ELLE COURT, ELLE COURT LA RUMEUR Les nuages se

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ELLE COURT, ELLE COURT LA RUMEUR Les nuages se
ELLE COURT, ELLE COURT LA RUMEUR
Les nuages se montraient menaçants et ni Célia ni Euzane n’avaient pensé à
prendre un parapluie pour se rendre au cinéma. La queue était imposante et la
séance ne commençait que dans vingt minutes. Que feraient-elles si c’était
complet ? Vite, vite, que la caissière se dépêche sinon elles allaient être trempées,
une goutte venait de s’écraser sur le verre de lunettes de Célia. C’est Euzane qui
avait eu l’idée de cette sortie, son amie n’avait pas le moral depuis quelques mois.
En effet elle traversait une mauvaise passe professionnelle, un conflit personnel
avec un supérieur hiérarchique qui avait fini par s’étendre à toute l’équipe. Célia
était cadre dans une grande entreprise, elle était chargée d’un projet d’envergure
par sa direction générale, livrer clé en main une usine de produits chimiques dans
un pays en voie de développement. C’était pour elle une promotion mais très vite
elle avait du déchanter. Un des directeurs adjoints du staff de la firme avait visé ce
poste pour un de ses « protégés » et son machisme n’avait pas supporté que ce soit
une femme qui soit à la tête de cette mission. Rapidement il lui mit des bâtons
dans les roues et les coups bas fusèrent. Au point que la direction se mit à douter
sérieusement des compétences de Célia et commençait à parler de son
remplacement. Disqualifiée, humiliée et trahie à longueur de temps ses nerfs
craquaient. Heureusement son amie avait su voir sa détresse et cette invitation au
cinéma était un bol d’air salvateur dans toute cette tourmente. Elle avait réussi
également à convaincre Célia de ne pas renoncer à ce boulot, elle était encore
assez motivée pour battre jusqu’au bout. Elle avait trop sacrifié sur le plan
personnel pour capituler devant ce directeur adjoint aux méthodes déloyales. Elle
avait maintenant accumulé assez de preuves pour prouver son petit jeu malsain, sa
direction ne pourrait rester insensible aux arguments contenus dans son dossier
qui se montrait explosif. Si Célia voulait, Euzane pourrait lui conseiller l’adresse
d’un bon avocat. En attendant place à la détente. Petite précision, Euzane était
adjoint administratif dans le service de Célia mais ne travaillait pas directement
avec elle. Leur amitié datait de bien avant.
La file avançait lentement et la pluie se mit à dégringoler brutalement. Devant
cette météo peu clémente, tout le monde fut autorisé à stationner dans le hall avec
ou sans billet. Les deux amies ne se parlaient pas, chacune était dans ses pensées.
Aussi aucune d’elle ne vit foncer, tel un aigle sur sa proie, la sulfureuse Diane,
secrétaire mais surtout maîtresse en titre de l’ennemi juré de Célia.
« Bonjour Célia ! Quelle agréable surprise ! Je vois que vous ne vous ennuyez
pas. Vous n’aviez pas des dossiers à travailler ce week-end ?
- Bonjour Diane. L’organisation de ma vie personnelle ne vous regarde pas.
- Oh la la ! Pourquoi montez vous sur vos grands chevaux ? Quelle agressivité !
Mon boss a raison de dire que vous ne savez pas contrôler vos…
- Je n’ai pas envie de vous entendre sur ce sujet. Vous oubliez où nous sommes.
Au revoir Diane et bonne fin de journée.
- Ce que vous êtes désagréable ! On ne peut rien vous dire. Vous prenez la
mouche et votre impulsivité vous joue des tours. Arrêtez de projeter sur les
autres…
- On y va Euzane sinon on va rater le début du film ! »
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Les trottoirs étaient trempés et glissants. La pluie avait cessé durant la séance. Ni
l’une ni l’autre n’avaient envie de se quitter maintenant. Elles avaient besoin de
commenter l’effraction de Diane dans leur intimité. Il était clair que langue de
vipère comme elle était tout le service serait au courant de cette rencontre
informelle dès le lendemain. Le pub qui jouxtait le cinéma ferait très bien
l’affaire. Elles s’y précipitèrent avant qu’une autre averse ne se déclare.
« Alors ce film qu’en as-tu pensé ?
- Tu sais Euzane je n’ai pas trop eu la tête à ça. Pour tout te dire l’altercation avec
Diane m’a contrariée, je connais cette commère. Elle a un pouvoir de nuisance
considérable dans l’entreprise, personne n’ose se la mettre à dos car elle va se
répandre illico presto auprès de la direction à ton sujet. Du coup chacun préfère
abonder dans son sens que de la contredire.
- De quoi as-tu peur exactement avec elle ? Ta réputation est déjà faite, je ne vois
pas très bien quel mal de plus elle peut te faire.
- Elle a l’imagination très fertile, elle est capable d’inventer n’importe quoi pour
te détruire. Pour salir la réputation de quelqu’un elle est la plus forte.
- Qu’as-tu à te reprocher professionnellement ?
- Rien sinon il y a longtemps que j’aurais été licenciée pour faute. Comment te
dire ? J’ai trouvé son ton narquois avec moi, j’ai eu l’impression que de nous voir
toutes les deux ensemble avait eu l’air de la mettre en transe. Elle ne t’a pas saluée
alors qu’elle te connaissait, elle a nié ta présence.
- Si tu savais comme je m’en moque.
- Non Euzane ne sous-estime Diane. C’est une dangereuse manipulatrice, je l’ai
vue à l’œuvre.
- Tu traverses une mauvaise passe Célia. Je ne veux pas te blesser mais pour être
honnête avec toi je te découvre un peu parano. Où est l’amie solide et sure d’elle
que je connais ?
- Je ne tiens pas à me disputer avec toi Euzane mais mon instinct me trompe
rarement. Je pressens un danger et je regrette de t’avoir entraîné là dedans.
- Est-ce que tu vois un psy ?
- Mais non je ne suis pas folle. Crois-moi ! C’est horrible que tu puisses ainsi
douter de mes paroles. Si même mes amies me lâchent que vais-je devenir ?
- Calme-toi Célia ! Nous n’allons pas nous disputer pour Diane. J’ai eu ma dose
avec mon ex mari au moment de mon divorce. Discutons d’autre chose si tu
veux ? Je suis maladroite avec toi mais j’ai tellement envie de t’aider.
- Tu as raison. Changeons de sujet ! Nous aurons bien assez le temps d’en débattre
si la catastrophe s’abat sur nous. Et si nous cassions une petite croûte, j’ai faim
pas toi ? »
Quand elles se croisèrent le lundi matin dans les couloirs de l’entreprise, les deux
femmes s’ignorèrent. Il faut dire que la matinée avait mal commencé pour Célia.
Elle était convoquée par la direction au sujet de sa mission, le bruit courait qu’elle
allait être remerciée sans ménagement, le « protégé » du directeur adjoint avait
déjà reçu sa nomination. Célia n’avait pas l’intention de rendre les armes aussi
facilement, ils voulaient la guerre ils l’auraient. Elle avait quatre jours pour
préparer son entretien, son dossier était bouclé depuis longtemps, il ne lui restait
qu’à peaufiner les derniers détails. Dans sa logique stratégique, elle continuerait à
mener à bien toutes ses activités professionnelles, elle ne voulait pas être accusée
de fautes ou de négligences. Rester concentrée et motivée. Un mental d’acier,
c’est à cela qu’on reconnaît les gagnants. Célia n’était pas une looser ! Elle n’avait
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aucun déplacement prévu cette semaine, elle en profiterait également pour soigner
ses relations avec ses collègues. Dans ce genre de situation il est essentiel de ne
pas être isolée. Le soutien du groupe, même superficiel peut s’avérer dans ce type
d’épreuve primordial pour ne pas sombrer si jamais le déchaînement hiérarchique
vire au harcèlement. Elle aurait juste à éviter Diane et le tour serait joué. A midi
elle inviterait ses collaborateurs à déjeuner à la pizzeria d’à côté histoire de souder
l’équipe et de montrer qu’elle était jusqu’à nouvel ordre encore le boss sur
l’affaire. A ses propres frais bien sur, pas question d’être accusée d’abus de biens
sociaux. Il faudrait qu’elle pense à soigner sa parano une fois l’histoire terminée,
être sans cesse sur ses gardes et voir le mal partout, c’était trop pour sa nature
confiante. Euzane avait eu quelque part un peu raison de le lui faire remarquer.
Seul les véritables amis peuvent vous parler aussi sincèrement. Au lieu d’appeler
sa secrétaire pour qu’elle réserve une table et lance les invitations auprès des uns
et des autres, elle opta pour une petite visite conviviale. Elle aussi serait de la fête,
elle ferait basculer les appels sur le standard. Sauf urgence, elle était joignable sur
son portable. D’habitude si bavarde sa secrétaire était plutôt mutique ce matin là.
Mauvaise nuit ? Week-end horrible ? Problèmes perso ? Célia très
diplomatiquement lui fit remarquer son changement d’humeur. Le malaise au lieu
de se dissoudre s’accentua.
« Je ne peux pas manger avec vous ce midi je ne suis pas libre. J’aimerais mieux
que vous organisiez vous-même cette petite incartade.
- Qu’est-ce qui ne va pas ? Vous avez reçu des ordres de la direction ?
- Non pas du tout. C’est que… Enfin je préfère que nous cessions tout rapport un
peu personnel.
- J’ai du louper un épisode, je ne comprends rien de rien. Ai-je dis quelque chose
qui vous a blessé ?
- Non. Laissez-moi tranquille ! Tenons nous en au travail et ce sera très bien pour
nous deux.
- Les rats quittent le navire à ce que je vois. Sachez que ma succession n’est pas
encore pour demain ! Vous êtes ma secrétaire et je vous ordonne de réserver une
table au restaurant ainsi que de joindre tous mes collaborateurs pour les en
informer. Ne m’obligez pas à rédiger un rapport défavorable sur vous.
- Bien madame. J’avais été prévenue de votre réaction. Je vous perçois aigrie et
vous abusez de votre pouvoir pour me contraindre à ce que je ne veux pas.
- Vous obéissez ! Si vous refusez je vous préviens que cela se terminera à la
direction.
- Et bien allez-y et moi je dirai tout ce que je sais !
- Et vous savez quoi ?
- Vous le savez mieux que moi. Vous ne voulez pas en plus que je vous
fasse un dessin ?
- Mais vous déraillez totalement ma pauvre ? C’est quoi tous ces
mystères ? Que devrais je connaître que j’ignore entièrement ?
- En plus vous faites l’innocente ! Vous me prenez de haut parce que vous
êtes cadre et que je suis votre secrétaire. Mais question moralité je vaux bien
mieux que vous.
- Vous devenez de plus en plus hermétique, je ne comprends pas un traître
mot à vos affabulations. Qu’est-ce que la morale vient faire là-dedans ? Vous êtes
en train de vous monter la tête toute seule. Par le passé jamais vous ne m’aviez
tenu ce genre de discours quand je vous demandais la même chose. Vous avez été
menacée, vous avez subi des pressions ?
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- C’est vous qui vous fabriquez tout un roman. Cela n’a rien à voir avec le boulot.
Vous détournez la conversation. Pourquoi niez-vous les évidences ?
- Mais quelles évi… ? »
Son téléphone portable vibrait. Elle s’en saisit et décrocha. Au son de la voix et à
l’angoisse qui émergeait, Célia stoppa net la dispute d’un coup de main. Elle partit
s’enfermer dans son bureau.
« Oh la salope ! C’est quoi ce délire ? Calme-toi Euzane, ce n’est pas si
dramatique. Elle a voulu te déstabiliser mais elle n’a aucun pouvoir pour mettre
son chantage à exécution.
- Elle a menacé de prévenir mon ex-mari afin qu’il me retire la garde de mes
enfants.
- Mais d’où la comptable tient-elle ces infos ? J’ai eu le même cirque tout à
l’heure avec ma secrétaire, elle était sibylline mais tout s’éclaire maintenant. Elle
devait se référer à cette rumeur. Ils se sont tous auto proclamés détenteurs de la
morale, ils jouent les petits pères la pudeur et crient au scandale.
- Non mais tu t’imagines toi et moi en train de nous envoyer en l’air devant mes
gosses ! Deux dépravées abreuvées de sexe. Qui peut avoir l’esprit assez dérangé
pour raconter une telle horreur ?
- Ne va pas chercher plus loin c’est Diane ! De nous avoir vu ensemble hier l’a
excitée. C’est une homo refoulée cette bonne femme. Elle est complètement
toxique. Je vais aller lui toucher deux mots.
- Surtout pas, c’est ce qu’elle veut. Elle n’attend que ça et te fera passer pour une
perverse dangereuse.
- Elle va répandre et distiller son venin c’est ça que tu veux ?
- Non. Mais cela ne va rien arranger si elle passe pour une martyre et une victime.
- Je ne peux pas la laisser te salir comme ça. Je vais faire mon coming out et
prendre toutes les responsabilités à mon compte, dire que j’ai inventé tout ça parce
que tu te refusais à moi.
- Ton orientation sexuelle ne regarde personne. Tu es lesbienne et alors ? Cela n’a
aucune incidence sur tes compétences et ce qui est privé doit rester privé.
- Cela va trop loin. Diane s’en prend à tes enfants, elle n’a pas le droit de les
démolir parce qu’elle me hait.
- Elle est lâche et hypocrite, que veux-tu ?
- Je vais réfléchir à une contre-attaque. Je te rappelle. Mais je t’en prie, évite de
penser au pire. Ton ex aura besoin de preuves pour te retirer tes enfants, on ne
manipule pas les juges comme ça. Etre lesbienne n’est pas un crime que je
sache ! »
Célia dut se retenir pour ne pas hurler et trouver Diane pour lui casser la figure.
Cette garce l’avait touchée là où ça faisait le plus mal, son amitié avec Euzane.
Son amie était hétéro et elle en crevait d’amour pour elle depuis des lustres. Elle
savait que jamais il n’y aurait rien et une amitié était préférable au néant. Avec
cette rumeur, Diane l’atteignait en plein cœur. Qu’Euzane se doute ou non de ses
émotions pour elle, elle devrait s’éloigner de Célia afin de protéger sa progéniture.
Elle court, elle court la rumeur…
Et bien elle allait courir et vite.
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Célia convoqua sa secrétaire dans son bureau.
« Je suis désolée pour tout à l’heure je ne voulais pas vous agresser. Mais j’ai des
soucis en ce moment.
- Professionnels ?
- Personnels !
- Ah bon ? fit la secrétaire friande de ragots à colporter.
- Vous savez garder un secret ?
- Une vraie tombe, vous pouvez avoir toute confiance en moi.
- Et bien voilà Diane me harcèle pour que je couche avec elle. Elle cherche une
femme pour partager le lit de son amant. Le triolisme les excite, que vous voulez
vous il y en a qui aiment ! Depuis des mois elle exerce sur moi un chantage : mon
poste contre une partie fine à trois. Lui évidemment ne veut pas se salir les mains,
il lui laisse toute la sale besogne. J’ai refusé, je ne suis pas un objet sexuel. Son
amant, vous savez de qui je veux parler, est depuis dans une colère folle. Il
n’admet pas qu’on puisse ne pas partager ses fantasmes. Guidé par ses pulsions et
son émotivité incontrôlable, ce psychopathe a utilisé de son pouvoir pour me
licencier. Il a pris pour prétexte ma supposée incompétence sur cette mission pour
mettre en place son « protégé » mais la vérité est toute autre. Inavouable pour
ainsi dire. Comme je m’accroche à mon poste et qu’en plus je me refuse à eux,
Diane est revenue à la charge ce matin. Ils ont imaginé qu’en me faisant passer
pour une lesbienne, détraquée sexuelle de surcroît, ils m’obligeraient à fléchir.
C’est mal me connaître. Tout ce qu’ils obtiennent pour l’instant, c’est de détruire
psychiquement une pauvre mère de famille, qui risque de perdre la garde de ses
enfants. C’est d’une lâcheté inconcevable. C’est tombé sur Euzane mais ça aurait
pu arriver à n’importe qui. Il suffit qu’une femme me parle et c’est ma maîtresse
attitrée !
- Mon Dieu ! Mais c’est dégoûtant ! Vous avez eu raison de refuser. Elle se prend
pour qui ? Elle cache bien son jeu Diane. Quelle vicieuse ! Elle a profité de votre
vulnérabilité pour vous faire des propositions indécentes et s’en prend à une
innocente. Elle prend les gens pour des imbéciles ou quoi ? Il n’y a pas que vous
qu’elle manipule, nous aussi. C’est Euzane qui a tout pris mais ça aurait pu être
moi si elle n’avait eu personne d’autre à se mettre sous la main. On doit se serrer
les coudes entre mères de famille divorcées. Diane va apprendre ce qu’est la
solidarité féminine. Je n’ai jamais pu la sentir avec ses airs supérieurs. Ce n’est
pas parce qu’elle couche avec un ponte qu’elle a tous les droits. Et moi qui vous
enfonçais la tête dans l’eau tout à l’heure. Vous acceptez mes excuses ? Vous
étiez dans la détresse et je ne le voyais pas. Professionnellement je vous apprécie
énormément, c’est un plaisir que de travailler pour vous.
- Vous gardez tout ça pour vous. Je ne veux pas que ça se sache dans l’entreprise.
Je n’ai pas encore pris ma décision mais je ne veux pas qu’Euzane pour mon
différend avec le directeur adjoint. Je préfère plutôt démissionner que de séparer
une mère de ses gosses. Il y a des valeurs sacrées auxquelles on ne touche pas !
- Vous pouvez compter sur mon silence. Je partage entièrement votre opinion sur
la famille. C’est indigne de s’en prendre à ces petits. Il n’y a pas de mots pour
qualifier cette bassesse. Vous voulez toujours inviter vos collaborateurs au
restaurant, je m’en charge ?
- Non je n’ai plus le cœur à la fête. Je me sens tellement coupable de ce qui arrive
à Euzane.
- Ne vous rendez pas malades pour eux, ils n’en valent pas la peine !
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- C’est plus facile à dire qu’à faire !
- Je vais vous préparer un petit café. J’ai mis le carton que vous m’avez demandé
sur votre bureau. Plongez-vous dans le travail, je m’occupe du reste.
- Merci. C’est un soulagement que d’avoir eu votre écoute attentive !
- Il n’y a pas de quoi. Je suis soufflée par votre mésaventure. On s’imagine
connaître ses collègues et en fait on s’aperçoit qu’ils restent des étrangers. »
Célia avait faim. Elle avait annoté tous les documents de la pochette, encore un
dossier de terminé. Un coup d’œil furtif à sa montre il était déjà l’heure de
déjeuner. Des bruits de voix s’élevaient dans le secrétariat. Qui venait y taper un
scandale ?
« Non Diane, vous ne pouvez pas la déranger ! Elle est en conférence.
- Tu ne me traites pas en vulgaire péquin la morue, le barrage je pratique tous les
jours. Je veux lui parler à cette salope.
- Vous surveillez votre langage ou bien j’appelle la sécurité. Vous n’avez aucun
droit pour m’insulter. Vous faites moins la fière depuis que tout votre petit jeu
malsain a été déballé en public.
- Ce ramassis d’immondices que cette salope répand partout. Qu’elle me le dise en
face au lieu de se servir de toutes les mal baisées du secteur pour le colporter.
- Entrez Diane, vous êtes en train de vous ridiculiser ! Une chance pour vous, ça
ne tue pas…
- J’appelle les vigiles ?
- Nous allons essayer de nous comporter en adultes. Si vous entendez des
hurlements, n’hésitez pas. Je laisse la porte entrouverte de toute façon.
- Espèce de…
- On se calme ou je refuse de discuter avec vous ?
- D’accord mais à une condition…
- Vous n’êtes plus en état de mettre vos conditions ! Entrez ! »
Célia laissa un entrebâillement, Diane pouvait à tout instant se jeter sur elle et la
blesser sérieusement. Ce n’était plus Diane chasseresse mais Diane tigresse, la
prudence était de mise.
« Tu te prends pour qui la gouinasse…
- Je vous prierai d’en rester avec moi au vouvoiement. Je suis cadre, vous êtes
secrétaire, je vous respecte, vous me respectez.
- Vous vous prenez pour qui la gouinasse…
- Une insulte de plus et vous dégagez de ce bureau !
- Non mais écoutez-moi celle-là ! Elle me traîne dans la boue et je dois la
respecter et lui parler poliment !
- Vous lancez vos piques et elles vous reviennent en boomerang ! Joli retour du
refoulé !
- Vous non plus ne m’insultez pas ! Je ne suis pas une refoulée !
- J’ai dit « joli retour du refoulé ». En psychanalyse, le refoulé est une formation
de l'inconscient et le retour du refoulé, l'accession à cet inconscient par divers
moyens : actes manqués, lapsus, répétition, passage à l'acte...
- Je ne comprends pas où vous voulez en venir !
- Ne faites pas l’idiote ! Hier vous me voyez avec Euzane au cinéma et ce matin
une rumeur malveillante court sur notre compte. Vous ne faites toujours pas le
lien ?
- Et alors vous êtes bien lesbienne non ?
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- Si ce que vous dites sur moi est vrai alors ce qui ce qui se raconte sur votre
compte l’est aussi.
- C’est faux, c’est du n’importe quoi !
- Elle court, elle court la rumeur. Vraie ou fausse on s’en moque. Chacun y a
projeté ses fantasmes, la vérité n’a aucune importance. Vous avez voulu me nuire
mais si vous y regardez de plus près, je ne suis pas la plus perdante. Mon départ
accréditera la rumeur, vous devrez affronter les regards moqueurs. Ce que chacun
retiendra c’est que c’est vous qui avez parlé d’homosexualité pour Euzane alors
qu’aucun fait ne l’étayait. Que vous vous défendiez de ces accusations ou que
vous les laissiez courir, le résultat sera le même : joli retour du refoulé, vous
n’assumez pas votre propre lesbianisme.
- Mais vous délirez Célia ! Votre psychologie de bazar ne m’impressionne pas.
Plus hétéro que moi, il n’y a pas alors que vous, ça ne trompe personne que vous
aimez les femmes.
- Soit ! Mais il n’y a que vous que ça dérange pour en être obsédée de la sorte.
Avant vous, qui s’en préoccupait ? D’ailleurs si la rumeur s’est retournée contre
vous, c’est peut-être que le scoop n’en était pas un pour eux. Alors que pour vous,
la révélation a été fulgurante… et croustillante. Je me moque éperdument de ce
que vous pensez de ma sexualité, l’entreprise m’a embauchée sur d’autres critères.
Et ma vie affective n’interfère en rien sur mes compétences ou ma disponibilité
pour la boite. Alors où est le problème ? Dites-moi !
- Je déteste votre mauvaise foi, vous interprétez tout de travers, on ne peut pas
discuter sérieusement avec vous.
- Je vous retourne le compliment. Si nous n’avons plus rien à nous dire je vais
manger. »
Célia attendait fébrilement dans le couloir de la direction. L’entretien venait
d’avoir lieu et le conseil d’administration délibérait sur son compte. Elle avait
exposé brillamment tous les points de sa mission qui s’était achevée avant l’heure.
Ses partenaires avaient été enthousiasmés par son projet et les enjeux
économiques les avaient stimulés. L’argent à la clé était très motivant. Une porte
s’ouvrit, elle fut invitée à entrer.
« Les bénéfices qui vont être dégagés seront colossaux. Nous ne regrettons pas de
vous avoir nommée à ce poste. Vous êtes digne de notre confiance. Nous avons
pensé à vous pour une autre…
- Excusez-moi de vous couper la parole, monsieur le Directeur Général, je
démissionne. Je ne peux plus rester.
- Nous sommes au courant de vos déboires et toutes les dispositions ont été prises
pour que ça ne se renouvelle pas. Notre directeur adjoint nous quitte, sa secrétaire
le suivra. Nous présenterons à l’assemblée générale les résultats à nos
actionnaires, l’action a doublé en trois mois. On ne change pas une équipe qui
gagne !
- La rumeur dit que …
- On sait ce qu’elle dit. Notre entreprise a été touchée il y a quelques années par
une rumeur d’empoisonnement chimique de terres cultivables dans un pays du
tiers monde. Nous avons été à deux doigts du dépôt de bilan. Ce que vous ignoriez
c’est que vous avez été embauchée pour redorer notre image et vous avez été audelà de nos espérances dans le résultat escompté. L’opération a dégagé des profits,
nous n’en attendions pas tant. Alors vous nous quittez ? »
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Célia sortit avec un sourire triomphant.
Elle court, elle court la rumeur.
Demain c’est promis, elle ferait son coming out.
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