Le Premier Homme De Gianni Amelio 1h40 Une co
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Le Premier Homme De Gianni Amelio 1h40 Une co
Le Premier Homme De Gianni Amelio 1h40 Une co-production italo-franco-algérienne Adaptation du roman éponyme d’Albert Camus Avec Jacques Gamblin, Nino Jouglet, Catherine Sola, Maya Sansa Le film entremêle des scènes du roman avec des scènes de la vie même de Camus qui n’apparaissent pas dans le roman. L’atmosphère des derniers mois de la IVe République en Algérie est bien captée. Globalement, le roman est interprété par Amelio comme une confession autobiographique sur l’enfance d’Albert Camus – interprétation qui n’est pas fausse, même si on n’est pas sûr de l’orientation qu’aurait prise le roman s’il avait pu être achevé. Surgissent ainsi la famille dans son contexte de pauvreté ; les enfants de la rue et de l’école ; la rencontre avec « Monsieur Bertrand », alias Louis Germain, l’instituteur qui sauve l’enfant en rendant possible un autre destin ; ou encore la naissance d’un enfant entre les mains des sages-femmes algériennes. Le réalisateur aborde le travail et les contraintes des pauvres dans l’ancien quartier de Belcourt (aujourd’hui Belouizdad), à Alger, même si tout cela est un peu édulcoré. Côté algérien et hors roman, apparaissent le père et le fils Abderrahim dont on sait que Camus défendait le fils, Azzis, grâce à une de ses nombreuses lettres en faveur des révoltés condamnés dans lesquelles il sollicitait la grâce du Président de la République, du Ministre du Conseil ou du Ministre de l’Intérieur — à l’époque François Mitterrand, qui l’a très souvent refusée. Le film s’ouvre sur un fait réel, non tiré du roman : le discours que donne Camus le 24 mars 1958 à l’université d’Alger et qui ne fait guère de bruit à l’époque (c’est déjà le temps du silence que lui réserve la gauche orthodoxe en France). Cet événement nous permet de dater le film entre le 23 mars et le 10 avril 1958, période où on sait que Camus effectua un voyage en Algérie, lequel débuta avec ce discours prononcé à l’université d’Alger. À partir du moment où on veut mélanger le roman sur l’enfance et la réalité de la fin des années cinquante, il est très difficile de savoir quels événements choisir parmi ceux que Camus, adulte, vécut réellement lors de la fin des années cinquante. Ma critique du film n’est donc pas vraiment dans ce qui est montré, mais plutôt dans ce qui n’est pas montré. Amélio aurait pu choisir de mettre en scène la rencontre de Camus avec l’écrivain Mouloud Ferraoun, qui eut lieu lors de ce voyage. C’était sa deuxième rencontre avec Ferraoun, la première remontant à 1938 lorsqu’il enquêtait pour sa série d’articles intitulée : La misère de Kabylie. Leur rencontre fut plus longue et marquée par une grande connivence entre les deux écrivains sur la situation du moment. Quand, à la fin de son film, Amelio met en scène un discours de Camus retransmis par Radio Alger - qui n’est ni dans le roman ni un fait réel — il emprunte une partie de la réponse de Camus au jeune Algérien Said Kessal qui, à Stockholm, deux jours après l’attribution du prix Nobel, lui reprocha de ne rien faire pour l’Algérie. Camus alors énonça la phrase désormais célèbre, à savoir qu’il préférait sa mère à une justice susceptible d’atteindre sa mère lors d’un attentat dans un tram – ou dans un autobus, comme le film choisit de le montrer. Il faut savoir que ces propos ont été mal interprétés et sciemment détournés contre Camus par le monde parisien. Le réalisateur a transposé ce discours à Radio Alger – chose qu’on peut faire, bien sûr, mais on peut regretter que les propos ne soient pas transposés exactement et qu’en outre on ne dise pas qu’ils étaient dirigés seulement contre les actions du FLN, laquelle organisation ne fixait pas de limites à sa lutte armée, même face à des innocents comme une mère ou des enfants. Camus ne visait pas tous les opposants au colonialisme, et notamment pas les partisans de Messali Hadj du MNA, par exemple, un courant indépendantiste depuis les années 1930. Au contraire, en octobre 1957, dans des articles publiés uniquement dans des journaux libertaires et pas dans les journaux de la gauche classique ou sartriens, Camus défendit les syndicalistes messalistes contre une campagne de meurtres menés par des militants de FLN. Or, Amelio ne parle pas du messalisme – dont le chef Messali Hadj fut abattu fin 1947 –, il n’explicite pas le contexte qui permettrait de comprendre pourquoi Camus a ces mots durs à l’égard de la stratégie du FLN dont il désapprouve le recours à la violence, et ce faisant il entretient le doute. Ceux qui ne connaissent pas l’amitié de Camus avec Messali Hadj, qui ignorent les divers courants au sein du mouvement indépendantiste peuvent avoir le sentiment que Camus condamne tout le mouvement indépendantiste, ce qui est faux. Amelio, enfin, ne dit rien sur la campagne en faveur des objecteurs de conscience que Camus déclencha en coopération avec Louis Lecoin et ses amis anarchistes et antimilitaristes en janvier 1958 – donc au moment où se déroule le film. Pourquoi ne pas avoir imaginé une scène où un soldat français se demande s’il a le droit de désobéir, et où il apprend par un autre soldat que désormais il y existe cette campagne en faveur des objecteurs, lesquels trop longtemps furent envoyés en prison ? Dans ces scènes possibles, qui recoupent le vrai temps du film, figure mon vrai regret. Lou Marin, Marseille.