Scénario de Stéphane ACKEL - E

Transcription

Scénario de Stéphane ACKEL - E
TO PAC
Scénario de Stéphane ACKEL
INT - WAGON DE MÉTRO PARISIEN – SOIR
LE WAGON CIRCULE DANS UN TUNNEL.
SUR UNE SONORITÉ MUSICALE RAP AUDIBLE MAIS LOINTAINE ET DE
MAUVAISE QUALITÉ, dans un wagon de métro qui traverse un tunnel, un groupe de
3 JEUNES LYCÉENS (un afro, un asiatique et un arabe, pantalon de jogging, teeshirt large, casquette, bandana) sourient, leur attention attirée vers le milieu de la
rame, à en croire la direction et la portée de leurs regards…
(l'un après l'autre, les visages éteints des USAGERS assis, en même temps que LE
VOLUME DE LA MUSIQUE AUGMENTE jusqu’à…)
…côté fenêtre dans un carré, GIA(NELLI) qui bouge la tête sous la capuche en
cadence d’un RAP (50CENT & EMINEM « You don’t know ») qu'il ÉCOUTE À FOND
LES ÉCOUTEURS, anorak streetwear sans manche en guise d'armure.
Face à lui, une JEUNE FEMME TRÈS BELLE le dévisage avec la volonté évidente
de se faire aborder.
Sans effet sur Gia qui continue de bouger la tête en rythme. Au SON
CARACTÉRISTIQUE DU FREINAGE SUR LES RAILS, il abaisse sa capuche :
visage dur, cheveux noirs gominés, nuque et tempes rasées.
La rame le long du quai, Gia se lève, le casque toujours vissé sur les oreilles, un sac
de sport qu’il amène à hauteur d’épaules. Au SON D’OUVERTURE DES PORTES
DU WAGON, il s’extraie prestement du carré sans prêter la moindre attention à son
« admiratrice ». Déjà la SONNERIE ANNONÇANT LA FERMETURE IMMINENTE
DES PORTES de la rame.
EXT - LA NPE : UNE DES AGENCES PARISIENNES – JOUR
Gia rentre à la NPE (la Nationale Pour l'Emploi) située en plein centre ville (BRUITS
DE LA CIRCULATION BIEN PRÉSENTS et foule de passants sur le trottoir). Il est
vêtu pour le bas d’un pantalon de jogging coupe large, de baskets blanches usées.
INT - LA NPE : BUREAU DE MOMO – JOUR
Des mains referment un dossier. Puis le visage de MOMO, un homme d'âge mûr,
cheveux grisonnants, teint rubicond tranchant avec le coloris pastel de sa
chemisette. Bon vivant et malgré tout, guère jovial, il SOUPIRE pour ajouter à la
sinistrose ambiante. Enfin il se décide à parler.
1
MOMO
Nous avions rendez-vous à 9h00 ce matin,
Monsieur Gianelli.
Il est 4 heures de l'après-midi.
C'est quoi cette fois-ci ? Mh ?
Probablement encore une de vos pannes
d'oreiller...
(quelques secondes d'un silence
pesant)
Eeet bien... ne répondez pas. Ça n'est pas
moi qui vais me retrouver r-a-d-i-é
(prononcé à l'américaine)...
(toujours un silence de mort en
retour)
Bon ! Je vois. Tu en as marre de mes
questions, là...
(silence n°3 et soupir n° 2)
Mais putain ! Réagis, bon sang ! Aide-moi à
t'aider. Ressaisis-toi, là... quoi ? Qu'est-ce
qui va pas ?
Qu'est-ce qui cloche chez toi ?
Le visage de Gia reste de marbre, regard désabusé.
EXT – CITÉ « LES GROUX » – JOUR (FIN D'APRÈS-MIDI D'ÉTÉ)
Au loin, plusieurs barres d'immeuble se dressent vers le ciel dont la luminosité
commence à décliner en cette fin d'après-midi d'été. Gia, sac de sport sur l'épaule,
grimpe les nombreuses buttes couvertes de pelouses diversement entretenues pour
se diriger vers les tours de béton.
EXT – CITÉ « LES GROUX » – JOUR (FIN D'APRÈS-MIDI D'ÉTÉ)
Gia se déplace entre les murs de la cité, la démarche dure à l’allure décidée. Sur son
chemin, il ne croise personne jusqu'à…
…un groupe de 3 blacks, squattant une entrée d'immeuble. LIBASS est assis à
même le sol. VERNON et MIKE sont adossés de chaque côté de l'entrée. Gia passe
devant sans leur prêter attention.
2
LIBASS
(prononce quelques mots
inaudibles après le passage de
Gia)
Aussitôt, sans prévenir, Gia revient sur ses pas et fond sur Libass. Il le « savate »
devant Vernon et Mike médusés par la soudaineté de l’attaque et la violence des
coups portés. Ceux-ci, pourtant des costauds, s'écartent même quelque peu.
VERNON
Hey putain d'barge, Gianelli !
MIKE
Vas-y, là ! Tu veux l'tuer ou quoi !?
Gia ne ralentit pas la fréquence des coups de poings qu'il alterne de coups de pied
hargneux.
LIBASS
(suppliant d'un ton larmoyant)
Aïe, aïe, putain man, arrête, j't'en supplie,
arrête...
Encore une série et Gia cesse la bastonnade aussi soudainement qu'il l'a
commencé. Vidé (presque « cassé en deux »), il s’écarte puis recule, laissant Libass
se tenir les côtes en SANGLOTS. Guère rassurés (ils gardent un oeil sur Gianelli),
Vernon et Mike se penchent aussitôt sur Libass. Gia continue de reculer, PEINANT À
RETROUVER SON SOUFFLE. Arrivé au niveau de son sac de sport, il s’arrête,
plaque en arrière les mèches rebelles sur son crâne avant de ramener le sac sur son
épaule. Il RETROUVE QUELQUE PEU UNE RESPIRATION NORMALE mais la rage
dans ses yeux !... Finalement, il se redresse, recule encore…
…de quelques pas et s'en retourne.
INT - HLM GIA : CAGE D’ESCALIER – JOUR (FIN D'APRÈS-MIDI D'ÉTÉ)
Gia pousse la porte d'entrée d’un immeuble.
Dans la cage d'escalier, il s'arrête machinalement près des boîtes aux lettres (des
taguées, des ouvertes !) pour fouiller dans la poche de son pantalon de survêtement.
3
Il en sort un trousseau de clés dont l'une lui sert à ouvrir une boîte taguée « rital de
merde », « forza Ritalia », « va fanculo mama ».
À l'intérieur, un petit pli postal assez épais surplombe une quantité impressionnante
de prospectus et autres brochures publicitaires. La main de Gia s'en empare et le
retourne. Sur le verso le nom et l'adresse de l'expéditeur :
2Pac
FAN CLUB
PO Box 2694, Decatur, GA 30031
USA
Côté recto, le destinataire :
Gianfranco GIANELLI
(reproduire ici une adresse de
fiction)
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INT – SÉQUENCE GÉNÉRIQUE EN STUDIO – JOUR
NUIT
Sur la CHANSON « PAC’S LIFE » INTERPRÉTÉE PAR 2PAC,
LES NOMS AU GÉNÉRIQUE S’ENCHAÎNENT EN INCRUST.
Une pure chorégraphie hip hop, véritable démonstration, est exécutée en studio par
une succession de TROUPES DE DANSEURS HIP HOP, dont la moyenne d’âge
augmente au fil de la chanson, passant d’ENFANTS à JEUNES ADULTES.
De même, les tenues vestimentaires voient leurs coloris (assortis pour chaque
troupe) s’assombrir au fur et à mesure de la chanson, passant du blanc au gris
(plusieurs niveaux intermédiaires) pour finir en noir.
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INT - HLM GIA : COULOIR ÉTAGE DE GIA – SOIR
Gia se déplace la démarche cool et chaloupée dans un couloir à l’éclairage jaune
palot, dont il dépasse porte après porte situées sur chaque côté. Il s’arrête côté
gauche devant l’une d’entre elle et rentre la clé dans la serrure.
Au milieu de ce long couloir, plutôt étroit, il pousse la porte et rentre.
INT - APPARTEMENT DES GIANELLI : VESTIBULE / HALL D’ENTRÉE – JOUR
Gia apparaît dans l’entrée et referme la porte derrière lui. Il laisse tomber son sac…
…à ses pieds et à ceux du meuble, une commode en tec, du mobilier bon marché et
modeste. Ses pieds, qu’il libère des baskets usées jusqu’à la trame.
Il se sépare du trousseau de clés dans le vide-poche mais garde le pli postal à la
main.
GIA
Papa ?... T’es là ?...
La main libre dans la poche du jogging, il s’engage dans l’appartement, les épaules
voûtées, la démarche en canard. Il dépasse une porte ouverte sur sa gauche à
laquelle il jette un coup d’œil sans enjeu. Mais voilà qu’il bloque net et se penche en
arrière, façon cartoon.
INT - APPARTEMENT DES GIANELLI : CUISINE – JOUR
Gia apparaît dans l’encadrement de la porte, toujours penché en arrière dans cette
drôle de position comique qui rappelle franchement un personnage de cartoon
américain.
Dans la cuisine, de la vaisselle sale remplit l’évier. Deux tartines carbonisées sont en
position éjectée dans l’antique grille-pain. Sur la petite table couverte d’une toile cirée
de mauvais goût, un bol de café noir dans lequel une tartine beurrée n’est plus
qu’une bouillie spongieuse. De la moisissure recouvre le beurre ouvert sur la table et
du vin rouge colore le fond du verre. Guère plus dans la bouteille dont s’empare Gia,
le regard dur et sévère :
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GIA
C’est pas vrai !
INT - APPARTEMENT DES GIANELLI : CHAMBRE DU PÈRE – NUIT
Une forme indistincte dans l’obscurité de la pièce et en provenance d’un autre
endroit de l’appartement, la VOIX DE GIA SE RAPPROCHE.
GIA
(off)
Papa !... T’as r’mis ça !
Les RONFLEMENTS qui montent du noir COUVRENT PRESQUE LA VOIX...
DERRIÈRE LA PORTE !
GIA
(off)
Réponds, je sais qu’t’es là !
La lumière naturelle du couloir éclaire la chambre. Effondré sur la descente de lit, un
bras sur le matelas, FRANCESCO GIANELLI est en plein somme.
GIA
(se précipitant sur le corps
inanimé)
Oh papa…
Au prix d’un léger effort, Gia parvient à remonter puis à réinstaller son père sur le lit.
Il peut contempler…
…le vieux corps sec et malingre toujours endormi, RONFLANT EN SOURDINE,
comme apaisé.
Un sourire amusé naît sur le visage de Gia, qui secoue la tête, l’air de signifier avec
tendresse « Incorrigible !... ».
Sur quoi, il s’en retourne.
Arrivé à la porte, la main sur le chambranle, il adresse un dernier regard en direction
du lit. L’amusement fait place à la mélancolie.
Il baisse la tête et quitte la pièce, qui se trouve replongée dans la pénombre.
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INT - APPART DES GIANELLI : VESTIBULE / HALL D’ENTRÉE → COULOIR – JOUR
Dans l’entrée, Gia reprend son sac et le garde à bout de bras pour parcourir le
couloir, bifurquer dans la cuisine, en ressortir le pli à la main et s’enfoncer un peu
plus dans l’appartement.
INT - APPARTEMENT DES GIANELLI : CHAMBRE DE GIA – JOUR
Gia rentre sans joie dans sa chambre. Il laisse tomber son sac derrière la porte et
jette le pli au devant de lui. Le paquet atterrit sur un lit défait au fond de la pièce.
Gia marque un temps immobile, comme sonné, puis vient s’asseoir sur le lit. Le
corps en avant et le regard vide, il reste quelques secondes ainsi.
Enfin il pose la main sur sa nuque et effectue quelques mouvements
d’assouplissement avec sa tête. S’empare du pli, se lève et commence à l’ouvrir en
partant sur la gauche, vers le meuble hi-fi encastré entre bureau et armoire.
Ses mains sortent un CD du paquet, en ouvrent l’emballage et s’en débarrasse sur le
bureau. Puis l’une sort le CD de son boîtier pour le rentrer dans le lecteur de chaîne.
Lecture…
Les PREMIERS BEATS envahissent la pièce : UN INÉDIT DE 2PAC, le SON BRUT
D’UNE SESSION D’ENREGISTREMENT EN STUDIO. Gia enlève son anorak sans
manche qu’il accroche sur son dossier de chaise.
Vient le rejoindre à cet endroit son sweat à capuche.
Gia se retrouve torse nu (une musculature développée). Il ouvre la porte de son
armoire.
De derrière une pile de vêtements, sa main sort une boule de papier aluminium de la
taille d’une balle de golf.
Il se retourne, referme la porte de l’armoire avec le pied et d’un mouvement de
service tennistique, sa main en guise de raquette, envoie la boule d’alu s’écraser
contre le mur pour qu’elle retombe sur son lit.
Gia se dirige avec contentement dans la direction de son « tir ».
DEUXIÈME INÉDIT DE 2PAC (TOUJOURS LE SON BRUT D’UNE SESSION
D’ENREGISTREMENT EN STUDIO).
Gia, à nouveau assis sur le lit, tient un « pétard » entre ses doigts experts. Il ne tarde
pas à l’allumer au briquet, à tirer dessus et à faire sortir de sa bouche une fumée
abondante d’un air satisfait.
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POV GIA
Derrière l’épais rideau de fumée, on aperçoit le ciel. La nuit est quasiment tombée à
présent. Alors que le premier nuage de fumée s’est presque dissipé, un deuxième
vient rendre le champ de vision de plus en plus embrumé. Notre vision de la fenêtre
penche sensiblement sur la gauche puis plus franchement jusqu’à se retrouver à
contempler le plafond fissuré au-dessus du lit.
FIN POV GIA
Gia est allongé, une main sous la nuque, l’autre ramenant le « pétard » du cendrier
posé sur son ventre nu à ses lèvres. Troisième bouffée. La fumée monte, s’oriente
vers le milieu de la pièce. Elle commence à se disperser laissant apparaître les murs
de la chambre couverts de posters de 2PAC.
Gia toujours allongé sur son lit, toujours en mode fumette tandis que se poursuit la
visite des fresques murales consacrées à l’artiste dont LA VOIX ÉMANENT DES
HAUT-PARLEURS. Une SONNERIE REPRENANT UN BEAT DE CE DERNIER se
fait entendre AU-DESSUS DE LA MUSIQUE.
Gia que cette sonnerie sort de sa léthargie, plonge sa main dans sa poche de
jogging, en sort son portable et regarde l’écran.
Sur lequel est affiché :
Mister O
Gia décroche.
GIA
(timbre blasé)
Ouais enfoiré. Alors c’est bon ?... Ben vas-y,
j’arrive alors… ouais
Gia lâche le téléphone sur le lit et se lève.
Il tombe son pantalon de jogging et se dirige en boxer et chaussettes vers la porte,
plus justement sur l’interrupteur à côté, dont il actionne le mécanisme. Une lumière
jaune domestique éclaire la pièce. Il va vers l’armoire, ouvre le côté gauche, prend
un vêtement, un pantalon qu’il enfile avec aise : coupe baggy.
Il choisit un tee-shirt avec sérieux.
Il le passe, prend une dernière chose et referme la porte.
Gia se reflète dans la glace fixée sur la porte. Il noue un bandana sur sa tête, l’ajuste
avec soin, façon 2pac. Il ouvre l’autre porte de l’armoire et récupère sur sa droite une
casquette qu’il dépose sur sa tête et visse d’un geste précis.
Dans le bas, il récupère… une paire de baskets.
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On les retrouve aux pieds de Gia, ses mains achevant de nouer un lacet. Elles
s’activent sur le sol de la chambre. Font une pause au milieu (hors champ, Gia passe
son anorak sans manche), puis repartent sur quelques pas, nouvelle pause (hors
champ, Gia met sa chaîne hors tension), LA MUSIQUE S’ARRÊTE. Les pieds
repartent pour sortir de la pièce. On entend L’OUVERTURE DE LA PORTE,
L’INTERRUPTEUR. Plus de lumière. Il fait noir. LA PORTE SE REFERME (OFF).
INT - APPART DES GIANELLI : COULOIR
HALL D’ENTRÉE / VESTIBULE – JOUR
Gia de dos, est dans le couloir qui part de sa chambre. Il tourne à droite.
Dans le couloir principal, il se dirige vers la sortie non sans marquer une courte
pause devant une porte à gauche, celle de la chambre du père. Il tend l’oreille. Un
SON SOURD DE RONFLEMENTS est perceptible. Il repart. DÉBUT D’UN
NOUVEAU SON RAP [« THUG LIFE » KERRY JAMES / MAFIA K1 FRY]
(DIFFUSION CONDITION DU DIRECT, ENVIRONNEMENT EXTÉRIEUR).
EXT - HLM GIA : DEVANT L’ENTRÉE
COUR CENTRALE – SOIR
SUITE DU SON RAP, PLUS CLAIR (RAPPROCHEMENT DE LA SOURCE)
Gia passe la porte de l’immeuble. La MUSIQUE est ENCORE PLUS PRÉSENTE. Il
se retrouve dehors sous l’éclairage orangé des réverbères (la nuit est définitivement
tombée). On suit puis laisse s’éloigner Gia EN DIRECTION DE LA SOURCE
MUSICALE : une voiture customisée garée en plein milieu du terre-plein central,
toutes portières ouvertes, AUTORADIO POUSSÉ A FOND. Des BLACKS VÊTUS
STREETWEAR.
Arrivé à hauteur, Gia salue façon rue black après black, sans en oublier aucun. À
cette distance, la MUSIQUE À SON NIVEAU MAXIMUM, les PROPOS ECHANGÉS
sont INAUDIBLES. Soudain un faisceau laser de couleur rouge s’invite dans le
groupe. Origine : inconnue. Provenance : « du haut ».
Gia est de dos. Un point rouge oscille sur le front de son interlocuteur direct,
FRANCIS. De la sueur commence à perler puis à couler sur son visage.
FRANCIS
(à voix très très basse)
Ouhla ouhla ouhla mec, j’aime pas ça là…
mais alors j’aime pas ça du tout…
Lenny, quelle position ?
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Une tête de black intello, LENNY, prenant la question très au sérieux, apparaît près
du visage de la cible humaine Francis. Ses gros yeux ronds comme des billes
cherchent dans les hauteurs derrière Gia.
EXT - HLM MISTER O : FAÇADE
FENÊTRE APPART DE MISTER O – SOIR
SUITE « THUG LIFE » PAR KERRY JAMES / MAFIA K1 FRY
POV LENNY
On passe d’une fenêtre à une autre de la façade. La plupart sont éclairées.
Stabilisation sur l’une d’elle, aperçu fugitif et capillaire : une permanente, cheveux
gris enroulé sur bigoudis.
EXT - CITÉ « LES GROUX » : COUR CENTRALE – SOIR
SUITE « THUG LIFE » PAR KERRY JAMES / MAFIA K1 FRY
Lenny plisse les yeux tel le Vil Coyote et annonce :
LENNY
H1, B4
Francis cherche à son tour sur la base des indications…
EXT - HLM MISTER O : FAÇADE – SOIR
SUITE « THUG LIFE » PAR KERRY JAMES / MAFIA K1 FRY
POV FRANCIS
On fige sur une VIEILLE À BIGOUDIS occupée à fermer ses volets…
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EXT - CITÉ « LES GROUX » : COUR CENTRALE – SOIR
SUITE « THUG LIFE » PAR KERRY JAMES / MAFIA K1 FRY
Francis affiche une expression incrédule.
FRANCIS
Quoi ???
Lenny recommence en silence en suivant ses propres coordonnées.
LENNY
Euh… H4B1, ‘cuse.
Francis lui adresse un regard en coin, réprobateur. Un soupir. Il ne s’attarde pas,
s’intéresse derechef à la façade le regard investigateur.
EXT - HLM MISTER O : FAÇADE
FENÊTRE APPART DE MISTER O – SOIR
SUITE « THUG LIFE » PAR KERRY JAMES / MAFIA K1 FRY
POV FRANCIS
(Francis) tombe rapidement sur la bonne fenêtre. La MUSIQUE EN PROVENANCE
DE L’AUTORADIO AU VOLUME TOUJOURS ÉLEVÉ. Des RIRES ÉTOUFFÉS
pourtant.
EXT - CITÉ « LES GROUX » : COUR CENTRALE – SOIR
SUITE « THUG LIFE » PAR KERRY JAMES / MAFIA K1 FRY
Une lueur naît dans le regard de Francis.
FRANCIS
(sans se retourner)
Wesley, coupe la musique…non ! Plutôt,
baisse le volume progressivement…
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Dans son dos, on (Wesley) obéit. Le VOLUME SONORE BAISSE
PROGRESSIVEMENT. Les RIRES ÉTOUFFÉS parviennent PLUS DISTINCTement
aux oreilles de ceux d’en bas, CLAIREMENT EN PROVENANCE DE LA FENÊTRE
SUSPECTE.
Gia se retourne et lance dans cette direction :
GIA
Karim, Nadia, c’est bon montrez-vous…
Le point rouge lumineux vient de Francis à Gia, lui « gribouiller » virtuellement le
visage.
CHRIS
(off)
(forte tonalité efféminée)
Bordel vous z’avez pas bientôt fini vos
conneries les filles !?
On met un visage « biggie », celui de CHRIS - apparu à côté de Francis - sur la voix
de tata, La moue fait penser à celle de Gary Coleman, l’Arnold de Willy…
EXT - HLM MISTER O : FENÊTRE APPART DE MISTER O – SOIR
SUITE « THUG LIFE » PAR KERRY JAMES / MAFIA K1 FRY (EN SOURDINE)
DEUX TÊTES apparaissent pour disparaître aussitôt derrière le rebord de la fenêtre
dans un DUO DE RIRES DE HYÈNES.
EXT - CITÉ « LES GROUX » : COUR CENTRALE – SOIR
SUITE ET FIN « THUG LIFE » PAR KERRY JAMES / MAFIA K1 FRY (EN
SOURDINE)
Chris affiche toujours une expression de mécontentement. Quand cette version
masculine et hip hop (!) d’Hattie Mc Daniels se décide à passer à l’action !
CHRIS
Putain j’vais m’les faire ces salopes !
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DÉMARRAGE « GUERRE » PAR MAFIA K1 FRY (EN SOURDINE)
« Elle » est bloquée par Gia qui lui barre la route tandis que les autres « la »
retiennent avec toutes les peines du monde. Le point lumineux revenu gribouiller son
visage suscite sa rage, décuple ses forces.
LES AUTRES BLACKS
(off – voix mêlées)
Calme-toi gros !... Reste cool, man… Ouais
take it easy, Biggie… hi hi hi…
Les RIRES D’EN HAUT rajoutés au point rouge, entretiennent la colère de Chris.
CHRIS
Râââh lâchez-moi ! J’ai la haiiine…
Ses potes continuent de le contenir et éclatent d’un RIRE BON ENFANT.
Gia affiche un large sourire, « Biggie Chris » plein les bras, et parvient à se retourner
vers la source à ennuis.
GIA
Allez c’est bon là. Arrête de faire l’gamin,
Karim !...
EXT - HLM MISTER O : FENÊTRE APPART DE MISTER O - SOIR
SUITE « GUERRE » PAR MAFIA K1 FRY (EN SOURDINE)
Un petit drapeau blanc et remuant fait son apparition à l’endroit des deux têtes
entrevues précédemment.
EXT - CITÉ « LES GROUX » : COUR CENTRALE – SOIR
SUITE « GUERRE » PAR MAFIA K1 FRY (EN SOURDINE)
GIA
Pfffh… n’importe quoi !
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Gia lève le barrage, mains sur les cuisses pour reprendre son souffle, regard
entendu levé vers la fenêtre. Les autres relâchent leur étreinte. Chris, assagi, assène
quelques tapes sur les derniers retardataires, encore accrochés à son survêt’ !
CHRIS
Lâchez-moi ! Lâchez-moi ! Bas les pattes !
Vos sales pattes !
Se réajustant de partout :
CHRIS
(ton cinglant)
Quand à vous mes chéries là-haut vous
perdez rien pour attendre !
GIA
(redressé, souffle repris)
Bon, négros, c’est pas que j’m’ennuie mais là
le devoir m’appelle, si vous voyez c’que
j’veux dire.
QUELQUES RIRES GRAS ET ENTENDUS répondent aux derniers mots allusifs de
Gia qui n’y prête pas attention et prend congé de chacun des négros constituant la
joyeuse bande sans en oublier aucun. ll termine par le gros morceau qu’il enserre,
amène contre son épaule et flatte d’une tape amicale dans le dos.
GIA
Allez, Chris. Faut qu’tu calmes un peu. Tu
prends tout trop au sérieux, vieux.
CHRIS
Ouais je sais chéri. T’as p’têt raison.
N’empêche que ce sont pas des choses à
faire.
On plaisante pas avec ça.
Gia et Chris se regardent avec respect.
GIA
C’est toi qu’à raison, Chrissie. Je vais leur
passer un d’ces savons.
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Il sert le poing avec une grimace affichant le second degré et un sourire.
CHRIS
Salue-les pour moi ces enfoirés !
Gia approuve de la tête et recule, adressant un dernier regard circulaire à toute la
bande.
THÈME MUSICAL ORIGINAL : DRAMATIQUE, TEMPO LENT, TONALITÉ TRISTE
(OVER)
Les visages se succèdent. Des yeux à l’humeur rougie par la conjugaison de la
fumette et du manque de sommeil.
(Durant cette présentation, Gia a eu le temps de s’en retourner vers la tour dans son
dos).
EXT - PORCHE
FENÊTRE APPART DE MISTER O
PORCHE – SOIR
SUITE THÈME MUSICAL ORIGINAL (OVER)
Gia est tout proche du porche, regard au sol. Une bombe à eau vient s’exploser à
ses pieds.
Un SCRATCH MET FIN AU THÈME MUSICAL. REPRISE « GUERRE » PAR MAFIA
K1 FRY (À PLEIN VOLUME)
Surpris, Gia recule.
GIA
Râââh putain !!!
Il lève la tête vers les hauteurs de la tour. Les MÊMES RIRES ÉTOUFFÉS DE
HYÈNES de la même fenêtre, coupable toute désignée dans l’axe du point de chute
de la bombe H2O.
Dans son dos, des RIRES AUX ÉCLATS !
Gia tourne la tête lentement vers l’endroit quitté il y a peu.
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EXT - CITÉ « LES GROUX » : COUR CENTRALE – SOIR
SUITE « GUERRE » PAR MAFIA K1 FRY (À PLEIN VOLUME)
Toute la bande est pliée en deux de RIRES À GORGES DÉPLOYÉES.
EXT - HLM MISTER O : PORCHE – SOIR
SUITE « GUERRE » PAR MAFIA K1 FRY (À PLEIN VOLUME)
La face de Gia est figée dans une grimace comique marquant son incrédulité. Il
tourne la tête vers le spectateur (!), sobre à l’inexpressif.
Il remet sa tête dans l’axe.
GIA
(pour lui-même)
J’y crois pas.
Il lève brièvement le nez vers la fenêtre et pénètre dans l’immeuble.
GIA
(pour lui-même)
J’y crois pas.
La silhouette de Gia disparaît derrière les portes battantes. Remontée le long de la
façade.
EXT - HLM MISTER O : FENÊTRE APPART DE MISTER O – SOIR
SUITE « GUERRE » PAR MAFIA K1 FRY (À PLEIN VOLUME)
Arrivé à hauteur de la fenêtre,
KARIM
(off – fort accent de jeune des
cités)
Vas-y, le v’là qui monte.
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On rentre dans l’appart par cette ouverture, dans le redressement puis le repli de
Karim vers l’intérieur.
INT - APPART MISTER O : PIÈCE COMMUNE – SOIR
SUITE « GUERRE » PAR MAFIA K1 FRY (À PLEIN VOLUME)
C’est une nuque rasée d’une peau au hâle naturel, un haut brodé musulman sur des
épaules larges et carrées et sa démarche fière et chaloupée qui caractérisent notre
guide, KARIM, jeune arabe de banlieue, sportif (ou naturellement bien bâti).
KARIM
(off - plus excitée)
Vas-y, le v’là qui monte.
Karim se dirige vers un vieux sofa déglingué où l’atmosphère est enfumée et où on
découvre de longues jambes en tenue de camouflage de l’armée américaine.
KARIM
(off - excitée)
Vas-y le v’là qui monte.
Mister O, fini l’bédo ! Au boulot !
Karim s’écroule sur le ventre couvert d’un tissu rouge sombre avec le célèbre dessin
représentant le portrait du Che.
FIN « GUERRE » PAR MAFIA K1 FRY (FADE)
Les jambes de Mister O partent en l’air, ses grands pieds noirs chaussés d’antiques
pataugas en cuir aux lanières distendues ou mal fixées.
MISTER O
(off – voix nasale)
Putain Karim, tu fais chier, merde !
Ses longs bras nus et d’un noir profond repoussent Karim d’un côté, le « cône » à
l’opposé.
Karim pèse de toute sa masse musculaire secouée de SPASMES RIGOLARDS sur
le pauvre Mister O, coincé !
Une troisième personne fait son apparition pour tirer sur le corps de Karim.
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NADIA
(off – accent typée fille de cité)
Karim, vas-y t’es chiant, là ! Arrête de faire
l’gamin !
Les efforts conjugués Nadia + Mister O paient et le corps de Karim est soulevé juste
ce qu’il faut pour que Mister O parvienne à se décaler sur le sofa et laisse s’affaler la
masse, toujours en prise avec un VIOLENT FOU RIRE, dans le creux encore chaud.
Mister O s’extirpe difficilement du sofa pour se retrouver sur ses deux jambes.
MISTER O
Ouh !... Nadia a raison, mec. T’es qu’un
gosse !... Merci Nadia.
Il se caresse le ventre, involontairement, le nez du Che dessiné sur son tee-shirt,
émet un FAIBLE RÂLE DE DOULEUR. La main de Nadia vient se poser à l’endroit
massé par la main noire aux longs doigts fins.
NADIA
(voix douce et protectrice)
Ça va ?
MISTER O
(ôtant tendrement la main de
Nadia de son ventre)
Ouais… mon ulcère.
NADIA
(ton de reproche)
Tu m’avais promis d’aller voir un médecin
pour ça…
Mister O lève la main qui tient le big cône incandescent.
MISTER O
Docteur Ganja, la meilleure medicine, fillette,
ah ah ah…
Il entoure Nadia de ses grands bras et la serre contre lui dans un immense élan
affectueux.
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KARIM
(second degré)
Eh la, écarte-toi de ma fiancée, sale junkie
de merde !
Les mains de Karim font leur apparition sur les épaules des deux enlacés et
entament leur travail de séparation. Au tour de Mister O et Nadia de RIRE.
KARIM
(toujours second degré)
Regardez-moi ça ! Comme deux toutous.
Merde, va falloir de l’eau chaude pour les
décoller si ça continue.
Mister O relâche son étreinte et libère Nadia, les deux amants de papier à présent
rejoints par Karim dans le RIRE.
Mister O cesse soudain, pris par une violente douleur au même endroit du ventre.
MISTER O
Aoh !
Il (se) tient sa longue silhouette courbée.
KARIM + NADIA
(d’une seule voix)
O !!!
MISTER O
Eeh, eh eh eh !
La carcasse longiligne se redresse.
MISTER O
J’vous ai eu !
KARIM + NADIA
(d’une seule voix moralisatrice)
Mister Ooo…
20
Mouvement de recul du bassin…
MISTER O
Ah vous auriez dû voir vos têtes !
Deux lapins pris dans les phares d’une
voiture !
…ROTATION À 90° et Mister O s’éloigne vers le fond de la pièce. Nadia vient se
coller à son Karim, qui l’enlace façon lover.
NADIA
(enjôleuse)
Alors… comme ça on est jaloux ?...
KARIM
N’importe quoi !
NADIA
(off – niveau du buste)
(câline)
« ‘carte-toi d’ma fiancée », j’l’ai rêvé cellelà ?
KARIM
(off – niveau du buste)
Ouais ben p’têt, t’as vu. Moi j’sais p...
« Plus haut », Nadia est en train d’embrasser Karim. « SILENCE » AMOUREUX.
INT - APPART MISTER O : COULOIR – SOIR
Mister O rattrapé dans le couloir, on le suit, sa nuque de rasta man (des dreads à la
Bob) en ligne de mire. On se cale sur la démarche lancinante du man le plus cool sur
terre.
21
INT - HLM MISTER O : LONG COULOIR D’IMMEUBLE – SOIR
SPLIT SCREEN
Gia se déplace dans le long couloir d’immeuble identique à celui parcouru pour
rentrer chez lui tout à l’heure. L’impression de revivre la même scène à ça près qu’il
ne porte pas les mêmes habits.
INT - APPART MISTER O : COULOIR – SOIR
SUITE SPLIT SCREEN
Plus près de Mister O et de sa jungle capillaire qui se déplace tranquillement vers le
bout du couloir.
INT - HLM MISTER O : LONG COULOIR D’IMMEUBLE – SOIR
SUITE SPLIT SCREEN
Plus près de Gia qui continue sa marche en avant.
INT - APPART MISTER O : HALL D’ENTRÉE / VESTIBULE – SOIR
SUITE SPLIT SCREEN
Mister O progresse et stoppe devant la porte d’entrée pour venir – vue de profil,
visage en partie masqué par les imposantes dreads - coller son œil sur le fish-eye
incrusté dans l’acier blindé.
INT - HLM MISTER O : LONG COULOIR D’IMMEUBLE – SOIR
SUITE SPLIT SCREEN
Dans un synchronisme parfait avec la dernière action de Mister O, Gia arrive à
hauteur de la porte d’entrée et se positionne face à elle pour se retrouver de profil.
Un court instant, les deux hommes se retrouvent face à face, la séparation verticale
du split screen pouvant être assimilé à la porte.
22
INT - APPART MISTER O : VESTIBULE - SOIR
Mister O, de dos, l’œil toujours collé à l’œilleton.
MISTER O
Heeey, G-I-A, mon frère, comment va ?
INT - HLM MISTER O : LONG COULOIR D’IMMEUBLE - SOIR
Gia, de dos, poing apprêté à toquer à la porte. Finalement Gia laisse tomber sa tête
en avant (sur la porte, une tête de mort signifiant « Danger »).
GIA
Ooo…
MISTER O
(off)
Password, man.
POV MISTER O PAR L’ŒILLETON
Gia déformé par l’œil de bœuf relève, lève la tête au plafond. Il SOUPIRE.
GIA
(énervé)
Mais putain ! C’est moi, O. Qu’est-ce que tu
m’prends la tête, là ?
INT - APPART MISTER O : VESTIBULE - SOIR
Mister O s’empresse d’ouvrir en débloquant un premier verrou, puis un autre
dessous, et encore…
23
INT - HLM MISTER O : LONG COULOIR D’IMMEUBLE – SOIR
…et encore et encore… SILENCE PESANT ponctué par un ÉNIÈME SON DE
VERROU. Gia attend posément devant la porte.
Elle s’ouvre enfin sur le visage de MISTER O, sa face hallucinante et hallucinée, les
yeux explosés par l’herbe. Il tire Gia à l’intérieur, jette un œil nerveux dans le couloir
à droite, à gauche et referme la porte. On entend le SON D’UN PREMIER VERROU.
INT - APPART MISTER O : VESTIBULE - SOIR
Mister O continue de refermer chaque verrou. Dans son dos, Gia réajuste son teeshirt sous son anorak.
GIA
T’es parano ! Tu sais ça, Mister O ? Parano !
On d’vrait t’appeler Mister Parano !
MISTER O
(dans sa barbe)
Pourquoi pas le roi du porno pendant qu’t’y
es ?
Il salue Gia d’une brève accolade et sort quelque chose de sa poche qu’il lève en l’air
pour lui présenter.
Il s’agit d’un morceau de tige métallique, fine et tordue.
MISTER O
Regarde ce que j’ai trouvé dans ma serrure
en rentrant ce soir…
GIA
Ah ouaiiis…
Gia saisit le bout de métal entre pouce et index et commence à peine à loucher
dessus qu’il est surpris par Mister O se remparant de l’objet.
24
MISTER O
Alors qui est Mister Parano ?
(il range nerveusement la « pièce
à conviction » au plus profond de
sa poche)
Pas moi, négro ! Pas moi…
Mister O part dans le couloir. Gia toujours sous l’effet de surprise (il a gardé sa main
en l’air) lui emboîte finalement le pas en faisant naître un sourire encore une fois
craquant.
INT - APPART MISTER O : HOME STUDIO – SOIR
Une feuille de papier tenue entre deux mains qu’une troisième vient arracher.
KARIM
Eh tarba rends-oim aç !
KARIM bondit de sa chaise (première fois que le spectateur découvre son visage)
pour presser Gia, habile à mettre la feuille hors de portée, sans décoller la sienne (de
chaise).
GIA
(rigolard)
lecture de quelques lignes du texte écrit par
Karim
KARIM
Zyva, Gia. Ça s’fait pas !
GIA
(rigolard)
lecture de quelques lignes du texte écrit par
Karim
Un TERRIBLE COUP DE FEU retentit dans la pièce. Il calme instantanément les
deux « lutteurs » qui regardent dans la même direction.
Celle de Mister O, casque audio autour du cou, qui s’allume tranquillement une tige
et s’installe derrière sa table de mixage.
25
Une main profite de la pose figée du duo pour récupérer la feuille. Celle de NADIA
dont on découvre le visage pour la première fois. Elle affiche un sourire, ponctuation
de son action (en position assise).
QUELQUES SECONDES PLUS TARD
Gia, Nadia et Karim, qui s’est rassis, sont regroupés autour de la même feuille de
papier. Ils parlent À VOIX BASSE. Un BEAT HIP HOP envahit la pièce.
Mister O, casque vissé sur les oreilles s’affaire derrière la table de mixage. Très
concentré, il effectue les derniers réglages, FAISANT REPARTIR L’INTRO
MUSICALE DU DÉBUT À PLUSIEURS REPRISES POUR DES ESSAIS VOIX.
MISTER O
Un, un… Ok c’est bon pour moi.
(il abaisse les énormes écouteurs)
Mister O ready !
Karim est le premier à se lever.
KARIM
Ok, Mister O aux manettes…
Karim vient se positionner derrière un micro sur pied en face de Mister O. LE TEMPO
RAP REPART. Il reprend son freestyle.
KARIM
(bon flow de caillera)
…Pas d’problème, blème
Bien vite les minettes rappliquent
Toutes dingues de not’ flow, yo !
Pour Mister O, à nouveau casqué, ça semble bon à en juger par le sourire et son
signe de la main « pouce index » formant un « O » comme « Ok ».
26
KARIM
(plus démonstratif)
Chez moi pas de procédé hypocrite !
Ma technique, j’t’explique !
Rectangle blanc à la verticale (il dessine la
figure géométrique dans l’air)
Ma main guidée par Allah quand je prends le
bic !
Et toi à l’horizontale, quand tu entends ma
voix, c’est fatal !
Cette arme…
NADIA
(pousse-toi d’là que j’my mette
avec Karim et le même flow de
caillera)
Fatale c’est bon on a compris !
Arrête ton char, Henri !
Moi c’est Nadia, pur femeu de téci, oui !
Avec mes sosses Gi-a et Rimka on est là !
Pas de problème, blème comme quoi !
Face au mic, ouais, face au mic !
Face au noiraud qu’on appelle Mister O !...
oh oh…
(elle rit)
imitée par Mister O qui incline et secoue la tête.
Nadia est rejointe par Karim derrière le micro.
NADIA + KARIM
(dans le même flow)
On est là, ouais. On est là, ouais.
De la main, ils invitent Gia à les rejoindre.
Toujours assis, Gia refuse l’invitation d’un sourire gêné et d’un rabat de la main dans
le vide pour mieux se replonger dans la lecture de la feuille de papier manuscrite.
NADIA + KARIM
(dans le même flow)
On est là…
Ils battent la mesure bras tendus en direction de Gia.
27
Il leur adresse un regard en coin furtif et retient un sourire tandis qu’il reste en mode
lecture. LA MUSIQUE N’EST PLUS.
NADIA + KARIM
…ouais. On est là…
GIA
…ouais.
LA MUSIQUE REPART AUSSITÔT et Gia se lève brusquement (la feuille tombe au
sol) et vient se positionner entre les deux autres face au micro.
GIA
(flow agressif)
Alors pas de problème…
Il recule pour libérer le micro, sourire amusé, index pointés en direction de ses deux
« choristes ».
NADIA + KARIM
blème !
GIA
C’est G-I-A en solo, pas de mystère à taire…
NADIA + KARIM
Oooh…
GIA
Alors balance le tempo à tes tepos
NADIA + KARIM
Mister Ooo…
GIA
Et à trois on s’ra làaa…
28
NADIA
(désignant Karim du doigt)
Rimka !
KARIM
(désignant Gia du doigt)
Gi-a !
GIA
(désignant Nadia du doigt)
Na-di-a !
Les trois désignent en même temps Mister O.
NADIA + KARIM + GIA
Mister O !
Mister O répond par un SOLO DE SCRATCH qu’il ponctue d’un SON DE FOULE EN
DÉLIRE. Il remercie ses fans invisibles dans un grand numéro de cabot, se levant
pour leur envoyer des baisers à la ronde…
MISTER O
Merci ! Merci beaucoup !
…sous le regard des trois autres, Nadia, Karim chacun sous la protection d’un bras
de Gia, tous soudés et unis dans UN MÊME RIRE COMPLICE.
QUELQUES SECONDES PLUS TARD
Mister O hyper concentré et sérieux derrière sa table de mixage.
Une obscurité parfaite règne dans la pièce… vide. Seuls la silhouette de O et de son
matériel baignent dans une « belle lumière de studio ».
LANCEMENT D’UN NOUVEAU BEAT HIP HOP.
Bénéficiant du même éclairage, Karim, derrière le micro, a le visage grave.
Très concerné par l’intro musicale lancée par Mister O, sa tête suit discrètement le
rythme. Au bout de quelques secondes, il commence à rapper.
29
KARIM
Paroles de la chanson
Son solo terminé, Karim recule pour disparaître dans l’obscurité d’un noir parfait.
C’est au tour de Nadia de s’avancer dans la lumière et devant le micro pour
interpréter le refrain.
NADIA
(d’une voix soul et aérienne)
Refrain en langue ???
Nadia recule etc (voir plus-haut). Gia prend la place de Nadia. Il affiche la même
expression tourmentée que Karim avant de se lancer. Et la même façon de balancer
discrètement la tête d’avant en arrière.
GIA
Paroles de la chanson
Gia cède la place à Nadia qui réapparaît pour le refrain.
NADIA
(d’une voix soul et aérienne)
Refrain en langue ???
La BANDE MUSICALE ARRIVÉE AU BOUT, le SILENCE REVENU DANS LA
PIÈCE, elle garde les yeux fermés quelques secondes pour découvrir en les rouvrant
Gia et Karim venus l’encadrer.
La lumière éclaire progressivement l’arrière-plan jusqu’à…
…la pièce entière et de façon plus crue.
Les trois interprètes adressent un regard interrogatif en direction de la technique.
Mister O est en train de les fixer, les lèvres en suspens, le regard humide. Quand il
se décide enfin à parler avec… sobriété.
MISTER O
(ton admiratif)
Waoh !
30
INT - APPART MISTER O : VESTIBULE - SOIR
Gia, Karim et Nadia prennent congé de Mister O.
EXT - HLM MISTER O : PORCHE – SOIR
Le CALME QUI RÈGNE à l’extérieur témoigne de l’heure avancée dans la nuit. Le
calme est également ce qui caractérise nos trois héros lorsqu’ils émergent du
porche.
Karim serre Nadia contre lui. Gia lui, avance les mains dans les poches, regard au
sol, un côté gavroche.
Ils arrêtent tous trois de marcher après quelques pas. Gia se tourne vers ses deux
amis…
…mais continue de regarder par terre, faisant rouler une balle imaginaire sous son
pied, les poings ancrés au fond des poches de son baggy, la crispation de son front
trahissant son tourment.
Karim et Nadia se regardent, échangent un sourire amusé, puis interdits.
Gia laisse échapper un SOUPIR TRÈS SONORE.
GIA
Bon, ils étaient où les autres ?
KARIM
Ben euh…
Il cherche un appui du côté de la femme dans ses bras. Mais Nadia détourne la tête
tout EN SE RÂCLANT POLIMENT LE FOND DE LA GORGE.
KARIM
(pas à l’aise)
Zyno il avait un truc à régler…
GIA
Quel truc à régler ?
KARIM
Un truc à régler, quoi !
31
GIA
Ok je vois mais ça explique toujours pas
pour les deux autres.
KARIM
Derek et Alistair ?
GIA
Non, Biggie et Tupac ! Bollos !
Evidemment, Derek et Alistair.
KARIM
J’sais pas moi. Pourquoi tu m’demandes ça
à moi ?
GIA
Ça va j’ai compris, laisse tomber.
Gia a un geste de dépit de la main et amorce un départ sur la droite. Il se ravise vite
pour revenir face au jeune couple.
GIA
On croirait qu’y a qu’moi qu’ça fait ièch !
KARIM
Sur le Coran, non.
GIA
(du tac au tac)
Ben alors quoi ? J’pensais qu’on était un
groupe.
Un groupe, Karim. Tous soudés. Unis
Vivre de notre rap. Nous l’rap on a qu’ça.
KARIM
(peu convaincu)
Ouais…
32
GIA
(ton léger)
« Ouais » c’est tout c’que tu trouves à dire ?
Nadia, i’va m’faire craquer.
NADIA
T’es un boss, un leader et tu l’as toujours été
Gia.
L’esprit du groupe, l’âme d’N’garso c’est toi !
Pas Karim, ni les Derek, Alistair ou Zyno.
Moi à la rigueur, ah ah
(éclats d’un rire cassé)
non j’rigole.
GIA
(ton léger)
J’espère que tu rigoles. Tu entends ce que tu
dis ?
Karim, on t’entend pas. T’en penses quoi ?
Tu crois que je devrais songer à m’lancer en
solo ?
KARIM
(réaction immédiate)
T’es malade !!!
GIA
Arrêter le groupe, vous laisser tomber et
tracer de mon côté ?
KARIM
Mais zyva arrête ça !
Nadia éclate de son RIRE RAUQUE et vient à nouveau se coller à son lascar.
NADIA
Ah ah, Karim a raison Gia, arrête ça.
Regarde dans quel état ça l’met !
KARIM
Dis wallah ? Gia tu veux arrêter ?
33
GIA
Ah j’sais pas moi, t’as vu… On est trois là.
Karim ne trouve rien à y redire quand soudain il pose sa main sur le ventre de Nadia.
KARIM
(avec entrain)
Hey bientôt quatre, mec !
Gia n’a pour réaction que sa mine perplexe et éphémère : bien vite tout son visage
s’éclaire.
GIA
Nooon… ah ah j’y crois pas !
Il attrape la main de chacun pour les entraîner vers les bancs en pierre au centre de
la place.
GIA
(excité)
Eeeh eh eh petits cachottiers, vous allez
m’raconter ça.
Les trois se mettent assis sur le dossier du banc en béton. Nadia au centre et Gia
très attentionné pour elle.
NADIA
Ça va, Gia. Tu peux m’lâcher maintenant.
GIA
Je prends soin d’la génération future, tu
permets ?
NADIA
(plus ferme)
C’est pas pour tout de suite, d’accord ?
34
KARIM
Ouais mais quand même, c’est d’ma
descendance dont il s’agit.
NADIA
(retrouvant le sourire)
Pffh, n’importe quoi. « Ma descendance »,
écoute-le l’autre là.
KARIM
(s’adressant à Gia)
Tu vas voir que dans moins de deux elle va
me traiter d’intégriste de merde, là.
NADIA
(taquine)
Noon, simplement de macho.
KARIM
Dis wallah !? Moi macho ? Gia ?
GIA
…ben c’est vrai qu’parfois t’es quand même
un peu lourd, Karim, enfin toi-même tu sais.
Nadia éclate de RIRE, se TAPE SUR LES CUISSES.
KARIM
(second degré)
Va t’faire foutre, Gia.
GIA
Merde alors, thug life, baby ! Karim et Nadia
vont devenir des darons!
J’aurais pas cru voir ça arriver avant que…
euh… avant que…
NADIA
« Avant que »… ouais vas-y exprime-toi.
35
GIA
Ben avant qu’on y soit arrivé.
NADIA
Tu veux dire avec N’Garso…
GIA
Ouais, qu’on brille tous ! Vous avez pas
oublié.
Depuis tout p’tits qu’on en rêve ! Les gars de
Fresnes à Brooklyn !
KARIM
Oh ça l’f’rait trop ! Et ma Nadia qui f’rait ses
courses dans les magasins comme cette
pute de Julia Roberts !
Nadia éclate à nouveau de RIRE.
NADIA
Trop d’la balle ! Comment qu’je t’viderais ton
compte !
Elle SMACKe (sur) la bouche de Karim.
GIA
Déconnez pas ! Moi j’vous parle de New
York, Baltimore, Los Angeles. Les States !!!
Faut qu’ça s’fasse ! Faut qu’on brille tous !
KARIM
N’garso, mec.
GIA
Nous l’rap on a qu’ça.
36
NADIA
Eh les gars, réveillez-vous. Regardez où on
vit.
Dans une cité pourrie. Tous les murs sont
gris.
GIA
Comme notre avenir si on reste ici.
C’est pour ça. Faut qu’on fasse avancer tout
ça.
KARIM
Qu’on nique tout c’système vicié, là ! Avec
not’ rap de salauds, yo !
Les deux autres regardent avec amusement celui qui vient de prononcer ces mots
avec un sérieux confondant. Nadia se retourne vers Gia.
GIA
(à Nadia)
Qui sait de quoi demain sera fait ma belle.
NADIA
Inch Allah, t’as vu.
GIA
En parlant d’ça, vous savez déjà si ça s’ra un
garçon ou une fille ?
NADIA
(racaille)
Gia, c’est encore tout chaud c’t’histoire !
Sinon y-a longtemps qu’tu saurais.
KARIM
Ouais et pi toud’façon j’veux pas savoir
avant.
NADIA
Pas moi. J’veux savoir avant.
37
GIA
Une préférence ?
NADIA
Non et toi ?
KARIM
Ben t’as vu, on verra. Mais sinon, qu’est-ce
que j’voulais dire… eh Gia, mon frère !
D’un bond, Karim descend du banc pour rejoindre Gia dans son dos. Une fois rendu
à sa gauche, il passe son bras autour du cou de son ami.
GIA
J’te préviens Karim, si c’est encore pour
m’vendre un d’tes trucs tombés du camion,
oublie-moi !
Karim s’écarte de Gia.
KARIM
(déconneur)
T’as vu comment qu’t’es ! Toud’suite. Alors
que moi j’chuis là, sympa avec toi.
(il revient à la charge, son bras sur
l’épaule)
Non écoute voilà, comme t’es un peu mon
meilleur pote et que Nadia, elle est un peu
comme ta sœur, et ben on a pensé tous les
deux à toi comme parrain pour le p’tit.
NADIA
Ou la p’tite !
KARIM
Alors ? Tu dis rien.
38
GIA
(surpris et visiblement ému)
Ben c’est que… j’sais pas quoi dire. Vous
êtes marrants. Vous m’annoncez ça comme
ça.
KARIM
Attends, parrain, tu rentres pas dans la
mafia ! Tu t’la racontes Tony Montana ou
quoi ?
NADIA
C’est Corleone, « Le Parrain ». Montana
c’est dans « Scarface ».
KARIM
Mais vas-y, ferme ta gueule, Nadia !
NADIA
Eh, comment tu m’parles, bouffon !
GIA
Eh eh eh, on se calme. C’est d’accord.
KARIM
Ah ouais, franchement là, t’as assuré.
Ils se serrent la main selon le rituel hip hop, façon rue. Nadia à son tour descend du
banc pour venir prendre Gia dans ses bras.
NADIA
Merci.
GIA
Ouais ben y a pas d’quoi.
NADIA
Tu rigoles ! Ça lui fait super plaisir. Regardele.
39
Le visage de Karim irradie de bonheur. Tant qu’il a presque l’air (d’un) demeuré.
GIA
(amicalement)
Cette tête !...
NADIA
(d’une voix ramenant à la raison)
Ouais ben c’est plutôt cette tête qu’on va
avoir tous les deux demain.
GIA
T’as cours à quelle heure ?
NADIA
8 heures.
KARIM
(rejoignant Nadia)
Ecoute là, elle. J’pars taffer tous les matins à
5 heures et elle dort encore.
Revenue sous l’aile de Karim, Nadia lui donne une tape sur le ventre. Il lui répond
d’un tendre bisou sur le front.
GIA
Vas-y Karim. Arrête de faire l’canard !
NADIA
(assénant une tape plus violente
que la précédente, cette fois à
Gia)
Mais-euh !
Gia recule d’un pas sous la poussée sans perdre son sourire taquin.
Nadia resserre
amoureusement.
son
étreinte
autour
de
son
homme
qu’elle
contemple
40
NADIA
J’aime bien quand tu (t’)la joues lover.
KARIM
Dis wallah ?
NADIA
Sur l’Coran, Karim. Ça m’fait kiffer.
Karim plonge dans ses yeux. Quand il en ressort, encore plus amoureux, il s’adresse
à Gia d’un air entendu.
KARIM
Brother, j’pense qu’on va t’laisser si tu vois
c’que j’veux dire.
Sourire complice de Gia qui en guise de réponse, recule et remonte sur le banc pour
s’y rasseoir.
KARIM
Tu restes ?
GIA
Mouais.
KARIM
Bon ben salut alors.
Il s’approche du banc et à hauteur de Gia, pour un dernier salut de rue.
Nadia restée à distance lui fait un petit signe de la main en guise d’au revoir, les
épaules voûtées, les bras croisés serrés sous sa poitrine. Elle est parcourue d’un
frisson. Rejointe par Karim, elle se blottit contre lui et il reparte bras dessus, bras
dessous…
sous le regard protecteur de Gia qui les observe jusqu’à…
…leur entrée (à Karim et Nadia) dans l’immeuble d’en face.
Gia regarde dans cette direction encore un temps, jusqu’à l’apaisement (l’esprit
tranquille) quand est captée son attention. Quelque chose sur sa gauche se déplace
(son regard suit lentement).
41
Une voiture de police roule au ralenti le long du trottoir. Le FLIC ASSIS SUR LE
SIÈGE PASSAGER ne lâche pas Gia des yeux.
Gia le fusille du regard.
À travers sa vision, on suit la progression toujours lente du véhicule. Le banc
largement dépassé, une dernière bravade du flic, allant jusqu’à tourner la tête pour
confirmer (s’il en est besoin) sa fixation sur Gia.
Jusqu’au bout, Gia soutient le regard. Le visage dur. Son corps, une masse. Voûté,
replié sur lui-même mais tendu vers l’avant.
Le véhicule de police s’éloigne.
Gia affiche toujours la même dureté de trait. Une colère contenue. SES LÈVRES SE
METTENT À PSALMODIER. DES LYRICS SORTENT DE SA BOUCHE. PAS
ASSEZ FORT POUR QUE L’ON PUISSE EN PROFITER. Le voilà qui cherche
fiévreusement dans les poches de son « gilet pare-balles ». Bredouille ! TOUJOURS
LE FLOW VOLUME PERSO quand il se remet sur ses deux jambes fouillant le fond
de ses poches. Encore bredouille ! Il enchaîne sur un demi-tour et marche à grands
pas en direction de « sa » tour de béton. IL MARMONNE TOUJOURS.
INT - APPART GIA : VESTIBULE / HALL D’ENTRÉE → COULOIR – NUIT
La porte s’ouvre amenant brièvement l’éclairage du couloir d’immeuble dans l’entrée.
Le temps pour Gia d’y pénétrer et de refermer derrière lui.
Dans la pénombre, il se précipite sur la commode pour s’emparer d’un bloc-notes et
d’un stylo, s’empresse d’écrire et tout en continuant de griffonner, s’enfonce dans
l’appart (le couloir). Au passage devant la chambre du père, une halte.
Pause stylo pour entrouvrir la porte et dans l’entrebâillement…
INT - APPART GIA : CHAMBRE DU PÈRE – NUIT
…distinguer dans la pénombre un corps endormi sur le lit. Tourné côté mur,
immobile. Parfaitement immobile.
Un SILENCE DE MORT règne dans la pièce.
Gia se dirige avec appréhension vers le lit.
Arrivé à sa hauteur, une première hésitation dans son inclinaison sur le corps inerte
pour finalement se pencher franchement et se rapprocher…
…au plus près et percevoir une FAIBLE RESPIRATION.
42
Gia alors se redresse. Expulse son stress d’UN SOUFFLE, UNE RESPIRATION et
s’éloigne du lit, révélant le cadre posé sur la table de nuit. La photo représente Gia
enfant, avec ses parents. On passe de Gia enfant posant à…
INT - APPART GIA : CHAMBRE DE GIA – NUIT
…la photo de Gia aujourd’hui, toujours en photo. Il n’y a plus qu’une personne
posant à ses côtés : son vieux père. Dans la continuité, un autre cadre photo du
bureau : Gia entouré de toute la bande : les blacks Derek, Alistair et Zyno, Karim…
et Nadia bien sûr.
Dans un 3ème cadre soudain éclairé (lampe de bureau) :
INT SOIR
Ces deux-là avec Gia.
Atterrit sur le bureau, le bloc-notes ouvert à la page de ces quelques lignes d’une
écriture empressée :
(1ères lignes d’un rap relatant la venue prochaine d’un nouveau-né)
Les mains de Gia apparaissent de chaque côté du bloc. La droite s’empare du stylo DÉBUT D’UNE INSTRU WESTCOAST QUI TUE - et commence à écrire à la suite
des premières phrases. Remontée le long du mur couvert de posters de 2pac.
Enchaînement sur Gia : travail inspiré à la table, penché sur l’ouvrage (rem : n’a
même pas pris le temps de se changer)
EXT - IMMEUBLE GIA – NUIT
SUITE INSTRU WESTCOAST
La façade de la tour sombre est « trouée » de plusieurs cases lumineuses (les
fenêtres).
Plus près. Plusieurs fenêtres passent au noir.
Encore plus près. L’opération « extinction des feux » se poursuit devant nos yeux
jusqu’à ce qu’il n’en reste plus qu’une éclairée.
43
INT - APPART GIA : CHAMBRE DE GIA – SOIR
SUITE INSTRU WESTCOAST
Gia, toujours absorbé par son « devoir » sur table, écriture fiévreuse et imagée,
RAPPE LES MOTS QU’IL COUCHE SUR LE PAPIER (MAIS PAROLES
COUVERTES PAR L’INSTRU) !
EXT - IMMEUBLE GIA - NUIT
AUBE
SUITE ET FIN INSTRU WESTCOAST
Le jour se lève progressivement en même temps que la lumière revient derrière
plusieurs fenêtres autour de celle qui a « brûlé » toute la nuit.
INT - APPART GIA : CHAMBRE DE GIA – AUBE
Gia est tombé en arrière sur sa chaise, nez au plafond. La bouche entrouverte émet
un RONFLEMENT À PEINE AUDIBLE.
Plusieurs feuilles noircies de l’écriture rap sont détachées du bloc et éparpillées
autour de celui-ci.
EN SURIMPRESSION
INT & EXT – CITÉ « LES GROUX » – DIVERS
RETOUR AU DÉBUT DE L’INSTRU WESTCOAST + LYRICS DE GIA (OFF)
PAROLES ET FLOW SYNCHRONES AVEC CE QUI PASSE À L’ÉCRAN
SÉQUENCE-CLIP : SUCCESSION DE SCÈNES DE LA VIE QUOTIDIENNE DE GIA
Plan(s) d’entraînement de Gia à la salle de boxe
Plan(s) de Gia traînant dans le quartier avec les potes
Plan(s) de Gia en répèt au home studio
Plan(s) de Gia disputant un match de foot en salle
44
Plan(s) de Gia « posé » dans le quartier avec les potes
Plan(s) de Gia en répèt au home studio
Plan(s) de Gia disputant un match de basket de rue
EXT - CÉLÈBRE BOÎTE DE NUIT PARISIENNE : ENTRÉE - SOIR
SUITE DE L’INSTRU WESTCOAST + LYRICS DE GIA (OFF)
PAROLES ET FLOW SYNCHRONES AVEC CE QUI PASSE À L’ÉCRAN
Gia et tout le crew se font refuser l’entrée :
le premier parlemente, argumente avec LE PHYSIO dont les mouvements de déni de
la tête nous le montre obtus.
les autres, et parmi les plus démonstratifs Karim, s’en retournent, des gestes
d’abandon de la main, la mine dégoûtée.
INT – LE BAFANA (CLUB HIP HOP) - SOIR
SUITE DE L’INSTRU WESTCOAST + LYRICS DE GIA (OFF)
PAROLES ET FLOW SYNCHRONES AVEC CE QUI PASSE À L’ÉCRAN
EFFET RENDU SONORE : AMBIANCE HIP HOP DU LIEU
La boîte est bondée, en majorité DES BLACKS.
Gia est laissé en plan par DEUX JEUNES FILLES, DES BOMBES, UNE BLACK ET
UNE REBEU.
GIA
(rayonnant)
Non mais rev’nez !... Eeh !...
La joyeuse bande lui tombe dessus, Derek s’accrochant à son cou de tout son poids
pour faire plier son pote charriée à mort par toutes et tous.
45
INT - APPART GIA : CHAMBRE DE GIA - AUBE
Gia émerge de son somme. FIN DU RAP (FADE). Il ouvre les yeux pour découvrir
son père, Francesco Gianelli, en train de lui parler.
L’OUÏE ENDORMIE DE GIA ne lui PERMET PAS D’ENTENDRE LES PREMIERS
MOTS PRONONCÉS par le vieil homme propre sur lui.
Jusqu’à encore peu, solide gaillard, aujourd’hui, muscle fondu, traits tirés, fatigués,
mais l’expression faciale gentille bien que dans le regard, une certaine absence :
FRANCESCO GIANELLI
(…) il t’attend dans la cuisine.
Le padre fait demi-tour direction la sortie.
Gia, pas encore tout à fait réveillé, tend le bras dans le vide comme pour l’attraper et
le retenir.
GIA
(voix pâteuse)
Mmh attends, papa. Qui ça m’attend dans la
cuisine ?
Le vieux se retourne, la main déjà sur le chambranle de la porte.
DÉBUT D’UNE MUSIQUE À SUSPENS.
Il revient vers Gia à petits pas.
Celui-ci le regarde revenir vers lui avec une certaine appréhension. Inconsciemment,
Gia rentre les épaules et se penche progressivement en avant, rejoint par l’ancêtre
qui prend une des feuilles sur le bureau.
Gia ne bronche pas et au contraire semble attendre le verdict avec circonspection.
Au bout de quelques lignes, Francesco relève les yeux sur leur auteur pour lui
adresser un sourire paternel.
Gia lui renvoie timidement cette marque d’affection. Puis plus franchement.
ENVOLÉE LYRIQUE DE LA MUSIQUE.
FRANCESCO GIANELLI
Y-a une faute à (choisir mot dans texte rap –
voir page 44/45)
46
LA MUSIQUE RETOMBE. MONTE UNE MUSIQUE AU TEMPO PLUS RYTHMÉ.
Le père lâche la feuille qui retombe AU RALENTI sur le bureau et sous le regard
incrédule de Gia. TOUJOURS AU RALENTI, le père fait demi-tour et s’en va
rejoindre la porte. Arrivé à sa hauteur :
GIA
(off)
Euh Pa’…
FIN DU RALENTI. Le père stoppe sa progression et suspend son action de passer la
porte - LA MUSIQUE MARQUE UNE PAUSE – juste le temps de lui répondre de
dos :
FRANCESCO GIANELLI
C’est ton conseiller. Ton conseiller t’attend
dans la cuisine.
LA MUSIQUE REPART
GIA
(« à la rue »)
Hu, mon conseiller… ?
Dans le passage de la porte au couloir :
FRANCESCO GIANELLI
(dans l’éloignement)
NPE
Gia reçoit cette dernière info de plein fouet, son visage en état de choc : les yeux
ronds.
AU RALENTI, le père passe la porte pour disparaître dans le couloir.
Gia se dresse d’un bond sur ses deux jambes. Il ôte son tee-shirt vitesse grand V.
47
INT - APPART DES GIANELLI : CUISINE - PETIT JOUR
FIN (CUT) MUSIQUE AU TEMPO RYTHMÉ / THEME ACTION
Assis à la modeste table en formica, Momo jette un regard circulaire autour de lui :
la vaisselle sale (une pile) accumulée dans et à côté de l’évier, la poubelle
« dégueulante » de déchets domestiques, les nombreuses bouteilles vides qui
jonchent le sol et enfin sur la toile cirée bon marché.
Le père fait son entrée et s’installe en face de Momo.
FRANCESCO GIANELLI
Aaah
(soupir de fatigue et de
satisfaction)
Il arrive.
Il saisit la bouteille dans laquelle il reste encore du vin et tend le bras pour la pencher
au-dessus du verre de son invité.
MOMO
Non !
(la main fait barrage au-dessus du
verre)
Le père fige net, le geste en suspens, l’air interdit.
MOMO
Hier encore j’aurais pas refusé.
Mais depuis que le médecin est passé par
là…
FRANCESCO GIANELLI
(ramenant la bouteille à lui)
Ah !...
Il se sert à ras bord, tout sourire édenté, la tête soudain prise de secousses droite
gauche.
Momo observe l’action à en plisser les yeux, des ridules d’inquiétude sur son front.
48
MOMO
Monsieur Gianelli, il est pas un peu tôt là
pour commencer ?
Toujours gai, Francesco Gianelli PLAQUE LA BOUTEILLE SUR LA TABLE et lève
son verre à la santé du conseiller. Il le vide d’une traite et le TAPE SUR LA TABLE.
Comme un signal – REPRISE THEME ACTION - pour Gia qui surgit speed (il porte
les mêmes sapes que la veille), sac de sports accroché à l’épaule. Haro sur le frigo.
Momo se lève et se rapproche de Gia en plein p’tit déj’ express. Mode d’emploi :
1. des granulés de chocolat en poudre (boîte sur le frigo), s’enfourner (plein la
bouche)
2. avec une bonne gorgée de lait (porte du frigo), mélanger
3. ses joues gonfler en guise de shaker (BRUIT DE BOUCHE CARACTÉRISTIQUE)
Les yeux ronds, les joues rondes, Gia relève la tête du garde-manger pour tomber PAUSE DANS LE « SHAKER » SILENCE - nez à nez avec son conseiller.
L’effet de surprise (dû à la proximité nez à nez) passé, il avale sa boisson chocolatée
improvisée.
Momo s’apprête à parler, commence pour ça à entrouvrir la bouche, quand il est
bousculé par Gia qui se dirige vers la table, plonge la main dans le paquet de
céréales pour en ressortir une poignée et se la fourrer aussi sec dans la bouche.
S’ensuit le même rituel : une bonne rasade de lait pour faire passer.
Pas une seconde de plus ! Gia quitte la pièce précipitamment. Momo a à peine le
temps de s’écarter pour lui laisser le passage.
MOMO
Attends…
Il reste désemparé dans l’encadrement de la porte donnant sur le couloir. ON
ENTEND LA PORTE BLINDÉE S’OUVRIR ET SE REFERMER AUSSITÔT EN
CLAQUANT – FIN (CUT) THEME ACTION. Il tourne la tête en direction du père.
Celui-ci a l’air hagard, main veineuse sur le verre, tête légèrement orientée en
direction du couloir, encore interpellée par le claquement.
INT - SALLE DE BOXE – JOUR
Un grand espace : des JEUNES s’entraînent sur les rings et en dehors.
49
Certains au saut à la corde
d’autres aux abdos, seuls
ou à plusieurs.
Momo fait son entrée, s’avance dans le lieu, les yeux baladeurs.
Il effectue quelques pas en direction d’un des rings et s’arrête à niveau.
FAOUZI, un « grand » à la peau mat est occupé à entraîner deux « petits » : un
black, MAMADOU et un beur, MOHEDINE.
Momo s’adresse brièvement à Faouzi. Celui-ci tend le bras en direction d’un des
coins de la salle.
Direction adoptée par le conseiller jusqu’à Gia qui FRAPPE SUR UN SAC DE
SABLE. De la puissance se dégage de chacun de ses coups. Concentré sur l’action,
il ne sent pas venir Momo qui se rapproche dans son dos et reste quelques
secondes à l’observer sans signaler sa présence. Finalement :
MOMO
J’aimerais pas être à sa place.
Gia STOPPE NET DE BOXER. Il ferme les yeux, s’endurcit un petit peu plus encore
et REPREND L’ENCHAÎNEMENT DES COUPS, LA RAGE RAJOUTANT DE LA
VIOLENCE À LA PUISSANCE. Le conseiller vient se positionner dans son champ de
vision.
Jusqu’à tenir le sac !
MOMO
Si seulement tu mettais autant de rage à
trouver un emploi…
… J’ai peut-être trouver une formation pour
toi, tu sais ça ?...
… Non, tu sais pas… Comment tu pourrais…
Ça fait 3 semaines que je n’te vois pas !...
Gia reste impassible. Peut-être INTENSIFIE-t-il juste LA CADENCE ET L’IMPACT
DE SES COUPS…
MOMO
… Au fait, inutile de te dire que tu as perdu
tous tes droits en laissant traîner les
choses…
La NPE t’a radié et pour la formation que tu
veux faire, la prise en charge suppose le
statut de demandeur d’emploi.
50
Résultat : tu l’as dans l’baba !
À moins que tu ne prennes rendez-vous
avec l’Agence et que tu expliques les raisons
de ton silence radio…
Ça n’est pas moi qui vais pouvoir accomplir
cette démarche à ta place…
(long silence rythmé par les coups
de Gia qui ne faiblissent pas)
…Mh, tu m’prends pour un vieux ringard,
c’est sûr, ou aut’ chose…
Un original, à côté d’la plaque…
Ouais, t’as p’t-êt’ raison. C’est p’t-êt’ moi qui
suis con de m’accrocher, de croire que
t’insérer je l’puis comme dirait l’autre…
Un sourire furtif et un LÉGER CONTRETEMPS DANS LA « MUSIQUE » DE
L’ENCHAÎNEMENT DES COUPS CHEZ GIA.
Il se dirige vers un punching-ball suspendu et commence à mouliner.
MOMO
Ah-aaah !... Serait-ce une esquisse de
sourire, jeune jedi ?...
Aaah mon vieux Maurice, tu tiens l’bon bout.
Au fait, je m’appelle Maurice mais tu peux
m’appeler Momo…
(il tend une main qui reste sans
receveur)
Ouais... ça m’aurait étonné…
Momo reste à l’observer en silence, l’œil malin. Il s’active, passe dans le dos de Gia.
Se retrouve de l’autre côté puis en face. Là, il reste à le fixer jusqu’à ce que :
GIA
(assénant très fort un dernier coup
de poing)
Quoi ! Tu vas m’tourner longtemps autour
comme ça ?
(face-à-face)
T’es un d’ces dèp ?
MOMO
Johnny ?
Gia fronce les sourcils, perturbé par la question.
51
GIA
T’es fou, en fait…
(pointant son doigt sur le front de
l’adulte)
bientôt la r’traite !
Gia se détourne, ainsi rompt le face-à-face, pour s’orienter vers un punching-ball sur
pied. Il se remet à boxer mais cette fois en tournant tout autour. Momo, encore lui, ne
tarde pas à venir rôder dans les parages.
MOMO
…des blanches ou des vaches ?
Gia suspend à peine son jeu de jambes pour jeter un regard noir…
au vieux dingo qui l’observe en souriant.
Gia reprend de plus belle, virevolte autour du ballon de cuir avec une aisance à la
Sugar Ray : confondante et redoutable.
Momo en fait de même en sens inverse, histoire d’être toujours plein axe dans son
champ de vision. Au bout de quelques tours de ce ballet sportif :
MOMO
T’as du style, Sugar.
Gia toujours en jambes, lève les yeux au ciel sans perdre le RYTHME DES COUPS
PORTÉS PAR ENCHAÎNEMENT. La coordination est parfaite et la synchronisation
des deux déplacements toujours de haute tenue.
MOMO
Tu m’rappelles moi quand j’avais ton âge…
GIA
La boxe existait déjà ?
MOMO
Bien joué ! 1-0
52
GIA
(flow saccadé par les
sautillements)
Pas la peine de compter les points ! À ce jeulà, j’te mets k.o, 10-0…
Gia s’arrête, récupère une serviette accrochée à l’échelle et… en passant à côté du
conseiller :
GIA
(moqueur)
…Momo !
Il rabat la serviette sur son épaule et s’éloigne vers le centre de la salle.
Après un temps, Momo lui emboîte le pas.
MOMO
(voix portée)
Moi aussi je croyais au style…
J’avais besoin de ça pour survivre !
Toi Luke, qu’est-ce qu’i’t’fait survivre à part le
style ?
Gia passe une porte dans le mur qui longe les rings. Quand elle se referme, on peut
lire « Vestiaires ».
À l’arrêt, Momo continue de regarder à cet endroit.
MAMADOU
(petite voix d’enfant)
Pourquoi vous l’appelez Luc, monsieur ?
Momo tourne et lève la tête vers la source.
Les 3 jeunes à qui il s’était adressé en arrivant, sont alignés sur le ring.
Faouzi réprimande Mamadou d’une TAPE DERRIÈRE LA TÊTE.
FAOUZI
(à voix très basse)
Vas-y toi, qu’est-ce tu lui parles !
53
MOMO
(amusé)
Un truc entre nous.
MOHEDINE
Le rap, M’sieu.
Momo tourne la tête vers le second bout d’chou.
MOMO
Pardon ?
MOHEDINE
(sous le regard noir de Mohedine)
Le rap, M’sieu. Gia et ses sosses, i’z’ont
qu’ça.
Une lueur d’intérêt chez le conseiller.
MOMO
Voyez vous ça.
FAOUZI
Ram’nez-vous c’soir au Bafana. Et vous (les)
verrez !
Momo hoche inconsciemment la tête, un sourire discret et les yeux qui brillent déjà.
INT - SALLE DE BOXE : VESTIAIRE – JOUR
La PORTE D’UN CASIER SE REFERME VIOLEMMENT et un POING S’ABAT
DESSUS, marque de la grosse colère d’un certain Gia.
Debout entre banc et rangée de casiers, il redonne un COUP DE POING DANS LA
PORTE et finit en collant son front sur le métal.
54
EXT - LE BAFANA - SOIR
Le profil de Gia est remplacé par celui d’une FEMME D’ÂGE MÛR et la surface
métallique en contact avec le front par une ÉNORME MAIN NOIRE qui agit en
repoussoir.
UNE FAN DE METALLICA comme en atteste le patch cousu dans le dos de la veste
en jean, ajustée tout comme le pantalon.
LE PHYSIO, une armoire à glace noire comme l’ébène, fait barrage de sa main à la
volonté insistante d’entrer tête baissée de la hardos. Finalement c’est elle qui rompt
la première, recule à contrecoeur. Elle n’a pas l’air bien dans sa tête, à piaffer
comme elle le fait !
Et LES AUTRES AUTOUR ne font que rajouter : passant le barrage sans la moindre
difficulté, leurs sourires moqueurs la narguent. Parmi eux, Chris (« Biggie ») fait son
numéro.
CHRIS
(plus efféminé que jamais)
Mais qu’est-ce qu’elle a celle-là !
Ici c’est réservé aux b-boys et aux tass’ au
boul’ comme aç !
« Elle » CLAQUE À PLEINE PAUME SUR LES FESSES REBONDIES D’EBONY,
beauté black et charnelle.
EBONY
(colère feinte, la tête ondulant de
droite à gauche)
Eeh Chrissie ! Tu vires ta cuti ? ou c’est juste
pour amuser la galerie !
Chris, entouré d’un auditoire compressé (Francis, Lenny et les autres blacks de son
crew, les jeunes de la salle de boxe : ceux reconnaissables, les Faouzi, Mohedine,
Mamadou) exulte :
CHRIS
(les yeux ronds comme des billes)
Houuh… d’J-Looooo…
(tourne la tête vers sa « cour »)
Sans transition, il éclate d’un RIRE ÉNORME, le communiquant à son entourage,
emportant jusqu’à Ebony aux lèvres pulpeuses.
55
Toute la clique rentre à l’intérieur. Elle, bras dessus, bras dessous avec Chris qui la
retient le temps d’un regard sans équivoque au videur. Le videur reste stoïque et
Chris est vite entraîné à l’intérieur par la conviction de la J-Lo black.
Avant de disparaître définitivement :
CHRIS
(pointe du doigt la fan de Metallica
hors champ)
Et toi… va t’laver les ch’veux !
Il repart à RIRE. Il n’est plus là.
INT - LE BAFANA – SOIR
L’AMBIANCE HIP HOP bat son plein. Le SON DÉCHIRE et il y a FOULE DANS LE
CLUB. On suit la p’tite troupe se frayant un chemin jusqu’aux devants de la scène.
Une fois les premiers rangs atteints, toute la clique se met à jumper en cadence, les
bras en l’air.
Sur scène (une petite estrade), UN DJ SCRATCHE DU PUR ET LOURD : le FINAL
DE (son) FREESTYLE. Il enchaîne sur un NOUVEAU BEAT.
qui fait encore monter la température de plusieurs degrés dans la salle : PUBLIC
DÉCHAÎNÉ, AMBIANCE SURCHAUFFÉE.
En provenance backstage, les membres du groupe N’garso déboulent sur la scène.
Sans temps mort, les Gia, Karim, Derek, Zyno et Alistair occupent la scène, facile. Le
devant pour lâcher le PREMIER FLOW en tapant dans les mains des premiers
rangs.
Au fond, accoudé au bar, le conseiller Momo est là. Dans ses yeux, ça pétille et la
tête bouge !
Là-bas, sur la scène, c’est de la pure démonstration du savoir-faire hip-hop des 5
jeunes au style cainri.
QUELQUES MINUTES ET QUELQUES TITRES PLUS TARD
MORCEAU DE N’GARSO RÉPÉTÉ AU HOME STUDIO DE MISTER O (voir page 29
/ 30)
N’garso assure toujours. Derek, Zyno et Alistair sont en retrait, têtes baissées dans
l’ombre, laissant la vedette aux 3 autres. Nadia les a rejoint pour le REFRAIN. On
56
« arrive » sur les dernières secondes
chaleureusement la fin de la chanson
d’interprétation.
Des
CRIS
saluent
et du concert (le groupe quitte la scène).
Le PUBLIC TAPE DANS LES MAINS, HURLE, SCANDE LE NOM DU GROUPE.
Le DJ toujours derrière ses platines lance un PUR INSTRU WESTCOAST.
On retrouve nos rappers qui émergent d’une porte latérale à la scène.
Ils se déplacent parmi leur public. On leur tape sur les épaules. Ils répondent aux
mains levées en distribuant les CLAQUES DANS LES PAUMES.
La petite procession parvient à atteindre le bar pour se masser au comptoir et passer
commande à l’un des BARMEN. Du coin de l’œil, Gia remarque quelqu’un assis non
loin. Sa bouteille de coca à la main, il rejoint Momo, s’adosse, les coudes sur le zinc.
Boit une gorgée en regardant devant lui.
GIA
Vous ici ! Quelle surprise.
MOMO
Ce sont eux !
(signe indicateur du pouce dans
son dos)
FAOUZI est en train de danser sur la piste avec UNE BÊTE DE MEUF. Mohedine
danse seul tout comme Mamoudou.
Gia sourit, toujours aussi charismatique.
GIA
(se tournant pour la première fois
vers son voisin)
??? (réplique à écrire) voir avec Deka, Mam
Momo ne répond pas mais focalise toute son attention sur Gia, qui regarde à
nouveau la piste, sourit, secoue la tête et se tourne pour s’accouder au bar.
Il rentre les épaules, incline la tête qu’il secoue d’un côté, l’autre. La relève pour
regarder à nouveau le conseiller. Ses yeux tombent sur le verre vide de Momo.
GIA
Vous vous la réglez là ou quoi ?
57
MOMO
la… la régler ?
Il prend son ticket et commence à le lire. Gia le lui prend des mains et interpelle le
barman qui les a servi.
GIA
Steph, enfoiré ! Tu fais payer mes guest
maintenant !
(il fourre la note dans la pochecœur du barman, un beau métis)
STÉPHANE
Il m’a rien dit. Je pouvais pas d’viner.
GIA
Ben maintenant tu sais.
MOMO
(gêné)
Non mais attendez…
Gia l’arrête, main en opposition.
GIA
(sans regarder Momo, fixant
toujours le barman)
Tu r’prends quoi ?
Stéphane sourit à Gia en secouant la tête.
STÉPHANE
Ah… putain Gia, t’es gonflé.
Gia attend mais aucune réponse ne vient.
GIA
Oh M2O, tu r’prends un truc à boire ? C’est
la maison qui offre.
58
MOMO
Oh… c’est que j’voudrais pas…
GIA
Allé, vas-y c’est bon. Mets-lui la même
chose.
Stéphane lève les yeux au ciel et repart.
GIA
Et c’est pas la peine de tchiper, là.
[scène à travailler avec Mam & Deka / travail de retranscription après mise en
situation] lui annonce que peut avoir une salle sur Paris conclusion
INT - HOME STUDIO MISTER O - SOIR
Gia, Karim, Derek, Alistair et Zyno sont assis, cool.
(ask Deka / Mam comment sont quand enregistrent à Châtelet)
GIA
Bon alors avant de commencer, j’ai un truc à
vous annoncer.
Karim lève immédiatement les yeux de sa feuille pour les poser sur Gia. Quand aux
3 autres : 2 stoppent leur discussion.
Le 3ème lève la tête de son portable.
GIA
Alors voilà. Le gars avec qui vous m’avez vu
discuter hier soir, ben i’s’trouve qu’il a moyen
d’nous pécho une salle sur Paris.
Karim ferme les yeux et baisse la tête en soufflant.
Les 3 autres restent sans réaction.
59
MISTER O
(off)
Shiiit !...
Toutes les têtes se tournent vers la gauche. Mister O est figé, casque à la main.
DEREK
(off)
Attends,...
Le big popa, avachi sur sa chaise, revient sur Gia.
DEREK
Si j’comprends bien, l’daron c’est un prod.
ALISTAIR
(lumineux)
Nooon…
Il tape dans les mains de Derek.
ZYNO
(off)
Vas-y…
(corps vers l’avant sur sa chaise)
…explique.
Gia sourit.
GIA
Ho, les mecs ! C’est pas un prod, d’accord ?
KARIM
Ben c’est quoi alors ?
GIA
Mh ! « C’est quoi » ? D’après toi ?
60
KARIM
(rigolard)
C’est un daron ! J’chais pas moi !
ZYNO
(sérieux)
Oh la. C’est quoi ça ! On va pas y passer 10
plombes !
DEREK
Il a raison. Calcule pas l’aut’ touareg, là !
ALISTAIR
(écroulé de rire)
Hou hou hou…
KARIM
Qui est-ce que tu traites de touareg !
Personne ne fait attention.
KARIM
(bas et à Derek)
Cafard !
GIA
(hésitant)
C’est… un gars qui bosse pour le
gouvernement.
ZYNO
C’est quoi ça le gouvernement ? J’te jure des
fois t’es trop cainri.
DEREK
Ouais en fait c’est l’Etat.
ALISTAIR
C’est un fonctionnaire, quoi.
61
Il éclate de RIRE et présente sa main paume en l’air à son voisin de droite, Derek,
qui TAPE dedans.
GIA
Si vous voulez, mais qu’est-ce que ça
change ?
Qu’il bosse pour Death Row, Bad Boy, fuck !
I don’t give a shit, men !
Karim ricane dans sa barbe.
GIA
Et toi l’blédard, qu’est-ce qui t’fais rire ?
ZYNO
Mais ouais, laisse tomber lui.
ALISTAIR
C’est vrai ça, qu’est-ce qui t’arrive ?
DEREK
Oh Tonton !
KARIM
(irrité)
Mais cassez-vous ! Sur l’Coran ! On peut
plus rigoler maintenant ?
GIA
Ouais mais là c’est du sérieux, tu
comprends ?
Gia garde son sérieux.
Karim cligne des yeux dans un SILENCE DE MORT. Il tourne la tête à droite.
DEREK & ALISTAIR
(avachis en arrière dans leur
chaise)
Eh ouais mec.
62
Il détourne à gauche pour y voir un Zyno 100% sérieux.
KARIM
(à Gia)
Dis wallah ?
Gia éclate de RIRE en même temps que les 3 autres.
Jusqu’à Mister O qui retrouve vite ses esprits pour relancer sur le sujet.
MISTER O
(se roulant un joint de taille
honorable)
Et donc alors peu importe ton gars, là. La
salle, tu l’as vu ?
GIA
Non, j’l’ai pas vu. Il m’en a parlé que hier
soir.
MISTER O
Tu sais au moins de quelle salle il s’agit ?
GIA
NPE Spectacles…
KARIM
Hein !? NPE ? T’es malade !
DEREK
Tu nous vois aller pointer ?
ALISTAIR
Au guichet rap !
ZYNO
Ces enfoirés ! J’ai même pas droit aux
Assedics…
63
KARIM
Mais ouais, vas-y ! Moi j’m’en fous, j’ai pas la
carte !
Gia baisse la tête en soufflant.
Mister O repart d’un RIRE HEUREUX.
MISTER O
Non non non, détendez-vous.
(il allume le oinj et tire dessus :
voix nasale)
Putain c’est d’la bonne !
KARIM
Ben vas-y O, fais tourner !
Il se lève et vient jusqu’à O pour goûter.
DEREK
(à Karim)
Alors ?
GIA
Alors vous n’avez pas laiss…
DEREK
(toujours fixé vers Karim)
Attends
GIA
…é finir…
KARIM
(voix nasale)
Elle… déchire !
ZYNO
Mais alors vas-y, ‘ros, ramène ça !
64
ALISTAIR
T’es un enfoiré Karim ! Passe le oinj !
MISTER O
Eh mais oh !
(il retient Karim par le bras)
C’est pas un coffee shop ici !
Il reprend son bien.
DEREK
Mister O t’es un ouf !
ALISTAIR
Un rat tu veux dire !
ZYNO
Ben tu sais quoi ? Va t’faire…
GIA
(tandis que Zyno termine de
s’adresser à Mister O en silence)
Eh les mecs c’est quoi c’Bronx !
C’est pas un coffee shop ! C’est un ch’nil !
Karim revient à sa place.
KARIM
C’est ça, traite-nous d’chiens d’la casse
pendant qu’t’y es !
GIA
(en colère)
Karim !!!
KARIM
(se faisant tout p’tit)
Vas-y pourquoi tu t’énerves.
65
DEREK
Bon alors quoi ! C’te salle, t’accouches !
ALISTAIR
Ouais, tu vas lâcher le morceau ?
ZYNO
Vas-y annonce !
GIA
(à Mister O)
Vas-y toi. Moi j’peux plus !
MISTER O
(zen)
Oooh faut pas t’mettre dans cet état ! Reste
cool, Gia.
Reste coool
(il éclate d’un rire désordonné)
GIA
Ok d’accord, j’ai compris. Bon vous
m’écoutez ou vous préférez continuer à fout’
le dawa ?
KARIM
(voix de stentor)
On fout l’dawa !
Gia bondit de sa chaise sur Karim.
GIA
Putain !
LES 3 BLACKS
Oh oh oh
Gia commence à savater Karim au sol. Il est vite maîtrisé par les autres membres du
groupe.
66
DEREK
T’es och ! Il est ‘chiré. Regarde.
Karim est plié en deux par terre mais de RIRE.
GIA
(à Mister O)
Va t’faire foutre Mister O ! C’est quoi cette
merde que tu fumes ?
Mister O est mort de RIRE. Les 3 blacks à leur tour. Reste Gia qui craque enfin et
relève Karim.
GIA
Allé, gros. J’m’excuse.
À PEINE PLUS TARD…
Tout le monde assis. Karim, un verre à la main dont il avale le contenu en grimaçant.
ALISTAIR
Voilà ! C’est bien.
DEREK
(à Gia)
Donc si j’résume c’que tu viens d’dire, on fixe
une date, on voit si la salle est libre à cette
date et c’est tout ?
GIA
C’est tout sauf qu’une fois la date confirmée
c’est du taf ! Entre les répèts, l’organisation,
la promo !
ZYNO
C’est tout pour not’gueule ?
67
GIA
On peut dire ça.
SILENCE
MISTER O
(gêné, à la main, un mug décoré
d’une caricature de Bob Marley)
Ouais…
GIA
Je l’savais et j’ai dit non. J’ai bien fait à voir
vot’ réaction.
Derek se réveille.
DEREK
What !!!
ALISTAIR
(léger)
T’as très bien entendu, DK. Ce G a pas
confiance !
ZYNO
(à Gia)
Hey mec ! Ecoute-moi bien. Les répèts, tu
peux les fixer, j’y serai !
La promo, les gars d’N’garso, ils assurent !
Alors tu vas rappeler ton gars, là. Et tu vas
lui dire que c’est ok pour moi et tous mes
sosses du tiéquar’.
On s’ra là pour fout’ le dawa ! La téci monte
à Paris.
Gia affiche un sourire de réconfort.
KARIM
Moi tant qu’j’chuis pas tout seul à coller les
affiches.
68
Le reste de l’assemblée éclate de RIRE.
À PEINE PLUS TARD…
DÉMARRAGE D’UN BEAT SYNCOPÉ PROPICE À POSER UN FLOW
GIA
(en mode intro parlée)
Ok… bon là c’est l’histoire d’un gars qui vient
d’sortir de prison…
EXT - PRISON DE FRESNES : SORTIE – JOUR
SUITE BEAT SYNCOPÉ PROPICE À POSER UN FLOW
SOFRANE, un jeune black au visage dur passe la porte de la prison dans le sens
sortie. Il reste sur le trottoir et regarde durement à droite, à gauche.
SOFRANE
(over)
(suite texte rap) à retranscrire
INT - HOME STUDIO MISTER O – SOIR
SUITE BEAT SYNCOPÉ PROPICE À POSER UN FLOW
SOFRANE
(over)
3 piges que j’chuis coincé dans c’bordel à 4
murs…
N’garso sans le N en configuration rap session.
Par la fenêtre du « studio »…
69
EXT - CITÉ « LES GROUX » - JOUR
SUITE RAP SOFRANE (OVER) retranscrire
…jusqu’en bas dans la cité où un bus dépose Sofrane et son allure de jeune caïd.
Le bus redémarre et son ex-passager reste un court instant sur place, regard
circulaire sur le quartier : tout est CALME. R.A.S. À part qu’il semble reconnaître
quelqu’un à en juger son signe de tête et le fait qu’il se dirige
vers… DEUX BLACKS en planton dont un va à sa rencontre. Salut de rue.
Libass (!) présente ALI au revenant Sofrane.
INT - CHÂTELET / FORUM DES HALLES : PLACE CARRÉE – JOUR
SUITE RAP SOFRANE (OVER) retranscrire
Gia, démarche affairée, portable à l’oreille.
INT - NPE : BUREAU DU CONSEILLER – JOUR
SUITE RAP SOFRANE (OVER) retranscrire
Momo à l’autre bout du « fil ». Il semble ravi. Assis en face de lui, un JEUNE PUNK
fatigué.
NOIR ÉCRAN
INT - PARKING SOUTERRAIN – SOIR
SUITE RAP SOFRANE (OVER) retranscrire
Ouverture d’un coffre sur le visage de Sofrane.
Dans le coffre, des sachets de poudre blanche jusqu’à cette couleur PLEIN ÉCRAN.
70
EXT - PARKING SOUTERRAIN – JOUR (ASK DEKA / MAM IF EFFET LOGIC)
SUITE RAP SOFRANE (OVER) retranscrire
Une voiture de luxe type Mercedes sort du souterrain.
On est dans… la cité des Groux.
Peu de temps après, sort Sofrane, un sac de sport bien rempli à bout de bras. Il
croise des JEUNES DU QUARTIER en train de distribuer des tracts.
INT - PHOTOCOPIEUSE : À LA SORTIE DES FEUILLES – JOUR
SUITE RAP SOFRANE (OVER) retranscrire
De nombreuses photocopies sur papier couleur annonçant le concert d’N’garso
sortent à la chaîne et s’accumulent.
INT - LIEU SECRET – JOUR
SUITE RAP SOFRANE (OVER) retranscrire
Des petits sachets blancs sont déversés sur une table en bois brut.
EXT - RUES DE PARIS – JOUR
SUITE RAP SOFRANE (OVER) retranscrire
Les membres du groupe négocient pour placer les affiches maison annonçant le
concert avec DIFFÉRENTS COMMERÇANTS et avec plus ou moins de succès.
EXT - CITÉ « LES GROUX » - JOUR
SUITE RAP SOFRANE (OVER) retranscrire
Une JEUNE FILLE échange quelques billets contre un petit sachet blanc. Dans le
rôle du dealer : Libass.
71
EXT - RUE DE PARIS - CRÉPUSCULE
SUITE RAP SOFRANE (OVER) retranscrire
Distribution de main à main du tract du concert.
Gia vérifie auprès de Karim et Nadia, qui distribuent en binôme, ce qu’il leur reste de
flyers. A l’arrière-plan, les 3 blacks de N’Garso en pleine action.
INT - CITÉ « LES GROUX » : VOITURE - NUIT
SUITE RAP SOFRANE (OVER) retranscrire
Les billets remplacent les tracts dénombrés.
La liasse est entre les mains de Sofrane. Une part est remise à Ali, ici assis derrière
le volant. À son tour, Ali ponctionne quelques billets pour les tendre aux deux jeunes
caillera assis à l’arrière (le sieur Libass et un des « ses » renois : le sieur Vernon). Le
duo de petites frappes s’empare des euros et les fourre illico presto dans les
blousons. Sofrane rallume la liseuse au-dessus du rétro central…
INT - SALLE DE CONCERT - SOIR
SUITE RAP SOFRANE (OVER) retranscrire
…Un projecteur suspendu s’allume à pleine intensité.
Au sol, bord scène, Gia donne ses directives éclairage au TECHNICIEN DU LIEU. Le
reste du crew reconnaît la scène, Mister O aux platines ! Côté salle, les GROUPIES
sont de la répèt !
L’UNE D’ENTRE ELLES, boul’ d’enfer, se lève de son siège. Démarche chaloupée…
EXT - CITÉ « LES GROUX » - NUIT
SUITE RAP SOFRANE (OVER) retranscrire
Reprise dans la continuité du déhanché sur une autre créature, une PUTE que nous
prenons en « filature ». Dans une ruelle, elle se déplace sur talons hauts et jupes
filées, entre D’AUTRES comme elle, adossées contre la paroi tôlée. Elle, est
accompagnée d’un CLIENT. À la sortie du boyau, le « couple » bifurque à gauche
sur quelques pas jusqu’à une portière que l’homme ouvre.
72
Une fois assise côté passager, la pute replie ses jambes gainées résille dans la
caisse. La portière se referme sur elle. Le « consommateur » fait le tour du véhicule.
Le temps de découvrir le visage de la prostituée, une très jeune fille typée et de son
« chauffeur », profil du jeune cadre dynamique.
Le luxueux bolide démarre et fait le tour du fameux terre-plein central entre les tours
de béton. Au loin, le véhicule croise une autre jeune fille.
AU RAP DE SOFRANE SE SUBSTITUE PEU À PEU UN RAP INTERPRÉTÉ PAR
NADIA
Qu’on identifie plus près, en conversation téléphonique kit main libre !
LE RAP PASSE EN FOND SONORE.
NADIA
Attends
Elle fige sur le passage de la 4 roues et de ses deux occupants. Son visage exprime
l’inquiétude en lien direct avec ce qu’elle vient de voir. Elle reprend pourtant sa
marche.
NADIA
Ouais excuse-moi, mais y avait un truc
chelou, là.
Euh… ouais ben ouais sinon j’ai… (dial / taf
pour la promo du concert)
Attends, Gia. J’te rappelle.
Mohedine fait le pet devant l’entrée de la tour où logent Nadia et Karim.
Nadia RETIRE LES ÉCOUTEURS DE SES OREILLES. SON RAP (FADE CUT)
Le minot a l’air embêté de cette rencontre.
NADIA
Putain !... (à écrire vrai)
C’est quoi ça !? Qu’est-ce que tu fous dehors
à c’t’heure-ci ???... (silence en face)
Hein ?... Oh !
Mohedine est tétanisé. Derrière lui, la porte vitrée et derrière, Sofrane encore en biz
chelou avec Libass et ses deux acolytes : Vernon et Mike.
Nadia se décompose cash en apercevant les bad guys.
73
Libass indique à Sofrane la présence de Nadia à l’extérieur. Sofrane se retourne
sans stress, affiche vite un sourire qui lui donne un air antipathique. Il interrompt là
son biz, passe les portes et vient à la rencontre de Nadia.
SOFRANE
(ouvrant les bras)
Nadia…
NADIA
(tendue mais forte)
Sofrane.
SOFRANE
(mettant les mains sur les épaules
du p’tit Mohedine)
Tu fais connaissance avec ma dernière
recrue.
NADIA
J’crois pas, non
(elle attrape le p’tit)
Viens là Moulé.
Elle retourne Mohedine vers elle et le tient fermement par les deux bras.
NADIA
Tu devais pas aller aider Karim et les autres
aujourd’hui ?
Mohedine baisse la tête, l’air coupable.
NADIA
Tu sais ce que Gia t’a dit à propos de tout
ça.
74
SOFRANE
Tout ça ? C’est nouveau… ça ! C’est
comme… ça !
Fait pas ci et fais pas ça !
Eh… Nadia ! Qu’est-ce qui t’arrives ? J’chuis
un mec peace, tu sais ça.
Au fait, tu m’demandes pas comment
c’était ?
NADIA
(toujours protectrice envers
l’enfant)
Comment c’était ?
SOFRANE
Approche déjà pour me souhaiter la
bienvenue.
NADIA
T’attends pas à c’que ce soit la fête, Sofrane.
Merde ! Tu tiens à ce qu’il soit au courant ?
SOFRANE
Tu as raison. Alors laisse-moi au moins
m’approcher.
(mouvement amorcé vers l’avant)
NADIA
(un pas en arrière avec l’enfant)
Pourquoi faire ?
SOFRANE
Oh, oh, oh. Voyez-vous ça ?
Pris à témoin, les trois autres derrière (sortis entre-temps) RICANENT.
SOFRANE
(sérieux brusquement)
Quoi ! Je ne peux même plus embrasser une
amie à présent ?
75
NADIA
On a tous changé, Sofrane. « Une amie »,
mh !
Tu as oublié pourquoi tu es parti ces
dernières années.
Le quartier est bien sans toi. Bien mieux en
tous cas.
Et lui là, tu vois, tu l’auras pas.
SOFRANE
Nadiaaa… tais-toiii… Tu vois pas que t’es
toute seule à parler.
Et que moi j’ai des choses, tant d’choses à te
dire.
Il tente à nouveau un mouvement vers l’avant.
NADIA
(mâchoires serrées)
Ne m’approche pas !
SOFRANE
(énervé)
Bon ! Tu sais quoi !? Vas-y ! Casse-toi !
J’veux plus entend’ le son d’ta voix !
NADIA
Tu ne l’entendras pas souvent.
En tous cas, fais en sorte qu’on ait pas à
s’croiser trop souvent dans l’quartier.
SOFRANE
C’est ça. En attendant, lui, il reste avec moi.
Pris par surprise à l’épaule, Mohedine se retrouve sous la tenaille de Sofrane.
NADIA
Non !
Elle tente de récupérer Mohedine dans un geste désespéré. Sofrane l’attrape par les
cheveux et la fait plier.
76
SOFRANE
Tu vois Nadia, « ces dernières années »
comme tu dis, ne m’ont pas changé.
Ce que je veux… je l’prends !
SANGLOTS de Mohedine. Sofrane s’approche du cou de Nadia. Il hume.
SOFRANE
Putain ! J’avais oublié ton odeur.
Jamais d’parfum, hein la miss. 100%
naturelle. Une pure femelle.
LIBASS
Hola Sof. Y-a son mec.
À plusieurs mètres au loin, Karim est planté dans le sol, témoin incrédule de la
scène.
Sofrane ouvre sa main d’un seul coup et libère Nadia qui manque de s’effondrer au
sol.
Karim reconnaît sa Nadia et se met à courir vers elle.
Arrivé à sa hauteur :
KARIM
Nadia ! Bébé, ça va ?
Il n’attend pas la réponse et fait face à Sofrane.
KARIM
Putain ! C’est…
Il reconnaît Sofrane. Et de l’énervement, passe à l’incompréhension.
KARIM
…quoi ton problème, Sof !
77
SOFRANE
Ouais merci Karim. C’est gentil. Ben écoute
je suis sorti il y a une semaine. Soit 259 de
moins que celles passées dans une cellule à
maudire le moindre d’entre vous, tas
d’bougnouls !
KARIM
Eh
(il étouffe un rire de surprise)
Qu’est-ce qui t’prends d’parler comme ça ?
On y est pour rien Nadia et moi si t’as
déconner !
Sofrane sort une arme qu’il braque sur la tempe de Karim.
SOFRANE
(ton menaçant)
« Déconner » ? Tu veux vraiment que
j’déconne avec toi, bouffon !
NADIA
(en panique)
Sofrane ! J’t’en prie ! Arrête ça !
Sofrane stoppe illico le coup de pression et range l’arme.
SOFRANE
Pour toi, c’que tu veux chérie.
Sofrane relève la tête et sans crier gare assène un coup de poing en pleine face à
Karim, qui, surpris par l’impact vacille sous le choc et s’écroule en arrière.
Nadia ne peut réprimer un cri de terreur quand elle se précipite sur son homme au
sol. Elle n’a pas le temps de se pencher sur lui qu’elle est reprise par les cheveux.
Sofrane se positionne derrière elle et la retient ainsi prisonnière :
SOFRANE
Me dis pas que c’est ça son mec ! Nadia
rassure-moi.
78
KARIM
Lâche-la-aaah !
Karim essaie de se relever mais Libass lui balance un coup de pied en plein ventre.
NADIA
No-oon !
SOFRANE
Alors c’est vrai. Tt-tt-tt
(il secoue la tête)
Tu m’déçois, Nadia. Tu m’déçois là.
Sofrane fait se courber Nadia et la promène à son gré tandis que Karim est maintenu
par terre (on le voit essayer de se remettre sur ses deux jambes mais à chaque
tentative, une jambe d’un des trois blacks qui l’entourent l’en empêche).
Sofrane fait encore plus (se) plier Nadia pour présenter son visage tordu de douleur
à la face de Mohedine, observateur immobile et muet de l’humiliation subie par le
jeune couple.
SOFRANE
Regarde-là ! Regarde-là bien, petit !
Cette salope va bientôt travailler pour moi !
Mohedine a le visage bouleversé par les larmes. Il est aussi terrorisé.
Nadia ne montre pas sa souffrance. Tout juste un GÉMISSEMENT.
Au sol, Karim se tord de douleur.
KARIM
(ton suppliant)
Laisse-la, Sooof…
SOFRANE
(imitant Karim, Nadia toujours
« face à face » avec Mohedine)
« Laisse-la, Sooof », non mais tu t’entends ?
Putain d’merde, Karim ! On est où là ?
C’est quoi c’délire ? Vous êtes tous dev’nu
des fiottes, des putains d’tarlouzes !
Et toi, petit ? Fais-moi plaisir ! Me dis pas
que t’en prends l’chemin !
79
Mohedine change peu à peu d’expression. Il passe de la crainte à une plus crâne
assurance.
Sofrane s’en rend compte.
SOFRANE
Oh oh non ! Pas du tout les amis. Regardezmoi ce p’tit dur.
Ouaiiis allé, eh eh eh, c’est ça. Montre-moi.
KARIM
(non plus suppliant)
Enfoiré !
Immédiatement, Karim reçoit un violent coup de pied dans le ventre.
Mohedine accuse le coup comme pour lui-même. Les CRIS DE DOULEUR de Karim
« coupé » en deux, provoquent chez l’enfant des « microvibrations » des paupières,
des muscles des pommettes et des zygomatiques. Il serre ses petits poings de mini
boxeur, bras pendants le long de son corps.
SOFRANE
Alors c’est tout ! C’est ça ta colère ?
Regarde tes amis. Tous les deux à ma
merci.
Tu d’vrais être en feu ! Là t’es juste une
petite baltringue.
Les dernières coulées de larmes sur les joues de la « baltringue ».
SOFRANE
Attends, tu veux que j’te foute vraiment la
haine ? Hein ?
Alors écoute bien. La chienne que t’es en
train de contempler, écoute bien
(il resserre la torsion des cheveux
provoquant un nouveau râle de
douleur chez Nadia)
el…
MOHEDINE
(mâchoires soudées)
Arrêt’ça !
80
SOFRANE
Quoi !
Sofrane relâche Nadia dans les bras de Libass et fait « face » à Mohedine.
SOFRANE
(se penchant, l’oreille tournée vers
la bouche du p’tit)
T’as dit quoi ? J’ai pas dû bien entendre.
Respiration heurtée de Mohedine, terrorisé, continuant malgré tout à tenir tête à
Sofrane.
SOFRANE
(se redressant)
Ouais… j’ai dû mal entendre.
Parce que si ç’avait été ce que j’ai cru avoir
entendu… ça aurait été fâcheux pour notre…
collaboration naissante, tu n’crois pas ?
(il se penche d’un coup tout près
du visage de Mohedine et sur un
ton très violent)
Tu n’crois pas !
Mohedine se remet à pleurer et tout son visage, son corps, se mettent à trembler
comme une feuille.
Satisfait du résultat de son effet de voix, Sofrane se redresse.
SOFRANE
(sans équivoque et conclusif, ton
sec)
N’oublie pas qu’tu bosses pour moi.
Un bref regard pour Karim toujours au sol, surveillé par les deux cerbères, Vernon et
Mike.
À nouveau fait-il face à Nadia, proie facile entre l’étau des bras de Libass.
NADIA
Sur l’Coran, Sofrane, quand Gia va savoir
ça !
81
SOFRANE
Sur le Coran, Nadia, ça m’fait trop peur.
Brrrrr, j’en frissonne.
NADIA
(déroutée par l’attitude de
Sofrane)
Ouais c’est ça… ben en attendant tu f’rais
mieux d’nous laisser tranquille.
SOFRANE
Pas avant que tu m’ais souhaité la
bienvenue dans les formes, Naaa-diii-a
(chantonnant)
Sofrane approche son visage tout près de celui de Nadia pour l’embrasser et sa
main se dirige vers le bas...
Sans crier gare, le genou de Nadia vient heurter de plein fouet les parties de Sofrane
qui se « casse en deux ».
Elle (l’)enchaîne en lui crachant dessus.
Vernon et Mike ne réagissent pas. Libass lui, rétorque : pliant le corps de Nadia vers
l’arrière, exerçant dans le même temps une torsion musculaire sur ses bras. NADIA
CRIE INTENSÉMENT SA DOULEUR.
Du sol, Karim chasse de la jambe celles de Vernon qui perd l’équilibre en arrière.
Dans sa chute, entraîne Karim pour la même en avant. Tête la première, Vernon se
tamponne avec Mike : direct en plein ventre. Karim se relève, libéré se rue vers sa
dulcinée. Le bras tendu de Sofrane comme un ultime barrage. Stoppé en pleine
course, l’impact est suffisant pour renvoyer Karim au sol. Pas encore tout à fait remis
de sa douleur à l’aine (il grimace et RESPIRE FORT), Sofrane ressort le gun qu’il
pointe à nouveau sur Karim.
Tout de suite, Nadia produit l’ultime effort pour se soustraire à l’emprise de Libass et
venir s’effondrer sur le corps de Karim. Mohedine l’imite et de toute son envergure (!)
vient rajouter du m2 de bouclier humain.
Sofrane arme le revolver (SON CARACTÉRISTIQUE)
MISTER O
(off)
Sofrane !
Sofrane relève la tête en direction de la voix (toujours de là où sont déjà venus Nadia
puis Karim). C’est Mister O, plus cool que jamais.
82
Un sachet en plastique rempli de quelques commissions, l’heure tardive associés à
une tenue d’intérieur (tee-shirt long et large, vieux bas de treillis et pataugas à même
la peau) atteste du passage de Mister O chez l’épicier du coin.
Mais l’expression affichée n’est pas celle d’un mec peace and love. Plutôt celle d’un
mec dangereux, à qui il ne faut pas la faire.
Quelques secondes qui paraissent interminables, durant lesquelles les deux
« frères » s’observent.
Finalement, Sofrane lève les mains en l’air (donc cesse de braquer les 3 au sol) et
range l’arme. Un puis deux pas en arrière, un CLAQUEMENT DE DOIGTS sonnent
le rappel des troupes.
Mais ce regard que les deux hommes continuent d’échanger fait froid dans le dos.
Glacial !
Jusque dans le volte-face de Sofrane pour s’en retourner à l’intérieur de l’immeuble,
sa cage d’escalier, son QG.
La p’tite famille, elle, fait toujours tas au sol.
Mister O continue d’affronter Sofrane du regard même de derrière la vitre.
Sofrane lui sourit, révélant tout un potentiel de sadisme. Puis il se retourne et
s’intéresse à ce que Libass est en train de raconter aux autres JEUNES
SQUATTEURS DE PORCHES ET DE CAGES D’ESCALIER. Tout est redevenu
comme avant.
Dehors, Mister O rompt le visuel en droite ligne pour l’abaisser en direction du sol.
Ainsi s’intéresse-t-il à un cumul de trois corps. Prend le temps d’attendre un premier
signe de vie. Mais rien ne s’anime par là.
MISTER O
(après un, deux clignements de
paupières à la lenteur calculée)
Pour info, vous avez l’intention de dormir
ici ?
C’est Mohedine qui réagit en relevant la tête le premier. Il présente à Mister O un
visage dont l’innocence de l’enfance a disparu.
Mister O sait lire ce tourment, à son rictus de peine. Difficilement il parvient à un
sourire qui se veut rassurant.
Avec le retour sur ses deux jambes de Mohedine encore tout tremblant de terreur, le
corps de Nadia agité de soubresauts devient visible. Et le son de ses SANGLOTS
ÉTOUFFÉS plus présent.
83
MISTER O
Nadia, Karim, on y va.
P’tit, tu rentres chez toi et surtout tu n’oublies
pas tout ça.
Mohedine, encore bouleversé, regarde dans la direction de Mister O mais ne semble
pas le voir.
Karim entame de se relever, ménageant Nadia qui ne veut toujours pas se décider à
se séparer de lui.
MISTER O
Hey Moulé, j’te cause.
Tu m’as compris ?
Mohedine acquiesce de la tête et part, toujours pas remis, la démarche mal assurée,
sous le regard avisé de Mister O.
Karim a achevé de se relever aidant en même temps Nadia à remonter. Se
soutenant l’un l’autre, ils marchent en direction de Mister O. Arrivés à sa hauteur, ils
passent à côté de la silhouette dégingandée sans la voir et s’éloignent sur la place.
Mister O baisse la tête pour ne lever que les yeux et adresser un dernier regard à…
…Sofrane qui tourne la tête pour lui rendre son regard, agrémenté d’un sourire au
sadisme éprouvé.
Mister O soutient l’œil pour œil sans jamais l’esquisse d’un rictus.
Le premier, il se décide à arrêter le petit jeu : le regard puis le corps dans un
mouvement de repli, un dernier coup d’œil noir et il part…
…dans le sillage de Karim et Nadia.
MISTER O
Oh !
Un peu plus haut, Karim arrête leur marche. L’ami O les rejoint à grandes
enjambées.
FONDU AU NOIR
QUELQUES SECONDES DE SILENCE
BROUHAHA D’UNE SALLE, SONS DE VOIX SUR FOND DE BALADE ROCK, DU
LIVE AMATEUR MAIS PRO DANS LE SIRUPEUX (OFF)
84
INT - SALLE NPE SPECTACLES : LA SALLE - SOIR
OUVERTURE sur un auditoire policé.
Assis sur des chaises en plastique, une galerie de MONDAINS PARISIENS, lookés
jeunes (et moins jeunes) artistes dans le vent. Le cheveux long laissé libre ou retenu
(catogan).
Il y a aussi DE LA JEUNE (ET MOINS JEUNE) COMÉDIENNE, de l’art
« plastique » !
AMBIANCE COCKTAIL FEUTRÉ (LE LIVE EST TIMIDE) où tout le monde se
connaît. Ça CHUCHOTE entre les rangs.
Un pan du rideau tenu, relâché. Le tissu retombe droit.
INT - SALLE NPE SPECTACLES : COULISSES – SOIR
Karim se retourne vers nous. Il porte les séquelles de son altercation avec Sofrane
mais pas de pansement !
KARIM
Pffh, c’est un truc de ouf ! J’les sens pas ces
gens !
C’est pas not’ public ça les mecs.
Le reste du groupe sapé pour monter sur scène : tunique large, baggy repassé,
baskets neuves ou c tout comme. Interpellé par l’intervention de Karim, Momo aux
côtés de Nadia, elle aussi en tenue de scène.
GIA
(ajustant un poignet éponge)
T’es en panique Karim, dis plutôt ça.
ZYNO
Mais ouais. Tu fais dans ton froc, avoue !
Karim « PFFH » de plus belle et zyeute à nouveau sans être vu.
Derek et Alistair sont dans un coin. Ils s’exercent à un PASSE-PASSE VOCAL, VOIX
VOLONTAIREMENT APHONES.
85
GILLES LAGERFELD
(voix à la Karl, son homonyme)
Ah alors voilà, ils sont là.
GILLES LAGERFELD passe en trombe devant Derek et Alistair.
Il provoque le sursaut de Karim, le frôlant à toute vitesse pour stopper sa course
folle, planté en piquet devant Gia.
Gia le jauge du regard avec cette assurance naturelle.
GILLES LAGERFELD
(tend la main à Momo)
Mohamed, tout s’passe bien ?
(ils se serrent la main
chaleureusement)
Ce sont eux alors les…
(il consulte un grand organiser
plein à craquer, dégueulant de
tracts et autres flyers)…
N’Garso !
MOMO
C’est exact et voici Gia dont je t’ai parlé. Bon
allé, on va faire les présentations.
Gia donc que tu connais. A côté c’est Zyno,
là-bas Derek et Alistair et celui qui tient le
rideau, c’est Karim.
GILLES LAGERFELD
(sourire forcé)
Ok !... Et la charmante demoiselle à tes
côtés, c’est parce qu’elle fait juste bien dans
le décor, ou bien ?
MOMO
J’y venais. Il s’agit de la jeune fille dont je t’ai
parlé sur le fax. Rassure-moi, tu l’as bien
reçu ?
GILLES LAGERFELD
(roublard)
Ah ah ah, pour le fax, je l’ai là !
(il sort une feuille de papier pliée
en quatre de son big almanach).
En revanche, il me semble pas pour…
86
(il déplie la feuille, galère un peu,
une seule main de libre, l’autre
au bout du bras support de
l’agenda grand format. Il chausse
ses lunettes pendantes au bout
d’une chaîne)
… Nadia !
(prononcé dans un grand sourire
béat et un franc élan d’empathie)
Momo SE RÂCLE LA GORGE une première fois puis PLUS INSISTANT LA
DEUXIÈME (Karim a rejoint le petit groupe tout comme Derek et Alistair). Le vieux
beau sort de sa torpeur.
GILLES LAGERFELD
Euh-euh… oui. J’m’présente. On n’se
connaît pas. Je suis Gilles Lagerfeld,
directeur artistique de cet espace, en charge
de la programmation régulière à l’année et
comme aujourd’hui des mises à disposition
exceptionnelles…
(il reprend son souffle)
à titre gratuit.
Alors comme vous l’voyez, le spectacle bat
déjà son plein !
(son coup de tête vers la droite
incite le petit auditoire à en faire
de même).
De cette partie des coulisses, on a une vue de biais de la scène et du groupe qui s’y
produit. Enfin on met un visage sur le CHANTEUR BRAILLEUR, grand, beau gosse
aux cheveux sales, la guitare électrique lui arrivant aux genoux (!)
Gia et ceux qui l’entourent affichent un regard bovin et se retournent en chœur sur
Lagerfeld.
KARIM
(à voix détimbrée)
C’est pas gentil c’que vous leur faites là.
Momo fait les gros yeux à Karim mais propos sans conséquence : le Gilles, il
« entrave que dalle ! »
87
GILLES LAGERFELD
(toujours « sur scène », sourire
béat)
Ceux-là j’les ai déniché dans une cave de St
Germain. J’dois avouer que je suis assez
fier.
(en un instant Lagerfeld rompt la
liaison avec la scène pour
s’intéresser à Gia. L’expression
change, plus âpre)
Bon, vous les p’tits jeunes !...
(Gia lève les yeux plus fixement
sur le bonhomme. Les autres se
regardent en coin)
…qu’est-ce que vous m’proposez ?
Il se tourne vers Momo.
GILLES LAGERFELD
Tu m’avais pas dit qu’ils étaient si
nombreux !
(tête vers les « p’tits jeunes »)
Bon alors on part sur quoi ? Vous savez faire
quoi ?
Gia lève un sourcil circonspect. Il regarde Momo.
MOMO
(un peu gêné par la tournure de
l’échange)
Euh… hum.
(sourire embarrasé)
Ils rappent Gilles, en fait ils rappent.
GILLES LAGERFELD
(sourcils froncés, l’air perdu)
Ça j’veux bien mais ils rappent quoi ? Des
recettes de cuisine ?
Ils ont bien des textes ces jeunes gens et
une langue peut-être !
Gia relâche la pression de son regard sur Momo pour s’intéresser de nouveau à
Lagerfeld. Il ferme les yeux (respire à fond), les rouvrent et se lance :
88
GIA
J’comprends pas, là. Vous êtes en train
d’nous dire que c’est même pas sûr qu’on
passe ?
Il regarde à nouveau Momo, de l’incompréhension plein les yeux.
DEREK
(sur Lagerfeld)
Quoi !!!
ALISTAIR
(sur Lagerfeld)
Non mais attends, là…
ZYNO
(sur Lagerfeld)
T’es sérieux quand tu dis ça ?
NADIA
Oh ! Oh !... Oh !!! Vous faites quoi, là ?
Vous voulez qu’on s’fasse virer ou quoi ?
L’daron là, c’est un peu l’patron ici !
(elle pose son bras autour du cou
de Lagerfeld)
Et vous là avec vos conneries, vous allez
juste réussir à nous afficher !
Les mecs baissent pavillon.
NADIA
Moi j’pense que Gilles, j’peux vous appeler
Gilles ? Moi c’est Nadia – N, A, D, I, A
GILLES LAGERFELD
Euh… oui non mais là n’est pas la
question !...
89
NADIA
Tt ! Moi j’crois qu’t’as un grave problème de
communication en fait.
Nous tu vois, on est des jeunes pour qui le
respect, c’est primordial.
Mes sosses et moi-même, toute go’ que
j’suis, avons une fierté.
KARIM
Mais ouais, t’es malade ou quoi !
MOMO
(mal à l’aise par la tournure)
Nadia, j’pense pas que…
NADIA
Attends, attends, Momo. J’finis après tu
m’diras si je m’trompe.
Mais j’pense pas m’tromper.
Parce que vous l’avez tous ressenti ici
(elle regarde tout le monde)
On était entre amis, bien cool et tout.
Et toi, D’jil, mon pote, tu t’amènes en t’la
jouant big boss…
Lagerfeld la regarde dans le blanc des yeux par-dessus ses carreaux.
GILLES LAGERFELD
(après un léger temps de
réflexion, ton catégorique)
Non.
NADIA
(sans se départir, après le même
léger temps de réflexion)
Désolé mais c’est la réalité.
Tu viens pas comme ça à 5 minutes d’un
concert demander aux artistes leur cv.
T’as à faire à la crème du rap français. Eux
là, ils plaisantent pas ! Ils sont là !
Et leur son, il est brut ! Il est lourd ! Il fait
mal !
90
GILLES LAGERFELD
(ton de petit bureaucrate
chichiteux)
Oui non mais j’en doute pas…
Il jette un œil vers la scène, alerté par les APPLAUDISSEMENTS.
Le chevelu est en train de saluer, la guitare en pendaison au niveau des genoux, des
gestes de présentation des autres membres du groupe en dehors du champ de
vision de Lagerfeld.
GILLES LAGERFELD
(début de panique)
…mais les textes, vos textes, ça dit quoi !
MOMO
(raisonné)
Giiilles…
La formation de rock mou passe derrière Lagerfeld, direction les loges.
GILLES LAGERFELD
(à Momo)
Quoi « Giiilles » ? T’es marrant toi. Tu m’les
sors d’on-n’sait-où et je devrais dire amen
sans garantie de caution.
DEREK
(pour Alistair)
C’est pas caution de garantie qu’on dit ?
ALISTAIR
(pour Derek)
Tt ! J’en sais rien.
INT - SALLE NPE SPECTACLES : SALLE - SOIR
Plusieurs signes d’impatience du public. Plus ou moins discrets et plutôt moins du
côté des jeunes…des Groux ! Biggie, presque trop volumineux pour sa pauvre
91
chaise, et toute la clique, les « grands frères », les moins grands et… Mohedine
aussi, à son sourire, ravi d’être ici.
Leur comportement dissipé – vol et jet de casquette, récupération au sol par son
propriétaire et réponse coup d’poing assénée sur l’épaule, entre autres exemples –
leur attire les foudres de regards bien-pensants de plusieurs « catogans », « cols
roulés » et autres « écharpes-1-tour-de-cou ».
Mais « la cité » se calme, son attention captée par la scène.
INT - SALLE NPE SPECTACLES : SCÈNE – SOIR
Un JEUNE BEATNIK prend place au centre de la scène et y dépose un imposant
djembé. Jambes écartées, il prend ses appuis au sol, baisse la tête (ses cheveux :
une déferlante devant son visage) et prend une grande inspiration dans un SILENCE
DE MORT à présent. Il attaque : ses mains frappent le DJEMBÉ avec une énergie
insoupçonnable et dans une série de grands gestes amples.
INT - SALLE NPE SPECTACLES : SALLE - SOIR
Les « Grouards » sont comme les victimes d’un rayon paralysant, leurs visages figés
en une même expression interdite, comique dans un tel immobilisme.
Francis (page 10) oriente lentement son regard (sa tête bien sûr) vers la gauche pour
découvrir des visages paisibles, sérieux à l’air professionnel, souriants amateurs,
bref des mélomanes en plein kif ! Retour sur Francis : une grimace indique son
désappointement. Il jette un œil du côté de ses potes. Biggie affiche un large sourire
et concède un ÉCLAT DE SON GROS RIRE en guise de « j’y crois pas ».
INT - SALLE NPE SPECTACLES : SCÈNE - SOIR
Le jeune beatnik se déchaîne de plus belle, dans une sorte de transe. Mais ce qu’IL
JOUE FAUX !...
INT - SALLE NPE SPECTACLES : LOGE - SOIR
Le chanteur brailleur et capillaire du groupe de rock mou lève la tête au plafond et
dans une crispation des traits de son visage :
92
LE CHANTEUR BRAILLEUR
(accent américain)
Shiiit !...
On part de la loge à toute berzingue pour monter un petit escalier, traverser les
coulisses (PLUSIEURS PERSONNES CROISÉES) et arriver sur des visages
connus : N’garso & Co. Eux aussi arborent les traits crispés d’ouïes en souffrance.
Gia garde l’expression en se retournant vers Lagerfeld.
GIA
Vous aviez fumé pour celui-là ?
KARIM
Oooh la la, il a craquééé…
NADIA
Ah ouais là t’as déconné, mon pote !
Lagerfeld regarde chacun avec un petit air naïf.
GILLES LAGERFELD
Quoi ? Ca ne vous plaît pas ? Vous croyez
pouvoir faire mieux peut-être ?
ZYNO
Quoi !? Mais t’es malade ou quoi ! Vas-y
c’est bon…
(rabat de la main en se tournant
de ¾)
DEREK
(discret à Gia)
Zyno a raison. C’est qui c’bouffon !?
Alistair, occupé dans son portable, ne voit pas venir le coup de coude de son éternel
complice. Dans un sursaut :
ALISTAIR
Hein ? Ouais, c’est bon alors ?
93
GIA
(fixant Lagerfeld, l’air toujours
aussi dégoûté)
Ouais, j’crois bien qu’c’est bon.
Sans attendre la réponse de Lagerfeld, il part direction la scène !
Tout le groupe lui emboîte le pas non sans partir sur un dernier regard de dédain à
Lagerfeld.
GILLES LAGERFELD
(dépassé)
Eeeh eeh… pour les textes…
Momo toujours à côté de Lagerfeld, légèrement en retrait.
MOMO
Giiilles…
Il lui tapote l’épaule au passage et rejoint le groupe.
Tous sont massés sur les « ailes » de Gia, en plein passage de l’entrée/sortie de
scène. Les yeux fermés, ultime concentration et trac qui monte à quelques secondes
de se « lancer ». On entend LES PREMIERS SIFFLETS ET AUTRES HUÉES QUI
MONTENT de la part des lascars présents dans la salle. Momo vient se poster près
de Gia.
Il garde le silence, en observation et respect de la concentration des jeunes artistes.
INT - SALLE NPE SPECTACLES : SCÈNE - SOIR
Le jeune beatnik frappe LE DERNIER COUP SUR LE DJEMBÉ et reste le bras
suspendu en l’air, encore tremblant d’émotion. DES APPLAUDISSEMENTS
PARTENT mêlés aux premières critiques :
« VAS-Y RENT’ CHEZ TOI ! », « CASSE-TOI ! », « SALE CHIEN ! »… Une feuille de
papier roulée en boule vient rebondir sur la « déferlante » capillaire.
94
INT - SALLE NPE SPECTACLES : COULISSES - SOIR
Quand Gia rouvre les yeux :
MOMO
(voix apaisante)
Hé, foire pas c’coup là.
Gia balance son sourire d’enfant et rentre sur scène EN DONNANT DE LA VOIX,
suivi des autres, particulièrement loquaces eux aussi.
INT - SALLE NPE SPECTACLES : SCÈNE - SOIR
Dans le croisement, Gia vient volontairement percuter l’épaule du jeune beatnik,
encore la cible d’une boule de papier (!) dans ce qui ressemble plus à une fuite qu’à
une sortie de scène triomphale.
INT - SALLE NPE SPECTACLES : SALLE - SOIR
Surpris par une entrée en scène qui ressemble à une prise d’otages, un braquage,
Lenny (page 11) (un peu simple) gèle son geste de parfait lanceur de paperball pour
réagir au quart de tour à l’apparition des gars N’garso sur l’estrade.
Une seule et commune réaction dans le rang : LE DAWA ! Une JOIE
DÉMONSTRATIVE quand « l’autre public » réserve un accueil plus que timide aux
jeunes rappeurs (+ une rappeuse).
INT - SALLE NPE SPECTACLES : SCÈNE - SOIR
Tandis que N’garso (5 rappeurs, 1 rappeuse) termine d’occuper l’espace, derrière
s’installe aux platines, Mister O.
Gia vient à lui et tourne donc le dos au public. LE CALME DANS LA SALLE
REVIENT PEU À PEU.
95
INT - SALLE NPE SPECTACLES : SALLE - SOIR
Momo prend place parmi les jeunes des Groux.
Quelques rangs devant, Lagerfeld rejoint sa chaise entre DEUX GUINDÉS DE
PREMIÈRE. Bref échange d’amabilités mais Lagerfeld est tendu.
INT - SALLE NPE SPECTACLES : SCÈNE - SOIR
Silence parfait que seuls viennent troubler une QUINTE DE TOUX, un RÂCLEMENT
DE GORGE.
L’échange entre Gia et Mister O est terminé. Gia s’écarte en reculant, encore dos à
la salle.
Mister O ne le lâche pas des yeux, encore en questionnement.
Gia se retourne et rejoint le devant de la scène.
Aucun des autres membres du groupe ne comprend le petit détour de Gia vers
Mister O. Ils échangent des regards déconcertés.
Derrière, rien ne vient. Mister O fait un blocage.
INT - SALLE NPE SPECTACLES : SALLE - SOIR
Momo commence à se crisper. Il interroge du regard son voisin Lenny, qui ne semble
pas plus armé que lui : un haussement des épaules en guise de réponse.
« L’autre public » change à son tour d’expression, leurs froncements de sourcils
traduisant un début d’énervement.
Des mouvements de déni de la tête chez certains trahissent leur peu d’empathie
pour les jeunes rappeurs.
ÇA COMMENCE À SOUPIRER, SOUFFLER, CHUCHOTER, PARLER… SIFFLER !
En observant la dissipation qui gagne les rangs, Momo se sent un cran encore plus
mal. Il tique dans le croisement de ses bras, le mouvement de son dos vers le
dossier de sa chaise. On passe les rangs l’un après l’autre jusqu’à…
96
INT - SALLE NPE SPECTACLES : SCÈNE - SOIR
…la scène et dans le dos d’N’garso aligné face au public.
Gia tourne la tête vers Mister O (vers nous) et lui adresse un regard incitatif.
Mister O cède enfin et dans un geste conviction zéro, sort un 33 tours parmi la pile
de disques posée à côté des platines.
Il amène le vinyle de la pochette au plateau, ajuste l’un des écouteurs de son big
casque entre oreille et épaule.
Avant de lancer le son, un dernier regard vers Gia. Ses yeux disent : « T’es sûr de ce
que tu fais ? »
Ceux de Gia, couplés à un signe de tête, répondent : « Mais oui, vas-y ! »
Le leader d’N’garso ne peut masquer son énervement, revenant s’intéresser aux
spectateurs, que L’INTRO PART.
Gia au quart de tour :
GIA
(tests voix au mic’)
Houuu ! Ok !... C’est la merde, mec !
Dans le groupe, on fait les gros yeux.
On se regarde terrorisés et reporte son attention sur Gia, en quête d’une explication,
une logique.
Mais pris en otage de ce train musical en marche (L’INTRO COURT), ils rentrent
dans le morceau, se dispersent en pas cadencés sur le BEAT À L’EFFICACITÉ
IMPARABLE. Gia plus que tout autre n’a pas de rival pour ce qu’il s’agit de bouger
avec style.
Il vient en place au bord de la scène, face au public et face à Lagerfeld. Le micro
soudain devant la bouche :
GIA
Ferme ta gueule !
(sursaut de Lagerfeld en
contrebas)
Fallait bien qu’un jour j’m’exprime.
Rimes 200% pour ceux qui m’croient…
(etc – écouter morceau)
Gia passe le flow à Zyno, très pro.
97
ZYNO
Bla bla bla… c’t’enculé !...
INT - SALLE NPE SPECTACLES : SALLE – SOIR
SUITE RAP N’GARSO
Un QUARANTENAIRE, catogan un peu grisonnant, réagit d’une expression outrée.
INT - SALLE NPE SPECTACLES : SCÈNE - SOIR
SUITE RAP N’GARSO
ZYNO ENCHAÎNE LE FLOW. Derrière lui, Derek et Alistair, synchros sans accroc
dans leur danse hip hop. Nadia et Karim en ghetto ambianceurs, les pieds figés au
sol, les bras tendus battent la mesure à la verticale. Gia qui tourne en rond, arpente
la scène tel un fauve en cage.
Au refrain, tout en hargne-rage-haine : l’impression d’une meute de pitbulls lâchés
sur scène ! Chorégraphie désordonnée ! Hardcore dans la forme. Hardcore dans le
fond !...
TOUT N’GARSO
(refrain)
Fait pas chier c’est comme ça – comme ça !
On parle peu on parle bien, on fout la merde,
parle comme ça !
Comment ça ? Oooh mais j’t’emmerde
À l’anglaise, fuck moi, fuck me, fuck elle !
INT - SALLE NPE SPECTACLES : SALLE – SOIR
SUITE RAP N’GARSO / REFRAIN BIS (OFF)
Les « balais dans l’cul » sont déconcertés. Contraste saisissant avec les jeunes fans
du groupe : en délire ! Debout (!), ils reproduisent les mêmes mouvements que Karim
et Nadia.
Certains s’essayent même à reproduire sur place la choré’ de Derek et Alistair
D’AUTRES PRÉFÈRENT RAJOUTER DE LA VOIX AU REFRAIN HARDCORE.
98
Perdu parmi eux, Momo reste assis, tête baissée, main sur le front. Quand il relève
les yeux, de sa chaise Lagerfeld est en train de l’interroger du regard : « pourquoi ? »
INT - SALLE NPE SPECTACLES : SCÈNE - SOIR
SUITE RAP N’GARSO
Sur LA FIN DU REFRAIN, Gia descend de l’estrade/scène…
INT - SALLE NPE SPECTACLES : SALLE - SOIR
SUITE RAP N’GARSO
…pour venir plus près de Lagerfeld, dans l’axe :
GIA
(s’adressant ouvertement à
Lagerfeld)
Eh à ce que je vois t’es bien entretenu…
Etc.compléter
INT - SALLE NPE SPECTACLES : SCÈNE - SOIR
SUITE RAP N’GARSO
Sur scène, les membres du groupe assurent toujours le spectacle malgré l’imprévu.
Ils affichent un intérêt commun pour ce qui se passe en contrebas (des petits coups
d’œil ni vus ni connus). Jusqu’à Mister O continuant aussi à remplir sa fonction
scénique au sein du groupe mais plus que tout autre captivé par ce qui se passe làbas.
Arrive LA BOUCLE DU REFRAIN.
INT - SALLE NPE SPECTACLES : SALLE - SOIR
SUITE RAP N’GARSO
Gia reste en place pour asséner son texte à l’attention directe de Lagerfeld.
99
GIA
(N’garso en back)
Refrain
Il reçoit un appui inattendu de Mohedine qui lui aussi vient rapper hardcore à
l’adresse du responsable.
GIA + MOHEDINE
(N’garso en back)
Refrain
Lagerfeld ose à peine regarder cet enfant qui lui met la pression en adulte.
INT - SALLE NPE SPECTACLES : SCÈNE - SOIR
SUITE RAP N’GARSO
Effet garanti auprès du reste du groupe.
N’GARSO AU COMPLET
(+ Mohedine, Gia en off)
Refrain suite
Sourire aux lèvres, Nadia pousse du coude Karim et lui indique là où il faut regarder
à nouveau. À son tour, sourire de Karim qui passe l’info à ses voisins. C’est au tour
de Derek de prendre le flow.
DEREK
Blabla (écouter morceau et retranscrire
paroles)
Très vite relayé par Alistair pour un passe-passe vocal de haute tenue.
ALISTAIR
Blabla (écouter morceau et retranscrire
paroles)
Revient le refrain.
100
N’GARSO
Refrain (bis)
(Sur le bis, retour sur scène de
Gia pour renforcer le chœur !)
INT - SALLE NPE SPECTACLES : SALLE - SOIR
SUITE RAP N’GARSO
N’GARSO
(off)
Ter du refrain
Mohedine est resté au bas de la scène pour une chorégraphie improvisée qui n’a
rien de ridicule.
Au dernier rang, c’est plus que jamais de la folie… urbaine.
Entre les deux, un public pris en otage.
Du fond de la salle, approchent Sof le caïd et ses hommes, que personne ne
remarque (encore).
INT - SALLE NPE SPECTACLES : SCÈNE - SOIR
SUITE RAP N’GARSO
TOUT N’GARSO
(dans le même déluge d’énergie)
Quar du refrain
POINT FINAL DU PUISSANT RAP. Les membres du groupe s’éparpillent.
Le(s) dernier(s) mot(s) à Gia qui seul reste au centre de la scène vers le public.
GIA
Yeaah… c’est la merde, mec !
Ouais, mec !
Rien à foutre, mec !
Yo, Giii-a ! Brooklyn
À l’anglaise, mec !
Fuck toi, fuck lui, fuck elle!
N’GARSO !
101
Mister Oooh-oh-oh !
(rire)
Ah ah rien à foutre…
Gia conclue dans un tel relâchement qu’il en laisse tomber le micro au sol. Il s’en
retourne vers le fond de la scène jusqu’à ce que les démarches pimp roll de chacun
les fassent se rejoindre au centre de la scène.
Comme il était à prévoir, le groupe récolte les HOURRAS DU PUBLIC.
INT - SALLE NPE SPECTACLES : SALLE - SOIR
Les jeunes de la cité ne sont pas avares de leur JOIE DÉMONSTRATIVE. Ce sont
eux, les HOURRAS.
Mais la majorité silencieuse compte de nouveaux partisans : Sofrane et ses amis,
postés debout derrière les rangs.
Sofrane fixe intensément la scène.
À son côté, LAETITIA, une petite meuf de cité, jogging et maquillage outrancier,
occupée à mastiquer du chewing-gum. En soutien, les fidèles chiens de garde
(Libass, Vernon, Mike).
Tout devant, au pied de la scène, Mohedine s’agite dans tous les sens, laisse éclater
sa JOIE À SE CASSER LES CORDES VOCALES DANS UN CONCERTO EN CRIS
MAJEURS.
INT - SALLE NPE SPECTACLES : SCÈNE - SOIR
Le collectif N’garso s’oriente lentement en direction des coulisses.
LES FANS SE FONT PLUS DISCRETS. Des applaudissements qui n’en sont pas
(CLAPS DANS LES MAINS trop espacés, marque d’un profond dédain) montent de
la salle. Les rappeurs se retournent (Karim, Nadia et Gia, les derniers dans cet ordre)
vers la provenance de ces « clap… clap » déplacés et provocateurs.
Quasi simultanément et pourtant ce sont Karim, Nadia et Gia qui semblent les
derniers dans cet ordre à s’intéresser au problème.
102
INT - SALLE NPE SPECTACLES : SALLE - SOIR
Sofrane est l’insolent QUI APPLAUDIT À REBOURS AVEC UNE FLEMME
CALCULÉE.
Sa petite bande aux faciès aussi peu engageants que leur chef l’entoure toujours.
L’assemblée médusée (même la cité !) n’ose pas moufter !
À l’image de Mohedine, sa tête tournée vers la scène, qui reste tétanisé.
INT - SALLE NPE SPECTACLES : SCÈNE - SOIR
Nadia et Karim encadrent Gia, tous trois à l’arrêt, regard porté vers l’ennemi public
déclaré (sur les flancs, Derek, Zyno et Alistair soutiennent l’épreuve-test : postures
désinvoltes en signe de défi, faces de bad boys).
Dans la même crainte exprimée par leurs yeux hagards, Nadia et Karim viennent à
se regarder puis à orienter leur vue sur Gia. Toute une gamme d’émotions transite
en l’espace de quelques secondes sur le visage du leader. Mais la principale : la
colère. Rentrée, contenue. Prête cependant à exploser. Tension palpable. À son
comble.
INT - SALLE NPE SPECTACLES : SALLE - SOIR
Sofrane en termine de l’affront. CLAP... CLAP... CLAP ! Puis il reste là, sans plus
rien faire. Un sourire narquois sur la fin.
INT - SALLE NPE SPECTACLES : SCÈNE - SOIR
Gia ne lui rend pas ce sourire.
Il démarre vers le devant de la scène. Récupère le micro au sol et le porte à sa
bouche. Le SOUFFLE DE SA RESPIRATION, HEURTÉ PAR LA HAINE.
103
INT - SALLE NPE SPECTACLES : SALLE - SOIR
Momo, fasciné, ne perd pas une miette de Gia ! Seulement détourne-t-il la tête pour
s’intéresser à la réaction de Sofrane qui n’a pas perdu son sourire. Un peu moins
crâne peut-être.
INT - SALLE NPE SPECTACLES : SCÈNE - SOIR
Gia crispe ses doigts sur le micro. Prend une dernière inspiration et se lance.
GIA
Quelques phrases d’un rap à écrire (style
guerrier)
Il est immédiatement dedans, donne tout. La gestuelle est sûre. Et le FREESTYLE
AU FLOW SI BRUT(AL) qu’il lui déforme les traits en une série d’expressions
haineuses. Quand tout est dit, la main le long de sa cuisse indique le chiffre 3 à
l’attention discrète de Mister O. Dans un SILENCE INTERMÉDIAIRE, Mister O
s’exécute sans hésitation. Le geste sûr, il extrait le bon vinyle qu’il sort de sa
pochette et dépose sur la platine. Gia ne lâche pas sa cible des yeux. ON L’ENTEND
RESPIRER, REPRENDRE DU SOUFFLE.
LE RYTHME BINAIRE PART SANS FAUTE.
GIA
C’est G-I-A !... ok !
Gia se met en retrait pour céder la place à...
KARIM
Et K-R-I-M… ouais yeah ok, ok…
Un COUP DE FEU MIXÉ À L’INTÉRIEUR DE L’INSTRU lance la machine à rapper
qu’est Karim (il tient le micro comme un vrai afro-américain).
104
KARIM
(main qui rythme la tchache)
Mon rap sent l’gun mais y-a pas qu’ça.
Fait péter le mic et l’oseille… Nous on est…
Vous c’est…
Etc
refrain
Gia vient à côté de son pote pour un refrain à 2 voix adressé à qui vous savez.
GIA & KARIM
Mec tu sais qui on est nous
… etc
Gia reprend la suite.
GIA
J’ai mon cran de sécurité débloqué…
Etc
refrain
REFRAIN CETTE FOIS POUSSÉ PAR TOUT LE CREW, ce qui lui donne une
dimension encore plus évidente.
C’est Zyno qui distribue à présent.
ZYNO
(flow bien sûr dirigé vers le fond
de la salle...)
Yo !... etc
DEREK ALISTAIR
(passe-passe)
Eh mec, ça vient d’Fresnes…
…Derek-Listair pour un freestyle
Etc...
NADIA
Yo !...
(elle apparaît d’entre les mecs du
collectif et s’avance sur la scène,
asexuée par la coupe large de
son jogging)
105
Yo !... Cherche-moi ! Insulte-moi ! Tue-moi !
C’que tu veux !...
Branle-toi ! Fuck-toi ! Comme tu veux !
…Rien à fout’ ! Gi-a fuck toi et ton... etc.
DEREK & ALISTAIR
(reprise du passe-passe)
Ok ! D-K, Lister… etc
TOUT N’GARSO
Le refrain
SUR LE BIS…
INT - SALLE NPE SPECTACLES : SALLE - SOIR
SUITE RAP N’GARSO
…Sofrane soutient toujours les regards, fait toujours bonne figure mais n’affiche plus
sa crâne assurance.
SUR LE TER DU REFRAIN : son trouble est encore plus flagrant.
SUR LE QUAR DU REFRAIN : il cède et sonne le départ de ses troupes. Laetitia, les
autres, marque un léger temps d’arrêt avant de lui emboîter le pas, laissant là UNE
LARGE PART DU PUBLIC, SCANDANT LE REFRAIN MARTELÉ AVEC STYLE.
Le voisin de droite de Lagerfeld, pourtant un col roulé de première, marque le rythme
de subtils mouvements du buste au cou. Lagerfeld remarque ça et dépassé par la
situation, s’en retourne vers...
Momo, à fond dans la gestuelle (sa main martèle le vide en cadence), debout avec
les jeunes du « fan club ». Il baisse la tête vers Lagerfeld et lui sourit, rit presque.
Lagerfeld détourne lentement la tête, l’œil hagard, la bouche bée.
Tout devant, Mohedine, regard et sourire admiratifs pour la scène.
INT - SALLE NPE SPECTACLES : SCÈNE - SOIR
SUITE ET FIN RAP N’GARSO
N’garso, 100% francs sourires, bouge en rythme SUR L’OUTRO MUSICALE.
106
FONDU AU NOIR
SILENCE
la SONNERIE D’UN RADIO-RÉVEIL. Le SON FEUTRÉ D’UN CORPS QUI BOUGE
ENTRE DES DRAPS. LE SOUPIR CARACTÉRISTIQUE DE L’ÉVEIL (OFF)
OUVERTURE CUT
INT - CHAMBRE KARIM ET NADIA - NUIT (PÉNOMBRE)
Karim est assis sur le bord d’un lit défait, le corps juste revêtu d’un boxer. Il reste
ainsi à regarder le vide un moment dans LE CALME DE LA PIÈCE.
Puis il tourne la tête vers l’autre côté du lit. Là, une silhouette féminine se dessine
sous les draps, corps endormi de femme. Karim pose sa main au niveau des
hanches de l’inconnue. La caresse fait se retourner Nadia à plat, dans un RÂLE
ENSOMMEILLÉ. Il dépose doucement sa tête sur le ventre encore plat.
Il garde la position une poignée de secondes et quand l’abandonne, dépose
tendrement ses lèvres sur la chair.
Il quitte le lit pour se retrouver sur ses deux jambes qu’il active en direction de la
salle de bains (une porte donne dessus dans la pièce).
Sur le radio-réveil, le cadran indique 4h05.
FONDU ENCHAÎNÉ
4h15 sur le radio-réveil.
Le rayon de lumière qui traverse fugitivement la pièce indique le retour de Karim
dans la chambre.
FONDU ENCHAÎNÉ
4h21 sur le radio-réveil.
Nadia dort toujours, belle au bois.
Le visage de Karim (le cou emmitouflé dans une épaisse écharpe) se penche sur
celui de la jolie jeune fille pour lui embrasser tendrement le front.
Un dernier effleurement du bout des doigts à cet endroit et il la quitte.
107
Dans l’éloignement, sa main sort de sa parka une enveloppe format lettre qu’il
dépose en évidence sur le meuble près de la porte.
Sur l’enveloppe, il y a écrit la personne destinataire : Nadia. Les « a » remplacés par
des cœurs. Karim sort de la chambre, refermant la porte sur lui.
EXT - CITÉ « LES GROUX » : BAS DE L’IMMEUBLE DE KARIM & NADIA - NUIT
(PETIT JOUR)
Karim sort de l’immeuble. Il marque un temps d’arrêt, laisse poindre un sourire
satisfait sur son visage de beau gosse et enfile un bonnet de laine noire.
Sac de travail à l’épaule, il met un pied devant l’autre, le pas décidé, l’air heureux.
EXT - CITÉ « LES GROUX » : UNE DES RUES // LA RUELLE - NUIT (PETIT JOUR)
Karim marche, les semelles de ses baskets attaquant le bitume avec fougue à la
cadence des pas pressés. Il ne croise personne. Dépasse une ruelle sans ralentir.
Des VOIX MÊLÉES en provenance de celle-ci : UNE FÉMININE… CELLE D’UN
HOMME. LA FEMME SE MET À CRIER, APPELER À L’AIDE.
Karim stoppe net, rebrousse chemin jusqu’à l’entrée de la ruelle. Là, il s’immobilise.
À travers ses yeux, on découvre la scène :
au bout de la ruelle, UNE FEMME se fait agresser par un BLACK, LOOK DE
CAILLERA. Elle tente de (s’en)fuir mais le black la repousse violemment contre le
mur et la maintient plaquée.
KARIM
Hé ! (Ho !) ?
L’air grave, il commence à se diriger, d’abord lentement puis plus rapidement, vers le
lieu de l’agression finalement vite rallié.
KARIM
Ho, mec ! Vas-y arrête ça, là !
Qu’est-ce que tu fous ?
L’autre ne réagit pas, occupé à peloter Laetitia (!) contre le mur de béton. La « petite
sœur » ne se débat plus et (p)rend plutôt bien les baisers du lascar.
108
KARIM
(détimbré)
Hé, mec ! J’te cause !
T’es sourd ?
Il accompagne la parole : main sur l’épaule de la masse débordante d’affection.
Sans accès de violence, le violeur (?) s’écarte de la belle enfant pour tourner la tête
vers Karim. Il (nous) découvre(ons) le visage d’AMAR, sourire sardonique. Même
lueur de vice et de cruauté dans le regard fixé sur Karim par Laetitia !
Le visage de Karim commence à se décomposer.
FLASH-BACK
INT - SALLE NPE SPECTACLES : SALLE - SOIR
Laetitia mâchonnant crânement son chewing-gum à côté de Sofrane…
RETOUR AU PRÉSENT
EXT - CITÉ « LES GROUX » : LA RUELLE - NUIT (PETIT JOUR)
Karim ne voit pas que dans son dos un autre lascar apparaît : Vernon !
D’un recoin renfoncé de la ruelle, sortent Mike et Libass.
Karim, le trio maléfique dans le dos, garde en travers de la gorge, un « C’est quoi…
c’délire !? ». Il se retourne pour partir et se retrouve face à face avec les hommes de
Sofrane. Un réflexe de recul. Un sourire de détente.
KARIM
Oh oh… la. C’est jour de paie ou quoi ?
Dans un élan soudain, il tente une percée, immédiatement sanctionnée…
109
EXT - CITÉ « LES GROUX » : ENTRÉE DE LA RUELLE – NUIT (PETIT JOUR)
…(d’un coup de genoux en dessous de la ceinture). On distingue le corps de Karim
s’écrouler comme un poids mort aux pieds de ses adversaires. Le gang enchaîne sur
une série de coups de pieds. Ils s’y mettent tous à le tabasser à terre, dopés par les
ENCOURAGEMENTS DE LAETITIA. On abandonne Karim à son sort en se tournant
vers la cité endormie.
FONDU AU NOIR
OUVERTURE CUT
EXT - CITÉ « LES GROUX » : PLACE CENTRALE – NUIT
BARRY WHITE : UN DE SES TUBES DE LOVER
UN BLACK, cheveux « décrépus », sapé classe pour sortir, traverse la place.
Un coup d’œil à sa montre, il presse le pas, un bouquet de fleurs à la main.
VOIX JEUNE
Hé !!! Soulé !
PAUSE / REPRISE DU BARRY WHITE. Tout en continuant d’hâter le pas, SOULÉ
jette une œillade sur le côté. Fait comme si de rien et trace sa route.
PLUSIEURS VOIX JEUNES
Oh Soulé !!! Enfoiré !
Heeeyyy…
(rires)
STOP BARRY WHITE. Soulé lève les yeux au ciel, soupire de fatigue et s’oriente
vers ses admirateurs…
…Qu’on découvre au fur et à mesure qu’il s’en rapproche, être tout le crew N’garso
réuni sur deux bancs rapprochés. Aussi quelques éléments-phares de l’habituelle
cliqua, parmi laquelle beaucoup de visages reconnus du fan-club officieux – voir le(s)
concert(s). Ce qui porte à pas mal de monde qui observe, sourires aux lèvres, Mr
Soulé se diriger vers eux. Une fois à leur hauteur, on note même l’œil amusé de
chacun.
110
En face, c’est clair que « Papa Wemba » n’est pas à l’aise et redoute les premiers
commentaires.
C’est Gia qui prend la parole, main tendue en signe de salut.
GIA
(se donnant l’air sérieux)
Alors Soulé ! Comm’ça on dit plus bonjour ?
SOULÉ
(en serrant la main de Gia)
Ouais ben t’as vu, j’voulais pas déranger.
GIA
(grimaçant à l’italienne)
Tt ! Quoi « nous déranger ». Depuis quand
ça dérange de dire bonjour ?
Hé Soulé ! C’est quoi ça ?
(il pose une main sur le bouquet)
Tu fréquentes ? On la connaît ?
SOULÉ
(sourire entendu)
Ok bon, j’vais y aller là.
Il fait un signe de la main pour tout le monde et commence à partir.
GIA
Soulé !
Il a la main en l’air.
Soulé revient sur lui pour lui présenter la sienne à plat, paume tournée vers le ciel.
Gia abat sa main. Un GRAND CLAQUEMENT.
Mais quand Soulé veut reculer, il se retrouve prisonnier (Gia retient sa main sous
l’étreinte de sa poigne).
GIA
Attends, viens voir là.
Il attire le grand black à lui pour lui sentir le cou.
111
GIA
(relâchant légèrement son
emprise)
J’y crois ap’ ! T’es fumpar.
SOULÉ
Hein !?
NADIA
(bras dessus, bras dessous avec
son pote Gia)
Hiiiii, Soulé, tu fais l’canard, avoue.
SOULÉ
(sur la défensive)
Quoi !?
TOUS LES AUTRES
(chœur de charrieurs)
Hééééé…
GIA
Super canard !
DÉMARRAGE INTRO MUSICALE (OVER)
Gia et tout N’garso commence à battre la mesure de mouvements cadencés du cou.
En face, Soulé, l’air dépassé, recherche dans l’atmosphère la source de diffusion
sonore (!)
(Les PREMIERS ÉCHAUFFEMENTS DE LA VOIX DU CÔTÉ DE GIA, ZYNO,
DEREK ET ALISTAIR)
C’est Gia qui lance.
GIA
Allé c’est reparti, pour la énième fois j’l’ai dit
Être en chien, j’dis non moi mec c’est fini etc
Progressivement, à l’écoute des paroles du rap « mise en boîte », Soulé passe de la
fierté blessée à l’aveu de sa défaite, ses sourires de plus en plus fréquents en
témoins visuels du changement d’état.
112
À l’image de l’auditoire qui augmente son kiff au fur et à mesure de l’interprétation.
Jusqu’à constituer les chœurs aux moments des refrains.
« L’affichage » est total quand viennent se rajouter au public, DES « MAMANS » DU
QUARTIER, la mine ravie de cette animation improvisée.
Le FINAL : REFRAIN A CAPELA… ou presque. Une musique, mélodie
d’accompagnement qui s’invite à l’improviste et se rapproche. Celles des SIRÈNES
DE LA CARAVANE DES SECOURS, LE TRIO HABITUEL : POMPIERS (SAMU),
POLICE, AMBULANCE.
À fond dans leur art (les DERNIÈRES SECONDES DE L’INTERPRÉTATION LIVE
DE QUARTIER), les 4 rappeurs ne prêtent pas plus attention que ça à la perturbation
sonore, à la différence de Nadia et de pas mal d’autres (les dames du quartier
parmi), leur intérêt capté vers l’autre côté de la place centrale…
…ou circule en trombe le fameux cortège annonciateur d’un drame dont le trajet pour
rejoindre le lieu passe par la cité.
Le point final de « Super canard » : GRAND ÉCLAT DE RIRES DU QUATUOR trop
fort tranche avec les expressions d’inquiétude sur les visages de la plupart des
autres, tous orientés, attentifs à l’éloignement des sonorités de malheur.
Même si les secours ne sont plus à la vue des jeunes gens et adultes résidents, ils
restent omniprésents par leur CONCERT DE SIRÈNES QUI TARDE À BAISSER
D’INTENSITÉ.
La tension se lit très vite sur les visages de tous (les 4 retardataires d’N’garso y
compris). C’est Nadia qui la première s’écarte du groupe. Toute en pressentiment,
elle effectue quelques pas en direction de la source sonore. Moins affectés, les
autres commencent à se réunir autour d’elle.
Après cette avancée, le champ de vision offert à Nadia fait apparaître le jeu de
lumières des gyrophares.
Elle se met d’un coup à courir vers l’endroit. Le restant suit vite dans une course
moins effrénée. Reste Soulé, son bouquet de fleurs à la main. Il regarde sa montre.
Un temps de réflexion. Hésitation. (Se) décide de les accompagner.
Un court écart s’est creusé avec la meute, qu’il tente de rattraper à grandes
enjambées.
EXT - CITÉ « LES GROUX » : ENTRÉE DE LA RUELLE - NUIT
Mister O, la mine bouleversée, vient à l’avance de Nadia.
Autour d’eux, c’est la COHUE. BEAUCOUP DE JEUNES DU QUARTIER qui veulent
s’engager dans la ruelle sont contenus par les (QUELQUES) POLICIERS en faction.
À la vision du visage défait de Mister O, Nadia gravit un échelon de plus vers la peur
panique.
Il la dévisage sans parvenir à sortir le moindre mot.
113
Les autres achèvent de rejoindre la jeune fille : Gia, Zyno, Derek & Alistair en
première ligne.
Le moment que choisit O pour se laisser submerger par une vague d’émotion qui
l’amène à une crise de larmes incontrôlable.
Nadia bouscule Mister O et se précipite vers l’entrée de la ruelle.
Gia, les 3 autres, en plan, choqués par la réaction soudaine et d’une tristesse
absolue du grand Mister O. Gia est le premier à changer, envahi à son tour par une
appréhension du genre qui se lit sur le visage. Il part, droit devant lui…
…rejoint Nadia, en pleine scène avec les forces de l’ordre. Tout le mal du monde à
contenir cette furie dont l’objectif unique est de pénétrer dans cette ruelle au
périmètre sécurisé.
Elle crie fort et strident.
NADIA
Laissez-moi !!! Laissez-moi !!!
Kariiim !!!...
Zyno, Derek & Alistair en entendant hurlé le prénom de leur pote, se tournent vers
Mister O.
Les yeux remplis de larmes, il fuit leur regard en détournant la tête. Il redouble
d’intensité dans le registre du désarroi, la SONORITÉ DE SES SANGLOTS
COUVERTE PAR LES HURLEMENTS DE FOLIE de Nadia. S’ajoute la voix de Gia.
GIA
(off)
Bande d’enfoirés ! Laissez-nous passer.
Les 3 blacks plantent tout le monde pour apporter leur poids au bélier humain initié
par les 2 autres membres d’N’garso : Nadia qui se débat plus que jamais, Gia en
négociateur au ton houleux.
GIA
Mais putain lâchez-la ! Vous voyez pas qu’on
a un frère là-bas !
Il indique le fond de la ruelle. Où…
114
EXT - CITÉ « LES GROUX » : FOND DE LA RUELLE - NUIT
…les BRANCARDIERS baignés dans une lumière irréelle sont penchés sur un
CORPS COUCHÉ AU SOL. Là-bas, à l’entrée de la ruelle, quelqu’un a réussi à
passer le barrage et se rapproche AU RALENTI.
Il s’agit de Nadia, suivie AU RALENTI de ceux les plus prompts à profiter de la
brèche : Gia bien sûr, Derek, Zyno, Alistair. Leurs silhouettes lumineuses et
diaphanes se détachent dans l’étroit et sombre boyau jusqu’à atteindre la scène… du
crime. En bout de course, Nadia parvient à entrapercevoir
le visage ensanglanté de Karim avant que le brancardier n’ait terminé de refermer le
body bag sur son corps tout entier.
Elle bouscule les deux malabars et s’écroule sur le cadavre.
NADIA
Oh non !!!
Les gestes désordonnés, les mains tremblantes, elle agit sur la fermeture-éclair pour
libérer le haut du corps mort et découvrir un visage rouge sang.
En découvrant le visage de son ami, Gia a une réaction de rejet. Sans détacher son
regard (les yeux grands ouverts), il recule, se déporte, presque en déséquilibre. Sans
mot, il reste à l’écart.
Arrivent le trio Derek, Zyno, Alistair dans la même foulée.
Eux, se prennent de plein fouet la scène : le buste ensanglanté de Karim, balancé
d’avant en arrière, plaqué contre celui de Nadia. Nadia qui HURLE, CRIE DE
DOULEUR en levant la tête au ciel.
Les 3 négros cherchent à reprendre pied en levant les yeux vers Gia.
Lui réagit, leur renvoie leur regard d’enfant perdu, rattrapé par la violence.
Quand soudain, Gia réagit, un pas, un geste de la main, de la tête comme pour
indiquer au trio l’urgence dans leur dos.
Mohedine ne passe pas, bloqué par Zyno, (dé)tourné, visage plaqué contre le ventre
de l’adulte.
Gia, vidé de toute énergie, baisse en tension et voit son attention tirée sur le flanc.
Soulé, look décalé avec le lieu, la situation, est planté là, tétanisé. Bouche
entrouverte, bras ballants, il laisse échapper le bouquet qui vient s’écraser sur le sol
crasseux.
NADIA
(off – ton implorant, suppliant)
Non ! Non ! Laissez-le !
Qu’est-ce que vous faites !?
115
EXT - CITÉ « LES GROUX » : ENTRÉE RUELLE - NUIT
Fermeture de la porte arrière du véhicule du SAMU.
Nadia est retenue par Gia. Tout son corps est tendu vers l’arrière du fourgon et tout
son visage est déformé par un masque de douleur inconsolable.
D’AUTRES DU QUARTIER sont arrivés. On les reconnaît, tous entrevus depuis le
début de l’histoire.
Francis, alias « Point rouge frontal », secoue la tête de dégoût. Sa bande affiche des
mines sombres et taciturnes. Biggie Chris peine à contenir ses larmes malgré un big
mouchoir. Son émotion est vive : sa RESPIRATION HÂCHÉE ne trompe pas. Le
bras de Zyno vient se poser sur l’épaule du gros pour le consoler, dignement. Derek
et Alistair regardent dans la même direction. Celle de Mister O qui, malgré les
quelques mètres qui les séparent, n’a d’yeux dans les yeux que pour… ?
Derek et Alistair suivent la direction de ce regard pour voir Gia rendre la pareille à
son observateur à distance.
Lui et Mister O semblent tous deux être les seuls détenteurs d’un secret dont ils
échangent les termes par télépathie. C’est Gia qui rompt le premier en regardant à
nouveau devant lui.
Nadia est toujours (re)tenue par ses bras.
L’air grave, revanchard, Mister O porte à son tour la ligne de son regard droit devant.
Le fourgon démarre et s’éloigne.
LES SIRÈNES DE GIROPHARES SONT MUETTES AU PROFIT D’UNE MONTÉE
DE MUSIQUE DE CIRCONSTANCE.
Nadia s’effondre, corps écroulé que Gia a le plus grand mal à soutenir. Devant eux et
les autres, passe le cortège.
ALTERNANCE entre :
l’éloignement grandissant du fourgon (un, puis deux véhicules à sa suite)
l’effondrement progressif de Nadia.
FONDU AU NOIR / FADE MUSIQUE
OUVERTURE CUT
EXT - CITÉ « LES GROUX » : ENTRÉE DE LA RUELLE – JOUR
FX SON + IMAGE ÉCRAN TÉLÉ QUI S’ALLUME
UNE JEUNE JOURNALISTE REPORTER TV, micro à la main, parle à la caméra.
116
LA JEUNE JOURNALISTE
C’est ici à la Cité des Groux au fond de cette
ruelle, cette impasse, qu’a été retrouvé le
corps de…
Une photo N&B PLEIN ÉCRAN
LA JEUNE JOURNALISTE
(off)
… Karim NASRI, 25 ans.
EXT - CITÉ « LES GROUX » : ENTRÉE
FOND DE LA RUELLE - JOUR
Cheminement SUBJECTIF dans l’étroit boyau.
LA JEUNE JOURNALISTE
(off)
Il était 5h hier matin lorsque Karim, jeune
garçon sans histoire selon ses proches, part
travailler.
On ne sait pas encore ce qu’il s’est passé
entre le moment où il quitte son domicile et la
découverte de son corps…
Fin de parcours dans la ruelle sur une grande flaque de sang séché.
LA JEUNE JOURNALISTE
(off)
…par des gamins du quartier qui traînaient
là.
Aussitôt les forces de l’ordre se sont rendues
sur place et ont bloqué le périmètre.
Une enquête est ouverte et le moindre
témoignage qui pourrait apporter des
éclaircissements sur cet horrible fait divers
est le bienvenu.
FONDU ENCHAÎNÉ
117
EXT – CIMETIÈRE - JOUR
Tous en costume de deuil : Gia, Zyno, Derek, Alistair, les autres têtes connues du
quartier. Gia soutient LA MÈRE DE KARIM, femme d’âge mûr, portant voile et
pleurant son fils. Alistair, le plus à droite, part le premier pour venir jeter une poignée
de terre sur le cercueil au fond du trou.
Puis c’est Derek qui prend la suite.
Zyno.
Et vient le tour de la mère, fermement soutenue par Gia. Devant la fosse, elle se
laisse aller à un chagrin digne de l’amour qu’elle portait à son fils. Avec beaucoup de
tact et sa force de caractère, Gia est un soutien, un bras, une épaule salutaires. Il
parvient à prendre un peu de terre dans le petit sac et s’en débarrasse sur le cercueil
en contrebas.
Son visage fermé n’indique aucune émotion, en contraste avec la femme qui
s’accroche à son bras.
Le couple improbable rejoint un emplacement. Vient Nadia. À l’image de son meilleur
ami, elle affiche une force intérieure qui la fait rester sobre dans son émotion.
Son visage est dur. Même si, le temps d’un trouble passager, elle semble contenir
une vague d’émotion à la limite de la submerger.
De sa doudoune noire, elle extrait une lettre.
NADIA
(de la difficulté à parler)
Ceci… ceci est la lettre que Karim m’a écrite
et que… j’ai trouvé à mon réveil le matin
de…
Elle déglutit. Les mots ont de plus en plus de mal à sortir. Elle reprend.
NADIA
Il s’agit d’un texte… ses derniers mots…
La feuille tremble entre ses mains et devant ses yeux.
NADIA
(flow à fleur de peau)
Rap / Slam à écrire sur demande en mariage
de Karim à Nadia
118
Tout du long, elle aura retenu le flot d’émotion à l’affût et c’est avec une dignité, une
force et un courage exemplaires qu’elle replie la feuille de papier pour la ranger dans
sa doudoune.
Sur elle, très proche de son visage, de ses yeux qui regardent perdus le fond de la
fosse. Au bout de quelques secondes, son regard est brièvement attiré vers nous.
Un coup d’œil, papillotement de paupières traduisant son trouble.
Aussitôt L’IMAGE PASSE EN VIDÉO.
INT – APPARTEMENT KARIM & NADIA : SALON - SOIR
DU PLEIN ÉCRAN… À UN ÉCRAN DE TÉLÉ… posé sur un meuble bas…
JOURNALISTE
(off - voix reconnaissable, ex :
PPDA)
…avaient lieu aujourd’hui les obsèques de
Karim Nasri, ce jeune de la cité des Groux,
sauvagement assassiné et dont l’enquête
ouverte pour retrouver le ou les auteurs de
ce crime urbain s’annonce difficile. En effet…
…parmi un fouillis au sol. À l’image, le reportage ne montre plus le gros plan sur
Nadia mais des visages parmi l’assemblée qui assiste à la cérémonie au cimetière.
JOURNALISTE
(off)
…aucun témoignage n’est venu jusqu’ici
aider la police…
LE SON ET L’IMAGE STOPPENT NET (EN PAUSE).
(Rem : la façade de la télé indique un magnétoscope intégré)
On découvre en face, assise en indien sur le sol, des photos étalées autour d’elle,
Nadia, le bras en avant, à son extrémité, la télécommande.
À 180°, sur l’écran télé, l’image gelée est composée d’un personnage central qui
capte toute l’attention : une jeune fille toute de noir vêtue, du moins pour ce qu’on en
voit (le buste).
À 180°, Nadia, les yeux rougis parce qu’elle a dû pleurer, le regard fixe sur cette
pause image.
119
À 180°, un détail du visage filmé : la bouche… souriante !
Pas un smile pleines dents mais un rictus sans équivoque, sinon ambigu.
À 180°, Nadia ouvre un peu plus la bouche, plisse les yeux, 100% concentrée sur la
petite lucarne.
FX FLASH WHITE LIGHT
FLASH-BACK
INT - SALLE NPE SPECTACLES : SCÈNE – SOIR
REPRISE DE LA CHANSON CONCERNÉE PAR L’EXTRAIT
Nadia est sur la scène avec les autres, en pleine action. Son regard tombe sur
quelqu’un au fond de la salle.
À 180°, Sofrane avec à son côté, Laetitia.
À 180°, Nadia cesse progressivement de bouger sur le rythme. Pas les autres autour
d’elle.
À 180°, Laetitia fait naître le même sourire que sur l’image d’elle filmée par le
caméraman au cimetière… !
Nadia se fige définitivement, en état de choc sur la scène. Autour d’elle, le N’garso
show se poursuit. Au ralenti (?), à moins que ce soit elle, sa tête (face catastrophée)
se tourne du côté de Karim, alors en pleine forme, bougeant comme un dieu sur le
son.
Il disparaît progressivement - phase intermédiaire de transparence - dansant
jusqu’au bout. Quand le corps de Karim n’est plus qu’un souvenir,
Nadia retourne la tête vers le fond de la salle, ses yeux embués de larmes, tous les
traits de son visage tendus dans une expression d’incompréhension : « Pourquoi ? »
FONDU AU NOIR
RETOUR AU PRÉSENT
EXT – DEVANT LE LYCÉE - JOUR
AMANDINE, une jeune lycéenne plutôt mignonne, look fille à papa, est dos au mur. 3
personnes de dos (2 blacks et une fille) la privent d’échappatoire. Leur échange
verbal se fait À VOIX BASSE. L’ado leur ouvre nerveusement son sac à dos.
120
Laetitia se charge de fouiller à l’intérieur du sac pour en sortir un baladeur cd, qu’elle
refile à Vernon.
Mike surveille d’un regard vicieux Amandine.
Elle, garde les yeux baissés, un peu rose de confusion, soumise au racket.
LAETITIA
(fort accent caill’)
Voilà !...
Laetitia sort un haut de sport dont elle se débarrasse sur les bras de Vernon. Et du
fond du fond, un portefeuille en toile fluo qu’elle remue au visage de sa jeune
propriétaire.
LAETITIA
Hein !... Tu voulais nous la faire à l’envers.
Laetitia ouvre le portefeuille – « SCRATCH SCRATCH » DES VELCROS.
Le contenu apparent (cartes, papiers) est rapidement passé en revue et chaque
document jeté négligemment au sol. Puis la petite main aux doigts boudinés tire la
fermeture éclair vers le bas pour s’enfoncer dans l’ouverture, en ressortir avec un
billet fripé de 5 euros.
LAETITIA
Quoi !? 5 « e » !? Tu t’fous d’moi, là !
AMANDINE
(relevant timidement les yeux,
lèvres de plomb)
J’vous avais dit que j’avais pas l’argent.
LAETITIA
(attrapant violemment l’ado par les
cheveux)
Ecoute-moi bien p’tite salope !
Si j’ai pas l’fric demain matin 8 heures, il va
t’arriver des ennuis.
Sofrane a été réglo. T’as eu ta came. Il veut
être payé.
Et crois-moi que tu l’paieras par tous les
moyens.
121
T’as d’jà entendu parler des tournantes ?
Dis-toi qu’Sof peut en organiser une spéciale
rien qu’pour ta jolie p’tite gueule !...
Elle relâche l’adolescente toute tremblante.
LAETITIA
Demain matin 8 heures !
Le trio malfaisant est sur le départ : Vernon déjà en train de tester son nouveau
baladeur CD, Laetitia jette le portefeuille suivi du sac éventré aux pieds de la
lycéenne ; Mike se fend d’une caresse du revers de sa grande et grosse main sur la
joue de la mineure craintive. Un dernier sourire malsain et il emboîte le pas des deux
autres, abandonnant…
…une enfant perdue, traumatisée, qui met un petit temps avant de se rassembler.
Enfin, Amandine s’accroupit pour ranger ses affaires éparpillées au sol. Une main,
un bras rentrent dans sa sphère pour lui (ap)porter de l’aide dans le ramassage.
Nadia rapproche, réunit les éléments qui reconstituent le contenu initial ou presque
du sac. Surprise mais sans refus, Amandine remplit son sac. Nadia regarde dans la
direction prise par les 3 coupables.
EXT – DEVANT LE LYCÉE : PLUS LOIN - JOUR
VERNON
(s’affairant autour de son nouveau
baladeur, casque sur la tête)
Putain, c’est chaud quand même 8 heures !
À côté, Mike a aussi les mains dans les poches, marche visage impassible, un
bonze. Vernon se retourne vers la p’tite princesse rose qui marche derrière mains
dans les poches.
LAETITIA
Quoi c’est chaud 8 heures !?
VERNON
Ben tu lui as dit
(il l’imite)
« Demain matin 8 heures ! »
122
LAETITIA
Ben ouais et alors ?
VERNON
Pffh, allé vas-y ! Ça s’ra sans moi !
Mike esquisse un rictus qui ressemble à un sourire.
LAETITIA
(stoppe net)
Quoi !
Les deux autres s’arrêtent à leur tour et se retournent.
LAETITIA
(sur son redémarrage)
…ouais allé c’est ça, mets ton réveil pour
une fois, ça t’changera !
VERNON
(dans les aigus)
Houuu-ou-ou…
Sur cette réplique cinglante, elle file son chemin, met de la distance. Dans son dos,
les deux renois restent comme deux piquets.
EXT – TROTTOIR - JOUR
Laetitia toute seule, la marche un peu moins rapide. Une SONNERIE DE
PORTABLE. Elle le sort de sa poche, regarde l’écran avec étonnement (elle mâche
un chewing-gum).
LAETITIA
(voix à peine audible)
Qu’est-ce que…
Elle décroche, porte l’appareil à son oreille.
123
LAETITIA
Ouais… Hein ? Qui ça ?... Ah non c’est pas
Marie.
Nan… nan… ouais voilà fait ça… voilà,
allé…
Elle (lui) raccroche (au nez). Avant de ranger l’appareil, elle réfléchit et dans une
attitude « après tout ! », elle compose sur le clavier. Le téléphone collé à l’oreille, elle
attend la tonalité de l’appel.
LAETITIA
Wesh Sof, ça va ?...
Ouais ben c’était pour te dire que t’auras
l’argent demain sans faute. Ouais c’est bien
ce que… Mais puisque j’te dis que tu auras
l’argent demain ! T’énerve pas là ! Elle avait
PAS l’gen-ar ! Keske tu voulais qu’je fasse !
Ouais ben on verra demain d’accord !...
Sinon qu’est-ce que j’voulais t’dire… t’es
où ?... pourquoi ?... Attends…
Nadia la croise. Laetitia s’arrête, regard accroché sur le mouvement de Nadia qui
s’arrête à son tour et la regarde.
NADIA
Tu s’rais pas la rate qui traîne avec Sof’ ?
LAETITIA
(portable toujours porté à l’oreille)
Attends… j’te rappelle. Si, j’te rappelle !
(elle range le portable dans sa
doudoune de Barbie)
Et tu lui veux quoi à « Sof » ?
NADIA
Ben moi rien mais lui j’sais pas.
LAETITIA
Quoi tu sais pas ? Vas-y accouche, j’ai pas
qu’ça à faire.
124
NADIA
Ben c’est qu’c’est pas facile à t’expliquer, t’es
marrante.
Tu d’vrais comprendre qu’entre meufs ces
choses-là… euh… c’est pas… c’est paaas…
c’est pas simple, voilà !
LAETITIA
Oh la la, la prise de tête ! T’es relou toi
comme meuf ! Vas-y m’compare pas à toi.
Y-a pas d’entre meufs. Y-a toi ! Y-a moi !
Sof, tu lui veux quoi ? Dernière fois après
j’trace !
NADIA
Ok ben j’ai pas l’choix, j’me lance. Tu sais
pas s’il est toujours à la recherche de filles ?
Aucun son ne sort de la bouche de Laetitia, estomaquée.
NADIA
Oh la j’t’ai choquée là ou tu réfléchis ?
LAETITIA
(sur la défensive)
Vas-y, j’t’écoute.
NADIA
Ben ça y est, j’ai fini.
LAETITIA
(toujours prudente)
Tu veux savoir si Sof est toujours à la
recherche de filles…
NADIA
Ouais c’est ça, enfin tu vois…
LAETITIA
Ouais vite fait. Mais euh… qu’est-ce que
j’voulais dire
125
(elle se gratte la tête, se donnant
l’air embarrassé)
…c’est toi qui d’mande ça ou bien…
NADIA
Ecoute si on pouvait zapper l’interrogatoire…
j’préfère si ça t’dérange pas.
LAETITIA
(retrouvant son côté peste)
Donc c’est (bien) pour toi. Et qu’est-ce qui
t’fait penser que ton mec n’en saura rien ?
Un SILENCE AFFECTÉ du côté de Nadia. Qui reprend
NADIA
Un mec ? Quel mec ?
Au tour de Laetitia de marquer un temps de trouble passager.
LAETITIA
J’imagine que t’es grave en galère de thunes
pour venir m’parler d’ça.
NADIA
Grave. J’ai un loyer à payer et un salaire de
vendeuse à mi-temps à cause que j’poursuis
des études. Même avec la bourse, j’y arrive
pas. J’t’assure, j’y arrive pas.
LAETITIA
Et tu t’es dit pourquoi pas…
NADIA
Après tout c’est pas moi qu’a eu l’idée. C’est
Sofrane à vrai dire.
LAETITIA
Ben il a eu raison apparemment.
126
Laetitia toise Nadia du regard, un sourire narquois.
NADIA
Alors ça s’passe comment ? J’rentre chez
moi et j’attends qu’il m’appelle ou bien ?
LAETITIA
Oh oh non, tu rentres pas chez toi, ma p’tite
chérie.
(elle ressort le portable)
T’es chaude. Faut pas laisser refroidir.
Attends voir…
(elle compose le numéro en
s’éloignant de quelques pas,
faisant dos à Nadia)
Allôôô… deviiine qui c’est… hein !? comment
tu m’as appelé ?...
Ouais bon ben ça va… oh la la t’es pas
drôle… mh bref tu veux pas savoir pourquoi
j’te rappelle là… ?... hein… Sof !... Sofrane…
allô… allô !!!
(elle regarde le portable effarée,
jette un p’tit coup d’œil gêné vers
Nadia toujours là)…
l’enf’… il a… nooon…
(elle recompose le number et
passablement irritée se le recolle
à l’oreille)
Ouais j’disais « tu veux savoir pourquoi ? »…
ah quand même… et bien figure-toi que j’ai à
quelques mètres de moi une jeune fille à qui
tu aurais soi-disant proposé de travailler pour
oit’… mh mh c’est ça…
(elle jette de temps à autre un œil
en direction de Nadia, simple
vérification)
…ça te dit rien…
Ben ouais ouais plutôt mignonne, la
vingtaine, un peu ‘caill comme t’aimes. Une
muslim non pratiquante, tu vois…
(d’un geste futile et snob, elle
couvre de sa main le bas du
portable pour s’adresser à Nadia)
…ton nom !
NADIA
Qui d’mande ça !?
127
LAETITIA
Si t’es réglo, ton futur boss !
NADIA
(qui s’assombrit)
Dis Nadia alors, ça suffira.
LAETITIA
Sofrane ? C’est Nadia.
INT - SQUATT – SOIR
La bouche lèvres scellées de Sofrane près de son portable. Derrière lui, dans le flou,
on distingue plusieurs formes humaines sur un canapé. Deux malmènent une, à
entendre les CRIS, les SONS DE GIFLES.
EXT – TROTTOIR – JOUR
LAETITIA
…Sofrane ?... Oh eh non ça va pas r’faire
chier !
(elle zyeute l’écran du téléphone)
…pffh… Sofrane t’es là ?...
(elle met un voile sur sa voix)
T’as entendu… c’est Nadia… c’est sa
meuf…
INT - SQUATT – SOIR
SOFRANE
Je sais, ferme-là.
(le mutisme à nouveau. Pas
longtemps. Le temps d’un
dilemme)
Ecoute (moi) bien. Tu (vas) lui dis (dire) que
je l’attends dans une heure devant l’ancien
local.
128
EXT – TROTTOIR – JOUR
LAETITIA
Dans une heure ? Oh la on perd pas d’temps
à c’que j’vois.
Ouais ouais je m’tais je m’tais.
Toud’ façon si tu crois qu’elle va pouvoir
s’libérer et v’nir comme ça rien que parce
que Monsieur… (a) claque(é) des doigts…
Nadia vient tout à côté de Laetitia.
NADIA
Il a dit dans une heure ? Il veut m’voir, c’est
ça ?
Laetitia adresse un regard noir à l’intruse.
LAETITIA
Tiens, elle est juste en face de moi, là. (Si) tu
veux, (tu) lui d’mande(r) ça toi-même (?)
Elle tend l’appareil à Nadia qui s’en saisit avec une assurance imprévisible.
NADIA
(grave et concernée)
Wesh Sofrane
(Laetitia n’en perd pas une miette)
c’est Nadia. Une heure ça l’fait.
La surprise se lit sur le visage de Laetitia.
INT - SQUATT – SOIR
Des spasmes légers viennent troubler l’immobilisme jusque là parfait des lèvres de
Sofrane.
La main est également victime d’un petit tremblement.
Quelques secondes de SILENCE TENDU. En fond sonore les CRIS ÉTOUFFÉS de
la fille entre les pattes des deux silhouettes.
129
EXT – TROTTOIR - JOUR
Nadia, le portable vissé à l’oreille, est tendue comme un arc.
Laetitia stressée par le silence radio s’impatiente, veut reprendre le cellulaire. Nadia
recule son buste en arrière.
INT - SQUATT – SOIR
SOFRANE
(moins assuré que d’habitude)
Devant l’ancien local alors.
EXT – TROTTOIR – JOUR
NADIA
(sourcils froncés, l’écoute
parasitée par la tentative de
putsch « laetitienne »)
De… devant l’ancien local, c’est c’que t’a
dit ?
Sof, t’es là ? Tu m’entends ?
Nadia décolle le portable de son oreille pour contrôler l’écran et s’apercevoir que :
NADIA
(tranquille)
Il a raccroché.
Laetitia récupère le téléphone que Nadia lui tend et pose un regard sceptique sur
l’écran, puis sur Nadia. Finalement, elle confisque l’appareil dans sa doudoune et
dans un soupir :
LAETITIA
Bon ben c’est pas qu’j’m’ennuie mais j’vais
t’laisser. T’as pas trop d’une heure pour
t’arranger un peu.
130
Dit-elle en la toisant avec dédain des pieds à la tête.
Nadia encaisse, décrispe un sourire.
NADIA
Mh, ouais c’est ça, j’vais aller m’arranger un
peu. Ben merci alors.
LAETITIA
Me remercie pas trop vite, ma p’tite. Ça s’voit
que tu l’connais pas tant qu’ça mon négro.
Le PORTABLE SONNE DANS SA POCHE. Elle le ressort, décroche, en profite pour
planter là Nadia sans plus un regard. Dans l’éloignement de dos :
LAETITIA
(au téléphone)
Ouais (encore toi !) J’t’ai d’jà parlé à toi !...
Ouais ben Romuald, tu vas être un brave
toubab et tu vas oublier ce number et la
Marie qui va avec !
Nadia la regarde partir sans masquer son mépris, le dégoût (!) qu’elle lui inspire.
Après avoir mis quelques pas entre elles, Laetitia s’arrête (en raccrochant).
LAETITIA
(dos tourné)
Hé « Nadia »
(prononcé avec une pointe
d’accent arabe !)
Elle se tourne (en rangeant le téléphone dans sa poche habituelle). Sourire de peste.
LAETITIA
N’oublie pas CV, lettre de motivation.
Elle part dans un GRAND ÉCLAT DE RIRE en repartant sur le trottoir.
Nadia la fusille du regard, prend sur elle pour lancer dans un simili sourire :
131
NADIA
(voix portée)
Et pour la photo ?
L’autre sans se retourner, de là-bas.
LAETITIA
(C’est ça !) À mon avis (tu sais quoi ?), ils en
auront pas besoin pour se souv’nir de toi !
NADIA
(dans un dernier effort pour
paraître dans l’humour)
Inch Allah, t’as vu.
(voix portée)
(Juste pour elle)
Avec ou sans (dieu), j’te nique ta race !
(masque de haine, mâchoires
serrées)
LES PREMIÈRES NOTES D’UN ACCORD DISSONANT PONCTUE LA RÉPLIQUE.
Nadia reste quelques secondes, visage qui fait peur, à fixer dans la direction de
l’autre qui s’éloigne.
LA
NAPPE
MUSICALE
ASSOURDISSANTE.
MONTE
CRESCENDO
JUSQU’À
DEVENIR
Puis AU RALENTI, Nadia se détourne, part mauvaise à l’opposé de Laetitia, à
distance croissante dans son dos.
Laetitia, réelle tête à claques au sourire pervers, Nadia s’éloignant derrière elle.
Vue du trottoir d’en face : les deux filles qui marchent AU RALENTI dans les
cardinaux opposés.
SONORITÉ AU TOP DE SON VOLUME, SATURÉE AU MAX.
Calé sur le tempo, UN BEAT LOURD, on « rentre » dans l’image en 2 temps.
INT - APPART NADIA + KARIM : CHAMBRE – JOUR
« WHO DO YOU LOVE » PAR 2PAC (ALBUM « LOYAL TO THE GAME ») (OVER)
EN RYTHME, les actions s’enchaînent :
Nadia fait irruption dans la chambre, remontée à bloc.
132
Se débarrasse de sa parka qu’elle laisse tomber au sol.
Ouvre l’armoire, prend une robe de couleur noire sur la penderie.
La jette encore sur son cintre sur le lit défait.
Elle enlève son tee-shirt. Se retrouve en soutien-gorge, bas de survêt, baskets.
Ouvre un des tiroirs de la commode où sont rangées les petites culottes, strings.
S’empare d’un string. Referme. Ouvre un autre tiroir. S’empare d’une paire de bas.
3ème tiroir : un soutien gorge plus sexy que celui qu’elle porte. Tout ça est
TOUJOURS PARFAITEMENT SYNCHRONE AVEC LE BEAT.
Le pied à présent recouvert du bas noir. Le talon rentre dans la basket… noire de
marque, plus fine et féminine que celles portées précédemment.
Sorti du sac à mains pochette en croco noir, le stick de rouge est porté aux lèvres de
Nadia qu’il colore dans un mouvement expert.
Du fard à paupières à présent appliqué. Final : son regard dans la glace qui nous
transperce.
LA MUSIQUE DISPARAÎT PROGRESSIVEMENT
FONDU ENCHAÎNÉ calqué sur les yeux de Nadia.
EXT - DEVANT « L’ANCIEN LOCAL » - JOUR
(à l’abandon, tags sur les portes)
Les yeux écarquillés de Sofrane.
Son visage, l’allumette pendante collée sur sa grosse lèvre inférieure. Très vite, il
retrouve son air supérieur, revenu de tout, un petit sourire en coin, vicieux et pervers.
Nadia apparaît de dos face au jeune caïd. Elle porte un manteau de cuir noir. Ses
cheveux sont coiffés avec volume.
SOFRANE
(récupérant l’allumette entre ses
doigts)
(après un soupir d’admiration)
Pfouh, t’es allumée de t’balader comme aç.
Allé, viens là.
Il attire Nadia à lui qui le repousse avec vigueur.
133
NADIA
Heyyy !...
Dans le mouvement de bascule arrière de son buste, Sofrane laisse apparaître
Nadia de face. Très féminine. Sa beauté naturelle mise en valeur.
NADIA
(accent jeune de cité)
Bas les pattes, tu crois quoi ?
Tu m’as pris pour une meuf perdue ou quoi ?
SOFRANE
(rentrant dans un jeu de
séduction)
Vas-y arrête de faire style. Toi et moi on est
d’la même rue.
Quand j’ai voulu j’t’ai eu
(il claque des doigts)
NADIA
Qu’est-ce que t’as eu ? Mon cul ?
Si on compte toutes les fois où j’étais réglée,
combien d’fois tu m’as dallé, hein ?
Combien d’fois, vas-y dit !
(elle se rapproche du visage de
Sofrane)
SOFRANE
(moins à l’aise, détourne les yeux,
fait jouer l’allumette dans sa
bouche)
Allé calme-toi là. Tu parles trop
(il prend l’allumette et la jette au
sol)
NADIA
(s’écarte de Sofrane)
Ouais t’as raison. C’est plutôt à toi de
m’parler.
SOFRANE
Viens, on reste pas là !
134
Il lui attrape le bras, déboule une voiture de marque aux vitres teintées.
NADIA
Aïe ! Lâche-moi-ah ! Qu’est-ce que tu f…
Sofrane lui met la main sur la bouche, la pousse sur la banquette arrière, monte à
côté, ferme la portière. La voiture repart.
INT - COULOIR IMMEUBLE ÉTAGE APPART KARIM + NADIA - SOIR
Gia marche dans le couloir. Son visage porte le deuil de Karim. Arrivé devant la porte
de l’appartement, il EXPIRE UN BON COUP ET SONNE.
Il attend raisonnablement et SONNE À NOUVEAU. La même attente insatisfaite. Il
sort son portable et compose un numéro. Il attend, le téléphone à l’oreille. À l’autre
bout, on décroche.
GIA
Allô Nadia, c’est moi. J’chuis d’vant ta porte
là. T’es où ?
Le silence ou presque à l’autre bout de la ligne. Une RESPIRATION que Gia écoute
sans renchérir. L’air plus inquiet, il raccroche,
range le téléphone dans sa poche et décide d’ouvrir la porte.
Il y parvient simplement et pénètre dans l’appartement.
DÉMARRAGE MUSIQUE À LA BADALAMENTI (tension dramatique)
De dos, il progresse lentement dans le couloir d’entrée (même disposition que les
apparts de Gia, Mister O…). Arrivé au coin, prend à droite.
INT – APPART KARIM + NADIA : SALON - NUIT (CLAIR OBSCUR)
SUITE MUSIQUE À LA BADALAMENTI (tension dramatique)
Gia apparaît dans l’encadrement de la porte du salon, poursuit à l’intérieur.
Il évolue en enjambant les objets nombreux et variés qui jonchent le sol (des
vêtements ayant appartenu à Karim, des photos étalées, « vomies » de leur boîte de
135
rangement). Le canapé et le centre de la pièce atteints, il a un regard circulaire
d’ensemble pour ce sol encombré.
Quand son regard est attiré par la lumière en provenance de l’écran télé, son visage
prend progressivement une expression catastrophée.
LA MUSIQUE RAJOUTE À LA TENSION DRAMATIQUE.
Toujours en pause, le visage de Laetitia et son petit sourire en coin à l’enterrement
de Karim.
INT – CAVE - SOIR
SUITE MUSIQUE À LA BADALAMENTI (tension dramatique)
La même Laetitia. LES SONS D’UN ACTE SEXUEL INTENSE (OFF) soumis à son
regard lubrique.
1ÈRE VOIX OFF
(sons coït + petits cris étouffés)
Ouais vas-y c’est ça, baise-là cette salope !
2ÈME VOIX OFF
(sons coït + petits cris étouffés)
Oh qu’est-ce qu’elle est bonne la chienne !!!
3ÈME VOIX OFF
(sons coït + petits cris étouffés)
Allé sale pute ! Open your mouth ! Open !
2ÈME VOIX OFF
(sons coït + petits cris étouffés)
Ah fuck ! Baby oh ! Yeah-sss !
Un CRI DE FEMME, terrible, raisonne soudain. S’ensuivent les SONS D’UNE
CONFUSION GÉNÉRALE, l’air tout à coup perdu de Laetitia, dépassée par la
tournure des évènements.
LA MUSIQUE S’EMBALLE → THÈME ACTION
1ÈRE VOIX OFF
(empreinte de panique)
Attention, elle se barre !
136
Laetitia amorce un départ.
INT – APPART KARIM & NADIA : COULOIR - SOIR
SUITE THÈME ACTION
Gia sort en trombe de l’appartement tirant la porte derrière lui. LA PORTE CLAQUE.
EXT – SUR TOIT IMMEUBLE - JOUR
SUITE THÈME ACTION
Une porte blindée s’ouvre brusquement sur Nadia HURLANT AUX LARMES. Son
visage est tuméfié, son maquillage a coulé et ses cheveux sont ébouriffés.
Elle court, CRIE DE TERREUR, ses vêtements déchirés. Mais elle arrive vite au bord
de tomber – LA MUSIQUE MARQUE UN PREMIER TEMPS. Prise de panique, elle
recule, veut trouver une autre issue mais les autres sont déjà à la porte – LA
MUSIQUE S’ARRÊTE.
Mike, le premier à sortir, la repère au premier coup d’œil.
MIKE
Elle est là !
Le rejoignent Vernon avec la naissance d’un sourire quand il la voit puis Libass, tous
les deux chemise ouverte.
Comme à l’habitude, Vernon + Mike se mettent en retrait. Libass avance donc à pas
lents vers Nadia, l’air menaçant.
Elle recule, toute tremblante.
NADIA
(aphone)
Non… non…
Tout va très vite. Laetitia a suivi. Dépassée par les évènements quand elle découvre
la scène, ses yeux vont d’emblée chercher les 3 blacks tous braqués dans une
direction qu’elle adopte.
137
Nadia est revenu au bout du toit sans plus aucune autre échappatoire. Sa panique
redouble (d’intensité) et elle sursaute à l’idée du vide derrière elle. Un HOQUET DE
TERREUR. Mais elle tient l’équilibre.
En face, par la porte restée ouverte, l’amorce d’une nouvelle arrivée sur le toit.
Laetitia, les autres dans leur positionnement gênent la vision du ou de la nouvelle
venu(e).
Nadia dès qu’elle aperçoit l’inconnu(e) à nos yeux le reconnaît aux siens.
Un SILENCE BLANC se fait brusquement.
Le choc visuel généré provoque le déséquilibre fatal et Nadia tombe dans le vide.
L’action est si soudaine que l’impression est presque celle d’un trucage à l’image.
Sous l’effet de surprise, ses tortionnaires devenus ses bourreaux ne réagissent pas
tout de suite. Libass, aux avant-postes, se précipite à l’endroit encore occupé il y a
une seconde par Nadia.
Juste avant d’arriver pour se pencher et voir, il pile, se cambre tel un cheval refusant
l’obstacle. Préfère se retourner vers les autres qui tous affichent le masque figé de la
peur.
À contrecoeur, Libass se penche et revient très vite en position. Sa courte grimace,
sorte de froncement de toute sa face, traduit la vision qu’il vient d’avoir.
On découvre le dernier arrivé sur le toit. Au départ juste son torse, nu, le visage
caché par le tee-shirt qu’il est en train de passer. Le visage de… Mister O (!!!)
contrairement aux autres ne traduit aucune émotion. De ce « masque de cire »
jusqu’au point de départ de la chute de Nadia dans un mouvement virtuel de recul
[FX Matrix]. En piqué pour descendre les nombreux étages de l’immeuble (on longe
la paroi) à une vitesse vertigineuse - SON DE L’AIR FENDU COMME PAR UN
CORPS EN CHUTE LIBRE - jusqu’au visage de Nadia écrasée au sol - BRUITAGE
CORPS HUMAIN QUI S’ÉCRASE AU SOL APRÈS UNE TELLE CHUTE - ses yeux
grands ouverts sur la mort, sa tête baignant dans une flaque de sang qui grandit petit
à petit.
EXT – BAS DE L’IMMEUBLE - JOUR
Autour du cadavre de Nadia, les HABITANTS DE LA CITÉ, JEUNES ET MOINS
JEUNES, commencent à affluer et à former un cercle silencieux.
Le barrage humain est percé avec conviction par Gia, qui prend la vision-choc de
plein fouet. Il recule, pose ses mains en panique sur tout ceux alentour à sa fuite.
Manque presque de tomber. La ligne de badauds se referme sur Gia qui disparaît
comme apparu.
Démarrage MUSIQUE, THÈME EXTRAIT B.O.F. « REQUIEM FOR A DREAM »
(OVER)
138
INT – APPART GIANELLI : SALLE DE BAINS CHAMBRE DE GIA - SOIR
SUITE THÈME MUSICAL EXTRAIT B.O.F « REQUIEM FOR A DREAM » (OVER)
Le reflet de Gia dans la glace. Il se regarde, l’œil hagard, comme déconnecté. Puis
un trouble dans le regard et il semble revenir à la réalité. Plus bas, UNE TONDEUSE
À CHEVEUX SE MET EN MARCHE. Gia, mâchoires serrées, l’amène avec
conviction sur le sommet de son crâne, au haut de son front, et commence à se
raser la tête et à se transformer sous nos yeux, en temps réel !
Les mèches de cheveux par touffes entières tombent EN RYTHME SUR LA
MUSIQUE (COUPS D’ARCHER SUR LES VIOLONS)
Quand IL ÉTEINT - (relâche LA TONDEUSE dans le fond de la vasque) - c’est pour
fixer intensément son nouveau visage, monter en puissance comme dans une transe
et partir d’un coup, le miroir reflétant une marche décidée à l’allure guerrière,
SYNCHRONE AVEC LA TRANSITION 1er MOUVEMENT / 2ème MOUVEMENT DU
THÈME MUSICAL.
EXT – IMMEUBLE GIA : EN BAS → RUES DE LA CITÉ « LES GROUX » - JOUR
SUITE THÈME MUSICAL EXTRAIT B.O.F « REQUIEM FOR A DREAM »
Gia toujours en mode règlement de compte, passe les portes de son immeuble, vêtu
du vieux et trop large pantalon de jogging de la page 1, associé à un non moins
vieux tee-shirt, le haut du jogging, veste taille XXL en épais sweat de coton. On ne le
lâche pas le long de son parcours de combattant à travers la cité sous les regards
« un peu » effrayés de ceux qu’il croise. Sans entendre ce qu’il leur demande, les
bras indicateurs de direction de certains, l’empressement avec lequel il quitte ces
« informateurs », révèlent que Gia cherche quelque chose, quelqu’un et vite ! Les
pans de sa veste grande ouverte battant de chaque côté de sa silhouette lancée à
pleine vitesse développent son envergure et le rendent impressionnant pour ceux sur
son passage rageur et vengeur.
QUELQUES SECONDES PLUS TARD
EXT – CITÉ « LES GROUX » : BÂTIMENT BLANC – JOUR
SUITE THÈME MUSICAL EXTRAIT B.O.F « REQUIEM FOR A DREAM »
Gia emprunte maintenant un escalier de béton blanc, étroit et en colimaçon pour se
retrouver sur le toit (une surface de grande superficie du même béton blanc) d’un
bâtiment de 3 étages, en plein centre de la cité.
139
À l’autre bout, il identifie…
...Sofrane de dos (le caïd n’est pas seul mais avec D’AUTRES GARS).
Gia se dirige droit sur le regroupement, accélère le pas.
Un des lascars perd son sourire crâne quand ses yeux découvrent Gia au dernier
moment, si proche, juste le temps d’avertir Sofrane d’une tape sur le bras. Sofrane
se retourne.
Gia est déjà là, sur lui.
Début d’un affrontement entre les deux hommes - LA MUSIQUE S’EMBALLE.
Pendant toute la durée du combat, l’image alterne RALENTIS et ACCÉLÉRÉS.
Sofrane évite de justesse le coup de poing porté par Gia.
Aveuglé par la colère, Gia en perd l’équilibre et tombe vers l’avant, aidé par la
poussée de Sofrane en train de se déporter.
À peine Gia se retrouve au sol qu’il réagit pour se relever.
Sofrane l’en empêche d’un violent coup de pied dans le ventre…
…qui écroule Gia à plat. Là encore, les bras de Gia sont vite en position de levier
mais un nouveau coup de pied de Sofrane, toujours au même endroit, décolle Gia de
la surface du sol. Il se retrouve sur le dos, encore conscient mais ko. Sa tête remue
légèrement de droite à gauche.
Sofrane se penche dessus et roue le visage de Gia de coups de poing avec un
acharnement assassin. Les jambes de Gia sont agitées de convulsions à chaque
coup porté à la face. Jusqu’à plus de mouvement.
Sofrane se relève, regarde le résultat de sa série de coups et crache sur…
…le visage de Gia en piteux état (le crachat atteint bien sa cible).
Puis Sofrane lève ou plutôt « arme » son pied et présente la semelle de son talon audessus du…
…faciès encore animé de mouvements de Gia.
UNE VOIX D’ENFANT SE FAIT ALORS ENTENDRE DANS UN CRI SOUDAIN ET
DÉSESPÉRÉ.
MOHEDINE
(off)
Nooo-ooo-n !
Sofrane bloque net son début d’action et ramène son pied au sol tout en
s’intéressant à l’endroit d’où est parti le cri déchirant. Il relève la tête pour découvrir…
…Mohedine, tremblant de rage et de colère, les traits de son visage bouleversés par
l’émotion. Dressé devant les autres qui derrière lui ont tous une mimique semblant
« phonétiser » : « Ouh pas beau à voir le carnage », ci. « Ouh ça va barder pour le
p’tit (qui a osé tenir tête au chef) », là.
140
Sofrane, lui aussi, a les traits du visage bouleversés par l’émotion. Il s’agit de la
hargne, toute cette violence qu’il a puisé, fait monter en lui pour contrer Gia et qu’il a
du mal à évacuer pour « redescendre » un peu. Ses yeux de fou sanguinaire fixe
Mohedine et les spasmes qui agitent les muscles de son visage (lui) font peur.
Il recule, ses jambes le portent mais il vacille sous le coup du trop plein de violence
qu’il vient de laisser s’exprimer. Il se retourne, commence à marcher dans la direction
opposée et s’éloigne chancelant de la scène du crime ainsi que de « ses » hommes.
Mohedine veut aller rejoindre le corps inanimé de Gia mais les autres l’en empêchent
en le retenant.
LA MUSIQUE OCCUPE TOUTE LA BANDE SON.
Lu sur les lèvres de Mohedine (il hurle), le visage marqué par une douleur infinie :
« Giii-aaa… »
Après la série de coups tout juste encaissée par Gia en pleine tête, voilà que celle-ci
se tourne poussivement vers là d’où viennent les « cris ». Les yeux ont du mal à
rester ouverts mais dans le rouge (de son) sang qui a repeint son visage, naît ce qui
ressemble à une tentative de sourire. Où l’on voit qu’il a des dents de cassées.
Là-bas, à quelques mètres, Mohedine et la « main d’œuvre » de Sofrane, n’en
reviennent pas. Rassuré par le signe de vie de Gia, Mohedine ne hurle plus. Mais
son silence reflète le choc visuel imprimé par la découverte du visage ensanglanté
de son héros.
Si la bouche de Gia continue de jouer la comédie du sourire, son regard en revanche
ne ment pas et l’on peut y lire toute l’étendue de sa douleur.
Les yeux de Mohedine commencent à se remplir de larmes et c’est avec l’énergie du
désespoir qu’il remet de la voix en effectuant mouvements des épaules et des bras,
les poings serrés.
Gia cesse de sourire pour que l’on s’intéresse à la lueur renaissant dans ses yeux.
Pour marquer le coup, sa tête décolle péniblement du sol.
AU RALENTI, les petits poings de Mohedine enchaînent les séries dans le vide.
Ordonné, toute la panoplie des coups de la boxe y passe. Du noble art !
AU RALENTI, fasciné par le ballet de ces petits poings, Gia puise dans ses
ressources pour entamer un redressement sur ses deux pieds. Derrière lui, encore à
portée, Sofrane continue néanmoins de s’éloigner.
Les yeux pleins d’admiration de Mohedine accompagnent Gia vers le haut. Les
autres qui l’entourent, expriment la même chose dans leurs yeux emplis
d’étonnement.
Gia est debout sur ses deux jambes, chancelant, manquant de retomber mais
retrouvant stabilité d’un frein in extremis du pied sur le béton.
Un sourire, douloureux encore, en direction de Mohedine puis Gia se transcende. La
colère se réinjecte dans ses yeux, les muscles faciaux sont tendus à trembler,
le corps bandé comme un arc, ses mains se ferment pour redevenir ses poings
quand il entame de se retourner vers Sofrane.
141
Mohedine l’encourage de LA VOIX (COUVERTE PAR LA MUSIQUE). Libre de toute
emprise, ses enchaînements de coups dans le vide prennent de l’ampleur : crochets,
directs, uppercuts, droites, gauches.
Gia, toujours peu assuré sur ses jambes même s’il y a du mieux, se signale à
Sofrane à en voir ses lèvres bouger. Dans son dos, on aperçoit Mohedine, toujours
en mouvement parmi les grands.
Sofrane, le dos rond massif, arrête net sa marche et (lentement) sa tête se tourne.
Le « bond » que font ses sourcils trahit le choc visuel.
Sofrane termine de se retourner complètement pour faire face à un revenant.
Gia fait un pas, deux, il tient à peine sur ses jambes, encore groggy.
D’un geste de la main dépourvu d’énergie, il invite son adversaire à le rejoindre – un
faible sourire, au mieux un rictus.
Sofrane marque un temps. Sa moue indique une certaine incrédulité quand il remue
la tête, affiche son petit sourire crâne dans l’en-avant, vers Gia.
La distance qui sépare les deux hommes fond en quelques enjambées guerrières
sous les regards des quelques spectateurs, Mohedine se démenant toujours au
premier rang, tous suspendus à l’issue du contact imminent.
Gia efface progressivement son sourire au profit d’un masque de concentration et
d’une posture plus menaçante. Il arme à peine sa garde que le bras de Sofrane part
en direction de son visage ensanglanté. Avec une vista incroyable, il déporte son
buste et évite de justesse le coup qui s’annonçait violent et fatal.
Sofrane, surpris par le vide, part sur quelques pas, entraîné en avant par le poids de
son corps.
Gia en profite pour se replacer et tente timidement de lancer son jeu de jambes. Clin
d’œil complice à l’attention de Mohedine.
Mohedine y répond par un sourire de joie sincère.
Sofrane à l’arrêt, sa masse stabilisée en fin de course, légèrement cassée vers
l’avant, tourne brusquement la tête en direction de Gia et c’est (de)
l’incompréhension qu’exprime son regard.
Vite, il (lui) refait face et lance un nouvel assaut dont la cible est encore et toujours le
visage de Gia et la flèche, son poing de boxeur poids lourd. Gia esquive le coup avec
maestria et se permet même de rajouter une petite poussée sur le flanc dans le
retrait du buste (ou son replacement).
Sofrane part en déséquilibre pour quelques pas de côté.
Gia semble retrouver ses sensations. Il sautille, joue de ses jambes comme sur le
ring, se permet même une grimace provocatrice digne de l’égo d’un Ali ! « Oooh… je
suis trop fort » semble-t-il vouloir dire.
Mohedine n’en est plus à sourire mais à rire ! Les autres autour s’ils n’en sont pas
rendus là, ont tout de même l’air amusé…
Sofrane en bout de course se redresse. De dos, il prend du temps de récupération.
Inspire (la levée/montée des épaules le trahit !). Il se retourne et la frustration qu’il
ressent est évidente : voir sa mine contrariée.
142
Toujours dans un style brouillon, il se jette sur Gia et envoie une série de coups
(crochets) désordonnés que,
Gia évite tous avec un art consommé, très technique et en un sens esthétique, de
l’esquive.
Sofrane se fait cueillir sur un contre par « l’artiste » : un direct qui lui arrive au foie.
Il se « casse » (« plie ») en deux, est vite redressé par l’uppercut enchaîné à un
crochet (direct ?) en plein visage.
Mohedine est déchaîné. Il vit à un degré d’intensité supérieur le combat, boxe dans
le vide un adversaire imaginaire. Mais il n’est plus le seul ! Les autres spectateurs s’y
mettent aussi, rentrent dans le jeu des encouragements démonstratifs, les poings
fermés serrés et boxe tous azimuts. Les derniers supporters du caïd sont en
panique.
C’est une renaissance ! Tous les coups de Gia arrivent !
Et Sofrane soûlé de coups recule mais ne rompt pas.
Gia y met tout ce qu’il a encore en réserve.
INSERTS FLASH-BACK
sur THÈME MUSICAL EXTRAIT B.O.F « REQUIEM FOR A DREAM »
succession rapide d’images déjà vues dans le film où l’on voit Gia en compagnie de
son couple d’amis, Nadia et Karim, si plein de vie !
EXT – IMMEUBLE GIA : EN BAS - JOUR
SUITE THÈME MUSICAL EXTRAIT B.O.F « REQUIEM FOR A DREAM »
Retour sur Sofrane. Les coups pleuvent, travail de destruction en règle toujours
orchestré de poing de maître par Gia. Les jambes reculent, il est k.o debout quand,
Gia, dans UN CRI VENU D’AILLEURS, arme loin en arrière son coup final. Son
poing vengeur,
prend la direction du visage « explosé » de Sofrane.
Tous les autres sont suspendus à l’issue de ce combat. Même le temps semble figé.
Le coup atteint son objectif : arriver directement sur la pommette déjà ouverte. Le
sang gicle et Sofrane part en vol plané arrière - SILENCE BLANC - Sous lui, on
découvre le vide.
Gia avance d’un pas ou deux. Il est au bord de la corniche. Il regarde en bas.
Sofrane continue de tomber dans le vide, tétanisé de terreur.
143
Gia ne quitte pas Sofrane des yeux jusqu’au SON SOURD ET LOURD DU CORPS
RENTRÉ EN CONTACT AVEC LE SOL. L’impact visuel fait à peine ciller ses
paupières si gonflées qu’elles lui ferment presque les yeux.
Il se détourne de la corniche et s’éloigne d’une démarche au déhanché fatigué. Il
passe devant la lignée de lascars orphelins de leur chef et sur son passage, pose la
main sur l’épaule de Mohedine pour l’emmener avec lui.
INT - APPART GIA : CHAMBRE GIA - JOUR
« Suractif », Gia, qui a changé de vêtements (et porte un bonnet sur sa tête, bas sur
les yeux), lavé le sang sur son visage, remplit nerveusement de (linge de re)changes
son fameux sac de sport. Il s’empare de plusieurs boîtiers cd et k7 audio (bandes
démo) qu’il rajoute au contenu. Il quitte la chambre dans la même énergie, le même
empressement.
INT - APPART GIA : COULOIR - JOUR
Gia toujours aussi speed dans le couloir. Il s’arrête devant l’entrée du salon.
INT - APPART GIA : SALON – JOUR
Mr Gianelli est assis dans son fauteuil devant la télé. Au programme, un jeu télévisé
débile.
L’œil vitreux, l’air hagard, il tient une bouteille de vin rouge au ¾ vide dans sa main
droite.
En train de cuver qu’il est, il ne voit pas que son fils est dans son dos, en train de
l’observer debout dans l’encadrement de l’entrée.
INT - APPART GIA : COULOIR – JOUR
Gia baisse les yeux, la tête et part dans le couloir.
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INT - APPART GIA : VESTIBULE - JOUR
Gia sort de sa poche revolver une lettre qu’il dépose sur le meuble dans l’entrée. Il
se rapproche de la porte, la main sur la poignée, regarde l’endroit comme pour s’en
imprégner une dernière fois.
Il ouvre, sort. On reste sur la porte qui se referme…
INT - APPART MISTER O : VESTIBULE / HALL D’ENTRÉE - JOUR
…s’ouvre sur Gia, qui n’attend pas pour rentrer. Mister O a à peine le temps de
marquer son étonnement à la vue du visage cabossé que Gia le « passe » en sur
régime et fonce dans le couloir.
INT - APPART MISTER O : SALON - JOUR
Derek, Alistair, Zyno sont assis dans des fauteuils. Zyno stoppe net la discussion
quand il voit Gia pour l’instant hors champ. Il bondit sur ses jambes.
ZYNO
Merde, Gia !
(Derek et Alistair se retournent)
Qu’est-ce qu’i t’es arrivé ?
(N.A : ne pas oublier qu’ils découvrent aussi le crâne rasé de Gia)
Les deux autres se lèvent à leur tour d’un bond et avec Zyno viennent sur Gia.
DEREK
Wouah !
ALISTAIR
Oh la la mon pote, c’est quoi ça !
ZYNO
Qui t’as fait ça ?
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Gia passe entre eux pour rejoindre le centre de la pièce. Il est en effervescence.
GIA
J’ai pas l’temps d’vous expliquer. Sofrane est
mort.
Mister O reçoit la fin de sa phrase en même temps qu’il rejoint le groupe. Il relève les
yeux pour les fixer sur Gia.
DEREK
T’es sérieux ?
Gia sort une lettre pliée de la poche de son mutek.
GIA
Nadia avait laissé ça
(il la tend encore pliée à Zyno)
dans ma boîte aux lettres avant…
(sa gorge se noue)
Zyno fait une drôle de tête en acceptant la feuille de papier, qu’il déplie prestement. Il
lit avec Derek et Alistair collés à lui. Mister O, tendu, observe Gia du coin de l’œil.
Gia tourne les yeux vers Mister O.
O prend soin de détourner les siens. Zyno relève la tête alors que Derek et Alistair
continuent de lire.
ZYNO
(d’une voix fébrile)
Elle est…
Derek et Alistair lèvent les yeux en même temps pour les suspendre aux lèvres et à
la réponse de Gia.
Gia fixe Zyno, soutient son regard sans rien prononcer. Et pourtant…
Les larmes envahissent les yeux de Zyno, la lettre tremble entre ses mains. Derek
s’écarte, recule, les deux mains sur la tête, se retourne et part finalement dans un
coin de la pièce. Alistair est encore en questionnement. Il se tourne vers Mister O,
qui réagit pareil à un signal.
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MISTER O
(s’adressant à Gia avec un début
de panique qui sonne faux dans
la voix)
Attends, non. Où est Nadia ? Pourquoi elle
n’est pas là avec nous ce soir ?
ALISTAIR
(sans conviction)
Elle va arriver… ?
Gia regarde Derek.
Isolé dans un coin de la pièce, Derek, de dos, garde les mains sur sa tête, silencieux.
Gia détourne son attention. Dans sa rotation, son regard porte un court instant sur…
Zyno toujours submergé par l’émotion, pleurant à chaudes larmes. Il tend la lettre à
Gia.
GIA
(à Alistair sur un ton direct)
Non…
Mister O l’arrache de la main faible de Zyno. Il se plonge dans une lecture soucieuse.
Actant avec talent, il se décompose au bout de quelques lignes, pendant qu’Alistair
recule et sonné, s’effondre dans le fauteuil le plus proche pour y rester immobile les
yeux dans le vide.
Mister O redresse la tête, fait monter l’émotion : ses yeux s’embuent de larmes et
D’UNE VOIX APHONE, SES LÈVRES BALBUTIENT.
MISTER O
Non… non…
C’en est trop pour Gia qui prend Mister O dans ses bras et attire Zyno à eux.
Zyno, sans repère, un enfant perdu, se laisse entraîner.
Gia serre leurs deux têtes sur son poitrail avec toute la force de leur peine associée :
SANGLOTS ÉTOUFFÉS, sincères chez Zyno, simulés à la Mister O.
Alistair dans son fauteuil, est toujours figé corps/regard. Dans le coin de la pièce,
Derek (de dos) s’est rapproché du sol : il est maintenant accroupi, en face à face
avec le mur.
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FONDU AU NOIR
BREF ÉCRAN NOIR
FONDU D’OUVERTURE RAPIDE
INT - APPART MISTER O : SALON - SOIR
GIA
(assis en avant dans un des
fauteuils)
J’aimerais que vous vous occupiez d’mon
père en mon absence.
FERMETURE CUT ou FONDU AU NOIR TRÈS RAPIDE
OUVERTURE INSTANTANÉE sur Derek, assis en avant d’un des fauteuils, l’air
maussade.
GIA
(off)
De Moulé. Je serai pas là pour veiller sur lui.
FERMETURE RAPIDE
COURT ÉCRAN NOIR
OUVERTURE RAPIDE sur Alistair, assis en avant dans un autre fauteuil, visage de
circonstance.
GIA
(off)
Pour l’enterrement, voilà…
(Alistair baisse les yeux).
C’est tout ce que j’ai pu sortir.
FERMETURE RAPIDE
COURT ÉCRAN NOIR
OUVERTURE RAPIDE sur Zyno (même posture, même attitude que les 2 autres)
148
GIA
(off)
Il faut que j’garde un peu d’argent pour le
voyage et une fois sur place.
FERMETURE RAPIDE
COURT ÉCRAN NOIR
OUVERTURE RAPIDE sur Mister O – debout en appui contre un meuble. La tête
baissée, occupé à « rouler ».
GIA
(off)
Désolé de n’pas pouvoir faire plus. Mais si je
reste je suis mort.
Gia toujours assis, massif.
GIA
Mh
(détournant la tête sur le côté)
je suis déjà mort.
(regard dans le vide)
MISTER O
(off)
Gia le fataliste.
Le TON étonnement CYNIQUE employé par O, « ramène » Gia dans la pièce, ainsi
que les trois blacks, visages surpris, retournés vers le plus longiligne d’entre eux.
Dans une succession de gestes précis, Mister O humecte le clope sur sa longueur, le
fait tourner entre ses doigts, le porte à son « bec » et L’ALLUME AU BRIQUET.
Limite arrogant sur la première bouffée.
INT - APPART MISTER O : VESTIBULE – SOIR
À touche-touche dans l’étroitesse du vestibule, Gia prend congé de ses amis : Derek,
Alistair, Zyno, Mister O
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Il enquille trois accolades viriles en guise d’adieu et se tourne vers la porte où Mister
O est posté de profil. Ils restent les yeux dans les yeux jusqu’à ce que…
Gia provoque la même accolade. Plus longue que les précédentes, il y met un terme
et reprend son sac posé à ses pieds. La main posée sur le loquet d’ouverture de la
porte, il s’adresse d’une voix calme à Mister O.
GIA
Je te contacte (dès que j’) arrive(é) là-bas.
Tu donneras de mes nouvelles aux autres.
MISTER O
T’es sûr de c’que tu fais ? Y-a pas moyen
que tu r’viennes sur ta décision ?
Le silence et le doux déni de la tête de Gia en guise de réponse. Un dernier regard d’au
revoir à ses trois niggas. Il ouvre la porte – dans le passage, Mister O ne fait pas le geste
pour le retenir - et sort.
MISTER O
(J’t’en prie) Réfléchis.
La porte se referme, tirée de l’extérieur.
FONDU AU NOIR
SILENCE BLANC SUR L’ÉCRAN NOIR
FIN DE LA PREMIÈRE PARTIE
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