Chapitre 1 - CosmoQueer

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Madonna
L’équipage du CosmoQueer se précipita dans la cabine de pilotage où un spectacle insolite
l’attendait : tous les voyants du tableau de bord clignotaient et des poissons nageaient
paresseusement derrière la vitre blindée avant du vaisseau. Kristof installa son imposant corps
de cyborg devant le poste de commande. Ses yeux bioniques parcoururent à toute vitesse les
données qui s’affichaient sur l’écran holographique.
− D’après les instruments de bord, nous sommes bien sur Terre. Ordinateur, peux-tu nous en
dire plus, s’il te plaît ? Ordinateur ?
− Excusez-moi capitaine, je suis en train de me remettre de mes émotions.
Kristof laissa échapper un long soupir d’exaspération.
− Quand tu auras recouvré tes esprits, nous serions assez contents de savoir où tu as atterri.
− En fait, j’ai amerri. D’ailleurs, vous devriez tous remercier votre Lucky Star d’avoir
échappé à un terrible crash. Nous nous trouvons actuellement au fond d’un lac, aux EtatsUnis d’Amérique, dans l’état du Michigan.
− Les états unis de quoi ? demanda Stefan.
Ana consulta le rapport qui venait d’apparaît sur le petit écran installé sur l’avant-bras gauche
de sa combinaison de mécanicienne de l’espace.
− Les renseignements fournis par les instruments d’exploration sont vraiment bizarres,
murmura-t-elle. Je ne reconnais pratiquement aucune des informations collectées. Les signaux
captés sont extrêmement rudimentaires, primitifs…
− C’est normal Ana. Comme je l’ai expliqué tout à l’heure à Alex6, un incident encore
inexpliqué nous a fait voyager dans le temps. N’est-ce pas extraordinaire ? La date
d’aujourd’hui est le 3 juin 1965. Nous sommes donc au vingtième siècle. Ça vous la coupe,
hein ?
Les quatre compagnons accusèrent le coup.
− Le vingtième siècle… murmura Draja catastrophée.
− C’est l’époque de Shiloh Nouvel Jolie Pitt ? demanda Stefan avec enthousiasme.
− Non, ça c’est le vingt et unième siècle, répondit Ana.
− Le vingtième siècle… répéta Draja en se laissant tomber sur un siège.
Kristof se leva et fit face à son équipage déboussolé, ses énormes poings chromés sur les
hanches.
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− Courage Everybody ! C’est une situation inédite mais nous sommes habitués à affronter
l’inconnu et l’inattendu. Ana, je veux un check-up total du CosmoQueer : les réacteurs, les
propulseurs, les écrans protecteurs, bref tout les appareils dont le nom se termine par « eur ».
Stefan, tu vas brancher la machinerie amphibie et nous faire quitter le fond de ce lac. Tu peux
activer le système Burning Up si la puissance n’est pas suffisante. Draja, rassemble toutes les
données que nous avons sur cette époque et sur les voyages dans le temps en général.
Questionne aussi notre ami Cut. Les Voyageurs ont sûrement des connaissances sur ce sujet.
Enfin, je l’espère…
Le capitaine parcourut des yeux l’assistance.
− Où est Alex6 ?
La porte automatique de la cabine de pilotage s’ouvrit avec un petit sifflement.
− Je suis là capitaine, prête pour affronter les sixties !
Le reste de l’équipage resta coi. Kristof fut le premier à reprendre ses esprits.
− Qu’est-ce que c’est que cet accoutrement ?
− Oh, c’est juste la reproduction d’une robe Paco Rabanne en rhodoïd. Je l’ai faite moi-même
en vitesse, et avec presque rien. C’est magnifique, non ? J’en ai chié pour découper et
assembler tous ces carrés en plastique ! Mais c’est joli, n’est-ce pas ? J’ai même les boucles
d’oreilles et les lunettes de soleil qui vont avec ! Oui je sais, je suis fabuleuse ! J’ai pensé que
si nous devions explorer les environs, nous aurions besoin de porter des tenues de l’époque
afin de passer inaperçu. Pas bête, hein ? Je peux en faire une pour chacun des membres de
l’équipage si vous voulez. Ne suis-je pas fantastique ? Avouez, hein ?
Ana se tourna vers Stefan.
− Je refuse de croire que les habitants de la Terre du vingtième siècle se baladaient tous
habillés de cette manière.
− Petite ignorante, pesta Alex6 avec mépris.
− Il est hors de question qu’un seul d’entre nous sorte du vaisseau, déclara Kristof. La
technologie primitive du vingtième siècle ne nous serait d’aucune utilité et je ne veux pas
risquer de provoquer un choc temporel qui modifierait le cours de l’histoire humaine. Nous
allons réparer les dégâts très discrètement et trouver un moyen de retourner à notre époque.
− Mais capitaine…
− Je ne changerai pas d’avis Alex6. Maintenant, j’aimerais beaucoup que tu aides Ana dans la
salle des machines.
– Quel ennui, murmura l’androïde. Je vais encore me casser un (faux) ongle…I Know It !
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Le CosmoQueer remonta discrètement à la surface du lac. Il faisait nuit. Dans le cockpit de
l’astronef, Kristof désigna à Stefan une sorte de petite crique à l’abri des arbres.
− Stabilise le CosmoQueer à cet endroit.
− Entendu, capitaine de mon cœur.
− J’espère que Draja et Cut vont vite trouver un moyen de retourner à notre époque. Je me
vois mal vivre au vingtième siècle avec mon corps de cyborg. Sans parler d’Alex6 et du
Voyageur…
− Ne t’inquiète pas, dans quelques heures, nous serons de retour sur Terre. Je veux dire, sur la
Terre du présent ! Ou celle du futur, ça dépend du point de vue…
Un signal sonore un peu disco retentit et le visage d’Ana se matérialisa devant le couple grâce
à un projecteur holographique scintillant. La mécanicienne paraissait très contrariée.
− Kristof, nous avons un problème.
− Que se passe-t-il Ana ?
− Formol et ses sbires se sont échappés.
Kristof s’adressa aussitôt à l’Intelligence Artificielle. Il était furieux.
− IA, pourquoi n’as-tu pas donné l’alerte ?
− Je ne peux pas être au four et au moulin ! Je suis en train d’essayer de trouver une solution
à nos problèmes d’alimentation en énergie et Alex6 me prend le chou parce qu’il s’est coincé
le pied dans le mécanisme du train d’atterrissage arrière ! Quelle cruche ! Alors ne me
stressez pas plus que je ne le suis déjà, s’il vous plaît. Je pourrais très bien craquer et faire
une dépression nerveuse. Je suis complètement Borderline après ce voyage dans le temps et
l’amerrissage forcé…
− IA, tu es un or-di-na-teur, tu peux accomplir plusieurs tâches en même temps ! Des
milliards simultanément, en fait ! Comment voulez-vous que nous nous en sortions si vous
agissez tous comme des stars chaque fois que la situation devient légèrement stressante !
− Oh lalalala, puisque c’est comme ça, je vais me cantonner à mon rôle d’or-di-na-teur et
débrouillez-vous pour le reste !
Stefan se leva, sans dire un mot, et se mit à masser les larges épaules de son Kristof qui était
sur le point d’exploser de colère.
Au même moment, quelques kilomètres plus loin, le bel Eros décida qu’il en avait assez de
courir dans l’obscurité. Exténué, il s’appuya contre un arbre et contempla avec horreur l’état
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de son uniforme blanc. Son pantalon militaire sur mesure et ses chaussures hors de prix
étaient complètement trempés et tachés. Quelle horreur pour l’amant/gigolo du
président/dictateur de la galaxie ! Norbert Formol, le docteur Schlange et le général Déziratta
s’arrêtèrent à leur tour, en nage et à bout de souffle.
− Je pense que nous sommes suffisamment loin, dit Formol.
− Mon ordinateur de poche a analysé la situation, déclara Schlange en brandissant d’une main
tremblante sa petite machine en forme de poire à lavement. Nous sommes bien au vingtième
siècle, en Amérique du Nord, aux USA. C’est une catastrophe.
La panique apparut sur le visage de Déziratta.
− Alors nous devons retourner immédiatement au CosmoQueer avant qu’il ne reparte d’ici
sans nous ! Je ne veux pas rester au vingtième siècle ! C’étaient des sauvages crasseux ! Ils
utilisaient des matelas bourrés d’acariens ! Ils ne connaissaient pas les douches ultrasoniques !
Ils bouffaient n’importe quoi à s’en faire péter les artères de mauvais cholestérol ! Ils
mangeaient même des animaux ! Les choses horribles qu’ils posaient sur leurs tables au
moment du repas n’étaient pas des plats mais des autopsies décorées !
− Le général a raison, renchérit Eros. Il faut quitter ce monde primitif et nul où tu es
totalement inconnu ! Je suis un people à notre époque ! Une V.I.P. de premier plan ! J’ai fait
la couverture de toutes les éditions de Cosmodasse Intergalactique ! Les gens de notre époque
m’aiment, me désirent, me jalousent et m’envient. Le public galactique a une véritable et
compréhensible Physical Attraction pour ma belle personne ! Je ne survivrais pas à
l’anonymat, et encore moins à une vie… beurk… « simple » !
Les nerfs du docteur Schlange semblaient être eux aussi sur le point de lâcher. Les trois
hommes entouraient maintenant Norbert Formol en piaillant, complètement hystériques.
− Calmez-vous ! s’écria l’ex-président de la galaxie d’une voix très énervée.
Surpris, le docteur Schlange s’immobilisa aussitôt. Un violent sanglot angoissé secoua son
corps. Le général Déziratta se mit à pleurer en silence, les yeux baissés sur ses grosses rangers
de militaire. Eros avait les yeux exorbités et une main sur la bouche, choqué par le ton
agressif du dictateur.
− Voici mon plan, fit celui-ci avec un sourire machiavélique. Nous récupérons le
CosmoQueer et nous rentrons chez nous.
− Bravo chouchou ! s’exclama aussitôt Eros avec beaucoup de soulagement.
− Excellent ! approuva le docteur Schlange.
− Mais avant ça, continua Formol avec un air de conspirateur, nous allons kidnapper
Madonna.
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Silence dans la forêt…
− Qui ?
Le général Déziratta et le docteur Schlange échangèrent des regards inquiets.
− Madonna la chanteuse, la star mythique de la fin du vingtième siècle et du début du vingt et
unième. Madonna quoi !
Eros haussa les épaules.
− Connais pas.
− Mais pourquoi ferions nous cela monsieur le président ? demanda le général Déziratta avec
un sourire crispé. Une larme de désespoir coula lentement sur sa joue.
− Parce que cette maudite bonne femme est devenue une sorte d’icône à l’origine d’une vague
de dépravations et d’inepties qui, au fil des siècles, a pourri l’ordre et les valeurs de notre
société, jusqu’à créer des abominations déviantes comme le CosmoQueer et son équipage de
dégénérés hystériques et impudiques. En empêchant Madonna de devenir ce qu’elle est
devenue, je ferai disparaître de l’histoire le CosmoQueer et sa clique de pervers
exhibitionnistes.
L’incompréhension se lisait dans les regards de l’assistance.
− Docteur Schlange, branchez-vous sur les renseignements et trouvez l’adresse de la famille
Ciccone. Général Déziratta, vous allez dénicher un véhicule terrestre. Cette fois, le
CosmoQueer et son équipage de travelos, de drogués et d’obsédés sexuels vont payer toutes
les humiliations que je subis depuis le premier épisode de cette saga galactique à deux balles.
Norbert Formol éclata d’un rire sardonique qui résonna de façon inquiétante dans le silence de
la nuit américaine…
Pendant ce temps, le CosmoQueer flottait tranquillement à la surface du lac. Alex6 et Ana
rejoignirent le reste de l’équipage dans le salon du vaisseau. Stefan et Kristof venaient de
s’installer. Ils observaient Draja et Cut qui se tenaient devant eux. L’ancienne espionne
patientait, les bras croisés, tandis que le Voyageur ondulait de manière involontairement
obscène. Constatant que tout le monde était là, Draja commença :
− J’ai une bonne et une mauvaise nouvelle. La bonne : notre phallique ami Cut a trouvé un
moyen de retourner à notre époque. Afin de remonter le temps, nous allons devoir modifier
les propulseurs avec des pièces détachées de la navette des Voyageurs. Ça représente
beaucoup de boulot, mais nous pouvons y arriver.
− Et la mauvaise nouvelle ? demanda Stefan avec une pointe d’inquiétude dans la voix.
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− Les voyages dans le temps sont théoriquement faisables, selon les Voyageurs. Mais aucun
d’entre eux n’a essayé ce procédé dans notre dimension. Il y a donc un risque pour que…
− POUR QUE LE COSMOQUEER DISPARAISSE A JAMAIS DANS LES LIMBES
GALACTIQUES, lâcha Cut de sa voix étrange et flûtée.
− Je pense qu’il n’y a pas beaucoup de clubs et boutiques de luxe dans ces Limbes, murmura
Alex6 avec sérieux.
Le capitaine du CosmoQueer fusilla du regard l’androïde avant de se tourner vers Draja.
− Quelles chances avons-nous de nous retrouver dans ces Limbes Galactiques ?
− D’après notre Intelligence Artificielle, pas loin de soixante-quinze pour-cent…
Stefan et Ana grimacèrent. Le moral de l’équipage du vaisseau n’était pas au beau fixe. En
bon capitaine, Kristof frappa dans ses mains pour motiver ses troupes.
_ Allez, tout le monde au travail ! Les vacances sont terminées ! On a du pain sur la planche
pour nous sortir de cette situation difficile mais pas désespérée. Alors, ne chômez pas et
personne ne se fait tatouer Holiday sur les fesses tant que le CosmoQueer ne sera pas de
retour à notre époque. Compris Alex6 ?
_ Oui, capitaine…
Une fourgonnette volée roulait à vive allure sur la petite route déserte qui traversait la
banlieue. Au volant, l’intolérant général Déziratta écrasait furieusement (comme à son
habitude) la pauvre pédale de l’accélérateur. Il redoutait d’arriver trop tard au lac, après le
départ du CosmoQueer. A la place du mort, bousculé dans les virages, le cadavérique docteur
Schlange se résolut à agripper sa ceinture de sécurité qu’il fixa précipitamment, sans perdre de
vue la route sinueuse et mal entretenue. Les phares du véhicule éclairaient toujours la
chaussée mais le soleil commençait à se lever. Le kidnapping avait été un jeu d’enfant. A
l’arrière, Formol et Eros observaient leur prisonnière. La petite fille bâillonnée fixait les deux
personnages avec un mélange d’incompréhension et de peur dans les yeux. Elle était pieds
nus, vêtue d’une chemise de nuit sur laquelle brillait un petit crucifix qu’elle portait en
pendentif. Norbert Formol s’approcha de l’enfant avec un sourire satisfait.
− Tu ne dois rien comprendre à ce qui est en train de t’arriver ma pauvre petite Madonna
Louise Veronica, n’est-ce pas ? dit-il en pinçant méchamment la joue de la fillette. Je suis
désolé de t’apprendre que tu ne feras JAMAIS de carrière artistique. Tu ne seras JAMAIS
danseuse, tu ne seras JAMAIS chanteuse, tu n’écriras JAMAIS de livre, tu ne réaliseras
JAMAIS de film, tu ne signeras JAMAIS de ligne de vêtement, tu ne sortiras JAMAIS de
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parfum, et surtout – loué soit le Glamour – tu ne seras JAMAIS comédienne ! Grâce à moi, la
galaxie est à l’abri de ton influence néfaste. Je vais sauver le futur de la vulgarité et de la
provocation !
− Elle n’a pas l’air si dangereuse, constata Eros avec dédain. En fait, ce n’est qu’une pauvre
gamine, dans le genre terrienne de base.
Formol ignora la remarque de son amant et alla parler à Schlange, toujours cramponné à
l’avant.
− Docteur, avez-vous bricolé la petite arme anti-cyborg que je vous ai demandée ?
− Oui, Monsieur le Président, votre plan fonctionne parfaitement. J’espère simplement que le
CosmoQueer est toujours là.
− Moi aussi, ajouta le général Déziratta sans quitter la route des yeux.
− Ne vous inquiétez pas, ces crétins déviants savent que notre présence au vingtième siècle est
dangereuse pour le continuum temporel. Ils ne partiront jamais sans nous. Mon plan n’a
aucune faille. Je suis un génie.
La fourgonnette tourna brusquement à l’extrême droite (comme par hasard) et quitta la route
pour s’enfoncer dans la zone boisée qui bordait le lac.
Dans la salle des machines, l’équipage du CosmoQueer s’activait. Allongée sur le dos, le
corps presque entièrement dissimulé sous un énorme appareil électronique, Ana utilisait ses
outils de précision pour effectuer des réglages compliqués. Alex6 transporta sans aucun effort
et avec beaucoup d’élégance un gros caisson jusqu’à l’endroit où Stefan était en train de
brancher plusieurs câbles multicolores. L’androïde posa le caisson sur le plancher métallique
et fit mine de s’essuyer le front pour enlever une sueur imaginaire.
− Voici des pièces détachées extraterrestres, de la part de Cut. Je n’aurais jamais dû me poser
des faux ongles ce matin, j’en ai déjà cassé trois. Quelle tristesse… Je l’avais dit. Mais
personne ne m’écoute dans ce vaisseau. Sans parler du cambouis sur mes jolies chaussures et
cette atmosphère poisseuse qui imprègne ma perruque… Stefan, tu m’écoutes ?
Le jeune pilote du CosmoQueer était très concentré. Un câble mal branché pouvait provoquer
un terrible accident dans l’espace et conduire l’astronef directement dans les Limbes
Galactiques. Vexé d’être complètement ignoré par son ami, Alex6 tourna les talons et sortit de
la salle des machines en tortillant du popotin. Le canon d’un pistolet laser se plaça contre sa
tempe.
− On ne bouge plus, saleté de robot tapette, fit le général Déziratta avec un sourire mauvais.
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− Je ne suis pas un robot, je suis un androïde, rectifia dignement Alex6 avant de se prendre
une gifle.
La situation pouvait difficilement empirer. L’équipage du CosmoQueer était réuni dans le
salon de l’astronef, pieds et poings liés. Même Kristof, malgré son puissant corps de cyborg,
était momentanément réduit à l’impuissance à cause du gadget bricolé par le docteur
Schlange. L’astronef avait décollé avec le savant fou et le général Déziratta aux commandes.
Une mystérieuse petite fille en chemise de nuit était assise dans l’un des fauteuils.
Probablement traumatisée par son enlèvement, elle n’avait pas prononcé un mot depuis son
apparition à bord du vaisseau. Eros avait pillé la garde-robe de Stefan. Il s’était rasé, douché,
hydraté, parfumé, coiffé et changé, et était maintenant plus beau et surtout plus énervant que
jamais. Il toisait Kristof et ses compagnons avec un insupportable air suffisant, un pistolet
laser posé négligemment à côté de lui. Norbert Formol avait lui aussi utilisé le module
pressing de l’astronef pour remettre en ordre sa tenue stricte et austère de Père de la Nation
Galactique.
− Monsieur le Président, dit la voix du docteur Schlange par le haut-parleur du salon, j’ai
enfin compris le fonctionnement de l’équipement temporel qu’ils ont installé.
− Attendez mes instructions, répondit Norbert Formol. Je vais d’abord expliquer à nos
prisonniers pourquoi ils devraient vénérer mon intelligence supérieure.
− Ah non ! s’exclama Stefan, vous n’allez pas encore recommencer le coup du long discours
d’autosatisfaction ! C’est horripilant et tellement cliché !
− Silence, petit insolent ! Tu es comme les autres : aucun respect pour l’ordre, les traditions et
l’autorité ! Sache que cette fillette que nous emportons avec nous est la future Madonna et
que, grâce à mon idée géniale de kidnapping, la galaxie sera privée de son influence
maléfique durant les siècles suivants. Le désordre et la décadence qui règnent dans le futur
vont disparaître à jamais ! Un ordre nouveau basé sur l’autorité, la décence, l’obéissance, la
pureté et l’uniformisation verra le jour grâce à moi, à moi, à moi !
Intrigués, Alex6 et Stefan se tournèrent vers la petite fille.
− C’est impossible, fit Alex6 très sûr de lui, Sainte Madonna du Divertissement était blonde.
J’en suis certain, j’ai vu son image plusieurs fois sur les vidéo-vitraux des temples de l’Eglise
de la Superficialité Salutaire.
− La teinture pour cheveux existait à son époque, lui fit judicieusement remarquer Stefan.
− Allez-y, mon cher docteur Schlange, ramenez nous à notre époque, s’écria Formol.
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Trente secondes plus tard, le CosmoQueer plongeait dans un tourbillon de lumières
multicolores éblouissantes. Tous les passagers et membres d’équipage perdirent connaissance
dans cette ambiance psychédélique… En fait, en tant qu’androïde, Alex6 ne pouvait bien
évidemment pas s’évanouir. Mais il fit comme si, afin de pouvoir adopter une pose lascive et
dramatique très étudiée. L’Intelligence Artificielle de l’astronef se sentit soudain très seule.
L’angoisse monta d’un cran.
_ Pourquoi suis-je toujours abandonnée dans les situations les plus désespérées ? Think Of
Me Alex6 ! Ne sois pas égoïste ! Ne me laisse pas toute seule dans cette panade ! Alex6, tu
m’entends ? Et la solidarité entre êtres artificiels, hein ? Alex6 ? Connasse…
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