Agir et Réagir - 14ème Université d`été de la Défense

Transcription

Agir et Réagir - 14ème Université d`été de la Défense
1
BORDEAUX & MERIGNAC 2014
BORDEAUX & MERIGNAC – 8 & 9 septembre 2014
12ème Université d’été
de la Commission de la Défense nationale
et des Forces armées de l’Assemblée nationale
et
de la Commission des Affaires étrangères,
de la Défense et des Forces armées du Sénat
Présidée par
Patricia ADAM
Présidente de la Commission de la Défense nationale
et des Forces armées
Députée du Finistère
et par
Jean-Louis CARRERE
Président de la Commission des Affaires étrangères,
de la Défense et des Forces armées
Sénateur des Landes
Agir et Réagir
Sous le Haut patronage du Président de la République
Monsieur François HOLLANDE
En présence de
Jean-Yves LE DRIAN
Ministre de la Défense
2
Université d’été de la Défense
Site de l’Université d’été de la Défense
www.universite-defense.org
Sur Twitter : @Univ_Defense
#UED2014
Contact : [email protected]
3
BORDEAUX & MERIGNAC 2014
BORDEAUX – 8 & 9 septembre 2014
Sommaire
Avant propos
4
Dimanche 7 septembre - Discours d’accueil devant les invités étrangers de
Patricia ADAM Députée du Finistère, Présidente de la Commission de la
Défense nationale et des Forces armées
5
Lundi 8 septembre – Allocution du Général Denis MERCIER, Chef d’Etatmajor de l’armée de l’Air
Lundi 8 septembre - Ateliers
13
Cohérence géostratégique et composantes nucléaires
Les Centres de commandement et de contrôle (C2), un enjeu
stratégique structurant
Maintien en conditions opérationnelles, sortir des schémas anciens ?
Perspectives de 10 ans d’engagements extérieurs : Afghanistan, Côte
d’Ivoire, Libye, Mali, Centrafrique
Les atouts stratégiques de la maîtrise de la troisième dimension
Lundi 8 septembre - Forums des Rencontres
27
Présentation des conclusions du rapport « La doctrine d'emploi des
forces spéciales »
Présentation des conclusions du rapport « La problématique régionale
du golfe de Guinée et la prévention des conflits »
Discussion autour de la Mission d’information sur « le dispositif de
soutien aux exportations d’armement »
Présentation des conclusions de la mission d’information sur «
l’évolution du dispositif militaire en Afrique et le suivi des opérations
en cours »
Mardi 9 septembre - Petit-déjeuner : Les bénéfices sociaux, économiques et
technologiques de nos exportations de défense
38
Mardi 9 septembre - Séance plénière : Sécurité et réassurance aujourd'hui en
Europe : quelles perspectives ?
43
Ouverture de la séance plénière par Michel FOUCHER, Expert pour
les questions internationales auprès du Président de CEIS
Clôture par Eric TRAPPIER,
DASSAULT Aviation
Président-Directeur
général
de
Discours de Jean-Yves LE DRIAN, ministre de la Défense
Mardi 9 septembre - Allocution de clôture de Jean-Louis CARRERE, sénateur
des Landes, Président de la Commission des Affaires étrangères, de la Défense
et des Forces armées
68
4
Université d’été de la Défense
Avant-propos
L’Université d’été de la Défense se veut un espace de libre expression et d’échanges
décomplexés entre les responsables politiques, militaires, administratifs, industriels,
journalistes et experts qui comptent dans le milieu de la défense.
Pour atteindre cet objectif de liberté de ton sur des sujets par nature sensibles et
confidentiels traditionnellement marqués par des discours convenus, les participants
sont expressément invités à appliquer la règle connue sous le nom de « Chatham
House rule », qui s’énonce ainsi :
« Au cours des différentes réunions tenues sous l’égide de l’Université d’été de la
Défense, les participants sont invités à parler librement en tant qu’individu et non
comme représentant d’institutions ou d’entreprises. Ils peuvent ainsi exprimer des
points de vue personnels aussi critiques soient-ils et formuler des propositions aussi
audacieuses soient-t-elles. Aucune utilisation publique nominale des propos ou des
discussions n’est autorisée par un des participants quel que soit sa fonction, sans
l’autorisation expresse de l’orateur. En cas de violation de cette règle, l’auteur sera
exclu des réunions suivantes. »
Afin de respecter ce principe, le verbatim de l’Université reprend in extenso les débats
des séances « publiques » et respecte l’anonymat des intervenants lorsqu’ils en ont
exprimé le vœu.
En revanche, les ateliers, plus intimes et confidentiels par nature, sont retranscrits sous
forme de synthèse.
5
BORDEAUX & MERIGNAC 2014
BLANQUEFORT – Dimanche 7 septembre 2014
Château Grattequina
Discours d’accueil devant les
invités étrangers
de
Patricia ADAM
Députée du Finistère,
Présidente de la Commission de la Défense nationale
et des Forces armées
Chers amis étrangers,
Permettez-moi de saluer en premier nos homologues présidents de commission en
charge des questions de défense. J’aurai un petit mot particulier pour Rory Stewart qui
a succédé il y a quelques semaines à James Arbuthnot à la commission de la défense
des Communes. Je lui souhaite bienvenue et bonne chance. J’en profite pour dire
publiquement toute mon amitié à James et le remercier pour l’excellente coopération
que nous avons développée entre nos organismes au cours des années passées.
Mais de façon générale, je veux vous remercier, tous, d’être venus, souvent de loin,
pour enrichir nos travaux de votre présence, de votre expérience et de votre réflexion.
Jean-Louis Carrère et moi sommes tout particulièrement attachés à ce que cette
université d’été de la défense qui réunit ceux qui font la défense de la France élargisse
autant que faire se peut ses horizons à tous ceux qui nous sont proches,
géographiquement ou par les préoccupations partagées.
Tous ensembles, ici, vous représentez un espace géographique et politique qui s’étend
des îles britanniques à la Roumanie et des rivages de la mer Baltique à l’Afrique
subsaharienne. Je n’oublie pas ceux qui nous arrivent même des Etats-Unis !
Mon propos sera bref. J’évoquerai deux idées.
La première de ces idées est ce qu’on appelle en France la communauté de défense.
Souvent, lorsque je vous visite, lorsque je vous reçois ou lorsque je vous rencontre
dans des séminaires internationaux, je remarque une forme d’incrédulité face aux
relations qu’entretiennent en France ceux dont la défense est le métier, dans toutes ses
dimensions. Comme ces relations sont le cœur et la raison d’être de cette université
d’été, je m’y arrête quelques instants. De par son histoire, sa culture mais aussi de par
les hasards qui conduisent un homme à la tête d’un pays – je pense au général de
Gaulle – la France a acquis de façon assez généralisée la conviction que la puissance
militaire était une condition de l’indépendance de sa politique. C’est ce que nous
nommons l’autonomie stratégique. Cette conviction a été au fil du temps un motif
d’incompréhension avec des pays amis, notamment sur la question du rôle de
l’OTAN. Ce temps de l’incompréhension me semble dépassé et je m’en félicite. Mais
ce désir d’autonomie stratégique a permis de mobiliser des volontés vers un but
commun qui est la construction d’un outil de défense cohérent qui part de la capacité à
exprimer un besoin militaire, qui passe par la capacité à fabriquer un matériel qui y
réponde et qui se synthétise dans la capacité de nos armées à agir militairement vite,
6
Université d’été de la Défense
loin et fort ; à agir et réagir comme le général Mercier aime à le dire. Cette
communauté de défense rassemble donc les responsables politiques compétents en
matière de défense, qu’il s’agisse des ministres ou des parlementaires – chacun dans
son rôle -, les militaires eux-mêmes qui sont par définition le cœur de la défense
nationale, les intellectuels qui irriguent notre réflexion sur des questions souvent
complexes, les industriels du secteur qui sont une force pour notre pays et qui sont à la
pointe des savoir-faire mondiaux dans leur domaine, mais aussi les élus locaux qui
s’engagent pour que leur territoire soit un terrain favorable à la perpétuation d’une
défense efficace.
Je veux vous préciser une chose : lorsque je parle de communauté de défense, je ne
parle pas d’un groupe de pression, d’un lobby comme il en existe dans d’autres pays.
Je ne parle pas d’un groupe politico-économique qui défendrait un accès privilégié
aux crédits publics. Je parle d’hommes et de femmes qui travaillent côte à côte, dans
la réalisation d’un objectif commun : assurer à leur pays les moyens de faire face à
toute situation grave.
Cet objectif, chers amis, me semble pouvoir dépasser le cadre de la France. C’est la
seconde idée que je voudrais développer ici. Je considère que mon pays n’est pas en
sécurité si l’Europe n’est pas en sécurité. Je considère que mon pays n’est pas en
sécurité si l’Allemagne n’est pas en sécurité. Je considère que mon pays n’est pas en
sécurité si la Pologne, la Roumanie, La Lettonie ou la Lituanie ne sont pas en sécurité.
Je considère aussi que la sécurité de mon pays est menacée par les troubles en Syrie
ou par la déstabilisation des pays de la bande sahélo-saharienne.
Ce à quoi nous aspirons, Jean-Louis et moi-même, c’est à une double prise de
conscience. La prise de conscience que nous avons basculé, sans doute depuis quelque
temps déjà, dans une nouvelle époque : une époque de troubles, d’incertitude et de
dangers ; y compris en Europe. La prise de conscience aussi que nous n’avons plus le
temps d’attendre avant de remonter en puissance. Aujourd’hui, la faiblesse militaire
est devenue un facteur de danger pour tous. Il faut inverser la courbe du désarmement
unilatéral.
Je considère qu’en la matière la France doit montrer l’exemple et je souhaite que la
norme des 2 % du PIB soit considérée comme un objectif et non comme un horizon,
c’est-à-dire comme une ligne qui s’éloigne à mesure qu’on s’en approche. Je souhaite
aussi que l’Union européenne prenne la mesure des défis qui nous attendent et qu’elle
comprenne que les budgets de défense ne sont pas simplement des dépenses mais à la
fois des moteurs de relance économique – en tout cas lorsqu’on achète européen – et
l’assurance-vie de nos peuples. Je me félicite donc de l’arrivée d’un dirigeant polonais
à la tête de la commission. Cela devrait aider à une prise de conscience.
Il nous faut prioritairement redevenir crédibles en matière de capacités militaires du
haut du spectre. Il nous faut sans doute encore accroître notre interopérabilité.
En conclusion, je vous dirai un mot sur l’actualité. La France croit en la force des
contrats signés. Je fais partie de ceux qui avaient espéré que le président russe
prendrait la mesure de ses erreurs et s’engagerait dans un processus de désescalade. Il
a choisi au contraire une stratégie de la tension et s’est enfermé dans une montée aux
extrêmes. Dans ces conditions, c’est la solidarité entre pays démocratiques face à
l’arbitraire qui doit primer. Rappelons-le : les démocraties constituent une famille.
Mais ne comptons que sur nous-mêmes pour nous défendre.
7
BORDEAUX & MERIGNAC 2014
MERIGNAC – Lundi 8 septembre 2014
Base aérienne 106 BordeauxMérignac
Allocution
du
Général d’armée Denis MERCIER
Chef d’Etat-major de l’armée de l’Air
Madame la Présidente de la commission de la Défense et des forces armées de
l'assemblée nationale,
Monsieur le Président de la commission des Affaires étrangères de la défense et des
forces armées du Sénat,
Messieurs les Présidents des commissions de la Défense, des pays Européens et des
pays Africains,
Monsieur le Président de la communauté urbaine de Bordeaux et Maire de Bordeaux,
Monsieur le Maire de Mérignac,
Madame la Député, Mesdames, Messieurs les parlementaires
Monsieur le Général commandant le commandement de la transformation de l'OTAN,
Monsieur le Chef d'état-major de la marine
Mesdames et Messieurs les élus,
Mesdames et Messieurs les Présidents et représentants des grandes industries de la
défense,
Mesdames et Messieurs cher universitaire
Je voudrais vous souhaiter, au nom des armées et du Chef d'état-major des armées qui
nous rejoindra cette après-midi, la bienvenue sur la base aérienne 106 « Capitaine
Croci » de Bordeaux-Mérignac puisque c'est l'armée de l'air, cette année, qui accueille
les universités de la défense.
Le choix du site de Bordeaux, n'est pas un hasard. Il répond à une triple logique. La
première logique, c'est une région comme cela vient d'être rappelé à l'histoire
aéronautique très riche, très forte, très vivante.
La deuxième raison, c'est une forte présence justement de la défense ici, et notamment
de son aéronautique avec une base aérienne ancienne - la base aérienne dans laquelle
vous êtes aujourd'hui avec un détachement air à Beauséjour qui est un atelier de
l'armée de l'air – avec un établissement majeur du service industriel de l'aéronautique,
avec aussi depuis deux ans une grande partie du service interarmées de maintien en
condition opérationnelle du matériel aéronautique de la défense la SIMMAD, et avec
comme cela vient d'être rappelé, un état-major qui s'installe ici, qui est issu de la
fusion pour l'armée de l'air du commandement des forces aériennes (CFA) et du
commandement du soutiens des forces aériennes (CSFA).
8
Université d’été de la Défense
Et puis la troisième raison, c'est une concomitance avec le Salon du MCO
aéronautique (ADS Show), qui illustre bien - et c’est ce que nous voulions démontrerle lien critique entre le soutien aux forces et les opérations militaires. Car ce sont bien
les opérations militaires qui représentent la raison d’être des armées et de l’armée de
l’air. C’est le fil conducteur de la présentation qui va vous être faite aujourd’hui.
Avant de poursuivre, je voudrais vous montrer un petit film qui est très rapide mais
qui illustre un an d’engagement en opérations à la fois intérieures et extérieures de
l’armée de l’air.
Ce que nous allons vous montrer aujourd’hui c’est bien l’actualité. C’est l’actualité
des opérations au travers de nos trois missions que sont la protection, la dissuasion et
l’intervention. Et je rajoute s’agissant d’intervention pour l’armée de l’air dans des
délais « toujours extrêmement courts », comme ça a été le cas des engagements en
Libye en 2011, au Mali et en Centre-Afrique depuis 2013, et en Irak avec l’apport
d’aides humanitaires depuis le mois dernier. Toutes opérations déclenchées en moins
de 48 heures et sur lesquelles il a fallu être extrêmement réactifs.
Et dans tout le spectre des opérations, de la mission humanitaire à la haute intensité.
La mission humanitaire, ce sont des aéronefs de transport et des équipages
régulièrement sollicités par le centre de crise du ministère des affaires étrangères. Ça a
été le cas par exemple, lorsqu’il a fallu aller chercher les ressortissants français au
Japon faisant suite à la catastrophe de Fukushima en mars 2011, ou faisant suite au
tremblement de terre d'Haïti en janvier 2010, ou depuis août des parachutages de
vivres en Irak.
Et la haute intensité, ça été le cas de la Libye en 2011, du Mali en 2013, tout comme
le raid qui, il y a un an, a failli être effectué en Syrie, et qui visait les unités qui
avaient employé des armes chimiques. Raid qui a été arrêté au dernier moment alors
que pilotes et navigateurs étaient déjà dans leurs appareils.
Cette annulation au dernier moment, comme le déclenchement de l’opération au Mali
en quelques heures, après la décision présidentielle illustre le lien toujours plus étroit
qui unit le tempo politique aux opérations des armées.
Le coeur de compétence de l’armée de l’air est bien là. Cette réactivité et cette
aptitude à être engagée ou désengagée jusqu’au dernier moment, et parfois en vol de
façon visible ou invisible puisque nous maîtrisons aussi l’espace et nous sommes
capable d’établir une situation spatiale en temps réel de façon à être certains de
connaître la position des satellites des uns et des autres.
Cette réactivité, que nous avons démontrée, et que nous continuons de démontrer au
quotidien dans les opérations extérieures, a été structurée par nos deux missions
permanentes que sont la dissuasion et la protection. Ces deux missions sont des
missions d’excellence absolue, elles ne souffrent pas l’échec et elles ont donné à notre
armée, aux armées, une culture du résultat extrêmement forte.
Elles sont conduites sans interruption pour l’armée de l’air depuis les années 60 qui
ont vu la création du commandement air des forces de défense aérienne (CDAOA) et
du commandement des forces aériennes stratégiques (CFAS) puisque nous fêtons 50
ans de dissuasions cette année.
Cette permanence opérationnelle a dimensionné nos forces. Elle a dimensionné nos
bases aériennes. Elle a dimensionné nos structures d’alertes, nos systèmes de
communications, la robustesse de nos centres de commandement et de conduite, et les
capacités sur tout le spectre des opérations, qu’elles soient conventionnelles ou non.
Elle a dimensionné, et ce n’est pas le moindre, les compétences du personnel qui vole,
ou qui met en oeuvre, planifie et conduit les opérations. Un niveau d’excellence qui
est éprouvé tous les jours par les événements réels. Ce sont bien des illustrations de
ces deux missions permanentes qui aujourd’hui conduit des entraînements réguliers
comme nos exercices POKER qui entraînent tous les trimestres nos forces aériennes
BORDEAUX & MERIGNAC 2014
9
stratégiques, au travers de missions effectuées de nuit, dans des conditions
extrêmement denses, des missions très longues sur lesquelles nous utilisons des
systèmes dégradés sans GPS.
La défense aérienne qui conditionne aussi la manière dont nous entrainons nos pilotes
de façon extrêmement réactive. Récemment encore nous choisissions une alerte de
défense aérienne pour effectuer une campagne de tir missile réelle. Le pilote qui a
décollé ce jour-là d’Orange ne connaissait pas sa mission, il ne savait pas qu’il allait
tirer un missile réel sur une cible d’entraînement. Il l’a découvert en vol et il a
effectué ce tir.
Ce sont bien ces missions permanentes qui nous permettent d’entrainer au quotidien,
de façon extrêmement réaliste, toutes nos forces et ces missions permanentes de
défense aérienne, c’était par exemple, le 17 février de cette année, un appareil
d'Éthiopian Airlines détourné, arraisonné d’abord, escorté par des chasseurs italiens
qui franchissent la frontière française, qui passe sous contrôle du commandement et
contrôle des centres français relayés par des chasseurs français, qui ensuite l’escortent
jusqu’en Suisse et le surveillent jusqu’à l’atterrissage à Genève, illustrant, soit dit en
passant, la coordination transfrontalière extrêmement importante qui existe entre
l’Italie, la France et la Suisse. C’est aussi des missions qui concourent à la sauvegarde
des populations. Tout le monde a en tête le sauvetage du chalutier aux Anglets dans
cette région, dans des conditions extrêmes, qui a permis de sauver plus de 10
personnes alors que la tempête était forte.
C’est un triplé le 27 mars de cette année, avec une évacuation sanitaire et deux
sauvetages en mer la même nuit à Solenzara par l'unité d'hélicoptères qui y est
stationnée. C'était le 4 août 2014, toujours l'escadron d'hélicoptères de Solenzara qui
effectue une évacuation sanitaire en mer au profit d'un plaisancier. C'était le 28 août
de cette année, une opération de récupération de sauvetage à Embrun, dans les Alpes
du sud au profit d'un pilote de planeur qui s'était écrasé.
Et pour les Forces aériennes stratégiques, c'est une posture ininterrompue depuis
1964, pour protéger les intérêts vitaux de la France. Puisque nous parlons des forces
aériennes stratégiques elles sont également entrées dans l’ère de la mutualisation et la
polyvalence : ces appareils, notamment ces Rafale, par leur polyvalence et les
ravitailleurs tiennent aussi la permanence de défense aérienne. Bien plus, ce sont ces
mêmes équipages, ces mêmes appareils qui sont engagés dans les opérations
extérieures, qui l’ont été en Libye qui le sont aujourd'hui dans la bande SahéloSaharienne.
C'est donc toute l’armée de l’air qui s’est nourrie de ces missions permanentes,
effectuées sur le territoire national pour développer une capacité unique à réaliser des
opérations extérieures, dans tout le spectre des engagements sous très court préavis.
Ce sont, et j'aime bien le souligner, ces opérations permanentes qui ont toujours et qui
continuent de tirer par le haut nos capacités conventionnelles et non pas qui ont un
effet d'éviction sur elles comme on pourrait l'entendre, mais qui les tirent par le haut
en permanence.
Cette réactivité, elle s'inscrit dans notre culture, dans nos matériels mais elle s'inscrit
aussi dans nos structures et notamment, dans notre chaîne décisionnelle rôdée par 50
ans de missions permanentes. Parce que nos forces, dans ces différentes missions de
dissuasion de protection et d'intervention, sont placées en permanence avec les mêmes
moyens, sous différentes subordinations.
La défense aérienne, prend ses ordres et rend compte directement au premier ministre.
C'est l'exemple de la base aérienne 106 avec un plot hélicoptère pour la permanence
opérationnelle de défense aérienne, qui peut décoller sur alerte en quelques minutes et
qui embarque des tireurs d'élites du commando parachutiste de l'air numéro 30,
stationné ici également, pour les mesures actives de sécurité aérienne.
10
Université d’été de la Défense
Les Forces aériennes stratégiques, les équipages que vous allez découvrir tout à
l'heure dans l'exposition statique sont placés dans leur emploi directement sous les
ordres du Président de la République.
Et pour les opérations extérieures (OPEX), cette chaîne est aussi réactive et elle
permet au Président de déclencher ou de retenir comme je l'ai démontré une action
extérieure conventionnelle, sous les ordres du Chef d’état-major des armées,
éventuellement via des structures de commandement de natures différentes, qu’elles
soient nationales ou internationales. Nationales comme c'est le cas de BARKHANE
au Tchad. Internationales comme c'est le cas de PAMIR en Afghanistan ou de la
mission Européenne en République Centre-Africaine.
Sans jamais oublier que ces missions bien sur extérieures sont toujours interarmées. Et
vous verrez d’ailleurs dans la présentation qui vous sera faite des capacités de nos
camarades de la marine nationale et de l’armée de terre.
Une évidence s'impose, cette performance, nous la devons à notre personnel, nous la
devons à nos capacités, mais nous la devons à une capacité unique que nous avons et
que nous continuons d'améliorer et cette capacité unique ce sont nos structures de
commandement et de conduite. C'est grâce à ces structures de commandement et de
conduite que nous avons dimensionné notre réactivité. C'est cette capacité à acquérir
du renseignement et une appréciation de situation de façon autonome, c'est cette
capacité à planifier des opérations, à les commander et à les conduire, qui a concentré
le savoir-faire auquel vous allez assister.
C'est cette capacité à optimiser depuis ses centres de commandement et de conduite
des moyens matériels et humains toujours en cohérence avec le tempo de la décision
politique. Cette capacité de commandement et de conduite permet la mutualisation de
nos appareils.
C'est d'ailleurs en Afrique, nos appareils, que ce soient des avions de chasse, des
Rafale stationnés au Tchad, que ce soient des drones stationnés au Niger, que ce
soient des avions de transport ou de ravitaillement en vol stationnés au Tchad, au
Sénégal, en Côte d'ivoire, au Mali et dans plein d'autres pays. Ces moyens sont
utilisés sous différentes subordinations, sous différents commandements au profit des
opérations (SANGARIS, BARKHANE, SABRE), et de nombreuses autres opérations
ponctuelles.
Ce sont les mêmes moyens et si nous avons pu avoir cette optimisation, c'est bien
parce que nous avons centralisé le commandement et la conduite des opérations
aériennes sous commandement du Chef d'état-major des armées, nous l'avons
centralisé à Lyon. Et c'est ce qui nous permet aussi de pouvoir opérer depuis le
territoire national. Depuis le territoire national, c'était les raids extrêmement réactifs
depuis les bases aériennes françaises effectués, sur la Libye, effectués sur le Mali, ou
le raid qui a failli être effectué au-dessus de la Syrie.
C'était la livraison de matériels humanitaires à l'Irak, c'était les AWACS qui
décollaient plusieurs fois par semaine au profit de la réassurance aux abords de
l’Ukraine et qui décollent et se reposent sur leur base aérienne d'Avord.
Toutes ces opérations concourent avec les mêmes moyens à la réussite de nos
opérations extérieures en utilisant certaines bases déployées et en utilisant de plus en
plus les bases aériennes de métropole. La clé de ce commandement et de conduite,
c'est le Centre National des Opérations Aériennes qui est situé à Lyon et qui comme je
l'ai signalé est à la tête de la manoeuvre aérienne pour toutes les opérations effectuées
notamment, sur le territoire national et dans la bande Sahélo-Saharienne, dans un
concept de « reach back » qui nous permet d'optimiser les moyens humains et des
compétences rares que sont ces moyens humains nécessaires à la planification à la
conduite d'opérations complexes.
C’est pourquoi ce sont ces capacités de commandement et de conduite que nous avons
choisi de mettre en avant aujourd'hui, dans cette université d'été. C'est donc la
BORDEAUX & MERIGNAC 2014
11
particularité de cette présentation : ce qui va vous être présenté aujourd'hui ce n'est
pas une démonstration jouée, c'est la réalité de nos opérations.
Ce que vous allez voir aujourd'hui, c'est un centre de commandement et de conduite,
et nous allons travailler sans filet. Vous allez suivre la situation instantanée en Afrique
depuis Bordeaux, par un déport du Centre National des Opérations Aériennes
(CNOA) de Lyon.
Vous pourrez voir l’alerte de défense aérienne. Vous allez voir la conduite
d'opérations extérieures. Vous pourrez constater la coordination avec le poste de
commandement interarmées de théâtre qui est situé à N’Djamena. Vous allez suivre
l’engagement réel d’un drone et d'avions de combat pour une mission effectuée audessus du Mali, en vous entretenant tout à l'heure en visio-conférence avec le général
Palasset qui commande l’opération BARKHANE. Sur un autre continent, vous allez
pouvoir vous entretenir avec le général Lavigne, qui continue de commander la base
internationale de Kaboul, un site dont l’activité aérienne annuelle, je le souligne, est
équivalente à celle de l’aéroport de Marignane à Marseille.
Cette démonstration, je souhaite le souligner, est aussi possible parce que nous avons
des gens de l'ombre que nous ne voyons jamais mais qui sont exceptionnels et qui
nous permettent la réalisation de ce que je viens de mentionner. Ce sont nos
spécialistes des systèmes d’informations et de communications, qu'ils soient de la
DIRISI ou du groupement tactique de l'armée de l'air. Ce sont ces spécialistes qui sont
capables, en permanence et en temps réel, de relier n'importe quel appareil avec
n'importe quelle structure, qu'elle soit au sol ou en mer, et avec des élongations
extrêmes.
Fort de cette permanence, en conclusion, l'armée de l'air aujourd'hui c'est une défense
aérienne, avec une alerte de 4 plots de deux chasseurs en France, des plots avec 5
hélicoptères, des centres de commandement et de conduite toujours en alerte, de jour
comme de nuit, un Centre National des Opérations Aériennes, des systèmes
d'informations et de communications.
Ce sont 3 bases aériennes à vocation nucléaire toujours en alerte avec leur système
associé. Ce sont des avions de transports toujours en alerte, des avions capables de
faire des évacuations sanitaires - on en a encore prononcé deux cette semaine - qui
sont en alerte à une heure jour et nuit, 24h/24h et 7j/7j.
Ce sont des gens qui concourent à la sauvegarde, qui comme nos camarades marins
font aussi de la sauvegarde maritime aux abords des côtes, ce sont aussi des Rafale
dont certains ont été désengagés pour maintenir un plot minimum à N’Djamena, mais
qui en moins de 48 heures sont capables de venir renforcer le dispositif présent, etc...
L'armée de l'air tire sa réactivité de ce niveau d'alerte. Tout ceci dirigé par un centre
unique de commandement et de conduite des opérations. C'est ce personnel que vous
allez rencontrer tout à l'heure, avec pour cet enjeu principal de toujours continuer à
travailler sur ce niveau de réactivité. Niveau de réactivité qui est rendu également
complexe, parce qu’il faut bien remettre en mémoire que ces opérations, sont toujours
interarmées, et la plupart du temps internationales.
Cette réactivité nécessite que nous ayons du personnel extrêmement bien formé parce
qu'il n'est plus temps en quelques heures de leur faire un complément de formation et
donc se pose la problématique pour nous de continuer à avoir ce niveau
d'entraînement extrêmement fort de tout notre personnel mais de pouvoir continuer à
durer sur le théâtre d'opération. C'est ce qui nous a amené, à différencier
l'entraînement avec des unités extrêmement réactives et des unités qui vont être
entrainées différemment de manière à assurer cette capacité à durer sur les théâtres
d'opérations.
Vous allez trouver dans vos sacoches, ou vous allez les trouver pour ceux qui ne les
ont pas encore vus, un fascicule sur le plan stratégique que l'armée de l'air a développé
"Unis Pour Faire Face" qui est aligné bien sûr sur le projet CAP 2020 du CEMA.
12
Université d’été de la Défense
Vous y verrez, les principaux projets que nous développons pour rendre cette armée
de l'air toujours plus réactive autour notamment de 5 capacités socles que sont le
commandement et la conduite, la surveillance et le renseignement, l'intervention
immédiate, la projection et la formation.
Nous repensons l’organisation de nos bases aériennes de manière à ce qu’elles nous
permettent d'avoir ce niveau de réactivité en intégrant une nouvelle donne qui sont les
soutiens devenus interarmées, et qui doivent vivre la même vie, la même réactivité
que les forces vives.
Et bien sûr, nous devons pour ceci disposer d'un personnel spécialiste de très haut
niveau, qu'il soit officier ou sous-officier. Si je le mentionne, c'est qu'on ne peut pas
juger le nombre d'officiers et de sous-officiers de haut niveau à la seule aune d'un taux
d'encadrement théorique, mais bien au travers de la réalisation des missions que nous
devons effectuer tous les jours, que ce soit sur le territoire national ou à l'extérieur du
territoire national. Je vais vous laisser maintenant à la présentation dynamique qui va
être dirigée par le général de corps aérien Jean-Jacques Borel, commandant de la
défense aérienne et les opérations aériennes et qui va vous amener à Lyon. Comme je
l'ai dit, tout ceci est en temps réel, donc il peut y avoir des imprévus. L'imprévu fait
partie de notre métier et c'est cet imprévu qui justifie la devise de l'armée de l'air :
UNIS POUR FAIRE FACE !
BORDEAUX & MERIGNAC 2014
13
BORDEAUX – Lundi 8 septembre 2014
Atelier n°1
Cohérence géostratégique et
composantes nucléaires
co-présidé par
Jean-Pierre CHEVENEMENT
Sénateur du Territoire-de-Belfort, Vice-Président de la commission des
affaires étrangères, de la défense et des forces armées
et
Charles de la VERPILLIERRE
Député de l'Ain
Animé par
Philippe LEYMARIE
journaliste au Monde Diplomatique, animateur du blog Défense en ligne du
Monde Diplomatique
Les auditions sur la dissuasion organisée à l’initiative de la Commission de la Défense
et des Forces Armées de l’Assemblée nationale furent une occasion supplémentaire de
rappeler le rôle de la dissuasion nucléaire sur les plans de la défense et de la sécurité
de la nation, et de la politique étrangère de la France. La raison d’être de la dissuasion
nucléaire est la protection des intérêts vitaux de la France, qu’ils se situent sur son
territoire national ou au-delà. Elle offre également au président de la République une
liberté de décision et pèse dans les interventions des forces conventionnelles de la
France sur les théâtres extérieurs. Alors, malgré ces bénéfices indéniables, et dans un
contexte budgétaire difficile, peut-on réduire de nouveau le budget de la dissuasion
sans que ne soit engagée sa crédibilité ?
S’exprimant dans le cadre de ces auditions, le Général Bentégeat a évoqué plusieurs
options pour contenir le coût de la dissuasion nucléaire française : l’abandon de l’une
des deux composantes, celui de la permanence à la mer et le ralentissement du
programme Simulation.
Le concept de dissuasion repose sur deux piliers : une certitude, celle que la France
dispose de moyens opérationnels, et une incertitude quant au degré de la réponse qui
sera faite face à une menace. Les deux composantes, océanique et aéroportée, et le
programme Simulation en sont les moyens.
Le programme Simulation concoure à la crédibilité de notre dissuasion. Il permet de
valider les formules des têtes nucléaires et assure la pérennité des compétences et
savoir-faire français en la matière. Représentant environ 40% du coût des essais
nucléaires qui visaient les mêmes objectifs, ce programme participe aux efforts
financiers demandés au secteur de la Défense. En complément, la Loi de
Programmation Militaire 2014 prévoit d’ores et déjà une réduction de budget de ce
programme, actant ainsi son ralentissement.
14
Université d’été de la Défense
Sur la question des deux composantes océanique et aéroportée, la force de la
dissuasion nucléaire française repose sur leur existence et leur complémentarité. Leurs
moyens présentent des degrés de souplesse, de flexibilité et d’intensité différents,
offrant une gamme de réponses étendue. Toute réduction de ces composantes
limiterait de manière importante cette gamme et faciliterait les défenses adverses,
pour un gain financier modeste estimé à quelques centaines de millions d’euros. Les
composantes viennent en effet d’être modernisées. Une telle réduction ne serait pas
sans conséquence sur les forces conventionnelles dont les capacités sont « tirées vers
le haut » par le niveau d’exigence du nucléaire militaire. Ce dernier est également à
l’origine d’innovations technologiques dont les applications dépassent le périmètre de
la dissuasion et de la défense. Les freins carbone-carbone équipant les aéronefs civils
et les générateurs de gaz utilisés pour les airbags illustrent la valorisation qui est faite
des technologies conçues et développées pour la dissuasion.
Ainsi, alors que les priorités sont l’innovation et l’emploi pour un retour vers la
croissance, la dissuasion est l’un des rares secteurs caractérisés par un niveau
technologique élevé et un investissement réalisé quasi-exclusivement au profit de
l’industrie nationale. Ces programmes ont d’ailleurs contribué à l’émergence et au
maintien de champions industriels nationaux.
Il n’en demeure pas moins que notre dissuasion demeure fragile sur plusieurs points :
le très haut niveau de compétences requis soulève la problématique de leur maintien ;
la longueur des cycles, comparables à ceux de l’aéronautique, pose deux questions
principales, celle de l’incertitude des menaces qui pèseront sur la France lorsque la
prochaine génération de moyens devrait être mise en œuvre mais également celle des
moyens dont la France devra disposer.
Enfin, la défense n’étant pas du domaine de compétences de l’Union européenne, et la
France faisant partie des rares pays pouvant soutenir un tel niveau de crédibilité, point
souvent sous-estimé dans le débat national, sa dissuasion est importante pour la
sécurité européenne.
En conclusion, alors que le Livre Blanc réaffirme son importance dans l’outil de
défense et que la LPM vient juste d’être adoptée, la question du budget consacré à la
dissuasion nucléaire ne devrait plus faire l’objet de remarques. Elle s’inscrit dans une
vision politique en matière de défense et représente un faible investissement en
comparaison des moyens conventionnels qu’il faudrait acquérir pour obtenir une
puissance équivalente.
15
BORDEAUX & MERIGNAC 2014
BORDEAUX – Lundi 8 septembre 2014
Atelier n°2
Les Centres de commandement et
de contrôle (C2), un enjeu
stratégique structurant
Présidé par
Daniel REINER
Sénateur de la Meurthe-et-Moselle, Vice-Président de la commission des
affaires étrangères, de la défense et des forces armées
Animé par
Romain ROSSO
Grand reporter à L’EXPRESS
Les propos introductifs du sénateur Daniel REINER et du Général BOREL,
Commandant de la Défense aérienne et des Opérations aériennes (CDAOA) ont
permis de replacer le sujet dans son contexte.
Ce sujet est d’actualité pour trois raisons majeures.
La France dans le Livre blanc de 2013 a réaffirmé son ambition de capacité à « entrer
en premier » sur un théâtre d’opérations et son aptitude à être Nation cadre pour une
opération interalliées de moyenne ampleur. En matière de capacité de
commandement, le contrat opérationnel le plus important est celui consistant à
assumer le rôle de Nation cadre d’une opération en coalition de moyenne ampleur
selon les critères définis par l’OTAN. Les armées doivent notamment conserver la
capacité de mettre sur pied des composantes de composante terrestre, maritime et
aérienne du niveau d’un corps d’armée ou équivalent.
La réorganisation du dispositif dans la bande sahélo-saharienne avec l’opération
Barkhane nous montre qu’il est possible d’imaginer des nouvelles organisations
basées sur des logiques différentes de celles mise en œuvre précédemment où le
niveau stratégique arrête les objectifs, le niveau opératif contrôle et le niveau tactique
conduit. Un équilibre doit ainsi être trouvé dans l’emploi des C2 entre centralisation et
décentralisation.
Avec l’arrivée des nouvelles technologies de l’information, il est permis d’imaginer
des organisations du commandement très décentralisées en conjuguant des centres
stratégiques permanents et des centres tactiques déployés de plus en plus légers. Mais
leur complexité technique, leur caractère de plus en plus interarmées, leur coût et la
nécessité de disposer du personnel apte à leur mise en œuvre et à leur maintien en
condition font que le C2 devient une composante qui impose des choix d’autant plus
difficiles qu’ils se placent sous une double contrainte budgétaire et de compatibilité de
normes entre alliés.
Les échanges ont ensuite permis de mettre en lumière les points suivants :
16
Université d’été de la Défense
-
La capacité à déployer un C2 est non seulement une composante de
notre autonomie stratégique mais aussi un atout pour participer à des
opérations multinationales. Le choix fait par l’Armée de l’air de
commander les opérations aériennes depuis le JFACC (Joint Force Air
Component Commander) de Mont-Verdun est un choix qui a pour
avantages la réactivité et la capacité à durer. Cette « logique de
concentration des moyens à Mont-Verdun » pour les fonctions qui peuvent
être assurées depuis la France permet également d’économiser les moyens
humains et matériels. Avec cette décentralisation, le commandement
tactique change de nature et le dispositif s’inscrit dans la durée. Le point
faible du dispositif peut résider dans la vulnérabilité des systèmes de
communications.
Le choix de l’organisation choisie en matière de C2 dépend essentiellement
du temps politico-militaire. La régionalisation en cours du C2 dans la zone
sahélo-saharienne via un déplacement à N’Djamena, n’est pas une
révolution dans la manière d’envisager le C2, mais une évolution du
dispositif. Dans l’opération BERKHANE, la position géographique du
PCIAT recule mais son rôle demeure central. Le besoin d’un commandant
de théâtre d’opérations au contact est particulièrement important.
-
D’une manière plus prospective, le travail collaboratif de l’ensemble
des composantes (terrestre, aérienne, maritime) pourra être obtenue en
créant une « constellation de C2 » disposant de l’appréciation de
situation nécessaire pour planifier au niveau requis et d’une manière
transverse les missions avec l’ensemble des acteurs concernés. L’outil de
combat de demain englobera très certainement l’ensemble des centres de
commandement, déployés et en métropole, ainsi que tous les capteurs et
effecteurs, interarmées et internationaux. Pour le mettre en œuvre, il faudra
concevoir un réseau apte à tirer le meilleur parti de chacune des
composantes de ce « système de systèmes », dans lequel les liaisons de
données seront la véritable colonne vertébrale. Le futur système de combat
doit se construire autour du C2. Le C2, ou plutôt le C4ISR, est le cerveau du
système de combat qui doit parfaitement interopérable avec nos alliés. La
volonté de transformer le CRR-FR en un état-major de niveau 1 travaillant
au niveau opératif répond à un besoin d’interopérabilité. De même,
l’interopérabilité avec le F-35, futur avion multirôle américain, qui doit
entrer en service en avril 2016 doit être prise en compte au plus tôt.
Le choix fait par l’armée de l’Air a été dicté par l’évolution des structures. Il
s’agit avant tout de valoriser la structure permanente mais le maintien d’une
capacité de commandement déployable est primordial. Les systèmes
d’information et de commandement des trois armées migrent
progressivement vers un système unique, le système d’information des
armées (SIA) qui armera les PC stratégiques et opératifs. Cette transition se
fait suivant une démarche incrémentale, dite des « petits pas ».
-
Pour ne pas tomber dans le « totalitarisme cybernétique » et ne pas
effacer des organisations façonnées par l’histoire, il convient toujours
de garder à l’esprit que l’homme est et restera au centre du dispositif.
Pour atteindre ces objectifs, l’entraînement et la préparation opérationnelle
de ces centres de commandement et de contrôle deviennent centraux.
L’armée de Terre a créé le centre d’entraînement des postes de
commandement (CEPC) à Mailly pour appuyer l’entraînement des étatsmajors tactiques des forces terrestres. L’armée de l’Air a créé le Centre
d’Analyse, de Simulation et de Planification des Opérations Aériennes
(CASPOA) dédié à la formation de tous les personnels affectés dans les C2
air. La qualité du personnel qui sert dans les centres de commandement et
de contrôle est primordiale. Le taux d’encadrement ne doit pas répondre à
une logique comptable. En effet, la mise en service de ces équipements
BORDEAUX & MERIGNAC 2014
17
nécessite essentiellement des officiers et des sous-officiers et donc un taux
d’encadrement élevé qui va à l’encontre des travaux de « dé pyramidage »
menés récemment. En effet, la préparation de ces centres de commandement
et de contrôle nécessite des compétences et beaucoup de préparation.
En conclusion, il a été rappelé que l’organisation du commandement doit être en
mesure de s’adapter en permanence aux modifications des composantes de forces
déployées, aux évolutions des phases d’un conflit et aux variations des contraintes
d’environnement. Cette nécessité d’auto adaptation est une garantie de cohérence et
d’efficience opérationnelles d’une chaîne de commandement moderne.
18
Université d’été de la Défense
PAU – Lundi 9 septembre 2013
Atelier n°3
Maintien en conditions
opérationnelles, sortir des schémas
anciens ?
Co-présidé par
Gilbert ROGER
Sénateur de la Seine-Saint-Denis
Et
Marie RECALDE
Députée de la Gironde
Animé par
Guillaume BELAN
Rédacteur en Chef de Forces Opérations Blog
Le MCO est la clé de la cohérence capacitaire des armées notamment de l’armée de
l’air et de sa réactivité. Il est par conséquent un enjeu stratégique mais aussi
économique car partie intégrale du savoir-faire français. Afin de maintenir cette
dimension indispensable à la conduite des opérations, des évolutions peuvent être
envisagées mais ces évolutions se feront en période de contrainte budgétaire. Au sein
de la LPM 2014-2019, la question posée est finalement assez simple : comment faire
mieux à budget constant ?
L’environnement stratégique est incertain. La France a fait le choix de maintenir un
niveau élevé de ses forces armées. Le budget du MCO ne doit ainsi pas être une
variable d’ajustement mais présenter une constance, ce qui a présidé au dialogue entre
Bercy et les parlementaires sur ce sujet avec un appui constant du ministre de la
Défense. Lors de l’élaboration du Livre Blanc pour la Défense et la Sécurité
Nationale, est apparu que le budget MCO de la LPM précédente était insuffisant. A
titre d’exemple, sur la nouvelle LPM, les crédits d’entretiens programmés prévus ont
ainsi connu une hausse de 4%. Le MCO Aéronautique s’établit ainsi à 2Md€.
Le MCO Aéronautique concerne aujourd’hui 25 000 personnes. Si des évolutions
peuvent à nouveau être recherchées, le domaine n’est pas statique. Des recherches de
solutions d’économie sont menées en permanence par les acteurs de la maintenance et
de la réparation des aéronefs. Ainsi, des actions menées par Snecma et le SIAé
(Service Industriel de l’Aéronautique) ont abouti à des économies de 12M€ sur le
moteur M88 équipant le Rafale. Des axes d’amélioration sont néanmoins toujours
possibles pour certains domaines : des faiblesses ont ainsi été identifiées dans le
domaine de la logistique des retours, à savoir le rapatriement des matériels en panne
du théâtre d’opérations vers la métropole.
BORDEAUX & MERIGNAC 2014
19
Le MCO Aéronautique est un ensemble complexe mais avec une finalité simple : faire
voler les matériels devant permettre de remplir le contrat opérationnel. Le MCO est
ainsi un acteur des opérations aériennes. Des RETEX (Retours d’Expérience) ont mis
en évidence que certaines capacités étaient davantage sollicitées que d’autres (ex. :
l’ATL 2). De même, pour certains matériels, les conditions d’emploi ont changé,
certaines spécifications n’ayant pas été arrêtées lors de leur conception mais sont
employées différemment aujourd’hui (ex. : Gazelle sur BPC). L’activité
opérationnelle tire le MCO, notamment dans le cadre des missions permanentes. Il
permet ainsi aux forces de générer 300 000 heures de vol afin que celles-ci soient en
mesure de remplir ce contrat opérationnel. Cette nécessité d’assurer le contrat
opérationnel implique une recherche de procédures les plus avancées possibles pour
assurer la performance du soutien. Pour cela, une logistique de haut niveau est
indispensable. Actuellement, cette logistique nécessite encore des convergences. Au
contraire les contrats, les achats ou les aspects techniques sont bien traités : ils
représentent environ 2Md€ répartis à 50% vers les concepteurs et 50% vers les
réparateurs (dont le SIAé).
A la lumière de cet ensemble complexe, le MCO n’est plus un service mais une
science. Aujourd’hui, le MCO aéronautique concerne 1284 appareils (de 46 types
différents appartenant à l’Armée de l’Air, à la Marine Nationale, à l’Armée de Terre,
à la DGA, à la Gendarmerie Nationale ainsi que les hélicoptères de la Sécurité Civile
voire peut-être demain les aéronefs de la Douane) dont 125 drones, leurs systèmes
d’information, leurs matériels d’environnement et la défense sol-air. La moyenne
d’âge de la flotte est d’environ 23, 5 années avec une forte hétérogénéité entre
aéronefs d’âge et d’emplois très différents : de l’Alouette III et du C-135Fr à
l’A400M ou au Rafale en passant par le Hawkeye FR2, le Tigre, l’Atlantique 2, le
SDTI (Système de Drone Tactique Intérimaire), l’E-3F ou encore l’EC145 et le CN235. Sur ces 1 284 appareils, environ 200 sont en permanence immobilisé pour
chantier MCO. L’âge moyen de la flotte va augmenter au cours de cette LPM,
notamment un fort vieillissement des hélicoptères.
Pour répondre à ces enjeux, un mouvement de modernisation du MCO aéronautique
est engagé par la SIMMAD (Structure Intégrée de Maintien en condition
opérationnelle des Matériels Aéronautique de la Défense) par le biais du programme
CAP 2016. Ce dernier comporte plusieurs mesures dont :
-
Le développement de l’expertise du MCO aéronautique (notamment pour
permettre une meilleure approche des problèmes récurrents tels que les
Pannes Non Constatées ou PNC).
-
L’amélioration de la fluidité d’un système de reverse logistics (et ainsi
permettre d’éviter des pénuries de pièces détachées et de composants
comme cela a déjà été le cas notamment sur hélicoptères).
-
L’accès à la prospective du MCO (évaluer les nouveaux concepts et
techniques de soutien pour améliorer le MCO).
-
L’ingénierie contractuelle, notamment le développement de synergies
Etats/Industriels lors de la phase de soutien initial de l’appareil (pour traiter
au plus vite les problèmes de jeunesse de nouveaux systèmes d’armes). Ces
plateaux Etats/Industriels permettent également de corriger le problème de
la surmaintenance.
-
L’anticipation de l’activité du SIAé avec la mise en place de groupes de
travail. Ces derniers sont établis pour la durée de l’actuelle LPM (20142019) et une partie de la suivante afin de caler les exigences contractuelles
en fonction des crédits à disposition (les contrats ayant une durée de 8 ans et
la LPM, 5 ans, cela permet de mieux caler les contrats en fonction des parcs
et de l’activité opérationnelle).
-
La gestion du patrimoine de l’Etat en fin de vie pour proposer d’autres
solutions que le démantèlement.
20
Université d’été de la Défense
-
La réorganisation interne de la SIMMAD. Ce dernier volet fait partie du
processus d’amélioration du MCO et vise à remplacer 40 systèmes
d’information par 2 (COMP@S et ATAMS, le tout en lien avec le SIAé),
devant permettre, dans une logique d’interarmisation qui permettra à terme
d’unifier les processus.
La problématique du MCO au final ne touche pas que les forces mais également les
industriels qui ont pour mission de concevoir des matériels robustes. Dans le domaine
du support, des solutions ont également permis d’améliorer le MCO des appareils.
Dans le cadre du contrat de maintenance globale Rafale Care, la mise en place de
guichets et de personnels spécialisés de Dassault Aviation sur les bases Rafale a
permis d’améliorer les délais des composants échangés et des consommables. Cet
échange d’informations entre militaires et industriels permet à ces derniers
d’améliorer la visibilité de leur plan de charge tout en donnant une meilleure
estimation des coûts futurs.
Dans le domaine des améliorations déjà mises en place, le SIAé renforce ses
procédures de lean management, à savoir chercher l’amélioration permettant de
progresser (pas plus de 15% de demandes ne doivent être classées urgente. Dans le
cas de la chaîne de réparation Gazelle, ces procédures ont permis de plafonner les
demandes urgentes à 8%. Si les pratiques du domaine civil apparaissent comme des
pistes à explorer, de nouvelles opportunités se sont déjà progressivement mises en
place. Ainsi l’A400M va permettre de s’affranchir des absences d’interaction
entrevues avec le Transall : à savoir aucune interopérabilité entre appareils français et
allemands. La mise en place de standards type EMAR (European Military
Airworthiness Requirements) 66 va ainsi permettre la mise en place de pool de
rechanges, de qualifications initiales des pilotes puis au vol tactique commune
(Allemagne, Royaume-Uni, France, etc.).
BORDEAUX & MERIGNAC 2014
21
BORDEAUX – Lundi 8 septembre 2014
Atelier n°4
Perspectives de 10 ans
d’engagements extérieurs :
Afghanistan, Côte d’Ivoire, Libye,
Mali, Centrafrique
Co-présidé par
Jean-Louis CARRERE¸
Sénateur des Landes,
Président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des
forces armées
Et
Philippe NAUCHE
Député de la Corrèze,
Vice-Président de la Commission de la Défense nationale et des Forces
armées
Animé par
Thomas HOFNUNG
journaliste à Libération
Les participants de l’atelier ont principalement échangé sur quatre sujets : la définition
et l’analyse de la menace, les objectifs des interventions militaires extérieures, les
principales caractéristiques communes des interventions contemporaines et enfin
l’évaluation des clés de succès des interventions.
L’identification de la menace, notamment future, constitue l’étape préalable
indispensable, puisqu’elle définit les possibles interventions à venir, mais aussi du
format futur des armées et de leurs matériels. Le développement de la démarche
prospective pour identifier, évaluer et prioriser les menaces auxquelles la France et ses
partenaires font (et feront) face doit être l’une des priorités. Il s’agit notamment de
renforcer les capacités d’anticipation et d’éviter autant que possible l’effet de surprise.
Cette démarche est aussi indispensable pour définir le format futur de nos armées. La
réflexion sur les menaces, dont certaines figurent aux portes de l’Europe (flanc Est,
flanc Sud) devrait, dans la mesure du possible, faire l’objet d’un effort collectif au
niveau européen. Toutefois, une réflexion européenne sur les menaces présuppose de
définir des intérêts communs. Ceci est avant tout une question politique plus que
militaire.
La finalité politique de l’intervention et, in fine, la réponse à la question « Pourquoi
intervenons-nous ? » doit être évaluée et clarifiée, à défaut de quoi toute l’opération
risque d’échouer. En outre, l’estimation de la situation post-crise est un impératif, afin
22
Université d’été de la Défense
de ne pas subir une dégradation de l’environnement sécuritaire après la fin des
opérations.
Ainsi, il est nécessaire de définir une finalité politique à tout engagement extérieur.
L’absence de véritable projet politique en Irak ou en Libye a conduit à des situations
extrêmement instables, alors que pour l’opération Serval au Mali par exemple, un
agenda politique avait été défini, comprenant des élections et des négociations avec
les forces séparatistes du Nord du pays. L’intervention française en Centrafrique obéit
à cet impératif de projet politique, où un processus de transition que la France
accompagne a été mis en place. La réflexion sur l’après-intervention doit être
pleinement intégrée à la définition du projet politique. L’intervention militaire initiale
est presque toujours un succès majeur, comme l’illustrent l’Irak (2003) ou la Libye
(2011), mais après la chute des régimes autoritaires, l’absence d’accompagnement
politique ou sa mauvaise gestion menace maintenant ces deux pays d’éclatement. De
même, il est légitime de se poser la question de savoir si la non-intervention, in
extremis, en Syrie n’a pas été prise justement par l’absence de véritable projet
politique post-intervention.
Les interventions contemporaines partagent plusieurs caractéristiques similaires, voire
communes. Tout d’abord, les crises qui entraînent les interventions sont peu, ou pas
prévisibles. Elles se situent dans les zones instables de fracture géopolitique. D’où la
nécessité de bénéficier d’une capacité de prospective renforcée comme expliqué cidessus. Ensuite, ces crises exigent une très forte réactivité, tant par les décideurs que
par les forces armées, compte tenu de la contraction du temps politique, médiatique et
militaire. Une autre caractéristique des interventions contemporaines est l’usage
proportionné et précis de la violence, afin d’éviter le plus possible les victimes
collatérales. Enfin, elles doivent être conçues dans le cadre d’une approche globale,
où le seul volet militaire ne saurait suffire. L’intervention en coalition est préférable,
si le temps et l’environnement politique le permettent.
De même, certaines constantes peuvent être dégagées que les caractéristiques de
l’ennemi. Celui-ci est de plus en plus asymétrique, refusant le combat frontal qu’il sait
ne pouvoir remporter. Il se dilue en se fondant dans les populations et en attendant
que le rapport des forces lui soit favorable, moment où il procède alors à une
concentration des forces pour frapper. Il ne faut toutefois pas croire que le seul
ennemi auquel la France sera confrontée se limite au combattant asymétrique. Un
affrontement contre un Etat constitué a eu lieu, face à la Libye, et a failli avoir lieu,
avec la Syrie. Une autre caractéristique des interventions contemporaines est la
nécessité de penser au temps long dès le début de l’engagement, ce qui rejoint en
partie le point développé plus haut sur le projet politique et la réflexion post-crise.
Les échanges ont enfin porté sur l’identification de plusieurs clés de succès assurant
(ou qui permettront d’assurer) aux forces armées françaises la victoire.
L’efficacité des opérations est garantie si les forces agissent par surprise. Il est donc
indispensable de développer les capacités qui permettront aux forces de conserver un
niveau élevé du rythme, du tempo des opérations. Il s’agit ici de laisser l’ennemi dans
l’incertitude et le maintenir dans la contrainte. Cela exige donc la nécessité de
disposer des capacités suivantes : mobilité stratégique et opérative ; capacités de
ciblage précise, rapide et discriminée ; capteurs et récepteurs endurants ; processus de
commandement robuste. Il faut donc mener une véritable course à l’innovation
tactique pour devancer l’ennemi en permanence. Par ailleurs, le renseignement est
indispensable, à la fois pour connaître l’ennemi et pour garantir à la France sa liberté
d’appréciation quant à une zone de crise. La qualité du renseignement repose
notamment sur la présence de capteurs humains et techniques, ainsi que des systèmes
d’information et de communication performants. Enfin, la France dispose aujourd’hui
d’une très importante capacité interarmées qui facilite grandement la réactivité des
forces.
En opération, l’association de forces locales et de moyens non-militaires est l’un des
éléments contribuant à la victoire, comme Serval l’a démontré au Mali. Il est en
BORDEAUX & MERIGNAC 2014
23
conséquence impératif d’accompagner les Etats dans lesquels les forces françaises
interviennent. Dans ces pays en crise, il manque presque toujours le socle étatique et
sécuritaire : c’est toute l’architecture du contrôle du territoire et des frontières qu’il
faut accompagner. Le partenariat local avec la population des régions où l’on
intervient, selon le principe de la concertation, est l’une des clés du succès des
opérations contemporaines.
Cela ne sera garanti que s’il existe une adéquation entre le format des armées et les
capacités budgétaires nationales, en évitant le nivellement par le bas. L’objectif est de
progressivement se porter vers les 2 % de PIB dédiés à la défense. Certains estiment
qu’il faudrait engager une réflexion sur une possible division des tâches entre alliés et
partenaires, la France s’occupant par exemple de la zone sub-saharienne, les anglosaxons du Moyen-Orient. Pour d’autres, il pourrait être nécessaire de prioriser les
interventions, la France ne pouvant intervenir partout ni tout le temps.
Un autre facteur de réussite des récentes interventions est le processus de décision en
France, qui garantit, contrairement à de nombreux autres pays européens, une très
grande rapidité d’action. Cela peut toutefois entraîner des difficultés pour former des
coalitions, exercice politique souvent long.
24
Université d’été de la Défense
BORDEAUX– Lundi 8 septembre 2014
Atelier n°5
Les atouts stratégiques de la
maîtrise de la troisième dimension
Co-présidé par
Jacques GAUTIER
Sénateur des Hauts-de-Seine, Vice-Président de la commission des affaires
étrangères, de la défense et des forces armées
et
Christophe GUILLOTEAU
Député du Rhône
Animé par
Emmanuel HUBERDEAU
Journaliste défense à AIR & COSMOS
Les parlementaires ont noté le rôle primordial joué par les forces aériennes ces
dernières années. Ainsi, depuis l’engagement de la France en Afghanistan (2001), ces
dernières ont été particulièrement sollicitées pour leur action spécifique, mais aussi au
profit des forces terrestres ou en combinaison avec les forces spéciales (FS).
Récemment, la complémentarité décisive de ces deux capacités – Air et FS – a été
rappelée au Mali (2012) avec l’arrêt réussi de la progression des colonnes jihadistes
vers Bamako.
De manière plus générale, l’association de ces deux capacités permet de limiter
l’empreinte au sol dans les opérations extérieures, tout en maximisant l’effet
militaire. Moyens aériens et forces spéciales offrent aussi une grande souplesse dans
l’emploi de la force, caractérisée par une réversibilité allant de la neutralisation à la
dissuasion tout en permettant un désengagement rapide.
Cette souplesse d’emploi de l’arme aérienne est devenue particulièrement attractive
pour les décideurs politiques. Elle leur permet de répondre à l’évolution du mode de
gouvernance : le délai entre la décision politique et l’action militaire s’est
considérablement raccourci ces dernières années. Il faut toutefois prendre garde à ne
pas succomber à la facilitée du « First in, first out », car l’intervention militaire n’est
jamais une fin en soi. Une sortie de crise ou un désengagement réussi supposent
d’avoir identifié au préalable une solution politique.
Néanmoins, le besoin de puissance aérienne ne doit pas être envisagé uniquement à
l’aune des opérations récentes, trop fortement centrées sur la seule contreinsurrection.
Il faut garder à l’esprit que l’arme aérienne peut être amenée à opérer à l’avenir dans
un espace dont on lui dénierait l’accès. En effet, sa maîtrise n’est pas un acquis ferme,
BORDEAUX & MERIGNAC 2014
25
définitif et global. Dans ce contexte, la maitrise de la troisième dimension devient
alors, de fait, indispensable pour garantir le succès des opérations.
A l’avenir, voire à court terme, certaines opérations aériennes ou spéciales pourront
être menées dans des zones défendues par des moyens aériens mais aussi par des
systèmes sol-air. Qu’auraient trouvé nos forces en Syrie si une intervention avait été
décidée en septembre 2013 ? Comment répondre d’autre part au développement des
armements anti-satellites et au risque qu’ils font courir sur nos capacités dans le
domaine du renseignement spatial ?
La question du déni d’accès se pose également plus près de nous, dans le cadre de la
crise en Ukraine. Comment assurer l’intégrité de l’espace aérien dans ce conflit
opposant Kiev à Moscou ? Plus globalement, ce sujet amène à nous interroger sur la
réalité de la mise en place du ciel unique européen.
Ces quelques questions doivent alerter sur l’adéquation entre nos ambitions politiques
et la réalité de nos moyens capacitaires, dans un contexte budgétaire particulièrement
contraint pour le ministère de la Défense depuis plusieurs années.
En outre y compris dans le ciel de pays amis, comme au Mali, l’utilisation de la
troisième dimension exige une capacité à acquérir, analyser et exploiter du
renseignement, et à planifier et conduire des opérations aériennes et aéroterrestres
particulièrement complexes. Ce dernier point est capital dans le cadre d’opérations se
conduisant le plus souvent en coalition, ou à partir et au-dessus d’Etats ne disposant
pas des infrastructures et équipements nécessaires. Ces situations nécessitent de
pouvoir projeter une capacité de commandement et de contrôle (C2) sur des théâtres
extérieurs, ou de pouvoir conduite ces opérations directement depuis la métropole
grâce au CNOA de Lyon Mont Verdun et à l’expertise délivrée par le CASPOA à
travers ses formations.
Parallèlement, dans le cadre des missions permanentes confiées à l’arme aérienne, les
moyens de C2 agissent également de façon continue depuis le même centre de gestion
du commandement et du contrôle (C2) de Lyon Mont Verdun. Assuré par le CDAOA.
Ainsi, la surveillance de l’espace aérien répond à une exigence de sécurité nationale,
mais aussi de développement économique dans la mesure où ce contrôle permanent
participe à la sécurisation des flux aériens au-dessus du territoire national, qui
constituent un véritable espace de richesse et génèrent de nombreux emplois.
Cette surveillance de l’armée de l’air est menée au profit et en coordination avec
d’autres services de l’Etat tels que les douanes (lutte contre les trafics) ou différents
services du ministère de l’Intérieur (protection de sites et suivi de manifestations
sensibles) dans le cadre de la posture permanente de sécurité. Outre ce rôle de
sentinelle du ciel, l’armée de l’air dispose de moyens d’action en alerte – Rafale,
Mirage 2000, hélicoptères – pour assurer des interceptions d’aéronefs de différents
types.
La maîtrise de la troisième dimension s’étend également au domaine spatial, secteur
dont les applications sont devenues indispensables au bon fonctionnement quotidien
du pays.
Dans ce domaine, la France dispose d’atouts majeurs : Le radar Graves développé par
l’ONERA sous contrat de la DGA en est une « brique » essentielle, qui lui permet
d’être l’un des rares pays à pouvoir inventorier les objets en orbite. Cette capacité doit
être pérennisée, afin que la troisième dimension demeure un espace d’attractivité
économique et de portée stratégique. Il convient également de poursuivre les efforts
menés dans la cyberdéfense pour garantir l’intégrité des réseaux de communication et
des systèmes d’information du pays.
Cette question des investissements est ici cruciale. Les efforts budgétaires demandés
au ministère de la Défense impliquent qu’à l’avenir, les décideurs politiques priorisent
et sélectionnent encore mieux les menaces auxquelles les forces armées doivent
répondre. Ils devront également déterminer si les alliances militaires sont devenues la
26
Université d’été de la Défense
norme ou si celles-ci doivent rester de circonstance. Les réponses à ces interrogations
permettront aux forces armées d’adapter en conséquence leurs outils et organisation.
De même, les industriels seront en meilleure posture pour anticiper les besoins à venir
et investir dans ce sens.
Toutefois, il faut déjà noter certains déficits capacitaires qui doivent constituer une
priorité d’investissement. Ainsi, les opérations au Kosovo n’auraient pu se faire sans
les avions spécialisées des Etats-Unis pour supprimer la défense aérienne ennemie
(SEAD ). Les opérations en Libye ou au Mali n’auraient pu se passer d’un appui de
pays alliés dans les domaines du renseignement aéroporté et du ravitaillement en vol.
Il existe donc déjà une forme de dépendance à l’égard de moyens « étrangers » dans
notre maîtrise de la troisième dimension, au moins pour ce qui est de nos engagements
extérieurs.
Enfin, dans le domaine industriel, le sujet de la BITD connait une actualité
particulièrement importante, incarnée par le choix qui a été fait de rapprocher la
France du Royaume-Uni, de l’Allemagne et de l’Italie dans le cadre du projet « One
MBDA ». A l’avenir, il faudra certainement envisager d’étendre cette logique à
d’autres industriels pour lancer de nouveaux programmes majeurs.
Dans le domaine capacitaire comme industriel, il apparait plus que jamais urgent de
trancher sur certains fondamentaux : la souveraineté et l’autonomie nationales sontelles « tenables » sur le long terme ? Des abandons capacitaires sont-ils envisageables
? Et quelles en seraient les conséquences sur notre maîtrise de la 3e dimension ?
BORDEAUX & MERIGNAC 2014
27
BORDEAUX – Lundi 8 septembre 2014
Forum des Rencontres
Présentation des conclusions du
rapport « La doctrine d'emploi des
forces spéciales »
par
Daniel REINER
Sénateur de la Meurthe-et-Moselle,
Vice-Président de la commission des Affaires étrangères,
de la Défense et des Forces armées
Jacques GAUTIER
Sénateur des Hauts-de-Seine,
Vice-Président de la commission des Affaires étrangères,
de la Défense et des Forces armées
et
Gérard LARCHER
Sénateur des Yvelines, ancien Président du Sénat
A partir des dispositions prévues par le Livre Blanc sur la sécurité et la défense
(LBSDN) la commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées
du Sénat a chargé les sénateurs Daniel REINER, Jacques GAUTIER et Gérard
LARCHER de faire le point sur le renforcement des forces spéciales françaises. Leur
rapport, disponible sur le site du Sénat (http://senat.fr/notice-rapport/2013/r13-525notice.html), s’interroge sur les raisons de ce renforcement et sur ses modalités et met
l’accent sur les mesures d’accompagnement qu’il implique.
Mettant un terme au débat sur un prétendu « effet de mode », le Livre blanc de 2013
et la dernière loi de programmation militaire ont prévu de renforcer les forces
spéciales. Est ainsi envisagée, entre 2014 et 2019, une augmentation de leurs effectifs,
à hauteur de 1 000 hommes, projet dénommé « COS+1000 ».
Ce renforcement ne vise pas à pallier la diminution des forces conventionnelles, ni à
créer une « quatrième armée » (les forces spéciales représentent à peine plus de 1 %
des effectifs des armées françaises). Il s’agit de conforter les forces spéciales dans la
mesure où elles s’inscrivent dans une complémentarité avec les forces
conventionnelles.
Surtout, l’action spéciale apparaît particulièrement adaptée aux menaces non étatiques
(terrorisme, trafics en tous genres…) qui prolifèrent aujourd’hui et qui constitueront
très vraisemblablement une part significative des engagement des dix prochaines
années.
28
Université d’été de la Défense
Or, du fait de leur sous-effectif actuel (inférieur d’environ 180 hommes à l’effectif
théorique) et de la montée en puissance de leurs missions (Afghanistan, Sahel,
Mali…), les forces spéciales sont aujourd’hui sous tension et ont besoin de renfort.
Le renforcement des forces spéciales ne saurait cependant consister uniquement en
une augmentation des effectifs. Celle-ci, nécessaire, sera difficile, en particulier en
raison de la réduction du format des forces conventionnelles, qui en constituent le
vivier.
Compte tenu des difficultés, soulignées par les responsables militaires, d’atteindre
l’objectif du COS+1000, le rapport sénatorial appelle l’exécutif à une réflexion sur
l’articulation des forces spéciales et forces clandestines comme l’y incite du reste le
Livre Blanc qui souligne la nécessité d’approfondir leur coopération.
En outre, le renforcement doit aussi concerner les équipements, l’action des forces
spéciales devant pouvoir s’appuyer sur du matériel de pointe, adapté aux différents
théâtres d’opérations. Mener à bien cet objectif suppose de rénover les procédures
d’acquisition, qui devraient être simplifiées et raccourcies.
Le rapport s’interroge également sur les mesures d’accompagnement nécessaires à ce
renforcement.
La question se pose, tout d’abord, de l’opportunité de doter les forces spéciales d’une
doctrine d’emploi, dont elles sont jusqu’à présent dépourvues du fait des
caractéristiques mêmes de leur action, par nature imprévisible et se prêtant mal à toute
formalisation (leur devise étant « agir autrement »). Alors que l’OTAN a récemment
défini sa propre doctrine et que les Etats-Unis sont en train d’élaborer la leur, l’étatmajor des forces spéciales a finalement décidé d’élaborer une doctrine définissant les
caractéristiques et les missions des forces spéciales.
L’évolution des opérations menées par les forces et le contexte dans lequel elles
s’inscrivent conduisent à s’interroger sur le cadre juridique applicable : Le rapport
examine la possibilité d’un régime juridique spécifique,mieux adapté à leurs missions
et plus protecteur pour les personnels engagés que le droit commun ?
Il est également nécessaire d’optimiser le recrutement, la formation et la carrière des
forces spéciales. Actuellement, chacune des trois armées assure le recrutement, la
formation et l’entraînement de ses commandos. Il serait souhaitable de mutualiser une
partie de la sélection initiale, de même que certains modules de formation et une
partie des entraînements afin de garantir leur parfaite interopérabilité. Il faudrait
également structurer et valoriser davantage les carrières dans les forces spéciales.
En outre, le rapport met l’accent sur l’anticipation stratégique et le renseignement. Il
s’agirait de mettre à profit, dans les domaines ou les zones concernés, la connaissance
qu’ont les forces spéciales de l’environnement, leur capacité à identifier les menaces
et les synergies possibles avec les forces alliées.
Enfin, les auteurs du rapport en appellent à un renforcement de la coopération
internationale, que ce soit avec l’OTAN, les forces américaines ainsi qu’avec les
forces spéciales des autres Etats européens.
29
BORDEAUX & MERIGNAC 2014
BORDEAUX – Lundi 8 septembre 2014
Forum des Rencontres
Présentation des conclusions du
rapport « La problématique
régionale du golfe de Guinée et la
prévention des conflits »
par
Jeanny LORGEOUX
Sénateur de Loir-et-Cher
Et
André TRILLARD
Sénateur de la Loire-Atlantique,
secrétaire de la Commission des Affaires étrangères,
de la Défense et des Forces armées
1. LE GOLFE DE GUINÉE : UNE RÉGION STRATÉGIQUE
La région dispose de ressources pétrolières et gazières substantielles, devenues
stratégiques à partir des années 80 avec la nécessité de diversifier et d’augmenter la
production mondiale : le Nigeria représente ainsi 2,5 % des ressources prouvées en
pétrole et en gaz dans le monde ; l’Angola et le Nigeria, qui se disputent la place de
premier producteur en Afrique, produisaient respectivement 2,3 % et 2,6 % du pétrole
mondial en 2012 (un peu de moins de 2 millions de barils par jour chacun). Les
compagnies internationales investissent fortement dans la région, notamment dans des
forages off-shore. En 2011, les pays du Golfe de Guinée assuraient environ 12,5 %
des importations françaises de pétrole. Près de 10 % du pétrole importé en Europe
provient de la région.
Outre ces ressources en hydrocarbures, la région dispose de ressources halieutiques
importantes, qui constituent un enjeu tant pour les populations locales qu’en termes de
produits d’exportation. D’autres ressources minérales sont extraites dans la région ou
dans des pays voisins mais doivent transiter par le Golfe de Guinée pour être
exportées : minerai de fer, diamant, manganèse, bauxite, cobalt, bois, cacao ou
uranium...
C’est pourquoi la sécurisation des sources et des voies de communication et
d’approvisionnement constituent un intérêt stratégique mondial.
2. DE MULTIPLES MENACES QUI ENTRAÎNENT UNE FORTE INSÉCURITÉ
La criminalité maritime : d’un phénomène de subsistance relativement localisé au
développement de trafics organisés à l’échelle mondiale ?
30
Université d’été de la Défense
Le Golfe de Guinée fait face à une piraterie endémique et violente. S’il est difficile
d’établir des statistiques en raison de l’absence de recensement précis par les Etats et
d’une sous-déclaration par les victimes, on estime que le nombre d’attaques de
brigandage et de piraterie, stable depuis 2010, s’est élevé à 140-150 par an en
moyenne entre 2011 et 2013. L’Union européenne recense de son côté environ 550
attaques ou tentatives au cours de la dernière décennie.
Ces attaques ont principalement lieu lorsque les navires sont amarrés, lorsqu’ils se
dirigent vers des platesformes ou des navires de stockage ou lorsqu’ils quittent les
installations avec leur cargaison. Les pirates cherchent alors à s’approprier le pétrole
transporté, souvent en le transférant sur un autre tanker et en revendant la
marchandise illégalement par la suite. Les attaques concernent aussi les bâtiments
convoient des travailleurs vers les sites d’extraction. Au Nigeria, les pertes ont été
estimées à environ 100 000 barils de pétrole par jour, soit 5 % de la production
officielle.
L’épicentre de la piraterie dans le Golfe de Guinée se situe au Nigeria mais elle s’est
étendue à d’autres pays et constitue dorénavant une menace régionale, alors même
que les politiques maritimes des Etats concernés sont souvent très limitées ou
embryonnaires.
L’installation d’une piraterie endémique résulte de différents facteurs : pauvreté et
chômage des populations ; inégale répartition des richesses ; querelles territoriales ou
communautaires ; faible intérêt des autorités à endiguer le phénomène qui s’installe
alors comme un élément d’équilibre des ressources ; etc…
La pêche illicite constitue un autre aspect de la criminalité maritime : alors que
l’exploitation durable des ressources halieutiques est essentielle, notamment dans les
pays ne disposant pas de ressources en hydrocarbures, la pêche non déclarée et non
régulée réduit les recettes des Etats et constitue une menace environnementale et
économique.
Au-delà des actes « classiques » de criminalité maritime, des trafics d’une toute autre
ampleur se sont développés ces dernières années : le narcotrafic en provenance
d’Amérique du Sud et à destination de l’Europe, qui transite principalement par le
Nord du Golfe de Guinée (Guinée-Buissau, Sierra Léone…) mais également plus au
Sud (Ghana, Bénin, Togo ou Nigeria) ; les trafics d’êtres humains ; les trafics
d’armes…
La situation particulière du Nigeria : quel impact, sur la sécurité régionale, des forces
centrifuges qui traversent le pays ?
Doté d’un potentiel humain et économique considérable, le Nigeria a les ambitions
d’un « grand émergent » : 170 millions d’habitants ; une croissance moyenne de 7 %
par an depuis dix ans. Cette croissance repose de moins en moins sur le secteur des
hydrocarbures qui ne représente plus que 14 % du PIB, soit vingt points de moins en
dix ans. Pour autant, les revenus issus de ce secteur représentent encore 80 % du
budget de l’Etat. Une classe moyenne apparait mais une grande partie de la population
reste à un niveau de pauvreté inquiétant et les déséquilibres socio-économiques et
géographiques perdurent.
Le pays fait face à de vives tensions : la persistance de la crise dans le delta du Niger
malgré l’amnistie déclarée en 2009 ; l’explosion des violences liées à Boko Haram et
au terrorisme islamiste qui trouve ses racines au plan religieux, économique, social et
politique. Ces forces centrifuges dépassent le cadre national, tant en mer que sur terre.
3. UN DÉBUT DE RÉPONSE RÉGIONALE ET INTERNATIONALE
La France déploie depuis 1990 un dispositif naval quasi-permanent dans le Golfe de
Guinée (Corymbe) dont les missions sont variées : soutien aux forces françaises prépositionnées, renseignement maritime, opérations de lutte contre les trafics, mais aussi
formation des marines des Etats partenaires et soutien à la coopération. Cette
opération, certes exigeante en termes budgétaires et opérationnels, est pourtant
BORDEAUX & MERIGNAC 2014
31
essentielle pour dissuader et lutter contre les trafics et la criminalité, donc pour
prévenir les conflits.
Le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté en 2011 et 2012 deux résolutions
sur les actes de piraterie et les vols à main armée.Les deux principales organisations
régionales (CEDEAO et CEEAC) ont lancé des actions spécifiques. Un Sommet des
Chefs d’Etat de la région s’est tenu Yaoundé en juin 2013 et a adopté plusieurs
décisions. Le Conseil de l’Union européenne a adopté en mars 2014 une stratégie sur
le Golfe de Guinée.
Alors que les tensions dans le Golfe de Guinée s’amplifient tout en se diversifiant, la
commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat souhaite évaluer le rôle
des acteurs internationaux et de la coopération entre les Etats concernés dans la
prévention des conflits et dans la stabilité régionale. Quel bilan peut-on tirer de
l’opération Corymbe ? Quelle est la portée des mécanismes onusiens, européens ou
régionaux, en particulier dans la lutte contre la piraterie ? Comment les améliorer pour
prévenir les conflits et éviter l’apparition d’une crise ?
32
Université d’été de la Défense
BORDEAUX – Lundi 8 septembre 2014
Forum des Rencontres
Discussion autour de la Mission
d’information sur « le dispositif de
soutien aux exportations
d’armement »
par
Nathalie CHABANNE
député des Pyrénées-Atlantiques,
secrétaire de la commission de la Défense nationale et des Forces armées
Et
Yves FOULON
Député de la Gironde
Rapporteurs
L’intérêt, pour notre pays, de disposer d’une base industrielle et technologique de
défense (BITD) dont la qualité des productions est internationalement reconnue est
manifeste. Elle permet d’assurer l’approvisionnement de nos forces armées en
matériels performants nécessaires à la mise en œuvre de nos priorités stratégiques ;
elle participe de notre souveraineté et confère un degré d’autonomie politique et
stratégique inestimable en évitant, autant que possible, le recours à des productions
extranationales ; elle est une condition essentielle du succès des opérations engagées
par notre pays ; elle permet la diffusion, dans le domaine civil, de technologies et de
savoir-faire susceptibles d’irriguer des secteurs porteurs de croissance (aéronautique,
espace, NTIC, etc.) et, in fine, l’ensemble de l’économie nationale.
En plus d’être un élément clé du développement économique de notre pays – sur les
16 milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel réalisés par les industries de défense,
un tiers provient de l’export –, les exportations d’armement constituent un volet
important de notre politique extérieure de sécurité et de défense et permettent de
renforcer les relations militaires, politiques et économiques que la France entretient
avec les autres États. Pour l’ensemble de ces raisons, l’existence d’un dispositif de
soutien public aux exportations d’armement est parfaitement légitime.
La France dispose d’atouts certains dans ce domaine puisque dans un contexte
d’intensification de la concurrence, elle demeure l’un des cinq principaux exportateurs
mondiaux de matériels de défense avec des prises de commandes qui se sont élevées à
6,3 milliards d’euros en 2013, soit une croissance d’environ 30 % par rapport à 2012.
BORDEAUX & MERIGNAC 2014
33
Notre BITD fait face aujourd’hui à deux réalités opposées. D’un part, l’impératif de
maîtrise de la dépense publique se traduit, au niveau européen, par des phénomènes
conjoints de raréfaction budgétaire et de contraction des marchés de défense. D’autre
part, et pour la première fois depuis 2009, les dépenses militaires mondiales vont
renouer avec la croissance en 2014. Dès lors les exportations constituent un relais
indispensable à la demande domestique en réduisant la dépendance des entreprises à
l’évolution des commandes de l’État. En outre, les perspectives à l’export de certains
matériels conditionnent indirectement l’équilibre financier de la LPM 2014-2019.
C’est donc fort justement que celle-ci a consacré le soutien aux industries de défense
en tant que volet majeur de la politique industrielle du Gouvernement.
Dans ce contexte, la mission d’information s’attachera à dresser un panorama des
différentes formes de soutien aux exportations d’armement – politique, administratif,
technique, diplomatique, commercial, financier, etc. –, à les évaluer et, le cas échéant,
à proposer des pistes d’amélioration, y compris en s’appuyant sur les expériences
étrangères. Ses membres demeurent toutefois conscients de deux faits irréductibles,
qui contraignent naturellement l’adaptation du mécanisme : d’une part, les produits de
défense ne sont pas des produits comme les autres commercialisables selon les règles
de droit commun ; d’autre part, les matériels conçus par les industriels doivent avant
tout permettre à nos armées d’honorer leurs contrats opérationnels conformément aux
priorités stratégiques de notre pays. Il convient donc de déterminer l’équilibre optimal
permettant de concilier des impératifs potentiellement contradictoires. Conciliation
entre le principe général de prohibition de fabrication et de commerce de matériels de
guerre auquel notre pays est attaché et nos impératifs diplomatiques, sécuritaires et
commerciaux. Conciliation également, en matière de conception des matériels, entre
les spécifications techniques exigées par nos armées compte tenu des missions qui
leur sont assignées et les besoins propres des clients potentiels.
34
Université d’été de la Défense
BORDEAUX – Lundi 8 septembre 2014
Forum des Rencontres
Présentation des conclusions de la
mission d’information sur
« l’évolution du dispositif militaire
en Afrique et le suivi des opérations
en cours »
par
Gwendal ROUILLARD
député du Morbihan,
secrétaire de la commission de la Défense nationale
et des Forces armées
Et
Yves FROMION
député du Cher
Rapporteurs
Le rapport s’est attaché à mener une étude approfondie du vaste champ confié par la
commission et, concernant la grande manoeuvre de restructuration, cet exercice de
contrôle parlementaire a été mené pratiquement « en temps réel », les décisions
n’ayant alors pas été encore définitivement arbitrées.
La mission s’est rendue dans les pays d’Afrique où notre empreinte militaire est
significative : le Niger, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, le Mali, le Sénégal, le
Gabon, la République centrafricaine, le Tchad, ainsi que les Émirats arabes unis, où
notre base fonctionne en quelque sorte « en vases communicants » avec la dernière
destination d’étude : Djibouti.
Les rapporteurs se sont aussi intéressés à deux autres aspects de la présence française
au sens large. D’une part, les retombées économiques de notre engagement militaire
et, d’autre part, notre rayonnement global, c’est-à-dire l’ensemble des moyens
d’influence par lesquels on peut faire en sorte qu’aujourd’hui encore et demain peutêtre, la voix de la France, en Afrique, continue à porter un peu plus haut que celle
d’autres puissances qui lorgnent sur les richesses et les intérêts stratégiques de ce
continent.
Concernant le suivi de l’opération Serval, si la première phase a indéniablement
constitué un succès, la situation, aujourd’hui, est loin d’être stabilisée, et la «
déconvenue » des forces maliennes dans le Nord au mois de mai dernier suffit à le
prouver. Notre force reste engagée sur la voie d’un désengagement partiel, se
concentrant sur le haut du spectre des opérations. Pour ce faire, elle est recentrée sur
BORDEAUX & MERIGNAC 2014
35
Gao et son fonctionnement repose sur ce qu’il n’est pas exagéré d’appeler un « exploit
logistique de tous les jours ».
Nous avons encore 1 800 hommes au Mali et les enjeux sont à la fois le passage de
relais à des acteurs internationaux ainsi que la reprise et la réussite du dialogue entre
Maliens. Sangaris en RCA a également fait l’objet d’une attention particulière. Si
l’intervention française a porté des coups sérieux aux ex-Séléka, sur le terrain la force
Sangaris a fait au mieux avec ce qu’elle avait : 2 000 hommes et peu d’appuis.
L’armée centrafricaine n’est plus qu’une virtualité et il n’y a plus d’État hors de
Bangui.
Quant à l’Europe, il a fallu six tours de génération de force pour constituer à peu près
une mission de 800 personnels, dont la moitié est fournie soit par la France, soit par
des États qui ne sont pas membres de l’UE… Reste la MISCA, mais là aussi, il faut
être lucide : ses forces manquent cruellement de moyens et le rôle ambigu du Tchad
n’a rien facilité.
Il est donc beaucoup attendu du déploiement, le 15 septembre, de la MINUSCA, qui
aura également une composante civile chargée d’appuyer la reconstruction d’un État
viable. Là encore, comme au Mali, le scénario de sortie d’OPEX mérite d’être précisé.
Il ne suffit donc pas d’intervenir ponctuellement. Encore faut-il le faire assez tôt pour
que la situation ne soit pas devenue inextricable, et encore faut-il en assurer le «
service après-vente », c’est-à-dire passer de l’intervention à l’action de stabilisation,
puis passer de la stabilisation à la normalisation. L’Union européenne, dans le cadre
de son « approche globale » devrait être en première ligne sur ce plan, d’autant que
s’agissant de trafics de drogue, de migrations clandestines, de trafics d’armes ou de
sanctuaires djihadistes, ce qui menace la France menace l’Europe entière.
S’agissant de l’évolution de notre dispositif militaire en Afrique, il convient de
rappeler qu’aujourd’hui nous avons environ 7500 personnels prépositionnés à titre
permanent, sous un statut ou sous un autre en Afrique et autour de l’Afrique. Il faut
prendre quelques précautions et ne pas additionner les 1 800 hommes de Serval et les
2 000 de Sangaris : ces opérations sont appelées à rester ponctuelles, du moins dans
leur forme actuelle.
La stabilisation de la bande sahélo-saharienne n’étant manifestement pas pour demain,
il est prévu de « régionaliser » le dispositif militaire dans cette zone, en centralisant au
Tchad le commandement des forces déployées à Gao, Niamey,N’Djamena et leurs
bases « satellites » de Tessalit,Abéché et Faya-Largeau, tout en contenant l’effectif de
ce dispositif à 3 000 hommes. Cette mutation est cohérente avec le caractère
transfrontalier de la menace.
Le second volet de la réorganisation en cours concerne les forces prépositionnées,
pour lesquelles le Livre blanc et de la LPM ont prévu d’importants changements, dont
l’objectif principal est d’ordre budgétaire, l’idée étant de ramener de 3 800 à 3 300 les
effectifs des forces de présence – Dakar, Libreville, Djibouti, Abou-Dhabi. Par
ailleurs, la situation politique de la Côte d’Ivoire offre une opportunité de pérenniser
notre implantation et de profiter des grandes potentialités d’Abidjan, en y transférant
de Libreville notre base opérationnelle avancée ouest-africaine.
Compte tenu de ces contraintes, le problème est alors de trouver le dispositif le plus
cohérent. Pour les rapporteurs, celui envisagé l’était à une grande exception près :
Djibouti, où il était envisagé de supprimer 1 000 postes, ce qui ne peut qu’avoir des
conséquences majeures sur l’exécution des missions assignées.
C’est pourquoi les rapporteurs ont proposé, partant d’une analyse des besoins et des
enjeux de sécurité de la zone, de maintenir un minimum de 1 300 hommes sur place
pour rester crédibles sur ce point stratégique de premier ordre, vers lequel se ruent
bien d’autres puissances.
36
Université d’été de la Défense
LATRESNE – Lundi 8 septembre 2014
Allocution
de
Jean-Louis CARRERE
Sénateur des Landes,
Président de la Commission des Affaires étrangères,
de la Défense et des Forces armées
Monsieur le Ministre,
Madame la Présidente,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Monsieur le Président du conseil régional (à compléter si autres personnalités locales)
Messieurs les chefs d’état-major et Officiers généraux,
Mesdames et Messieurs,
Pour la deuxième année consécutive, les Universités d’été de la défense se réunissent
en Aquitaine, l’année dernière à Pau avec l’Armée de Terre, cette année à Bordeaux
avec l’Armée de l’Air.
C’est bien la preuve, et le président Alain Rousset en a fait la démonstration, que
l’Aquitaine est, de longue date et pour longtemps je l’espère, une terre d’accueil, tout
à la fois pour les unités militaires, pour les centres de recherche et d’essais et pour les
entreprises de défense.
Je crois pouvoir dire que nous avons atteint dans la région, et sans forfanterie, un
niveau d’excellence et de professionnalisme, que d’autres nous envient. Vous aurez
l’occasion de vous en rendre compte en visitant, demain après-midi des centres de
recherche comme le laser-mégajoule, ou les sites industriels de Dassault et de SafranHeraklès ou encore le salon ADS-UAV comme nous venons de le faire avec le
ministre.
C’est le fruit d’une culture, mais aussi d’un investissement important des collectivités
territoriales pour accueillir ces unités et ces entreprises, pour mettre à leur disposition
une main d’œuvre hautement qualifiée et un environnement de travail approprié et
performant. Nous devons leur rendre hommage pour cette constance et cette
détermination.
Mais c’est un investissement bien compris qui se traduit par la vitalité du tissu
industriel de très nombreuses PME, par des emplois hautement qualifiés et stables,
par des retombées économiques et fiscales.
Cet exemple témoigne de l’importance du secteur de la défense dans l’économie
française. Ce secteur, je le rappelle, représente plus de 15 milliards d’euros de chiffre
d’affaires, dont un gros tiers réalisé à l’export puisque les prises de commande ont
atteint 6,87 milliards d’euros en 2013. Il fait vivre 165 000 salariés.
Si la préservation d’un outil de défense efficace pour assurer notre sécurité extérieure,
notre autonomie de décision et d’action et notre rang sur la scène internationale, est
une nécessité en elle-même, il est important de souligner, notamment auprès de nos
concitoyens qui sont sensibles aux retombées économiques et sociales, la place des
industries de défense et tout l’intérêt de maintenir à un niveau élevé nos commandes
d’équipements et de services. C’est même devenu un enjeu stratégique car le niveau
de commande publique est aussi un moyen de conserver sur notre territoire, pour des
BORDEAUX & MERIGNAC 2014
37
raisons de sécurité, une grande partie de la production et surtout les centres de
recherche et de développement des industries de défense, alors même que la
concurrence apparaît dans les pays émergents et que ceux-ci deviennent les principaux
acheteurs sur le marché. Il faut donc éviter que les budgets d’équipement servent de
variables d’ajustement dans l’exécution des lois de programmation militaire.
Vous comprendrez aisément qu’en nous battant pour préserver les ressources de la loi
de programmation militaire, nous nous battons pour notre sécurité, mais aussi pour
l’emploi industriel et pour le secteur de la recherche en France et en Europe, sans
compter les développements technologiques dérivés qui accroissent la performance de
nos industries civiles dans beaucoup de secteurs.
Ceci est d’autant plus important que la soutenabilité à long terme de notre effort de
défense, dans un contexte international plus incertain et d’une certaine manière plus
dangereux, repose sur la restauration de nos capacités économiques et financières.
Voilà le message que je souhaitai vous transmettre dans ce mot d’accueil, alors que
nous en sommes à la mi-temps de cette douzième édition des Universités d’été de la
défense, en vous souhaitant des échanges fructueux et en vous remerciant pour votre
présence et votre participation active.
38
Université d’été de la Défense
BORDEAUX – Mardi 9 septembre 2014
Petit-déjeuner
Les bénéfices sociaux,
économiques et technologiques de
nos exportations de défense
Jean-Yves LE DRIAN
Ministre de la Défense
En présence de
Alain ROUSSET
Député de la Gironde,
Président du Conseil régional d’Aquitaine
Marwan LAHOUD
x
Eric TRAPPIER
Président-Directeur général de DASSAULT Aviation
Madame la Présidente,
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les parlementaires,
Mesdames et Messieurs, chers amis,
Permettez-moi d’abord de vous dire le plaisir que j’ai de vous retrouver ici, à
Bordeaux, pour cette nouvelle édition des Universités d’été de la Défense. Je suis
d’autant plus heureux de ces échanges que, cette année à nouveau, nous avons
beaucoup de sujets à évoquer ensemble.
Je reviens du sommet de l’OTAN à Newport au Royaume-Uni, où j’étais aux côtés du
Président de la République. Je ferai le point tout à l’heure, à l’issue de la séance
plénière, sur les grands enjeux stratégiques de cette rentrée, alors que notre
environnement de sécurité a rarement été aussi fébrile, pour ne pas dire fragile devant
des crises majeures et inédites.
Pour l’heure, je voudrais me concentrer sur un autre front, celui de la santé de
l’économie française et de l’éminente contribution que lui apportent nos industries de
défense. Je dis « éminente » ; je pourrais dire « cruciale », au regard des éléments que
je souhaite porter à votre connaissance ce matin.
BORDEAUX & MERIGNAC 2014
39
Le premier élément est en partie connu : c’est le bilan de nos exportations de défense
pour l’année 2013. Puisque cette matinée est pour moi l’occasion de vous présenter la
nouvelle édition du rapport au Parlement sur les exportations d’armement, je voudrais
y revenir en détail.
Ne boudons pas notre plaisir : les résultats de 2013 sont en forte hausse, et ce en dépit
d’une très rude concurrence internationale, et la tendance au recul des dépenses
militaires des Etats occidentaux, qui oriente à la baisse le marché de l’exportation de
défense. La France, grâce à notre mobilisation collective – je crois qu’on peut le dire –
, a obtenu des résultats meilleurs encore qu’en 2012. En un an, les exportations
d’armement ont réalisé un bond de près de 43 %, avec un total de 6,87 milliards
d’euros de prises de commandes en 2013. Ces résultats, qui sont exceptionnels au
regard de ces dernières années, mais surtout prometteurs, permettent à la France de
figurer parmi les cinq premiers exportateurs mondiaux de matériels de défense, aux
côtés des Etats-Unis, du Royaume-Uni, de la Russie et d’Israël.
Derrière ces résultats, il y d’abord la qualité de notre base industrielle et
technologique de défense, hissée au plus haut niveau de valeur ajoutée pour maintenir
sa compétitivité. Je pense à la valeur de nos savoir-faire technologiques, de nos
compétences humaines. Je pense aussi à la régularité de l’investissement, qui alimente
l’innovation. Tout cela contribue au succès de nos exportations.
A côté de ces éléments pérennes, il y a aussi bien sûr une dynamique récente.
Les opérations nombreuses et difficiles, dans lesquelles sont engagées nos armées,
font pleinement partie de cette dynamique. Je pense en effet que la démonstration de
notre force, c’est-à-dire de la puissance et de l’efficacité de notre matériel, partout
dans le monde, contribue d’une manière décisive à la crédibilité de nos équipements
et, par-là, à la réussite de nos exportations.
Au cœur de cette dynamique, il y a également la révision en profondeur de la
politique de soutien aux exportations, que j’ai menée depuis 2012. Je l’avais annoncé,
je l’ai fait, la méthode a changé. Et la réussite de cette année est là pour montrer le
bien-fondé de cette nouvelle méthode.
Pour la politique d’exportation, j’ai défini trois grands principes. Ils sont clairs : un
partage des tâches entre l’Etat et l’industrie, la priorité donnée au dialogue politique,
et l’inscription des projets d’exportations dans le cadre de coopérations de défense et
de partenariats stratégiques. Ces nouveaux principes vont de pair avec une
organisation rénovée. Je pourrai y revenir si vous le souhaitez au moment des
questions, mais laissez-moi souligner le rôle clé de la Direction Générale de
l’Armement, dont le Délégué est ici présent. Le soutien des exportations d’armement
est, et restera, dans le cadre de la réorganisation de la fonction « Relations
Internationales », l’une des trois grandes missions de la DGA, avec la conduite des
programmes d’armement et la préparation de l’avenir. Ce rôle de la DGA est
probablement une spécificité française. Vis-à-vis de nos partenaires étrangers, la
DGA est souvent perçue comme un acheteur, qui discute avec d’autres acheteurs. Elle
met à la disposition de nos partenaires sa force technique et son savoir-faire en gestion
de programmes complexes et en expression de besoin. Je voulais profiter de cette
occasion pour lui rendre cet hommage mérité.
Depuis 2012, vous le savez, j’ai institué une présentation du rapport devant vous,
parlementaires qui, semble-t-il, en appréciez le principe puisqu’il a été gravé dans le
texte de la loi de programmation militaire. Chaque année, je veille à ce que les
services du ministère dont j’ai la charge enrichissent le rapport de nouvelles
informations. Cet effort de clarté est unique en Europe. La France est en effet le seul
pays à publier le détail de ses prises de commandes, comme à fournir des données
précises sur ses exportations par pays. Cette transparence n’est pas une menace pour
le travail que nous menons. C’est au contraire, l’expérience le montre désormais,
l’une des clés de notre réussite en la matière.
40
Université d’été de la Défense
Ces mesures de transparence, que nous devons à la Représentation nationale et à
travers elle à nos concitoyens, permettent d’instaurer un climat de confiance pour les
acheteurs. Cet effort rejoint par ailleurs celui du Traité sur le Commerce des Armes,
largement soutenu par la France, qui prend de nombreuses initiatives pour lutter
contre la prolifération et les trafics. Ce souci de clarté coïncide enfin avec une
démarche de simplification, qui bénéficie là encore aux entreprises qui exportent, en
particulier au sein de l’Union européenne, comme le prouve la suppression des
autorisations d’importation ou la mise en place du mécanisme des licences générales.
Les mesures qui visaient à alléger le poids administratif des procédures d’autorisation
d’export ont été complétées par une autre initiative. Celle-là a pour objet de renforcer
les mesures de contrôle des entreprises réalisant des exportations de matériels
militaires. Ainsi, le ministère de la Défense a mis en place un système de vérification
a posteriori visant à contrôler sur pièces et sur place le sérieux des mesures de suivi
demandées aux entreprises. Une trentaine d’agents de la DGA sont à pied d’œuvre
depuis 2013 pour conduire ces vérifications, et plus d’une douzaine de sociétés
françaises ont déjà été soumises à celles-ci.
Ces différents éléments, relayés par une extraordinaire mobilisation de ce que j’aime
appeler « l’équipe de France » des exportations d’armement, convergent pour
expliquer les impressionnants résultats de 2013, et annoncer ceux de 2014 qui, nous
l’espérons tous, ne le seront pas moins.
Je voudrais verser ici un deuxième élément à la discussion sur nos exportations. Que
veut dire, au fond, ce chiffre de 6,87 milliards d’euros ? Quel est, sur l’économie
française, son impact exact ? Ces questions, qui nous concernent tous, m’ont
interpellé au premier chef. Surtout, je me suis rendu compte qu’elles n’avaient jamais
été vraiment posées. C’est pourquoi, pour mieux comprendre la portée de ce chiffre
majeur – 6,87 milliards d’euros d’exportations de défense en 2013 –, j’ai souhaité que
l’on expertise ce qu’il voulait dire concrètement pour l’économie et la société
françaises.
A mon initiative, le ministère de la Défense autour de la direction générale de
l’armement et de l’observatoire économique de la défense de la direction des affaires
financières ainsi que le conseil des industries de défense ont mené, avec l’aide du
cabinet McKinsey, une étude de l’impact social, économique et technologique des
exportations françaises d’armement. Au moment de vous la présenter, je tiens à
remercier très chaleureusement tous ceux qui l’ont rendue possible.
Cette étude, inédite, ambitieuse, démontre l’importance pour la France de ses ventes
d’armement à l’étranger. Leurs bénéfices majeurs se déclinent dans trois domaines.
Ce qu’apporte cette étude, notre étude, c’est la mise en lumière de ces bénéfices à
travers des chiffres d’une grande précision.
Le bénéfice économique, je l’ai dit, est immense. Ces ventes représentent une part
considérable des exportations totales de notre pays. Voici les chiffres qui le disent : si
les sociétés de la Base Industrielle et Technologique de Défense ne représentent
qu’1% des sociétés exportatrices résidentes sur le territoire national, elles sont
cependant à l’origine d’une forte valeur ajoutée dans la mesure où elles exportent trois
fois plus qu’elles n’importent d’équipements militaires (taux de couverture de 315%
sur la période 2003-2013), générant ainsi un effet de levier de 1 à 3 (sur le périmètre
des équipements militaires).
De plus, si l’ensemble des exportations (civiles et militaires) réalisées par ces
entreprises est pris en compte, alors ces exportations représentent 24% du total des
exportations françaises, dont 6% pour les seules exportations de la gamme civile du
groupe Airbus.
Sans les exportations d’armement, le déficit commercial de la France, sur la période
2008-2013, aurait été de 5 à 8 points plus élevé chaque année. L’étude d’impact
BORDEAUX & MERIGNAC 2014
41
montre donc, avec clarté, combien les exportations d’armement sont essentielles à la
santé économique de notre pays.
Ce qui est important, c’est le dynamisme de ce secteur, et ce qui l’explique, c’est
l’existence d’une politique d’exportation pertinente, volontariste, en un mot efficace.
Cette politique a su se renouveler. Elle l’a fait en particulier depuis 2012.
Aujourd’hui, elle repose sur un dialogue continu, où entrent autant de confiance que
de rigueur, avec les 669 entreprises exportatrices directes d’armement recensées en
France.
Ces entreprises, ce sont les grandes entreprises, qui assurent, par leur savoir-faire et
leur ambition, le rayonnement international de la France. Mais ce sont aussi les petites
et moyennes entreprises, qui représentent la moitié de ces 669 entreprises présentes
directement sur les marchés à l’export. Elles sont, vous le savez, un interlocuteur
privilégié du Ministère et un acteur central de notre réussite.
Toutes ces entreprises portent, ensemble une très belle image de la France à l’étranger
– une image où se reflète son sérieux, sa qualité, son inventivité –, mais elles sont
aussi des forces vives au cœur de nos territoires. Le bénéfice économique qu’elles
apportent à la France s’accompagne ainsi d’un autre bénéfice, un bénéfice social,
essentiel lui aussi et qui a fait l’objet d’une analyse précise.
Les exportations d’armement dynamisent tout le territoire français et en particulier
sept grands bassins d’emploi : l’Ile de France, la région PACA, la Bretagne, MidiPyrénées, la région Centre et la région Rhône-Alpes, et bien sûr l’Aquitaine. Cette
industrie qui est tournée vers l’extérieur offre donc à de nombreux Français un
emploi. L’étude d’impact révèle que
27 500 emplois sont liés aux exportations
d’armement, directement et au travers des fournisseurs de premier rang, soit 18% de
l’ensemble des emplois de l’industrie de défense. Si l’on ajoute à ce chiffre les
emplois induits, c’est une dynamique de près de 40 000 emplois sur notre territoire
que nous devons aux seules exportations d’armement. Et pour aller plus loin encore,
les estimations des emplois générés par la chaîne de sous-traitance, au-delà des
équipementiers de premier rang, permettraient d’ajouter près de 10 000 emplois
supplémentaires. Soit un total de 50 000 emplois résultant de l’exportation de défense.
L’étude a par ailleurs permis d’identifier deux types de maillage d’emplois qui
concourent à l’exportation. Elle souligne en premier lieu l’existence de territoires
spécialisés, localisés autour des centres de production. C’est le cas par exemple de
MBDA autour du site de Bourges, ou de DCNS autour des bases de Brest, Lorient et
Toulon. L’autre maillage se localise sur l’ensemble du territoire, générant ici un effet
d’entraînement sur une grande partie de l’industrie nationale. C’est le cas pour les
fournisseurs de Thales ou les fournisseurs de rang 1 associés aux activités défense du
groupe Airbus.
Dans une France frappée par le chômage, menacée par la désindustrialisation, ces 50
000 emplois sont d’une importance vitale. Ils constituent le témoignage des grandes
capacités de notre industrie. Ils sont la preuve de nos qualités, de cet état d’esprit
conquérant, de ce savoir-faire solide et ambitieux, de cet esprit d’innovation
permanent, qui fondent la volonté du Gouvernement de rétablir en France une
dynamique de prospérité économique.
Cet esprit d’innovation, d’autant plus nécessaire que la concurrence internationale est
rude, engendre un troisième bénéfice pour l’ensemble de la société française : le
bénéfice technologique. Les exportations d’armement sont en effet au cœur d’un
écosystème plus vaste, qui repose sur l’investissement de l’Etat dans la défense et
dont il faut dire un mot ici. Les emplois que ces exportations génèrent sont en effet
très interdépendants de l’investissement de défense consenti par l’Etat, car ils
contribuent à maintenir un seuil critique d’activité, qui préserve des emplois à haute
valeur ajoutée et non délocalisables.
Ce socle de compétences construit par les investissements de l’Etat et soutenu par les
exportations, permet également de conserver les autres emplois liés aux activités
42
Université d’été de la Défense
civiles des acteurs duaux. C’est bien cet écosystème, développé grâce à l’impulsion de
la Défense, qui garantit l’avance technologique de la France, y compris dans le
domaine dual et civil.
De même, c’est en grande partie l’acquisition par la France et l’utilisation de son
matériel de défense porté au plus haut niveau technologique, qui permet de le
crédibiliser et d’en favoriser l’exportation.
Comme je vous l’ai déjà dit, la valeur ajoutée de ces exportations est très significative
: nos entreprises de la base industrielle et technologique de défense, au travers de leurs
exportations duales, représentent certes 1% des entreprises françaises en nombre, mais
24% en valeur des exportations sur la période 2010-2013.
Les exportations de défense s’intègrent donc aujourd’hui dans un écosystème qui est
rendu possible et entretenu par les investissements que la Nation consent pour sa
Défense, et qui se traduit par les emplois créés et conservés en France dans les
activités civiles et militaires de nos entreprises.
De nombreux exemples, apportés par l’étude, viennent illustrer l’importance de ce
bénéfice technologique. C’est pour conquérir le marché de l’exportation que DCNS a
conçu le sous-marin Scorpène, vendu aujourd’hui au Chili, à la Malaisie, à l’Inde ou
encore au Brésil. Certaines technologies développées à cette occasion seront reprises
et améliorées pour les prochaines générations de sous-marins français.
Les exportations d’armement créent une dynamique vertueuse dans l’industrie
française : les bénéfices économiques, sociaux et technologiques se conjuguent et
concourent à d’éclatantes réussites, dans un pays qui en a besoin. Ces exportations, en
outre, sont des vecteurs d’influence et de diplomatie à travers les offres de service qui
accompagnent les équipements aujourd’hui. Elles participent également à
l’instauration d’un climat favorable au développement ultérieur d’exportations civiles.
Au terme de cette étude qui a permis de traduire les impacts économiques, sociaux et
technologiques de nos exportations de défense, les résultats de 2013 confirment que
l’Etat et les industries de défense doivent continuer à travailler main dans la main,
dans le cadre de la politique que j’ai souhaité mettre en œuvre : une politique
renouvelée dans sa méthode, ferme sur ses principes, ambitieuse dans ses objectifs.
Soyons fiers de ce que nous avons fait en 2013. Mais préparons-nous, et faisons le
nécessaire, pour l’être plus encore, à l’issue de cette année 2014.
BORDEAUX & MERIGNAC 2014
43
BORDEAUX – Mardi 9 septembre 2014
Séance plénière
Sécurité et réassurance aujourd'hui
en Europe : quelles perspectives ?
Débat avec
Patricia ADAM
Députée du Finistère,
Présidente de la Commission de la Défense nationale
et des Forces armées
Jean-Louis CARRERE
Sénateur des Landes,
Président de la Commission des Affaires étrangères,
de la Défense et des Forces armées
Ralf BRAUKSIEPE
Secrétaire d’Etat parlementaire à la Défense, Allemagne
Cheikh TIDIANE GADIO
ancien ministre des Affaires étrangères du Sénégal -
Dariusz SELIGA
Président de la Sous-commission des Relations étrangères, membre de la
Commission de la Défense nationale du Parlement polonais
Général Pierre de VILLIERS
Chef d’Etat-major des Armées
et
Eric TRAPPIER
Président de Dassault aviation
Animé par
Olivier ZAJEC
Directeur des Opérations de CEIS
Introduction au débat par
Michel FOUCHER
Expert pour les questions internationales auprès du Président de CEIS,
ancien ambassadeur
Olivier ZAJEC, Directeur des Opérations de CEIS – Bienvenue à tous à cette
séance plénière qui va clôturer d’une certaine manière le temps des débats de cette
44
Université d’été de la Défense
Université d’été de la Défense, avec un sujet qui nous préoccupe tous parce que
l’actualité en est saturée, ce sont les crises qui se déclenchent aujourd'hui aux
frontières même de l’Europe, d’une part sur son flanc sud, en particulier dans la
profondeur africaine, et les opérations extérieures françaises le montrent, d’autre part
sur son flanc est, et tout le monde a en tête la crise en Ukraine avec des acteurs
importants, les Etats-Unis, l’Europe unie parfois, mais divisée trop souvent sur ces
questions géopolitiques, la Russie partenaire de long terme ou danger avéré. Ces
crises au sud et à l’est sont-elles liées, sont-elles différentes, doit-on se coordonner
pour y faire face ? C'est une question, en particulier pour les Européens qui sont
présents aujourd'hui, nos partenaires, nos alliés, les présidents de Commissions de
Défense des différents pays européens que je salue, les parlementaires des différents
pays européens, également présents pour ce panel.
Ce panel « sécurité et réassurance aujourd'hui en Europe : quelles perspectives ? » va
être divisé en deux parties. Une première partie sur le paysage géopolitique est-sud et
une deuxième partie sur les réponses ou les non-réponses que nous y apportons :
budget, capacités, coordination, que fait l’Europe pour répondre à ces menaces et à
ces risques ? Pour répondre à cet ensemble de questions, nous accueillons Madame
Patricia Adam, Présidente de la Commission de la Défense nationale et des Forces
armées de l’Assemblée nationale ; Jean-Louis Carrère, Président de la Commission
des Affaires étrangères de la Défense et des Forces armées du Sénat ; le Général
Pierre de Villiers, Chef d’Etat-major des Armées ; Monsieur Ralf Brauksiepe,
Secrétaire d’Etat à la Défense allemand ; Monsieur Zeliga Dariusz, Président de la
Sous-commission des Relations étrangères et avec l’OTAN de Pologne, également
membre de la Commission de la Défense nationale du Parlement polonais ; Cheikh
Tidiane Gadio, envoyé spécial de l’Organisation de Coopération islamique en
République Centrafricaine et ancien ministre des Affaires étrangères du Sénégal ; et
Monsieur Eric Trappier, Président de Dassault aviation.
Avant de commencer les débats et de se lancer dans les discussions, il vaut mieux
avoir une image synthétique de la situation, et nous avons la chance d’avoir avec nous
Michel Foucher qui va pouvoir nous présenter une synthèse cartographique de ce qui
s'est passé en 2013-2014, les dangers, les risques, les menaces.
Michel FOUCHER, expert pour les questions internationales auprès du
président de CEIS - L’examen attentif d’une carte des crises en cours dans les
voisinages européens évoque la remarque d’Alexis de Tocqueville au premier jour de
sa prise de fonction comme ministre des Affaires étrangères : « Quand je me fus
installé au ministère et qu’on m’eût mis sous les yeux l’état des affaires, je fus effrayé
du nombre et de la grandeur des difficultés que j’apercevais ». Monsieur le Ministre,
j’ai évidemment pensé à vous en citant cette phrase. Effroi légitime devant une
conjoncture synchrone critique exceptionnelle. Pourquoi autant de crises en même
temps aujourd'hui ? Et devant des réalités géographiques implacables puisque 70%
des crises graves et des tensions se situent à l’ouest du détroit d’Ormuz, entre trois et
six heures de vol de Paris, mais je pourrais dire Londres, Bruxelles, Rome, Berlin. En
sachant que la proximité géographique des théâtres n’est pas forcément une garantie
de compréhension tant il est vrai que nous avons vécu des surprises stratégiques : la
guerre furtive en Crimée, la montée en puissance stupéfiante de l’Etat Islamique, et
même le degré de désintégration de l’Etat libyen avant 2011, dont nous mesurons
aujourd'hui les effets. Il ne faut donc pas baisser la garde en matière de moyens
nationaux d’analyse des réalités complexes, enchevêtrées, contradictoires, qui
n’appellent pas de réponse simple.
Je trouve un peu court d’attribuer la simultanéité de ces crises à des facteurs uniques
comme le soi disant retrait américain, l’attentisme présidentiel ou l’affaiblissement
d’une Pax Americana dont les limites seraient testées par les adversaires. En
revanche, cette obsession des alliés par rapport à ce que fait ou non Washington révèle
la faiblesse structurelle du système de sécurité qui lie nos Etats démocratiques, à
BORDEAUX & MERIGNAC 2014
45
savoir une dépendance douce, voulue, excessive, de la part de la plupart des alliés. Il y
a là une exception française, britannique, allemande, peut-être polonaise. 75% des
dépenses de l’OTAN contre 50% autrefois. Dépendance confortable qui mériterait une
cure de désintoxication, mais cela caractérise aussi les alliés moyen-orientaux des
Etats-Unis qui font rarement décoller leurs 600 avions de combat du Conseil de
Coopération du Golfe. Même chose en Asie orientale, dépendance excessive à l’égard
d’un seul acteur. La carte des crises révèle donc cette proximité à l’ouest du détroit
d’Ormuz ; c'est la caractéristique stratégique majeure du continent européen.
L’indifférence est possible, ce n’est certainement pas une option.
Le long entretien du ministre de la Défense dans le Figaro de ce matin me dispense de
rajouter plus maladroitement des commentaires, mais nous allons quand même
essayer de faire un rappel cartographique sud/sud-est/est. Au sud, en Afrique
maghrébine mais aussi sahélo-saharienne, la variété des défis n’exclut pas l’unité du
théâtre, avec un élément de fond de carte qui n’est pas représenté ici mais tout à fait
crucial, celui de la croissance démographique. En quinze ans, la population du Mali a
été multipliée par deux et celle de Bamako par trois. Au Mali, il y a un Etat mis au
défi de contrôler une partie de son territoire ; Depuis le 1er septembre, un deuxième
round de négociations s'est ouvert à Alger, c'est une bonne chose. En RCA, il n’y a
pas d’Etat, il n’y a pas d’école, pas de système de santé, pas de justice, mais il y a
quand même 57 partis politiques pour 4 millions d’habitants. Cherchez l’erreur.
L’enjeu est toujours le même, des forces africaines efficaces, l’exercice de fonctions
régaliennes de base à commencer par la sécurité des populations, le contrôle des
territoires, et éviter la connexion des théâtres.
En Libye, l’Etat et les institutions ont été détruits par le régime précédent et nous
avons totalement sous-estimé cet état de désintégration antérieur à l’intervention. Je
note un progrès heureux de notre coopération, en particulier avec l’Algérie. Au
Moyen-Orient, nous faisons face, parmi tous les éléments critiques, à ce que l’on
pourrait appeler une deuxième vague djihadiste, et c’est une vague intéressante car
elle n’est pas fondée, comme nous avions pu l’observer dans la zone Sahara-Sahel, sur
une logique de réseau adapté au milieu, mais sur une logique de territoire. Ce qui
donne à certains mouvements non étatiques des moyens quasi-étatiques. Le fond de
carte, c’est la fin de l’unité du monde arabe, c’est la crise de l’Etat-Nation, c’est la
vieille rivalité entre les Sunnites et les Chiites, et les divisions intra-sunnites. En
Syrie, deux radicalités s’opposent. Je considère que Bachar El Assad a gagné sa
guerre, il contrôle la Syrie utile. Faut-il y voir l’effet d’une non-intervention militaire
? Il y a des interventions, il y a aussi des non-interventions, ce n’est pas à moi de
répondre.
En Irak, les choses sont plus complexes que la seule mise en avant de ce mouvement
de l’Etat Islamique parce qu’il est la tête en quelque sorte d’une très large coalition de
frustrés, qui est la coalition des sunnites. Il agit comme un levier pour mobiliser des
Sunnites sans rattachement – je rappelle qu’ils sont 25 millions dans la région – contre
les régimes sectaires de Damas et de Bagdad, ce qui permet rapidement de contrôler
un tiers du territoire. Mais cette coalition est dissociable. Je pense que nos alliés
saoudiens l’ont maintenant compris à la suite de la déclaration du Grand Mufti. Le
nouveau Premier ministre turc, le Kissinger turc, a promis la paix avec les Kurdes en
2023 mais d’ici là peut-être faudrait-il s’attacher à maîtriser un hub géographique turc
qui, pour l’instant, ne l’est pas.
Ce danger néo-djihadiste appelle donc une concertation stratégique permanente entre
Londres, Paris, Berlin, Washington et, bien sûr, l’implication d’acteurs régionaux.
Bref, si ces conflits enchevêtrés et multi-scalaires du Moyen-Orient rappellent
furieusement la situation d’Europe centrale pendant la guerre de Trente ans –
querelles religieuses, intervention des puissances –, il faudrait peut-être un jour songer
à une sorte de nouveau traité de Westphalie qui ne serait pas la réminiscence des
accords Sykes-Picot, je ne crois pas qu’il soit bon d’altérer les frontières, mais il
faudrait certainement instaurer un nouveau équilibre. Dans l’immédiat, deux points.
Une connexion entre des théâtres, en particulier toute la zone allant de Maiduguri à
46
Université d’été de la Défense
Rakka, la mode du califat. Rakka était la deuxième capitale du califat Abbasside et je
crois que nous serions bien inspirés de comprendre les intentions de l’adversaire de
l’Etat Islamique et de ses dirigeants qui ont un sens politique assez étonnant et de
creuser un peu les références historiques de ceux qui affichent de manière criminelle
aujourd'hui l’étendard noir du califat abbasside.
Enfin, dans l’est européen, le fond de carte, c'est-à-dire la longue durée et qu’est-ce
qui joue sur la longue durée. Je me permettrai de citer l’ancien Président tchèque
Vaclav Havel. « Dans l’Histoire, la Russie s’est étendue et rétractée. La plupart des
conflits trouvent leur origine dans des querelles de frontière et dans la conquête ou la
perte de territoires. Le jour où nous conviendrons, dans le calme, où se termine
l’Union européenne et où commence la Fédération russe, la moitié de la tension entre
les deux disparaîtra ». C’est le fond de tableau ; dans l’immédiat, nous avons vu une
guerre furtive, mais de moins en moins furtive ; une logique de revanche, nous faire
payer l’effondrement de l’Union soviétique ; l’affirmation, pour citer Lénine, la
Pravda n° 3, du projet de nationalisme grand-russien, avec des inquiétudes sur l’avenir
du nord du Kazakhstan dont le président russe en saluant Nazarbaïev s’étonnait qu’il
ait réussi à créer un Etat là où il n’existait pas. Sur le fond, il y a toujours trois
options. La politique qui était suivie jusqu’alors, à l’ouest, Schroeder, Chirac et
successeurs ; l’ancrage européen de la Russie dans un intérêt commun ; ou bien
devenir un satellite de la Chine, ou bien s’orienter dans une logique d’autarcie et de
forteresse assiégée qui est un peu la ligne actuelle, semble-t-il.
Ce qui est quand même intéressant, c’est la vision russe car pour la Russie, les crises
de la mer Noire et de la Caspienne, de la Méditerranée orientale et du Golfe, font
exactement partie du même théâtre. Il faut essayer de voir cette région non pas
seulement depuis Paris et Washington, mais aussi depuis Moscou, en regardant vers le
sud. Je note une sorte de retour de l’influence de Primakov dans la vision russe à long
terme. Je crois qu’il faut maintenir les canaux de communication. Après tout, la
diplomatie a été inventée pour discuter avec des gens avec lesquels nous ne sommes
pas d’accord, pour le dire de manière très courtoise. Puisque j’ai cité Primakov, je
conclurai en citant Kissinger qui a publié il y a quelques jours un nouvel ouvrage «
Ordre mondial », dont on attend évidemment beaucoup, surtout Madame Clinton. Il
distingue ceux qui acceptent le système international et les autres, qu’il appelle
terroristes. Je trouve que c’est un peu court. Le texte est un peu décevant et je pense
qu’il se trompe d’échelle. Notre problème actuel n’est pas l’ordre mondial, mais
d’essayer de réfléchir à des ordres régionaux, à des architectures régionales de
stabilité, qui soient durables, avec la participation des acteurs en contenant les forces
d’instabilité. C’est vrai pour le continent africain, notamment dans sa partie
occidentale, en intégrant le Sahel, le Sahara et le Maghreb, c’est vrai au MoyenOrient, c'est vrai en Europe orientale. C'est le premier point.
Deuxièmement, nous avons beaucoup parlé ces derniers jours de l’article 5, mais
quand j’étais à Tokyo début juillet, on parlait beaucoup de l’article 9 de la
Constitution japonaise qui n’a pas été révisé par le Premier ministre mais qui a fait
l’objet d’une nouvelle interprétation. Là aussi, il y a quelque chose qui concerne nos
intérêts stratégiques à long terme, où nous Européens, Français, Britanniques,
Allemands, ne sommes pas présents avec des moyens conventionnels, mais dont les
tensions pourraient évidemment avoir des effets compte tenu de l’importance de
l’Asie orientale dans l’économie européenne.
Pour revenir aux défis situés à l’ouest du détroit d’Ormuz, là où nous sommes en
mesure d’agir avec des moyens classiques, alors qu’à l’est d’Ormuz seuls les EtatsUnis ont ces moyens d’action, je crois que cela mérite une approche intégrée qui est la
réponse aux crises globales. Je me permettrai de conclure en inversant Clausewitz :
notre problème aujourd'hui, ce n’est pas le brouillard de la guerre, les adversaires sont
identifiés, même après un temps de surprise, leurs intentions sont à peu près connues,
même si on pourrait creuser un peu leurs références historiques, mais notre problème,
après l’intervention, c’est l’incertitude des sorties politico-diplomatiques des crises, ce
BORDEAUX & MERIGNAC 2014
47
sont les configurations régionales à venir, ce que j’appellerai le brouillard de la paix.
Merci de votre attention.
Olivier ZAJEC - Nous allons ouvrir le premier de nos panels, « de l’est au sud, la
réassurance stratégique : enseignement des conflits et des crises récentes au voisinage
de l’Europe ». Il y a un peu plus de quinze ans, quand je suis rentré à Saint-Cyr, on
m’a dit et je ne l’ai jamais oublié : « Le terrain commande ». C’est bon au niveau
tactique, et quand le terrain ne commande pas au niveau politico-stratégique, il est du
moins un révélateur, parfois cruel mais précieux toujours, de nos forces et de nos
faiblesses. C'est la raison pour laquelle ma première question s’adresse au Chef
d’Etat-major des Armées. Mon Général, vous revenez de Cardiff, vous avez participé
au sommet de l’OTAN à Newport, le thème du rôle de l’alliance en matière de
réassurance de ses membres a dû être abordé en raison de la crise en Ukraine, et il y a
d’autres crises, le flanc sud, on l’a vu. Que pouvez-vous nous dire de la teneur de ces
échanges et quelle analyse faites-vous de la situation ?
Général Pierre de VILLIERS, Chef d’Etat-major des Armées - Je rentre
effectivement du sommet de Newport et j’en ai tiré, dans la continuité du remarquable
exposé de Monsieur Foucher, six enseignements.
Ilssont apparus de manière récurrente et consensuelle dans les débats. Je crois qu’il
faut d’abord dire que l’OTAN est toujours, en 2014, une alliance militairement
pertinente. Elle continue à jouer pleinement son rôle, sa vocation historique de
défense collective est réaffirmée dans la prise en compte à l’est de menaces de type
traditionnel, celles qui répondent à une logique de rapport de force. Je note aussi que
l’OTAN, cette alliance d’un âge déjà respectable, sait aussi faire preuve de capacité
d’adaptation. Les décisions prises à Newport, notamment concernant la création d’une
Very High Readiness Joint Task Force, et l’organisation d’exercices communs en sont
l’illustration. La France a d’ailleurs pris une grande part dans ces initiatives et je
suivrai de très près ce domaine lors de la réunion MCCS de l’OTAN à Vilnius dans
quelques jours, notamment concernant les modalités pratiques de cette force de
réaction rapide.
Deuxième enseignement, les crises actuelles posent des problèmes de fond pour
l’Alliance. D’abord tout simplement parce que ses membres ne partagent pas tous la
même appréciation des risques et des menaces. Les pays du nord, par exemple,
regardent avec inquiétude vers l’est, et sont moins sensibles aux menaces au sud de
l’Europe. Sur ce plan, je suis heureux de constater que les flancs est et sud de
l’Europe ont été abordés à Newport non pas en les opposant mais en soulignant la
nécessité de les traiter simultanément. Enfin, s’est posée la question de l’adaptation
des moyens, des doctrines, des procédures d’alliance aux menaces actuelles,
notamment en période de contraction généralisée de dépenses de défense de la plupart
de ses membres.
Troisième enseignement, le bouleversement du contexte sécuritaire a mis en évidence
certaines marges de progrès pour l’OTAN. L’Alliance doit continuer à progresser sur
le partage de l’évaluation de situation, sur ses capacités de réaction rapide. Je crois
qu’elle doit en fait gagner en flexibilité et en pragmatisme. Ce sont notamment les
enseignements de la crise ukrainienne, et le Président de la République a insisté sur ce
thème lors de ses interventions. La dimension du flanc sud doit continuer à être prise
en compte. Pour cela, l’OTAN a des capacités utiles, par exemple, le transport
tactique ou ce que l’on appelle le Joint ISR. Pour autant, les crises asymétriques
récentes et leur gestion montrent qu’elles ne peuvent être résolues sans une approche
véritablement globale. Une réponse exclusivement militaire ne permet pas de les
résoudre et les exemples ne manquent pas.
Quatrième enseignement. Lors des réunions plénières, et l’idée est revenue
régulièrement, la réponse doit venir des pays eux-mêmes. L’assurance que l’on attend
de l’OTAN est à la hauteur de la volonté et de l’engagement politique, militaire et
48
Université d’été de la Défense
financier de l’ensemble de ses membres. C’est la volonté de s’engager des Etats qui
constitue finalement leur meilleure assurance, comme cela a été rappelé très souvent.
S’agissant de la somme de ces volontés individuelles, il faut être vigilant à ce que les
mesures visant à faire évoluer l’OTAN soient raisonnables, c'est-à-dire
stratégiquement réversibles, militairement pertinentes et financièrement soutenables.
Il ne s’agit pas non plus de dupliquer les efforts d’autres organisations internationales,
ni de faire grossir la structure otanienne, ou encore de financer en commun de
nouvelles capacités peu utiles finalement.
Cinquième enseignement, dans ce nécessaire partage du fardeau, la France, et
singulièrement les armées, a des atouts militaires à faire valoir. C’est tout d’abord
l’intérêt d’un modèle d’armée complet, porté par l’actuelle LPM et qui permet de
contrer les menaces traditionnelles comme asymétriques au sud et à l’est. J’en suis
persuadé, la conservation de cette cohérence capacitaire est le bon choix. La culture et
la capacité de réaction rapide de nos armées sont aussi une réalité éprouvée, et nous
sommes prêts à apporter notre contribution, bien sûr, dans ce domaine.
Dernier enseignement, je voudrais rappeler et souligner le fait que l’action des armées
françaises en Afrique, notamment au Sahel, participe directement et pleinement à la
sécurité de l’Europe. Vous le savez, la défense de la nation ne commence pas à nos
frontières immédiates, et plus que jamais il y a bien un lien entre la sécurité intérieure
et la sécurité extérieure. La problématique des combattants étrangers est là pour nous
le rappeler.
Voilà en quatre à cinq minutes les six enseignements que j’ai très modestement tirés
du sommet très intéressant de Newport, en restant à mon niveau de chef d’Etat-major
des Armées.
Olivier ZAJEC - Je me tourne vers le représentant allemand du panel de ce matin,
Monsieur Ralf Brauksiepe. Aujourd'hui, l’Allemagne, de par sa puissance
économique, joue un rôle prépondérant sur un certain nombre de sujets en Europe.
L’Allemagne a donc un regard, une analyse des politiques étrangères, des
responsabilités. Monsieur Brauksiepe, qu’évoque le mot de réassurance aujourd'hui
pour Berlin et comment traduisez-vous ce vocable de réassurance ? Que signifie-t-il
stratégiquement ?
Ralf BRAUKSIEPE, Secrétaire d’Etat à la Défense, Allemagne - Let me make
clear first of all, with regard to the challenges which we all face, that Germany clearly
shares the concern of our Eastern European friends and allies.
I think one important message from what was agreed in Wales is that we are not
alone—none of us. Our Eastern friends are not alone, France is not alone. Germany is
not alone. We are 34 all together if you take all NATO and EU member states, and
including the compromises we have found.
With regard to NATO, I believe that what Defense Secretary Chuck Hagel from the
US expressed some weeks ago is perfectly right. NATO is the most effective
collective defence alliance that we have ever had in history. I think that so far, we
have achieved progress in this NATO summit, including in regard to assurances and
adoptions, which were the main topics agreed upon.
With regard to the German attitude towards assurance and the other issues mentioned,
let me make it clear that it was important for us to come to a generally agreed point of
view in regard to the increasingly confrontational position of Russia towards the
West. The Readiness Action Plan that has been agreed marks the cornerstone of our
reassurance efforts towards our Eastern European partners and allies.
It has been decided that a permanent presence of NATO combat troops, for example,
in the Baltic States or in Poland is not the desired option. Instead we have agreed on
the assembly of a quickly deployable Task Force. This will be constantly kept on a
high state of readiness to be deployed within the time frame of two days. And I can
assure you that Germany intends to make a considerable contribution to this effort. In
BORDEAUX & MERIGNAC 2014
49
the short term, we already provide naval and air force assets that are participating in
assurance measures. Specifically, we continue to provide 25% of the overall assets
within the framework of the standing neighbour forces.
In the air policing domain we have been since 1 September providing up to 6
Eurofighters based at Ämari Air Base in Estonia and we contribute a significant share,
namely 30%, to AWACS. In 2015 we shall continue to contribute our share in all the
areas just mentioned. We are also aware of the need for and the significance of ground
force contributions. Therefore we consider an intensified exercise concept as
particularly significant. For this reason, Germany has offered to NATO four exercises
for 2014 within the framework of assurance measures. Moreover Germany is
participating in exercises in Poland and the Baltic region, with approximately 300
soldiers. In 2015 Germany has plans to participate in 5 exercises with approximately
1,700 soldiers. This number could even be increased.
In the middle and long term, the Readiness Action Plan is the central document of the
Summit. It has developed into a substantial document we should be proud of. With its
two main dimensions, assurance and adoption, it addresses the key military aspects of
the so-called hybrid warfare model currently exercised by Russia, and draws
conclusions regarding military requirements for the Alliance. I believe that it will be
of particular importance to underpin NATO’s readiness and responsiveness and
enhance interoperability and multi-national cooperation.
Now we have to further develop in detail today’s adopted measures. This needs to be
done thoroughly, diligently and consistently. The focus will need to be availability,
deployability, interoperability and above all sustainability. It is our understanding that
based on a regular review of the security situation, the scope of the measures will be
increased and decreased. All of this will ensure the credibility of our measures.
I would like to emphasize the future prominent role of the multi-national Core NorthEast in Szczecin. Together with Denmark and Poland we initiated work to implement
the agreed measures. We underscored this commitment through a tri-national
declaration at the Summit. We foresee a prominent role for the Core, and we aim with
the Core to strengthen the regional focus of the NATO force structure, above all with
regard to Article 5 and the command of rapidly deployable forces.
Germany will make a significant contribution with regard to personnel and financial
resources, and we encourage other allies to increase their contributions to the Core. At
this point in time, I appreciate all efforts by France to seek closer cooperation with
Core North-East.
In the long term, NATO’s increased responsiveness, agility and flexibility has to be
underpinned by capabilities. We need to close the all too familiar priority shortfall
areas. Naturally the issue of resources, and above all the investment aspect, will also
play a role. For Germany, the question of output for NATO will be the determining
criterion. We make available approximately 90% of our capabilities to NATO. That’s
why we want to concentrate on the provision of specific and substantial capabilities.
Let me just add that of course financial issues matter. But from our point of view, the
most important thing is to concentrate on more effectivity in what we in the 28 NATO
states, especially in the European member states, wish to achieve.
And we highly appreciate the cooperation we have had with France, in the preparation
of this Summit, which has been especially valuable. We appreciate the close exchange
and the common results that we have produced.
We are willing to take our responsibility. We are willing to take part burden-sharing
in a way that is more effective than it has been in the past. We see that no single
NATO new member state possesses the required capabilities and resources alone to
bear the burden. It has to be shared. Therefore a strong and vivid European
partnership should not only focus on economics, but also explicitly on foreign and
50
Université d’été de la Défense
security policy affairs. This is mandatory in order to attain stability in the European
periphery.
Germany has been willing to take responsibility and we will do so in the future. Let
me just mention one last thing. Of course traditions are different, even among friends
in neighbouring countries. 25 years ago, when Germany was still divided, West
Germany disposed of a conscript army of 495,000 soldiers. Not one outside the
country. Today the reunified Germany disposes of 185,000 soldiers and thousands of
them outside the country.
So we have gone towards a clear and strong change in our defence policy. We are
ready to continue that and we are ready—as the Minister made it very clear—to
continue our responsibility in Afghanistan, for example, and also take over more
responsibility in Africa at the side of our friend, France.
Olivier ZAJEC - Votre discours nous montre que l’Allemagne prend la défense au
sérieux, mais qu’elle la conjugue prioritairement aujourd'hui vers l’est et dans le cadre
de l’OTAN. Vous avez cité la Pologne. Monsieur Dariusz représente la Commission
de Défense polonaise dans notre panel. Son pays est aux avant-postes de la crise
ukrainienne. Depuis des années, la Pologne met en avant l’importance du partenariat
oriental, et elle l’oppose parfois à la sécurité du flanc sud, ou en tout cas elle semble
présenter un degré de priorité. Est-ce que notre sécurité à l’est compte davantage que
la sécurité de notre flanc sud ? Est-ce que la Russie est un ennemi, comme certains
semblent le dire, ou doit-on surmonter la crise pour penser la Russie demain dans le
cadre d’un partenariat de long terme, malgré les fortes divergences qui nous opposent
aujourd'hui ?
Zeliga DARIUSZ, Président de la Sous-commission des Relations étrangères,
membre de la Commission de la Défense nationale du Parlement polonais
Avant tout je voudrais remercier Olivier pour cette question. Mais ne s'agit-il pas de
questionner les Polonais au sujet de l'Orient, de la Russie, de manière à ce qu'ils ne
posent pas d'autres merveilleuses questions ?
Je voudrais avant tout remercier, au nom de tous mes camarades de la délégation
polonaise, la possibilité qui nous est offerte de rencontrer ici des personnes que nous
connaissons par ailleurs depuis des années et qui veulent une Europe paisible et sûre.
Nous sommes entre personnes qui souhaitent une certaine solidarité européenne dans
le domaine de la sécurité. En tant que Polonais, dont la solidarité commune est issue
de Gdansk et s'est étendue sur toute l'Europe, nous sommes d'autant plus proche de
cette idée. C'est pourquoi nous vous remercions pour cela.
Nous avons probablement tous un peu regardé des films américains d'odyssées
cosmiques, et dans lesquels tombait l'expression célèbre "Houston, nous avons un
problème". Aujourd'hui, nous pouvons dire "Europe, nous avons un problème" ;
"Varsovie, Berlin, Paris, Madrid et Bruxelles, nous avons un problème."
Aujourd'hui, nous avons un problème. En tant que Polonais, nous comprenons ce
problème à travers notre voisinage à l'Est, mais aussi qu’il concerne les pays du Sud.
A mon humble avis, la solidarité dans le domaine de la sécurité et un engagement
large de tous les Etats est nécessaire. Et nous devons faire prendre conscience à nos
sociétés à quel point l'engagement dans la sphère des dépenses dans le domaine de la
sécurité, de l'industrie de défense, et ce qui y est lié, est important. Pour que cette
Europe soit sûre.
Pour la Pologne, la période actuelle est très difficile au regard de ce qui se passe en
Ukraine, que l’on peut qualifier de guerre. Je souhaiterais que nous sachions
transformer cette situation en opportunité. Aujourd'hui, les regards de l'Europe et du
monde sont tournés vers l'Ukraine. Et tous se posent des questions : quel avenir ?
Qu'adviendra-t-il de l'Ukraine ? Jusqu'où progressera Moscou ? Nous aussi, nous nous
interrogeons à ce sujet.
BORDEAUX & MERIGNAC 2014
51
Mais nous sommes également conscients que nous ne parviendrons pas à gérer cela
seuls. Seule la défense collective, la collaboration, l'engagement des moyens
industriels de défense peuvent nous permettre de sortie de cette situation. Et nous
sommes également conscients de ce qui vient d'être dit ici à l'instant. Nous devons
conserver certains canaux diplomatiques.
Même si le chemin est ardu, le dialogue difficile aussi bien par rapport à l’Ukraine, à
l'Est et au Sud, c’est ensemble que nous devons résoudre ces problèmes.
Je veux aussi partager mes espoirs, et je le dis comme député de l'opposition. Le choix
du Premier Ministre du gouvernement comme Président de l'Union Européenne
entrainera une plus grande sensibilisation de l'Europe sur ces affaires, parce que
Donald Tusk connait les spécificités de notre voisinage.
Je suis très proche de ce qu'a dit le général de Gaulle aux Français : « Construisez
votre sécurité, dans l'industrie et dans l'armée, comme si vous étiez seuls au monde ».
Est-ce que cela est toujours d'actualité ? Est-ce que, mis à part le fait que nous devons
agir collectivement, collaborer, et être vigilants, la Pologne doit suivre sa propre voie
chemin pour renforcer sa défense, sa sécurité ?
La Pologne traverse aussi une période de modernisation très profonde de ses forces
armées. Nous sommes engagés dans les missions à travers le monde entier. Mais nous
voudrions aussi prendre une part plus large, plus forte, plus grande part dans les
projets européens, dans l'engagement pour l'industrie de défense, et participer à ce qui
se passe dans cette sphère, dans le domaine de la sécurité.
La situation en Ukraine nous concerne davantage. C’est parce que les regards sont
tournés dans la direction de l'Est que notre voix, en tant que Polonais, sera forte. C’est
grâce à votre participation, grâce à des rencontres comme celle-ci, que les gens se
rencontrent pour porter la paix et la sécurité aux Européens, et au monde entier.
Olivier ZAJEC - Vous avez cité Charles de Gaulle, personnage central dans l’histoire
de notre pays et en tout cas lorsqu’on parle de De Gaulle en France, un certain nombre
de mots nous viennent à l’esprit, comme souveraineté, indépendance. Je me tourne
vers Patricia Adam pour finir sur cette question de l’est européen. Souveraineté,
indépendance, y compris dans les choix industriels et dans les choix d’export. La
vente du BPC Mistral est aujourd'hui suspendue ; la France a pris une décision. Un
certain nombre de conditions sont posées par rapport à cette vente, conditions qui sont
liées à la situation politique, à son apaisement en Ukraine. Cette décision a été
attendue, commentée, en particulier en Pologne. D’après vous, est-ce la bonne
manière de présenter les choses que de parler de souveraineté et d’indépendance sur
ce dossier ou les choses sont-elles plus complexes à présenter ?
Patricia ADAM, Présidente de la Commission de la Défense nationale et des
Forces armées de l’Assemblée nationale - C’est un sujet particulièrement médiatisé
en ce moment, dont on a beaucoup parlé. Nous étions avec Jean-Yves Le Drian en
Pologne récemment et ces discussions ont évidemment lieu avec nos homologues
polonais, et c’est bien normal compte tenu de l’inquiétude réelle et vérifiée de la
Pologne et des pays baltes. La question des BPC est symboliquement très importante.
C'est un contrat ancien qui a été signé à une autre période, dans d’autres conditions, et
pour autant les BPC sont devenus une sorte de symbolique très forte qui nous
concerne, bien sûr, directement alors qu’en même temps – et je le dis ici haut et fort –
d’autres pays amis continuent d’exporter des armes vers la Russie, et que d’autres
pays amis, que je ne citerai pas, continuent aussi de travailler entre autres avec la
Russie sur les questions énergétiques. En tant que parlementaire française, je dirai que
même si le gouvernement, le Président de la République et Jean-Yves Le Drian, a pris
sa part de responsabilité en solidarité vis-à-vis de l’inquiétude tout à fait justifiée de
nos amis baltes, et parce que nous avons ce devoir de solidarité en Europe, il faudrait
peut-être aussi que les autres pays amis se posent cette même question comme nous
nous la sommes posée en responsabilité sur la question des BPC.
52
Université d’été de la Défense
Il n’y a pas de suspension du programme, quand il faudra prendre la décision, nous la
prendrons, mais elle n’est pas prise pour l’instant. En revanche, comme Jean-Yves Le
Drian l’a très clairement exprimé, nous aurons une attention particulière sur cette
question des livraisons. Aujourd'hui, les BPC continuent de se construire à SaintNazaire, et nous avons aussi une formation qui est en place pour les militaires russes
pour la conduite de ce bâtiment.
Vous parlez de souveraineté et vous avez fait référence à de Gaulle, qui est un
personnage important dans l’histoire de notre souveraineté nationale, du lien très fort
qui existe entre cette communauté de défense et notre pays, mais nous sommes
aujourd'hui en train de dépasser ce cadre national. La souveraineté s’entend
maintenant au niveau européen. La parole du Général de Gaulle est toujours réelle et
elle s’applique, mais dans un contexte différent qui est celui de la construction
européenne. C’est ce que nous sommes en train de construire, je dis bien que nous
sommes en train de construire et peut-être que l’actualité qui est la nôtre aujourd'hui
aux frontières de l’Europe va nous permettre d’avancer un peu plus vite. Cette
Université de la Défense est peut-être l’occasion de le faire et c'est la raison pour
laquelle nous avons insisté avec Jean-Louis Carrère pour que nos amis européens
soient présents. Ils sont très présents, vous le savez, et je demande à tout un chacun de
prendre du temps avec mes collègues parlementaires européens car il ne faut pas
oublier que dans beaucoup de pays européens, ce sont les parlements qui décident de
l’intervention de leurs forces, tout simplement parce que leur constitution est ainsi
faite et qu’il faut porter attention, certes, aux relations entre nos exécutifs, mais aussi
aux décisions qui sont prises par ces mêmes parlements. C'est une particularité que
n’a pas la France. Notre Constitution nous permet d’agir rapidement puisque le
Président de la République peut le faire dans l’heure et nos armées sont prêtes à le
faire, ce qui explique la capacité à réagir très vite de nos armées qui sont constamment
en réflexion par rapport à cette possibilité d’intervenir à tout moment quand le
Président de la République le décide. Nous avons donc encore beaucoup de chemin à
parcourir, mais ensemble, et si l’Europe peut faire sienne la phrase du Général de
Gaulle, ce serait très bien.
Olivier ZAJEC - Merci de votre réponse claire et nette sur un sujet aussi symbolique
que difficile. Nous avons parcouru le flanc est. Michel Foucher avait commencé tout à
l’heure par les sud fracturés, les sud fragmentés, dangereux, mais avec de nombreuses
occasions de partenariats. Pour clore ce panel, je me tourne vers Cheikh Tidiane
Gadio, ancien ministre des Affaires étrangères du Sénégal, puis vers le Président
Carrère pour deux questions sur ces sud. Monsieur le Ministre, sur les interventions
récentes françaises, européennes, en Afrique, dans la profondeur africaine, Côte
d’Ivoire en 2002, Mali, Centrafrique actuellement – et vous êtes engagé dans le
dialogue diplomatique dans ce pays –, il y a eu une stabilisation de certains points
chauds, la France s’est engagée très fermement, elle a été suivie à des degrés variables
par ses partenaires européens. Comment les Africains considèrent-ils ces interventions
françaises et quel partenariat de sécurité entre la France, l’Europe et l’Afrique au sens
large dans les dix prochaines années ?
Cheikh TIDIANE GADIO, ancien ministre des Affaires étrangères du Sénégal Merci pour ces questions. Vous m’avez demandé de ne pas utiliser la langue de bois,
j’espère que vous n’allez pas le regretter à la fin. Je me réjouis tout d’abord qu’un
Africain soit invité à se prononcer sur des questions qui concernent le continent
africain. Vous ne me croirez pas, mais aux Etats-Unis, j’ai assisté à des débats sur
l’Afrique où il n’y avait aucun Africain dans le panel, les questions nous étaient
réservées, mais pas les réflexions. Je remercie donc mes amis français.
Sur l’intervention française au Mali, nous avons une quasi-unanimité sur le fait que
c'est une excellente initiative, qu’elle a donné de très bons résultats. Il n’y a
pratiquement pas de débat sur la question. A mon avis, la raison est très simple :
beaucoup de concertation, un partenariat très sincère, très franc. Voilà un pays qui a
engagé ses enfants sur le sol africain, qui a engagé beaucoup de moyens et qui a pris
une décision en soixante-douze heures là où les Africains ont pris neuf mois pour
BORDEAUX & MERIGNAC 2014
53
décider ce qu’il fallait faire au Mali. De ce point de vue, il faut se réjouir de ce que la
France a apporté aux Africains. A ceux qui sont contre, je pose toujours la question de
savoir ce qu’il fallait faire le jour où les bandes djihadistes ont fait mouvement vers
Bamako. J’attends toujours la réponse.
Concernant la Centrafrique, tout le monde s’accorde à dire qu’il s’agit d’une crise qui
se développe et se complexifie. Il est difficile de tirer un bilan de quelque chose qui
est en cours, mais je crois que l’intervention de la France au moment où elle a choisi
d’intervenir a effectivement empêché d’aboutir à une situation semblable à celle que
nous avons connue au Rwanda. Il y a des malentendus, des interprétations qui sont
discutables, certains avancent que lorsque les forces Seleka ont été désarmées, elles se
sont tout d’un coup retrouvées face à des anti-Balaka armés qui les ont massacrées. Ce
sont des points de discussion, mais le plus important est d’avoir empêché un véritable
génocide de masse et d’avoir encouragé un processus politique et une transition qui
sont en cours.
L’Organisation de la Coopération islamique regroupe 57 pays membres et 5 pays
observateurs. Il était important que cette organisation s’engage et elle a apporté à la
France et aux autres partenaires un soutien extrêmement important sur quelques
points. Le premier est le refus absolu de la partition de la Centrafrique. Si tous les
pays musulmans venaient soutenir la création au nord de la Centrafrique d’une sorte
d’enclave de pays soi disant musulmans, nous serions dans une situation plus difficile.
L’OCI s’est démarqué de cela et a refusé la diabolisation par certains de la France en
montrant le rôle positif qu’elle a joué. Et nous avons beaucoup insisté sur trois points :
cessation des hostilités, engagement d’un dialogue politique pour la réconciliation
nationale, assistance humanitaire immédiate, et projet de participation à la
reconstruction économique de la Centrafrique. Ces axes sont très clairs, il est facile
d’avoir un tel plan mais il est beaucoup plus difficile de le mettre en œuvre.
Au Mali, il y a des poches de résistance des djihadistes. L’armée française et ses alliés
africains poursuivent le travail, et l’opération Barkhane est une très bonne idée.
En termes de nouveaux partenariats entre l’Afrique, la France et l’Europe sur les
questions de sécurité, je dois signaler qu’une suggestion française faite lors du
sommet de l’Elysée sur les problèmes de sécurité en Afrique, fortement soutenue par
le Sénégal, est devenue une initiative du Sénégal fortement soutenue par la France, à
savoir la mise en place d’un forum international sur la paix et la sécurité en Afrique
les 15 et 16 décembre prochain. L’expertise mondiale va se déployer en terre
africaine, au Sénégal, ce qui sera un très bon prolongement du sommet de l’Elysée.
L’émergence de l’économie criminelle en Afrique, c'est-à-dire les narcotrafiquants,
les djihadistes, les trafics d’armes, les trafics humains, les pirates, mais aussi Boko
Haram qui fait des ravages aujourd'hui au Nigeria, prouve que notre réflexion
commune sur la sécurité sur le continent africain doit conduire à un constat, les Etats
africains ont négligé fondamentalement les questions de sécurité de l’indépendance à
nos jours. Les pères fondateurs de la doctrine ont toujours dit que la sécurité précède
le développement et sert le développement. Nous avons voulu fonder cinquante et
quelque Etats, qui n’ont pas ni les moyens des infrastructures, ni les moyens de
l’éducation, de l’agriculture, de la sécurité, et nous nous retrouvons aujourd'hui avec
un pays comme le Nigeria totalement affaibli, déstabilisé, par Boko Haram. La preuve
est donc faite et je demande aux partenaires français et européens, à tous les amis de
l’Afrique, d’encourager la mutualisation des ressources, l’intégration régionale, y
compris sur les questions de défense, de paix et de sécurité. Hier, lors de la
démonstration des avions Rafale, nous étions tristes de constater qu’un ou deux de ses
appareils correspondent au budget de plusieurs armées africaines. Le coût d’un ou
deux de ces appareils correspond au budget de l’ensemble d’une petite armée
africaine. Dans ces conditions, comment faire la guerre ou défendre le pays contre des
djihadistes devenus extrêmement riches, dotés de beaucoup de ressources et de
moyens ? La France a consenti beaucoup de sacrifices, et pour que ces sacrifices ne
soient pas vains, et surtout pour éviter que la France, comme d’autres pays, ressente
54
Université d’été de la Défense
une certaine lassitude d’un éternel recommencement, il faudrait encourager la mise en
place rapide de forces africaines pour prendre en charge les problèmes de sécurité en
Afrique. La France pourra équiper, armer, soutenir, former, assister, et c’est peut-être
la voie de l’avenir.
Olivier ZAJEC - Merci beaucoup pour cette intervention sans langue de bois et à
laquelle certains de nos panelistes brûlent sans doute de répondre. Le sud, c’est
l’Afrique ; sur nos écrans aujourd'hui, même s’il est plus éloigné, le sud, c'est
également le Moyen-Orient, où après dix années de contre-insurrections,
d’interventions occidentales sous direction américaine le plus souvent, la situation
politique, géopolitique, est catastrophique. C'est en particulier le martyr des chrétiens
d’Orient, que nous avons dans l’actualité régulièrement et qui donne la mesure de cet
effondrement, de cette fragmentation. Jean-Louis Carrère, dans ce cadre-là, l’Europe
peut-elle raisonnablement jouer un rôle militaire éventuel dans la région ou devonsnous nous concentrer sur notre propre voisinage et finalement ne participer que de
manière indirecte à ce devoir de stabilisation dans la zone ?
Jean-Louis CARRÈRE, Président de la Commission des Affaires étrangères de la
Défense et des Forces armées du Sénat - Merci pour votre question, mais pour moi,
la réponse est naturellement évidente, le Moyen-Orient est dans le voisinage de
l’Europe. Si vous nous proposez comme alternative d’intervenir ou de rester dans
notre voisinage, nous sommes dans notre voisinage. Elle ne peut se désintéresser de
cette région avec laquelle elle a établi des relations très importantes. Certains Etats
bénéficient d’ailleurs de politiques européennes de voisinage très précises et très
structurées. Sa déstabilisation aurait des conséquences graves. L’Europe est surtout
intervenue par sa diplomatie et ses politiques de coopération. Certains Etats assurent
une présence militaire. Pensons aux contingents européens de la FINUL au Liban, à la
participation à la première guerre en Irak après l’invasion du Koweït, pensons à la
présence de nos amis britanniques lors de la seconde guerre d’Irak, pensons à notre
base d’Abou Dhabi. On peut effectivement douter de l’efficacité des stratégies de
changement de régimes coercitifs et de contre-insurrection. Les modalités de
reconstruction post-interventions et les modalités de retrait sont éminemment
complexes, tout le monde le sait, et dépendent essentiellement de la capacité et surtout
de la volonté de réconciliation des équipes auxquelles est confié le pouvoir. On n’a
pas de véritable antidote ou de véritable vaccin, il faut reconnaître qu’en Irak, le
gouvernement Maliki n’a pas véritablement œuvré en ce sens. En Syrie, l’opposition
est très divisée, et sur le plan militaire, certains mouvements djihadistes affrontent
l’Armée syrienne Libre. Voyons également la situation de la Libye. Je souscris tout à
fait aux craintes énoncées par notre ministre de la Défense. J’y étais il y a quelque
temps et je vois que si nous n’y prenons garde, un chaos à haut risque pourrait
s’installer et s’amplifier dans ce pays. Les stratégies de changement de régime
peuvent d’ailleurs déboucher sur des situations totalement incontrôlées.
Le fait est que la situation au Moyen-Orient s’est complexifiée avec la montée en
puissance du prétendu « Etat Islamiste », sa place conséquente en Syrie et son
offensive en Irak. On peut d’ailleurs s’interroger sur les causes de la montée en
puissance de ce mouvement qui, je le rappelle, s'est fortifié dans la guerre civile en
Syrie où il contrôlerait près du tiers du territoire. Je me pose même la question : d’une
certaine façon, ne leur avons-nous pas, nous Européens et Etats-Unis confondus, en
étant peut-être trop timides dans notre soutien à l’opposition syrienne modérée, laissé
le champ libre ? Aujourd'hui, ce mouvement apparaît comme la menace principale au
Moyen-Orient car il dispose de compétences militaires autant dans le combat
asymétrique que dans le combat conventionnel grâce à l’apport de cadres du régime
de Saddam Hussein. Il dispose d’équipements militaires modernes, y compris des
blindés pris à l’armée irakienne. Il dispose de moyens financiers conséquents, et ils
représentent une menace réelle pour les pays voisins, comme la Jordanie et le Liban.
Il utilise la terreur à un point rarement atteint dans ses modes d’action et de
communication. Je n’ai pas besoin de préciser, vous le savez tous. Et il exerce une
forte attractivité, et cela est également très dangereux, sur les candidats au djihad dans
BORDEAUX & MERIGNAC 2014
55
le monde entier. Plusieurs dizaines d’Américains, plus d’un millier d’Européens
combattraient dans ses rangs. Les allers-retours de ces combattants sont très
inquiétants pour notre propre sécurité intérieure.
Vous me demandez si l’Europe peut jouer un rôle militaire dans la région. Je crois que
oui d’une certaine façon car certains Etats européens disposent de moyens
d’intervention. L’année dernière, la question s'est posée d’une intervention en Syrie
après l’utilisation d’armes chimiques par Bachar El Assad. Britanniques et Français
auraient pu y être associés. Aujourd'hui, je crois que l’Europe a pris conscience de la
menace de l’Etat Islamique. J’observe que la Grande-Bretagne, l’Allemagne et la
France ont ou vont livrer des armes aux peshmergas kurdes avec l’accord, bien sûr, du
gouvernement irakien. J’observe que la France et la Grande-Bretagne ont déjà
effectué des opérations de largage de fret humanitaire. Seuls les Etats-Unis sont
intervenus par des bombardements aériens. A ma connaissance et à ce stade, les
Européens n’ont pas été sollicités pour des opérations militaires directes, mais
l’Europe n’a certainement pas les moyens aujourd'hui de répondre seule sur le plan
militaire, et d’ailleurs serait-ce vraiment souhaitable ? On voit bien que la réduction
d’un tel fléau exige une stratégie globale qui implique de nombreux Etats de la région,
mais aussi l’Europe et, naturellement, les Etats-Unis. Vous remarquerez que le
Président Obama appelle à la constitution d’une coalition régionale, le Président
Hollande propose la tenue d’une conférence internationale. Au-delà des aspects
purement militaires, il faudrait, pour éradiquer ce mouvement très innovant dans ses
modes d’action, travailler en coopération sur de multiples terrains : la reconnaissance
et le renseignement, la sécurité intérieure, les circuits économiques et de
communication, la reconstruction sociale. Et je ne suis pas exhaustif. Outre son action
diplomatique, l’Europe a, dans ces différents domaines, des capacités d’action. Mais
je sais que Josette Durrieu est dans la salle et je n’oublierai donc pas, en guise de
conclusion, de vous demander de ne surtout pas perdre de vue dans cette politique au
Moyen-Orient la question palestinienne qui a connu un nouvel épisode douloureux à
Gaza cet été et qui, sans une réponse juste et équitable, restera un abcès de fixation
dans tout le monde arabo-musulman, ainsi qu’une source et un prétexte fort de
développement de l’extrémisme, tout ce que nous combattons.
Olivier ZAJEC - Merci, Monsieur le Président. Etant donné l’agenda de Monsieur le
ministre de la Défense, je vous propose de rassembler les questions à la fin des deux
panels et passer directement au second panel sur deux questions à Eric Trappier et au
Général de Villiers sur nos moyens, les budgets, ce que l’on doit mettre sur la table
pour répondre aux différentes crises et aux différents dangers de déstabilisation qui
ont été mis en perspective par nos intervenants. Mon Général, sur cette question de la
mise en regard de la stratégie des moyens, de la stratégie opérationnelle, et des
objectifs politiques, l’Europe baisse globalement ses budgets de défense, et les
commentateurs parlent pour certains de juste effort, pour d’autres d’effort trop juste.
Qui a raison ?
Général de VILLIERS - Comme je l’ai dit en réponse à votre question lors de la
séquence précédente, la responsabilité européenne est la somme des responsabilités
nationales. L’Europe, collectivement et individuellement, consciente des enjeux, doit
montrer sa volonté d’agir pour la sécurité des Européens. Cette volonté est la
meilleure annonce et assurance qui soit, mais elle ne suffit pas si elle ne se traduit pas
dans les faits, c'est-à-dire dans les budgets. Le partage du fardeau, c’est aussi le
partage des coûts. Les déclarations à Newport ont été nombreuses dans ce sens et nous
ne pouvons que nous en réjouir, il reste à ce qu’elles soient suivies d’action dans les
différents pays. S’agissant de la France, l’effort budgétaire consenti pour la défense et
pour celle de l’Europe traduit l’ambition nationale qui est décrite dans le livre blanc.
Cet effort est décliné dans la LPM. L’analyse des menaces menée lors de la rédaction
du livre blanc a conduit au choix d’un modèle d’armée complet. Ce choix s’avère
aujourd'hui pertinent au regard de ce que nous vivons et des crises qui ont émergé
depuis, notamment à l’est comme au sud de l’Europe. Mais s’il permet de disposer en
permanence d’un outil militaire complet et cohérent, apte à garantir nos intérêts de
56
Université d’été de la Défense
défense, le modèle décrit dans la LPM se situe à un niveau juste suffisant au regard de
l’objectif. C’est le meilleur compromis possible compte tenu du contexte budgétaire
actuel. Vous le savez, le costume est taillé au plus juste. Il s’agit donc d’être
particulièrement vigilant sur les conditions d’exécution du budget et sur le respect
intégral de la Loi de programmation militaire. Chaque programme, chaque matériel
inscrit dans la LPM a du sens par ses interactions avec les autres. Nous avons fait un
travail fouillé, et pour être dans ces domaines depuis plus de vingt ans, je n’ai jamais
vu une Loi de programmation militaire aussi bien construite dans le détail et dans sa
cohérence globale. Cet équilibre est donc fragile, il faut veiller au maintien de cette
cohérence d’ensemble.
Ma vigilance, ou plutôt notre vigilance car c'est une responsabilité collective, et je sais
que les parlementaires et les industriels notamment sont particulièrement attentifs à ce
sujet, doit porter sur la mise à disposition effective, selon le calendrier prévu, de
l’ensemble des ressources, au premier rang desquels figure les ressources
exceptionnelles qui représentent 6,6 milliards d’Euros pour la LPM 2014-2019. Le
Président de la République l’a dit en juin, il l’a répété le 28 août dernier à l’occasion
de la Conférence des ambassadeurs, les crédits de la LPM seront maintenus. Il est
vrai, et cela a été rappelé dans l’interview parue dans le Figaro du ministre de la
Défense Jean-Yves Le Drian, que le contexte international n’incite vraiment pas à
baisser la garde. En cohérence avec cet objectif capacitaire, les armées poursuivent
leur transformation et leurs efforts. Elles sont en marche, une marche structurée
autour d’un projet, baptisé Cap 2020 qui, pour la première fois, réunit l’ensemble des
projets de trois chefs d’Etat-major d’armées et aussi les six directions et services.
Je reste particulièrement vigilant également sur le moral des troupes, qui conditionne
le succès de la manœuvre. Je précise que nous maintenons aussi l’atteinte de l’objectif
constant de notre interopérabilité avec nos alliés. Cela est vrai avec nos partenaires
européens, avec nos partenaires africains que je salue ici et avec lesquels je travaille
au quotidien, comme avec nos amis américains.
En conclusion, je crois sincèrement que la France a fait le bon choix en maintenant
son effort de défense à un niveau adapté aux enjeux. Nous ne cessons de le rappeler,
vous pouvez compter sur les armées en échange pour utiliser à bon escient tout Euro
dépensé au service de la sécurité des Français et des Européens, tout en étant présents
en RCA, dans la BSS, au Liban et ailleurs, partout où le Président de la République le
décidera pour le succès des armes de la France.
Olivier ZAJEC - Eric Trappier, en brossant cette situation, le Général de Villiers a
fait le distinguo entre les paroles et les actes. Dans le domaine industriel, dans le
domaine capacitaire aujourd'hui en Europe, on perçoit une difficulté des Européens à
lancer de grands programmes d’armement en commun, et surtout dans le haut du
spectre des capacités. Est-ce que cette situation, souvent commentée par les analystes
de défense, tient seulement à ce que l’on pourrait appeler les égoïsmes nationaux ou
est-ce qu’elle a d’autres raisons ?
Eric TRAPPIER, Président de Dassault aviation - Je reprendrai dans mon discours
un certain nombre de points des efforts dans la LPM, mais je voudrais dire que je ne
partage pas le mot égoïsme car la souveraineté, ce n’est pas de l’égoïsme, c'est de la
cohérence, comme vous avez pu le rappeler après. Aujourd'hui, cette cohérence est
issue des soixante dernières années d’efforts dans le domaine de la défense de la
France, et en parallèle a commencé à se construire une certaine idée de l’Europe. Je
voudrais juste rappeler un chiffre. Si vous prenez l’Europe, qui peut, en termes de
capacité, se comparer aux Etats-Unis au niveau humain, au niveau taille, il faut savoir
que les Etats-Unis investissent environ 180 milliards d’Euros dans leurs dépenses
d’équipement, là où nous sommes autour de 50, et dans la R&D, les Etats-Unis
dépensent environ 48 milliards là où nous dépensons 9 milliards. Le nerf de la guerre,
c’est aussi la possibilité de mobiliser les budgets. Aujourd'hui, l’Europe doit se
mobiliser en mettant un certain nombre de budgets à la disposition de la communauté.
BORDEAUX & MERIGNAC 2014
57
D’autre part, c'est l’expression d’un besoin commun, lequel sera issu de politiques
communes. On n’y est pas tout à fait, cela se construit lentement mais cela se
construit. Nous industriels avons besoin de programmes, nous sommes volontaristes
pour avoir de nouveaux programmes et aujourd'hui nous comptons beaucoup plus sur
les efforts de R&T qui préparent l’avenir dans le cadre de ce que l’on appelle
techniquement en France des PEA, que la DGA nous octroie et qui nous permettent
d’aller vers les technologies du futur. Il est évident que dans le domaine de la R&T,
l’Europe pourrait et devrait aider. Elle le fait déjà dans le domaine civil, mais on
pourrait imaginer que l’Europe mobilise des budgets pour préparer ces technologies
du futur.
Pour terminer, je dirai qu’en attendant il faut être très pragmatique, c'est-à-dire nous
rapprocher d’un certain nombre de pays d’Europe. En termes de défense, de capacité
militaire, la France prend aujourd'hui sa part, une part importante, et dans une
cohérence. Nous sommes un des rares pays, évidemment loin derrière les Etats-Unis,
à être capable de rentrer en premier dans un conflit. Elle va donc jouer ce rôle de
locomotive au sein de l’Europe, mais il lui faut rapidement coopérer avec d’autres
pays voisins. La Grande-Bretagne doit être évidemment un partenaire, et je me réjouis
des programmes communs qui sont lancés dans le cadre du traité de Lancaster House.
Le ministre et son homologue ont annoncé un certain nombre de programmes à venir,
c’est donc un axe de coopération fondamental qui n’est pas contre l’Europe. Et puis
l’Allemagne, qui a des moyens et qui, petit à petit, souhaite s’impliquer et doit donc
préparer un certain nombre de programmes. Dans ce domaine, l’axe franco-allemand
ne demande qu’à grandir. D’autres pays viendront. La Pologne a fait part de son
intention de participer à cette construction, ce dont nous nous réjouissons. Il faut aussi
que ces technologies qui vont déboucher sur des équipements soient au service des
Européens et donc des industriels en Europe.
Olivier ZAJEC - Je vous propose maintenant de poser vos questions sur l’ensemble
de ces sujets.
Madeleine MOON, House of Commons Defence Select Committee and NATO
Parliamentary Assembly Representative from the UK - I was particularly pleased
to hear the presentation from the German guest because three years ago the
Parliamentary Assembly was in Germany in the Bundestag, with my good friend Karl
Lammers.
We were told that Germany was semi-detached from NATO, seeing itself surrounded
by friends with no threats. I am glad to see that we all recognize the threats that face
us now.
We’ve talked a lot in the panel about the importance of military cooperation, the
purchasing of equipment. But are we missing out on another element of defence,
perhaps? This is following the money. Both Russia and the various Islamic
fundamentalist groups are extremely rich. Shouldn’t we be using our intelligence and
banking systems to find out where that money is being generated, and making the
provision of money to those groups an illegal act, not only in our countries but
encouraging allies in the Middle East to do that as well? So that we can cut of at
source the wealth that lets them move the Islamic fundamentalism forward.
And in terms of Russia, can we be honest and address Russia interest in Ukraine as
being around access to uranium there and to key Russian industrial and military plants
that are based in Ukraine. Shouldn’t we be looking outside the traditional use of
forces, but looking at the money and the reasons behind some of the actions that are
taking place?
Olivier ZAJEC - Merci pour votre question qui porte sur les leviers financiers de la
déstabilisation et des crises. Je pense que la question s’adresse plutôt à Monsieur
Brauksiepe, puisque vous avez cité l’Allemagne. Que pensez-vous de ce levier qui
58
Université d’été de la Défense
consiste à agir sur les flux financiers dans les régions en crise pour faire baisser la
tension ?
Ralf BRAUKSIEPE - Thank you very much. First of all we are still happy to be
surrounded only by friends, nothing has changed in recent years. Of course we have to
realise that threats have come back to Europe. If I may, I will mention one issue that I
find really important. You correctly mentioned the challenges with regard to Russia
and the Ukraine crisis, and other hand the Islamist challenge. What we should make
clear to ourselves is that we shouldn’t underestimate either of the challenges that we
are facing. No problem becomes smaller when the other becomes worse. This is also a
very important issue.
This is also a question that we discussed, and a question we raise in regard to the
Islamist movements. Where does all the money come from?
I must admit that I’m no expert on that, nor on the question of how to tackle this issue.
But if we realize that the Islamist movements are probably able to refund themselves
by selling energy resources, by selling oil that they have conquered or banks that they
have conquered, this is a real challenge. I am no expert in that, but experts should
concentrate on how we can also manage this problem by looking at the funds of these
movements. I would clearly agree on that.
With Russia, the issue is more complex. Russia disposes of natural resources, as we
all know, and this is rather a question of our dependence on their resources. I think
this is an issue that is also discussed, especially with our Baltic friends. These are the
consequences of the fact, which is new for us, that in Soviet Union times, Germany
never had the experience that the Soviet Union used energy resources as a weapon. It
is doubtless a new challenge for all of us that energy supply seems to be regarded as
one weapon, among others, that can be used by Russia. I agree that this is the
challenge that we have to deal with.
Jean-Dominique GIULIANI, Président de la Fondation Robert Schuman - Je
souhaite rebondir sur une réflexion d’Eric Trappier sur les politiques européennes.
Bien qu’Européen convaincu, je sais depuis toujours qu’il n’y aura d’Europe de la
défense que si on repart des intérêts nationaux. L’opération Atalante a fonctionné de
cette façon. En matière industrielle, c’est la même chose. N’est-ce pas le moment
alors qu’il y a une nouvelle Commission, que Monsieur Juncker va annoncer demain
les répartitions nouvelles des compétences, d’avoir une coalition pour parler de crédits
de recherche, de financements européens de la recherche, pas seulement civile, mais
duale et aussi militaire, ce qui est un peu interdit aujourd'hui à Bruxelles, donc profiter
de la volonté de cette nouvelle Commission européenne de participer à une relance de
l’investissement dont on a bien vu qu’elle passe aussi par un soutien aux industries de
défense. Cette démarche pragmatique pourrait être comprise par tout le monde, à
condition de lever quelques tabous.
Eric TRAPPIER - Il y a évidemment des conditions qu’il va falloir lever. Lors du
Conseil de décembre dernier, les ministres de la Défense ont donné des axes et un
suivi doit maintenant être fait au niveau de la Commission européenne. Ce n’est qu’un
début, mais c'est nécessaire pour progresser dans la capacité à financer une partie de
l’Europe du futur. On ne va pas l’appeler préférence européenne, mais ce serait quand
même bien que l’Europe s’intéresse à son industrie, à ses technologies, plutôt que
d’aller les chercher chez les voisins outre-Atlantique.
Christophe REMY, Magellan Industries - Sur les cartes que vous avez présentées
au début, vous faites apparaître le Soudan et l’Iran comme des pays déstabilisateurs
alors même que les Etats-Unis aujourd'hui travaillent avec l’Iran et vendent d’ailleurs
massivement en Iran, et vous ne faites pas référence à des pays du Moyen-Orient qui
sont connus depuis longtemps comme des vecteurs de financement de groupes
islamistes. Je souhaiterais savoir pourquoi.
Michel FOUCHER - La légende indique « Etats désignés comme déstabilisateurs »,
ce n’est pas la même chose.
BORDEAUX & MERIGNAC 2014
59
Olivier ZAJEC - C'est-à-dire que d’autres pays du Golfe ne sont pas désignés comme
des Etats déstabilisateurs alors qu’ils financent ?
Michel FOUCHER - Vous avez raison, je vais réfléchir à une autre version, mais
encore une fois c’est « désignés comme ». A mon avis, la politique américaine, depuis
le premier mandat Obama, de tendre la main à l’Iran est parfaitement justifiée. C’est
une illusion que de vouloir une espèce de traité de Westphalie moyen-orientale, parce
qu’on n’échappera pas à cela, sans l’Iran, mais il faut un accommodement entre l’Iran
et l’Arabie Saoudite. Le problème du Qatar est que c’est tellement petit sur une carte
que même si je mettais quelque chose, on ne le verrait pas.
Olivier ZAJEC - Je remercie chaleureusement l’ensemble des intervenants de ce
panel. C’était passionnant et fondamental pour notre discussion. Je vous propose de
passer aux deux allocations de clôture de cette plénière. Monsieur Eric Trappier,
Président de Dassault aviation, et Monsieur Jean-Yves Le Drian, ministre de la
Défense.
Patricia ADAM - Je voudrais profiter du fait que nous soyons tous réunis en séance
plénière pour saluer Didier François et Edouard Elias, grands reporters, qui ont été nos
otages, qui ont été libérés. Ils sont aujourd'hui parmi nous et nous en sommes très
heureux. Je crois qu’il faut rendre hommage à leur courage et à leur résilience car ils
continuent à exercer leur travail de grands reporters et nous pouvons en être fiers.
60
Université d’été de la Défense
BORDEAUX – Mardi 9 septembre 2014
Clôture de la séance
par
Eric TRAPPIER
Président-Directeur général de DASSAULT Aviation
Monsieur le Ministre,
Madame la Présidente de la Commission de la défense nationale et des forces armées,
Monsieur le Président de la Commission des affaires étrangères, de la défense et des
forces armées,
Monsieur le Président du Conseil régional d’Aquitaine,
Mesdames, Messieurs les parlementaires,
Messieurs les officiers généraux,
Mesdames, Messieurs,
En cette année où la France commémore le centenaire du déclenchement de la
première guerre mondiale et le 70ième anniversaire des débarquements en Normandie
et en Provence, le monde est-il beaucoup plus sûr que celui de 1914 ? Où sont passées
ces dividendes de la paix qui nous étaient promises avec la fin de l’affrontement des
blocs… ?. Qui pourrait garantir dans cette salle, où tant d’experts sont réunis, que plus
jamais un conflit de haute intensité nécessitant des engagements massifs d’hommes et
de moyens ne saurait se produire en Europe au moment même où l’Ukraine est
profondément déstabilisée ?
Aujourd’hui, à la guerre froide a succédé une paix chaude.
On assiste depuis une vingtaine d’années à une multiplication des crises et des conflits
en Europe et sur ses marches orientales et méridionales mais aussi au Moyen Orient et
en Afrique avec pour conséquences que nos hommes et matériels sont sollicités
comme jamais.
En Asie on ne compte plus les tensions maritimes et aériennes qui mobilisent et vont
mobiliser les Etats Unis vers le Pacifique. Pourtant malgré cet environnement
stratégique très incertain, on assiste à une baisse régulière des budgets de la défense
en France et en Europe alors que ces budgets augmentent ailleurs notamment en
Chine, en Russie ou en Inde.
Si la LPM votée en 2013 a cherché à maintenir un certain effort de défense dans un
contexte pourtant critique pour les finances publiques nationales, elle n’en constitue
pas moins un seuil en de ça duquel la singularité du modèle français serait à redéfinir.
Cette singularité tient dans la capacité unique en Europe des armées françaises
d’opérer aussi bien de façon quasi-autonome que dans le cadre de coalition
notamment avec l’OTAN.
Je profite de l’occasion qui m’est offerte pour saluer l’action déterminée menée par le
Ministre de la Défense, les chefs d’Etats-Majors, le Délégué Général pour l’armement
et les élus de la Nation pour prévenir la volonté de certains de remettre en cause une
LPM à peine votée.
BORDEAUX & MERIGNAC 2014
61
La sanctuarisation du budget à 31.4G€ comme le Président de la République l’a
encore rappelé lors de la conférence des ambassadeurs, est, en effet, la condition sine
qua non pour que perdure cette exception militaire française ou liberté de décision de
nos instances politiques se combine avec autonomie d’action pour nos armées.
Le respect de l’exécution de la LPM est aussi un impératif, si la France veut conserver
une industrie de défense qui lui garantisse la maîtrise de ses moyens militaires, sans
lesquels, il n’y a pas de réelle souveraineté. Les industriels de la défense, parce qu’ils
sont une industrie de cycle long, ont un impérieux besoin de visibilité, de stabilité
budgétaire et programmatique. C’est pourquoi dans le cadre du CIDEF, ils se sont,
eux aussi, mobilisés pour que les engagements budgétaires soient tenus.
Les industriels concourent aussi très directement au développement économique grâce
à la maîtrise des technologies les plus critiques gage de leur compétitivité, au maintien
d’un emploi stable à forte valeur ajoutée dans les régions et ils contribuent
positivement à notre balance commerciale avec l’export comme cela fut rappelé ce
matin.
Par sa flexibilité, sa versatilité et sa puissance de feu l’aviation de combat est un réel
multiplicateur de forces au profit des armées.
Elle est au cœur de la protection du territoire avec la police du ciel, elle participe, en
parallèle de la composante sous marine, à la crédibilité de la dissuasion, elle est un des
vecteurs de la fonction connaissance- anticipation avec les capacités reconnaissance
de ses avions.
Enfin, l’aviation de combat est devenue indispensable pour que les opérations
terrestres se déploient dans des conditions optimum de sureté pour nos soldats
engagés au sol. Ainsi, le RAFALE a montré toute la redoutable efficacité de sa
polyvalence et son adéquation aux besoins des armées sur tous les théâtres où il fut
engagé de l’Afghanistan à la Libye; du Mali à la Centre-Afrique.Pour reprendre les
mots du Général de Villiers récemment publiés dans la revue DSI, le RAFALE est
donc essentiel dans la colonne vertébrale capacitaire des armées pour aujourd’hui et
pour demain.
Si le RAFALE répond aussi bien à l’ensemble des exigences et des contraintes qui lui
furent imposées cela tient à la formidable accumulation de savoir faire et de
compétences qui est concentrée dans la filière française de l’aéronautique de combat
regroupant les armées, la DGA et les industriels.
Monsieur le Ministre, vous l’avez rappelé à Mérignac en janvier dernier quand vous
étiez venu notifier aux industriels du programme RAFALE les développements F3R
et encore à Istres en juin pour les 70 ans du CEV. Votre soutien a été apprécié par le
personnel d’une filière d’excellence rassemblant autour de Dassault Aviation : Thalès,
Snecma et tout un tissu national de plus de 500 PME-PMI tellement fier de ce qu’il
réalise au profit de nos armées.
Ainsi, en 60 ans, Dassault Aviation a développé 100 prototypes militaires et produit,
ici à Bordeaux, 6000 avions de combat pour 35 pays, et nous continuons d’en soutenir
plus de 1000. L’export du RAFALE est d’ailleurs vital pour l’ensemble de l’équipe
France dont la mobilisation est à cet égard totale.
Avec la modernisation de l’ATL2 que nous réalisons avec Thalès, DCNS et le SIAé,
avec les Falcon 50 de SURMAR et nos projets dans les drones MALE, Dassault
Aviation est également présente dans l’aviation de surveillance.
Cette capacité repose dans notre savoir faire de maître d’œuvre, intégrateur de
systèmes complexes qui est le résultat d’un investissement continue par la France
dans son industrie aéronautique de combat. Les difficultés rencontrées par Lockheed
Martin dans les intégrations systèmes du JSF/F35, dont l’ambition est de faire un
avion « joint » mais avec des budgets sans comparaison avec ceux du RAFALE,
illustrent d’ailleurs à quel point il faut se réjouir de disposer en France de tels savoir
faire.
62
Université d’été de la Défense
Le numérique avec ses nouveaux outils doit nous permettre de préparer cette maîtrise
des grands systèmes futurs comme CATIA l’a permis avec le PLM pour les produits
industriels 3D.
L’avenir de l’aéronautique de combat européen, filière considérée comme stratégique
tant par les Etats Unis que par toutes les Nations qui aspirent à la puissance à l’instar
de la Chine, est à la croisée des chemins. En effet, baisse des budgets européens,
réductions des séries, incertitudes programmatiques, concurrence exacerbée des EtatsUnis qui bénéficiant d’une préférence américaine ont préempté le marché européen
avec le F-35, voilà autant de menaces pour la pérennité de la filière avions de combat.
Notre industrie aéronautique est par essence une industrie duale. La fertilisation
croisée entre le militaire et le civil est majeure dans notre activité. Force est de
constater que si les budgets de la défense ont longtemps soutenu l’acquisition des
technologies et compétences clefs, aujourd’hui ce sont les marchés civils qui
permettent à Airbus, Dassault, Snecma, Thalès et leurs sous-traitants d’avoir la masse
critique.
C’est parce que notre industrie est à la fois civile et militaire que nous pouvons avec
nos partenaires industriels maintenir les emplois principalement sur le territoire
national.
C’est grâce à cette double production que nous arrivons à optimiser nos cycles et nos
coûts face à nos concurrents qui sont nord-américains. Ils bénéficient pour leur
activité civile des retombées des investissements effectués dans la défense, de taux
horaires inférieurs aux nôtres, d’une fiscalité plus avantageuse et d’une parité
eurodollar qui leur est très favorable.
Les Etats Unis cumulent ainsi les avantages : ils sont un pays « High Tech » et ils sont
devenus un pays « Low Cost » ! La baisse toute relative des budgets de défense outreAtlantique a renforcé la mobilisation des américains pour gagner des parts de marché
export. L’Europe est d’ailleurs une cible privilégiée permettant aux Etats Unis de faire
coup double : ils renforcent leur emprise technologique et opérationnelle et
développent l’emploi dans leurs territoires.
Pourtant, je ne crois pas dans la fatalité du déclin. Je suis profondément convaincu
que si la France, fidèle à son rôle moteur en Europe, avec le soutien d’autres pays
européens, a la volonté de rester maître de son destin alors nous saurons relever les
défis et poursuivre cette formidable histoire industrielle qui dure depuis bientôt 100
ans, celle de l’aviation et de l’aviation de combat en particulier.
Le remplacement des flottes aujourd’hui en service ne se fera pas avant 30 ou 40 ans.
Mais la préparation du futur, le développement des nouvelles technologies et des
systèmes de demain doit s’anticiper dès maintenant pour que la France et l’Europe
conservent leur autonomie stratégique. L’industrie française dispose des compétences
nécessaires pour écrire cet avenir.
En décembre 2012, le nEUROn a fait son premier vol dans le ciel européen. Il
poursuit en ce moment même avec succès sa campagne d’essais. En moins de dix ans,
nous avons avec nos cinq partenaires industriels européens réalisé le premier drone de
combat furtif en Europe dans une enveloppe d’un peu plus de 400 millions d’euros là
où les Etats-Unis dépensent dix fois plus. Ce projet est un véritable laboratoire où ont
infusé les technologies stratégiques de l’aviation de combat futur.
Je crois dans des coopérations soutenues par des Etats animés par une ambition
commune, servie par des budgets et qui partagent de mêmes engagements
opérationnels. Dans le domaine des avions de combat, la coopération avec les
britanniques doit s’inscrire dans cette logique. C'est pourquoi je me félicite du
lancement d’une coopération sur le Système de Combat Aérien Futur que vous avez
annoncé Monsieur le Ministre avec votre homologue britannique à Farnborough.
Cette première phase de faisabilité a été confiée à Dassault Aviation, à BAES et leurs
partenaires Thalès, Selex, Snecma et Rolls Royce.
BORDEAUX & MERIGNAC 2014
63
Elle préfigure l’équipe qui demain réalisera des drones de combat complémentaires
des appareils pilotés aujourd’hui en service.
Elle est une étape extrêmement importante dans notre stratégie de préparation du
futur. Elle montre surtout l’ambition de la France et de la Grande Bretagne de rester
des puissances aéronautiques de premier plan. !!
Enfin, dans le domaine des drones MALE, stratégique parce qu’ils concernent le
recueille de l’information et éventuellement le tir d’une arme, il est important que
l’Europe lance des développements. Si l’interopérabilité avec l’OTAN est en effet une
nécessité comme le démontre le RAFALE, cela ne doit pas pour autant être la porte
ouverte à l’américanisation de nos moyens, au-delà de la nécessité de répondre à un
besoin capacitaire temporaire. C’est pourquoi, l’initiative franco allemande d’un
MALE 2020 entre Dassault Aviation et Airbus, que les italiens pourraient également
rejoindre, doit permettre à notre filière de répondre aux besoins des opérationnels. Il
ne faudrait pas que ce domaine soit abandonné aux seuls Etats-Unis et à leur Reaper
qui est au drone ce que le JSF est aux avions de combat : un moyen pour développer
leur industrie et l’emploi associé, étendre leur marché et ce au détriment de nos
industries.
Évolutions du RAFALE et son exportation, lancement du programme francobritannique d’UCAV, projet de drone MALE 2020 armable, modernisation des ATL2,
poursuite des développements des avions de surveillance maritime, développement
des écoles d’entrainement du futur, voici autant de chantiers qui montrent que
l’aviation de combat reste bien au cœur des stratégies de défense et de puissance de la
France et de certains états européens.
La France dispose d’industriels compétents, qui ont toujours tenu leurs engagements
techniques, financiers et calendaires. Elle peut s’appuyer sur une DGA attachée à la
préparation du futur et sur des forces armées dont l’excellence n’’est plus à
démontrer. Cet ensemble cohérent dispose d’une expérience cumulée qui est unique
au monde.
Mais notre activité malgré ses atouts ne sera pérenne sans vision, sans stabilité
budgétaire et engagements programmatiques sur le moyen et long terme. Je me réjouis
de voir que des perspectives se dessinent dans notre secteur tant en franco-britannique
qu’en franco-allemand.
C’est ainsi que les industriels de la défense pourront continuer à être au service des
armées en produisant et soutenant les meilleurs matériels et, plus globalement à celui
de la Nation, en contribuant comme ils le font aujourd’hui à son développement
économique et social à l’instar de ce qui prévaut dans cette région aquitaine qui nous
accueille aujourd’hui.
Depuis les années 30 un écosystème aéronautique et défense s’est développé ici. Ce
pôle a été encore renforcé par la présence de la SIMAD et du CSFA qui font qu’un
grand centre de la maintenance aéronautique est ainsi constitué. L’Aquitaine
concentre un bassin d’emplois à forte valeur ajoutée où l’on trouve des ingénieurs, des
techniciens et compagnons de qualités bénéficiant d’une formation de haut niveau.
Cet éco système s’appuie sur les nombreuses initiatives des élus locaux, de la région à
la CUB, comme en témoigne le salon du soutien et des UAV qui ouvrira ses portes cet
après-midi.
Les Etats européens, s’ils veulent peser sur les affaires du monde, d'un poids
conforme à leur histoire et à leurs ambitions, doivent accepter de consentir les efforts
nécessaires pour soutenir leur défense, tant il est vrai qu'il n'y a pas de diplomatie
crédible qui ne s'appuie sur un outil de défense efficace.
L’aviation de combat peut dans les décennies qui s’annoncent continuer à être un de
ses garants indispensables à l’influence internationale et à la sécurité collective de
l’Europe.
64
Université d’été de la Défense
BORDEAUX – Mardi 9 septembre 2014
Discours
de
Jean-Yves LE DRIAN
Ministre de la Défense
Madame la Présidente, chère Patricia Adam,
Monsieur le Président Carrère,
Monsieur le Chef d’Etat-major des Armées,
Mesdames et Messieurs les parlementaires,
Mesdames et Messieurs les Officiers généraux,
Mesdames et Messieurs, chers amis,
nous nous retrouvons dans un contexte international et stratégique d’une
exceptionnelle gravité. Merci, monsieur, pour vos encouragements à mon égard. Et
pour prolonger nos échanges, je voudrais partager avec vous ma vision de notre
environnement de sécurité et les enseignements que j’en tire pour l’action que j’ai
l’honneur de conduire.
La France, et au-delà l’Europe, sont interpellées aujourd'hui, simultanément, sur trois
fronts d’insécurité majeure, et trois fronts d’insécurité désormais inévitables. Le
premier, c’est le terrorisme djihadiste, celui que j’appelle volontiers le terrorisme
djihadiste de deuxième génération, après la génération de Ben Laden. En Irak et en
Syrie, l’organisation Daech, qui se prétend Etat Islamique, atteint des niveaux de
maîtrise territoriale, d’organisation, de capacité financière et d’équipement encore
jamais vus. Elle a déjà pris le monde à témoin d’actes barbares, au quotidien elle
terrorise des populations entières, elle déstabilise une région déjà très fragilisée, et
ambitionne de constituer un Etat terroriste dans le voisinage de l’Europe. Et plus
largement, la menace djihadiste s’étend, pour ce qui nous concerne, du Pakistan au
Moyen-Orient et au Levant, de la Corne de l’Afrique au Maghreb, de la Libye au
golfe de Guinée, et la question qui est posée est celle de la connexion.
La France prend toute sa part dans la mobilisation internationale qui s’esquisse
désormais car à cette menace globale et multidimensionnelle, nous devons répondre
par une stratégie globale, et c'est tout le sens de l’initiative qui a été lancée par le
Président de la République sous la forme d’une conférence internationale pour
améliorer la coordination de l’action internationale contre l’Etat Islamique. Je dis à la
fois Daech et Etat Islamique, mais il faudrait trouver un mot qui puisse bien identifier
cette organisation terroriste, et ne pas la laisser s’approprier les mots Etat et islamique,
car c’est de l’usurpation et une forme d’injure à l’égard de la religion musulmane. En
tout cas, l’initiative de la conférence internationale est indispensable pour coordonner
l’action à la fois au plan humanitaire, au plan sécuritaire, au plan militaire et au plan
politique. Le Général de Villiers a fait référence à Newport, le sommet de l’Alliance
Atlantique. J’ai été extrêmement frappé au cours de ces deux jours de l’inquiétude
suscitée par ce nouveau terrorisme, y compris chez nos amis et alliés de la région
Asie-Pacifique qui ont souligné combien ils se sentaient eux-mêmes directement
concernés par cette évolution.
BORDEAUX & MERIGNAC 2014
65
Pour leur part, nos armées agissent déjà au plan humanitaire, dans le domaine de la
coopération avec des actions de formation, dans le domaine du renseignement, et ont
contribué à fournir des armements aux groupes qui tentent de résister et qui
combattent en première ligne, en particulier au Kurdistan. Le Président de la
République a annoncé à Newport l’intention de la France d’assumer pleinement ses
responsabilités dans la coalition qui est en train de se mettre en œuvre, et donc nous le
ferons. Cette action sera réalisée à la demande du gouvernement de l’Irak et dans le
cadre des décisions du Conseil de Sécurité, en particulier la résolution 21-70 du 15
août dernier. Mais cette mobilisation contre l’Etat Islamique doit s’inscrire dans une
démarche globale, à la fois au plan de la lutte, mais aussi au plan géopolitique. Cette
action est cohérente avec notre engagement direct au Sahel contre les réseaux d’AlQaïda, avec aussi notre volonté de contenir les groupes terroristes en Libye et en
Tunisie. Cette action est cohérente avec l’opération Barkhane qui a pris la suite de
Serval, et avec notre appui à la lutte contre Boko Haram au Nigeria, mais aussi au
Cameroun, en accord avec tous les Etats de la région. Cette action contre Daech doit
nous conduire à aider les pays les plus menacés. Je pense en particulier à la Jordanie
ou au Liban où, vous le savez, nous avons pris la décision de livrer aux forces armées
libanaises, avec l’appui de l’Arabie Saoudite, des moyens opérationnels
indispensables pour assurer la sécurité du pays.
Le deuxième front que le livre blanc a appelé, sans se tromper au moment de sa
rédaction, les risques de la faiblesse, est celui de la disparition d’Etats, de l’émergence
de plusieurs Etats en faillite. Du fait de l’absence ou de l’extrême faiblesse des
structures étatiques, des régions entières deviennent un terreau favorable aux crises, à
la guerre civile et à tous les trafics. Cette vulnérabilité constitue un risque majeur,
surtout lorsque des mouvements armés s’en emparent, leur capacité d’action étant
encore démultipliée par les moyens technologiques et financiers dont ils peuvent
disposer. Je pense en premier lieu à la République Centrafricaine, où nous avons dû
intervenir en décembre dernier ; je pense à des régions entières du Soudan ou de la
Corne de l’Afrique ; je pense enfin à la Libye. La situation en Libye nous préoccupe
tout particulièrement, et le Président de la République l’a affirmé très clairement à la
Conférence des ambassadeurs et je le redis à mon tour, comme je l’ai dit dans mon
interview ce matin. Nous ne pouvons pas nous permettre d’attendre pour agir. La
situation se dégrade jour après jour, le chaos s’installe, et le menace se précise,
menace pour la stabilité du Sahel, menace pour les pays voisins et certains nous sont
très chers, et je pense en particulier à la Tunisie, menace pour les Européens.
Agir mais agir comment ? Je pense que cette action doit d’abord être globale. L’heure
aujourd'hui est à la mobilisation diplomatique et politique. Laurent Fabius prend les
initiatives nécessaires. A l’Assemblée générale des Nations unies, nous aurons
l’opportunité d’aborder cette question sur l’initiative du Président de la République. Je
me rends tout à l’heure à Milan pour une réunion des 28 ministres de la Défense de
l’Union européenne, qui sera en partie consacrée à ce sujet. Dimanche, je dois me
rendre aux Emirats pour le même sujet. L’heure est à la mobilisation, à l’alerte, et
cette action à venir doit être collective et concertée au premier chef avec les pays
voisins de la Libye, je pense à l’Egypte, à l’Algérie et aux pays du sud libyen.
Le troisième front est celui que le livre blanc a pressenti sous la forme des menaces de
la force. Là encore, l’actualité donne dramatiquement raison à ces analyses. Je pense à
ces régions du monde, l’Asie en particulier, où nous assistons à une montée en
puissance, parfois même exponentielle, des dépenses militaires. Et nous assistons en
même temps à l’attisement des sentiments nationalistes et des tensions territoriales, la
stratégie des neuf traits développée par la Chine. Dans ces régions désormais clés
pour l’économie mondiale, l’affirmation de politiques de puissance susceptibles de
s’affranchir du droit international, c’est le cas des neuf traits, pourrait se révéler
demain catastrophique s’il n’y a pas une prévention des sources de conflit à temps.
Je pense évidemment dans ce troisième front à la situation en Ukraine, à la politique
d’affirmation de puissance de la Russie. L’annexion de la Crimée, la pression directe
à l’est de l’Ukraine, au cœur du continent européen, constituent une rupture par
66
Université d’été de la Défense
rapport aux vingt dernières années. Des décennies de paix, la fin de la guerre froide,
avaient conduit l’Europe à penser que la guerre n’était plus possible sur son territoire
et sur ses abords immédiats, les événements de ces six derniers mois nous ramènent
brutalement en arrière. Et pour la première fois depuis la fin de la Seconde Guerre
mondiale, un pays européen, l’Ukraine, dont la souveraineté était garantie par des
accords internationaux et par des engagements des membres permanents du Conseil
de Sécurité, dont la Russie, vient de perdre une partie de son territoire après usage
illégal et illégitime de la force militaire. Les principes même qui font notre sécurité
collective en Europe sont atteints, et il ne peut y avoir d’ordre international stable si
les grandes puissances, qui ont une responsabilité éminente comme garantes de la
paix, s’affranchissent des règles du jeu et agissent en contradiction avec les principes
qu’elles affirment.
Lors du sommet de Newport, le Président de la République a donc développé la
position de la France, recherche constante des voies de dialogue avec Moscou pour
trouver une solution politique à la crise, mais fermeté face au comportement sur le
terrain et aux oscillations de la situation diplomatique et militaire. A cet égard, il y a
eu conclusion pendant le week-end d’un cessez-le-feu en douze points, d’une feuille
de route qui peut initier un processus politique. Il s’agit d’un premier pas qu’il faut
saluer, mais dont nous connaissons tous la fragilité. Un mécanisme de contrôle a été
mis en place sous l’égide de l’OSCE, la France y prend une part active avec ses
partenaires et nous souhaitons que d’autres avancées puissent intervenir dans le sens
d’un règlement politique de cette crise.
J’en profite pour bien repréciser les choses sur la livraison du Mistral Vladivostok. La
position de la France est simple. Nous avons toujours dit que la question de
l’autorisation de l’exportation se poserait au moment de la livraison. La livraison est
prévue fin octobre, donc la question se posera fin octobre. Il n’y a pour l’instant ni
suspension ni rupture. Le Président de la République a simplement dit que si
d’aventure, à cette date, les conditions étaient les mêmes qu’aujourd'hui, il ne
donnerait pas l’autorisation. Appelez cela avertissement, anticipation, mettez le mot
que vous souhaitez, mais voilà quelle est la réalité des choses, et il était important de
le préciser ici pour qu’il n’y ait aucune ambiguïté. Nous souhaitons les uns et les
autres qu’un processus politique permette d’aboutir à ce que ces mesures ne soient pas
mises en œuvre.
J’ai évoqué les trois fronts, et je voudrais vous dire que ces crises majeures nous
concernent toutes et tous. Ce qui se passe en Ukraine, en Libye, en Irak, en Syrie, au
Sahel, au Nigeria, pour ne s’en tenir qu’à ces fronts-là, met directement en jeu la
sécurité des Français et la sécurité des Européens. Et en cela, ces crises sont un test de
notre capacité commune à répondre aux menaces qui pèsent sur nous. Chacun le
ressent bien, depuis quelques semaines nous avons changé d’échelle dans la nature de
la menace. Le thème de cette université était finalement très bien choisi, agir et réagir.
Il y a un an, la volonté d’action de la France en Syrie dans le contexte de la crise
syrienne se heurtait à des pesanteurs qui ne sont jamais loin de nous, et cet épisode a
fait la tragique démonstration du coût sécuritaire et humanitaire de l’inaction. Nous
mesurons aujourd'hui les conséquences de l’incapacité de la communauté
internationale à agir pour régler la situation dans ce pays et empêcher de nouveaux
massacres. Devant la facilité de l’inaction, la frilosité de certains partenaires, la
conviction que je partage avec le Chef de l’Etat, c'est que la France doit prendre ses
responsabilités en mobilisant ses capacités de défense.
Depuis deux ans, la France a pris ses responsabilités chaque fois que cela s’est avéré
nécessaire, et elle continuera de le faire. Dans ce contexte grave, et inédit à bien des
égards, notre première obligation est de garantir les choix que nous avons faits pour
notre défense en matière de programmation, car ils sont plus cruciaux que jamais.
Chacun voit bien que notre outil de défense est extraordinairement sollicité, et dans
ces moments de tension et d’incertitude, nous avons au moins la satisfaction de
constater que la matrice stratégique du livre blanc était la bonne. Le livre blanc n’avait
pas prédit ce qui se passerait en Irak ou en Ukraine, mais il avait donné le cadre
BORDEAUX & MERIGNAC 2014
67
conceptuel pour appréhender ces bouleversements, si bien qu’aujourd'hui nous ne
sommes pas démunis pour agir ou réagir. Et l’effort du livre blanc se prolonge dans la
Loi de Programmation Militaire qu’il nous faut respecter intégralement. Nous n’avons
les uns et les autres qu’un seul mot d’ordre, la LPM, toute la LPM, rien que la LPM.
Et c’est ce qu’il faut garantir à tout moment. Les choix ont été faits de maintenir la
dissuasion, de faire en sorte que nous ayons la capacité d’interventions extérieures, de
protéger notre territoire national, de ne renoncer à aucune capacité critique, et en
même temps d’affirmer d’autres priorités nouvelles parce que le champ tactique et
stratégique nous l’imposait, comme le renforcement des forces spéciales, la cyberdéfense ou le renseignement, tout cela nécessitant la garantie des engagements
budgétaires. Maintenir ces capacités militaires pour qu’elles soient les premières dans
le monde n’est pas un enjeu de prestige, mais une nécessité vitale et d’urgence pour la
France.
J’ai constaté avec d’autres qu’au sommet de Newport, l’ensemble des membres de
l’Alliance a décidé de faire en sorte que nous puissions tendre vers l’objectif de 2% du
PIB national consacré à l’effort de défense à horizon dix ans et consacrer 20% de
l’effort de défense à la recherche. C’est très bien, nous sommes quasiment au rendezvous et cela conforte les choix de la Loi de Programmation Militaire, mais c'est une
raison supplémentaire d’accroître notre vigilance et notre détermination. Je sais que je
peux compter sur l’ensemble des parlementaires.
Je voudrais dire quelques mots sur l’armée de l’air puisque nous sommes sur les terres
de l’armée de l’air. Je tiens à adresser un salut particulier à nos forces aériennes qui
ont été particulièrement mobilisées sur les récents théâtres d’aviation. La réactivité a
toujours été au rendez-vous. La réorganisation de l’armée de l’air conduite par le
Général Mercier, que je salue, est tournée vers cette capacité à agir et réagir au mieux
et au plus vite. C’est notamment l’enjeu de l’optimisation du MCO aéronautique que
j’ai visité hier soir avec beaucoup d’intérêt. Je souhaite faire une observation
supplémentaire sur l’armée de l’air. Elle célèbre cette année les 50 ans des forces
aériennes stratégiques, et la composante aérienne de la dissuasion nucléaire est parfois
questionnée, voire remise en cause. Je rappelle que le Président de la République a
tranché la question en maintenant les deux composantes, et j’observe que les débats
parlementaires qui ont été mis en œuvre sur l’initiative de la Présidente Patricia Adam
autour de la dissuasion, débats sans précédent et sans tabou, ont confirmé à quel point
la composante aérienne était indispensable. J’évoquais tout à l’heure la préservation
essentielle de notre autonomie stratégique dans le contexte grave que nous traversons.
La crise ukrainienne a montré que nous ne sommes pas à l’abri d’une surprise
stratégique et que la fin de la guerre froide n’a pas fait disparaître des menaces de
conflits interétatiques, y compris en Europe, et notre dissuasion nucléaire dans ces
deux composantes représente toujours la garantie fondamentale de notre souveraineté
et de notre liberté d’appréciation et de décision. Ce coup de chapeau à l’armée de l’air
me permettait de clarifier cette position, s’il en était besoin.
Au terme de cette université d’été, je tiens à remercier les organisateurs de ces
journées, à saluer CEIS, Olivier Darrason pour sa compétence et son savoir-faire,
saluer le Président Alain Rousset, et adresser un coup de chapeau amical à mes deux
présidents de commission préférés, Patricia Adam et Jean-Louis Carrère. Patricia que
je connais depuis longtemps, et Jean-Louis Carrère avec qui j’ai le plaisir de travailler
depuis deux ans dans cette commission très active du Sénat. Je voudrais saluer en lui
un véritable homme politique qui a su, au moment de la Loi de Programmation
Militaire, créer des unanimités sans ambiguïté sur des sujets majeurs. Cheikh Gadio a
rappelé tout à l’heure que parmi les orientations du sommet de l’Elysée en décembre
dernier, celle d’organiser un forum permanent sur la sécurité en Afrique. Avec l’aide
de nos amis sénégalais, et en particulier du Président Macky Sall, nous sommes en
train de concrétiser cette prise de décision et ce premier forum aura lieu à Dakar les
15 et 16 décembre prochain. Nous parlerons de l’avenir de l’Afrique et de la manière
dont ce continent peut assurer sa propre sécurité. Je pense que nous serons toujours au
cœur de l’actualité.
68
Université d’été de la Défense
BORDEAUX – Mardi 9 septembre 2014
Allocution de clôture
de
Jean-Louis CARRERE
Sénateur des Landes,
Président de la Commission des Affaires étrangères,
de la Défense et des Forces armées
Madame la Présidente,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Messieurs les chefs d’état-major et Officiers généraux,
Mesdames et Messieurs,
Quelques mots pour remercier, après Patricia Adam, tout ceux qui ont participer à
l’organisation de cette douzième édition des universités d’été de la défense : la ville et
la communauté urbaine de Bordeaux, le conseil général et le conseil régional – mais
aussi l’Armée de l’Air, la CEIS,, et les industriels si présents dans notre belle
Aquitaine, pour la qualité de leur accueil et de l’organisation.
Je voudrais aussi saluer l’ensemble des participants, notamment les représentants des
pays alliés, de l’OTAN et de l’Union européenne, et ceux de nos partenaires africains.
La dimension internationale est essentielle à nos travaux.
Permettez-moi, en conclusion de partager avec vous la conviction qui a guidé, au
cours de ces trois dernières années, la commission des affaires étrangères, de la
défense et des forces armées du Sénat, dont j’ai eu l’honneur et le bonheur d’assurer
la présidence.
Nous sommes convaincus qu’une des conditions nécessaires au développement de la
démocratie est la capacité pour un Etat de garantir sa sécurité, intérieure et extérieure.
Le Président de la République a rappelé dans son interview au journal « Le Monde »
le 20 août, puis dans son discours d’ouverture de la conférence des ambassadeurs, le
28, la nécessité de disposer d’un outil militaire efficace et, en conséquence, sa
décision de maintenir les crédits de la loi de programmation militaire.
Les mots lorsqu’ils sont prononcés par le chef de l’État, chef des armées ont un sens.
L’actualité devrait ramener ceux qui feignent de ne pas comprendre la réalité. Nous
vivons dans un mode dangereux et notre défense est le garant de notre sécurité.
L’exécution de la LPM demandera des sacrifices, nous le savons, mais l’essentiel est
préservé. Cela a été la ligne directrice et consensuelle de l’action de la commission
pour la préparation des travaux du Livre blanc et lors de l’examen de la LPM, Notre
vigilance est totale dans le contrôle de son exécution. Nous devons nous y tenir, il
serait inacceptable qu’à l’occasion d’un triennum budgétaire ou d’une loi de finances
annuelle de beaux esprits viennent remettre en question cette décision. Je crois
pouvoir dire que nous partageons largement cette conviction avec nos collègues
députés.
La concertation, la démarche consensuelle associant tous les groupes politiques, est
sans doute perfectible, mais elle a été globalement efficace.
Ce débat est clos. Il ne devrait pas être rouvert à chaque occasion.
BORDEAUX & MERIGNAC 2014
69
Dans un contexte international qui s’assombrit cette condition est d’autant plus
nécessaire.
Nos armées et nos industriels ont besoin de visibilité et de se concentrer sur leurs
missions. Notre vigilance et notre réflexion doivent porter désormais sur les réponses
à apporter aux nouvelles menaces, le développement des capacités pour y faire face et,
dès que la situation économique le permettra, sur les moyens de solidifier et de
conforter notre outil de défense. Cela est, demeure et sera, je le souhaite, notre
ambition première.