Sur quelques caractéristiques des noms sous-spécifiés
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Sur quelques caractéristiques des noms sous-spécifiés
Sur quelques caractéristiques des noms sous-spécifiés Dominique Legallois Crisco Université de Caen [email protected] Article paru dans Scolia, n°23, 2008, p.109-127 La fréquentation des corpus ou des bases de données textuelles permet de constituer et d'étudier de nouvelles catégories lexicales, dont l'extension échappait jusqu'à lors à la perspicacité des chercheurs. En plus d’une appréhension plus directe du réel langagier, la linguistique sur corpus présente donc l’intérêt redoutable de construire de nouveaux objets d’étude. Ainsi en va-t-il de ces noms que je désigne par le terme de «noms sousspécifiés »1. Je propose ici de caractériser cette catégorie de plus en plus présente dans le discours linguistique, en commençant par justifier son statut lexico-grammatical et en rappelant brièvement certaines propriétés des constructions qu’elle intègre. Je donnerai ensuite une liste de ces noms à partir d’une extraction sur corpus, pour m’intéresser alors aux notions de sous-spécification et de spécification, ainsi qu’au fonctionnement référentiel des NSS. J’entamerai enfin une réflexion sur les motivations des emploi des NSS et leur rapport avec la monstration de certains schémas rationnels. Certaines des remarques que je ferai ici doivent beaucoup aux travaux de F. Higgins (1979) et surtout H.J. Schmid (2000), C. Blanche-Benveniste (1992) et D. Apothéloz (2008) et (à par. b). 1. Noms sous-spécifiés et Constructions Spécificationnelles 1.1. Lexique et grammaire Les NSS constituent un ensemble nominal, sémantiquement non homogène, employé dans une construction syntaxique particulière. Par exemple : 1) Leur idée a été de dresser le "portrait-robot" du patron performant (Libé) 2) L'argument massue de Matra, c'est que l'opération permettrait d'éviter à l'Etat de recapitaliser Thomson-CSF (Libé) 1 Désormais NSS. 1 Malgré leur différence2, nous poserons (comme nous l’avons fait dans Legallois (2OO6) et Legallois et Gréa (2007) ) que ces deux constructions instancient une même structure : NSS Être QUE P \ DE INF La littérature qualifie cette structure, à la suite de F. Higgins (1979), de spécificationnelle3. Je ne reviendrai pas ici sur ses propriétés syntaxiques qui ont été étudiées dans C. Blanche-Benveniste (1992), D. Apothéloz (à par. a) et à par. b)4, Legallois (2006). Legallois et Gréa (2007) ont proposé de voir dans la CS une construction au sens de la Grammaire de Construction, c'est à dire une forme holistique et préconstruite, chargée de particularités pragma-sémantiques en dehors même de sa saturation lexicale. Legallois (2006), mais aussi les deux articles de D. Apothéloz ont montré quelques-uns des fonctionnements textuels de ces CS. Les noms que je qualifie de sous-spécifiés sont donc les noms qui intègrent une CS. J’insiste sur le fait que la notion de NSS s'applique à un type d'emploi nominal et non à une nature nominale. Plus précisément, je fais mienne la conception selon laquelle une structure syntaxique (ici, la CS) est employée avec un ensemble d’unités lexicales (les NSS) que l’on peut circonscrire, et, inversement, que les unités lexicales sont employées « préférentiellement » dans des configurations syntaxiques particulières5. Il y a une interdéfinition entre lexique et grammaire, qui oblige à considérer que la catégorie NSS n’a de pertinence que par rapport à la CS. Cela n'exclut pas, évidemment, que ces mêmes noms peuvent être employés dans d'autres constructions : il existe un rapport évident, comme on le verra plus loin, entre certains NSS et les noms à compléments propositionnels (N que + P, N de + inf.). Il est possible alors de considérer une catégorie plus large que les NSS, celle qui recouvre les noms employés dans des constructions apparentées. C’est la démarche de H.J. Schmid, pour l’anglais, qui nomme shell nouns l’ensemble des noms qui intègrent les CS, mais aussi d’autres constructions apparentées : N-that, N-to, N-wh, th-N, th-be-N (selon la notation de Schmid (2000 : 22).). Je me limiterai pourtant ici au seul rapport NSS et CS. 1.2. Extraction à partir d’un corpus 2 La construction avec complétive exprime un fait, un événement, un état de choses dont la valeur de vérité a été suspendue par que. La forme infinitive exprime un procès hors de tout ancrage temporel (cf. Gaatone, 1987 : 295). Je ne distingue pas ici les formes avec ou sans pronom de reprise « ce ». 3 Aussi parlerai-je de constructions spécificationnelles, désormais CS. 4 Les travaux de D. Apothéloz portent plus spécifiquement sur les pseudo-clivées qui constituent une construction proche de la construction spécificationnelle. A cet égard, la lecture de Roubaud (2000) est également d’un grand intérêt. 5 Cf. G.Francis (1993). 2 J’ai recensé 2797 CS pour une année du quotidien Libération (1995) : 1452 avec infinitifs et 1345 avec complétive. Les infinitives accueillent 214 noms, les complétives 208. 66 noms sont communs aux deux types. Pour le même corpus, les chiffres diffèrent de ceux relevés dans Legallois et Gréa (2007). J’ai, à l'occasion de cet article, repris l'extraction avec Unitex ; les variations viennent de la prise en compte ou non de certaines unités lexicales. Ainsi, j’ai intégré à la liste, les formes superlatives telles que « le plus important, le plus urgent, le moins que l'on puisse dire, etc. », assez nombreuses pour la construction avec complétive6. NSS pour la CS avec inf. : acte action alternative ambition apport argument art astuce atout attitude audace avantage avenir axe bataille boulot but caractéristique cauchemar chance charge choix chose clé coeur concept confort conseil conséquence consigne consolation contre-feu contribution controverse conviction coup-de-génie courage crainte critère culot danger débat décision défaut démarche dénominateur-commun désir dessein destin deuxième devoir difficulté dignité direction directive discours discussion don effet éloge énigme enjeu enseignement erreur espoir esthétique étape éthique exemple exigence face facilité façon faux-pas fin-du-fin finalité fonction fond-de-notre-méthode force gageure geste grâce grandpied grande-affaire habileté hantise hommage idéal idée illusion impératif inclination inconvénient initiative inquiétude intelligence intention intérêt l'essentiel l'important le-plus-économique le-mieux le-moindre-mal le-plus-désagréable leplus-difficile le-plus-dur le-plus-éclairant le-plus-formidable le-plus-grand plaisir le-plus-important le-plus-passionnant le-plus-remarquable le-plus-simple le-plussûr le-plus-urgent leitmotiv liberté ligne logique maîtrise mandat manière mérite métier mission mode moment motif motivation moyen mystère nature nec-plus-ultra nécessité normalité objectif objet obsession opinion orientation originalité paradoxe pari parti-pris particularité partie-de-l'art penchant naturel performance plaisir plan point-de-départ pratique premier principal principe priorité problème programme projet propos proposition propre prouesse provocation question question-clé raison raison-d'être réaction réflexe règle remède réponse reproche responsabilité ressort résultat réussite rêve révolution risque rôle ruse sagesse satisfaction sens solution souci souhait spécialité spécificité sport stratégie suggestion surprise suspense tâche tactique technique tendance tentation terme tort tournant tout tradition travail trouvaille truc urgence usage vocation volonté NSS pour la CS en que : alibi ambition analyse apparence argument argumentmassue argumentation aspect atout attrait avantage avenir avis axiome beauté-dusport bénéfice bienfait bon-côté bonne-chose but calcul caractéristique certitude chance charme choix chose clé comble conclusion condition conséquence consolation constante constat contrepartie conviction côté-positif coup-de-théâtre crainte critère croustillant danger démonstration dénominateur-commun désir deuxième différence difficulté distinction donnée drame écueil effet-boomerang 6 Les formes nominales composées sont orthographiées avec un tiret pour faciliter et la lecture, et la comptabilité des occurrences. 3 élément-déterminant élément-important ennui enseignement équité espoir évaluation évidence exigence explication faiblesse fait fin-du-fin fin-mot fond-de-l'affaire fonddu-problème force gag génie grandeur grief hic hypothèse idéal idée impression inconvénient information intérêt ironie jugement l'essentiel l'étonnant l'extraordinaire l'important lacune le-plus-cruel le-plus-curieux le-plus-déplorable le-plus-déprimant le-plus-désolant le-plus-terrible le-plus-fascinant le-mieux lemoins-que-l'on-puisse-dire le-pire le-pire le-plus-absurde le-plus-ahurissant le-plusamusant le-plus-beau le-plus-cocasse le-plus-déroutant le-plus-difficile le-plusdrôle le-plus-dur le-plus-étonnant le-plus-étrange le-plus-fort le-plus-fou le-plusfrappant le-plus-grave le-plus-important le-plus-impressionnant le-plus-incroyable le-plus-inquiétant le-plus-insensé le-plus-intéressant le-plus-intrigant le-plusmarquant le-plus-probable le-plus-spectaculaire le-plus-stupéfiant le-plussurprenant le-plus-triste le-plus-troublant le-plus-vicieux le-plus-vraisemblable lepoint-capital leçon ligne-rouge limite logique malheur marque-du-moment merveilleux message miracle morale mythe noeud non-dit normalité nouveauté nouvelle objectif objection opinion originalité paradoxe pari particularité peur philosophie piment-de-l'affaire point point-essentiel point-négatif point-noir pointpositif point-troublant position postulat premier principal probabilité problème procédé propos propre raison raisonnement réalité récompense regret réponse reproche résultat réussite rêve revers-de-la-médaille risque scandale sentiment signe singularité singulier souci souhait soulagement sujet surprise talent thèse tout trouvaille truc utilité valeur vérité vertu voeu volonté NSS communs aux deux sous-constructions : ambition argument atout avantage avenir but caractéristique chance choix chose clé conséquence consolation conviction crainte critère danger désir deuxième difficulté enseignement espoir exigence idéal idée inconvénient l'essentiel l'important le mieux le plus difficile le plus dur le plus important logique normalité objectif opinion originalité paradoxe particularité pari premier principal problème propos propre raison réponse reproche résultat réussite rêve risque souci souhait surprise tout trouvaille truc volonté. Le travail de catégorisation de ces noms dans différentes classes homogènes n’a pas été entrepris pour le français7, même si quelques pistes ont été avancées par D. Apothéloz. Très succinctement (par manque de place), je donne seulement et sans commentaires les grands domaines proposés par Schmid (2000), avec des exemples en français : - domaine factuel : Le NSS catégorise le contenu propositionnel (CP) comme fait (la chose essentielle est que Paul vienne demain) - domaine linguistique : le NSS catégorise le CP comme un objet linguistique (la réponse est qu'il n'en sait rien) 7 Ce travail est en cours. Je pense qu’il conviendrait d’opérer un croisement entre classes de NSS et fonctions textuelles de connecteurs des CS, dans l’objectif, par exemple, d’une annotation sémantique des textes. 4 - domaine mental : le NSS catégorise le CP comme un processus ou un état cognitif (l'objectif est de faire reculer le chômage) - domaine modal : le NSS catégorise le CP comme une possibilité, une certitude, une capacité, une permission, une obligation (la vérité est qu'il ne viendra pas) - domaine événementiel : le NSS catégorise le CP comme une activité, un procès ou un état (la première action du gouvernement fut de baisser les impôts) domaine circonstanciel : le NSS catégorise le CP comme une manière (la meilleure manière est de s'y prendre autrement) A ces grandes catégories, Schmid ajoute un nombre important de sous-classes. Au final, l’auteur distingue 75 classes différentes8 ! 2. Les notions de sous-spécification et de spécification 2.1. A partir d’Higgins Parler de noms sous-spécifiés demande une explication terminologique; la notion de spécification est popularisée par Higgins, dans la perspective d’une description des phrases copulatives. L’auteur donne quatre types de phrases copulatives9, selon la combinaison entre la nature sémantique du segment gauche (pour Higgins, le sujet) et le segment droit (le predicat chez Higgins, traditionnellement donné comme l'attribut par la grammaire française) : Type Nature du segment gauche référentielle Prédicative cette voiture est rapide référentielle Identificatrice la dame avec le caniche, c'est Madame Legros référentielle Identité l'étoile du matin est l'étoile du soir superscripturale Spécificationnelle ce que je voudrais, c'est des vacances Nature du segment droit prédicative identificationnelle référentielle spécificationnelle 8 Dans le travail de Schmid, un nom peut appartenir à plusieurs classes différentes. Mon objet n’est pas de discuter les typologies des phrases copulatives. Le lecteur peut se référer, pour une analyse complète, au livre de M. Van Peteghem (1991), ou encore aux articles d’A. Boone (1996) et L. Picabia (2000). 9 5 Ce tableau appelle des commentaires. Premièrement, les spécificationnelles chez Higgins sont le plus souvent des pseudo-clivées, avec, pour segment droit, un SN. Comme indiqué en note plus haut, je considère que ces dispositifs réalisent la même relation (de spécification) que les CS (d'autres linguistes comme Roubaud, Apothéloz, ou Schmid partagent ce point de vue)10. Deuxièmement, j’ai traduit par identificatrice le type identificational de Higgins, et par identité, identity. Force est de constater que la terminologie pourrait être améliorée. Troisièmement, le qualificatif superscriptural11 (superscriptional), qui n'a pas connu de franc succès, témoigne de l’apport d'Higgins : la différenciation de ce segment des autres segments gauches des copulatives. Ainsi, ce que je voudrais est superscriptural car le segment pourrait constituer une expression sur une liste que viendrait spécifier le second segment. On peut penser, par exemple, à 3) les gagnants sont : Dupont, Durant, Dupuis, etc. Cette qualification de la nature du segment gauche sera discutée plus loin. 2.2. Spécification Pour Higgins, donc, l’élément superscriptural se comporte comme une rubrique, que vient remplir le segment droit. Ce « remplissage » constitue la spécification. L’idée de l’élément superscriptural n’a guère été reprise dans la littérature, sans doute à cause de son manque de précision, et de son aspect trop analogique. En revanche, le principe d’une spécification a été retenu. Je voudrais approfondir la nature de cette spécification. Le travail de spécification que remplit la construction présuppose donc une sous-spécification. C’est bien sûr la partie nominale qui est en appel de spécification. Le NSS doit recevoir du co-texte, ce que Winter (1992) a nommé une réalisation lexicale ; Schmid parle d’une incomplétude sémantique, sensible, non pas dans la signification du nom (certains NSS ont des « sémèmes » complexes qui ne peuvent être réduits à un trait), mais dans l’acte de communication. Prenons le nom reason : By evoking a two-place relation between cause and effect, the noun reason sets up two cleary defined semantic gaps which need to be filled. However, when it comes to specyfing these things the noun itself misses out and must rely on the context to supply the necessary information, a characteristic which is of course again typical of all shell nouns. (H.J. Schmid, 2000 :76). De ce fait, la non spécification n’est pas, à proprement parler, sémantique, comme le dit Schmid (et généralement les travaux anglo-saxons), mais, plus exactement, informationnelle. Il s’agit bien, pour le NSS, de se grossir du contenu informationnel véhiculé par la partie spécificationnelle. On pourrait 10 De ce fait, je reconnais une insuffisance terminologique, les phrases spécificationnelles ne se réduisent pas aux CS. 11 M. Van Peteghem (1991 : 27) traduit par « sujet étiquette ». 6 dire que la spécification consiste à assigner un contenu au NSS. Mais si l’on veut mieux définir le rapport entre la sous-spécification nominale et le cotexte, il faut aller plus loin dans la description de la nature « référentielle » des NSS. Pour l’exemple 4) What I don't like about John is his tie Higgins commente : the subject « What I don't like about John » is not referential and the predicate complement « his tie » is also not referential, for, although the phrase does denote or mention an object, it is not used in this sentence in such a way that anything is said about that object. (F. Higgins, 1979 : 214). Il est en effet difficile de voir un fonctionnement référentiel au segment gauche des CS. Dans : 5) Dini propose justement que le premier train ne parte pas avant d'afficher "complet". L'alternative serait de renégocier Maastricht, ce qui serait périlleux (Libé) L’alternative ne fait référence ni à un objet textuel, ni à un objet extralinguistique12. J. Gundel (1977) semble être la première à se référer à la notion de description définie attributive de Donnellan (1966) pour expliquer le phénomène. Plus récemment, C. Blanche-Benveniste et D. Apothéloz s'appuient sur les travaux de Fauconnier mais aussi de Donnellan. Fauconnier (1984) propose de voir dans un type d'emploi nominal – touchant a priori tous les noms – un fonctionnement particulier pouvant être décrit en termes de rapport entre rôle et valeur. Ainsi, l’exemple réactualisé : 6) Le président change tous les 5 ans peut être compris : 6’) le Président, M. Sarkozy, change d'aspect tous les 5 ans. ou, plus vraisemblablement : 6’’) il y a un nouveau président tous les 5 ans. Dans la première interprétation, Sarkozy est la valeur de président. Au rôle président on assigne, en effet, la « valeur » Sarkozy, entité définie et repérable. Changer tous les 5 ans est alors une propriété de la valeur (Sarkozy) d'un rôle (président). Dans la seconde interprétation, président est un rôle non saturé, c'est-à-dire une fonction, dans le sens institutionnel du terme, mais surtout, pour ce qui nous intéresse ici, dans le sens logique. Changer tous les 5 ans est alors une propriété du rôle. En 1966, Donnellan avait déjà décrit, d'une autre manière, le même phénomène. Dans une critique des travaux de Russell et de Strawson, le philosophe distinguait deux types de description définie : les descriptions définies référentielles et les descriptions définies attributives qu'illustre le célèbre exemple suivant : 7) Smith's murderer is insane 12 Des segments gauches référentiels existent cependant, en petit nombre : ce plan stratégique a été de démédicaliser la lutte contre l'épidémie 7 Dans la lecture référentielle de cet énoncé, Smith's murderer renvoie à un individu repéré dans l'univers de discours du locuteur : Brown, par exemple. Dans la lecture attributive, Smith's murderer n'est pas découvert. Murderer, dans les termes de Fauconnier, est un rôle auquel les services de police cherchent à attribuer une valeur. C'est cette dernière lecture qui est requise dans le cas des NSS. Ainsi, la valeur du déterminant nominal est systématiquement définie (articles définis, déterminants possessifs, etc.), sans que le GN soit référentiel. Ce GN tend donc vers une détermination qui n'est rien d'autre que sa spécification, ou encore sa valeur. Si tout nom peut en principe être employé comme rôle (président et assassin ne sont évidemment pas des NSS), il est tout à fait remarquable que les CS constituent des dispositifs spécialisés dans la mise en relation entre un rôle et une valeur. Comme le remarque C.Blanche-Benveniste (1988 : 66), dans la question en « quel est le N ? (quel est le problème, l'objectif, le résultat ?), quel est désigne toujours un rôle. La question en « quel est le N ? » est celle qui s'impose pour appréhender l'acte communicationnel de la partie spécificationnelle : l’attribution d'une valeur. La nature fonctionnelle d’un NSS est donc la recherche d'une valeur que lui fournit le co-texte grâce au dispositif de la CS. Cependant, ce dispositif est également assuré par d'autres constructions, pour des clauses en « ce que +P » (les pseudo-clivées), ou pour les noms opérateurs (dans la terminologie de M. Gross) ou « à compléments propositionnels » (NCP dans la terminologie de M. Riegel)13. Ainsi, les NCP, comme les NSS, se voient conférer une valeur par une complémentation en de ou que. Aussi, les propos de M. Riegel, portant sur les NCP, éclairent également le mécanisme des NSS. A partir de 8) l’impression que quelqu'un m'a observé / d'être observé par quelqu'un m'était désagréable. M. Riegel énonce la généralisation suivante : le nom est un classificateur du CP, et le CP particularise le concept général du nom en spécifiant en quoi consiste l'impression (M. Riegel, 1996 :.317). L’auteur met ainsi en évidence le rapport « donnant-donnant » entre le rôle et la valeur, ce qu'il appelle la double orientation de la relation de catégorisation / spécification (p.317). Cette double orientation vaut, bien sûr, pour nos NSS / CS14. Ainsi, nous dirons que le NSS est un classificateur de la valeur qui le spécifie – ce qui, au niveau textuel, a son importance (Legallois, 2006) puisque la valeur peut, dans la suite du texte, être à nouveau évoquée par la seule convocation du nom. Au niveau argumentatif (Schmid 2001), cette classification impose à l'interlocuteur le point de vue du locuteur : la présupposition d'existence construite par l'article et la façon 13 Rappelons qu'il y a un recouvrement important entre NSS et NCP. Riegel donne d'ailleurs comme indice de cette double orientation la paraphrase de 8) par une CS : mon impression était que quelqu'un m'observait. 14 8 dont la valeur doit être interprétée (mystère, drame, vérité, etc.) se présentent comme des évidences non négociables par l'interlocuteur. 2. 3. Le NSS comme classificateur de la spécification M. Riegel parle donc de classification ; j’ajouterai qu’il s’agit d’une classification en creux, c'est à dire sans expression explicite de la relation de classification. Elle est décelable par la réversibilité possible (dans la plupart des cas) de la construction : 9) L'objectif de cet article est de montrer que l'écriture est aussi la mémoire du lieu (Internet) implique 9’) Que l'écriture est aussi la mémoire du lieu est l'objectif de cet article. La possibilité de la réversibilité n'autorise pas à conclure à la dérivation d'une construction par une autre, ni à l'équivalence interprétative : on a deux constructions différentes, avec toutefois une relation logique entre (9) et (9’). Si on interroge le type de classification en présence, on conclura sans peine qu'elle se démarque des classifications typiques : par le fait, justement, qu'elle ne repose pas sur l'identification de traits prototypiques. La classification prototypique présuppose une représentation stable que la valeur contextuelle ne possède pas, par définition. D'où une propriété très intéressante des NSS, qui n'a pas été relevée, peut-être parce qu'elle s'impose d'elle-même : la limite à la classification est en quelque sorte infinie. N'importe quel contenu propositionnel peut être classé, en principe, comme problème, objectif, intérêt, fait, vérité, conséquence...Les seules restrictions à ces classifications sont la pertinence de leur rôle, pour un locuteur, dans des séquences d'enchaînement (cf. plus bas). En employant une CS, le locuteur est en quelque sorte un démiurge qui s'affranchit des conditions ontologiques de catégorisation. Il est libre de catégoriser ce qu'il veut comme il veut. La seule limite est la durée de cette classification qui n’existe que le temps d'un discours ; c'est une classification temporaire et ad hoc, au sens du psychologue L. Barsalou (1983), ou, si on veut, une classification discursive. En cela, et paradoxalement, les CS ressemblent fortement aux énoncés métaphoriques. Dans 10) Le locuteur est un démiurge la « catégorisation » ne vaut que parce qu'elle est motivée par une évaluation spécifique : le comportement des locuteurs dans une certaine situation,évalué par D. Legallois. L’énoncé ne prétend pas établir une nouvelle classification permanente de l’activité du locuteur. Comme bien d’autres énoncés, celui-ci sera oublié, même par son auteur, une fois l’article achevé ! Mais il aura joué temporairement son rôle discursif. 9 Il s'agit donc pour le locuteur qui emploie une CS, d'opérer une reconversion du statut ontologique du CP : un processus ou un événement est versé (parfois pour des stratégies argumentatives) dans une catégorie comme celle (pour reprendre Schmid) des faits, des discours, des objets mentaux, des valeurs modales, etc. On pourrait dire péremptoirement que les CS permettent des fictions au sens premier du terme, c'est-à-dire des fabrications de l'énonciateur. La parenté avec les emplois métaphoriques15, qu'il faudrait travailler davantage, trouve une explication dans le fait que les deux types d’emplois nominaux sont syncatégorèmatiques. Cette nature est révélée par la modification par les enclosures vrai et véritable (cf. D. Legallois, 2002), qui peuvent d’ailleurs constituer des indices d’énonciation métaphorique. Les restrictions à cette modification sont d'ordre morphologique : avec les adjectifs nominalisés 11) * le vrai important est de participer, ou avec les constructions superlatives (le comble, le plus stupéfiant), ou polyphoniques : « le fait est que », qui outre son figement manifeste, a pour fonction argumentative de renforcer la portée du discours du locuteur puisque le locuteur prend en charge un point de vue donné pour acquis. (V. Lenepveu, à par.)16, rôle incompatible avec une modification par vrai ou véritable (Legallois 2002). Je me réfère à G. Kleiber qui donne une des rares définitions linguistiques de la notion de syncatégorématicité nominale : les substantifs référentiellement syncatégorématiques présupposent des concepts généraux dits syncatégorématiques, parce qu'ils rassemblent des occurrences individuelles qui ne forment pas une catégorie référentielle stable homogène. (G. Kleiber, 1981 : 39). Ainsi, et contrairement à chien ou neige, les noms sagesse et blancheur peuvent connaître des occurrences fort diverses (p.39). Les deux noms, qui sont les exemples de G. Kleiber, sont intéressants parce qu'ils pourraient illustrer deux types différents d'emplois de syncatégorèmes. En effet, le concept de blancheur s'instancie en tant que propriété d'objets fort variés ; mais le cas de sagesse est plus complexe : il connaît le même type d’instanciation que blancheur : la sagesse du Dalaï-Lama. Mais sagesse peut également avoir un emploi de NSS fort différent ; ainsi, dans notre corpus Libération : 12) La sagesse est de développer une communication très globale en utilisant, en stimulant, toutes les voies de perceptions visuelles... La sagesse n’est sûrement pas inhérente au CP, comme elle l’est au DalaïLama ! 15 Parenté paradoxale puisque car les NSS ne sont généralement pas de bons candidats pour participer aux énoncés métaphoriques. 16 Cf. également K. Aijmer (2007 pour « the fact is... ». 10 Il y a donc bien une syncatégorématicité des NSS qui explique leur flexibilité, comme il y a une syncatégorématicité nominale dans les emplois perçus comme métaphoriques17. 3. Remarques subsidiaires sur les NSS et incidemment sur les CS 3.1. Les NSS sont les indices de la rationalisation des discours. J’admets volontiers que les propos que je tiens dans cette partie restent spéculatifs. Mais ils me permettent de lancer quelques pistes au sujet de la motivation de l’emploi des NSS. J’avais montré (Legallois 2006) que les CS participent à l’expression de séquences d’enchaînement. J’entends par séquences d’enchaînement les étapes constitutives de l’organisation du texte18, possèdant une origine cognitive, puisqu’elles régissent aussi d’autres productions sémiotiques, et plus largement toute expérience. Par exemple, la séquence [situation, évaluation, problème, solution, évaluation] que la sémiotique a plus d’une fois mise en évidence, et qui constitue un programme que l’on rencontre dans des types de textes fort différents. D’autres séquences, telles que [situation, évaluation, objectif, mise en œuvre, évaluation] ou [situation, évaluation, désir, mise en œuvre, évaluation]19 sont très proches. Toutes ces séquences se réalisent sous des modalités linguistiques fort différentes, mais il n’est pas absurde de penser que NSS et CS forment des moyens spécialisés dans l’expression des séquences. En effet, les CS possèdent une fonction d’« exhibition » des mouvements organisateurs des séquences d’enchaînement. Elles rendent explicites les divers mouvements que le langage commun désigne par des noms susceptibles de constituer des NSS : problème, désir, objectif, etc.. D. Apothéloz et C. Blanche-Benveniste insistent à juste titre sur la fonction évaluative de ces noms. La notion d’évaluation mériterait un examen particulier dans la mesure où elle dépasse l’étape évaluative présente dans les séquences d’enchaînement (l’évaluation d’une situation, l’évaluation de la solution) ; je préfère réserver le terme d’évaluation à ces étapes. Mais il reste que problème, par exemple, est sans discussion possible intrinsèquement évaluatif. Les constructions superlatives le sont par essence : le plus intéressant, le plus important… 17 La place manque pour développer d’avantage. En fait, il apparaît que ce n’est pas le caractère métaphorique qui importe (pour moi, la métaphore ne répond pas à un fonctionnement particulier, cf. Legallois, 2000), mais le rôle évaluatif inhérent aux métaphores nominales. 18 Je pense être assez proche ici des routines discursives de D. Apothéloz, c’est-à-dire des mouvements discursifs préférentiels dans lesquels les constructions identificatives sont employées. 19 Rappelons que les mouvements qui composent une séquence ne sont pas nécessairement tous réalisés dans un texte. 11 Les séquences d’enchaînement ont un rôle sémiotique et cognitif fondamental ; elles constituent, en quelque sorte, des cartes qui permettent de nous orienter dans nos expériences. Que les locuteurs manifestent explicitement les étapes dans les discours est révélateur d’une coopération transparente avec les interlocuteurs ; comme je le disais dans Legallois 2006, le texte exhibe sa structure grâce au NSS, en même temps que le locuteur rend visible sa démarche, son raisonnement, ses intentions. La nature dialogique des CS est assez évidente : tout se passe comme si, dans un discours, on s’attendait à devoir rendre compte d’objectifs, de problèmes, de désirs, de réponses, d’appréciations. De ce fait, l’article défini (ou le possessif) s’explique : le problème ne renvoie pas à un problème présent dans la mémoire discursive partagée entre les locuteurs au moment du texte, mais à une étape sémiotico-cognitive récurrente dans la diversité des expériences et partagée par tous. Aussi, un examen philosophique des NSS serait passionnant à mener : l’emploi des CS et des NSS sont des indices de rationalité, ou plus exactement, des tentatives de rationalisation20. Le principe de charité décrit par Quine qui consiste à considérer que l’autre est rationnel et que son comportement cognitif est en partie identique au mien, expliquerait pourquoi les NSS sont des pierres balisant pour l’interlocuteur le terrain des expériences. En tant que marques des séquences d’enchaînement, elles-mêmes garantes de rationalité, les NSS rendent concrètes les formes d’action ; rappelons que pour un philosophe comme Davidson21, l’action est le résultat d’une « pro-attitude » (désir, envie, intention) et d’une croyance. Pour ces raisons, les CS apparaissent de façon privilégiée – ce n’est pas un hasard – dans les types textuels pour lesquels la rationalité joue un rôle fondamental : types argumentatifs ou explicatifs, aussi bien à l’oral qu’à l’écrit, mais certains textes académiques, comme le texte scientifique, en abuse grandement. Les NSS seraient donc, en quelque sorte, une émanation d'une « psychologie populaire », d'une « théorie de l'esprit », d’un « pragmatisme cognitif », par lesquels il est possible aux sujets de rendre publique et clair ce qui constitue le cadre conceptuel nécessaire à l'action et à la cognition rationnelles. Ce cadre contient des états intentionnels et des concepts de croyance, désir, plaisir, haine, peur, intention, colère, intérêt, etc..., autant dire, des concepts recouvrant les notions auxquelles renvoient la plupart, sinon la totalité, des NSS. Si la rationalité a aussi une histoire, il serait intéressant de croiser celle-ci avec un examen diachronique de l’apparition de constructions telles que les CS pour vérifier les propos spéculatifs tenus ici. Pour l’anecdote, la plus ancienne attestation de CS que j’ai identifiée est 20 Je fais mienne cette suggestion de C. Schnedecker : « on pourrait dire aussi « tentative de rationalisation » car c’est aussi des N qu’on utilise après coup pour combler les brèches, les failles ». 21 Cf. I. Delpla (2001). 12 13) Et l’opinion de beaucoup est qu’il vauldroit mieux aller combattre (Jean de BUEIL, Jouvencel, 1456). 3.2. Métaphore grammaticale Enfin, j’aimerais terminer cet article sur quelques considérations portant sur la CS. Schmid fait référence à la notion de métaphore grammaticale de Halliday (1985), pour caractériser l'emploi des schell nouns. Je conviens que la notion de métaphore grammaticale est problématique, en raison du terme polémique de métaphore et de la conception trop orthodoxe, à mon goût, de la notion Hallidayenne de la métaphore lexicale qui sert de modèle à la métaphore grammaticale. Pourtant, la notion est intéressante puisqu'elle permet de montrer que la CS possède une structure marquée ; je rappelle le processus lexico-grammatical que Halliday désigne par métaphore grammaticale : pour ce linguiste, les expériences sont représentables par des structures congruentes, non marquées, comparables à ce que B. Pottier (1987) désignait par orthonyme pour le niveau lexical. Ainsi, un procès sera exprimé de façon congruente – prototypiquement - par un verbe. Les discours peuvent s'affranchir de cette représentation directe par l'emploi de structures non congruentes, donc par métaphores grammaticales. La nominalisation en est une réalisation fréquente ; ou encore: 14) Le premier jour de l'an 2002 a vu la naissance de la sixième unité de recherche (UR) de l'INRIA (Internet). où le locatif de la phrase congruente devient le sujet de la phrase non congruente. Ce moyen dont disposent les locuteurs est le plus souvent motivé par une reconfiguration diathétique. A noter, comme l’illustre l’exemple, que les constructions non congruentes apparaissent parfois comme des routines, des façons quelque peu conventionnelles d'exprimer une scène. Convention et métaphore, comme on le sait, ne s'opposent pas. La notion de métaphore grammaticale peut paraître peu consistante au regard de la grammaire formelle (qui, si on y réfléchit bien, a abusé de concepts bien plus extravagants comme celui de dérivation), mais elle est tout à fait intéressante dans la perspective sociale, idéologique et discursive qui est celle de la linguistique systémique fonctionnelle d'Halliday. D'abord, parce que la métaphore grammaticale est le résultat d'un choix entre plusieurs possibilités – l'option grammaticale étant au coeur du dispositif de la LSF. Ensuite, parce qu'elle permet, sinon d'expliquer, en tous cas de mesurer la spécificité de certains discours. Ainsi, la métaphore grammaticale est-elle fréquemment convoquée dans la description du discours scientifique (Cf. Banks, 2003). Qu'en est-il des CS ? On posera qu'elles participent à ce type d'option ; cet exemple 15) Notre seul objectif, c'est de conserver à Argenteuil son caractère de ville progressiste (Libé) 13 serait la forme non congruente de 15’) nous avons pour unique objectif de conserver à Argenteuil son caractère de ville progressiste On s'aperçoit que la forme congruente est moins naturelle, paradoxalement moins adéquate, par rapport à la CS fortement spécialisée dans cette fonction d'indication des plans cognitifs et textuels. La CS permet une objectivation de l’énoncé, au détriment de la présence linguistique directe du locuteur (qui peut au mieux se révéler dans la forme faible que constitue le déterminant possessif). Cette évacuation des formes les plus subjectives permet cet effet de construction : la réification d’une intentionnalité (dans l’exemple cidessus) qui donne un statut moins personnel au texte. En cela, la métaphore grammaticale en question est, dans les termes d’Halliday, aussi bien idéationnelle qu’interpersonnelle. On procède ainsi à une objectivation découlant d'une représentation d'une représentation, qui permet un phénomène intéressant qu'une étude « cognitive » comme celle de Schmid n'a pas manqué de relever : l'emballage (les termes d'encapsulation ou d'empaquetage sont parfois proposés). L'emballage est la contrepartie cognitive de la spécification : une fois la spécification saturée, le NSS, chargé de son contenu informationnel, reste saillant en mémoire discursive. Cette désincarnation des concepts « rationnels » (objectif, désir, etc.), dans le sens où l'agent humain ne constitue plus le vecteur direct de ces concepts, serait à mettre en rapport avec les propos de la section précédente. Conclusion J’ai essayé dans cet article de cerner un peu plus cette « nouvelle » catégorie nominale que forment les NSS. Le travail n’est que partiel, il conviendra de le compléter par une classification critique des items selon des ensembles sémantiques homogènes, au regard des séquences d’enchaînement. Il serait nécessaire également d’analyser les modifieurs de ces noms, car il est évident que des collocation sont nombreuses (par ex. meilleure solution / le problème qui se pose). Il faudrait encore s’intéresser à la fréquence de chaque nom dans la CS (cf. Legallois et Gréa 2007), pour mesurer leur force préférentielle pour la structure, et confronter les résultats à un corpus autre que journalistique. Enfin, mais la tâche est difficile, il faudrait examiner davantage les rapports entre la motivation de l’usage de ces noms et le besoin pour le locuteur d’exhiber des structures « rationnelles » objectivantes. AIJMER K. (2007), The interface between discourse and grammar : The fact is that, in A. Celle A. et Huart R. 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Résumé en français Après avoir relevé l’ensemble des noms sous-spécifiés (les noms intégrant la construction NSS Être QUE P \ DE INF.) d’un corpus, nous intéressons aux notions de spécification et de sous-spécification, en montrant un double mouvement : le Nss catégorise un contenu propositionnel, alors que ce dernier apporte une détermination au nom. Nous examinons ensuite la nature syncatégorématique de ces noms, nature rappelant sur certains points celle des noms employés métaphoriquement. Nous remarquons également que les Nss sont des indices de rationalité des discours et que la construction spécificationnelle peut être comprise comme une métaphore grammaticale, au sens de M. Halliday. Abstract 16 The purpose of this paper is to study a set of French nouns: noms sous-spécifiés (shell nouns) in the construction “NSS Être QUE P \ DE INF”. After having extract shell nouns from a corpus, I explain the notions of sub-specification and specification. Then I highlight the syncategorematic nature of shell nouns, comparing them to metaphorical nouns. In addition, shell nouns can be considered to be linguistic signposts of rationality. Following Schmid, I finally conclude that “constructions spécificationnelles” are a kind of grammatical metaphor, in the sense of Halliday. 17