Les noms éponymes

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Les noms éponymes
Les noms éponymes
L’éponymie est l’opération d’attribution d’un nom propre (en général celui d’une personne ou d’un
endroit) à un objet.
p. ex. le Bordeaux, c’est le vin de Bordeaux ; un cardigan c’est le genre de tricot que portait lord Cardigan ; une mansarde, c’est le
type de logement obtenu dans la soupente d’un toit créé par l’architecte Mansart, etc.
Le résultat de cette opération consiste donc dans le changement de statut du nom propre (caractérisé
par l’absence d’article, l’invariabilité morphologique et l’unicité du référent) qui devient un nom
commun (il prend l’article ou un autre déterminant, il peut avoir un pluriel, il ne désigne plus un
référent unique, mais bien un spécimen d’une classe d’objets ayant en commun les mêmes
caractéristiques). La désignation du référent n’est plus de type déictique (il faut que quelqu’un m’ait
expliqué ou montré qui/quoi porte tel nom), mais de type sémantique (le nom, devenu commun, est
associé à un signifié, à un sémème composé de sèmes spécifiques, ou trait sémantiques, permettant de
repérer un objet et de le distinguer d’autres objets plus ou moins semblables, sur la base de la différence
de l’un de ces sèmes – p. ex un cardigan d’un pull-over).
Dans le cas du nom de marque, le terme éponyme est un synonyme d’antonomase : on l’utilise en effet
lorsqu’un nom de marque spécifique acquiert une grande notoriété et qu’il est associé de manière stable
à l’un de ses produits – qui devient dès lors son produit-phare – à tel point qu’il est utilisé dans tous les
contextes pour désigner ce type de produit en tant que tel et non en tant que résultat de l’action
productive d’une entreprise déterminée. Il va donc servir notamment pour désigner une catégorie de
produits, indépendamment de leur marque.
p. ex. les stylos-bille Bic sont devenus des Bic tous simplement et lorsqu’on nous demande « t’aurais pas un Bic à me prêter,
s’il te plaît ? » notre partenaire n’a sûrement aucune exigence quant à la marque du stylo qu’il veut nous emprunter. De
même, on peut dire, sans craindre l’absurde, une phrase comme celle-ci : « Pendant que je faisais mes courses, je t’ai acheté
du Sopalin marque Lotus et des Kleenex marque Carrefour ».
C’est un procédé courant, mais qui se réalise pour un nombre restreint de noms : d’une part c’est la
consécration d’un succès : le nom d’une marque est sur la bouche de tout le monde, si bien qu’il
déborde de son contexte « naturel » et qu’il est utilisé dans tous les contextes ; d’autre part, ce
phénomène décrète souvent aussi le déclin d’un nom, qui se trouve « cannibalisé » par cet usage massif
qui le banalise et qui annule l’une des raisons d’être du nom de marque, si ce n’est la première :
différencier le produit d’une entreprise de tous les autres, lui donner une identité unique, qu’on ne peut
échanger avec rien d’autre. Lorsqu’il y a éponymie, en revanche, le mot – comme on l’a dit – passe de
« propre », destiné à un usage privatif, à « commun » destiné à un usage indifférencié. Le nom de
marque n’est donc plus en mesure d’assurer, à lui seul, la mission d’individualiser et de différencier un
produit de tous ses concurrents, et ce sera donc le moment pour la marque de trouver des stratégies
alternatives – renforcement du nom (par exemple, par l’adjonction d’un adjectif comme « véritable »
« l’original », etc), ou abandon du nom et création d’une nouvelle identité –.
Beaucoup de noms ont subi ce sort et leur marque n’existe plus aujourd’hui, si bien qu’ils sont devenus des noms communs
à part entière : Frigidaire ou Mobylette sont dans ce cas.
Quoi qu’il en soit, l’éponymie de marque contribue à renouveler le stock lexical (il s’agit donc d’un
moteur néologique puissant), créant parfois des appellations synthétiques pour des objets pour lesquels
on ne disposait que d’une appellation analytique.
« Sopalin » est nettement plus facile à utiliser que le syntagme « papier essuie-tout » ; de même, « mobylette » ou « solex »
sont infiniment plus jolis que le mot savant « cyclomoteur ». Et encore, on serait bien en peine pour trouver un nom
commun désignant ce qu’est un « photomaton », alors que cette trouvaille commerciale s’adapte à merveille à la langue
française.
Nous avons rassemblé dans le tableau suivant une liste de mots éponymes dérivés de noms de marques.
Nom communs dérivés de noms de marques par éponymie
Nom de marque utilisé comme nom
générique
sopalin
delco
frigidaire
cocotte-minute
carte bleue
bic
(Le) livre de poche – un poche
post-it
quo vadis ?
mobylette - mob
solex
kleenex
rimmel
aspirine
swatch
perrier
orangina
photomaton
klaxon
cellophane
scotch
caddie
vélux
gauloise
ripolin
McDonald’s - macdo
zodiac
nom ou expression générique remplacée
papier essuie-tout
dispositif d’allumage pour moteur à explosion
réfrigérateur
autocuiseur
carte bancaire
stylo bille
Livre en format de poche (livre broché de petit
format et bon marché)
pense-bête adhésif
agenda
cyclomoteur
cyclomoteur
mouchoir en papier
fard à cils
médicament à base d’acide acétylsalicylique
montre en plastique
eau minérale (au café)
orangeade
cliché photographique et installation (cabine)
permettant de prendre et de tirer des photos
d’identité
avertisseur d’automobile
pellicule transparente
ruban adhésif
chariot de supermarché
fenêtre basculante pour toit en pente (emploi
typique en mansarde)
cigarette française
peinture laquée
fast-food
canot pneumatique
Quelques exemples, dans le lexique courant, de noms éponymes :
la poubelle (nom de l’inventeur), la guillotine (M. Guillotin), la nicotine (herbe à Nicot), la tour Eiffel, la
pasteurisation (Pasteur), la vespasienne (Vespasien), le parkinson, la maladie d’Alzheimer, le bovarysme
(< Emma Bovary), chiraquien (< Jacques Chirac)...