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“Tirée d’un fait-divers, cette oeuvre majeure, drôle et grave à la fois, est une fable virulente sur la puissance de l’argent.” A Rome, Peppino et Antonia habitent avec leurs quatre enfants un bidonville. Tous les ans, une vieille milliardaire américaine, qui fait le tour du monde et assouvit sa passion des cartes en jouant avec des indigènes très pauvres, vient habiter avec son chauffeur (et ancien amant), George, une somptueuse villa sise à proximité. Fanatique du “Scopone scientifico”, un très ancien et populaire jeu de cartes italien, elle joue avec Peppino et Antonia à qui elle “prête” lors de la première partie un million de lires, qu’elle regagne toujours. Peppino, Antonia, leurs enfants et toute la bourgade vivent passionnément ces parties en rêvant de plumer la vieille... Cette année, Peppino et Antonia, après avoir gagné, perdent la première partie. Le lendemain soir, ils perdent leur million et proposent de jouer dix mille lires qu’ils n’ont pas et en perdent trente mille. Ils doivent emprunter un peu partout. La troisième partie s’engage. Peppino et Antonia gagnent sept millions ; la vieille, ne supportant pas de perdre, a une attaque, ils rentrent chez eux avec leur gain. Mais elle les rappelle... FICHE TECHNIQUE RÉALISATION LUIGI COMENCINI SCÉNARIO RODOLFO SONEGO PHOTOGRAPHIE GIUSEPPE RUZZOLINI MUSIQUE PIERO PICCIONI SON BRUNO BRUNACCI MONTAGE NINO BARAGLI COSTUMES BRUNA PARMESAN PRODUCTION DINO DE LAURENTIIS INTERPRÉTATION PEPPINO ALBERTO SORDI ANTONIA SILVANA MANGANO LA VIEILLE AMÉRICAINE BETTE DAVIS GEORGE JOSEPH COTTEN RICHETTO DOMENICO MODUGNO LE PROFESSEUR MARIO CAROTENUTO CLEOPATRA ANTONELLA DI MAGGIO LO SCOPONE SCIENTIFICO - ITALIE 1972 DURÉE 1H58 - EASTMANCOLOR SORTIE le 12 JUILLET 2006 copies neuves PRESSE ANNICK ROUGERIE Tél. 01 56 69 29 30 “Il ne faut pas être grand clerc, et Comencini y insiste suffisamment pour que le spectateur le moins averti en soit conscient, pour comprendre que cette intrigue est une parabole. L’affrontement du bidonville et de la bourgeoisie. Ce qui n’empêche pas que L’Argent de la vieille soit, au premier degré, une comédie fort drôle, nourrie à la fois de tendresse et d’humour noir. Comencini fait ainsi une nouvelle démonstration de l’habileté des cinéastes italiens à mêler spectacle et réflexion, et le spectacle est ici de grande qualité. Une mise en scène efficace, malgré l’insistance sur certaines intentions, y est renforcée par les prestations des quatre acteurs principaux parfaitement maîtres de leurs rôles. Mais l’arrière-plan n’en reste pas moins primordial. Le jeu - le scopone scientifico - a pour objet l’appropriation du pouvoir à travers celle de l’argent. Cette tentative de conquête par le prolétariat repose sur une illusion. Il ne peut pas gagner parce que les règles du jeu sont imposées par la classe dominante, donc à son profit. En les acceptant, le prolétariat accepte son échec. Les règles sont, en apparence, les mêmes pour tous, qu’il s’agisse du scopone scientifico ou du comportement général des individus. En réalité, il en va autrement. La vieille impose le quitte ou double. Or son argent - comme le fait remarquer Richetto, ce qui ne l’empêchera pas de tomber lui-même dans le piège - lui permet de doubler pratiquement la mise à l’infini. Dans ces conditions, il est impossible qu’une erreur de carte, une donne défavorable, profite à un moment à ses partenaires. “Pour gagner, dit-elle, il faut connaître les cartes de ses adversaires.” Eux ignorent toujours les siennes parce qu’ils respectent naïvement une “honnêteté” qui n’appartient qu’à eux. La deuxième faiblesse, selon Comencini, est l’affectivité du prolétariat. La vieille garde la tête froide, ne cède jamais aux sentiments, mais elle sait à merveille exploiter ceux des humbles pour mieux les vaincre. Parce qu’on leur a inculqué des règles morales - et ce n’est pas pour rien qu’ils ont un prêtre auprès d’eux - ils se croient obligés d’y obéir. Ils salueront l’intégrité de la vieille pour 30 000 lires restituées. Ils se fatiguent à son chevet pendant que, entourée de ses soigneurs, elle récupère de sa maladie vraie ou supposée. “Ce n’est pas étonnant qu’elle joue bien avec les kilos d’oxygène qu’elle a absorbés”, dit Peppino dans un rare moment de lucidité. Ce piège de la sentimentalité est aussi celui dans lequel Richetto, joueur aguerri, succombe dès l’instant où il fait passer son honneur et son besoin de séduire Antonia avant la stricte observance d’une lutte essentiellement intellectuelle. Finalement, ils sont tous victimes d’un code donné comme celui de l’honnêteté qui s’exprime dans l’observance de règles économiques (le jeu) ou sociales (l’affectivité) que la classe dominante impose pour gouverner, mais ne respecte pas elle-même. Elle y est aidée par ses alliés objectifs, notamment les intellectuels - symbolisés ici par George, peintre d’avenir devenu chauffeur et complice - qui se renient pour les fastes illusoires d’un parasitisme douteux. Ce que le prolétariat ne comprend pas, c’est que les règles apparentes ne sont pas les vraies ; que tout est truqué. Dès lors, basant son action sur l’apparence, il ne peut aboutir qu’à l’échec. Gagnerait-il la partie de cartes qu’il ne serait pas plus vainqueur pour autant. Comencini souligne à plusieurs reprises que - justement parce qu'il ignore les règles occultes - il est incapable d’exercer le pouvoir, même possesseur de l’argent dont il ne saurait user. Il n’y a qu’à voir les pauvres rêves d’avenir des habitants du bidonville pour s’en convaincre : ils sont résolument incapables, faute d’éducation, de gérer un tel capital qui serait immédiatement réabsorbé par le système. A la clarté de son raisonnement, Comencini ajoute un pessimisme politique foncier. Schématiquement (et aux connotations près qui tireront les spectateurs vers des interprétations de détail, sans toutefois changer l’essentiel) les opposants représentent autant de formes de lutte et autant d’échec. Avec Peppino et Antonia, c’est la lutte individuelle. Richetto, installé dans le système comme une PME, représente les couches moyennes qui aimeraient s’assimiler à la bourgeoisie, mais sont rejetées dès qu’elles prétendent dépasser l’illusion du pouvoir. Le professeur est dans sa démarche de lutte collective à l’intérieur du système - donc avec les règles de la classe dominante - fort proche des partis de gauche traditionnels. Reste Cleopatra. Malgré quelques tentations fugitives, elle ne croit jamais à la victoire. D’instinct, elle a compris les dangers d’un rêve entretenu - argent de la vieille ici, loto, élections ou tiercé ailleurs - qui les maintient dans la misère. Tuer la vieille c’est d’abord tenter de briser ce rêve et par là même l’observance des règles du jeu. C’est forcer les adultes à faire un pas vers la lucidité qui, ici comme souvent chez Comencini, est l’apanage des enfants. Mais d’autres vieilles se lèveront sans doute qui reviendront battre les cartes dans les bidonvilles. L’Argent de la vieille ne délivre pas de message d’espoir. Il tente seulement d’éveiller des consciences occidentales.” François Chevassu (La Revue du Cinéma, janvier 1978) “Une oeuvre majeure, drôle, et grave à la fois, selon cette alchimie que seuls, quelques très grands cinéastes réussissent à maîtriser - populaire et distanciée (...), une oeuvre où “le jeu du pouvoir et de l’argent”, selon les termes de Ennio Flaiano, finit par entraîner tout le monde dans une folie communicative et déshumanisante grandissante.” Jean Gili “ Semé de détails humoristiques et grotesques dans la meilleure tradition de la comédie italienne, ce film est empreint d’une lucidité amère, d’une profonde sensibilité devant la misère et le “mauvais sort” des humains.” Jacques Siclier “Le côté abstrait et distancié de la fable est équilibré par un modèle de distribution : face à l’impitoyable Bette Davis, l’humain, trop humain et fébrile Alberto Sordi lutte à sa manière contre les moulins à vent. Rarement dans un film divertissement et message social auront été liés d’une manière aussi indissociables et aussi brillante.” Jacques Lourcelles Luigi COMENCINI Pendant longtemps, Luigi Comencini a été considéré comme un habile artisan dont le seul titre de gloire était “d’avoir lancé la série populaire des Pain, amour”. Le succès populaire de Comencini interdit longtemps de le considérer sous l’angle artistique, encore moins comme un “auteur”. Il est vrai que lui-même, à la façon des grands classiques, n’a guère œuvré en ce sens : “Il y a des gens pour m’appeler “maître” et déclarer que je suis un artiste, confiait-il encore au Figaro à la sortie d’Un enfant de Calabre. Je préfère passer pour un artisan qui donne à rêver”. Comencini n’est pas l’artiste isolé qui médite longuement son œuvre et attend que les moyens lui soient donnés pour la réaliser, à la manière d’un Robert Bresson, par exemple. Comme Chabrol en France il considère que “faire des films est mon métier, celui qui exerce mon métier doit faire des films”. Il préfère même, par honnêteté intellectuelle, réaliser un film de “compromis” dans lequel il introduira quelque chose de sa vision des choses que des films publicitaires : “On ne peut pas avoir une attitude publique contre la société de consommation, confie-t-il en 1979, contre les conditionnements du marché dont nous sommes tous victimes et surtout nous qui faisons du cinéma, et, en même temps, contribuer avec des films publicitaires à maintenir cet état des choses”. Luigi Comencini est né à Salò le 8 juin 1916. Sa famille s’installe à Agen, en France, en 1925 et le jeune Luigi fréquente le lycée de la ville jusqu’en 1934, date à laquelle il rejoint Milan pour y obtenir un diplôme d’architecture en 1939. Parmi les lectures qui l’ont marqué, Comencini cite Les Faux-Monnayeurs de Gide, et L’Evangile. C’est à la fin de sa scolarité qu’il se prend de passion pour le cinéma à travers des films de Pabst (L’Opéra de quat’sous, l’Atlantide). À Milan, il se lie d’amitié avec le futur cinéaste Alberto Lattuada. Avec celui-ci et le critique Mario Ferrari, il fonde une cinémathèque privée et se consacre jusqu'en 1946 à réunir de vieux films. Ce sera la base de l’actuelle Cinémathèque de Milan. Il réalise un court métrage en 16 mm en 1937, est critique, photographe, puis assistant-réalisateur et scénariste durant la guerre. En 1946, il travaille à la rubrique culturelle du quotidien socialiste Avanti ! Son court métrage documentaire I Bambini in città, sur les enfants qui tentent de recréer un monde imaginaire et habitable dans les rues de Milan dévasté et hostile, obtient le prix du meilleur court métrage de l’année et est présenté à Cannes et Venise. Carlo Ponti propose alors à Comencini de réaliser un “remake” d’un film américain sirupeux mais à succès de Norman Taurog (Boy’s Town) où un prêtre démontre qu’il est possible de récupérer même les pires des enfants délinquants. Dans Proibito rubare (De nouveaux hommes sont nés, 1949), Comencini oppose l’idéalisme d’un jeune prêtre à la violence des bas-fonds. Le film est un échec et le réalisateur accepte de diriger Toto dans une comédie plutôt médiocre, L’Imperatore di Capri, suivi de deux films sur la prostitution, Volets clos (1950) et Traite des blanches (1952). Tourné en Suisse à partir d’un classique de la littérature enfantine, Heidi (1952), est un échec commercial en Italie et, découragé, Comencini découvre dans un livre d’Ettore Margadonna une galerie de personnages intéressants et une féroce critique d’un maréchal des logis qui préfère courir les femmes et manger que remplir sa mission. Inquiet, le producteur, sur le conseil du général commandant du corps des carabiniers, confie le rôle à Vittorio De Sica, ce qui permet au film d’exister mais rend sympathique le héros. La forte présence de Gina Lollobrigida contribue également au fabuleux succès, totalement inattendu, du film en Italie comme à l’étranger. Comencini a la faiblesse d’accepter de donner une suite à Pain, amour et fantaisie (1953) avec Pain, amour et jalousie (1953). Le premier est d’abord bien accueilli par la critique. Alberto Moravia y voit “le passage du film néoréaliste à la comédie de dialecte... D’une authenticité de contenu et de documentation à une authenticité d’art et de langage”. Mais la suite, le troisième volet réalisé par Dino Risi, des sous-produits de la série entraîne un revirement et Comencini sera longtemps considéré comme le “fossoyeur du néoréalisme”. Après une comédie douce-amère, La Belle de Rome (1955), Comencini réalise un film personnel dans lequel il se reconnaît pleinement, Fenêtre sur Luna Park (ou Tu es mon fils, 1956). Dans un faubourg misérable de Rome, un enfant de huit ou neuf ans, dont le père a émigré en Afrique pour faciliter la vie de son épouse et de son fils, cherche désespérément un substitut paternel. Il s’attache à l’amant de sa mère et, après la mort accidentelle de celle-ci, repousse son père, de retour, qui ne songe qu’à repartir et mettre son fils en pension... “Le film est émou- vant, mais à quoi bon s’attarder sur la misère dans les taudis ? “, aurait déclaré Giulio Andreotti, alors ministre, résumant l’opinion du public. Le film est un échec et Comencini se tourne vers des satires de moeurs sur l’adultère. En 1960, Comencini réalise une de ses grandes comédies et un de ses grands succès, La Grande pagaille, regard ironique et cruel sur la débandade de l’armée italienne lors de l’armistice de septembre 1943. Avec les scénaristes Age et Scarpelli et le réalisateur Mario Monicelli, Comencini fonde une coopérative qui produit A cheval sur le tigre (1961), comédie amère, voire désespérée, La Ragazza di Bube (1963), beau portrait de femme (Claudia Cardinale) autour d’un épisode sentimental durant la guerre. La crise économique que vit l’Italie en 1964 pousse Comencini vers des sketches et des films mineurs qui conservent néanmoins des qualités, comme Le Partage de Catherine (1965). Ce n’est pas le cas de Don Camillo en Russie (1965), dont Comencini détestait dès le départ l’idéologie et le style, mais qu’il réalisa pour éponger les dettes d’une société de production dans la faillite de laquelle il était impliqué. Le succès du film lui permit pourtant de tourner L’Incompris (1967), mal accueilli à Cannes, mais auquel le temps donnera ses galons de chef-d’œuvre du mélodrame sur l’enfance. Ce film ouvre d’ailleurs une série d’œuvres majeures plus connues, puisque sorties au moment où la critique et le public découvrent, tardivement, que le cinéma italien ne se limite pas à Rossellini, Visconti, Fellini et Pasolini : Casanova, un adolescent à Venise (1969), Les Aventures de Pinocchio, L’Argent de la vieille (1972, une de ses comédies les plus féroces), Un vrai crime d’amour (1973), Mon Dieu, comment suis-je tombée si bas ? (1974). Après des films de moins grande importance et l’excellent et férocement lucide Le Grand embouteillage (1978), Comencini revient à l’enfance, qu’il n’avait pas abandonnée en tournant en 1970 pour la télévision I Bambini e noi, une enquête sociologique sur la situation des enfants dans la famille italienne et la société qui bénéficie d’une énorme audience à la télévision italienne. Eugenio (1980), sur un enfant issu de la génération de 68 ballotté dans une famille disloquée où il se sent “en trop”, est une autre grande œuvre de Comencini, sous-estimée en France. C’est encore l’univers de l’enfance, mêlé de nostalgie et de désillusion, qui anime Cuore (1983), feuilleton TV et film, comme le sera La Storia (1985). Joyeux Noël, bonne année (1989) est encore un film sensible et nostalgique sur un vieux couple séparé, mais Marcellino (1991) “remake” d’un mélodrame espagnol, longtemps film-fétiche des écoles religieuses, pourtant délicat et attachant, n’apporte rien à une œuvre déjà suffisamment riche. Le travail de Comencini pour le septième art fait preuve d'une consistance qui en font l'un des réalisateurs importants du cinéma italien de la seconde moitié du vingtième siècle. Plus sombre que Risi, moins intransigeant que Scola, il saute de la comédie au drame avec aisance, sans oublier de pénétrer toutes les sphères de la population italienne. “La complaisance esthétique pour elle-même est la dégénérescence de l'architecture. Il en va de même pour le cinéma”. Alberto Sordi (L’Argent de la vieille, 1972)