Droit de citation : ce que l`on peut faire, ou pas, en

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Droit de citation : ce que l`on peut faire, ou pas, en
Le saviez-vous ? Droit de citation : ce que l'on peut faire, ou pas, en
audiovisuel
Date de publication : 13/07/2015
Chronique juridique, par Claire Saint Laurent (Avocat) - Quand l'utilisation d'extraits
d'une œuvre audiovisuelle est-elle admise au titre de l'exception de courte citation ?
Gérard Oury intégrant un extrait du documentaire Les dieux du stade de Leni Reifenstahl dans son
film L’as des as, quelques images de La mort aux trousses d’Alfred Hitchock reproduites dans Arizona
Dream d’Emir Kusturica. L’incorporation de ces extraits dans ces longs métrages ont nécessité
l’autorisation de leurs auteurs. Pourtant, les mêmes extraits diffusés dans un journal télévisé, par
exemple, peuvent l’être sans autorisation. Pourquoi ?
Tout d’abord rappelons qu’une création, à la condition qu’elle satisfasse la condition d’originalité
exigée par la loi, prend le statut d’œuvre de l’esprit, ce qui lui confère sans autre formalité une
protection par le droit d’auteur. À ce titre, son auteur jouit d’un droit de propriété intellectuel, moral et
patrimonial opposable à tous qui lui donne le monopole d’autoriser ou non toute reproduction ou
représentation de son œuvre.
Cette règle comporte les exceptions que nous connaissons, le pastiche, parodie ou caricature, la
diffusion dans le cercle de famille, la copie privée… et l’exception de courte citation.
L’exception de courte citation constitue en effet l’une des exceptions consacrées aux droits
patrimoniaux de l’auteur, dont le monopole n’est finalement pas absolu. Et si celle-ci est depuis
longtemps admise en matière littéraire, elle est de plus en plus consacrée en matière audiovisuelle,
via une reconnaissance jurisprudentielle croissante.
Ainsi, par dérogation au monopole de l’auteur et sous couvert du respect de ses droits moraux,
l’article L. 122-5 3° du CPI prévoit que l’auteur ne peut interdire “sous réserve que soient indiqués
clairement le nom de l'auteur et de la source : a) les analyses et courtes citations justifiées par le
caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d'information de l'oeuvre à laquelle elles
sont incorporées”.
Cette exception doit toujours se comprendre et s’appliquer dans le cadre du Test en trois étapes exigé
en la matière par les textes européens : elle doit rester limitée à certains cas spéciaux, ne pas porter
atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre protégée et ne causer aucun préjudice injustifié aux ayants
droits.
C’est pourquoi cette exception est d’interprétation stricte, très encadrée et la jurisprudence ne cesse
d’en rappeler ou redéfinir les contours. Trois conditions légales doivent être réunies.
Premièrement, la citation ne peut être admise que si elle poursuit des fins didactiques ce qui veut dire
qu’elle doit être incorporée à d’autres développements qui ont un but critique, polémique,
pédagogique, scientifique ou d’information.
Cette condition fait écho à la liberté d’expression, il doit être de l’essence de la citation d’illustrer
l’analyse de l’œuvre seconde. Il doit donc y avoir un propos dans l’œuvre seconde, existant
indépendamment de l’œuvre citée. C’est pourquoi une anthologie composée de suites d’extraits de
textes regroupés ne peut se prévaloir de l’exception de citation (CA Paris 4e ch. 14 juin 2000). Plus
strict encore : un recueil de solfège à usage pédagogique ne peut valablement reproduire certains
extraits, dans la mesure où les commentaires ajoutés sous forme de questions simples présentent un
caractère accessoire par rapport aux extraits reproduits, de sorte que ces extraits constituent la
substance même de l’œuvre seconde (CA Paris 4e ch. 22 mai 2002).
La question d’exception de courte citation s’est également posée concernant l’utilisation d’une
"capture d’écran". La jurisprudence l’a consacré à plusieurs reprises. Ce fut notamment le cas dans
l’affaire Pékin Express (CA Versailles, 1re ch., 1re sect., 1er juill. 2010, M6 et al. c/ Sté Entrevue).
Plusieurs captures d’écran de l’émission de M6 avaient été reproduites dans le magazine Entrevue,
sans autorisation préalable demandée aux producteurs. Les juges ont considéré que "cette utilisation
relevait de l’exception de courte citation, dans la mesure où les images considérées concernaient des
émissions déjà diffusées, que leur nombre n’était pas disproportionné, qu’elles avaient pour finalité
d’illustrer un article critique – lequel entrait dans le champ de la ligne éditoriale du magazine –, et que
leur source était identifiable de par la reproduction du logo et de la marque appartenant à la chaîne".
Deuxièmement, la citation doit être courte, comme l’indique expressément l’article L. 122-5 du CPI.
La jurisprudence raisonne au cas par cas et s’en tient à des principes de bon sens : un critère de
proportionnalité à la fois par rapport à l’œuvre première – en tenant compte de la nature de l’œuvre et
de ses éléments substantiels – et par rapport à l’œuvre citante elle-même.
Ont été admis des emprunts substantiels (20% de l’œuvre) à des fins critiques (TGI Paris 3e ch,
10 mai 1996) ou bien des extraits d’un spectacle de rue de quelques secondes illustrant un reportage
de 52 minutes (CA Paris 4e ch. 3 déc. 2003). N’est jamais admise la reproduction totale de l’œuvre
(Cass. Ass. plen. 5 nov. 1993).
Au-delà, la courte citation se doit de poursuivre un but légitime et justifié : l’éventuelle concurrence
faite à l’œuvre citée peut aussi être prise en compte. C’est ce qu’illustre une affaire qui opposait les
radios NRJ et Chérie FM à la Société civile des producteurs phonographiques (CA Paris, 4e ch, sect.
A, 10 déc. 2003). Les sites internet des radios diffusaient des extraits d’œuvres musicales dont les
droits étaient gérés par la SCPP. Et les juges ont considéré à juste titre que cette utilisation ne pouvait
pas tomber dans le cadre de l’exception de courte citation. D’une part parce que les extraits des
œuvres considérées duraient 30 secondes, une durée jugée excessive pour répondre à la condition
de brièveté au regard de celle des œuvres dans leur ensemble, de 3 minutes chacune. D’autre part en
ce que la finalité d’information faisait clairement défaut.
Enfin troisième condition, la citation ne doit pas porter atteinte au droit moral de l’auteur de l’œuvre
citée : le CPI exige également que soient clairement indiqués le nom de l’auteur (de l’œuvre citée) et
la source, afin que son droit de paternité soit respecté. Il s’agit là d’une condition générale à défaut de
laquelle l’exception ne peut être légalement admise.
Si cette exigence est facile à respecter pour les œuvres littéraires, il est vrai que s’agissant des
œuvres musicales ou audiovisuelles, cela peut être plus délicat (notamment en ce qui concerne la
simple mention du nom de l’auteur). Un arrêt de la cour d’appel de Paris (Pôle 5, 1re ch, 9 sept. 2014)
illustre cette exigence. Des extraits d’un documentaire avaient été intégrés dans une œuvre
audiovisuelle seconde sans l’autorisation de ses auteurs et sans que soient mentionnés leurs noms :
cette utilisation ne pouvait relever de l’exception de courte citation en ce qu’elle portait atteinte – audelà de l’intégrité de l’œuvre – à ce droit de paternité.
Un arrêt récent (CA Versailles, 1re ch. 28 mai 2015) donne un éclairage intéressant concernant le
moment auquel intervient la citation par rapport à la vie de l’œuvre citée : la réalisatrice d’un film
documentaire consacré à son mari humoriste reprochait à un magazine d’avoir publié des captures
d’écran reproduisant son œuvre, soutenant que cette publication intervenant avant la sortie du
documentaire portait atteinte à son droit de divulgation. Même s’il a été jugé en l’espèce que les
captures d’écran ont été réalisées lors d’une conférence de presse ayant eu lieu avant la divulgation
de l’œuvre mais la publication du magazine est intervenue après, et qu’en conséquence aucune
atteinte au droit de divulgation n’avait eu lieu, peut-on en déduire, a contrario, que l’exception de
citation ne peut être admise que lorsque l’œuvre citée a été divulguée ?
On ne peut conclure sur le sujet sans évoquer le tout récent rapport de Julia Reda, unique député du
Parti Pirate au Parlement européen, rendu pour étude de la révision de la directive 2001/29/CE du
22 mai 2001 relative à l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur dans la société
d’information. La première version de ce rapport très critiqué proposait tout simplement une refonte du
droit d’auteur, axée sur une plus libre circulation des œuvres et un renforcement de la protection des
utilisateurs finaux. Possibilité des auteurs de renoncer à leurs droits, élargissement des exceptions,
notamment de la courte citation dans le secteur de la recherche et de l’éducation… Pourtant, les
textes européens prônent un niveau élevé de protection en faveur des auteurs… Mais le Parlement
européen a au final largement amendé le texte et adopté un rapport qui préserve le droit des auteurs.