Stratégies multinationales et trafic de perfectionnement passif entre l

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Stratégies multinationales et trafic de perfectionnement passif entre l
Giovanni Balcet
Giampaolo Vitali
Stratégies multinationales et trafic de perfectionnement passif
entre l'Italie et les pays d'Europe centrale et orientale : le cas du
textile-habillement
In: Revue d’études comparatives Est-Ouest. Volume 32, 2001, N°2. Dossier: Union européenne: sous-traiter en
Europe de l'Est. pp. 51-70.
Abstract
Among the most significant changes in the pattern of Italian foreign direct investments during the 1990s were : the growing role of
traditional industries and the tendency for such investments to be made in Central and Eastern Europe. As a consequence, the
internationalization of Italian firms tends to correspond to trade patterns, highly concentrated in traditional sectors and in
mechanical engineering. Fast- growing medium-sized companies and groups, usually family-owned, have become the new actors
in this phase of international expansion. The textile and clothing industry illustrates this new trend. The relation between the
international expansion of Italian firms in the CEECs, as expressed by turnover and employment in their foreign affiliates, is
analyzed along with the creation of foreign trade and outward processing trade in this zone. The impact of industrial
redeployment on business and employment in Italy, as well as related policy issues, come under discussion.
Résumé
Parmi les changements les plus significatifs de l'investissement direct étranger italien au cours des années 1990, soulignons le
rôle croissant des industries traditionnelles et la réorientation des IDE vers l'Europe centrale et orientale. En conséquence,
l'internationalisation des firmes italiennes tend à correspondre à la structure des échanges commerciaux, fortement concentrés
dans les secteurs traditionnels et la construction mécanique spécialisée. Des sociétés et des groupes d'entreprises de taille
moyenne en rapide croissance, appartenant généralement à une famille, sont devenus les nouveaux acteurs de cette phase
d'expansion internationale. La branche du textile-habillement est un bon exemple de cette tendance nouvelle. La relation entre la
croissance internationale des firmes italiennes dans les PECO, reflétée par le chiffre d'affaires et les effectifs employés dans
leurs filiales à l'étranger, est analysée de même que l'effet de création de commerce extérieur et de trafic de perfectionnement
passif dans cette région. L'impact du redéploiement industriel sur l'activité et l'emploi en Italie, ainsi que les questions de
stratégie économique afférentes, sont analysés.
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Balcet Giovanni, Vitali Giampaolo. Stratégies multinationales et trafic de perfectionnement passif entre l'Italie et les pays
d'Europe centrale et orientale : le cas du textile-habillement. In: Revue d’études comparatives Est-Ouest. Volume 32, 2001, N°2.
Dossier: Union européenne: sous-traiter en Europe de l'Est. pp. 51-70.
doi : 10.3406/receo.2001.3086
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/receo_0338-0599_2001_num_32_2_3086
SI
Revue d'études comparatives Est-Ouest, 2001, vol. 32, n° 2, pp. 51-70
Stratégies multinationales et trafic
de perfectionnement passif entre l'italie
et les pays d'europe centrale et orientale :
le cas du textile-habillement
Giovanni BALCET et Giampaolo VITALI *
résumé : Parmi les changements les plus significatifs de l'investissement direct
étranger italien au cours des années 1990, soulignons le rôle croissant des industries tr
aditionnel es
et la réorientation des IDE vers l'Europe centrale et orientale. En consé
quence, l'internationalisation des firmes italiennes tend à correspondre à la structure des
échanges commerciaux, fortement concentrés dans les secteurs traditionnels et la cons
truction
mécanique spécialisée. Des sociétés et des groupes d'entreprises de taille
moyenne en rapide croissance, appartenant généralement à une famille, sont devenus les
nouveaux acteurs de cette phase d'expansion internationale. La branche du textile-habi
llement
est un bon exemple de cette tendance nouvelle. La relation entre la croissance
internationale des firmes italiennes dans les PECO, reflétée par le chiffre d'affaires et
les effectifs employés dans leurs filiales à l'étranger, est analysée de même que l'effet
de création de commerce extérieur et de trafic de perfectionnement passif dans cette
région. L'impact du redéploiement industriel sur l'activité et l'emploi en Italie, ainsi que
les questions de stratégie économique afférentes, sont analysés.
abstract : Among the most significant changes in the pattern of Italian foreign
direct investments during the 1990s were : the growing role of traditional industries and
the tendency for such investments to be made in Central and Eastern Europe. As a
consequence, the internationalization of Italian firms tends to correspond to trade
patterns, highly concentrated in traditional sectors and in mechanical engineering. Fastgrowing medium-sized companies and groups, usually family-owned, have become the
new actors in this phase of international expansion. The textile and clothing industry
illustrates this new trend. The relation between the international expansion of Italian
firms in the CEECs, as expressed by turnover and employment in their foreign affiliates,
is analyzed along with the creation of foreign trade and outward processing trade in this
zone. The impact of industrial redeployment on business and employment in Italy, as
well as related policy issues, come under discussion.
* Respectivement, Université de Turin, Département d'économie (Via Po 53, 10124 Turin, Italie ;
e-mail : [email protected]) et CERIS-CNR (Via Avogadro 8, 10121 Turin, Italie; e-mail :
[email protected]). Cet article est le résultat du travail commun des auteurs; toutefois la
rédaction finale des sections 1, 2 et de la conclusion est plus particulièrement due à Giovanni Balcet et celle des sections 3 et 4 à Giampaolo Vitali.
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Giovanni Balcet et Giampaolo Vitali
1. L'ITALIE : UN PAYS SUIVEUR DANS LA MULTINATIONALISATION
DES FIRMES
Historiquement, l'Italie a tardé à investir à l'étranger et faisait office de "sui
veur" en ce domaine. L'extraordinaire compétitivité à l'exportation des entre
prises industrielles italiennes après la Seconde guerre mondiale contrastait avec
leur piètre performance en terme de multinationalisation. Un long processus de
rattrapage s'est achevé en 1991, année où le nombre d'employés dans des filia
lesitaliennes à l'étranger devint égal à celui des filiales étrangères en Italie
(Tableau I).
Tableau I - Emploi dans les filiales étrangères, 1985-1997
Filiales des firmes
italiennes à l'étranger
(A)
Filiales étrangères
en Italie
(B)
A/B
(%)
1985
243 868
467 121
52,2
1991
550 917
515 815
106,8
1993
586 288
499 588
117,4
1995
595 111
529 337
112,4
1997
602 205
562 349
107,1
Source : Database Reprint, in Cominotti, Mariotti & Mutinelli, 1999.
Le modèle de croissance internationale de l'industrie italienne s'est radical
ement
transformé pendant la première moitié des années 1990 du point de vue
des secteurs concernés par les flux d'investissement direct à l'étranger (IDE),
de leur orientation géographique et du profil des investisseurs. Cette mutation
peut s'expliquer par l'expansion internationale d'une nouvelle génération de
sociétés et groupes d'entreprises de taille moyenne et en rapide croissance, cette
dernière étant due à l'impact du marché intérieur de l'Europe unifiée et à
l'ouverture des pays d'Europe centrale et orientale (PECO '), sources de nou
velles
possibilités d'investissement (Balcet, 1997). En 1986, cette zone repré
sentait 0,9% seulement des effectifs des filiales italiennes à l'étranger; en
1998, ce pourcentage, en forte hausse, atteignait 16,9 % de la totalité des
emplois italiens à l'étranger.
Ces transformations simultanées ont également conduit les principales moti
vations
et stratégies à changer. Traditionnellement, les opérations international
es
des sociétés italiennes étaient orientées presque uniquement vers le marché,
1. Dans cet article, les PECO pris en considération sont la Bulgarie, la Hongrie, la Pologne, la
République tchèque, la Roumanie et la Slovaquie.
Stratégies multinationales et TPP : Italie-PECO
avec une grande complémentarité entre les filiales de production et de commerci
alisation - conformément au modèle du cycle de vie du produit - et parfois en
réaction au protectionnisme. Dans le nouveau scénario des années 1990, les
stratégies internationales tendent à se diversifier et le poids des opérations moti
vées par la réduction des coûts augmente, comme dans le cas des délocalisa
tions
vers des zones de bas salaire. En examinant de près l'évolution du
processus d'internationalisation des deux dernières décennies, nous pouvons
distinguer trois étapes (Tableau II).
Tableau II - Etapes de la croissance multinationale des firmes italiennes
Zones de
Acteurs
Secteurs
principaux
destination concernés
Étape I Grands groupes Amérique Intensifs en
(années 70)
Petites
latine
économies
multinationales
CE
d'échelle
Espagne
Étape II
(1980-89) Grands groupes
Étape III
(1990-99)
Nouvelles
multinationales
Motivations
principales
Orienté vers le
marché
(contournement
du
protectionnisme)
Intensifs en
économies
d'échelle
Orienté vers le
marché
Économies
d'échelle
CE
Intensif en
Europe
économies
orientale
d'échelle
Asie de Traditionnels
l'Est
Orienté vers le
marché
Réduction des
coûts
CE
Formes
Taux de
change
IDE
greenfield Dévaluations
Jointrépétées
ventures,
Accords
coopératifs
Acquisitions
JointStable
ventures,
Accords
coopératifs
Acquisitions
Stable
Jointjusqu'en
1992
ventures,
Accords Dévaluations
coopératifs
de sept.
1992 à avril
1995
1.1. LE MODELE TRADITIONNEL : LES ANNEES SOIXANTE-DIX
La croissance industrielle rapide de l'Italie de l'après-guerre est principale
ment
due aux exportations. Pourtant, la position internationale du pays
témoigne d'une asymétrie entre la remarquable performance à l'exportation et
les mouvements d'IDE. Pendant la période 1970-1980, l'Italie réalise 7,3 % des
exportations de produits manufacturés de l'OCDE, tandis que sa part dans
l'IDE est estimée à 1,3 %.
L'écart est grand entre le modèle de spécialisation du commerce extérieur
italien, d'un côté, et le modèle d'internationalisation productive, de l'autre. En
se référant à la taxinomie des secteurs industriels proposée par Pavitt (1984),
nous observons, dans le cas de l'Italie, une spécialisation prononcée dans
l'exportation et une balance commerciale positive pour les "industries tradition
nelles"
(textile, habillement, chaussure, céramique, cuir, mobilier, etc.) et les
"industries de fournitures spécialisées" (construction mécanique, équipements
et outillages spécialisés). Dans ces deux catégories d'industries, la taille
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Giovanni Balcet et Giampaolo Vitali
moyenne des entreprises est petite, les compétences de la main-d'œuvre sont
déterminantes pour leur compétitivité et l'innovation se traduit le plus souvent
soit par l'imitation et l'adaptation de technologies de production importées, soit
par la différenciation et l'innovation en matière de design du produit (Onida &
Viesti, 1988). Ces mêmes secteurs se caractérisent par l'existence de districts
industriels typiques, c'est-à-dire de zones spécialisées en Italie du Nord et du
Centre, où de grandes concentrations de petites et moyennes entreprises
- concurrentes mais coopérant en même temps entre elles - créent des synergies
et des externalités cruciales.
En revanche, les faiblesses et les retards concurrentiels se concentrent dans
les secteurs à forte intensité d'échelle, dotés d'une taille critique importante
(avec quelques exceptions, comme par exemple l'électroménager), et dans les
secteurs à forte intensité de science et de technologie, comme l'électronique, les
équipements informatiques et de télécommunication, la mécanique de précision
et la pharmacie. Dans chacun de ces secteurs, de grandes sociétés ou groupes
prédominent. Cette faiblesse structurelle est imputable aux problèmes et caren
ces
des grandes entreprises italiennes, au retard de la base technologique et de
l'infrastructure et à la politique gouvernementale. Ces tendances du commerce
extérieur que nous venons de décrire rapidement ont été d'une stabilité surpre
nante durant les dernières décennies (Balcet, 1997).
La répartition des filiales des firmes italiennes à l'étranger ne correspond,
cependant, pas à ce schéma durant les années 1970. Elles se situent principale
ment
dans les secteurs à forte intensité d'échelle, c'est-à-dire des secteurs se
signalant par une importante concentration de grandes entreprises, tandis que
les opérations internationales dans des secteurs où l'Italie détient un avantage
comparatif sont rares et prennent souvent la forme de joint-ventures ou d'opéra
tions
de coopération industrielle sur une base contractuelle.
D'un point de vue géographique, les IDE italiens ont essentiellement trois
zones pour destination : la Communauté européenne, l'Amérique latine (notam
ment
l'Argentine et le Brésil) et les pays du bassin méditerranéen. Les motivat
ionsde marché l'emportent dans les décisions d'IDE, tandis que le
redéploiement vers des pays à bas salaire pour des activités exigeant une maind'œuvre abondante est peu fréquent2. C'est pourquoi, les IDE et les autres opé
rations
internationales servent en premier lieu de complément aux stratégies
commerciales d'exportation afin d'obtenir un meilleur accès aux marchés étran
gers.
S 'agissant des entreprises italiennes, la littérature économique explique prin
cipalement
cette atonie des opérations internationales destinées à réduire les
coûts, surtout dans les secteurs traditionnels, par le dualisme persistant entre les
2. Le groupe textile Miroglio constitue une exception à la règle, avec des investissements dans les
années 1970 dans des pays du bassin méditerranéen comme la Grèce, la Turquie et la Tunisie. Pen
dant la même période, SGS (groupe STET-IRI, appartenant à l'État) a créé des filiales à Singapour
et en Malaisie pour la production de composants électroniques.
Stratégies multinationales et TPP : Italie-PECO
régions du Nord et du Sud de l'Italie et les aides financières massives attribuées
à l'investissement dans ces dernières. Ces écarts de coûts stimulent plutôt les
délocalisations à l'intérieur du pays que les investissements à l'étranger (Onida
& Viesti, 1988).
Au début de cette période de premier développement des firmes multination
ales,
la structure industrielle est également contrastée : quelques grands grou
pesmultinationaux (FIAT-IFI, Pirelli, Olivetti-CIR, Montedison, et les groupes
ENI et IRI appartenant à l'État), responsables de l'essentiel des ventes des filia
lesitaliennes à l'étranger, coexistent avec un petit nombre de "multinationales
mineures", sociétés de taille moyenne appartenant à des familles ; proposant des
produits et des technologies spécifiques, celles-ci connaissent une expansion à
l'étranger grâce à des avantages concurrentiels "de niche".
Un autre trait marquant de l'expérience italienne est la propension à s'enga
ger
dans des stratégies de développement à l'étranger relevant de la coopérat
ion,
au travers de joint-ventures et de divers accords de coopération (Balcet,
1988). De fait, la politique gouvernementale et le taux de change sont défavorab
les
aux IDE pendant les années 1970 étant donné la régulation administrative
des flux de capitaux et des paiements internationaux et les dévaluations succes
sivesde la lire italienne
1.2. L'EXPANSION DU CŒUR OLIGOPOLISTIQUE DANS LES ANNEES
1980
Dans un second temps, durant les années 1980, le "cœur oligopolistique"
limité de l'industrie italienne entame une expansion à l'étranger par le biais
d'acquisitions, principalement en Europe, afin d'accroître sa part de marché et
de réaliser des économies d'échelle. Les grandes entreprises et groupes surmont
ent
la plupart des difficultés - dues aux crises pétrolières, à la récession et à des
conflits sociaux - rencontrées pendant les années 1970. Ils tirent parti d'un pro
cessus
de redressement financier, de restructuration industrielle et d'innovation
technologique, qui exerce, en retour, une influence majeure sur le processus
d'internationalisation (Balcet, 1995). La croissance des firmes multinationales
est extrêmement concentrée pendant cette période : en 1987, les dix premiers
groupes représentent 86,6 % des effectifs à l'étranger et 88,4 % des ventes des
filiales à l'étranger (Cominotti & Mariotti, 1997). Ce petit noyau d'investisseurs
est très impliqué dans la vague de fusions, acquisitions et alliances international
es
de cette période, principalement en Europe. Les stratégies industrielles
visant la diversification (FIAT, Montedison), les économies d'échelle (Pirelli,
Olivetti) ou la remise à niveau technologique (Olivetti) coexistent avec des stra
tégies
de diversification des portefeuilles (IFI, CIR, Ferruzzi Finanzaria). En
conséquence, le poids des multinationales mineures à capital familial diminue
en termes relatifs mais, dans l'absolu, elles restent un élément intéressant.
Les pays de destination se renouvellent de manière significative. Des désinvestissements importants sont réalisés dans des pays de l'Amérique latine, tou-
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Giovanni Balcet et Giampaolo Vitali
chés par la crise de l'endettement (par exemple, l'Argentine), à l'exception du
Brésil, et de nouvelles opérations prennent place dans la Communauté euro
péenne.
Comme pendant la période précédente, les stratégies ayant le marché pour
cible l'emportent sur celles qui visent la réduction des coûts. Cependant, de
nombreuses acquisitions ou alliances, en particulier en Europe, sont également
motivées par la nécessité d'améliorer les économies d'échelle pour en obtenir
de comparables à celles des principaux concurrents. En règle générale, les IDE
et autres opérations internationales continuent à compléter plutôt qu'à suppléer
les stratégies commerciales, d'où un impact positif sur la croissance et l'emploi
intérieurs. En outre, la tendance à opter pour des joint-ventures et des participa
tions
minoritaires, bien que toujours significative, est en baisse. La nature des
joint-ventures et des accords de coopération se modifie, ceux-ci concernant de
manière croissante les pays de l'OCDE et les activités à forte intensité d'échelle
ou de technologie (Balcet, 1990). Finalement, l'expansion multinationale du
"cœur oligopolistique" de l'industrie italienne est favorisée par le taux de
change stable de la lire pendant les années 1980, après l'entrée de l'Italie dans
le SME, et par la dérégulation des flux de capitaux.
1.3. NOUVELLES TENDANCES ET NOUVEAUX ACTEURS DANS LES
ANNÉES 1990
Plus récemment, une troisième période s'est caractérisée par l'émergence
d'une nouvelle vague d'investisseurs directs de taille moyenne, ayant des moti
vations
plus variées. Des zones géographiques nouvelles émergent en tant que
destinataires des opérations vers l'étranger - comme l'Europe du Centre et de
l'Est et l'Extrême-Orient - en même temps que de nouveaux secteurs, surtout
parmi les industries traditionnelles, où se situent la plupart des avantages
concurrentiels des sociétés italiennes.
L'un des traits les plus marquants de cette période est l'augmentation notable
du nombre des investisseurs internationaux directs. L'émergence de nouveaux
acteurs - des groupes multinationaux de taille moyenne - compense le ralenti
ssement de la croissance internationale des grands groupes oligopolistiques vers
la fin des années 1980 et le début des années 1990. Les "nouvelles multinatio
nales
italiennes" résultent, avant tout, de la croissance de firmes hautement spé
cialisées
et flexibles, à fortes capacités d'adaptation, qu'il s'agisse de tirer parti
des technologies importées ou de développer des stratégies de design, de
marque et de marketing. Par conséquent, de nouveaux secteurs sont impliqués
dans le processus d'expansion à l'étranger. Parmi les industries traditionnelles,
le cas le plus intéressant est celui du textile-habillement, suivi par l'industrie
alimentaire. Des activités intensives en capital (ciment), intensives en écono
miesd'échelle (équipement de transport ou électroménager) et la construction
mécanique participent également à des opérations internationales, de même que
la sidérurgie, dont les firmes, notamment quelques-unes de ces mini-usines
typiquement italiennes, deviennent des multinationales.
Stratégies multinationales et TPP : Italie-PECO
La caractéristique principale de la répartition géographique des opérations
internationales est la forte augmentation de la part des PECO en tant que desti
nataires
des nouvelles opérations. Avant 1992, cette zone ne représentait que
moins de 2 % du total des effectifs à l'étranger contre 18 % environ en 1997
(Cominotti, Mariotti & Mutinelli, 1999).
L'une des conséquences majeures de ces évolutions est la diversification
accrue des motivations des investisseurs italiens à l'étranger, la réduction des
coûts en faisant désormais partie; des délocalisations vers des zones à bas
salaire, ayant pour objectif l'exportation, se réalisent dans des branches comme
l'habillement, la chaussure et l'électroménager. Les alliances, les joint-ventures
et les accord de coopération continuent à jouer un rôle important, complément
aire
de celui des acquisitions.
Dans une perspective macroéconomique, la dépréciation de la lire ralentit
l'expansion multinationale pendant la période 1993-1995, mais ne bride pourt
antpas la tendance, qui s'accélère dès 1995 après la stabilisation du taux de
change.
2. L'INTERNATIONALISATIONDE L'INDUSTRIE TEXTILE-HABILLE
MENT
EN ITALIE
Nous pouvons à présent appliquer ce cadre général à l'évolution de
l'industrie du textile-habillement (TH), généralement considérée comme un
secteur "traditionnel". En raison de son poids dans la structure de la production
italienne (environ 15 % de tous les emplois industriels), de sa part élevée dans
les exportations italiennes et de sa contribution à la balance commerciale excé
dentaire
du pays, elle constitue un objet d'étude des plus pertinent.
Le cas de l'industrie TH, où le sujet du redéploiement est très sensible, nous
permet également de mieux apprécier les nouvelles tendances de l'international
isation
et leurs implications.
2.1. LE MODÈLE TRADITIONNEL ORIENTÉ VERS L'EXPORTATION
Jusqu'à la fin des années 1980, le TH italien n'était guère engagé dans un
processus de multinationalisation, même s'il se montrait capable de conserver,
au niveau international, d'importantes parts de marché grâce à ses exportations
très compétitives3. On pourrait voir dans cette situation, cohérente avec le
modèle traditionnel que nous avons décrit, une sorte de paradoxe italien : com
ment les performances commerciales pouvaient-elles rester excellentes dans un
secteur mûr malgré la pression concurrentielle grandissante de l'Asie et des
3. Au niveau mondial, l'Italie est le second pays exportateur aussi bien de textile que d'habille
ment.
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Giovanni Balcet et Giampaolo Vitali
autres pays à bas salaire ? Pourquoi les délocalisations étaient-elles si rares en
comparaison avec d'autres pays industriels ?
Les arguments invoqués pour expliquer ce paradoxe rejoignent en partie les
points forts des entreprises italiennes dans les secteurs traditionnels et de la
mécanique spécialisée :
a) compétences de la main-d'œuvre,
b) capacité de differentiation du produit (mode), du design et du marketing,
c) innovation des procédés de fabrication et automatisation,
d) externalités et sous-traitance à l'intérieur des districts industriels.
De surcroît, la petite taille moyenne des entreprises et le foisonnement de
petites et très petites entreprises dans ce secteur (quelques grands groupes mis à
part) faisaient obstacle au développement de firmes multinationales. L'industrie
italienne se caractérisait par une organisation flexible, basée sur la décentralisa
tion
et la sous-traitance à l'intérieur du pays, et par l'agglomération et les effets
de synergie au sein des districts industriels. Sa compétitivité s'illustrait en pre
mier lieu dans les segments moyens et supérieurs du marché. La mise à niveau
continuelle de la production afin de pouvoir pénétrer les segments du marché
d'une moindre élasticité par rapport au prix est une autre des explications qu'on
propose souvent (Mytelka, 1991). La compétitivité des sociétés italiennes, qui
était essentiellement due au design, à la qualité du produit, à la flexibilité et au
marketing, et non pas essentiellement au prix, était bâtie sur une stratégie
double, fondée sur l'innovation des procédés et la modernisation technologique,
d'une part, et sur la sous-traitance nationale, de l'autre4. En outre, le protection
nisme
instauré par l'Accord multi-fibre (AMF), principalement vis-à-vis des
producteurs asiatiques, était une autre condition de l'efficacité de ce modèle.
Nous devons noter que l'organisation en districts industriels et réseaux inté
rieurs
de sous-traitance a créé des avantages concurrentiels qui dépendaient
dans une grande mesure de l'environnement économique local et de ses syner
gies.
2.2. LE NOUVEAU MODÈLE DE CROISSANCE INTERNATIONAL
A la fin des années 1980, la situation évolue rapidement. Les IDE des entre
prises TH italiennes s'envolent pour atteindre un sommet en 1991, tendance
confirmée par les données sur les acquisitions, joint-ventures et accords de coo
pération
(Osservatorio Acquisizioni e Alleanze, 1994). Cette accélération de
l'expansion internationale des entreprises est due en grande partie à celle de
l'industrie de l'habillement, qui enregistre le nombre le plus élevé de délocali4. Benetton est devenu le modèle à succès de l'industrie de l'habillement, illustrant les avantages
concurrentiels dérivés des innovations au niveau de l'organisation (sous-traitance à l'intérieur du
pays, production flexible, réseau de franchisés), des IDE orientés vers le marché en Europe et de
l'introduction massive des techniques informatiques dans la production, la logistique et la distribu
tion
(Balcet, 1995).
Stratégies multinationales et TPP : Italie-PECO
sations. Comment peut-on expliquer ce changement notable ? Par différents
facteurs qui ont créé les conditions favorables à cette nouvelle tendance :
a) Pendant la seconde moitié des années 1980, un processus de concentrat
ion
a eu lieu, entraînant un essor des entreprises et groupes de moyenne et
grande taille, parfois à l'intérieur des districts industriels (Onida, Viesti & Falzoni, 1992; Balconi et al, 1998). Celui-ci a permis aux sociétés de dépasser,
dans les années suivantes, les contraintes financières et organisationnelles liées
à une croissance multinationale.
b) Le taux de change réel s'est apprécié de 1987 à 1992, réduisant la compéti
tivité-prix
et affaiblissant les stratégies d'exportation des entreprises italien
nes
; en conséquence, leur part de marché dans les principaux pays européens a
diminué au cours de la seconde moitié des années 1980 5.
c) La concurrence des pays en voie de développement (Asie tout particuli
èrement)et des concurrents de l'OCDE, qui produisaient dans des régions à bas
salaire par le biais de filiales et de réseaux de sous-traitance (par exemple, les
sociétés allemandes), s'est intensifiée.
d) Le démantèlement progressif de l'AMF prévu par l'accord GATT de
1994 et l'établissement de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) ont
encore accentué cette menace concurrentielle.
e) De nouvelles occasions se présentent du fait de l'unification du marché
européen (pour les opérations globales, orientées vers le marché ou vers les
économies d'échelle) et de l'ouverture des PECO (pour des opérations de
réduction des coûts ou orientées vers le marché).
L'impact différent exercé par l'innovation de procédé et l'automatisation sur
les coûts globaux explique partiellement pourquoi les opérations multinational
es
motivées par la réduction des coûts ont été nettement moins nombreuses
dans le textile que dans l'habillement. La plus grande complexité des technolog
ies,
les processus de fabrication innovants et l'important savoir-faire de
l'industrie textile justifient la tendance à conserver la production en Italie, tan
dis que les entreprises de l'habillement recourent de plus en plus souvent à la
délocalisation internationale.
La réaction stratégique à ces nouvelles conditions a suivi deux axes princi
paux:
a) acquisitions dans des pays de l'OCDE, notamment en Europe, visant une
meilleure pénétration de ces marchés à travers des marques bien établies et des
réseaux de distribution;
b) délocalisations industrielles et sous-traitance internationale dans des
zones à bas salaire (PECO, Asie de l'Est et Chine, Afrique du Nord).
5. Entre 1985 et 1988, la part de l'Italie dans la totalité des importations a baissé en France de
32 % à 21 %, en Allemagne de 21 % à 17 % et en Angleterre de 11 % à 9 % (Viesti, 1993).
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Giovanni Balcet et Giampaolo Vitali
Des réseaux internationaux de sous-traitance, complémentaires des fournis
seursitaliens, se sont développés de façon sélective. En conséquence, ce pro
cessus
de délocalisation a permis d'améliorer la position concurrentielle
internationale des firmes, en même temps qu'il a entraîné une baisse des effect
ifsde l'industrie italienne du TH. Une telle divergence, pourtant, n'implique
pas nécessairement un bilan global négatif des délocalisations. Si nous tenons
compte de leurs effets indirects sur les exportations d'équipements destinés au
textile, de technologies et de services et, plus généralement, sur les flux engen
dréspar la croissance des marchés dans le pays d'accueil, l'évaluation du phé
nomène
dans son ensemble peut être toute différente.
2.3. L'EFFET DE LA STRUCTURE INDUSTRIELLE DU TEXTILE-HABI
LLEMENT
ITALIEN SUR SA CROISSANCE INTERNATIONALE
L'industrie du TH accuse certains traits structurels qui affectent la croissance
internationale des entreprises :
1. L'industrie vestimentaire est intensive en main-d'œuvre car de nombreus
es
étapes de la fabrication ne peuvent être automatisées. C'est pourquoi les
pays en voie développement disposent d'un avantage compétitif du point de vue
du coût de la main-d'œuvre.
2. Les facteurs concurrentiels hors prix, comme la promotion, la marque, la
mode, le service après-vente, etc., gagnent en importance. Ces outils de diffé
renciation
du produit majorent la valeur ajoutée de la production, en particulier
quand ils sont utilisés à un niveau international (voir, par exemple, la publicité
d'United Colors of Benetton).
3. Les entreprises du TH essayent d'exploiter des économies d'échelle au
niveau de l'entreprise, principalement par une organisation de la distribution
internationale dépassant les limites des marchés locaux
4. L'économie mondiale influence le comportement des entreprises en te
rmes de nouvelles sous-traitances, ainsi que les goûts et habitudes du consom
mateur dont le pouvoir s'accroît puisque les firmes se disputent en quelque
sorte ses faveurs. Le démantèlement de l'AMF, le libre-échange prôné par
l'OMC, les accords commerciaux entre l'UE et les PECO vont encore amplifier
le processus d'internationalisation de la production du TH.
Rappelons également quelques spécificités structurelles du secteur TH ita
lien, qui le différencient de ses concurrents européens :
- En ce qui concerne la taille des entreprises, le secteur TH italien est divisé
entre un nombre réduit de grands groupes industriels (Miroglio, Marzotto,
Benetton, etc.) et une multitude de PME : ces dernières ne disposent ni des res
sources
financières, ni des capacités de gestion leur permettant d'investir dans
le processus d'internationalisation.
Stratégies multinationales et TPP : Italie-PECO
- L'industrie TH est très concentrée géographiquement : la spécialisation se
situe à un niveau régional (Lombardie, Vénétie et Toscane, dans cet ordre) ainsi
qu'à un niveau intra-régional (les districts industriels de Prato, Como, Biella,
etc.).
- Traditionnellement, les relations entre sociétés se limitaient à la sous-trai
tance,
principalement à l'échelle locale (district ou région). Le nouveau proces
sus
d'internationalisation tente d'appliquer le modèle national de croissance à
une échelle internationale (en utilisant des contrats et accords de sous-traitance,
y compris le trafic de perfectionnement passif).
3. L'INTERNATIONALISATIONDE L'INDUSTRIE ITALIENNE DU TEX
TILE-HABILLEMENT
DANS LES PAYS D'EUROPE CENTRALE ET
ORIENTALE : LE RÔLE DU TRAFIC DE PERFECTIONNEMENT PASSIF
3.1. UNE VISION D'ENSEMBLE
Les PECO ont joué un grand rôle dans le processus d'internationalisation des
entreprises TH italiennes, processus que l'on peut considérer sous deux angles :
commercial ou industriel. S'agissant du premier, l'on constate que les PECO
sont très impliqués dans le commerce de produits TH avec l'UE (et l'Italie), ce
dont atteste le tableau III : les importations de produits TH provenant des pays
candidats (principalement les PECO) ont augmenté entre 1995 (11,01 milliards
d'euros) et 1998 (15,63 milliard d'euros), de même que les exportations de
l'UE, passées de 6,55 milliards d'euros en 1995 à 9,89 milliards d'euros en
1998. Les PECO représentent plus d'un quart aussi bien de la totalité des
importations (27 % en 1998) que des exportations (28 % en 1998) et la balance
commerciale négative de l'UE est due pour 25 % aux flux des PECO.
En comparant le commerce international entre l'UE et les PECO à celui
entre l'Italie et ces mêmes pays, on perçoit les effets des particularités italien
nes.
En 1998, les PECO ne représentaient que 13 % de la totalité des importat
ions
italiennes et 6 % des exportations. La différence avec l'UE reflète la
division internationale du travail (la spécialisation de l'industrie italienne dans
le secteur du TH) et la qualité élevée des produits TH italiens (les marchés aux
quels s'adresse la production italienne sont d'abord les pays de l'OCDE). Au
niveau de la division internationale du travail, les PECO remplissent la fonction
d'une zone de sous-traitance pour la production TH italienne. Notons en tout
cas le dynamisme du commerce international : les importations italiennes du
secteur TH en provenance des PECO ont augmenté entre 1995 (2,3 milliards
d'euros) et 1998 (3,7 milliards d'euros). Les exportations italiennes vers ces
mêmes pays ont connu une évolution similaire : elles ont cru de 2,3 milliards
d'euros en 1995 à 4,2 milliards d'euros en 1998.
En ce qui concerne la production internationale, les PECO jouent un rôle
considérable : s'ils accueillent 17 % de toutes les filiales italiennes à l'étranger,
61
62
Giovanni Balcet et Giampaolo Vitali
Tableau III - UE : importation, exportation et balance commerciale
du textile-habillement (milliards d'écus)
Importations
Monde
Pays candidats
% pays candidats / monde
1995
45
11
24
1996
47
12
25
1997
55
14
25
1998
58
16
27
1995
29
7
22
1996
32
8
24
1997
35
9
26
1998
35
10
28
1995
-16
-4
28
1996
-16
-4
27
1997
-21
-5
23
1998
-23
-6
25
Exportations
Monde
Pays candidats
% pays candidats / monde
Balance commerciale
Monde
Pays candidats
% pays candidats / monde
Source : Eurostat.
ils rassemblent 38 % de celles du secteur TH (Cominotti, Mariotti & Mutinelli,
1999). Ceci démontre la forte spécialisation géographique du processus d'inter
nationalisation
productive de ce secteur.
La décision des sociétés italiennes du TH de délocaliser la production dans
un pays de l'Est est influencée par plusieurs variables :
- le niveau technique élevé de la production TH italienne, qui permet un
transfert de technologie vers les PECO;
- l'anticipation d'une hausse importante de la demande interne des PECO,
conduisant les IDE du TH italien à être davantage orientés vers le marché que
vers la réduction des coûts (Vitali, 1996);
- les caractéristiques du système industriel des PECO, plutôt impliqués dans
les secteurs traditionnels que dans les industries de haute technologie. C'est la
raison pour laquelle ces pays abritent 35 % des filiales italiennes à l'étranger
des industries traditionnelles (comme le TH, le bois, le mobilier, la chaussure,
etc.) et seulement 7 % des filiales étrangères des industries "high-tech" ;
- historiquement, l'industrie TH était développée dans les PECO, ce qui
influence positivement le marché du travail local et les compétences de la maind'œuvre. Ce facteur est évidemment favorable à une délocalisation de la pro
duction
dans ces pays.
Stratégies multinationales et TPP : Italie-PECO
Enfin, le troisième canal du processus d'internationalisation est le trafic de
perfectionnement passif (TPP), objet de ce dossier. Nos données statistiques
ayant trait au TPP sont fondées sur les "exportations temporaires" de produits
qui sont habituellement exportés vers des pays à bas salaire pour y être transfor
més.
Ces exportations temporaires sont réimportées et commercialisées par une
société de l'UE. En général, le TPP résulte d'accords de sous-traitance conclus
par des sociétés du TH dans le but de tirer profit des différences internationales
du coût de la main-d'œuvre.
Les flux entre les PECO et l'UE - ou bien l'Italie - pendant les années 1980
et 1990 montrent que le TPP avec les PECO a remporté un grand succès : il per
mettait
notamment aux entreprises ouest-européennes d'éviter de payer les
droits de douane élevés que l'UE appliquait aux produits du TH (Graziani,
1998). Il convient de rappeler que, s'agissant de ces derniers, la politique comm
erciale
de l'UE était fondée sur l'AMF, ce qui limitait le commerce interna
tionalen termes aussi bien qualitatifs que quantitatifs. Toutes ces politiques de
protection du marché étaient favorables à l'outil TPP. Pendant les dernières
décennies, le recours au TPP a augmenté dans tous les pays européens, en parti
culier au niveau des relations UE-PECO. Le TPP entre l'UE et les PECO repré
sentait 28 % de la totalité du TPP européen en 1988 et 41 % en 1993. Dans les
relations commerciales entre l'UE et les PECO, le niveau du TPP était cinq fois
plus élevé que celui des exportations en 1988 et huit fois plus en 1993 (Zucchetti, 1995) 6.
L'étude du cas italien témoigne d'un réel dynamisme : de 6 % du TPP de
l'UE en 1988, la part du TPP italien s'est hissée à 15 % en 1993. Cette rapide
croissance du TPP italien durant la période 1991-1998, au cours de laquelle il a
bondi de 51 millions d'euros à 640 millions d'euros, est mise en relief dans le
tableau IV.
Tableau IV - Trafic de perfectionnement îassu italien
1991
51
1992
102
Flux de TPP (millions d'écus)
Source : Istituto nazionale di statistica (ISTAT).
1993
197
1994
306
1995
AAA
1996 7997
540
616
1998
640
Elle ne se produit pas uniquement en termes absolus mais aussi relatifs. Le
tableau V présente la part du TPP du secteur TH italien dans la totalité des
exportations TH et dans le TPP total de l'industrie italienne : le TPP constituait
0,4% de la totalité des exportations en 1991 et 2,6% en 1998; le TPP de
l'industrie TH équivalait à 4 % de la totalité du TPP italien en 1991 et à 24 %
en 1998. Cette évolution n'est pas liée à une part plus importante des exporta6. En ce qui concerne le TPP de l'Union européenne avec les PECO, nous ne disposons pas de
chiffres complets au-delà de 1993.
63
64
Giovanni Balcet et Giampaolo Vitali
tions TH car, durant toute la période considérée, elle s'est maintenue à 1 1-12 %
de l'ensemble des exportations italiennes. Le poids de l'industrie TH dans les
flux totaux de TPP a donc connu une augmentation en flèche pendant la période
1991-1998.
Tableau V - Indicateurs du commerce et du TPP italien
dans le textile-habillement
1991 1992 1993 1994 1995 7996 1997
% TPP TH / Exportations TH
0,39 0,74 1,21 1,60 1,99 2,37 2,56
% Export. TH / Exportations manufacturières
12 12
12 12
11
11
11
% TPP TH / TPP manufacturier
4
6
10 14
17 20 28
1998
2,64
11
24
Source : ISTAT.
3.2. ANALYSE PAR PAYS
L'étude par pays de la répartition du commerce extérieur, des IDE et du TPP
permet d'appréhender les particularités de chacun des PECO.
En ce qui concerne les échanges commerciaux internationaux, on peut s'atta
cher à l'évolution des importations et des exportations entre l'Italie et les
PECO. Les importations en provenance de la Roumanie occupent la première
place et reflètent l'importance des IDE et du TPP que reçoit ce pays, ainsi que
son rôle dans la nouvelle division internationale du travail. Le tableau VI
montre que, par rapport à la totalité des importations issues des PECO, celles
provenant de la Roumanie ont, depuis 1992, considérablement augmenté, pas
sant de 27 % en 1992 à 55 % en 1998, tandis que la part des autres pays a plutôt
diminué (celle, notamment, de la Hongrie et de la Pologne).
Table VI - Importations italiennes de TH en provenance des PECO
Bulgarie
Rép. tchèque
Rép. slovaque
Roumanie
Hongrie
Pologne
Total
Total (millions d'écus)
Source : ISTAT.
1992
15
10
11
27
25
12
100
414
7995
12
12
7
37
22
9
100
576
1994
11
10
10
42
18
9
100
886
7995
10
9
10
45
17
8
100
1193
1996
10
7
10
48
17
7
100
1327
7997
11
7
7
52
16
6
100
1654
1998
10
6
7
55
16
6
100
1894
Stratégies multinationales et TPP : Italie-PECO
Pour ce qui est des exportations (Tableau VII), il faut noter que les chiffres
roumains dominent également en 1998, bien que dans une proportion moindre
(42 % du total des exportations italiennes) que celle des importations (55 % du
total). Ceci est dû à l'importance relativement plus grande des exportations it
aliennes
vers la Pologne qui représentent environ 20 % de la totalité des exporta
tions
(tandis que les importations en provenance de ce pays ne constituent que
6 % de la totalité des importations). Cette différence pourrait s'expliquer par
l'écart entre les revenus par tête de la Pologne (où existe une demande locale de
produits italiens de qualité) et ceux de la Roumanie (un pays à bas revenus).
Celle-ci est généralement considérée par les investisseurs italiens comme une
plate-forme d'exportation à moindre coût. En fait, la Roumanie est aussi très
concernée par les flux de TPP de l'Italie, comme nous le verrons plus loin. Les
flux de TPP représentent 27 % des exportations TH vers la Roumanie, contre
seulement 9 % dans le cas de la Pologne.
Tableau VII - Exportations italiennes de TH vers les PECO
Bulgarie
Rép. tchèque
Rép. slovaque
Roumanie
Hongrie
Pologne
Total
Total (millions d'écus)
1992
1
6
5
16
50
15
100
536
1993
9
10
7
27
25
21
100
1193
1994
8
10
7
30
23
21
100
842
1995
8
11
7
33
21
21
100
1212
1996
7
10
8
34
20
22
100
1440
1997
8
8
7
37
18
21
100
1701
1998
7
7
6
42
18
19
100
2176
Source : ISTAT.
L'évolution indicielle des échanges italiens - exportations et importations de TH avec les PECO (Tableaux VIII et IX) souligne le formidable dynamisme
de la Roumanie comparativement aux autres PECO.
Tableau VIII - Exportations italiennes de TH vers les PECO (indice 1992 = 100)
Bulgarie
Rép. tchèque
Rép. slovaque
Roumanie
Hongrie
Pologne
Total
Source : ISTAT.
1992
100
100
100
100
100
100
100
1993
145
171
150
187
56
150
110
1994
188
242
225
293
73
218
157
1995
247
372
335
462
95
304
226
1996
254
428
416
566
105
385
269
1997
360
406
436
741
115
442
318
1998
423
471
528
1067
144
499
406
65
66
Giovanni Balcet et Giampaolo Vitali
Tableau IX - Importations italiennes de TH en provenance des PECO
(indice 1992 = 100)
Bulgarie
Rép. tchèque
Rép. slovaque
Roumanie
Hongrie
Pologne
Total
1992
100
100
100
100
100
100
100
1993
116
168
87
195
121
107
139
1994
161
213
197
334
157
151
214
1995
202
262
271
486
196
191
288
1996
217
225
287
583
219
195
321
1997
300
270
271
782
263
196
400
1998
315
267
291
940
291
234
458
Source : ISTAT.
Quant aux IDE, le tableau X indique la répartition du nombre de filiales it
aliennes
dans les PECO pour la période 1985-1997. Il faut souligner l'essor,
depuis 1995, de la Roumanie et la première place occupée, de ce point de vue,
par la Hongrie.
Tableau X - Nombre de filiales de firmes italiennes du TH dans les PECO
Bulgarie
Roumanie
Pologne
Hongrie
Rép. tchèque
Rép. slovaque
Total
1985
0
1
0
0
0
0
1
1987
0
1
0
0
0
0
1
1989
0
1
0
1
0
0
2
1991
0
1
4
12
0
0
17
1993
1
8
6
18
2
3
38
1995
2
13
8
22
4
6
55
1997
3
20
13
23
5
7
71
Source : Database Reprint.
L'examen des effectifs des filiales italiennes dans les PECO fait ressortir
d'autres différences (Tableau XI). On note, en premier lieu, que la Roumanie
regroupe environ 50 % de la totalité de l'emploi engendré par les IDE. En
second lieu, il convient de souligner les variations qui se sont produites ces der
nières
années : entre 1995 et 1997, on constate une nette augmentation des
effectifs en Roumanie et leur chute en Hongrie, tandis qu'ils restent plus ou
moins stables dans les autres pays.
Des différences apparaissent également si l'on considère la taille des entre
prises concernées par les IDE italiens dans les PECO (Tableau XII). Celle des
filiales roumaines, qui sont quatre fois plus grandes que les filiales hongroises,
est à relever. Une telle différence peut provenir du modèle de développement
Stratégies multinationales et TPP : Italie-PECO
Table XI - Effectifs des filiales de firmes italiennes du TH dans les PECO
Bulgarie
Roumanie
Pologne
Hongrie
Rép. tchèque
Rép. slovaque
Total
1985
0
500
0
0
0
0
500
1987
0
500
0
0
0
0
500
1989
0
500
0
130
0
0
630
1991
0
500
595
1734
0
0
2829
1993
210
6097
1053
3021
879
808
12068
1995
751
4820
1321
4097
1672
1813
14474
1997
751
7900
1873
2129
1547
1956
16156
Source : Database Reprint.
Tableau XII - Taille moyenne (employés) des filiales de firmes italiennes
du TH dans les PECO
1985
Bulgarie
Roumanie
Pologne
Hongrie
Rép. tchèque
Rép. slovaque
Total
Source : Database Reprint.
500
500
1987
500
500
1989
500
1991
130
500
149
145
315
166
1993
210
762
176
168
440
269
318
1995
376
371
165
186
418
302
263
1997
250
395
144
93
309
279
462
adopté par chaque pays dans sa transition d'une économie planifiée vers une
économie de marché : moins ce modèle de développement est proche de l'éc
onomie de marché, plus la taille des filiales issues d'IDE italiens est grande. Par
exemple, en Pologne (144 employés par filiale en 1998) et, surtout, en Hongrie
(93), les énormes usines de l'ancien régime ont été démantelées et privatisées,
tandis qu'en Roumanie (395), le processus de privatisation n'est pas encore
achevé et les grandes entreprises ne sont pas démantelées avant d'être vendues
à des capitaux privés.
Les disparités sont tout aussi flagrantes quand on analyse la productivité de
la main-d'œuvre des filiales étrangères. Le tableau XIII fait état du montant des
ventes par employé : là où le capitalisme est installé, comme en Pologne, la pro
ductivité
par employé est trois fois plus élevée qu'en Roumanie ou en Bulgarie
où l'industrie appartient toujours en grande partie à l'État.
Les chiffres du TPP confirment le rôle dominant de la Roumanie (Tableau
XIV). En 1998, le TPP avec ce pays représentait plus de la moitié du TPP-TH
avec les PECO, contre un cinquième pour la Hongrie, 8 à 9 % environ pour la
Pologne et la Bulgarie et quelque 10 % pour les Républiques tchèque et slo-
67
68
Giovanni Balcet et Giampaolo Vitali
Tableau XIII - Productivité du travail (chiffre d'affaires par employé)
des filiales de firmes italiennes du TH dans les PECO
Bulgarie
Roumanie
Pologne
Hongrie
Rép. tchèque
Rép. slovaque
Total
Source : Database Reprint.
1985
1987
1989
1991
28
29
31
31
15
8
28
29
25
14
1993
2
9
35
10
6
17
12
1995
10
14
39
10
17
13
15
1997
11
11
35
13
25
11
15
vaque. Ces niveaux variables de TPP trouvent leur origine dans le modèle de
croissance différent de chacun des PECO : en 1992, la Hongrie était le pays le
plus impliqué dans le TPP avec l'Italie mais, durant la période concernée, elle a
cédé le pas à la Roumanie. Cette baisse pourrait être la conséquence de l'évolu
tion
industrielle de la Hongrie, qui remplace les produits traditionnels par des
biens d'un niveau technologique plus sophistiqué (et n'est donc plus une zone
de sous-traitance majeure pour la production de TH européenne et italienne en
particulier).
Tableau XIV - Le TPP-TH italien avec les PECO (millions d'écus)
Hongrie
Roumanie
Rép. tchèque et Rép. slovaque
Pologne
Bulgarie
Total
1991
1992
1993
1994
1995
1996
1997
1998
15
1
3
2
0
21
25
12
9
5
3
52
46
38
12
9
6
111
46
77
29
19
7
179
62
138
39
25
17
280
71
173
42
29
24
338
93
258
58
37
37
483
90
243
48
36
37
455
Sources : 1ST AT et Federtessile (Association de l'industrie textile).
4. ÉCHANGES COMMERCIAUX, INVESTISSEMENTS DIRECTS ET
TRAFIC DE PERFECTIONNEMENT PASSIF : QUELLE RELATION ? _
Dans les sections précédentes,
l'évolution des flux commerciaux,
bien l'ensemble des PECO que les
le processus d'internationalisation
nous avons analysé les données relatives à
des IDE et du TPP. Nous avons étudié aussi
spécificités de chaque pays afin de décrypter
de l'industrie italienne du TH. Il convient à
Stratégies multinationales et TPP : Italie-PECO
présent de prendre en compte quelques évidences empiriques sur le rapport
entre échanges commerciaux, IDE et TPP.
La théorie ne suggère pas de relation causale claire entre les différents modes
d'internationalisation : commerce, IDE et TPP pourraient être substitutifs ou
complémentaires les uns des autres. Leur relation dépend de la stratégie
d'expansion à l'étranger choisie et mise en œuvre par les entreprises italiennes
dans les différents pays d'accueil. Les IDE peuvent être un substitut des export
ations si la stratégie de l'entreprise intéresse principalement le marché interne,
comme c'était le cas dans le modèle traditionnel du cycle de vie du produit. En
revanche, si les IDE visent plutôt l'exportation, on peut s'attendre à une corréla
tion
positive avec les importations dans le pays d'origine (et le TPP) effectués
par les entreprises.
L'analyse de la dynamique de ces trois instruments d'internationalisation
donne une première indication. Le tableau XV offre une vue d'ensemble du
processus d'internationalisation du TH italien dans les PECO, sur la base des
taux de croissance moyens des variables considérées pour la période 19911998. Dans ce secteur, l' internationalisation productive, mesurée par le nombre
de filiales créées, leur chiffre d'affaires et leurs effectifs, a été extrêmement
rapide si on la compare à l'internationalisation commerciale, nettement plus
lente. Notons le faible taux de croissance des importations par rapport à celui du
TPP, ce qui peut être mis en relation avec le processus de délocalisation interna
tionale et la tendance à l'exportation vers l'Italie de la production des filiales
installées dans les PECO. Ces mêmes processus sont à l'origine du TPP, lequel
a le taux de croissance le plus élevé parmi les variables prises en compte, ce qui
confirme son rôle dans les politiques des firmes italiennes au cours des années
1990. Ce résultat laisse présager que les IDE sont utilisés comme un instrument
de création de TPP : en somme, les filiales italiennes dans les PECO font partie
des principaux sous-traitants de la production italienne. Elles recourent au TPP
pour minimiser les coûts de transaction internationale.
Tableau XV - Les modalités de l'internationalisation du textile-habillement
italien dans les PECO. Taux de variation moyen, 1991-1998 (en %)
Nombre
de filiales
Effectifs
des filiales
220
177
Chiffre d'affaire TPP
des filiales
120
232
Importations
Exportations
33
24
Sources : calculé à partir de 1ST AT et de Database Reprint.
CONCLUSION
Une internationalisation diversifiée se construit en Italie. Elle touche de nou
veaux
secteurs où, traditionnellement, les entreprises italiennes bénéficiaient
d'avantages concurrentiels mais où elles avaient limité leur internationalisation
à l'exportation. En conséquence, une plus grande convergence semble se dessi-
69
70
Giovanni Balcet et Giampaolo Vitali
ner, pendant les années 1990, entre commerce international et production inter
nationale.
L'industrie du textile-habillement dans les PECO est un parfait
exemple de cette évolution. L'analyse proposée ici met en évidence l'augment
ation
importante des échanges commerciaux, des IDE et du TPP et leurs modèl
es
de croissance complémentaires. Au début des années 1990, l'ouverture des
PECO a offert à de nombreux groupes italiens émergents, de taille moyenne, la
possibilité de délocalisations destinées à réduire les coûts de production à l'ins
tarde l'industrie TH. L'évolution des ventes, du TPP et des IDE traduit le rôle
primordial de la Roumanie, tandis que la Pologne et la Hongrie améliorent le
niveau de leurs flux commerciaux en visant des secteurs à plus fort contenu
technologique.
L'évolution de l'industrie TH n'implique pas automatiquement un effrit
ement des avantages de localisation spécifiques de l'Italie, ni une crise du
modèle des districts industriels. Délocalisation et TPP sont plutôt le résultat
d'un ensemble de changements survenus au niveau macroéconomique, tels
qu'un net recul du protectionnisme et l'apparition de risques et d'opportunités
compétitifs nouveaux, nés de l'intégration grandissante de l'économie mond
iale. Ils résultent également d'un processus de concentration, responsable aussi
bien de l'émergence de nouvelles entreprises et groupes que de nouveaux
modèles d'organisation et de nouvelles stratégies entrepreneurial es.
Les divers types d'implication à l'étranger des firmes n'ont pas un impact
identique sur l'économie locale. Le fait que les stratégies de multinationalisation des entreprises italiennes ont visé en première instance le marché implique
qu'elles ont été plutôt un complément qu'un substitut des exportations. À cet
égard, de nouvelles stratégies de délocalisation dans les PECO pourraient avoir
une tout autre influence sur les revenus, l'emploi et les flux commerciaux.
L'effet du processus d'internationalisation de l'industrie TH sur la balance
commerciale et l'emploi en Italie diffère en fonction des caractéristiques du
pays d'accueil. Il faut pourtant noter que : (1) les mélanges des formes et des
motivations sont fréquents et (2) qu'ils peuvent évoluer, par exemple, de la
réduction des coûts vers le marché ou vers des stratégies globales. Ceci a été le
cas de nombreuses filiales en Extrême-Orient qui, après avoir privilégié la réex
portation
dans le pays d'origine, se sont tournées en priorité vers les marchés
locaux en expansion.
On peut s'attendre à une évolution du même type dans les pays d'Europe
centrale et orientale, selon leurs taux respectifs de croissance économique et
industrielle. La Hongrie et la Pologne semblent être les premiers pays de cette
zone à devoir la connaître.