24th International Montessori Congress LA MAIN ORGANE DES

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24th International Montessori Congress LA MAIN ORGANE DES
24th International Montessori Congress
Paris, France, 2-4 July 2001
LA MAIN ORGANE DES POSSIBLES: IMPRESSIONS ET
EXPRESSIONS
Gérard Dartois
Je vais commencer par parler un peu du mot art puisque c’est ce que nous essayons de montrer dans
cette matinée. Le mot art, ce mot en trois lettres signifie faire, fabriquer ; et j’ai souvent été surpris
de la correspondance, de l’analogie que l’on pouvait faire avec le mot fire en anglais, qui veut dire
feu. Je pense que l’essence de l’art c’est un feu, le feu de l’énergie, le feu de la vie.
Le Docteur Wilson nous a montré des documents, des dessins d’enfants dessinant un cheval. Nous
savons en art que le cheval est un grand symbole, un symbole de l’émotion. Ce n’est pas un hasard
si certains grands mouvements artistiques, tels que celui lancé en 1911 par Kandinsky et son ami
Franz Marc avec Der Blaue Reiter (le Cavalier bleu) qui nous présentent l’image du cheval.
Je cite l’explication historique donnée par Kandinsky en 1930 à propos de l’expression de Der
Blaue Reiter : “Nous avons trouvé le nom Der Blau Reiter en prenant le café sous une tonnelle de
Sindelsdorf ; nous aimions tous les deux le bleu, Marc aimait les chevaux, moi les cavaliers. Le
nom est venu ainsi de lui-même. Et le fabuleux café de Madame Maria Marc nous sembla encore
meilleur.”
Le cheval est symbole de l’émotion, et, à ce propos, je vais commencer avec une anecdote. C’est
quelqu’un qui voit passer un cavalier, monté sur un cheval emballé, et qui lui demande où il va, car
le cavalier est emporté par le cheval, n’est-ce pas ? Le cavalier lui répond : “Je ne sais pas.
Demande au cheval !”
L’art part du sensible, donc du corps, et le corps, la sensibilité, les cinq sens, vont se transformer, à
l’intérieur de l’être, en émotions. L’émotion, c’est comme un feu, ou comme un torrent. Il faut
apprendre à orchestrer ses émotions sinon, en effet, on est embarqué par le cheval sans savoir vers
où.
Pour commencer, précisons que l’emploi de la main au singulier désigne le principe manuel et
renvoie à nos deux mains particulières.
Avec la main, n’y allons pas par quatre chemins.
La main n’existe pas en elle même, certes la main fait partie du corps. Il n’existe pas une main d’un
côté et un corps de l’autre. Avec certitude, la main, c’est le corps. D’autre part, signalons que la
coupure, la dichotomie, la césure ou la censure CORPS et ESPRIT est un non-sens dont nous
payons encore très cher la note.
La main faisant partie du corps manquerait d'Esprit car située du côté du corporel, du manuel et
donc éloignée de l'intellectuel. Cette séparation langagière du corps et de l'Esprit n'est qu'une
procédure d'analyse qui découpe ce qui, dans le réel, n'est pas séparé. Le corps n'est jamais séparé
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de l'Esprit. Nous pouvons affirmer en effet que la main c'est le corps et le corps c'est l'Esprit sous
forme de corps-actif.
De même l'Esprit se manifeste par son pouvoir de conscience. En définitive, nous pouvons dire que
la main EST la conscience et la conscience se prolonge par la main en direction du monde et des
objets. La main ne peut être réduite à un simple organe corporel, elle implique une circulation entre
le monde et la conscience par l'entremise du sens du toucher.
La main est faite pour TOUCHER, pour entrer en CONTACT.
La main représente le corps, elle est ambassadrice du corps et c'est par lui et non par la pensée que
s’effectue la rencontre, l'échange avec la richesse des objets du monde.
En ce qui nous réunit et nous concerne ici, à savoir dans la perspective d'une croissance et d'un
développement de l'enfant selon les lois et l'harmonie de vie, précisons certains points d'importance
:
Premièrement :
L'enfant a pour PROJET intime de vouloir GRANDIR sur tous les plans de son être : physique,
psychique, intellectuel et spirituel, de manière équilibrée.
Deuxièmement :
Pour GRANDIR, la condition sine qua non est celle se NOURRIR. Nous attirons votre attention sur
le fait que se nourrir ne se limite aucunement à l'activité d'absorber des aliments par la bouche. Un
être humain se nourrit physiquement, psychiquement et intellectuellement : CORPS, COEUR ET
TETE. L'acte principal de se nourrir consiste toujours à prendre dans
l'extérieur ce qui se transformera dans l'être intérieur. Et par quelles voies s'effectue ce passage des
énergies qui se transforment ? Uniquement par la voie des sens, c’est-à-dire : le corps comme
passage obligé.
Si manger concerne le sens buccal et le sens du goût, signalons que le sens premier fondamental
posant les fondations de l'être en croissance est le sens du TOUCHER. Et qu'est ce que le sens du
toucher ? C'est le sens qui par le corps annule la distance avec le monde ; qui met l'enfant en
contact et qui par là-même annule le sens de la séparation ou sens de l'ego.
Si la main est le toucher, pour un enfant, toucher c'est explorer, chercher pour connaître.
L'enfant touche parce qu'il ne connaît pas.
Il veut faire l'expérience du monde, il veut connaître le monde au fur et à mesure, construire sa
mémoire, incorporer progressivement ces expériences pour développer son être intérieur.
Après ces propos d'introduction, permettez-moi, de vous présenter plusieurs visuels, mettant en
évidence le fait - que je fus très surpris de constater - à travers des œuvres surtout graphiques, de
l'existence d'une structure dispositionnelle identique, à savoir : un œil logé au cœur d'une main.
Précisons que ces ouvrages furent réalisés dans des temps et des lieux éloignés et ce par des auteurs
n'ayant pu se rencontrer.
Liste des diapositives projetées :
1. Gravure de MERIAN, 1624 (17 è siècle).
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2. Disque de MOUNDVILLE : Grande Déesse sous les traits d'un double serpent. Culture du
Mississippi, XIII-XVI siècles. Pierre. Mound State Monument. Moundville ALABAMA, Etats
Unis.
3. Bodhisattvas : Avalokitesvara : KANNON aux mille mains - Japon
4. Grande MAIN - par Farid BELKAHIA Artiste marocain contemporain - 1980 - Henné sur peau –
152 x 124,5 cm
5. Couverture de la Revue - La recherche : la naissance de l'art – 2000.
TOUCHER–VOIR
Ayant choisi la première diapositive, voici un document historique que je considère comme
remarquable pour plusieurs raisons. En effet, l'aspect insolite de cette reproduction d'une gravure
réalisée par MERIAN et publiée en 1624, par un certain Théodore de Bry, nous présente une
hybridation des plus inattendues.
Cette image nous apparaît comme un collage des plus réussis, à la manière du surréaliste Max
ERNST.
Notre logique perceptive habituelle est ici perturbée, troublée. Comment, en effet, un œil ouvert
peut-il exister comme parfaitement intégré dans le creux d'une main ? Soit nous refusons
l'incohérence fonctionnelle de ces deux réalités éloignées dans un même corps, soit nous
interrogeons le pourquoi de ce rapprochement maîtrisé de la main et de l'œil. Ce montage unifié
n'est certes pas seulement descriptif. La tension pouvant résulter de l'énigme de cet assemblage
peut s'estomper lorsque nous interrogeons la fonction spécifique de chaque partie du corps.
À quoi sert l’œil ? À quoi sert la main ?
Le sens de l’œil est clair, sa fonction étant de permettre la vue, et par là-même, la vision.
L'existence de l'œil permet à la sensation visuelle de devenir une conscience de VOIR. La vue est
certes limitée, le voir quand à lui, est infinitif - infinition, belle formule que j’empreinte au peintre
Georges Braque. Le VOIR ne s’épuise jamais. Il est toujours possible de voir, de voir quoi ? Tout
ce qui s'offre à nos regards gourmands, curieux, interrogateurs et participants. Un regard de
présence à la vie qui se déroule à chaque instant.
Quoi de plus beau que de rendre hommage à cet acte si grandiose et si simple de voir ? Voir la Vie.
Et la main, que devient-elle ? Quel est son essentiel ? Nous le savons depuis très longtemps et
nous oublions. La main annule la distance, la dualité, la main est contact et tact.
La main devient connaissance et « manière de voir » par la conscience. Il est remarquable de
constater que dans la pensée de l'Asie on ne sépare jamais le fonctionnement d'un sens avec la
conscience. On ne parle pas de sens tactile, on associe le tactile à la conscience signifiant ainsi que
c'est la conscience qui est tactile.
En conséquence, le toucher est une conscience ou une des modalités de la conscience.
De même pour les autres sens : la conscience auditive, la conscience visuelle.
Une même conscience circule par la voie d'un sens. Que peut en effet, dans la gravure de
MERIAN, signifier le fait de réunir l’œil dans le creux de la main ?
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Je propose deux hypothèses que voici :
La première :
Le toucher ne se limite pas à lui-même.
Le toucher est vision, synonyme de conscience.
La seconde :
L'œil, le voir est une activité spécifique du toucher.
La plupart des spécialistes s'accordent pour ordonner nos cinq sens dans l'ordre suivant : le sens du
toucher, le sens du goûter, le sens du sentir, le sens de l'entendre et le sens du voir.
Le sens tactile est 1e 1er, le sens fondamental ou fondation, la base. Je l'appelle le TOUCHERCONTACT. Les quatre autres sens sont des TOUCHERS A DISTANCE.
Ce qui expliquerait la présence simultanée de l'œil et de la main serait en effet que les sens ont en
commun d'être des sens qui touchent de près ou de loin ce avec quoi ils sont en contact.
Résumons nous en un schéma.
1. Le TOUCHER est VISION
2. Le VOIR est un TOUCHER.
La main touche, la main voit et prend conscience par la palpation et la tactilité.
Egalement, la main est organe de préhension, une saisie. Par l'acte de saisir et prendre un objet du
monde, s'effectue également une prise, une prise de la conscience.
C'est ce que fait l’enfant qui additionne par le toucher de multiples prises devenant conscience
imprimée en tant que mémoire. La croissance d’un enfant est 1’évolutîon d'une conscience qui
s'organise par la succession des empreintes sensorielles, tactiles ou autres dans l'ordre ou elles
s'effectuent temporellement. Le projet essentiel de l'enfant est de devenir de plus en plus conscient,
et conscience.
AMBIANCE
En revisitant la pensée de Maria MONTESSORI, nous constatons la très grande importance
accordée à la notion d'AMBIANCE, sachant que l'ambiance ou mieux, les qualités de l'ambiance
dans laquelle vit l’enfant est DETERMINANTE pour son développement équilibré, harmonieux et
structuré. Nous ne SERONS JAMAIS ASSEZ ATTENTIFS aux CONTENUS et aux QUALITES
bénéfiques de cette ambiance qui doit être choisie, voulue.
Qu'allons nous offrir aux mains de l'enfant ?
Actuellement, certaines ambiances sont déficientes par manque, par excès ou p1utôt par confusion.
À nous adultes de créer des environnements familiers et scolaires où l’enfant pourra s'enrichir de
qualités multiples, variées, ordonnées, équilibrées.
À ce jour, les enfants vivent souvent dans des milieux de plus en plus artificiels, habituels,
conventionnels, laissant moins de place à la richesse nécessaire de ce que peut offrir un milieu
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naturel : de la roche, de la terre, du sable, une plume d'oiseau, des feuilles, du végéta1, un papillon,
une fleur, de l’eau, du vent et de l’espace.
Ce qui importe dans l'usage de la main, c'est de pouvoir offrir à l’enfant un environnement lui
permettant d'expérimenter des VARIETES SENSIBLES du Réel. Si, en effet, l'enfant par son
intention et son exercice développe une dextérité, une habileté, une souplesse effectuant un passage
d'une maladresse à une adresse, il s'en faut de beaucoup de ne voir que l'aspect physique développé
ici. Si la main devient habile, elle ne peut se réduire à cette performance.
La main est un organe du toucher et plus encore un organe sensible conduisant à l'art du sentiment.
La richesse tactile ne peut se faire qu’à travers une diversité d'objets de qualités située dans
l’environnement.
N'offrir à l'enfant que des objets en plastique ou l'image cadrée et plate de la télévision, c’est réduire
sa formation psychique, uniformiser une sensation et diminuer sa conscience et sa croissance.
Nous devons proposer à l'enfant une gamme élargie d'expériences tactiles afin de développer et
d'ouvrir une sensibilité élargie. Cette GAMME du possible ne peut se réaliser qu'à travers une
AMBIANCE comprenant des objets de nature et des objets d'art.
J'insiste sur le fait que toute ambiance réussie est une ambiance qui éveille la conscience et la prise
de conscience de l'enfant. La notion de gamme envisage une palette d'expérimentation complète
où l'Enfant pourra faire l'expérience, dans LE RESPECT inconditionnel de son RYTHME
personnel, nécessaire au temps d'absorption, d'intégration et d'incorporation en tant qu'impression
mémoire des trois grands domaines de l'existence.
Ces domaines correspondent à :
LA TERRE comme symbole de tout ce qui est de l’ordre du SOLIDE.
L’EAU, LE FEU, LE VENT, symboles de tout ce qui est de l’ordre du FLUIDE.
LE CIEL symbole d'une présence de la TRANSPARENCE : « lieu » non déterminé de la liberté
totale.
L'enfant doit pouvoir
EXISTENTIELLES.
TOUCHER,
ETRE
EN
CONTACT
avec
ces
cinq
qualités
TOUCHER la terre, l'eau, le feu, l'air et le cie1, c’est offrir à l’enfant la grande expérience des
processus-clé transformation de l'énergie à travers les objets du Réel.
PRISE et LACHER-PRISE
Et pour cette raison, il importe de montrer à l’enfant que si la main est faite pour LA PRISE, elle
l'est également pour LE LACHER-PRISE. Passer d’un objet à un autre, c’est passer d’une prise,
d’une préhension à l’obligation de lâcher la prise et par la même pratiquer l’ouverture et l’accueil.
Seule une main disponible, ouverte, se trouve dans le possible de multiples contacts.
A-VOIR DU TACT
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L'expérience des contacts bruts, subtils et fins conduit l'enfant à développer un sens, en voie
actuellement de disparition : LE SENS DU TACT.
Avoir du tact, a-voir en deux mots, c'est apprendre l'art si délicat et si peu facile de la relation juste
avec soi et avec les êtres du monde.
Tout sens par voie de sensation aboutit, à son terme, sous forme d'impression enregistrée pour
toujours sous forme de mémoire gravée dans les sillons indestructibles de l'être. Ce qui s'imprime
est fonction des flux et influx des objets précis de l'entourage, du milieu ambiant.
L'ART DE PRESENTER est un art, à cultiver, de la PRESENCE. Et toute présence réelle
s'accompagne du parfum de la pleine conscience apaisée. Avec grand soin, il faut veiller à l’ART
D'INSTALLER et de donner présence à un objet pour un enfant. L'ambiance ne doit pas être un
fourre-tout, un « remplissement », un encombrement à la manière d'une grande surface, bien au
contraire. La qualité de l'ambiance génère les qualités des impressions reçues et devra respecter
certains principes compris pour être optimale. En voici deux essentiels :
LE PREMIER : Le principe de mise en EVIDENCE - LISIBLE qui consiste à poser et disposer
l’objet à la lumière d’une œuvre, c'est-à-dire l’exposer, seule, sur un fond vide et silencieux
n'offrant aucune distraction et nuisance visuelle.
LE SECOND : Le principe de mise EN PARALLELE DIFFERENTIELLE qui consiste à placer sur
un même fond discret et uni deux objets très différent ayant en commun une même nature.
Comme exemple :
Une roche de montagne et une plume d'oiseau.
Ainsi, par le contact, l'enfant aura la possibilité d’expérimenter de grandes différences et donc DE
CONSCIENCE CLAIRE. La lourdeur et la gravité de la pierre ne sont pas la légèreté et la fragilité
d’une plume.
Dans le futur proche, d'autres principes seront à préciser et à transmettre.
IMPRESSION-EXPRESSION
Si, en réalité, dans le domaine de la respiration et du souffle, à chaque EXPIRATION fait suite en
continu insécable une inspiration, il en est de même du binôme IMPRESSION-EXPRESSION.
Sur une structure fonctionnelle identique s'articule la relation :
INSPIRATION-ASPIRATION : IMPRESSION-EXPRESSION,
Si, en effet, toute inspiration a une impression, toute expiration conduit également à une expression,
et l'art du toucher n'est pas simple contact. Il est inspiration devenant impression et mémoire.
De même l'art de modeler correspond à l'expiration et à l'expression.
TOUCHER-MODELER
Toucher sans modeler, C’est inspirer sans expirer.
Et c'est ici qu'il serait plus que nécessaire de créer dans le cursus d'un enfant un lieu où l'art du
modelage puisse s'exercer. L’art du modelage est l'art majeur, fondamental.
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Modeler c’est être en CONTACT REEL avec la terre. C'est façonner et découvrir le pouvoir d'agir
et de s'exprimer avec une matière noble. C'est également découvrir le principe et le sens de la
plasticité, expérimenter le principe de transformation souple de la vie et connaître l’essence de la
création.
Modeler c'est réunir la terre et l’eau.
Voici maintenant plusieurs visuels :
1 - la main fermée :
le poing ou la main enfermée associée à la main destructrice.
2 - la main blessée :
Pietà : œuvre de Giovanni Bellini (1429-1516)
3 - la main ouverte :
la main rayonnante, la main de lumière.
4 - la main apaisée :
la main de la bénédiction, la main de la parole juste et bénéfique.
Pour conclure vers une ouverture…
Signalons, au passage, que le langage nous éclaire sur des résolutions significatives. En effet, Main
rime avec Humain qui lui-même se compose d'humus et de main. Humidité, humilité, autrement dit
eau vive, métaphore de l'Esprit de VIE.
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