Charlie à la vie, à la mort

Transcription

Charlie à la vie, à la mort
Charlie à la vie, à la mort
LE MONDE CULTURE ET IDEES | 07.01.2016 à 13h05 | Par Raphaëlle Rérolle
Un an après, Charlie n’est plus seulement Charlie. Confrontés à l’échéance d’une date
anniversaire qui a bouleversé le monde, nous ne pouvons plus penser le 7 janvier 2015, jour
du massacre de la rédaction de Charlie Hebdo, comme s’il s’agissait d’un événement
circonscrit dans le temps. D’abord, parce que l’attentat n’a malheureusement été qu’une
inauguration : il a ouvert, au son des kalachnikovs, un calendrier macabre, qui s’est refermé,
dans le fracas des armes, sur les 130 morts du 13 novembre. En guise d’avenir, les Français se
sont vu promettre d’autres agressions, d’autres larmes. Soudain, la traditionnelle cérémonie
des vœux a pris un goût amer, nul ne sachant plus ce qu’il est raisonnable de souhaiter, dans
de telles circonstances.
En France, 2015 restera comme l’année où des choses qui nous paraissaient aller de soi, la
liberté de critiquer les religions, celle de les pratiquer ou, tout simplement, de boire un verre
en terrasse et d’écouter de la musique en groupe sont devenues des activités à risque.
L’enquête sur les dessinateurs de presse publiée dans ce numéro montre que la menace
brandie par les islamistes radicaux n’est pas sans conséquence sur leur travail et sur leur vie,
même si l’humour et l’esprit de résistance restent leurs meilleures armes contre la peur et le
conformisme.
« Merde à la mort »
Mais cet événement a aussi ouvert une autre ère, tournée vers la vie. C’est ce qu’ont montré
les rassemblements géants du 11 janvier 2015, après les trois jours terribles qui se sont
conclus par la fusillade de l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes. C’est aussi ce qu’ont mis
en évidence, dix mois plus tard, les hommages aux victimes du Bataclan et à celles des
différents lieux visés, à Paris. Comme l’explique l’historien Pascal Ory dans un entretien, la
France d’après-Charlie s’est massivement tournée vers des manifestations pacifiques et la
réaffirmation de valeurs républicaines, ce qui n’est pas une réaction évidente, à l’échelle de
l’histoire. Surtout, la France se redécouvre, à tâtons, une identité. Celle d’un pays « pas tout à
fait comme les autres », analyse Pascal Ory, et regardé comme tel par-delà ses frontières.
Nul ne peut dire encore quel tour prendra finalement cette évolution, ni si la peur et les
réflexes sécuritaires ne finiront pas par triompher. Les vœux de début d’année doivent donc
être plus résolus que jamais : selon le dessinateur Joann Sfar, la devise de Paris, Fluctuat nec
mergitur, est un « merde à la mort ». Cette mort dont les djihadistes font un horizon, comme le
montre un autre article de ce supplément. Souhaitons qu’en 2016 elle devienne aussi un
« merde » au repli et à la haine, un « merde » à l’oubli des valeurs qui font de la France le
pays des droits de l’homme. Bonne année !

Documents pareils