel de recul [FX Matrix]. En piqué pour descendre les nombreux étages de l’immeuble (on longe la paroi) à une vitesse vertigineuse - SON DE L’AIR FENDU COMME PAR UN CORPS EN CHUTE LIBRE - jusqu’au visage de Nadia écrasée au sol - BRUITAGE CORPS HUMAIN QUI S’ÉCRASE AU SOL APRÈS UNE TELLE CHUTE - ses yeux grands ouverts sur la mort, sa tête baignant dans une flaque de sang qui grandit petit à petit. EXT – BAS DE L’IMMEUBLE - JOUR Autour du cadavre de Nadia, les HABITANTS DE LA CITÉ, JEUNES ET MOINS JEUNES, commencent à affluer et à former un cercle silencieux. Le barrage humain est percé avec conviction par Gia, qui prend la vision-choc de plein fouet. Il recule, pose ses mains en panique sur tout ceux alentour à sa fuite. Manque presque de tomber. La ligne de badauds se referme sur Gia qui disparaît comme apparu. Démarrage MUSIQUE, THÈME EXTRAIT B.O.F. « REQUIEM FOR A DREAM » (OVER) 138 INT – APPART GIANELLI : SALLE DE BAINS CHAMBRE DE GIA - SOIR SUITE THÈME MUSICAL EXTRAIT B.O.F « REQUIEM FOR A DREAM » (OVER) Le reflet de Gia dans la glace. Il se regarde, l’œil hagard, comme déconnecté. Puis un trouble dans le regard et il semble revenir à la réalité. Plus bas, UNE TONDEUSE À CHEVEUX SE MET EN MARCHE. Gia, mâchoires serrées, l’amène avec conviction sur le sommet de son crâne, au haut de son front, et commence à se raser la tête et à se transformer sous nos yeux, en temps réel ! Les mèches de cheveux par touffes entières tombent EN RYTHME SUR LA MUSIQUE (COUPS D’ARCHER SUR LES VIOLONS) Quand IL ÉTEINT - (relâche LA TONDEUSE dans le fond de la vasque) - c’est pour fixer intensément son nouveau visage, monter en puissance comme dans une transe et partir d’un coup, le miroir reflétant une marche décidée à l’allure guerrière, SYNCHRONE AVEC LA TRANSITION 1er MOUVEMENT / 2ème MOUVEMENT DU THÈME MUSICAL. EXT – IMMEUBLE GIA : EN BAS → RUES DE LA CITÉ « LES GROUX » - JOUR SUITE THÈME MUSICAL EXTRAIT B.O.F « REQUIEM FOR A DREAM » Gia toujours en mode règlement de compte, passe les portes de son immeuble, vêtu du vieux et trop large pantalon de jogging de la page 1, associé à un non moins vieux tee-shirt, le haut du jogging, veste taille XXL en épais sweat de coton. On ne le lâche pas le long de son parcours de combattant à travers la cité sous les regards « un peu » effrayés de ceux qu’il croise. Sans entendre ce qu’il leur demande, les bras indicateurs de direction de certains, l’empressement avec lequel il quitte ces « informateurs », révèlent que Gia cherche quelque chose, quelqu’un et vite ! Les pans de sa veste grande ouverte battant de chaque côté de sa silhouette lancée à pleine vitesse développent son envergure et le rendent impressionnant pour ceux sur son passage rageur et vengeur. QUELQUES SECONDES PLUS TARD EXT – CITÉ « LES GROUX » : BÂTIMENT BLANC – JOUR SUITE THÈME MUSICAL EXTRAIT B.O.F « REQUIEM FOR A DREAM » Gia emprunte maintenant un escalier de béton blanc, étroit et en colimaçon pour se retrouver sur le toit (une surface de grande superficie du même béton blanc) d’un bâtiment de 3 étages, en plein centre de la cité. 139 À l’autre bout, il identifie… ...Sofrane de dos (le caïd n’est pas seul mais avec D’AUTRES GARS). Gia se dirige droit sur le regroupement, accélère le pas. Un des lascars perd son sourire crâne quand ses yeux découvrent Gia au dernier moment, si proche, juste le temps d’avertir Sofrane d’une tape sur le bras. Sofrane se retourne. Gia est déjà là, sur lui. Début d’un affrontement entre les deux hommes - LA MUSIQUE S’EMBALLE. Pendant toute la durée du combat, l’image alterne RALENTIS et ACCÉLÉRÉS. Sofrane évite de justesse le coup de poing porté par Gia. Aveuglé par la colère, Gia en perd l’équilibre et tombe vers l’avant, aidé par la poussée de Sofrane en train de se déporter. À peine Gia se retrouve au sol qu’il réagit pour se relever. Sofrane l’en empêche d’un violent coup de pied dans le ventre… …qui écroule Gia à plat. Là encore, les bras de Gia sont vite en position de levier mais un nouveau coup de pied de Sofrane, toujours au même endroit, décolle Gia de la surface du sol. Il se retrouve sur le dos, encore conscient mais ko. Sa tête remue légèrement de droite à gauche. Sofrane se penche dessus et roue le visage de Gia de coups de poing avec un acharnement assassin. Les jambes de Gia sont agitées de convulsions à chaque coup porté à la face. Jusqu’à plus de mouvement. Sofrane se relève, regarde le résultat de sa série de coups et crache sur… …le visage de Gia en piteux état (le crachat atteint bien sa cible). Puis Sofrane lève ou plutôt « arme » son pied et présente la semelle de son talon audessus du… …faciès encore animé de mouvements de Gia. UNE VOIX D’ENFANT SE FAIT ALORS ENTENDRE DANS UN CRI SOUDAIN ET DÉSESPÉRÉ. MOHEDINE (off) Nooo-ooo-n ! Sofrane bloque net son début d’action et ramène son pied au sol tout en s’intéressant à l’endroit d’où est parti le cri déchirant. Il relève la tête pour découvrir… …Mohedine, tremblant de rage et de colère, les traits de son visage bouleversés par l’émotion. Dressé devant les autres qui derrière lui ont tous une mimique semblant « phonétiser » : « Ouh pas beau à voir le carnage », ci. « Ouh ça va barder pour le p’tit (qui a osé tenir tête au chef) », là. 140 Sofrane, lui aussi, a les traits du visage bouleversés par l’émotion. Il s’agit de la hargne, toute cette violence qu’il a puisé, fait monter en lui pour contrer Gia et qu’il a du mal à évacuer pour « redescendre » un peu. Ses yeux de fou sanguinaire fixe Mohedine et les spasmes qui agitent les muscles de son visage (lui) font peur. Il recule, ses jambes le portent mais il vacille sous le coup du trop plein de violence qu’il vient de laisser s’exprimer. Il se retourne, commence à marcher dans la direction opposée et s’éloigne chancelant de la scène du crime ainsi que de « ses » hommes. Mohedine veut aller rejoindre le corps inanimé de Gia mais les autres l’en empêchent en le retenant. LA MUSIQUE OCCUPE TOUTE LA BANDE SON. Lu sur les lèvres de Mohedine (il hurle), le visage marqué par une douleur infinie : « Giii-aaa… » Après la série de coups tout juste encaissée par Gia en pleine tête, voilà que celle-ci se tourne poussivement vers là d’où viennent les « cris ». Les yeux ont du mal à rester ouverts mais dans le rouge (de son) sang qui a repeint son visage, naît ce qui ressemble à une tentative de sourire. Où l’on voit qu’il a des dents de cassées. Là-bas, à quelques mètres, Mohedine et la « main d’œuvre » de Sofrane, n’en reviennent pas. Rassuré par le signe de vie de Gia, Mohedine ne hurle plus. Mais son silence reflète le choc visuel imprimé par la découverte du visage ensanglanté de son héros. Si la bouche de Gia continue de jouer la comédie du sourire, son regard en revanche ne ment pas et l’on peut y lire toute l’étendue de sa douleur. Les yeux de Mohedine commencent à se remplir de larmes et c’est avec l’énergie du désespoir qu’il remet de la voix en effectuant mouvements des épaules et des bras, les poings serrés. Gia cesse de sourire pour que l’on s’intéresse à la lueur renaissant dans ses yeux. Pour marquer le coup, sa tête décolle péniblement du sol. AU RALENTI, les petits poings de Mohedine enchaînent les séries dans le vide. Ordonné, toute la panoplie des coups de la boxe y passe. Du noble art ! AU RALENTI, fasciné par le ballet de ces petits poings, Gia puise dans ses ressources pour entamer un redressement sur ses deux pieds. Derrière lui, encore à portée, Sofrane continue néanmoins de s’éloigner. Les yeux pleins d’admiration de Mohedine accompagnent Gia vers le haut. Les autres qui l’entourent, expriment la même chose dans leurs yeux emplis d’étonnement. Gia est debout sur ses deux jambes, chancelant, manquant de retomber mais retrouvant stabilité d’un frein in extremis du pied sur le béton. Un sourire, douloureux encore, en direction de Mohedine puis Gia se transcende. La colère se réinjecte dans ses yeux, les muscles faciaux sont tendus à trembler, le corps bandé comme un arc, ses mains se ferment pour redevenir ses poings quand il entame de se retourner vers Sofrane. 141 Mohedine l’encourage de LA VOIX (COUVERTE PAR LA MUSIQUE). Libre de toute emprise, ses enchaînements de coups dans le vide prennent de l’ampleur : crochets, directs, uppercuts, droites, gauches. Gia, toujours peu assuré sur ses jambes même s’il y a du mieux, se signale à Sofrane à en voir ses lèvres bouger. Dans son dos, on aperçoit Mohedine, toujours en mouvement parmi les grands. Sofrane, le dos rond massif, arrête net sa marche et (lentement) sa tête se tourne. Le « bond » que font ses sourcils trahit le choc visuel. Sofrane termine de se retourner complètement pour faire face à un revenant. Gia fait un pas, deux, il tient à peine sur ses jambes, encore groggy. D’un geste de la main dépourvu d’énergie, il invite son adversaire à le rejoindre – un faible sourire, au mieux un rictus. Sofrane marque un temps. Sa moue indique une certaine incrédulité quand il remue la tête, affiche son petit sourire crâne dans l’en-avant, vers Gia. La distance qui sépare les deux hommes fond en quelques enjambées guerrières sous les regards des quelques spectateurs, Mohedine se démenant toujours au premier rang, tous suspendus à l’issue du contact imminent. Gia efface progressivement son sourire au profit d’un masque de concentration et d’une posture plus menaçante. Il arme à peine sa garde que le bras de Sofrane part en direction de son visage ensanglanté. Avec une vista incroyable, il déporte son buste et évite de justesse le coup qui s’annonçait violent et fatal. Sofrane, surpris par le vide, part sur quelques pas, entraîné en avant par le poids de son corps. Gia en profite pour se replacer et tente timidement de lancer son jeu de jambes. Clin d’œil complice à l’attention de Mohedine. Mohedine y répond par un sourire de joie sincère. Sofrane à l’arrêt, sa masse stabilisée en fin de course, légèrement cassée vers l’avant, tourne brusquement la tête en direction de Gia et c’est (de) l’incompréhension qu’exprime son regard. Vite, il (lui) refait face et lance un nouvel assaut dont la cible est encore et toujours le visage de Gia et la flèche, son poing de boxeur poids lourd. Gia esquive le coup avec maestria et se permet même de rajouter une petite poussée sur le flanc dans le retrait du buste (ou son replacement). Sofrane part en déséquilibre pour quelques pas de côté. Gia semble retrouver ses sensations. Il sautille, joue de ses jambes comme sur le ring, se permet même une grimace provocatrice digne de l’égo d’un Ali ! « Oooh… je suis trop fort » semble-t-il vouloir dire. Mohedine n’en est plus à sourire mais à rire ! Les autres autour s’ils n’en sont pas rendus là, ont tout de même l’air amusé… Sofrane en bout de course se redresse. De dos, il prend du temps de récupération. Inspire (la levée/montée des épaules le trahit !). Il se retourne et la frustration qu’il ressent est évidente : voir sa mine contrariée. 142 Toujours dans un style brouillon, il se jette sur Gia et envoie une série de coups (crochets) désordonnés que, Gia évite tous avec un art consommé, très technique et en un sens esthétique, de l’esquive. Sofrane se fait cueillir sur un contre par « l’artiste » : un direct qui lui arrive au foie. Il se « casse » (« plie ») en deux, est vite redressé par l’uppercut enchaîné à un crochet (direct ?) en plein visage. Mohedine est déchaîné. Il vit à un degré d’intensité supérieur le combat, boxe dans le vide un adversaire imaginaire. Mais il n’est plus le seul ! Les autres spectateurs s’y mettent aussi, rentrent dans le jeu des encouragements démonstratifs, les poings fermés serrés et boxe tous azimuts. Les derniers supporters du caïd sont en panique. C’est une renaissance ! Tous les coups de Gia arrivent ! Et Sofrane soûlé de coups recule mais ne rompt pas. Gia y met tout ce qu’il a encore en réserve. INSERTS FLASH-BACK sur THÈME MUSICAL EXTRAIT B.O.F « REQUIEM FOR A DREAM » succession rapide d’images déjà vues dans le film où l’on voit Gia en compagnie de son couple d’amis, Nadia et Karim, si plein de vie ! EXT – IMMEUBLE GIA : EN BAS - JOUR SUITE THÈME MUSICAL EXTRAIT B.O.F « REQUIEM FOR A DREAM » Retour sur Sofrane. Les coups pleuvent, travail de destruction en règle toujours orchestré de poing de maître par Gia. Les jambes reculent, il est k.o debout quand, Gia, dans UN CRI VENU D’AILLEURS, arme loin en arrière son coup final. Son poing vengeur, prend la direction du visage « explosé » de Sofrane. Tous les autres sont suspendus à l’issue de ce combat. Même le temps semble figé. Le coup atteint son objectif : arriver directement sur la pommette déjà ouverte. Le sang gicle et Sofrane part en vol plané arrière - SILENCE BLANC - Sous lui, on découvre le vide. Gia avance d’un pas ou deux. Il est au bord de la corniche. Il regarde en bas. Sofrane continue de tomber dans le vide, tétanisé de terreur. 143 Gia ne quitte pas Sofrane des yeux jusqu’au SON SOURD ET LOURD DU CORPS RENTRÉ EN CONTACT AVEC LE SOL. L’impact visuel fait à peine ciller ses paupières si gonflées qu’elles lui ferment presque les yeux. Il se détourne de la corniche et s’éloigne d’une démarche au déhanché fatigué. Il passe devant la lignée de lascars orphelins de leur chef et sur son passage, pose la main sur l’épaule de Mohedine pour l’emmener avec lui. INT - APPART GIA : CHAMBRE GIA - JOUR « Suractif », Gia, qui a changé de vêtements (et porte un bonnet sur sa tête, bas sur les yeux), lavé le sang sur son visage, remplit nerveusement de (linge de re)changes son fameux sac de sport. Il s’empare de plusieurs boîtiers cd et k7 audio (bandes démo) qu’il rajoute au contenu. Il quitte la chambre dans la même énergie, le même empressement. INT - APPART GIA : COULOIR - JOUR Gia toujours aussi speed dans le couloir. Il s’arrête devant l’entrée du salon. INT - APPART GIA : SALON – JOUR Mr Gianelli est assis dans son fauteuil devant la télé. Au programme, un jeu télévisé débile. L’œil vitreux, l’air hagard, il tient une bouteille de vin rouge au ¾ vide dans sa main droite. En train de cuver qu’il est, il ne voit pas que son fils est dans son dos, en train de l’observer debout dans l’encadrement de l’entrée. INT - APPART GIA : COULOIR – JOUR Gia baisse les yeux, la tête et part dans le couloir. 144 INT - APPART GIA : VESTIBULE - JOUR Gia sort de sa poche revolver une lettre qu’il dépose sur le meuble dans l’entrée. Il se rapproche de la porte, la main sur la poignée, regarde l’endroit comme pour s’en imprégner une dernière fois. Il ouvre, sort. On reste sur la porte qui se referme… INT - APPART MISTER O : VESTIBULE / HALL D’ENTRÉE - JOUR …s’ouvre sur Gia, qui n’attend pas pour rentrer. Mister O a à peine le temps de marquer son étonnement à la vue du visage cabossé que Gia le « passe » en sur régime et fonce dans le couloir. INT - APPART MISTER O : SALON - JOUR Derek, Alistair, Zyno sont assis dans des fauteuils. Zyno stoppe net la discussion quand il voit Gia pour l’instant hors champ. Il bondit sur ses jambes. ZYNO Merde, Gia ! (Derek et Alistair se retournent) Qu’est-ce qu’i t’es arrivé ? (N.A : ne pas oublier qu’ils découvrent aussi le crâne rasé de Gia) Les deux autres se lèvent à leur tour d’un bond et avec Zyno viennent sur Gia. DEREK Wouah ! ALISTAIR Oh la la mon pote, c’est quoi ça ! ZYNO Qui t’as fait ça ? 145 Gia passe entre eux pour rejoindre le centre de la pièce. Il est en effervescence. GIA J’ai pas l’temps d’vous expliquer. Sofrane est mort. Mister O reçoit la fin de sa phrase en même temps qu’il rejoint le groupe. Il relève les yeux pour les fixer sur Gia. DEREK T’es sérieux ? Gia sort une lettre pliée de la poche de son mutek. GIA Nadia avait laissé ça (il la tend encore pliée à Zyno) dans ma boîte aux lettres avant… (sa gorge se noue) Zyno fait une drôle de tête en acceptant la feuille de papier, qu’il déplie prestement. Il lit avec Derek et Alistair collés à lui. Mister O, tendu, observe Gia du coin de l’œil. Gia tourne les yeux vers Mister O. O prend soin de détourner les siens. Zyno relève la tête alors que Derek et Alistair continuent de lire. ZYNO (d’une voix fébrile) Elle est… Derek et Alistair lèvent les yeux en même temps pour les suspendre aux lèvres et à la réponse de Gia. Gia fixe Zyno, soutient son regard sans rien prononcer. Et pourtant… Les larmes envahissent les yeux de Zyno, la lettre tremble entre ses mains. Derek s’écarte, recule, les deux mains sur la tête, se retourne et part finalement dans un coin de la pièce. Alistair est encore en questionnement. Il se tourne vers Mister O, qui réagit pareil à un signal. 146 MISTER O (s’adressant à Gia avec un début de panique qui sonne faux dans la voix) Attends, non. Où est Nadia ? Pourquoi elle n’est pas là avec nous ce soir ? ALISTAIR (sans conviction) Elle va arriver… ? Gia regarde Derek. Isolé dans un coin de la pièce, Derek, de dos, garde les mains sur sa tête, silencieux. Gia détourne son attention. Dans sa rotation, son regard porte un court instant sur… Zyno toujours submergé par l’émotion, pleurant à chaudes larmes. Il tend la lettre à Gia. GIA (à Alistair sur un ton direct) Non… Mister O l’arrache de la main faible de Zyno. Il se plonge dans une lecture soucieuse. Actant avec talent, il se décompose au bout de quelques lignes, pendant qu’Alistair recule et sonné, s’effondre dans le fauteuil le plus proche pour y rester immobile les yeux dans le vide. Mister O redresse la tête, fait monter l’émotion : ses yeux s’embuent de larmes et D’UNE VOIX APHONE, SES LÈVRES BALBUTIENT. MISTER O Non… non… C’en est trop pour Gia qui prend Mister O dans ses bras et attire Zyno à eux. Zyno, sans repère, un enfant perdu, se laisse entraîner. Gia serre leurs deux têtes sur son poitrail avec toute la force de leur peine associée : SANGLOTS ÉTOUFFÉS, sincères chez Zyno, simulés à la Mister O. Alistair dans son fauteuil, est toujours figé corps/regard. Dans le coin de la pièce, Derek (de dos) s’est rapproché du sol : il est maintenant accroupi, en face à face avec le mur. 147 FONDU AU NOIR BREF ÉCRAN NOIR FONDU D’OUVERTURE RAPIDE INT - APPART MISTER O : SALON - SOIR GIA (assis en avant dans un des fauteuils) J’aimerais que vous vous occupiez d’mon père en mon absence. FERMETURE CUT ou FONDU AU NOIR TRÈS RAPIDE OUVERTURE INSTANTANÉE sur Derek, assis en avant d’un des fauteuils, l’air maussade. GIA (off) De Moulé. Je serai pas là pour veiller sur lui. FERMETURE RAPIDE COURT ÉCRAN NOIR OUVERTURE RAPIDE sur Alistair, assis en avant dans un autre fauteuil, visage de circonstance. GIA (off) Pour l’enterrement, voilà… (Alistair baisse les yeux). C’est tout ce que j’ai pu sortir. FERMETURE RAPIDE COURT ÉCRAN NOIR OUVERTURE RAPIDE sur Zyno (même posture, même attitude que les 2 autres) 148 GIA (off) Il faut que j’garde un peu d’argent pour le voyage et une fois sur place. FERMETURE RAPIDE COURT ÉCRAN NOIR OUVERTURE RAPIDE sur Mister O – debout en appui contre un meuble. La tête baissée, occupé à « rouler ». GIA (off) Désolé de n’pas pouvoir faire plus. Mais si je reste je suis mort. Gia toujours assis, massif. GIA Mh (détournant la tête sur le côté) je suis déjà mort. (regard dans le vide) MISTER O (off) Gia le fataliste. Le TON étonnement CYNIQUE employé par O, « ramène » Gia dans la pièce, ainsi que les trois blacks, visages surpris, retournés vers le plus longiligne d’entre eux. Dans une succession de gestes précis, Mister O humecte le clope sur sa longueur, le fait tourner entre ses doigts, le porte à son « bec » et L’ALLUME AU BRIQUET. Limite arrogant sur la première bouffée. INT - APPART MISTER O : VESTIBULE – SOIR À touche-touche dans l’étroitesse du vestibule, Gia prend congé de ses amis : Derek, Alistair, Zyno, Mister O 149 Il enquille trois accolades viriles en guise d’adieu et se tourne vers la porte où Mister O est posté de profil. Ils restent les yeux dans les yeux jusqu’à ce que… Gia provoque la même accolade. Plus longue que les précédentes, il y met un terme et reprend son sac posé à ses pieds. La main posée sur le loquet d’ouverture de la porte, il s’adresse d’une voix calme à Mister O. GIA Je te contacte (dès que j’) arrive(é) là-bas. Tu donneras de mes nouvelles aux autres. MISTER O T’es sûr de c’que tu fais ? Y-a pas moyen que tu r’viennes sur ta décision ? Le silence et le doux déni de la tête de Gia en guise de réponse. Un dernier regard d’au revoir à ses trois niggas. Il ouvre la porte – dans le passage, Mister O ne fait pas le geste pour le retenir - et sort. MISTER O (J’t’en prie) Réfléchis. La porte se referme, tirée de l’extérieur. FONDU AU NOIR SILENCE BLANC SUR L’ÉCRAN NOIR FIN DE LA PREMIÈRE PARTIE 150