Agir et Réagir - 14ème Université d`été de la Défense
Transcription
Agir et Réagir - 14ème Université d`été de la Défense
1 BORDEAUX & MERIGNAC 2014 BORDEAUX & MERIGNAC – 8 & 9 septembre 2014 12ème Université d’été de la Commission de la Défense nationale et des Forces armées de l’Assemblée nationale et de la Commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées du Sénat Présidée par Patricia ADAM Présidente de la Commission de la Défense nationale et des Forces armées Députée du Finistère et par Jean-Louis CARRERE Président de la Commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées Sénateur des Landes Agir et Réagir Sous le Haut patronage du Président de la République Monsieur François HOLLANDE En présence de Jean-Yves LE DRIAN Ministre de la Défense 2 Université d’été de la Défense Site de l’Université d’été de la Défense www.universite-defense.org Sur Twitter : @Univ_Defense #UED2014 Contact : [email protected] 3 BORDEAUX & MERIGNAC 2014 BORDEAUX – 8 & 9 septembre 2014 Sommaire Avant propos 4 Dimanche 7 septembre - Discours d’accueil devant les invités étrangers de Patricia ADAM Députée du Finistère, Présidente de la Commission de la Défense nationale et des Forces armées 5 Lundi 8 septembre – Allocution du Général Denis MERCIER, Chef d’Etatmajor de l’armée de l’Air Lundi 8 septembre - Ateliers 13 Cohérence géostratégique et composantes nucléaires Les Centres de commandement et de contrôle (C2), un enjeu stratégique structurant Maintien en conditions opérationnelles, sortir des schémas anciens ? Perspectives de 10 ans d’engagements extérieurs : Afghanistan, Côte d’Ivoire, Libye, Mali, Centrafrique Les atouts stratégiques de la maîtrise de la troisième dimension Lundi 8 septembre - Forums des Rencontres 27 Présentation des conclusions du rapport « La doctrine d'emploi des forces spéciales » Présentation des conclusions du rapport « La problématique régionale du golfe de Guinée et la prévention des conflits » Discussion autour de la Mission d’information sur « le dispositif de soutien aux exportations d’armement » Présentation des conclusions de la mission d’information sur « l’évolution du dispositif militaire en Afrique et le suivi des opérations en cours » Mardi 9 septembre - Petit-déjeuner : Les bénéfices sociaux, économiques et technologiques de nos exportations de défense 38 Mardi 9 septembre - Séance plénière : Sécurité et réassurance aujourd'hui en Europe : quelles perspectives ? 43 Ouverture de la séance plénière par Michel FOUCHER, Expert pour les questions internationales auprès du Président de CEIS Clôture par Eric TRAPPIER, DASSAULT Aviation Président-Directeur général de Discours de Jean-Yves LE DRIAN, ministre de la Défense Mardi 9 septembre - Allocution de clôture de Jean-Louis CARRERE, sénateur des Landes, Président de la Commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées 68 4 Université d’été de la Défense Avant-propos L’Université d’été de la Défense se veut un espace de libre expression et d’échanges décomplexés entre les responsables politiques, militaires, administratifs, industriels, journalistes et experts qui comptent dans le milieu de la défense. Pour atteindre cet objectif de liberté de ton sur des sujets par nature sensibles et confidentiels traditionnellement marqués par des discours convenus, les participants sont expressément invités à appliquer la règle connue sous le nom de « Chatham House rule », qui s’énonce ainsi : « Au cours des différentes réunions tenues sous l’égide de l’Université d’été de la Défense, les participants sont invités à parler librement en tant qu’individu et non comme représentant d’institutions ou d’entreprises. Ils peuvent ainsi exprimer des points de vue personnels aussi critiques soient-ils et formuler des propositions aussi audacieuses soient-t-elles. Aucune utilisation publique nominale des propos ou des discussions n’est autorisée par un des participants quel que soit sa fonction, sans l’autorisation expresse de l’orateur. En cas de violation de cette règle, l’auteur sera exclu des réunions suivantes. » Afin de respecter ce principe, le verbatim de l’Université reprend in extenso les débats des séances « publiques » et respecte l’anonymat des intervenants lorsqu’ils en ont exprimé le vœu. En revanche, les ateliers, plus intimes et confidentiels par nature, sont retranscrits sous forme de synthèse. 5 BORDEAUX & MERIGNAC 2014 BLANQUEFORT – Dimanche 7 septembre 2014 Château Grattequina Discours d’accueil devant les invités étrangers de Patricia ADAM Députée du Finistère, Présidente de la Commission de la Défense nationale et des Forces armées Chers amis étrangers, Permettez-moi de saluer en premier nos homologues présidents de commission en charge des questions de défense. J’aurai un petit mot particulier pour Rory Stewart qui a succédé il y a quelques semaines à James Arbuthnot à la commission de la défense des Communes. Je lui souhaite bienvenue et bonne chance. J’en profite pour dire publiquement toute mon amitié à James et le remercier pour l’excellente coopération que nous avons développée entre nos organismes au cours des années passées. Mais de façon générale, je veux vous remercier, tous, d’être venus, souvent de loin, pour enrichir nos travaux de votre présence, de votre expérience et de votre réflexion. Jean-Louis Carrère et moi sommes tout particulièrement attachés à ce que cette université d’été de la défense qui réunit ceux qui font la défense de la France élargisse autant que faire se peut ses horizons à tous ceux qui nous sont proches, géographiquement ou par les préoccupations partagées. Tous ensembles, ici, vous représentez un espace géographique et politique qui s’étend des îles britanniques à la Roumanie et des rivages de la mer Baltique à l’Afrique subsaharienne. Je n’oublie pas ceux qui nous arrivent même des Etats-Unis ! Mon propos sera bref. J’évoquerai deux idées. La première de ces idées est ce qu’on appelle en France la communauté de défense. Souvent, lorsque je vous visite, lorsque je vous reçois ou lorsque je vous rencontre dans des séminaires internationaux, je remarque une forme d’incrédulité face aux relations qu’entretiennent en France ceux dont la défense est le métier, dans toutes ses dimensions. Comme ces relations sont le cœur et la raison d’être de cette université d’été, je m’y arrête quelques instants. De par son histoire, sa culture mais aussi de par les hasards qui conduisent un homme à la tête d’un pays – je pense au général de Gaulle – la France a acquis de façon assez généralisée la conviction que la puissance militaire était une condition de l’indépendance de sa politique. C’est ce que nous nommons l’autonomie stratégique. Cette conviction a été au fil du temps un motif d’incompréhension avec des pays amis, notamment sur la question du rôle de l’OTAN. Ce temps de l’incompréhension me semble dépassé et je m’en félicite. Mais ce désir d’autonomie stratégique a permis de mobiliser des volontés vers un but commun qui est la construction d’un outil de défense cohérent qui part de la capacité à exprimer un besoin militaire, qui passe par la capacité à fabriquer un matériel qui y réponde et qui se synthétise dans la capacité de nos armées à agir militairement vite, 6 Université d’été de la Défense loin et fort ; à agir et réagir comme le général Mercier aime à le dire. Cette communauté de défense rassemble donc les responsables politiques compétents en matière de défense, qu’il s’agisse des ministres ou des parlementaires – chacun dans son rôle -, les militaires eux-mêmes qui sont par définition le cœur de la défense nationale, les intellectuels qui irriguent notre réflexion sur des questions souvent complexes, les industriels du secteur qui sont une force pour notre pays et qui sont à la pointe des savoir-faire mondiaux dans leur domaine, mais aussi les élus locaux qui s’engagent pour que leur territoire soit un terrain favorable à la perpétuation d’une défense efficace. Je veux vous préciser une chose : lorsque je parle de communauté de défense, je ne parle pas d’un groupe de pression, d’un lobby comme il en existe dans d’autres pays. Je ne parle pas d’un groupe politico-économique qui défendrait un accès privilégié aux crédits publics. Je parle d’hommes et de femmes qui travaillent côte à côte, dans la réalisation d’un objectif commun : assurer à leur pays les moyens de faire face à toute situation grave. Cet objectif, chers amis, me semble pouvoir dépasser le cadre de la France. C’est la seconde idée que je voudrais développer ici. Je considère que mon pays n’est pas en sécurité si l’Europe n’est pas en sécurité. Je considère que mon pays n’est pas en sécurité si l’Allemagne n’est pas en sécurité. Je considère que mon pays n’est pas en sécurité si la Pologne, la Roumanie, La Lettonie ou la Lituanie ne sont pas en sécurité. Je considère aussi que la sécurité de mon pays est menacée par les troubles en Syrie ou par la déstabilisation des pays de la bande sahélo-saharienne. Ce à quoi nous aspirons, Jean-Louis et moi-même, c’est à une double prise de conscience. La prise de conscience que nous avons basculé, sans doute depuis quelque temps déjà, dans une nouvelle époque : une époque de troubles, d’incertitude et de dangers ; y compris en Europe. La prise de conscience aussi que nous n’avons plus le temps d’attendre avant de remonter en puissance. Aujourd’hui, la faiblesse militaire est devenue un facteur de danger pour tous. Il faut inverser la courbe du désarmement unilatéral. Je considère qu’en la matière la France doit montrer l’exemple et je souhaite que la norme des 2 % du PIB soit considérée comme un objectif et non comme un horizon, c’est-à-dire comme une ligne qui s’éloigne à mesure qu’on s’en approche. Je souhaite aussi que l’Union européenne prenne la mesure des défis qui nous attendent et qu’elle comprenne que les budgets de défense ne sont pas simplement des dépenses mais à la fois des moteurs de relance économique – en tout cas lorsqu’on achète européen – et l’assurance-vie de nos peuples. Je me félicite donc de l’arrivée d’un dirigeant polonais à la tête de la commission. Cela devrait aider à une prise de conscience. Il nous faut prioritairement redevenir crédibles en matière de capacités militaires du haut du spectre. Il nous faut sans doute encore accroître notre interopérabilité. En conclusion, je vous dirai un mot sur l’actualité. La France croit en la force des contrats signés. Je fais partie de ceux qui avaient espéré que le président russe prendrait la mesure de ses erreurs et s’engagerait dans un processus de désescalade. Il a choisi au contraire une stratégie de la tension et s’est enfermé dans une montée aux extrêmes. Dans ces conditions, c’est la solidarité entre pays démocratiques face à l’arbitraire qui doit primer. Rappelons-le : les démocraties constituent une famille. Mais ne comptons que sur nous-mêmes pour nous défendre. 7 BORDEAUX & MERIGNAC 2014 MERIGNAC – Lundi 8 septembre 2014 Base aérienne 106 BordeauxMérignac Allocution du Général d’armée Denis MERCIER Chef d’Etat-major de l’armée de l’Air Madame la Présidente de la commission de la Défense et des forces armées de l'assemblée nationale, Monsieur le Président de la commission des Affaires étrangères de la défense et des forces armées du Sénat, Messieurs les Présidents des commissions de la Défense, des pays Européens et des pays Africains, Monsieur le Président de la communauté urbaine de Bordeaux et Maire de Bordeaux, Monsieur le Maire de Mérignac, Madame la Député, Mesdames, Messieurs les parlementaires Monsieur le Général commandant le commandement de la transformation de l'OTAN, Monsieur le Chef d'état-major de la marine Mesdames et Messieurs les élus, Mesdames et Messieurs les Présidents et représentants des grandes industries de la défense, Mesdames et Messieurs cher universitaire Je voudrais vous souhaiter, au nom des armées et du Chef d'état-major des armées qui nous rejoindra cette après-midi, la bienvenue sur la base aérienne 106 « Capitaine Croci » de Bordeaux-Mérignac puisque c'est l'armée de l'air, cette année, qui accueille les universités de la défense. Le choix du site de Bordeaux, n'est pas un hasard. Il répond à une triple logique. La première logique, c'est une région comme cela vient d'être rappelé à l'histoire aéronautique très riche, très forte, très vivante. La deuxième raison, c'est une forte présence justement de la défense ici, et notamment de son aéronautique avec une base aérienne ancienne - la base aérienne dans laquelle vous êtes aujourd'hui avec un détachement air à Beauséjour qui est un atelier de l'armée de l'air – avec un établissement majeur du service industriel de l'aéronautique, avec aussi depuis deux ans une grande partie du service interarmées de maintien en condition opérationnelle du matériel aéronautique de la défense la SIMMAD, et avec comme cela vient d'être rappelé, un état-major qui s'installe ici, qui est issu de la fusion pour l'armée de l'air du commandement des forces aériennes (CFA) et du commandement du soutiens des forces aériennes (CSFA). 8 Université d’été de la Défense Et puis la troisième raison, c'est une concomitance avec le Salon du MCO aéronautique (ADS Show), qui illustre bien - et c’est ce que nous voulions démontrerle lien critique entre le soutien aux forces et les opérations militaires. Car ce sont bien les opérations militaires qui représentent la raison d’être des armées et de l’armée de l’air. C’est le fil conducteur de la présentation qui va vous être faite aujourd’hui. Avant de poursuivre, je voudrais vous montrer un petit film qui est très rapide mais qui illustre un an d’engagement en opérations à la fois intérieures et extérieures de l’armée de l’air. Ce que nous allons vous montrer aujourd’hui c’est bien l’actualité. C’est l’actualité des opérations au travers de nos trois missions que sont la protection, la dissuasion et l’intervention. Et je rajoute s’agissant d’intervention pour l’armée de l’air dans des délais « toujours extrêmement courts », comme ça a été le cas des engagements en Libye en 2011, au Mali et en Centre-Afrique depuis 2013, et en Irak avec l’apport d’aides humanitaires depuis le mois dernier. Toutes opérations déclenchées en moins de 48 heures et sur lesquelles il a fallu être extrêmement réactifs. Et dans tout le spectre des opérations, de la mission humanitaire à la haute intensité. La mission humanitaire, ce sont des aéronefs de transport et des équipages régulièrement sollicités par le centre de crise du ministère des affaires étrangères. Ça a été le cas par exemple, lorsqu’il a fallu aller chercher les ressortissants français au Japon faisant suite à la catastrophe de Fukushima en mars 2011, ou faisant suite au tremblement de terre d'Haïti en janvier 2010, ou depuis août des parachutages de vivres en Irak. Et la haute intensité, ça été le cas de la Libye en 2011, du Mali en 2013, tout comme le raid qui, il y a un an, a failli être effectué en Syrie, et qui visait les unités qui avaient employé des armes chimiques. Raid qui a été arrêté au dernier moment alors que pilotes et navigateurs étaient déjà dans leurs appareils. Cette annulation au dernier moment, comme le déclenchement de l’opération au Mali en quelques heures, après la décision présidentielle illustre le lien toujours plus étroit qui unit le tempo politique aux opérations des armées. Le coeur de compétence de l’armée de l’air est bien là. Cette réactivité et cette aptitude à être engagée ou désengagée jusqu’au dernier moment, et parfois en vol de façon visible ou invisible puisque nous maîtrisons aussi l’espace et nous sommes capable d’établir une situation spatiale en temps réel de façon à être certains de connaître la position des satellites des uns et des autres. Cette réactivité, que nous avons démontrée, et que nous continuons de démontrer au quotidien dans les opérations extérieures, a été structurée par nos deux missions permanentes que sont la dissuasion et la protection. Ces deux missions sont des missions d’excellence absolue, elles ne souffrent pas l’échec et elles ont donné à notre armée, aux armées, une culture du résultat extrêmement forte. Elles sont conduites sans interruption pour l’armée de l’air depuis les années 60 qui ont vu la création du commandement air des forces de défense aérienne (CDAOA) et du commandement des forces aériennes stratégiques (CFAS) puisque nous fêtons 50 ans de dissuasions cette année. Cette permanence opérationnelle a dimensionné nos forces. Elle a dimensionné nos bases aériennes. Elle a dimensionné nos structures d’alertes, nos systèmes de communications, la robustesse de nos centres de commandement et de conduite, et les capacités sur tout le spectre des opérations, qu’elles soient conventionnelles ou non. Elle a dimensionné, et ce n’est pas le moindre, les compétences du personnel qui vole, ou qui met en oeuvre, planifie et conduit les opérations. Un niveau d’excellence qui est éprouvé tous les jours par les événements réels. Ce sont bien des illustrations de ces deux missions permanentes qui aujourd’hui conduit des entraînements réguliers comme nos exercices POKER qui entraînent tous les trimestres nos forces aériennes BORDEAUX & MERIGNAC 2014 9 stratégiques, au travers de missions effectuées de nuit, dans des conditions extrêmement denses, des missions très longues sur lesquelles nous utilisons des systèmes dégradés sans GPS. La défense aérienne qui conditionne aussi la manière dont nous entrainons nos pilotes de façon extrêmement réactive. Récemment encore nous choisissions une alerte de défense aérienne pour effectuer une campagne de tir missile réelle. Le pilote qui a décollé ce jour-là d’Orange ne connaissait pas sa mission, il ne savait pas qu’il allait tirer un missile réel sur une cible d’entraînement. Il l’a découvert en vol et il a effectué ce tir. Ce sont bien ces missions permanentes qui nous permettent d’entrainer au quotidien, de façon extrêmement réaliste, toutes nos forces et ces missions permanentes de défense aérienne, c’était par exemple, le 17 février de cette année, un appareil d'Éthiopian Airlines détourné, arraisonné d’abord, escorté par des chasseurs italiens qui franchissent la frontière française, qui passe sous contrôle du commandement et contrôle des centres français relayés par des chasseurs français, qui ensuite l’escortent jusqu’en Suisse et le surveillent jusqu’à l’atterrissage à Genève, illustrant, soit dit en passant, la coordination transfrontalière extrêmement importante qui existe entre l’Italie, la France et la Suisse. C’est aussi des missions qui concourent à la sauvegarde des populations. Tout le monde a en tête le sauvetage du chalutier aux Anglets dans cette région, dans des conditions extrêmes, qui a permis de sauver plus de 10 personnes alors que la tempête était forte. C’est un triplé le 27 mars de cette année, avec une évacuation sanitaire et deux sauvetages en mer la même nuit à Solenzara par l'unité d'hélicoptères qui y est stationnée. C'était le 4 août 2014, toujours l'escadron d'hélicoptères de Solenzara qui effectue une évacuation sanitaire en mer au profit d'un plaisancier. C'était le 28 août de cette année, une opération de récupération de sauvetage à Embrun, dans les Alpes du sud au profit d'un pilote de planeur qui s'était écrasé. Et pour les Forces aériennes stratégiques, c'est une posture ininterrompue depuis 1964, pour protéger les intérêts vitaux de la France. Puisque nous parlons des forces aériennes stratégiques elles sont également entrées dans l’ère de la mutualisation et la polyvalence : ces appareils, notamment ces Rafale, par leur polyvalence et les ravitailleurs tiennent aussi la permanence de défense aérienne. Bien plus, ce sont ces mêmes équipages, ces mêmes appareils qui sont engagés dans les opérations extérieures, qui l’ont été en Libye qui le sont aujourd'hui dans la bande SahéloSaharienne. C'est donc toute l’armée de l’air qui s’est nourrie de ces missions permanentes, effectuées sur le territoire national pour développer une capacité unique à réaliser des opérations extérieures, dans tout le spectre des engagements sous très court préavis. Ce sont, et j'aime bien le souligner, ces opérations permanentes qui ont toujours et qui continuent de tirer par le haut nos capacités conventionnelles et non pas qui ont un effet d'éviction sur elles comme on pourrait l'entendre, mais qui les tirent par le haut en permanence. Cette réactivité, elle s'inscrit dans notre culture, dans nos matériels mais elle s'inscrit aussi dans nos structures et notamment, dans notre chaîne décisionnelle rôdée par 50 ans de missions permanentes. Parce que nos forces, dans ces différentes missions de dissuasion de protection et d'intervention, sont placées en permanence avec les mêmes moyens, sous différentes subordinations. La défense aérienne, prend ses ordres et rend compte directement au premier ministre. C'est l'exemple de la base aérienne 106 avec un plot hélicoptère pour la permanence opérationnelle de défense aérienne, qui peut décoller sur alerte en quelques minutes et qui embarque des tireurs d'élites du commando parachutiste de l'air numéro 30, stationné ici également, pour les mesures actives de sécurité aérienne. 10 Université d’été de la Défense Les Forces aériennes stratégiques, les équipages que vous allez découvrir tout à l'heure dans l'exposition statique sont placés dans leur emploi directement sous les ordres du Président de la République. Et pour les opérations extérieures (OPEX), cette chaîne est aussi réactive et elle permet au Président de déclencher ou de retenir comme je l'ai démontré une action extérieure conventionnelle, sous les ordres du Chef d’état-major des armées, éventuellement via des structures de commandement de natures différentes, qu’elles soient nationales ou internationales. Nationales comme c'est le cas de BARKHANE au Tchad. Internationales comme c'est le cas de PAMIR en Afghanistan ou de la mission Européenne en République Centre-Africaine. Sans jamais oublier que ces missions bien sur extérieures sont toujours interarmées. Et vous verrez d’ailleurs dans la présentation qui vous sera faite des capacités de nos camarades de la marine nationale et de l’armée de terre. Une évidence s'impose, cette performance, nous la devons à notre personnel, nous la devons à nos capacités, mais nous la devons à une capacité unique que nous avons et que nous continuons d'améliorer et cette capacité unique ce sont nos structures de commandement et de conduite. C'est grâce à ces structures de commandement et de conduite que nous avons dimensionné notre réactivité. C'est cette capacité à acquérir du renseignement et une appréciation de situation de façon autonome, c'est cette capacité à planifier des opérations, à les commander et à les conduire, qui a concentré le savoir-faire auquel vous allez assister. C'est cette capacité à optimiser depuis ses centres de commandement et de conduite des moyens matériels et humains toujours en cohérence avec le tempo de la décision politique. Cette capacité de commandement et de conduite permet la mutualisation de nos appareils. C'est d'ailleurs en Afrique, nos appareils, que ce soient des avions de chasse, des Rafale stationnés au Tchad, que ce soient des drones stationnés au Niger, que ce soient des avions de transport ou de ravitaillement en vol stationnés au Tchad, au Sénégal, en Côte d'ivoire, au Mali et dans plein d'autres pays. Ces moyens sont utilisés sous différentes subordinations, sous différents commandements au profit des opérations (SANGARIS, BARKHANE, SABRE), et de nombreuses autres opérations ponctuelles. Ce sont les mêmes moyens et si nous avons pu avoir cette optimisation, c'est bien parce que nous avons centralisé le commandement et la conduite des opérations aériennes sous commandement du Chef d'état-major des armées, nous l'avons centralisé à Lyon. Et c'est ce qui nous permet aussi de pouvoir opérer depuis le territoire national. Depuis le territoire national, c'était les raids extrêmement réactifs depuis les bases aériennes françaises effectués, sur la Libye, effectués sur le Mali, ou le raid qui a failli être effectué au-dessus de la Syrie. C'était la livraison de matériels humanitaires à l'Irak, c'était les AWACS qui décollaient plusieurs fois par semaine au profit de la réassurance aux abords de l’Ukraine et qui décollent et se reposent sur leur base aérienne d'Avord. Toutes ces opérations concourent avec les mêmes moyens à la réussite de nos opérations extérieures en utilisant certaines bases déployées et en utilisant de plus en plus les bases aériennes de métropole. La clé de ce commandement et de conduite, c'est le Centre National des Opérations Aériennes qui est situé à Lyon et qui comme je l'ai signalé est à la tête de la manoeuvre aérienne pour toutes les opérations effectuées notamment, sur le territoire national et dans la bande Sahélo-Saharienne, dans un concept de « reach back » qui nous permet d'optimiser les moyens humains et des compétences rares que sont ces moyens humains nécessaires à la planification à la conduite d'opérations complexes. C’est pourquoi ce sont ces capacités de commandement et de conduite que nous avons choisi de mettre en avant aujourd'hui, dans cette université d'été. C'est donc la BORDEAUX & MERIGNAC 2014 11 particularité de cette présentation : ce qui va vous être présenté aujourd'hui ce n'est pas une démonstration jouée, c'est la réalité de nos opérations. Ce que vous allez voir aujourd'hui, c'est un centre de commandement et de conduite, et nous allons travailler sans filet. Vous allez suivre la situation instantanée en Afrique depuis Bordeaux, par un déport du Centre National des Opérations Aériennes (CNOA) de Lyon. Vous pourrez voir l’alerte de défense aérienne. Vous allez voir la conduite d'opérations extérieures. Vous pourrez constater la coordination avec le poste de commandement interarmées de théâtre qui est situé à N’Djamena. Vous allez suivre l’engagement réel d’un drone et d'avions de combat pour une mission effectuée audessus du Mali, en vous entretenant tout à l'heure en visio-conférence avec le général Palasset qui commande l’opération BARKHANE. Sur un autre continent, vous allez pouvoir vous entretenir avec le général Lavigne, qui continue de commander la base internationale de Kaboul, un site dont l’activité aérienne annuelle, je le souligne, est équivalente à celle de l’aéroport de Marignane à Marseille. Cette démonstration, je souhaite le souligner, est aussi possible parce que nous avons des gens de l'ombre que nous ne voyons jamais mais qui sont exceptionnels et qui nous permettent la réalisation de ce que je viens de mentionner. Ce sont nos spécialistes des systèmes d’informations et de communications, qu'ils soient de la DIRISI ou du groupement tactique de l'armée de l'air. Ce sont ces spécialistes qui sont capables, en permanence et en temps réel, de relier n'importe quel appareil avec n'importe quelle structure, qu'elle soit au sol ou en mer, et avec des élongations extrêmes. Fort de cette permanence, en conclusion, l'armée de l'air aujourd'hui c'est une défense aérienne, avec une alerte de 4 plots de deux chasseurs en France, des plots avec 5 hélicoptères, des centres de commandement et de conduite toujours en alerte, de jour comme de nuit, un Centre National des Opérations Aériennes, des systèmes d'informations et de communications. Ce sont 3 bases aériennes à vocation nucléaire toujours en alerte avec leur système associé. Ce sont des avions de transports toujours en alerte, des avions capables de faire des évacuations sanitaires - on en a encore prononcé deux cette semaine - qui sont en alerte à une heure jour et nuit, 24h/24h et 7j/7j. Ce sont des gens qui concourent à la sauvegarde, qui comme nos camarades marins font aussi de la sauvegarde maritime aux abords des côtes, ce sont aussi des Rafale dont certains ont été désengagés pour maintenir un plot minimum à N’Djamena, mais qui en moins de 48 heures sont capables de venir renforcer le dispositif présent, etc... L'armée de l'air tire sa réactivité de ce niveau d'alerte. Tout ceci dirigé par un centre unique de commandement et de conduite des opérations. C'est ce personnel que vous allez rencontrer tout à l'heure, avec pour cet enjeu principal de toujours continuer à travailler sur ce niveau de réactivité. Niveau de réactivité qui est rendu également complexe, parce qu’il faut bien remettre en mémoire que ces opérations, sont toujours interarmées, et la plupart du temps internationales. Cette réactivité nécessite que nous ayons du personnel extrêmement bien formé parce qu'il n'est plus temps en quelques heures de leur faire un complément de formation et donc se pose la problématique pour nous de continuer à avoir ce niveau d'entraînement extrêmement fort de tout notre personnel mais de pouvoir continuer à durer sur le théâtre d'opération. C'est ce qui nous a amené, à différencier l'entraînement avec des unités extrêmement réactives et des unités qui vont être entrainées différemment de manière à assurer cette capacité à durer sur les théâtres d'opérations. Vous allez trouver dans vos sacoches, ou vous allez les trouver pour ceux qui ne les ont pas encore vus, un fascicule sur le plan stratégique que l'armée de l'air a développé "Unis Pour Faire Face" qui est aligné bien sûr sur le projet CAP 2020 du CEMA. 12 Université d’été de la Défense Vous y verrez, les principaux projets que nous développons pour rendre cette armée de l'air toujours plus réactive autour notamment de 5 capacités socles que sont le commandement et la conduite, la surveillance et le renseignement, l'intervention immédiate, la projection et la formation. Nous repensons l’organisation de nos bases aériennes de manière à ce qu’elles nous permettent d'avoir ce niveau de réactivité en intégrant une nouvelle donne qui sont les soutiens devenus interarmées, et qui doivent vivre la même vie, la même réactivité que les forces vives. Et bien sûr, nous devons pour ceci disposer d'un personnel spécialiste de très haut niveau, qu'il soit officier ou sous-officier. Si je le mentionne, c'est qu'on ne peut pas juger le nombre d'officiers et de sous-officiers de haut niveau à la seule aune d'un taux d'encadrement théorique, mais bien au travers de la réalisation des missions que nous devons effectuer tous les jours, que ce soit sur le territoire national ou à l'extérieur du territoire national. Je vais vous laisser maintenant à la présentation dynamique qui va être dirigée par le général de corps aérien Jean-Jacques Borel, commandant de la défense aérienne et les opérations aériennes et qui va vous amener à Lyon. Comme je l'ai dit, tout ceci est en temps réel, donc il peut y avoir des imprévus. L'imprévu fait partie de notre métier et c'est cet imprévu qui justifie la devise de l'armée de l'air : UNIS POUR FAIRE FACE ! BORDEAUX & MERIGNAC 2014 13 BORDEAUX – Lundi 8 septembre 2014 Atelier n°1 Cohérence géostratégique et composantes nucléaires co-présidé par Jean-Pierre CHEVENEMENT Sénateur du Territoire-de-Belfort, Vice-Président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées et Charles de la VERPILLIERRE Député de l'Ain Animé par Philippe LEYMARIE journaliste au Monde Diplomatique, animateur du blog Défense en ligne du Monde Diplomatique Les auditions sur la dissuasion organisée à l’initiative de la Commission de la Défense et des Forces Armées de l’Assemblée nationale furent une occasion supplémentaire de rappeler le rôle de la dissuasion nucléaire sur les plans de la défense et de la sécurité de la nation, et de la politique étrangère de la France. La raison d’être de la dissuasion nucléaire est la protection des intérêts vitaux de la France, qu’ils se situent sur son territoire national ou au-delà. Elle offre également au président de la République une liberté de décision et pèse dans les interventions des forces conventionnelles de la France sur les théâtres extérieurs. Alors, malgré ces bénéfices indéniables, et dans un contexte budgétaire difficile, peut-on réduire de nouveau le budget de la dissuasion sans que ne soit engagée sa crédibilité ? S’exprimant dans le cadre de ces auditions, le Général Bentégeat a évoqué plusieurs options pour contenir le coût de la dissuasion nucléaire française : l’abandon de l’une des deux composantes, celui de la permanence à la mer et le ralentissement du programme Simulation. Le concept de dissuasion repose sur deux piliers : une certitude, celle que la France dispose de moyens opérationnels, et une incertitude quant au degré de la réponse qui sera faite face à une menace. Les deux composantes, océanique et aéroportée, et le programme Simulation en sont les moyens. Le programme Simulation concoure à la crédibilité de notre dissuasion. Il permet de valider les formules des têtes nucléaires et assure la pérennité des compétences et savoir-faire français en la matière. Représentant environ 40% du coût des essais nucléaires qui visaient les mêmes objectifs, ce programme participe aux efforts financiers demandés au secteur de la Défense. En complément, la Loi de Programmation Militaire 2014 prévoit d’ores et déjà une réduction de budget de ce programme, actant ainsi son ralentissement. 14 Université d’été de la Défense Sur la question des deux composantes océanique et aéroportée, la force de la dissuasion nucléaire française repose sur leur existence et leur complémentarité. Leurs moyens présentent des degrés de souplesse, de flexibilité et d’intensité différents, offrant une gamme de réponses étendue. Toute réduction de ces composantes limiterait de manière importante cette gamme et faciliterait les défenses adverses, pour un gain financier modeste estimé à quelques centaines de millions d’euros. Les composantes viennent en effet d’être modernisées. Une telle réduction ne serait pas sans conséquence sur les forces conventionnelles dont les capacités sont « tirées vers le haut » par le niveau d’exigence du nucléaire militaire. Ce dernier est également à l’origine d’innovations technologiques dont les applications dépassent le périmètre de la dissuasion et de la défense. Les freins carbone-carbone équipant les aéronefs civils et les générateurs de gaz utilisés pour les airbags illustrent la valorisation qui est faite des technologies conçues et développées pour la dissuasion. Ainsi, alors que les priorités sont l’innovation et l’emploi pour un retour vers la croissance, la dissuasion est l’un des rares secteurs caractérisés par un niveau technologique élevé et un investissement réalisé quasi-exclusivement au profit de l’industrie nationale. Ces programmes ont d’ailleurs contribué à l’émergence et au maintien de champions industriels nationaux. Il n’en demeure pas moins que notre dissuasion demeure fragile sur plusieurs points : le très haut niveau de compétences requis soulève la problématique de leur maintien ; la longueur des cycles, comparables à ceux de l’aéronautique, pose deux questions principales, celle de l’incertitude des menaces qui pèseront sur la France lorsque la prochaine génération de moyens devrait être mise en œuvre mais également celle des moyens dont la France devra disposer. Enfin, la défense n’étant pas du domaine de compétences de l’Union européenne, et la France faisant partie des rares pays pouvant soutenir un tel niveau de crédibilité, point souvent sous-estimé dans le débat national, sa dissuasion est importante pour la sécurité européenne. En conclusion, alors que le Livre Blanc réaffirme son importance dans l’outil de défense et que la LPM vient juste d’être adoptée, la question du budget consacré à la dissuasion nucléaire ne devrait plus faire l’objet de remarques. Elle s’inscrit dans une vision politique en matière de défense et représente un faible investissement en comparaison des moyens conventionnels qu’il faudrait acquérir pour obtenir une puissance équivalente. 15 BORDEAUX & MERIGNAC 2014 BORDEAUX – Lundi 8 septembre 2014 Atelier n°2 Les Centres de commandement et de contrôle (C2), un enjeu stratégique structurant Présidé par Daniel REINER Sénateur de la Meurthe-et-Moselle, Vice-Président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées Animé par Romain ROSSO Grand reporter à L’EXPRESS Les propos introductifs du sénateur Daniel REINER et du Général BOREL, Commandant de la Défense aérienne et des Opérations aériennes (CDAOA) ont permis de replacer le sujet dans son contexte. Ce sujet est d’actualité pour trois raisons majeures. La France dans le Livre blanc de 2013 a réaffirmé son ambition de capacité à « entrer en premier » sur un théâtre d’opérations et son aptitude à être Nation cadre pour une opération interalliées de moyenne ampleur. En matière de capacité de commandement, le contrat opérationnel le plus important est celui consistant à assumer le rôle de Nation cadre d’une opération en coalition de moyenne ampleur selon les critères définis par l’OTAN. Les armées doivent notamment conserver la capacité de mettre sur pied des composantes de composante terrestre, maritime et aérienne du niveau d’un corps d’armée ou équivalent. La réorganisation du dispositif dans la bande sahélo-saharienne avec l’opération Barkhane nous montre qu’il est possible d’imaginer des nouvelles organisations basées sur des logiques différentes de celles mise en œuvre précédemment où le niveau stratégique arrête les objectifs, le niveau opératif contrôle et le niveau tactique conduit. Un équilibre doit ainsi être trouvé dans l’emploi des C2 entre centralisation et décentralisation. Avec l’arrivée des nouvelles technologies de l’information, il est permis d’imaginer des organisations du commandement très décentralisées en conjuguant des centres stratégiques permanents et des centres tactiques déployés de plus en plus légers. Mais leur complexité technique, leur caractère de plus en plus interarmées, leur coût et la nécessité de disposer du personnel apte à leur mise en œuvre et à leur maintien en condition font que le C2 devient une composante qui impose des choix d’autant plus difficiles qu’ils se placent sous une double contrainte budgétaire et de compatibilité de normes entre alliés. Les échanges ont ensuite permis de mettre en lumière les points suivants : 16 Université d’été de la Défense - La capacité à déployer un C2 est non seulement une composante de notre autonomie stratégique mais aussi un atout pour participer à des opérations multinationales. Le choix fait par l’Armée de l’air de commander les opérations aériennes depuis le JFACC (Joint Force Air Component Commander) de Mont-Verdun est un choix qui a pour avantages la réactivité et la capacité à durer. Cette « logique de concentration des moyens à Mont-Verdun » pour les fonctions qui peuvent être assurées depuis la France permet également d’économiser les moyens humains et matériels. Avec cette décentralisation, le commandement tactique change de nature et le dispositif s’inscrit dans la durée. Le point faible du dispositif peut résider dans la vulnérabilité des systèmes de communications. Le choix de l’organisation choisie en matière de C2 dépend essentiellement du temps politico-militaire. La régionalisation en cours du C2 dans la zone sahélo-saharienne via un déplacement à N’Djamena, n’est pas une révolution dans la manière d’envisager le C2, mais une évolution du dispositif. Dans l’opération BERKHANE, la position géographique du PCIAT recule mais son rôle demeure central. Le besoin d’un commandant de théâtre d’opérations au contact est particulièrement important. - D’une manière plus prospective, le travail collaboratif de l’ensemble des composantes (terrestre, aérienne, maritime) pourra être obtenue en créant une « constellation de C2 » disposant de l’appréciation de situation nécessaire pour planifier au niveau requis et d’une manière transverse les missions avec l’ensemble des acteurs concernés. L’outil de combat de demain englobera très certainement l’ensemble des centres de commandement, déployés et en métropole, ainsi que tous les capteurs et effecteurs, interarmées et internationaux. Pour le mettre en œuvre, il faudra concevoir un réseau apte à tirer le meilleur parti de chacune des composantes de ce « système de systèmes », dans lequel les liaisons de données seront la véritable colonne vertébrale. Le futur système de combat doit se construire autour du C2. Le C2, ou plutôt le C4ISR, est le cerveau du système de combat qui doit parfaitement interopérable avec nos alliés. La volonté de transformer le CRR-FR en un état-major de niveau 1 travaillant au niveau opératif répond à un besoin d’interopérabilité. De même, l’interopérabilité avec le F-35, futur avion multirôle américain, qui doit entrer en service en avril 2016 doit être prise en compte au plus tôt. Le choix fait par l’armée de l’Air a été dicté par l’évolution des structures. Il s’agit avant tout de valoriser la structure permanente mais le maintien d’une capacité de commandement déployable est primordial. Les systèmes d’information et de commandement des trois armées migrent progressivement vers un système unique, le système d’information des armées (SIA) qui armera les PC stratégiques et opératifs. Cette transition se fait suivant une démarche incrémentale, dite des « petits pas ». - Pour ne pas tomber dans le « totalitarisme cybernétique » et ne pas effacer des organisations façonnées par l’histoire, il convient toujours de garder à l’esprit que l’homme est et restera au centre du dispositif. Pour atteindre ces objectifs, l’entraînement et la préparation opérationnelle de ces centres de commandement et de contrôle deviennent centraux. L’armée de Terre a créé le centre d’entraînement des postes de commandement (CEPC) à Mailly pour appuyer l’entraînement des étatsmajors tactiques des forces terrestres. L’armée de l’Air a créé le Centre d’Analyse, de Simulation et de Planification des Opérations Aériennes (CASPOA) dédié à la formation de tous les personnels affectés dans les C2 air. La qualité du personnel qui sert dans les centres de commandement et de contrôle est primordiale. Le taux d’encadrement ne doit pas répondre à une logique comptable. En effet, la mise en service de ces équipements BORDEAUX & MERIGNAC 2014 17 nécessite essentiellement des officiers et des sous-officiers et donc un taux d’encadrement élevé qui va à l’encontre des travaux de « dé pyramidage » menés récemment. En effet, la préparation de ces centres de commandement et de contrôle nécessite des compétences et beaucoup de préparation. En conclusion, il a été rappelé que l’organisation du commandement doit être en mesure de s’adapter en permanence aux modifications des composantes de forces déployées, aux évolutions des phases d’un conflit et aux variations des contraintes d’environnement. Cette nécessité d’auto adaptation est une garantie de cohérence et d’efficience opérationnelles d’une chaîne de commandement moderne. 18 Université d’été de la Défense PAU – Lundi 9 septembre 2013 Atelier n°3 Maintien en conditions opérationnelles, sortir des schémas anciens ? Co-présidé par Gilbert ROGER Sénateur de la Seine-Saint-Denis Et Marie RECALDE Députée de la Gironde Animé par Guillaume BELAN Rédacteur en Chef de Forces Opérations Blog Le MCO est la clé de la cohérence capacitaire des armées notamment de l’armée de l’air et de sa réactivité. Il est par conséquent un enjeu stratégique mais aussi économique car partie intégrale du savoir-faire français. Afin de maintenir cette dimension indispensable à la conduite des opérations, des évolutions peuvent être envisagées mais ces évolutions se feront en période de contrainte budgétaire. Au sein de la LPM 2014-2019, la question posée est finalement assez simple : comment faire mieux à budget constant ? L’environnement stratégique est incertain. La France a fait le choix de maintenir un niveau élevé de ses forces armées. Le budget du MCO ne doit ainsi pas être une variable d’ajustement mais présenter une constance, ce qui a présidé au dialogue entre Bercy et les parlementaires sur ce sujet avec un appui constant du ministre de la Défense. Lors de l’élaboration du Livre Blanc pour la Défense et la Sécurité Nationale, est apparu que le budget MCO de la LPM précédente était insuffisant. A titre d’exemple, sur la nouvelle LPM, les crédits d’entretiens programmés prévus ont ainsi connu une hausse de 4%. Le MCO Aéronautique s’établit ainsi à 2Md€. Le MCO Aéronautique concerne aujourd’hui 25 000 personnes. Si des évolutions peuvent à nouveau être recherchées, le domaine n’est pas statique. Des recherches de solutions d’économie sont menées en permanence par les acteurs de la maintenance et de la réparation des aéronefs. Ainsi, des actions menées par Snecma et le SIAé (Service Industriel de l’Aéronautique) ont abouti à des économies de 12M€ sur le moteur M88 équipant le Rafale. Des axes d’amélioration sont néanmoins toujours possibles pour certains domaines : des faiblesses ont ainsi été identifiées dans le domaine de la logistique des retours, à savoir le rapatriement des matériels en panne du théâtre d’opérations vers la métropole. BORDEAUX & MERIGNAC 2014 19 Le MCO Aéronautique est un ensemble complexe mais avec une finalité simple : faire voler les matériels devant permettre de remplir le contrat opérationnel. Le MCO est ainsi un acteur des opérations aériennes. Des RETEX (Retours d’Expérience) ont mis en évidence que certaines capacités étaient davantage sollicitées que d’autres (ex. : l’ATL 2). De même, pour certains matériels, les conditions d’emploi ont changé, certaines spécifications n’ayant pas été arrêtées lors de leur conception mais sont employées différemment aujourd’hui (ex. : Gazelle sur BPC). L’activité opérationnelle tire le MCO, notamment dans le cadre des missions permanentes. Il permet ainsi aux forces de générer 300 000 heures de vol afin que celles-ci soient en mesure de remplir ce contrat opérationnel. Cette nécessité d’assurer le contrat opérationnel implique une recherche de procédures les plus avancées possibles pour assurer la performance du soutien. Pour cela, une logistique de haut niveau est indispensable. Actuellement, cette logistique nécessite encore des convergences. Au contraire les contrats, les achats ou les aspects techniques sont bien traités : ils représentent environ 2Md€ répartis à 50% vers les concepteurs et 50% vers les réparateurs (dont le SIAé). A la lumière de cet ensemble complexe, le MCO n’est plus un service mais une science. Aujourd’hui, le MCO aéronautique concerne 1284 appareils (de 46 types différents appartenant à l’Armée de l’Air, à la Marine Nationale, à l’Armée de Terre, à la DGA, à la Gendarmerie Nationale ainsi que les hélicoptères de la Sécurité Civile voire peut-être demain les aéronefs de la Douane) dont 125 drones, leurs systèmes d’information, leurs matériels d’environnement et la défense sol-air. La moyenne d’âge de la flotte est d’environ 23, 5 années avec une forte hétérogénéité entre aéronefs d’âge et d’emplois très différents : de l’Alouette III et du C-135Fr à l’A400M ou au Rafale en passant par le Hawkeye FR2, le Tigre, l’Atlantique 2, le SDTI (Système de Drone Tactique Intérimaire), l’E-3F ou encore l’EC145 et le CN235. Sur ces 1 284 appareils, environ 200 sont en permanence immobilisé pour chantier MCO. L’âge moyen de la flotte va augmenter au cours de cette LPM, notamment un fort vieillissement des hélicoptères. Pour répondre à ces enjeux, un mouvement de modernisation du MCO aéronautique est engagé par la SIMMAD (Structure Intégrée de Maintien en condition opérationnelle des Matériels Aéronautique de la Défense) par le biais du programme CAP 2016. Ce dernier comporte plusieurs mesures dont : - Le développement de l’expertise du MCO aéronautique (notamment pour permettre une meilleure approche des problèmes récurrents tels que les Pannes Non Constatées ou PNC). - L’amélioration de la fluidité d’un système de reverse logistics (et ainsi permettre d’éviter des pénuries de pièces détachées et de composants comme cela a déjà été le cas notamment sur hélicoptères). - L’accès à la prospective du MCO (évaluer les nouveaux concepts et techniques de soutien pour améliorer le MCO). - L’ingénierie contractuelle, notamment le développement de synergies Etats/Industriels lors de la phase de soutien initial de l’appareil (pour traiter au plus vite les problèmes de jeunesse de nouveaux systèmes d’armes). Ces plateaux Etats/Industriels permettent également de corriger le problème de la surmaintenance. - L’anticipation de l’activité du SIAé avec la mise en place de groupes de travail. Ces derniers sont établis pour la durée de l’actuelle LPM (20142019) et une partie de la suivante afin de caler les exigences contractuelles en fonction des crédits à disposition (les contrats ayant une durée de 8 ans et la LPM, 5 ans, cela permet de mieux caler les contrats en fonction des parcs et de l’activité opérationnelle). - La gestion du patrimoine de l’Etat en fin de vie pour proposer d’autres solutions que le démantèlement. 20 Université d’été de la Défense - La réorganisation interne de la SIMMAD. Ce dernier volet fait partie du processus d’amélioration du MCO et vise à remplacer 40 systèmes d’information par 2 (COMP@S et ATAMS, le tout en lien avec le SIAé), devant permettre, dans une logique d’interarmisation qui permettra à terme d’unifier les processus. La problématique du MCO au final ne touche pas que les forces mais également les industriels qui ont pour mission de concevoir des matériels robustes. Dans le domaine du support, des solutions ont également permis d’améliorer le MCO des appareils. Dans le cadre du contrat de maintenance globale Rafale Care, la mise en place de guichets et de personnels spécialisés de Dassault Aviation sur les bases Rafale a permis d’améliorer les délais des composants échangés et des consommables. Cet échange d’informations entre militaires et industriels permet à ces derniers d’améliorer la visibilité de leur plan de charge tout en donnant une meilleure estimation des coûts futurs. Dans le domaine des améliorations déjà mises en place, le SIAé renforce ses procédures de lean management, à savoir chercher l’amélioration permettant de progresser (pas plus de 15% de demandes ne doivent être classées urgente. Dans le cas de la chaîne de réparation Gazelle, ces procédures ont permis de plafonner les demandes urgentes à 8%. Si les pratiques du domaine civil apparaissent comme des pistes à explorer, de nouvelles opportunités se sont déjà progressivement mises en place. Ainsi l’A400M va permettre de s’affranchir des absences d’interaction entrevues avec le Transall : à savoir aucune interopérabilité entre appareils français et allemands. La mise en place de standards type EMAR (European Military Airworthiness Requirements) 66 va ainsi permettre la mise en place de pool de rechanges, de qualifications initiales des pilotes puis au vol tactique commune (Allemagne, Royaume-Uni, France, etc.). BORDEAUX & MERIGNAC 2014 21 BORDEAUX – Lundi 8 septembre 2014 Atelier n°4 Perspectives de 10 ans d’engagements extérieurs : Afghanistan, Côte d’Ivoire, Libye, Mali, Centrafrique Co-présidé par Jean-Louis CARRERE¸ Sénateur des Landes, Président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées Et Philippe NAUCHE Député de la Corrèze, Vice-Président de la Commission de la Défense nationale et des Forces armées Animé par Thomas HOFNUNG journaliste à Libération Les participants de l’atelier ont principalement échangé sur quatre sujets : la définition et l’analyse de la menace, les objectifs des interventions militaires extérieures, les principales caractéristiques communes des interventions contemporaines et enfin l’évaluation des clés de succès des interventions. L’identification de la menace, notamment future, constitue l’étape préalable indispensable, puisqu’elle définit les possibles interventions à venir, mais aussi du format futur des armées et de leurs matériels. Le développement de la démarche prospective pour identifier, évaluer et prioriser les menaces auxquelles la France et ses partenaires font (et feront) face doit être l’une des priorités. Il s’agit notamment de renforcer les capacités d’anticipation et d’éviter autant que possible l’effet de surprise. Cette démarche est aussi indispensable pour définir le format futur de nos armées. La réflexion sur les menaces, dont certaines figurent aux portes de l’Europe (flanc Est, flanc Sud) devrait, dans la mesure du possible, faire l’objet d’un effort collectif au niveau européen. Toutefois, une réflexion européenne sur les menaces présuppose de définir des intérêts communs. Ceci est avant tout une question politique plus que militaire. La finalité politique de l’intervention et, in fine, la réponse à la question « Pourquoi intervenons-nous ? » doit être évaluée et clarifiée, à défaut de quoi toute l’opération risque d’échouer. En outre, l’estimation de la situation post-crise est un impératif, afin 22 Université d’été de la Défense de ne pas subir une dégradation de l’environnement sécuritaire après la fin des opérations. Ainsi, il est nécessaire de définir une finalité politique à tout engagement extérieur. L’absence de véritable projet politique en Irak ou en Libye a conduit à des situations extrêmement instables, alors que pour l’opération Serval au Mali par exemple, un agenda politique avait été défini, comprenant des élections et des négociations avec les forces séparatistes du Nord du pays. L’intervention française en Centrafrique obéit à cet impératif de projet politique, où un processus de transition que la France accompagne a été mis en place. La réflexion sur l’après-intervention doit être pleinement intégrée à la définition du projet politique. L’intervention militaire initiale est presque toujours un succès majeur, comme l’illustrent l’Irak (2003) ou la Libye (2011), mais après la chute des régimes autoritaires, l’absence d’accompagnement politique ou sa mauvaise gestion menace maintenant ces deux pays d’éclatement. De même, il est légitime de se poser la question de savoir si la non-intervention, in extremis, en Syrie n’a pas été prise justement par l’absence de véritable projet politique post-intervention. Les interventions contemporaines partagent plusieurs caractéristiques similaires, voire communes. Tout d’abord, les crises qui entraînent les interventions sont peu, ou pas prévisibles. Elles se situent dans les zones instables de fracture géopolitique. D’où la nécessité de bénéficier d’une capacité de prospective renforcée comme expliqué cidessus. Ensuite, ces crises exigent une très forte réactivité, tant par les décideurs que par les forces armées, compte tenu de la contraction du temps politique, médiatique et militaire. Une autre caractéristique des interventions contemporaines est l’usage proportionné et précis de la violence, afin d’éviter le plus possible les victimes collatérales. Enfin, elles doivent être conçues dans le cadre d’une approche globale, où le seul volet militaire ne saurait suffire. L’intervention en coalition est préférable, si le temps et l’environnement politique le permettent. De même, certaines constantes peuvent être dégagées que les caractéristiques de l’ennemi. Celui-ci est de plus en plus asymétrique, refusant le combat frontal qu’il sait ne pouvoir remporter. Il se dilue en se fondant dans les populations et en attendant que le rapport des forces lui soit favorable, moment où il procède alors à une concentration des forces pour frapper. Il ne faut toutefois pas croire que le seul ennemi auquel la France sera confrontée se limite au combattant asymétrique. Un affrontement contre un Etat constitué a eu lieu, face à la Libye, et a failli avoir lieu, avec la Syrie. Une autre caractéristique des interventions contemporaines est la nécessité de penser au temps long dès le début de l’engagement, ce qui rejoint en partie le point développé plus haut sur le projet politique et la réflexion post-crise. Les échanges ont enfin porté sur l’identification de plusieurs clés de succès assurant (ou qui permettront d’assurer) aux forces armées françaises la victoire. L’efficacité des opérations est garantie si les forces agissent par surprise. Il est donc indispensable de développer les capacités qui permettront aux forces de conserver un niveau élevé du rythme, du tempo des opérations. Il s’agit ici de laisser l’ennemi dans l’incertitude et le maintenir dans la contrainte. Cela exige donc la nécessité de disposer des capacités suivantes : mobilité stratégique et opérative ; capacités de ciblage précise, rapide et discriminée ; capteurs et récepteurs endurants ; processus de commandement robuste. Il faut donc mener une véritable course à l’innovation tactique pour devancer l’ennemi en permanence. Par ailleurs, le renseignement est indispensable, à la fois pour connaître l’ennemi et pour garantir à la France sa liberté d’appréciation quant à une zone de crise. La qualité du renseignement repose notamment sur la présence de capteurs humains et techniques, ainsi que des systèmes d’information et de communication performants. Enfin, la France dispose aujourd’hui d’une très importante capacité interarmées qui facilite grandement la réactivité des forces. En opération, l’association de forces locales et de moyens non-militaires est l’un des éléments contribuant à la victoire, comme Serval l’a démontré au Mali. Il est en BORDEAUX & MERIGNAC 2014 23 conséquence impératif d’accompagner les Etats dans lesquels les forces françaises interviennent. Dans ces pays en crise, il manque presque toujours le socle étatique et sécuritaire : c’est toute l’architecture du contrôle du territoire et des frontières qu’il faut accompagner. Le partenariat local avec la population des régions où l’on intervient, selon le principe de la concertation, est l’une des clés du succès des opérations contemporaines. Cela ne sera garanti que s’il existe une adéquation entre le format des armées et les capacités budgétaires nationales, en évitant le nivellement par le bas. L’objectif est de progressivement se porter vers les 2 % de PIB dédiés à la défense. Certains estiment qu’il faudrait engager une réflexion sur une possible division des tâches entre alliés et partenaires, la France s’occupant par exemple de la zone sub-saharienne, les anglosaxons du Moyen-Orient. Pour d’autres, il pourrait être nécessaire de prioriser les interventions, la France ne pouvant intervenir partout ni tout le temps. Un autre facteur de réussite des récentes interventions est le processus de décision en France, qui garantit, contrairement à de nombreux autres pays européens, une très grande rapidité d’action. Cela peut toutefois entraîner des difficultés pour former des coalitions, exercice politique souvent long. 24 Université d’été de la Défense BORDEAUX– Lundi 8 septembre 2014 Atelier n°5 Les atouts stratégiques de la maîtrise de la troisième dimension Co-présidé par Jacques GAUTIER Sénateur des Hauts-de-Seine, Vice-Président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées et Christophe GUILLOTEAU Député du Rhône Animé par Emmanuel HUBERDEAU Journaliste défense à AIR & COSMOS Les parlementaires ont noté le rôle primordial joué par les forces aériennes ces dernières années. Ainsi, depuis l’engagement de la France en Afghanistan (2001), ces dernières ont été particulièrement sollicitées pour leur action spécifique, mais aussi au profit des forces terrestres ou en combinaison avec les forces spéciales (FS). Récemment, la complémentarité décisive de ces deux capacités – Air et FS – a été rappelée au Mali (2012) avec l’arrêt réussi de la progression des colonnes jihadistes vers Bamako. De manière plus générale, l’association de ces deux capacités permet de limiter l’empreinte au sol dans les opérations extérieures, tout en maximisant l’effet militaire. Moyens aériens et forces spéciales offrent aussi une grande souplesse dans l’emploi de la force, caractérisée par une réversibilité allant de la neutralisation à la dissuasion tout en permettant un désengagement rapide. Cette souplesse d’emploi de l’arme aérienne est devenue particulièrement attractive pour les décideurs politiques. Elle leur permet de répondre à l’évolution du mode de gouvernance : le délai entre la décision politique et l’action militaire s’est considérablement raccourci ces dernières années. Il faut toutefois prendre garde à ne pas succomber à la facilitée du « First in, first out », car l’intervention militaire n’est jamais une fin en soi. Une sortie de crise ou un désengagement réussi supposent d’avoir identifié au préalable une solution politique. Néanmoins, le besoin de puissance aérienne ne doit pas être envisagé uniquement à l’aune des opérations récentes, trop fortement centrées sur la seule contreinsurrection. Il faut garder à l’esprit que l’arme aérienne peut être amenée à opérer à l’avenir dans un espace dont on lui dénierait l’accès. En effet, sa maîtrise n’est pas un acquis ferme, BORDEAUX & MERIGNAC 2014 25 définitif et global. Dans ce contexte, la maitrise de la troisième dimension devient alors, de fait, indispensable pour garantir le succès des opérations. A l’avenir, voire à court terme, certaines opérations aériennes ou spéciales pourront être menées dans des zones défendues par des moyens aériens mais aussi par des systèmes sol-air. Qu’auraient trouvé nos forces en Syrie si une intervention avait été décidée en septembre 2013 ? Comment répondre d’autre part au développement des armements anti-satellites et au risque qu’ils font courir sur nos capacités dans le domaine du renseignement spatial ? La question du déni d’accès se pose également plus près de nous, dans le cadre de la crise en Ukraine. Comment assurer l’intégrité de l’espace aérien dans ce conflit opposant Kiev à Moscou ? Plus globalement, ce sujet amène à nous interroger sur la réalité de la mise en place du ciel unique européen. Ces quelques questions doivent alerter sur l’adéquation entre nos ambitions politiques et la réalité de nos moyens capacitaires, dans un contexte budgétaire particulièrement contraint pour le ministère de la Défense depuis plusieurs années. En outre y compris dans le ciel de pays amis, comme au Mali, l’utilisation de la troisième dimension exige une capacité à acquérir, analyser et exploiter du renseignement, et à planifier et conduire des opérations aériennes et aéroterrestres particulièrement complexes. Ce dernier point est capital dans le cadre d’opérations se conduisant le plus souvent en coalition, ou à partir et au-dessus d’Etats ne disposant pas des infrastructures et équipements nécessaires. Ces situations nécessitent de pouvoir projeter une capacité de commandement et de contrôle (C2) sur des théâtres extérieurs, ou de pouvoir conduite ces opérations directement depuis la métropole grâce au CNOA de Lyon Mont Verdun et à l’expertise délivrée par le CASPOA à travers ses formations. Parallèlement, dans le cadre des missions permanentes confiées à l’arme aérienne, les moyens de C2 agissent également de façon continue depuis le même centre de gestion du commandement et du contrôle (C2) de Lyon Mont Verdun. Assuré par le CDAOA. Ainsi, la surveillance de l’espace aérien répond à une exigence de sécurité nationale, mais aussi de développement économique dans la mesure où ce contrôle permanent participe à la sécurisation des flux aériens au-dessus du territoire national, qui constituent un véritable espace de richesse et génèrent de nombreux emplois. Cette surveillance de l’armée de l’air est menée au profit et en coordination avec d’autres services de l’Etat tels que les douanes (lutte contre les trafics) ou différents services du ministère de l’Intérieur (protection de sites et suivi de manifestations sensibles) dans le cadre de la posture permanente de sécurité. Outre ce rôle de sentinelle du ciel, l’armée de l’air dispose de moyens d’action en alerte – Rafale, Mirage 2000, hélicoptères – pour assurer des interceptions d’aéronefs de différents types. La maîtrise de la troisième dimension s’étend également au domaine spatial, secteur dont les applications sont devenues indispensables au bon fonctionnement quotidien du pays. Dans ce domaine, la France dispose d’atouts majeurs : Le radar Graves développé par l’ONERA sous contrat de la DGA en est une « brique » essentielle, qui lui permet d’être l’un des rares pays à pouvoir inventorier les objets en orbite. Cette capacité doit être pérennisée, afin que la troisième dimension demeure un espace d’attractivité économique et de portée stratégique. Il convient également de poursuivre les efforts menés dans la cyberdéfense pour garantir l’intégrité des réseaux de communication et des systèmes d’information du pays. Cette question des investissements est ici cruciale. Les efforts budgétaires demandés au ministère de la Défense impliquent qu’à l’avenir, les décideurs politiques priorisent et sélectionnent encore mieux les menaces auxquelles les forces armées doivent répondre. Ils devront également déterminer si les alliances militaires sont devenues la 26 Université d’été de la Défense norme ou si celles-ci doivent rester de circonstance. Les réponses à ces interrogations permettront aux forces armées d’adapter en conséquence leurs outils et organisation. De même, les industriels seront en meilleure posture pour anticiper les besoins à venir et investir dans ce sens. Toutefois, il faut déjà noter certains déficits capacitaires qui doivent constituer une priorité d’investissement. Ainsi, les opérations au Kosovo n’auraient pu se faire sans les avions spécialisées des Etats-Unis pour supprimer la défense aérienne ennemie (SEAD ). Les opérations en Libye ou au Mali n’auraient pu se passer d’un appui de pays alliés dans les domaines du renseignement aéroporté et du ravitaillement en vol. Il existe donc déjà une forme de dépendance à l’égard de moyens « étrangers » dans notre maîtrise de la troisième dimension, au moins pour ce qui est de nos engagements extérieurs. Enfin, dans le domaine industriel, le sujet de la BITD connait une actualité particulièrement importante, incarnée par le choix qui a été fait de rapprocher la France du Royaume-Uni, de l’Allemagne et de l’Italie dans le cadre du projet « One MBDA ». A l’avenir, il faudra certainement envisager d’étendre cette logique à d’autres industriels pour lancer de nouveaux programmes majeurs. Dans le domaine capacitaire comme industriel, il apparait plus que jamais urgent de trancher sur certains fondamentaux : la souveraineté et l’autonomie nationales sontelles « tenables » sur le long terme ? Des abandons capacitaires sont-ils envisageables ? Et quelles en seraient les conséquences sur notre maîtrise de la 3e dimension ? BORDEAUX & MERIGNAC 2014 27 BORDEAUX – Lundi 8 septembre 2014 Forum des Rencontres Présentation des conclusions du rapport « La doctrine d'emploi des forces spéciales » par Daniel REINER Sénateur de la Meurthe-et-Moselle, Vice-Président de la commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées Jacques GAUTIER Sénateur des Hauts-de-Seine, Vice-Président de la commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées et Gérard LARCHER Sénateur des Yvelines, ancien Président du Sénat A partir des dispositions prévues par le Livre Blanc sur la sécurité et la défense (LBSDN) la commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées du Sénat a chargé les sénateurs Daniel REINER, Jacques GAUTIER et Gérard LARCHER de faire le point sur le renforcement des forces spéciales françaises. Leur rapport, disponible sur le site du Sénat (http://senat.fr/notice-rapport/2013/r13-525notice.html), s’interroge sur les raisons de ce renforcement et sur ses modalités et met l’accent sur les mesures d’accompagnement qu’il implique. Mettant un terme au débat sur un prétendu « effet de mode », le Livre blanc de 2013 et la dernière loi de programmation militaire ont prévu de renforcer les forces spéciales. Est ainsi envisagée, entre 2014 et 2019, une augmentation de leurs effectifs, à hauteur de 1 000 hommes, projet dénommé « COS+1000 ». Ce renforcement ne vise pas à pallier la diminution des forces conventionnelles, ni à créer une « quatrième armée » (les forces spéciales représentent à peine plus de 1 % des effectifs des armées françaises). Il s’agit de conforter les forces spéciales dans la mesure où elles s’inscrivent dans une complémentarité avec les forces conventionnelles. Surtout, l’action spéciale apparaît particulièrement adaptée aux menaces non étatiques (terrorisme, trafics en tous genres…) qui prolifèrent aujourd’hui et qui constitueront très vraisemblablement une part significative des engagement des dix prochaines années. 28 Université d’été de la Défense Or, du fait de leur sous-effectif actuel (inférieur d’environ 180 hommes à l’effectif théorique) et de la montée en puissance de leurs missions (Afghanistan, Sahel, Mali…), les forces spéciales sont aujourd’hui sous tension et ont besoin de renfort. Le renforcement des forces spéciales ne saurait cependant consister uniquement en une augmentation des effectifs. Celle-ci, nécessaire, sera difficile, en particulier en raison de la réduction du format des forces conventionnelles, qui en constituent le vivier. Compte tenu des difficultés, soulignées par les responsables militaires, d’atteindre l’objectif du COS+1000, le rapport sénatorial appelle l’exécutif à une réflexion sur l’articulation des forces spéciales et forces clandestines comme l’y incite du reste le Livre Blanc qui souligne la nécessité d’approfondir leur coopération. En outre, le renforcement doit aussi concerner les équipements, l’action des forces spéciales devant pouvoir s’appuyer sur du matériel de pointe, adapté aux différents théâtres d’opérations. Mener à bien cet objectif suppose de rénover les procédures d’acquisition, qui devraient être simplifiées et raccourcies. Le rapport s’interroge également sur les mesures d’accompagnement nécessaires à ce renforcement. La question se pose, tout d’abord, de l’opportunité de doter les forces spéciales d’une doctrine d’emploi, dont elles sont jusqu’à présent dépourvues du fait des caractéristiques mêmes de leur action, par nature imprévisible et se prêtant mal à toute formalisation (leur devise étant « agir autrement »). Alors que l’OTAN a récemment défini sa propre doctrine et que les Etats-Unis sont en train d’élaborer la leur, l’étatmajor des forces spéciales a finalement décidé d’élaborer une doctrine définissant les caractéristiques et les missions des forces spéciales. L’évolution des opérations menées par les forces et le contexte dans lequel elles s’inscrivent conduisent à s’interroger sur le cadre juridique applicable : Le rapport examine la possibilité d’un régime juridique spécifique,mieux adapté à leurs missions et plus protecteur pour les personnels engagés que le droit commun ? Il est également nécessaire d’optimiser le recrutement, la formation et la carrière des forces spéciales. Actuellement, chacune des trois armées assure le recrutement, la formation et l’entraînement de ses commandos. Il serait souhaitable de mutualiser une partie de la sélection initiale, de même que certains modules de formation et une partie des entraînements afin de garantir leur parfaite interopérabilité. Il faudrait également structurer et valoriser davantage les carrières dans les forces spéciales. En outre, le rapport met l’accent sur l’anticipation stratégique et le renseignement. Il s’agirait de mettre à profit, dans les domaines ou les zones concernés, la connaissance qu’ont les forces spéciales de l’environnement, leur capacité à identifier les menaces et les synergies possibles avec les forces alliées. Enfin, les auteurs du rapport en appellent à un renforcement de la coopération internationale, que ce soit avec l’OTAN, les forces américaines ainsi qu’avec les forces spéciales des autres Etats européens. 29 BORDEAUX & MERIGNAC 2014 BORDEAUX – Lundi 8 septembre 2014 Forum des Rencontres Présentation des conclusions du rapport « La problématique régionale du golfe de Guinée et la prévention des conflits » par Jeanny LORGEOUX Sénateur de Loir-et-Cher Et André TRILLARD Sénateur de la Loire-Atlantique, secrétaire de la Commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées 1. LE GOLFE DE GUINÉE : UNE RÉGION STRATÉGIQUE La région dispose de ressources pétrolières et gazières substantielles, devenues stratégiques à partir des années 80 avec la nécessité de diversifier et d’augmenter la production mondiale : le Nigeria représente ainsi 2,5 % des ressources prouvées en pétrole et en gaz dans le monde ; l’Angola et le Nigeria, qui se disputent la place de premier producteur en Afrique, produisaient respectivement 2,3 % et 2,6 % du pétrole mondial en 2012 (un peu de moins de 2 millions de barils par jour chacun). Les compagnies internationales investissent fortement dans la région, notamment dans des forages off-shore. En 2011, les pays du Golfe de Guinée assuraient environ 12,5 % des importations françaises de pétrole. Près de 10 % du pétrole importé en Europe provient de la région. Outre ces ressources en hydrocarbures, la région dispose de ressources halieutiques importantes, qui constituent un enjeu tant pour les populations locales qu’en termes de produits d’exportation. D’autres ressources minérales sont extraites dans la région ou dans des pays voisins mais doivent transiter par le Golfe de Guinée pour être exportées : minerai de fer, diamant, manganèse, bauxite, cobalt, bois, cacao ou uranium... C’est pourquoi la sécurisation des sources et des voies de communication et d’approvisionnement constituent un intérêt stratégique mondial. 2. DE MULTIPLES MENACES QUI ENTRAÎNENT UNE FORTE INSÉCURITÉ La criminalité maritime : d’un phénomène de subsistance relativement localisé au développement de trafics organisés à l’échelle mondiale ? 30 Université d’été de la Défense Le Golfe de Guinée fait face à une piraterie endémique et violente. S’il est difficile d’établir des statistiques en raison de l’absence de recensement précis par les Etats et d’une sous-déclaration par les victimes, on estime que le nombre d’attaques de brigandage et de piraterie, stable depuis 2010, s’est élevé à 140-150 par an en moyenne entre 2011 et 2013. L’Union européenne recense de son côté environ 550 attaques ou tentatives au cours de la dernière décennie. Ces attaques ont principalement lieu lorsque les navires sont amarrés, lorsqu’ils se dirigent vers des platesformes ou des navires de stockage ou lorsqu’ils quittent les installations avec leur cargaison. Les pirates cherchent alors à s’approprier le pétrole transporté, souvent en le transférant sur un autre tanker et en revendant la marchandise illégalement par la suite. Les attaques concernent aussi les bâtiments convoient des travailleurs vers les sites d’extraction. Au Nigeria, les pertes ont été estimées à environ 100 000 barils de pétrole par jour, soit 5 % de la production officielle. L’épicentre de la piraterie dans le Golfe de Guinée se situe au Nigeria mais elle s’est étendue à d’autres pays et constitue dorénavant une menace régionale, alors même que les politiques maritimes des Etats concernés sont souvent très limitées ou embryonnaires. L’installation d’une piraterie endémique résulte de différents facteurs : pauvreté et chômage des populations ; inégale répartition des richesses ; querelles territoriales ou communautaires ; faible intérêt des autorités à endiguer le phénomène qui s’installe alors comme un élément d’équilibre des ressources ; etc… La pêche illicite constitue un autre aspect de la criminalité maritime : alors que l’exploitation durable des ressources halieutiques est essentielle, notamment dans les pays ne disposant pas de ressources en hydrocarbures, la pêche non déclarée et non régulée réduit les recettes des Etats et constitue une menace environnementale et économique. Au-delà des actes « classiques » de criminalité maritime, des trafics d’une toute autre ampleur se sont développés ces dernières années : le narcotrafic en provenance d’Amérique du Sud et à destination de l’Europe, qui transite principalement par le Nord du Golfe de Guinée (Guinée-Buissau, Sierra Léone…) mais également plus au Sud (Ghana, Bénin, Togo ou Nigeria) ; les trafics d’êtres humains ; les trafics d’armes… La situation particulière du Nigeria : quel impact, sur la sécurité régionale, des forces centrifuges qui traversent le pays ? Doté d’un potentiel humain et économique considérable, le Nigeria a les ambitions d’un « grand émergent » : 170 millions d’habitants ; une croissance moyenne de 7 % par an depuis dix ans. Cette croissance repose de moins en moins sur le secteur des hydrocarbures qui ne représente plus que 14 % du PIB, soit vingt points de moins en dix ans. Pour autant, les revenus issus de ce secteur représentent encore 80 % du budget de l’Etat. Une classe moyenne apparait mais une grande partie de la population reste à un niveau de pauvreté inquiétant et les déséquilibres socio-économiques et géographiques perdurent. Le pays fait face à de vives tensions : la persistance de la crise dans le delta du Niger malgré l’amnistie déclarée en 2009 ; l’explosion des violences liées à Boko Haram et au terrorisme islamiste qui trouve ses racines au plan religieux, économique, social et politique. Ces forces centrifuges dépassent le cadre national, tant en mer que sur terre. 3. UN DÉBUT DE RÉPONSE RÉGIONALE ET INTERNATIONALE La France déploie depuis 1990 un dispositif naval quasi-permanent dans le Golfe de Guinée (Corymbe) dont les missions sont variées : soutien aux forces françaises prépositionnées, renseignement maritime, opérations de lutte contre les trafics, mais aussi formation des marines des Etats partenaires et soutien à la coopération. Cette opération, certes exigeante en termes budgétaires et opérationnels, est pourtant BORDEAUX & MERIGNAC 2014 31 essentielle pour dissuader et lutter contre les trafics et la criminalité, donc pour prévenir les conflits. Le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté en 2011 et 2012 deux résolutions sur les actes de piraterie et les vols à main armée.Les deux principales organisations régionales (CEDEAO et CEEAC) ont lancé des actions spécifiques. Un Sommet des Chefs d’Etat de la région s’est tenu Yaoundé en juin 2013 et a adopté plusieurs décisions. Le Conseil de l’Union européenne a adopté en mars 2014 une stratégie sur le Golfe de Guinée. Alors que les tensions dans le Golfe de Guinée s’amplifient tout en se diversifiant, la commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat souhaite évaluer le rôle des acteurs internationaux et de la coopération entre les Etats concernés dans la prévention des conflits et dans la stabilité régionale. Quel bilan peut-on tirer de l’opération Corymbe ? Quelle est la portée des mécanismes onusiens, européens ou régionaux, en particulier dans la lutte contre la piraterie ? Comment les améliorer pour prévenir les conflits et éviter l’apparition d’une crise ? 32 Université d’été de la Défense BORDEAUX – Lundi 8 septembre 2014 Forum des Rencontres Discussion autour de la Mission d’information sur « le dispositif de soutien aux exportations d’armement » par Nathalie CHABANNE député des Pyrénées-Atlantiques, secrétaire de la commission de la Défense nationale et des Forces armées Et Yves FOULON Député de la Gironde Rapporteurs L’intérêt, pour notre pays, de disposer d’une base industrielle et technologique de défense (BITD) dont la qualité des productions est internationalement reconnue est manifeste. Elle permet d’assurer l’approvisionnement de nos forces armées en matériels performants nécessaires à la mise en œuvre de nos priorités stratégiques ; elle participe de notre souveraineté et confère un degré d’autonomie politique et stratégique inestimable en évitant, autant que possible, le recours à des productions extranationales ; elle est une condition essentielle du succès des opérations engagées par notre pays ; elle permet la diffusion, dans le domaine civil, de technologies et de savoir-faire susceptibles d’irriguer des secteurs porteurs de croissance (aéronautique, espace, NTIC, etc.) et, in fine, l’ensemble de l’économie nationale. En plus d’être un élément clé du développement économique de notre pays – sur les 16 milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel réalisés par les industries de défense, un tiers provient de l’export –, les exportations d’armement constituent un volet important de notre politique extérieure de sécurité et de défense et permettent de renforcer les relations militaires, politiques et économiques que la France entretient avec les autres États. Pour l’ensemble de ces raisons, l’existence d’un dispositif de soutien public aux exportations d’armement est parfaitement légitime. La France dispose d’atouts certains dans ce domaine puisque dans un contexte d’intensification de la concurrence, elle demeure l’un des cinq principaux exportateurs mondiaux de matériels de défense avec des prises de commandes qui se sont élevées à 6,3 milliards d’euros en 2013, soit une croissance d’environ 30 % par rapport à 2012. BORDEAUX & MERIGNAC 2014 33 Notre BITD fait face aujourd’hui à deux réalités opposées. D’un part, l’impératif de maîtrise de la dépense publique se traduit, au niveau européen, par des phénomènes conjoints de raréfaction budgétaire et de contraction des marchés de défense. D’autre part, et pour la première fois depuis 2009, les dépenses militaires mondiales vont renouer avec la croissance en 2014. Dès lors les exportations constituent un relais indispensable à la demande domestique en réduisant la dépendance des entreprises à l’évolution des commandes de l’État. En outre, les perspectives à l’export de certains matériels conditionnent indirectement l’équilibre financier de la LPM 2014-2019. C’est donc fort justement que celle-ci a consacré le soutien aux industries de défense en tant que volet majeur de la politique industrielle du Gouvernement. Dans ce contexte, la mission d’information s’attachera à dresser un panorama des différentes formes de soutien aux exportations d’armement – politique, administratif, technique, diplomatique, commercial, financier, etc. –, à les évaluer et, le cas échéant, à proposer des pistes d’amélioration, y compris en s’appuyant sur les expériences étrangères. Ses membres demeurent toutefois conscients de deux faits irréductibles, qui contraignent naturellement l’adaptation du mécanisme : d’une part, les produits de défense ne sont pas des produits comme les autres commercialisables selon les règles de droit commun ; d’autre part, les matériels conçus par les industriels doivent avant tout permettre à nos armées d’honorer leurs contrats opérationnels conformément aux priorités stratégiques de notre pays. Il convient donc de déterminer l’équilibre optimal permettant de concilier des impératifs potentiellement contradictoires. Conciliation entre le principe général de prohibition de fabrication et de commerce de matériels de guerre auquel notre pays est attaché et nos impératifs diplomatiques, sécuritaires et commerciaux. Conciliation également, en matière de conception des matériels, entre les spécifications techniques exigées par nos armées compte tenu des missions qui leur sont assignées et les besoins propres des clients potentiels. 34 Université d’été de la Défense BORDEAUX – Lundi 8 septembre 2014 Forum des Rencontres Présentation des conclusions de la mission d’information sur « l’évolution du dispositif militaire en Afrique et le suivi des opérations en cours » par Gwendal ROUILLARD député du Morbihan, secrétaire de la commission de la Défense nationale et des Forces armées Et Yves FROMION député du Cher Rapporteurs Le rapport s’est attaché à mener une étude approfondie du vaste champ confié par la commission et, concernant la grande manoeuvre de restructuration, cet exercice de contrôle parlementaire a été mené pratiquement « en temps réel », les décisions n’ayant alors pas été encore définitivement arbitrées. La mission s’est rendue dans les pays d’Afrique où notre empreinte militaire est significative : le Niger, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, le Mali, le Sénégal, le Gabon, la République centrafricaine, le Tchad, ainsi que les Émirats arabes unis, où notre base fonctionne en quelque sorte « en vases communicants » avec la dernière destination d’étude : Djibouti. Les rapporteurs se sont aussi intéressés à deux autres aspects de la présence française au sens large. D’une part, les retombées économiques de notre engagement militaire et, d’autre part, notre rayonnement global, c’est-à-dire l’ensemble des moyens d’influence par lesquels on peut faire en sorte qu’aujourd’hui encore et demain peutêtre, la voix de la France, en Afrique, continue à porter un peu plus haut que celle d’autres puissances qui lorgnent sur les richesses et les intérêts stratégiques de ce continent. Concernant le suivi de l’opération Serval, si la première phase a indéniablement constitué un succès, la situation, aujourd’hui, est loin d’être stabilisée, et la « déconvenue » des forces maliennes dans le Nord au mois de mai dernier suffit à le prouver. Notre force reste engagée sur la voie d’un désengagement partiel, se concentrant sur le haut du spectre des opérations. Pour ce faire, elle est recentrée sur BORDEAUX & MERIGNAC 2014 35 Gao et son fonctionnement repose sur ce qu’il n’est pas exagéré d’appeler un « exploit logistique de tous les jours ». Nous avons encore 1 800 hommes au Mali et les enjeux sont à la fois le passage de relais à des acteurs internationaux ainsi que la reprise et la réussite du dialogue entre Maliens. Sangaris en RCA a également fait l’objet d’une attention particulière. Si l’intervention française a porté des coups sérieux aux ex-Séléka, sur le terrain la force Sangaris a fait au mieux avec ce qu’elle avait : 2 000 hommes et peu d’appuis. L’armée centrafricaine n’est plus qu’une virtualité et il n’y a plus d’État hors de Bangui. Quant à l’Europe, il a fallu six tours de génération de force pour constituer à peu près une mission de 800 personnels, dont la moitié est fournie soit par la France, soit par des États qui ne sont pas membres de l’UE… Reste la MISCA, mais là aussi, il faut être lucide : ses forces manquent cruellement de moyens et le rôle ambigu du Tchad n’a rien facilité. Il est donc beaucoup attendu du déploiement, le 15 septembre, de la MINUSCA, qui aura également une composante civile chargée d’appuyer la reconstruction d’un État viable. Là encore, comme au Mali, le scénario de sortie d’OPEX mérite d’être précisé. Il ne suffit donc pas d’intervenir ponctuellement. Encore faut-il le faire assez tôt pour que la situation ne soit pas devenue inextricable, et encore faut-il en assurer le « service après-vente », c’est-à-dire passer de l’intervention à l’action de stabilisation, puis passer de la stabilisation à la normalisation. L’Union européenne, dans le cadre de son « approche globale » devrait être en première ligne sur ce plan, d’autant que s’agissant de trafics de drogue, de migrations clandestines, de trafics d’armes ou de sanctuaires djihadistes, ce qui menace la France menace l’Europe entière. S’agissant de l’évolution de notre dispositif militaire en Afrique, il convient de rappeler qu’aujourd’hui nous avons environ 7500 personnels prépositionnés à titre permanent, sous un statut ou sous un autre en Afrique et autour de l’Afrique. Il faut prendre quelques précautions et ne pas additionner les 1 800 hommes de Serval et les 2 000 de Sangaris : ces opérations sont appelées à rester ponctuelles, du moins dans leur forme actuelle. La stabilisation de la bande sahélo-saharienne n’étant manifestement pas pour demain, il est prévu de « régionaliser » le dispositif militaire dans cette zone, en centralisant au Tchad le commandement des forces déployées à Gao, Niamey,N’Djamena et leurs bases « satellites » de Tessalit,Abéché et Faya-Largeau, tout en contenant l’effectif de ce dispositif à 3 000 hommes. Cette mutation est cohérente avec le caractère transfrontalier de la menace. Le second volet de la réorganisation en cours concerne les forces prépositionnées, pour lesquelles le Livre blanc et de la LPM ont prévu d’importants changements, dont l’objectif principal est d’ordre budgétaire, l’idée étant de ramener de 3 800 à 3 300 les effectifs des forces de présence – Dakar, Libreville, Djibouti, Abou-Dhabi. Par ailleurs, la situation politique de la Côte d’Ivoire offre une opportunité de pérenniser notre implantation et de profiter des grandes potentialités d’Abidjan, en y transférant de Libreville notre base opérationnelle avancée ouest-africaine. Compte tenu de ces contraintes, le problème est alors de trouver le dispositif le plus cohérent. Pour les rapporteurs, celui envisagé l’était à une grande exception près : Djibouti, où il était envisagé de supprimer 1 000 postes, ce qui ne peut qu’avoir des conséquences majeures sur l’exécution des missions assignées. C’est pourquoi les rapporteurs ont proposé, partant d’une analyse des besoins et des enjeux de sécurité de la zone, de maintenir un minimum de 1 300 hommes sur place pour rester crédibles sur ce point stratégique de premier ordre, vers lequel se ruent bien d’autres puissances. 36 Université d’été de la Défense LATRESNE – Lundi 8 septembre 2014 Allocution de Jean-Louis CARRERE Sénateur des Landes, Président de la Commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées Monsieur le Ministre, Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs les Parlementaires, Monsieur le Président du conseil régional (à compléter si autres personnalités locales) Messieurs les chefs d’état-major et Officiers généraux, Mesdames et Messieurs, Pour la deuxième année consécutive, les Universités d’été de la défense se réunissent en Aquitaine, l’année dernière à Pau avec l’Armée de Terre, cette année à Bordeaux avec l’Armée de l’Air. C’est bien la preuve, et le président Alain Rousset en a fait la démonstration, que l’Aquitaine est, de longue date et pour longtemps je l’espère, une terre d’accueil, tout à la fois pour les unités militaires, pour les centres de recherche et d’essais et pour les entreprises de défense. Je crois pouvoir dire que nous avons atteint dans la région, et sans forfanterie, un niveau d’excellence et de professionnalisme, que d’autres nous envient. Vous aurez l’occasion de vous en rendre compte en visitant, demain après-midi des centres de recherche comme le laser-mégajoule, ou les sites industriels de Dassault et de SafranHeraklès ou encore le salon ADS-UAV comme nous venons de le faire avec le ministre. C’est le fruit d’une culture, mais aussi d’un investissement important des collectivités territoriales pour accueillir ces unités et ces entreprises, pour mettre à leur disposition une main d’œuvre hautement qualifiée et un environnement de travail approprié et performant. Nous devons leur rendre hommage pour cette constance et cette détermination. Mais c’est un investissement bien compris qui se traduit par la vitalité du tissu industriel de très nombreuses PME, par des emplois hautement qualifiés et stables, par des retombées économiques et fiscales. Cet exemple témoigne de l’importance du secteur de la défense dans l’économie française. Ce secteur, je le rappelle, représente plus de 15 milliards d’euros de chiffre d’affaires, dont un gros tiers réalisé à l’export puisque les prises de commande ont atteint 6,87 milliards d’euros en 2013. Il fait vivre 165 000 salariés. Si la préservation d’un outil de défense efficace pour assurer notre sécurité extérieure, notre autonomie de décision et d’action et notre rang sur la scène internationale, est une nécessité en elle-même, il est important de souligner, notamment auprès de nos concitoyens qui sont sensibles aux retombées économiques et sociales, la place des industries de défense et tout l’intérêt de maintenir à un niveau élevé nos commandes d’équipements et de services. C’est même devenu un enjeu stratégique car le niveau de commande publique est aussi un moyen de conserver sur notre territoire, pour des BORDEAUX & MERIGNAC 2014 37 raisons de sécurité, une grande partie de la production et surtout les centres de recherche et de développement des industries de défense, alors même que la concurrence apparaît dans les pays émergents et que ceux-ci deviennent les principaux acheteurs sur le marché. Il faut donc éviter que les budgets d’équipement servent de variables d’ajustement dans l’exécution des lois de programmation militaire. Vous comprendrez aisément qu’en nous battant pour préserver les ressources de la loi de programmation militaire, nous nous battons pour notre sécurité, mais aussi pour l’emploi industriel et pour le secteur de la recherche en France et en Europe, sans compter les développements technologiques dérivés qui accroissent la performance de nos industries civiles dans beaucoup de secteurs. Ceci est d’autant plus important que la soutenabilité à long terme de notre effort de défense, dans un contexte international plus incertain et d’une certaine manière plus dangereux, repose sur la restauration de nos capacités économiques et financières. Voilà le message que je souhaitai vous transmettre dans ce mot d’accueil, alors que nous en sommes à la mi-temps de cette douzième édition des Universités d’été de la défense, en vous souhaitant des échanges fructueux et en vous remerciant pour votre présence et votre participation active. 38 Université d’été de la Défense BORDEAUX – Mardi 9 septembre 2014 Petit-déjeuner Les bénéfices sociaux, économiques et technologiques de nos exportations de défense Jean-Yves LE DRIAN Ministre de la Défense En présence de Alain ROUSSET Député de la Gironde, Président du Conseil régional d’Aquitaine Marwan LAHOUD x Eric TRAPPIER Président-Directeur général de DASSAULT Aviation Madame la Présidente, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les parlementaires, Mesdames et Messieurs, chers amis, Permettez-moi d’abord de vous dire le plaisir que j’ai de vous retrouver ici, à Bordeaux, pour cette nouvelle édition des Universités d’été de la Défense. Je suis d’autant plus heureux de ces échanges que, cette année à nouveau, nous avons beaucoup de sujets à évoquer ensemble. Je reviens du sommet de l’OTAN à Newport au Royaume-Uni, où j’étais aux côtés du Président de la République. Je ferai le point tout à l’heure, à l’issue de la séance plénière, sur les grands enjeux stratégiques de cette rentrée, alors que notre environnement de sécurité a rarement été aussi fébrile, pour ne pas dire fragile devant des crises majeures et inédites. Pour l’heure, je voudrais me concentrer sur un autre front, celui de la santé de l’économie française et de l’éminente contribution que lui apportent nos industries de défense. Je dis « éminente » ; je pourrais dire « cruciale », au regard des éléments que je souhaite porter à votre connaissance ce matin. BORDEAUX & MERIGNAC 2014 39 Le premier élément est en partie connu : c’est le bilan de nos exportations de défense pour l’année 2013. Puisque cette matinée est pour moi l’occasion de vous présenter la nouvelle édition du rapport au Parlement sur les exportations d’armement, je voudrais y revenir en détail. Ne boudons pas notre plaisir : les résultats de 2013 sont en forte hausse, et ce en dépit d’une très rude concurrence internationale, et la tendance au recul des dépenses militaires des Etats occidentaux, qui oriente à la baisse le marché de l’exportation de défense. La France, grâce à notre mobilisation collective – je crois qu’on peut le dire – , a obtenu des résultats meilleurs encore qu’en 2012. En un an, les exportations d’armement ont réalisé un bond de près de 43 %, avec un total de 6,87 milliards d’euros de prises de commandes en 2013. Ces résultats, qui sont exceptionnels au regard de ces dernières années, mais surtout prometteurs, permettent à la France de figurer parmi les cinq premiers exportateurs mondiaux de matériels de défense, aux côtés des Etats-Unis, du Royaume-Uni, de la Russie et d’Israël. Derrière ces résultats, il y d’abord la qualité de notre base industrielle et technologique de défense, hissée au plus haut niveau de valeur ajoutée pour maintenir sa compétitivité. Je pense à la valeur de nos savoir-faire technologiques, de nos compétences humaines. Je pense aussi à la régularité de l’investissement, qui alimente l’innovation. Tout cela contribue au succès de nos exportations. A côté de ces éléments pérennes, il y a aussi bien sûr une dynamique récente. Les opérations nombreuses et difficiles, dans lesquelles sont engagées nos armées, font pleinement partie de cette dynamique. Je pense en effet que la démonstration de notre force, c’est-à-dire de la puissance et de l’efficacité de notre matériel, partout dans le monde, contribue d’une manière décisive à la crédibilité de nos équipements et, par-là, à la réussite de nos exportations. Au cœur de cette dynamique, il y a également la révision en profondeur de la politique de soutien aux exportations, que j’ai menée depuis 2012. Je l’avais annoncé, je l’ai fait, la méthode a changé. Et la réussite de cette année est là pour montrer le bien-fondé de cette nouvelle méthode. Pour la politique d’exportation, j’ai défini trois grands principes. Ils sont clairs : un partage des tâches entre l’Etat et l’industrie, la priorité donnée au dialogue politique, et l’inscription des projets d’exportations dans le cadre de coopérations de défense et de partenariats stratégiques. Ces nouveaux principes vont de pair avec une organisation rénovée. Je pourrai y revenir si vous le souhaitez au moment des questions, mais laissez-moi souligner le rôle clé de la Direction Générale de l’Armement, dont le Délégué est ici présent. Le soutien des exportations d’armement est, et restera, dans le cadre de la réorganisation de la fonction « Relations Internationales », l’une des trois grandes missions de la DGA, avec la conduite des programmes d’armement et la préparation de l’avenir. Ce rôle de la DGA est probablement une spécificité française. Vis-à-vis de nos partenaires étrangers, la DGA est souvent perçue comme un acheteur, qui discute avec d’autres acheteurs. Elle met à la disposition de nos partenaires sa force technique et son savoir-faire en gestion de programmes complexes et en expression de besoin. Je voulais profiter de cette occasion pour lui rendre cet hommage mérité. Depuis 2012, vous le savez, j’ai institué une présentation du rapport devant vous, parlementaires qui, semble-t-il, en appréciez le principe puisqu’il a été gravé dans le texte de la loi de programmation militaire. Chaque année, je veille à ce que les services du ministère dont j’ai la charge enrichissent le rapport de nouvelles informations. Cet effort de clarté est unique en Europe. La France est en effet le seul pays à publier le détail de ses prises de commandes, comme à fournir des données précises sur ses exportations par pays. Cette transparence n’est pas une menace pour le travail que nous menons. C’est au contraire, l’expérience le montre désormais, l’une des clés de notre réussite en la matière. 40 Université d’été de la Défense Ces mesures de transparence, que nous devons à la Représentation nationale et à travers elle à nos concitoyens, permettent d’instaurer un climat de confiance pour les acheteurs. Cet effort rejoint par ailleurs celui du Traité sur le Commerce des Armes, largement soutenu par la France, qui prend de nombreuses initiatives pour lutter contre la prolifération et les trafics. Ce souci de clarté coïncide enfin avec une démarche de simplification, qui bénéficie là encore aux entreprises qui exportent, en particulier au sein de l’Union européenne, comme le prouve la suppression des autorisations d’importation ou la mise en place du mécanisme des licences générales. Les mesures qui visaient à alléger le poids administratif des procédures d’autorisation d’export ont été complétées par une autre initiative. Celle-là a pour objet de renforcer les mesures de contrôle des entreprises réalisant des exportations de matériels militaires. Ainsi, le ministère de la Défense a mis en place un système de vérification a posteriori visant à contrôler sur pièces et sur place le sérieux des mesures de suivi demandées aux entreprises. Une trentaine d’agents de la DGA sont à pied d’œuvre depuis 2013 pour conduire ces vérifications, et plus d’une douzaine de sociétés françaises ont déjà été soumises à celles-ci. Ces différents éléments, relayés par une extraordinaire mobilisation de ce que j’aime appeler « l’équipe de France » des exportations d’armement, convergent pour expliquer les impressionnants résultats de 2013, et annoncer ceux de 2014 qui, nous l’espérons tous, ne le seront pas moins. Je voudrais verser ici un deuxième élément à la discussion sur nos exportations. Que veut dire, au fond, ce chiffre de 6,87 milliards d’euros ? Quel est, sur l’économie française, son impact exact ? Ces questions, qui nous concernent tous, m’ont interpellé au premier chef. Surtout, je me suis rendu compte qu’elles n’avaient jamais été vraiment posées. C’est pourquoi, pour mieux comprendre la portée de ce chiffre majeur – 6,87 milliards d’euros d’exportations de défense en 2013 –, j’ai souhaité que l’on expertise ce qu’il voulait dire concrètement pour l’économie et la société françaises. A mon initiative, le ministère de la Défense autour de la direction générale de l’armement et de l’observatoire économique de la défense de la direction des affaires financières ainsi que le conseil des industries de défense ont mené, avec l’aide du cabinet McKinsey, une étude de l’impact social, économique et technologique des exportations françaises d’armement. Au moment de vous la présenter, je tiens à remercier très chaleureusement tous ceux qui l’ont rendue possible. Cette étude, inédite, ambitieuse, démontre l’importance pour la France de ses ventes d’armement à l’étranger. Leurs bénéfices majeurs se déclinent dans trois domaines. Ce qu’apporte cette étude, notre étude, c’est la mise en lumière de ces bénéfices à travers des chiffres d’une grande précision. Le bénéfice économique, je l’ai dit, est immense. Ces ventes représentent une part considérable des exportations totales de notre pays. Voici les chiffres qui le disent : si les sociétés de la Base Industrielle et Technologique de Défense ne représentent qu’1% des sociétés exportatrices résidentes sur le territoire national, elles sont cependant à l’origine d’une forte valeur ajoutée dans la mesure où elles exportent trois fois plus qu’elles n’importent d’équipements militaires (taux de couverture de 315% sur la période 2003-2013), générant ainsi un effet de levier de 1 à 3 (sur le périmètre des équipements militaires). De plus, si l’ensemble des exportations (civiles et militaires) réalisées par ces entreprises est pris en compte, alors ces exportations représentent 24% du total des exportations françaises, dont 6% pour les seules exportations de la gamme civile du groupe Airbus. Sans les exportations d’armement, le déficit commercial de la France, sur la période 2008-2013, aurait été de 5 à 8 points plus élevé chaque année. L’étude d’impact BORDEAUX & MERIGNAC 2014 41 montre donc, avec clarté, combien les exportations d’armement sont essentielles à la santé économique de notre pays. Ce qui est important, c’est le dynamisme de ce secteur, et ce qui l’explique, c’est l’existence d’une politique d’exportation pertinente, volontariste, en un mot efficace. Cette politique a su se renouveler. Elle l’a fait en particulier depuis 2012. Aujourd’hui, elle repose sur un dialogue continu, où entrent autant de confiance que de rigueur, avec les 669 entreprises exportatrices directes d’armement recensées en France. Ces entreprises, ce sont les grandes entreprises, qui assurent, par leur savoir-faire et leur ambition, le rayonnement international de la France. Mais ce sont aussi les petites et moyennes entreprises, qui représentent la moitié de ces 669 entreprises présentes directement sur les marchés à l’export. Elles sont, vous le savez, un interlocuteur privilégié du Ministère et un acteur central de notre réussite. Toutes ces entreprises portent, ensemble une très belle image de la France à l’étranger – une image où se reflète son sérieux, sa qualité, son inventivité –, mais elles sont aussi des forces vives au cœur de nos territoires. Le bénéfice économique qu’elles apportent à la France s’accompagne ainsi d’un autre bénéfice, un bénéfice social, essentiel lui aussi et qui a fait l’objet d’une analyse précise. Les exportations d’armement dynamisent tout le territoire français et en particulier sept grands bassins d’emploi : l’Ile de France, la région PACA, la Bretagne, MidiPyrénées, la région Centre et la région Rhône-Alpes, et bien sûr l’Aquitaine. Cette industrie qui est tournée vers l’extérieur offre donc à de nombreux Français un emploi. L’étude d’impact révèle que 27 500 emplois sont liés aux exportations d’armement, directement et au travers des fournisseurs de premier rang, soit 18% de l’ensemble des emplois de l’industrie de défense. Si l’on ajoute à ce chiffre les emplois induits, c’est une dynamique de près de 40 000 emplois sur notre territoire que nous devons aux seules exportations d’armement. Et pour aller plus loin encore, les estimations des emplois générés par la chaîne de sous-traitance, au-delà des équipementiers de premier rang, permettraient d’ajouter près de 10 000 emplois supplémentaires. Soit un total de 50 000 emplois résultant de l’exportation de défense. L’étude a par ailleurs permis d’identifier deux types de maillage d’emplois qui concourent à l’exportation. Elle souligne en premier lieu l’existence de territoires spécialisés, localisés autour des centres de production. C’est le cas par exemple de MBDA autour du site de Bourges, ou de DCNS autour des bases de Brest, Lorient et Toulon. L’autre maillage se localise sur l’ensemble du territoire, générant ici un effet d’entraînement sur une grande partie de l’industrie nationale. C’est le cas pour les fournisseurs de Thales ou les fournisseurs de rang 1 associés aux activités défense du groupe Airbus. Dans une France frappée par le chômage, menacée par la désindustrialisation, ces 50 000 emplois sont d’une importance vitale. Ils constituent le témoignage des grandes capacités de notre industrie. Ils sont la preuve de nos qualités, de cet état d’esprit conquérant, de ce savoir-faire solide et ambitieux, de cet esprit d’innovation permanent, qui fondent la volonté du Gouvernement de rétablir en France une dynamique de prospérité économique. Cet esprit d’innovation, d’autant plus nécessaire que la concurrence internationale est rude, engendre un troisième bénéfice pour l’ensemble de la société française : le bénéfice technologique. Les exportations d’armement sont en effet au cœur d’un écosystème plus vaste, qui repose sur l’investissement de l’Etat dans la défense et dont il faut dire un mot ici. Les emplois que ces exportations génèrent sont en effet très interdépendants de l’investissement de défense consenti par l’Etat, car ils contribuent à maintenir un seuil critique d’activité, qui préserve des emplois à haute valeur ajoutée et non délocalisables. Ce socle de compétences construit par les investissements de l’Etat et soutenu par les exportations, permet également de conserver les autres emplois liés aux activités 42 Université d’été de la Défense civiles des acteurs duaux. C’est bien cet écosystème, développé grâce à l’impulsion de la Défense, qui garantit l’avance technologique de la France, y compris dans le domaine dual et civil. De même, c’est en grande partie l’acquisition par la France et l’utilisation de son matériel de défense porté au plus haut niveau technologique, qui permet de le crédibiliser et d’en favoriser l’exportation. Comme je vous l’ai déjà dit, la valeur ajoutée de ces exportations est très significative : nos entreprises de la base industrielle et technologique de défense, au travers de leurs exportations duales, représentent certes 1% des entreprises françaises en nombre, mais 24% en valeur des exportations sur la période 2010-2013. Les exportations de défense s’intègrent donc aujourd’hui dans un écosystème qui est rendu possible et entretenu par les investissements que la Nation consent pour sa Défense, et qui se traduit par les emplois créés et conservés en France dans les activités civiles et militaires de nos entreprises. De nombreux exemples, apportés par l’étude, viennent illustrer l’importance de ce bénéfice technologique. C’est pour conquérir le marché de l’exportation que DCNS a conçu le sous-marin Scorpène, vendu aujourd’hui au Chili, à la Malaisie, à l’Inde ou encore au Brésil. Certaines technologies développées à cette occasion seront reprises et améliorées pour les prochaines générations de sous-marins français. Les exportations d’armement créent une dynamique vertueuse dans l’industrie française : les bénéfices économiques, sociaux et technologiques se conjuguent et concourent à d’éclatantes réussites, dans un pays qui en a besoin. Ces exportations, en outre, sont des vecteurs d’influence et de diplomatie à travers les offres de service qui accompagnent les équipements aujourd’hui. Elles participent également à l’instauration d’un climat favorable au développement ultérieur d’exportations civiles. Au terme de cette étude qui a permis de traduire les impacts économiques, sociaux et technologiques de nos exportations de défense, les résultats de 2013 confirment que l’Etat et les industries de défense doivent continuer à travailler main dans la main, dans le cadre de la politique que j’ai souhaité mettre en œuvre : une politique renouvelée dans sa méthode, ferme sur ses principes, ambitieuse dans ses objectifs. Soyons fiers de ce que nous avons fait en 2013. Mais préparons-nous, et faisons le nécessaire, pour l’être plus encore, à l’issue de cette année 2014. BORDEAUX & MERIGNAC 2014 43 BORDEAUX – Mardi 9 septembre 2014 Séance plénière Sécurité et réassurance aujourd'hui en Europe : quelles perspectives ? Débat avec Patricia ADAM Députée du Finistère, Présidente de la Commission de la Défense nationale et des Forces armées Jean-Louis CARRERE Sénateur des Landes, Président de la Commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées Ralf BRAUKSIEPE Secrétaire d’Etat parlementaire à la Défense, Allemagne Cheikh TIDIANE GADIO ancien ministre des Affaires étrangères du Sénégal - Dariusz SELIGA Président de la Sous-commission des Relations étrangères, membre de la Commission de la Défense nationale du Parlement polonais Général Pierre de VILLIERS Chef d’Etat-major des Armées et Eric TRAPPIER Président de Dassault aviation Animé par Olivier ZAJEC Directeur des Opérations de CEIS Introduction au débat par Michel FOUCHER Expert pour les questions internationales auprès du Président de CEIS, ancien ambassadeur Olivier ZAJEC, Directeur des Opérations de CEIS – Bienvenue à tous à cette séance plénière qui va clôturer d’une certaine manière le temps des débats de cette 44 Université d’été de la Défense Université d’été de la Défense, avec un sujet qui nous préoccupe tous parce que l’actualité en est saturée, ce sont les crises qui se déclenchent aujourd'hui aux frontières même de l’Europe, d’une part sur son flanc sud, en particulier dans la profondeur africaine, et les opérations extérieures françaises le montrent, d’autre part sur son flanc est, et tout le monde a en tête la crise en Ukraine avec des acteurs importants, les Etats-Unis, l’Europe unie parfois, mais divisée trop souvent sur ces questions géopolitiques, la Russie partenaire de long terme ou danger avéré. Ces crises au sud et à l’est sont-elles liées, sont-elles différentes, doit-on se coordonner pour y faire face ? C'est une question, en particulier pour les Européens qui sont présents aujourd'hui, nos partenaires, nos alliés, les présidents de Commissions de Défense des différents pays européens que je salue, les parlementaires des différents pays européens, également présents pour ce panel. Ce panel « sécurité et réassurance aujourd'hui en Europe : quelles perspectives ? » va être divisé en deux parties. Une première partie sur le paysage géopolitique est-sud et une deuxième partie sur les réponses ou les non-réponses que nous y apportons : budget, capacités, coordination, que fait l’Europe pour répondre à ces menaces et à ces risques ? Pour répondre à cet ensemble de questions, nous accueillons Madame Patricia Adam, Présidente de la Commission de la Défense nationale et des Forces armées de l’Assemblée nationale ; Jean-Louis Carrère, Président de la Commission des Affaires étrangères de la Défense et des Forces armées du Sénat ; le Général Pierre de Villiers, Chef d’Etat-major des Armées ; Monsieur Ralf Brauksiepe, Secrétaire d’Etat à la Défense allemand ; Monsieur Zeliga Dariusz, Président de la Sous-commission des Relations étrangères et avec l’OTAN de Pologne, également membre de la Commission de la Défense nationale du Parlement polonais ; Cheikh Tidiane Gadio, envoyé spécial de l’Organisation de Coopération islamique en République Centrafricaine et ancien ministre des Affaires étrangères du Sénégal ; et Monsieur Eric Trappier, Président de Dassault aviation. Avant de commencer les débats et de se lancer dans les discussions, il vaut mieux avoir une image synthétique de la situation, et nous avons la chance d’avoir avec nous Michel Foucher qui va pouvoir nous présenter une synthèse cartographique de ce qui s'est passé en 2013-2014, les dangers, les risques, les menaces. Michel FOUCHER, expert pour les questions internationales auprès du président de CEIS - L’examen attentif d’une carte des crises en cours dans les voisinages européens évoque la remarque d’Alexis de Tocqueville au premier jour de sa prise de fonction comme ministre des Affaires étrangères : « Quand je me fus installé au ministère et qu’on m’eût mis sous les yeux l’état des affaires, je fus effrayé du nombre et de la grandeur des difficultés que j’apercevais ». Monsieur le Ministre, j’ai évidemment pensé à vous en citant cette phrase. Effroi légitime devant une conjoncture synchrone critique exceptionnelle. Pourquoi autant de crises en même temps aujourd'hui ? Et devant des réalités géographiques implacables puisque 70% des crises graves et des tensions se situent à l’ouest du détroit d’Ormuz, entre trois et six heures de vol de Paris, mais je pourrais dire Londres, Bruxelles, Rome, Berlin. En sachant que la proximité géographique des théâtres n’est pas forcément une garantie de compréhension tant il est vrai que nous avons vécu des surprises stratégiques : la guerre furtive en Crimée, la montée en puissance stupéfiante de l’Etat Islamique, et même le degré de désintégration de l’Etat libyen avant 2011, dont nous mesurons aujourd'hui les effets. Il ne faut donc pas baisser la garde en matière de moyens nationaux d’analyse des réalités complexes, enchevêtrées, contradictoires, qui n’appellent pas de réponse simple. Je trouve un peu court d’attribuer la simultanéité de ces crises à des facteurs uniques comme le soi disant retrait américain, l’attentisme présidentiel ou l’affaiblissement d’une Pax Americana dont les limites seraient testées par les adversaires. En revanche, cette obsession des alliés par rapport à ce que fait ou non Washington révèle la faiblesse structurelle du système de sécurité qui lie nos Etats démocratiques, à BORDEAUX & MERIGNAC 2014 45 savoir une dépendance douce, voulue, excessive, de la part de la plupart des alliés. Il y a là une exception française, britannique, allemande, peut-être polonaise. 75% des dépenses de l’OTAN contre 50% autrefois. Dépendance confortable qui mériterait une cure de désintoxication, mais cela caractérise aussi les alliés moyen-orientaux des Etats-Unis qui font rarement décoller leurs 600 avions de combat du Conseil de Coopération du Golfe. Même chose en Asie orientale, dépendance excessive à l’égard d’un seul acteur. La carte des crises révèle donc cette proximité à l’ouest du détroit d’Ormuz ; c'est la caractéristique stratégique majeure du continent européen. L’indifférence est possible, ce n’est certainement pas une option. Le long entretien du ministre de la Défense dans le Figaro de ce matin me dispense de rajouter plus maladroitement des commentaires, mais nous allons quand même essayer de faire un rappel cartographique sud/sud-est/est. Au sud, en Afrique maghrébine mais aussi sahélo-saharienne, la variété des défis n’exclut pas l’unité du théâtre, avec un élément de fond de carte qui n’est pas représenté ici mais tout à fait crucial, celui de la croissance démographique. En quinze ans, la population du Mali a été multipliée par deux et celle de Bamako par trois. Au Mali, il y a un Etat mis au défi de contrôler une partie de son territoire ; Depuis le 1er septembre, un deuxième round de négociations s'est ouvert à Alger, c'est une bonne chose. En RCA, il n’y a pas d’Etat, il n’y a pas d’école, pas de système de santé, pas de justice, mais il y a quand même 57 partis politiques pour 4 millions d’habitants. Cherchez l’erreur. L’enjeu est toujours le même, des forces africaines efficaces, l’exercice de fonctions régaliennes de base à commencer par la sécurité des populations, le contrôle des territoires, et éviter la connexion des théâtres. En Libye, l’Etat et les institutions ont été détruits par le régime précédent et nous avons totalement sous-estimé cet état de désintégration antérieur à l’intervention. Je note un progrès heureux de notre coopération, en particulier avec l’Algérie. Au Moyen-Orient, nous faisons face, parmi tous les éléments critiques, à ce que l’on pourrait appeler une deuxième vague djihadiste, et c’est une vague intéressante car elle n’est pas fondée, comme nous avions pu l’observer dans la zone Sahara-Sahel, sur une logique de réseau adapté au milieu, mais sur une logique de territoire. Ce qui donne à certains mouvements non étatiques des moyens quasi-étatiques. Le fond de carte, c’est la fin de l’unité du monde arabe, c’est la crise de l’Etat-Nation, c’est la vieille rivalité entre les Sunnites et les Chiites, et les divisions intra-sunnites. En Syrie, deux radicalités s’opposent. Je considère que Bachar El Assad a gagné sa guerre, il contrôle la Syrie utile. Faut-il y voir l’effet d’une non-intervention militaire ? Il y a des interventions, il y a aussi des non-interventions, ce n’est pas à moi de répondre. En Irak, les choses sont plus complexes que la seule mise en avant de ce mouvement de l’Etat Islamique parce qu’il est la tête en quelque sorte d’une très large coalition de frustrés, qui est la coalition des sunnites. Il agit comme un levier pour mobiliser des Sunnites sans rattachement – je rappelle qu’ils sont 25 millions dans la région – contre les régimes sectaires de Damas et de Bagdad, ce qui permet rapidement de contrôler un tiers du territoire. Mais cette coalition est dissociable. Je pense que nos alliés saoudiens l’ont maintenant compris à la suite de la déclaration du Grand Mufti. Le nouveau Premier ministre turc, le Kissinger turc, a promis la paix avec les Kurdes en 2023 mais d’ici là peut-être faudrait-il s’attacher à maîtriser un hub géographique turc qui, pour l’instant, ne l’est pas. Ce danger néo-djihadiste appelle donc une concertation stratégique permanente entre Londres, Paris, Berlin, Washington et, bien sûr, l’implication d’acteurs régionaux. Bref, si ces conflits enchevêtrés et multi-scalaires du Moyen-Orient rappellent furieusement la situation d’Europe centrale pendant la guerre de Trente ans – querelles religieuses, intervention des puissances –, il faudrait peut-être un jour songer à une sorte de nouveau traité de Westphalie qui ne serait pas la réminiscence des accords Sykes-Picot, je ne crois pas qu’il soit bon d’altérer les frontières, mais il faudrait certainement instaurer un nouveau équilibre. Dans l’immédiat, deux points. Une connexion entre des théâtres, en particulier toute la zone allant de Maiduguri à 46 Université d’été de la Défense Rakka, la mode du califat. Rakka était la deuxième capitale du califat Abbasside et je crois que nous serions bien inspirés de comprendre les intentions de l’adversaire de l’Etat Islamique et de ses dirigeants qui ont un sens politique assez étonnant et de creuser un peu les références historiques de ceux qui affichent de manière criminelle aujourd'hui l’étendard noir du califat abbasside. Enfin, dans l’est européen, le fond de carte, c'est-à-dire la longue durée et qu’est-ce qui joue sur la longue durée. Je me permettrai de citer l’ancien Président tchèque Vaclav Havel. « Dans l’Histoire, la Russie s’est étendue et rétractée. La plupart des conflits trouvent leur origine dans des querelles de frontière et dans la conquête ou la perte de territoires. Le jour où nous conviendrons, dans le calme, où se termine l’Union européenne et où commence la Fédération russe, la moitié de la tension entre les deux disparaîtra ». C’est le fond de tableau ; dans l’immédiat, nous avons vu une guerre furtive, mais de moins en moins furtive ; une logique de revanche, nous faire payer l’effondrement de l’Union soviétique ; l’affirmation, pour citer Lénine, la Pravda n° 3, du projet de nationalisme grand-russien, avec des inquiétudes sur l’avenir du nord du Kazakhstan dont le président russe en saluant Nazarbaïev s’étonnait qu’il ait réussi à créer un Etat là où il n’existait pas. Sur le fond, il y a toujours trois options. La politique qui était suivie jusqu’alors, à l’ouest, Schroeder, Chirac et successeurs ; l’ancrage européen de la Russie dans un intérêt commun ; ou bien devenir un satellite de la Chine, ou bien s’orienter dans une logique d’autarcie et de forteresse assiégée qui est un peu la ligne actuelle, semble-t-il. Ce qui est quand même intéressant, c’est la vision russe car pour la Russie, les crises de la mer Noire et de la Caspienne, de la Méditerranée orientale et du Golfe, font exactement partie du même théâtre. Il faut essayer de voir cette région non pas seulement depuis Paris et Washington, mais aussi depuis Moscou, en regardant vers le sud. Je note une sorte de retour de l’influence de Primakov dans la vision russe à long terme. Je crois qu’il faut maintenir les canaux de communication. Après tout, la diplomatie a été inventée pour discuter avec des gens avec lesquels nous ne sommes pas d’accord, pour le dire de manière très courtoise. Puisque j’ai cité Primakov, je conclurai en citant Kissinger qui a publié il y a quelques jours un nouvel ouvrage « Ordre mondial », dont on attend évidemment beaucoup, surtout Madame Clinton. Il distingue ceux qui acceptent le système international et les autres, qu’il appelle terroristes. Je trouve que c’est un peu court. Le texte est un peu décevant et je pense qu’il se trompe d’échelle. Notre problème actuel n’est pas l’ordre mondial, mais d’essayer de réfléchir à des ordres régionaux, à des architectures régionales de stabilité, qui soient durables, avec la participation des acteurs en contenant les forces d’instabilité. C’est vrai pour le continent africain, notamment dans sa partie occidentale, en intégrant le Sahel, le Sahara et le Maghreb, c’est vrai au MoyenOrient, c'est vrai en Europe orientale. C'est le premier point. Deuxièmement, nous avons beaucoup parlé ces derniers jours de l’article 5, mais quand j’étais à Tokyo début juillet, on parlait beaucoup de l’article 9 de la Constitution japonaise qui n’a pas été révisé par le Premier ministre mais qui a fait l’objet d’une nouvelle interprétation. Là aussi, il y a quelque chose qui concerne nos intérêts stratégiques à long terme, où nous Européens, Français, Britanniques, Allemands, ne sommes pas présents avec des moyens conventionnels, mais dont les tensions pourraient évidemment avoir des effets compte tenu de l’importance de l’Asie orientale dans l’économie européenne. Pour revenir aux défis situés à l’ouest du détroit d’Ormuz, là où nous sommes en mesure d’agir avec des moyens classiques, alors qu’à l’est d’Ormuz seuls les EtatsUnis ont ces moyens d’action, je crois que cela mérite une approche intégrée qui est la réponse aux crises globales. Je me permettrai de conclure en inversant Clausewitz : notre problème aujourd'hui, ce n’est pas le brouillard de la guerre, les adversaires sont identifiés, même après un temps de surprise, leurs intentions sont à peu près connues, même si on pourrait creuser un peu leurs références historiques, mais notre problème, après l’intervention, c’est l’incertitude des sorties politico-diplomatiques des crises, ce BORDEAUX & MERIGNAC 2014 47 sont les configurations régionales à venir, ce que j’appellerai le brouillard de la paix. Merci de votre attention. Olivier ZAJEC - Nous allons ouvrir le premier de nos panels, « de l’est au sud, la réassurance stratégique : enseignement des conflits et des crises récentes au voisinage de l’Europe ». Il y a un peu plus de quinze ans, quand je suis rentré à Saint-Cyr, on m’a dit et je ne l’ai jamais oublié : « Le terrain commande ». C’est bon au niveau tactique, et quand le terrain ne commande pas au niveau politico-stratégique, il est du moins un révélateur, parfois cruel mais précieux toujours, de nos forces et de nos faiblesses. C'est la raison pour laquelle ma première question s’adresse au Chef d’Etat-major des Armées. Mon Général, vous revenez de Cardiff, vous avez participé au sommet de l’OTAN à Newport, le thème du rôle de l’alliance en matière de réassurance de ses membres a dû être abordé en raison de la crise en Ukraine, et il y a d’autres crises, le flanc sud, on l’a vu. Que pouvez-vous nous dire de la teneur de ces échanges et quelle analyse faites-vous de la situation ? Général Pierre de VILLIERS, Chef d’Etat-major des Armées - Je rentre effectivement du sommet de Newport et j’en ai tiré, dans la continuité du remarquable exposé de Monsieur Foucher, six enseignements. Ilssont apparus de manière récurrente et consensuelle dans les débats. Je crois qu’il faut d’abord dire que l’OTAN est toujours, en 2014, une alliance militairement pertinente. Elle continue à jouer pleinement son rôle, sa vocation historique de défense collective est réaffirmée dans la prise en compte à l’est de menaces de type traditionnel, celles qui répondent à une logique de rapport de force. Je note aussi que l’OTAN, cette alliance d’un âge déjà respectable, sait aussi faire preuve de capacité d’adaptation. Les décisions prises à Newport, notamment concernant la création d’une Very High Readiness Joint Task Force, et l’organisation d’exercices communs en sont l’illustration. La France a d’ailleurs pris une grande part dans ces initiatives et je suivrai de très près ce domaine lors de la réunion MCCS de l’OTAN à Vilnius dans quelques jours, notamment concernant les modalités pratiques de cette force de réaction rapide. Deuxième enseignement, les crises actuelles posent des problèmes de fond pour l’Alliance. D’abord tout simplement parce que ses membres ne partagent pas tous la même appréciation des risques et des menaces. Les pays du nord, par exemple, regardent avec inquiétude vers l’est, et sont moins sensibles aux menaces au sud de l’Europe. Sur ce plan, je suis heureux de constater que les flancs est et sud de l’Europe ont été abordés à Newport non pas en les opposant mais en soulignant la nécessité de les traiter simultanément. Enfin, s’est posée la question de l’adaptation des moyens, des doctrines, des procédures d’alliance aux menaces actuelles, notamment en période de contraction généralisée de dépenses de défense de la plupart de ses membres. Troisième enseignement, le bouleversement du contexte sécuritaire a mis en évidence certaines marges de progrès pour l’OTAN. L’Alliance doit continuer à progresser sur le partage de l’évaluation de situation, sur ses capacités de réaction rapide. Je crois qu’elle doit en fait gagner en flexibilité et en pragmatisme. Ce sont notamment les enseignements de la crise ukrainienne, et le Président de la République a insisté sur ce thème lors de ses interventions. La dimension du flanc sud doit continuer à être prise en compte. Pour cela, l’OTAN a des capacités utiles, par exemple, le transport tactique ou ce que l’on appelle le Joint ISR. Pour autant, les crises asymétriques récentes et leur gestion montrent qu’elles ne peuvent être résolues sans une approche véritablement globale. Une réponse exclusivement militaire ne permet pas de les résoudre et les exemples ne manquent pas. Quatrième enseignement. Lors des réunions plénières, et l’idée est revenue régulièrement, la réponse doit venir des pays eux-mêmes. L’assurance que l’on attend de l’OTAN est à la hauteur de la volonté et de l’engagement politique, militaire et 48 Université d’été de la Défense financier de l’ensemble de ses membres. C’est la volonté de s’engager des Etats qui constitue finalement leur meilleure assurance, comme cela a été rappelé très souvent. S’agissant de la somme de ces volontés individuelles, il faut être vigilant à ce que les mesures visant à faire évoluer l’OTAN soient raisonnables, c'est-à-dire stratégiquement réversibles, militairement pertinentes et financièrement soutenables. Il ne s’agit pas non plus de dupliquer les efforts d’autres organisations internationales, ni de faire grossir la structure otanienne, ou encore de financer en commun de nouvelles capacités peu utiles finalement. Cinquième enseignement, dans ce nécessaire partage du fardeau, la France, et singulièrement les armées, a des atouts militaires à faire valoir. C’est tout d’abord l’intérêt d’un modèle d’armée complet, porté par l’actuelle LPM et qui permet de contrer les menaces traditionnelles comme asymétriques au sud et à l’est. J’en suis persuadé, la conservation de cette cohérence capacitaire est le bon choix. La culture et la capacité de réaction rapide de nos armées sont aussi une réalité éprouvée, et nous sommes prêts à apporter notre contribution, bien sûr, dans ce domaine. Dernier enseignement, je voudrais rappeler et souligner le fait que l’action des armées françaises en Afrique, notamment au Sahel, participe directement et pleinement à la sécurité de l’Europe. Vous le savez, la défense de la nation ne commence pas à nos frontières immédiates, et plus que jamais il y a bien un lien entre la sécurité intérieure et la sécurité extérieure. La problématique des combattants étrangers est là pour nous le rappeler. Voilà en quatre à cinq minutes les six enseignements que j’ai très modestement tirés du sommet très intéressant de Newport, en restant à mon niveau de chef d’Etat-major des Armées. Olivier ZAJEC - Je me tourne vers le représentant allemand du panel de ce matin, Monsieur Ralf Brauksiepe. Aujourd'hui, l’Allemagne, de par sa puissance économique, joue un rôle prépondérant sur un certain nombre de sujets en Europe. L’Allemagne a donc un regard, une analyse des politiques étrangères, des responsabilités. Monsieur Brauksiepe, qu’évoque le mot de réassurance aujourd'hui pour Berlin et comment traduisez-vous ce vocable de réassurance ? Que signifie-t-il stratégiquement ? Ralf BRAUKSIEPE, Secrétaire d’Etat à la Défense, Allemagne - Let me make clear first of all, with regard to the challenges which we all face, that Germany clearly shares the concern of our Eastern European friends and allies. I think one important message from what was agreed in Wales is that we are not alone—none of us. Our Eastern friends are not alone, France is not alone. Germany is not alone. We are 34 all together if you take all NATO and EU member states, and including the compromises we have found. With regard to NATO, I believe that what Defense Secretary Chuck Hagel from the US expressed some weeks ago is perfectly right. NATO is the most effective collective defence alliance that we have ever had in history. I think that so far, we have achieved progress in this NATO summit, including in regard to assurances and adoptions, which were the main topics agreed upon. With regard to the German attitude towards assurance and the other issues mentioned, let me make it clear that it was important for us to come to a generally agreed point of view in regard to the increasingly confrontational position of Russia towards the West. The Readiness Action Plan that has been agreed marks the cornerstone of our reassurance efforts towards our Eastern European partners and allies. It has been decided that a permanent presence of NATO combat troops, for example, in the Baltic States or in Poland is not the desired option. Instead we have agreed on the assembly of a quickly deployable Task Force. This will be constantly kept on a high state of readiness to be deployed within the time frame of two days. And I can assure you that Germany intends to make a considerable contribution to this effort. In BORDEAUX & MERIGNAC 2014 49 the short term, we already provide naval and air force assets that are participating in assurance measures. Specifically, we continue to provide 25% of the overall assets within the framework of the standing neighbour forces. In the air policing domain we have been since 1 September providing up to 6 Eurofighters based at Ämari Air Base in Estonia and we contribute a significant share, namely 30%, to AWACS. In 2015 we shall continue to contribute our share in all the areas just mentioned. We are also aware of the need for and the significance of ground force contributions. Therefore we consider an intensified exercise concept as particularly significant. For this reason, Germany has offered to NATO four exercises for 2014 within the framework of assurance measures. Moreover Germany is participating in exercises in Poland and the Baltic region, with approximately 300 soldiers. In 2015 Germany has plans to participate in 5 exercises with approximately 1,700 soldiers. This number could even be increased. In the middle and long term, the Readiness Action Plan is the central document of the Summit. It has developed into a substantial document we should be proud of. With its two main dimensions, assurance and adoption, it addresses the key military aspects of the so-called hybrid warfare model currently exercised by Russia, and draws conclusions regarding military requirements for the Alliance. I believe that it will be of particular importance to underpin NATO’s readiness and responsiveness and enhance interoperability and multi-national cooperation. Now we have to further develop in detail today’s adopted measures. This needs to be done thoroughly, diligently and consistently. The focus will need to be availability, deployability, interoperability and above all sustainability. It is our understanding that based on a regular review of the security situation, the scope of the measures will be increased and decreased. All of this will ensure the credibility of our measures. I would like to emphasize the future prominent role of the multi-national Core NorthEast in Szczecin. Together with Denmark and Poland we initiated work to implement the agreed measures. We underscored this commitment through a tri-national declaration at the Summit. We foresee a prominent role for the Core, and we aim with the Core to strengthen the regional focus of the NATO force structure, above all with regard to Article 5 and the command of rapidly deployable forces. Germany will make a significant contribution with regard to personnel and financial resources, and we encourage other allies to increase their contributions to the Core. At this point in time, I appreciate all efforts by France to seek closer cooperation with Core North-East. In the long term, NATO’s increased responsiveness, agility and flexibility has to be underpinned by capabilities. We need to close the all too familiar priority shortfall areas. Naturally the issue of resources, and above all the investment aspect, will also play a role. For Germany, the question of output for NATO will be the determining criterion. We make available approximately 90% of our capabilities to NATO. That’s why we want to concentrate on the provision of specific and substantial capabilities. Let me just add that of course financial issues matter. But from our point of view, the most important thing is to concentrate on more effectivity in what we in the 28 NATO states, especially in the European member states, wish to achieve. And we highly appreciate the cooperation we have had with France, in the preparation of this Summit, which has been especially valuable. We appreciate the close exchange and the common results that we have produced. We are willing to take our responsibility. We are willing to take part burden-sharing in a way that is more effective than it has been in the past. We see that no single NATO new member state possesses the required capabilities and resources alone to bear the burden. It has to be shared. Therefore a strong and vivid European partnership should not only focus on economics, but also explicitly on foreign and 50 Université d’été de la Défense security policy affairs. This is mandatory in order to attain stability in the European periphery. Germany has been willing to take responsibility and we will do so in the future. Let me just mention one last thing. Of course traditions are different, even among friends in neighbouring countries. 25 years ago, when Germany was still divided, West Germany disposed of a conscript army of 495,000 soldiers. Not one outside the country. Today the reunified Germany disposes of 185,000 soldiers and thousands of them outside the country. So we have gone towards a clear and strong change in our defence policy. We are ready to continue that and we are ready—as the Minister made it very clear—to continue our responsibility in Afghanistan, for example, and also take over more responsibility in Africa at the side of our friend, France. Olivier ZAJEC - Votre discours nous montre que l’Allemagne prend la défense au sérieux, mais qu’elle la conjugue prioritairement aujourd'hui vers l’est et dans le cadre de l’OTAN. Vous avez cité la Pologne. Monsieur Dariusz représente la Commission de Défense polonaise dans notre panel. Son pays est aux avant-postes de la crise ukrainienne. Depuis des années, la Pologne met en avant l’importance du partenariat oriental, et elle l’oppose parfois à la sécurité du flanc sud, ou en tout cas elle semble présenter un degré de priorité. Est-ce que notre sécurité à l’est compte davantage que la sécurité de notre flanc sud ? Est-ce que la Russie est un ennemi, comme certains semblent le dire, ou doit-on surmonter la crise pour penser la Russie demain dans le cadre d’un partenariat de long terme, malgré les fortes divergences qui nous opposent aujourd'hui ? Zeliga DARIUSZ, Président de la Sous-commission des Relations étrangères, membre de la Commission de la Défense nationale du Parlement polonais Avant tout je voudrais remercier Olivier pour cette question. Mais ne s'agit-il pas de questionner les Polonais au sujet de l'Orient, de la Russie, de manière à ce qu'ils ne posent pas d'autres merveilleuses questions ? Je voudrais avant tout remercier, au nom de tous mes camarades de la délégation polonaise, la possibilité qui nous est offerte de rencontrer ici des personnes que nous connaissons par ailleurs depuis des années et qui veulent une Europe paisible et sûre. Nous sommes entre personnes qui souhaitent une certaine solidarité européenne dans le domaine de la sécurité. En tant que Polonais, dont la solidarité commune est issue de Gdansk et s'est étendue sur toute l'Europe, nous sommes d'autant plus proche de cette idée. C'est pourquoi nous vous remercions pour cela. Nous avons probablement tous un peu regardé des films américains d'odyssées cosmiques, et dans lesquels tombait l'expression célèbre "Houston, nous avons un problème". Aujourd'hui, nous pouvons dire "Europe, nous avons un problème" ; "Varsovie, Berlin, Paris, Madrid et Bruxelles, nous avons un problème." Aujourd'hui, nous avons un problème. En tant que Polonais, nous comprenons ce problème à travers notre voisinage à l'Est, mais aussi qu’il concerne les pays du Sud. A mon humble avis, la solidarité dans le domaine de la sécurité et un engagement large de tous les Etats est nécessaire. Et nous devons faire prendre conscience à nos sociétés à quel point l'engagement dans la sphère des dépenses dans le domaine de la sécurité, de l'industrie de défense, et ce qui y est lié, est important. Pour que cette Europe soit sûre. Pour la Pologne, la période actuelle est très difficile au regard de ce qui se passe en Ukraine, que l’on peut qualifier de guerre. Je souhaiterais que nous sachions transformer cette situation en opportunité. Aujourd'hui, les regards de l'Europe et du monde sont tournés vers l'Ukraine. Et tous se posent des questions : quel avenir ? Qu'adviendra-t-il de l'Ukraine ? Jusqu'où progressera Moscou ? Nous aussi, nous nous interrogeons à ce sujet. BORDEAUX & MERIGNAC 2014 51 Mais nous sommes également conscients que nous ne parviendrons pas à gérer cela seuls. Seule la défense collective, la collaboration, l'engagement des moyens industriels de défense peuvent nous permettre de sortie de cette situation. Et nous sommes également conscients de ce qui vient d'être dit ici à l'instant. Nous devons conserver certains canaux diplomatiques. Même si le chemin est ardu, le dialogue difficile aussi bien par rapport à l’Ukraine, à l'Est et au Sud, c’est ensemble que nous devons résoudre ces problèmes. Je veux aussi partager mes espoirs, et je le dis comme député de l'opposition. Le choix du Premier Ministre du gouvernement comme Président de l'Union Européenne entrainera une plus grande sensibilisation de l'Europe sur ces affaires, parce que Donald Tusk connait les spécificités de notre voisinage. Je suis très proche de ce qu'a dit le général de Gaulle aux Français : « Construisez votre sécurité, dans l'industrie et dans l'armée, comme si vous étiez seuls au monde ». Est-ce que cela est toujours d'actualité ? Est-ce que, mis à part le fait que nous devons agir collectivement, collaborer, et être vigilants, la Pologne doit suivre sa propre voie chemin pour renforcer sa défense, sa sécurité ? La Pologne traverse aussi une période de modernisation très profonde de ses forces armées. Nous sommes engagés dans les missions à travers le monde entier. Mais nous voudrions aussi prendre une part plus large, plus forte, plus grande part dans les projets européens, dans l'engagement pour l'industrie de défense, et participer à ce qui se passe dans cette sphère, dans le domaine de la sécurité. La situation en Ukraine nous concerne davantage. C’est parce que les regards sont tournés dans la direction de l'Est que notre voix, en tant que Polonais, sera forte. C’est grâce à votre participation, grâce à des rencontres comme celle-ci, que les gens se rencontrent pour porter la paix et la sécurité aux Européens, et au monde entier. Olivier ZAJEC - Vous avez cité Charles de Gaulle, personnage central dans l’histoire de notre pays et en tout cas lorsqu’on parle de De Gaulle en France, un certain nombre de mots nous viennent à l’esprit, comme souveraineté, indépendance. Je me tourne vers Patricia Adam pour finir sur cette question de l’est européen. Souveraineté, indépendance, y compris dans les choix industriels et dans les choix d’export. La vente du BPC Mistral est aujourd'hui suspendue ; la France a pris une décision. Un certain nombre de conditions sont posées par rapport à cette vente, conditions qui sont liées à la situation politique, à son apaisement en Ukraine. Cette décision a été attendue, commentée, en particulier en Pologne. D’après vous, est-ce la bonne manière de présenter les choses que de parler de souveraineté et d’indépendance sur ce dossier ou les choses sont-elles plus complexes à présenter ? Patricia ADAM, Présidente de la Commission de la Défense nationale et des Forces armées de l’Assemblée nationale - C’est un sujet particulièrement médiatisé en ce moment, dont on a beaucoup parlé. Nous étions avec Jean-Yves Le Drian en Pologne récemment et ces discussions ont évidemment lieu avec nos homologues polonais, et c’est bien normal compte tenu de l’inquiétude réelle et vérifiée de la Pologne et des pays baltes. La question des BPC est symboliquement très importante. C'est un contrat ancien qui a été signé à une autre période, dans d’autres conditions, et pour autant les BPC sont devenus une sorte de symbolique très forte qui nous concerne, bien sûr, directement alors qu’en même temps – et je le dis ici haut et fort – d’autres pays amis continuent d’exporter des armes vers la Russie, et que d’autres pays amis, que je ne citerai pas, continuent aussi de travailler entre autres avec la Russie sur les questions énergétiques. En tant que parlementaire française, je dirai que même si le gouvernement, le Président de la République et Jean-Yves Le Drian, a pris sa part de responsabilité en solidarité vis-à-vis de l’inquiétude tout à fait justifiée de nos amis baltes, et parce que nous avons ce devoir de solidarité en Europe, il faudrait peut-être aussi que les autres pays amis se posent cette même question comme nous nous la sommes posée en responsabilité sur la question des BPC. 52 Université d’été de la Défense Il n’y a pas de suspension du programme, quand il faudra prendre la décision, nous la prendrons, mais elle n’est pas prise pour l’instant. En revanche, comme Jean-Yves Le Drian l’a très clairement exprimé, nous aurons une attention particulière sur cette question des livraisons. Aujourd'hui, les BPC continuent de se construire à SaintNazaire, et nous avons aussi une formation qui est en place pour les militaires russes pour la conduite de ce bâtiment. Vous parlez de souveraineté et vous avez fait référence à de Gaulle, qui est un personnage important dans l’histoire de notre souveraineté nationale, du lien très fort qui existe entre cette communauté de défense et notre pays, mais nous sommes aujourd'hui en train de dépasser ce cadre national. La souveraineté s’entend maintenant au niveau européen. La parole du Général de Gaulle est toujours réelle et elle s’applique, mais dans un contexte différent qui est celui de la construction européenne. C’est ce que nous sommes en train de construire, je dis bien que nous sommes en train de construire et peut-être que l’actualité qui est la nôtre aujourd'hui aux frontières de l’Europe va nous permettre d’avancer un peu plus vite. Cette Université de la Défense est peut-être l’occasion de le faire et c'est la raison pour laquelle nous avons insisté avec Jean-Louis Carrère pour que nos amis européens soient présents. Ils sont très présents, vous le savez, et je demande à tout un chacun de prendre du temps avec mes collègues parlementaires européens car il ne faut pas oublier que dans beaucoup de pays européens, ce sont les parlements qui décident de l’intervention de leurs forces, tout simplement parce que leur constitution est ainsi faite et qu’il faut porter attention, certes, aux relations entre nos exécutifs, mais aussi aux décisions qui sont prises par ces mêmes parlements. C'est une particularité que n’a pas la France. Notre Constitution nous permet d’agir rapidement puisque le Président de la République peut le faire dans l’heure et nos armées sont prêtes à le faire, ce qui explique la capacité à réagir très vite de nos armées qui sont constamment en réflexion par rapport à cette possibilité d’intervenir à tout moment quand le Président de la République le décide. Nous avons donc encore beaucoup de chemin à parcourir, mais ensemble, et si l’Europe peut faire sienne la phrase du Général de Gaulle, ce serait très bien. Olivier ZAJEC - Merci de votre réponse claire et nette sur un sujet aussi symbolique que difficile. Nous avons parcouru le flanc est. Michel Foucher avait commencé tout à l’heure par les sud fracturés, les sud fragmentés, dangereux, mais avec de nombreuses occasions de partenariats. Pour clore ce panel, je me tourne vers Cheikh Tidiane Gadio, ancien ministre des Affaires étrangères du Sénégal, puis vers le Président Carrère pour deux questions sur ces sud. Monsieur le Ministre, sur les interventions récentes françaises, européennes, en Afrique, dans la profondeur africaine, Côte d’Ivoire en 2002, Mali, Centrafrique actuellement – et vous êtes engagé dans le dialogue diplomatique dans ce pays –, il y a eu une stabilisation de certains points chauds, la France s’est engagée très fermement, elle a été suivie à des degrés variables par ses partenaires européens. Comment les Africains considèrent-ils ces interventions françaises et quel partenariat de sécurité entre la France, l’Europe et l’Afrique au sens large dans les dix prochaines années ? Cheikh TIDIANE GADIO, ancien ministre des Affaires étrangères du Sénégal Merci pour ces questions. Vous m’avez demandé de ne pas utiliser la langue de bois, j’espère que vous n’allez pas le regretter à la fin. Je me réjouis tout d’abord qu’un Africain soit invité à se prononcer sur des questions qui concernent le continent africain. Vous ne me croirez pas, mais aux Etats-Unis, j’ai assisté à des débats sur l’Afrique où il n’y avait aucun Africain dans le panel, les questions nous étaient réservées, mais pas les réflexions. Je remercie donc mes amis français. Sur l’intervention française au Mali, nous avons une quasi-unanimité sur le fait que c'est une excellente initiative, qu’elle a donné de très bons résultats. Il n’y a pratiquement pas de débat sur la question. A mon avis, la raison est très simple : beaucoup de concertation, un partenariat très sincère, très franc. Voilà un pays qui a engagé ses enfants sur le sol africain, qui a engagé beaucoup de moyens et qui a pris une décision en soixante-douze heures là où les Africains ont pris neuf mois pour BORDEAUX & MERIGNAC 2014 53 décider ce qu’il fallait faire au Mali. De ce point de vue, il faut se réjouir de ce que la France a apporté aux Africains. A ceux qui sont contre, je pose toujours la question de savoir ce qu’il fallait faire le jour où les bandes djihadistes ont fait mouvement vers Bamako. J’attends toujours la réponse. Concernant la Centrafrique, tout le monde s’accorde à dire qu’il s’agit d’une crise qui se développe et se complexifie. Il est difficile de tirer un bilan de quelque chose qui est en cours, mais je crois que l’intervention de la France au moment où elle a choisi d’intervenir a effectivement empêché d’aboutir à une situation semblable à celle que nous avons connue au Rwanda. Il y a des malentendus, des interprétations qui sont discutables, certains avancent que lorsque les forces Seleka ont été désarmées, elles se sont tout d’un coup retrouvées face à des anti-Balaka armés qui les ont massacrées. Ce sont des points de discussion, mais le plus important est d’avoir empêché un véritable génocide de masse et d’avoir encouragé un processus politique et une transition qui sont en cours. L’Organisation de la Coopération islamique regroupe 57 pays membres et 5 pays observateurs. Il était important que cette organisation s’engage et elle a apporté à la France et aux autres partenaires un soutien extrêmement important sur quelques points. Le premier est le refus absolu de la partition de la Centrafrique. Si tous les pays musulmans venaient soutenir la création au nord de la Centrafrique d’une sorte d’enclave de pays soi disant musulmans, nous serions dans une situation plus difficile. L’OCI s’est démarqué de cela et a refusé la diabolisation par certains de la France en montrant le rôle positif qu’elle a joué. Et nous avons beaucoup insisté sur trois points : cessation des hostilités, engagement d’un dialogue politique pour la réconciliation nationale, assistance humanitaire immédiate, et projet de participation à la reconstruction économique de la Centrafrique. Ces axes sont très clairs, il est facile d’avoir un tel plan mais il est beaucoup plus difficile de le mettre en œuvre. Au Mali, il y a des poches de résistance des djihadistes. L’armée française et ses alliés africains poursuivent le travail, et l’opération Barkhane est une très bonne idée. En termes de nouveaux partenariats entre l’Afrique, la France et l’Europe sur les questions de sécurité, je dois signaler qu’une suggestion française faite lors du sommet de l’Elysée sur les problèmes de sécurité en Afrique, fortement soutenue par le Sénégal, est devenue une initiative du Sénégal fortement soutenue par la France, à savoir la mise en place d’un forum international sur la paix et la sécurité en Afrique les 15 et 16 décembre prochain. L’expertise mondiale va se déployer en terre africaine, au Sénégal, ce qui sera un très bon prolongement du sommet de l’Elysée. L’émergence de l’économie criminelle en Afrique, c'est-à-dire les narcotrafiquants, les djihadistes, les trafics d’armes, les trafics humains, les pirates, mais aussi Boko Haram qui fait des ravages aujourd'hui au Nigeria, prouve que notre réflexion commune sur la sécurité sur le continent africain doit conduire à un constat, les Etats africains ont négligé fondamentalement les questions de sécurité de l’indépendance à nos jours. Les pères fondateurs de la doctrine ont toujours dit que la sécurité précède le développement et sert le développement. Nous avons voulu fonder cinquante et quelque Etats, qui n’ont pas ni les moyens des infrastructures, ni les moyens de l’éducation, de l’agriculture, de la sécurité, et nous nous retrouvons aujourd'hui avec un pays comme le Nigeria totalement affaibli, déstabilisé, par Boko Haram. La preuve est donc faite et je demande aux partenaires français et européens, à tous les amis de l’Afrique, d’encourager la mutualisation des ressources, l’intégration régionale, y compris sur les questions de défense, de paix et de sécurité. Hier, lors de la démonstration des avions Rafale, nous étions tristes de constater qu’un ou deux de ses appareils correspondent au budget de plusieurs armées africaines. Le coût d’un ou deux de ces appareils correspond au budget de l’ensemble d’une petite armée africaine. Dans ces conditions, comment faire la guerre ou défendre le pays contre des djihadistes devenus extrêmement riches, dotés de beaucoup de ressources et de moyens ? La France a consenti beaucoup de sacrifices, et pour que ces sacrifices ne soient pas vains, et surtout pour éviter que la France, comme d’autres pays, ressente 54 Université d’été de la Défense une certaine lassitude d’un éternel recommencement, il faudrait encourager la mise en place rapide de forces africaines pour prendre en charge les problèmes de sécurité en Afrique. La France pourra équiper, armer, soutenir, former, assister, et c’est peut-être la voie de l’avenir. Olivier ZAJEC - Merci beaucoup pour cette intervention sans langue de bois et à laquelle certains de nos panelistes brûlent sans doute de répondre. Le sud, c’est l’Afrique ; sur nos écrans aujourd'hui, même s’il est plus éloigné, le sud, c'est également le Moyen-Orient, où après dix années de contre-insurrections, d’interventions occidentales sous direction américaine le plus souvent, la situation politique, géopolitique, est catastrophique. C'est en particulier le martyr des chrétiens d’Orient, que nous avons dans l’actualité régulièrement et qui donne la mesure de cet effondrement, de cette fragmentation. Jean-Louis Carrère, dans ce cadre-là, l’Europe peut-elle raisonnablement jouer un rôle militaire éventuel dans la région ou devonsnous nous concentrer sur notre propre voisinage et finalement ne participer que de manière indirecte à ce devoir de stabilisation dans la zone ? Jean-Louis CARRÈRE, Président de la Commission des Affaires étrangères de la Défense et des Forces armées du Sénat - Merci pour votre question, mais pour moi, la réponse est naturellement évidente, le Moyen-Orient est dans le voisinage de l’Europe. Si vous nous proposez comme alternative d’intervenir ou de rester dans notre voisinage, nous sommes dans notre voisinage. Elle ne peut se désintéresser de cette région avec laquelle elle a établi des relations très importantes. Certains Etats bénéficient d’ailleurs de politiques européennes de voisinage très précises et très structurées. Sa déstabilisation aurait des conséquences graves. L’Europe est surtout intervenue par sa diplomatie et ses politiques de coopération. Certains Etats assurent une présence militaire. Pensons aux contingents européens de la FINUL au Liban, à la participation à la première guerre en Irak après l’invasion du Koweït, pensons à la présence de nos amis britanniques lors de la seconde guerre d’Irak, pensons à notre base d’Abou Dhabi. On peut effectivement douter de l’efficacité des stratégies de changement de régimes coercitifs et de contre-insurrection. Les modalités de reconstruction post-interventions et les modalités de retrait sont éminemment complexes, tout le monde le sait, et dépendent essentiellement de la capacité et surtout de la volonté de réconciliation des équipes auxquelles est confié le pouvoir. On n’a pas de véritable antidote ou de véritable vaccin, il faut reconnaître qu’en Irak, le gouvernement Maliki n’a pas véritablement œuvré en ce sens. En Syrie, l’opposition est très divisée, et sur le plan militaire, certains mouvements djihadistes affrontent l’Armée syrienne Libre. Voyons également la situation de la Libye. Je souscris tout à fait aux craintes énoncées par notre ministre de la Défense. J’y étais il y a quelque temps et je vois que si nous n’y prenons garde, un chaos à haut risque pourrait s’installer et s’amplifier dans ce pays. Les stratégies de changement de régime peuvent d’ailleurs déboucher sur des situations totalement incontrôlées. Le fait est que la situation au Moyen-Orient s’est complexifiée avec la montée en puissance du prétendu « Etat Islamiste », sa place conséquente en Syrie et son offensive en Irak. On peut d’ailleurs s’interroger sur les causes de la montée en puissance de ce mouvement qui, je le rappelle, s'est fortifié dans la guerre civile en Syrie où il contrôlerait près du tiers du territoire. Je me pose même la question : d’une certaine façon, ne leur avons-nous pas, nous Européens et Etats-Unis confondus, en étant peut-être trop timides dans notre soutien à l’opposition syrienne modérée, laissé le champ libre ? Aujourd'hui, ce mouvement apparaît comme la menace principale au Moyen-Orient car il dispose de compétences militaires autant dans le combat asymétrique que dans le combat conventionnel grâce à l’apport de cadres du régime de Saddam Hussein. Il dispose d’équipements militaires modernes, y compris des blindés pris à l’armée irakienne. Il dispose de moyens financiers conséquents, et ils représentent une menace réelle pour les pays voisins, comme la Jordanie et le Liban. Il utilise la terreur à un point rarement atteint dans ses modes d’action et de communication. Je n’ai pas besoin de préciser, vous le savez tous. Et il exerce une forte attractivité, et cela est également très dangereux, sur les candidats au djihad dans BORDEAUX & MERIGNAC 2014 55 le monde entier. Plusieurs dizaines d’Américains, plus d’un millier d’Européens combattraient dans ses rangs. Les allers-retours de ces combattants sont très inquiétants pour notre propre sécurité intérieure. Vous me demandez si l’Europe peut jouer un rôle militaire dans la région. Je crois que oui d’une certaine façon car certains Etats européens disposent de moyens d’intervention. L’année dernière, la question s'est posée d’une intervention en Syrie après l’utilisation d’armes chimiques par Bachar El Assad. Britanniques et Français auraient pu y être associés. Aujourd'hui, je crois que l’Europe a pris conscience de la menace de l’Etat Islamique. J’observe que la Grande-Bretagne, l’Allemagne et la France ont ou vont livrer des armes aux peshmergas kurdes avec l’accord, bien sûr, du gouvernement irakien. J’observe que la France et la Grande-Bretagne ont déjà effectué des opérations de largage de fret humanitaire. Seuls les Etats-Unis sont intervenus par des bombardements aériens. A ma connaissance et à ce stade, les Européens n’ont pas été sollicités pour des opérations militaires directes, mais l’Europe n’a certainement pas les moyens aujourd'hui de répondre seule sur le plan militaire, et d’ailleurs serait-ce vraiment souhaitable ? On voit bien que la réduction d’un tel fléau exige une stratégie globale qui implique de nombreux Etats de la région, mais aussi l’Europe et, naturellement, les Etats-Unis. Vous remarquerez que le Président Obama appelle à la constitution d’une coalition régionale, le Président Hollande propose la tenue d’une conférence internationale. Au-delà des aspects purement militaires, il faudrait, pour éradiquer ce mouvement très innovant dans ses modes d’action, travailler en coopération sur de multiples terrains : la reconnaissance et le renseignement, la sécurité intérieure, les circuits économiques et de communication, la reconstruction sociale. Et je ne suis pas exhaustif. Outre son action diplomatique, l’Europe a, dans ces différents domaines, des capacités d’action. Mais je sais que Josette Durrieu est dans la salle et je n’oublierai donc pas, en guise de conclusion, de vous demander de ne surtout pas perdre de vue dans cette politique au Moyen-Orient la question palestinienne qui a connu un nouvel épisode douloureux à Gaza cet été et qui, sans une réponse juste et équitable, restera un abcès de fixation dans tout le monde arabo-musulman, ainsi qu’une source et un prétexte fort de développement de l’extrémisme, tout ce que nous combattons. Olivier ZAJEC - Merci, Monsieur le Président. Etant donné l’agenda de Monsieur le ministre de la Défense, je vous propose de rassembler les questions à la fin des deux panels et passer directement au second panel sur deux questions à Eric Trappier et au Général de Villiers sur nos moyens, les budgets, ce que l’on doit mettre sur la table pour répondre aux différentes crises et aux différents dangers de déstabilisation qui ont été mis en perspective par nos intervenants. Mon Général, sur cette question de la mise en regard de la stratégie des moyens, de la stratégie opérationnelle, et des objectifs politiques, l’Europe baisse globalement ses budgets de défense, et les commentateurs parlent pour certains de juste effort, pour d’autres d’effort trop juste. Qui a raison ? Général de VILLIERS - Comme je l’ai dit en réponse à votre question lors de la séquence précédente, la responsabilité européenne est la somme des responsabilités nationales. L’Europe, collectivement et individuellement, consciente des enjeux, doit montrer sa volonté d’agir pour la sécurité des Européens. Cette volonté est la meilleure annonce et assurance qui soit, mais elle ne suffit pas si elle ne se traduit pas dans les faits, c'est-à-dire dans les budgets. Le partage du fardeau, c’est aussi le partage des coûts. Les déclarations à Newport ont été nombreuses dans ce sens et nous ne pouvons que nous en réjouir, il reste à ce qu’elles soient suivies d’action dans les différents pays. S’agissant de la France, l’effort budgétaire consenti pour la défense et pour celle de l’Europe traduit l’ambition nationale qui est décrite dans le livre blanc. Cet effort est décliné dans la LPM. L’analyse des menaces menée lors de la rédaction du livre blanc a conduit au choix d’un modèle d’armée complet. Ce choix s’avère aujourd'hui pertinent au regard de ce que nous vivons et des crises qui ont émergé depuis, notamment à l’est comme au sud de l’Europe. Mais s’il permet de disposer en permanence d’un outil militaire complet et cohérent, apte à garantir nos intérêts de 56 Université d’été de la Défense défense, le modèle décrit dans la LPM se situe à un niveau juste suffisant au regard de l’objectif. C’est le meilleur compromis possible compte tenu du contexte budgétaire actuel. Vous le savez, le costume est taillé au plus juste. Il s’agit donc d’être particulièrement vigilant sur les conditions d’exécution du budget et sur le respect intégral de la Loi de programmation militaire. Chaque programme, chaque matériel inscrit dans la LPM a du sens par ses interactions avec les autres. Nous avons fait un travail fouillé, et pour être dans ces domaines depuis plus de vingt ans, je n’ai jamais vu une Loi de programmation militaire aussi bien construite dans le détail et dans sa cohérence globale. Cet équilibre est donc fragile, il faut veiller au maintien de cette cohérence d’ensemble. Ma vigilance, ou plutôt notre vigilance car c'est une responsabilité collective, et je sais que les parlementaires et les industriels notamment sont particulièrement attentifs à ce sujet, doit porter sur la mise à disposition effective, selon le calendrier prévu, de l’ensemble des ressources, au premier rang desquels figure les ressources exceptionnelles qui représentent 6,6 milliards d’Euros pour la LPM 2014-2019. Le Président de la République l’a dit en juin, il l’a répété le 28 août dernier à l’occasion de la Conférence des ambassadeurs, les crédits de la LPM seront maintenus. Il est vrai, et cela a été rappelé dans l’interview parue dans le Figaro du ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian, que le contexte international n’incite vraiment pas à baisser la garde. En cohérence avec cet objectif capacitaire, les armées poursuivent leur transformation et leurs efforts. Elles sont en marche, une marche structurée autour d’un projet, baptisé Cap 2020 qui, pour la première fois, réunit l’ensemble des projets de trois chefs d’Etat-major d’armées et aussi les six directions et services. Je reste particulièrement vigilant également sur le moral des troupes, qui conditionne le succès de la manœuvre. Je précise que nous maintenons aussi l’atteinte de l’objectif constant de notre interopérabilité avec nos alliés. Cela est vrai avec nos partenaires européens, avec nos partenaires africains que je salue ici et avec lesquels je travaille au quotidien, comme avec nos amis américains. En conclusion, je crois sincèrement que la France a fait le bon choix en maintenant son effort de défense à un niveau adapté aux enjeux. Nous ne cessons de le rappeler, vous pouvez compter sur les armées en échange pour utiliser à bon escient tout Euro dépensé au service de la sécurité des Français et des Européens, tout en étant présents en RCA, dans la BSS, au Liban et ailleurs, partout où le Président de la République le décidera pour le succès des armes de la France. Olivier ZAJEC - Eric Trappier, en brossant cette situation, le Général de Villiers a fait le distinguo entre les paroles et les actes. Dans le domaine industriel, dans le domaine capacitaire aujourd'hui en Europe, on perçoit une difficulté des Européens à lancer de grands programmes d’armement en commun, et surtout dans le haut du spectre des capacités. Est-ce que cette situation, souvent commentée par les analystes de défense, tient seulement à ce que l’on pourrait appeler les égoïsmes nationaux ou est-ce qu’elle a d’autres raisons ? Eric TRAPPIER, Président de Dassault aviation - Je reprendrai dans mon discours un certain nombre de points des efforts dans la LPM, mais je voudrais dire que je ne partage pas le mot égoïsme car la souveraineté, ce n’est pas de l’égoïsme, c'est de la cohérence, comme vous avez pu le rappeler après. Aujourd'hui, cette cohérence est issue des soixante dernières années d’efforts dans le domaine de la défense de la France, et en parallèle a commencé à se construire une certaine idée de l’Europe. Je voudrais juste rappeler un chiffre. Si vous prenez l’Europe, qui peut, en termes de capacité, se comparer aux Etats-Unis au niveau humain, au niveau taille, il faut savoir que les Etats-Unis investissent environ 180 milliards d’Euros dans leurs dépenses d’équipement, là où nous sommes autour de 50, et dans la R&D, les Etats-Unis dépensent environ 48 milliards là où nous dépensons 9 milliards. Le nerf de la guerre, c’est aussi la possibilité de mobiliser les budgets. Aujourd'hui, l’Europe doit se mobiliser en mettant un certain nombre de budgets à la disposition de la communauté. BORDEAUX & MERIGNAC 2014 57 D’autre part, c'est l’expression d’un besoin commun, lequel sera issu de politiques communes. On n’y est pas tout à fait, cela se construit lentement mais cela se construit. Nous industriels avons besoin de programmes, nous sommes volontaristes pour avoir de nouveaux programmes et aujourd'hui nous comptons beaucoup plus sur les efforts de R&T qui préparent l’avenir dans le cadre de ce que l’on appelle techniquement en France des PEA, que la DGA nous octroie et qui nous permettent d’aller vers les technologies du futur. Il est évident que dans le domaine de la R&T, l’Europe pourrait et devrait aider. Elle le fait déjà dans le domaine civil, mais on pourrait imaginer que l’Europe mobilise des budgets pour préparer ces technologies du futur. Pour terminer, je dirai qu’en attendant il faut être très pragmatique, c'est-à-dire nous rapprocher d’un certain nombre de pays d’Europe. En termes de défense, de capacité militaire, la France prend aujourd'hui sa part, une part importante, et dans une cohérence. Nous sommes un des rares pays, évidemment loin derrière les Etats-Unis, à être capable de rentrer en premier dans un conflit. Elle va donc jouer ce rôle de locomotive au sein de l’Europe, mais il lui faut rapidement coopérer avec d’autres pays voisins. La Grande-Bretagne doit être évidemment un partenaire, et je me réjouis des programmes communs qui sont lancés dans le cadre du traité de Lancaster House. Le ministre et son homologue ont annoncé un certain nombre de programmes à venir, c’est donc un axe de coopération fondamental qui n’est pas contre l’Europe. Et puis l’Allemagne, qui a des moyens et qui, petit à petit, souhaite s’impliquer et doit donc préparer un certain nombre de programmes. Dans ce domaine, l’axe franco-allemand ne demande qu’à grandir. D’autres pays viendront. La Pologne a fait part de son intention de participer à cette construction, ce dont nous nous réjouissons. Il faut aussi que ces technologies qui vont déboucher sur des équipements soient au service des Européens et donc des industriels en Europe. Olivier ZAJEC - Je vous propose maintenant de poser vos questions sur l’ensemble de ces sujets. Madeleine MOON, House of Commons Defence Select Committee and NATO Parliamentary Assembly Representative from the UK - I was particularly pleased to hear the presentation from the German guest because three years ago the Parliamentary Assembly was in Germany in the Bundestag, with my good friend Karl Lammers. We were told that Germany was semi-detached from NATO, seeing itself surrounded by friends with no threats. I am glad to see that we all recognize the threats that face us now. We’ve talked a lot in the panel about the importance of military cooperation, the purchasing of equipment. But are we missing out on another element of defence, perhaps? This is following the money. Both Russia and the various Islamic fundamentalist groups are extremely rich. Shouldn’t we be using our intelligence and banking systems to find out where that money is being generated, and making the provision of money to those groups an illegal act, not only in our countries but encouraging allies in the Middle East to do that as well? So that we can cut of at source the wealth that lets them move the Islamic fundamentalism forward. And in terms of Russia, can we be honest and address Russia interest in Ukraine as being around access to uranium there and to key Russian industrial and military plants that are based in Ukraine. Shouldn’t we be looking outside the traditional use of forces, but looking at the money and the reasons behind some of the actions that are taking place? Olivier ZAJEC - Merci pour votre question qui porte sur les leviers financiers de la déstabilisation et des crises. Je pense que la question s’adresse plutôt à Monsieur Brauksiepe, puisque vous avez cité l’Allemagne. Que pensez-vous de ce levier qui 58 Université d’été de la Défense consiste à agir sur les flux financiers dans les régions en crise pour faire baisser la tension ? Ralf BRAUKSIEPE - Thank you very much. First of all we are still happy to be surrounded only by friends, nothing has changed in recent years. Of course we have to realise that threats have come back to Europe. If I may, I will mention one issue that I find really important. You correctly mentioned the challenges with regard to Russia and the Ukraine crisis, and other hand the Islamist challenge. What we should make clear to ourselves is that we shouldn’t underestimate either of the challenges that we are facing. No problem becomes smaller when the other becomes worse. This is also a very important issue. This is also a question that we discussed, and a question we raise in regard to the Islamist movements. Where does all the money come from? I must admit that I’m no expert on that, nor on the question of how to tackle this issue. But if we realize that the Islamist movements are probably able to refund themselves by selling energy resources, by selling oil that they have conquered or banks that they have conquered, this is a real challenge. I am no expert in that, but experts should concentrate on how we can also manage this problem by looking at the funds of these movements. I would clearly agree on that. With Russia, the issue is more complex. Russia disposes of natural resources, as we all know, and this is rather a question of our dependence on their resources. I think this is an issue that is also discussed, especially with our Baltic friends. These are the consequences of the fact, which is new for us, that in Soviet Union times, Germany never had the experience that the Soviet Union used energy resources as a weapon. It is doubtless a new challenge for all of us that energy supply seems to be regarded as one weapon, among others, that can be used by Russia. I agree that this is the challenge that we have to deal with. Jean-Dominique GIULIANI, Président de la Fondation Robert Schuman - Je souhaite rebondir sur une réflexion d’Eric Trappier sur les politiques européennes. Bien qu’Européen convaincu, je sais depuis toujours qu’il n’y aura d’Europe de la défense que si on repart des intérêts nationaux. L’opération Atalante a fonctionné de cette façon. En matière industrielle, c’est la même chose. N’est-ce pas le moment alors qu’il y a une nouvelle Commission, que Monsieur Juncker va annoncer demain les répartitions nouvelles des compétences, d’avoir une coalition pour parler de crédits de recherche, de financements européens de la recherche, pas seulement civile, mais duale et aussi militaire, ce qui est un peu interdit aujourd'hui à Bruxelles, donc profiter de la volonté de cette nouvelle Commission européenne de participer à une relance de l’investissement dont on a bien vu qu’elle passe aussi par un soutien aux industries de défense. Cette démarche pragmatique pourrait être comprise par tout le monde, à condition de lever quelques tabous. Eric TRAPPIER - Il y a évidemment des conditions qu’il va falloir lever. Lors du Conseil de décembre dernier, les ministres de la Défense ont donné des axes et un suivi doit maintenant être fait au niveau de la Commission européenne. Ce n’est qu’un début, mais c'est nécessaire pour progresser dans la capacité à financer une partie de l’Europe du futur. On ne va pas l’appeler préférence européenne, mais ce serait quand même bien que l’Europe s’intéresse à son industrie, à ses technologies, plutôt que d’aller les chercher chez les voisins outre-Atlantique. Christophe REMY, Magellan Industries - Sur les cartes que vous avez présentées au début, vous faites apparaître le Soudan et l’Iran comme des pays déstabilisateurs alors même que les Etats-Unis aujourd'hui travaillent avec l’Iran et vendent d’ailleurs massivement en Iran, et vous ne faites pas référence à des pays du Moyen-Orient qui sont connus depuis longtemps comme des vecteurs de financement de groupes islamistes. Je souhaiterais savoir pourquoi. Michel FOUCHER - La légende indique « Etats désignés comme déstabilisateurs », ce n’est pas la même chose. BORDEAUX & MERIGNAC 2014 59 Olivier ZAJEC - C'est-à-dire que d’autres pays du Golfe ne sont pas désignés comme des Etats déstabilisateurs alors qu’ils financent ? Michel FOUCHER - Vous avez raison, je vais réfléchir à une autre version, mais encore une fois c’est « désignés comme ». A mon avis, la politique américaine, depuis le premier mandat Obama, de tendre la main à l’Iran est parfaitement justifiée. C’est une illusion que de vouloir une espèce de traité de Westphalie moyen-orientale, parce qu’on n’échappera pas à cela, sans l’Iran, mais il faut un accommodement entre l’Iran et l’Arabie Saoudite. Le problème du Qatar est que c’est tellement petit sur une carte que même si je mettais quelque chose, on ne le verrait pas. Olivier ZAJEC - Je remercie chaleureusement l’ensemble des intervenants de ce panel. C’était passionnant et fondamental pour notre discussion. Je vous propose de passer aux deux allocations de clôture de cette plénière. Monsieur Eric Trappier, Président de Dassault aviation, et Monsieur Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense. Patricia ADAM - Je voudrais profiter du fait que nous soyons tous réunis en séance plénière pour saluer Didier François et Edouard Elias, grands reporters, qui ont été nos otages, qui ont été libérés. Ils sont aujourd'hui parmi nous et nous en sommes très heureux. Je crois qu’il faut rendre hommage à leur courage et à leur résilience car ils continuent à exercer leur travail de grands reporters et nous pouvons en être fiers. 60 Université d’été de la Défense BORDEAUX – Mardi 9 septembre 2014 Clôture de la séance par Eric TRAPPIER Président-Directeur général de DASSAULT Aviation Monsieur le Ministre, Madame la Présidente de la Commission de la défense nationale et des forces armées, Monsieur le Président de la Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, Monsieur le Président du Conseil régional d’Aquitaine, Mesdames, Messieurs les parlementaires, Messieurs les officiers généraux, Mesdames, Messieurs, En cette année où la France commémore le centenaire du déclenchement de la première guerre mondiale et le 70ième anniversaire des débarquements en Normandie et en Provence, le monde est-il beaucoup plus sûr que celui de 1914 ? Où sont passées ces dividendes de la paix qui nous étaient promises avec la fin de l’affrontement des blocs… ?. Qui pourrait garantir dans cette salle, où tant d’experts sont réunis, que plus jamais un conflit de haute intensité nécessitant des engagements massifs d’hommes et de moyens ne saurait se produire en Europe au moment même où l’Ukraine est profondément déstabilisée ? Aujourd’hui, à la guerre froide a succédé une paix chaude. On assiste depuis une vingtaine d’années à une multiplication des crises et des conflits en Europe et sur ses marches orientales et méridionales mais aussi au Moyen Orient et en Afrique avec pour conséquences que nos hommes et matériels sont sollicités comme jamais. En Asie on ne compte plus les tensions maritimes et aériennes qui mobilisent et vont mobiliser les Etats Unis vers le Pacifique. Pourtant malgré cet environnement stratégique très incertain, on assiste à une baisse régulière des budgets de la défense en France et en Europe alors que ces budgets augmentent ailleurs notamment en Chine, en Russie ou en Inde. Si la LPM votée en 2013 a cherché à maintenir un certain effort de défense dans un contexte pourtant critique pour les finances publiques nationales, elle n’en constitue pas moins un seuil en de ça duquel la singularité du modèle français serait à redéfinir. Cette singularité tient dans la capacité unique en Europe des armées françaises d’opérer aussi bien de façon quasi-autonome que dans le cadre de coalition notamment avec l’OTAN. Je profite de l’occasion qui m’est offerte pour saluer l’action déterminée menée par le Ministre de la Défense, les chefs d’Etats-Majors, le Délégué Général pour l’armement et les élus de la Nation pour prévenir la volonté de certains de remettre en cause une LPM à peine votée. BORDEAUX & MERIGNAC 2014 61 La sanctuarisation du budget à 31.4G€ comme le Président de la République l’a encore rappelé lors de la conférence des ambassadeurs, est, en effet, la condition sine qua non pour que perdure cette exception militaire française ou liberté de décision de nos instances politiques se combine avec autonomie d’action pour nos armées. Le respect de l’exécution de la LPM est aussi un impératif, si la France veut conserver une industrie de défense qui lui garantisse la maîtrise de ses moyens militaires, sans lesquels, il n’y a pas de réelle souveraineté. Les industriels de la défense, parce qu’ils sont une industrie de cycle long, ont un impérieux besoin de visibilité, de stabilité budgétaire et programmatique. C’est pourquoi dans le cadre du CIDEF, ils se sont, eux aussi, mobilisés pour que les engagements budgétaires soient tenus. Les industriels concourent aussi très directement au développement économique grâce à la maîtrise des technologies les plus critiques gage de leur compétitivité, au maintien d’un emploi stable à forte valeur ajoutée dans les régions et ils contribuent positivement à notre balance commerciale avec l’export comme cela fut rappelé ce matin. Par sa flexibilité, sa versatilité et sa puissance de feu l’aviation de combat est un réel multiplicateur de forces au profit des armées. Elle est au cœur de la protection du territoire avec la police du ciel, elle participe, en parallèle de la composante sous marine, à la crédibilité de la dissuasion, elle est un des vecteurs de la fonction connaissance- anticipation avec les capacités reconnaissance de ses avions. Enfin, l’aviation de combat est devenue indispensable pour que les opérations terrestres se déploient dans des conditions optimum de sureté pour nos soldats engagés au sol. Ainsi, le RAFALE a montré toute la redoutable efficacité de sa polyvalence et son adéquation aux besoins des armées sur tous les théâtres où il fut engagé de l’Afghanistan à la Libye; du Mali à la Centre-Afrique.Pour reprendre les mots du Général de Villiers récemment publiés dans la revue DSI, le RAFALE est donc essentiel dans la colonne vertébrale capacitaire des armées pour aujourd’hui et pour demain. Si le RAFALE répond aussi bien à l’ensemble des exigences et des contraintes qui lui furent imposées cela tient à la formidable accumulation de savoir faire et de compétences qui est concentrée dans la filière française de l’aéronautique de combat regroupant les armées, la DGA et les industriels. Monsieur le Ministre, vous l’avez rappelé à Mérignac en janvier dernier quand vous étiez venu notifier aux industriels du programme RAFALE les développements F3R et encore à Istres en juin pour les 70 ans du CEV. Votre soutien a été apprécié par le personnel d’une filière d’excellence rassemblant autour de Dassault Aviation : Thalès, Snecma et tout un tissu national de plus de 500 PME-PMI tellement fier de ce qu’il réalise au profit de nos armées. Ainsi, en 60 ans, Dassault Aviation a développé 100 prototypes militaires et produit, ici à Bordeaux, 6000 avions de combat pour 35 pays, et nous continuons d’en soutenir plus de 1000. L’export du RAFALE est d’ailleurs vital pour l’ensemble de l’équipe France dont la mobilisation est à cet égard totale. Avec la modernisation de l’ATL2 que nous réalisons avec Thalès, DCNS et le SIAé, avec les Falcon 50 de SURMAR et nos projets dans les drones MALE, Dassault Aviation est également présente dans l’aviation de surveillance. Cette capacité repose dans notre savoir faire de maître d’œuvre, intégrateur de systèmes complexes qui est le résultat d’un investissement continue par la France dans son industrie aéronautique de combat. Les difficultés rencontrées par Lockheed Martin dans les intégrations systèmes du JSF/F35, dont l’ambition est de faire un avion « joint » mais avec des budgets sans comparaison avec ceux du RAFALE, illustrent d’ailleurs à quel point il faut se réjouir de disposer en France de tels savoir faire. 62 Université d’été de la Défense Le numérique avec ses nouveaux outils doit nous permettre de préparer cette maîtrise des grands systèmes futurs comme CATIA l’a permis avec le PLM pour les produits industriels 3D. L’avenir de l’aéronautique de combat européen, filière considérée comme stratégique tant par les Etats Unis que par toutes les Nations qui aspirent à la puissance à l’instar de la Chine, est à la croisée des chemins. En effet, baisse des budgets européens, réductions des séries, incertitudes programmatiques, concurrence exacerbée des EtatsUnis qui bénéficiant d’une préférence américaine ont préempté le marché européen avec le F-35, voilà autant de menaces pour la pérennité de la filière avions de combat. Notre industrie aéronautique est par essence une industrie duale. La fertilisation croisée entre le militaire et le civil est majeure dans notre activité. Force est de constater que si les budgets de la défense ont longtemps soutenu l’acquisition des technologies et compétences clefs, aujourd’hui ce sont les marchés civils qui permettent à Airbus, Dassault, Snecma, Thalès et leurs sous-traitants d’avoir la masse critique. C’est parce que notre industrie est à la fois civile et militaire que nous pouvons avec nos partenaires industriels maintenir les emplois principalement sur le territoire national. C’est grâce à cette double production que nous arrivons à optimiser nos cycles et nos coûts face à nos concurrents qui sont nord-américains. Ils bénéficient pour leur activité civile des retombées des investissements effectués dans la défense, de taux horaires inférieurs aux nôtres, d’une fiscalité plus avantageuse et d’une parité eurodollar qui leur est très favorable. Les Etats Unis cumulent ainsi les avantages : ils sont un pays « High Tech » et ils sont devenus un pays « Low Cost » ! La baisse toute relative des budgets de défense outreAtlantique a renforcé la mobilisation des américains pour gagner des parts de marché export. L’Europe est d’ailleurs une cible privilégiée permettant aux Etats Unis de faire coup double : ils renforcent leur emprise technologique et opérationnelle et développent l’emploi dans leurs territoires. Pourtant, je ne crois pas dans la fatalité du déclin. Je suis profondément convaincu que si la France, fidèle à son rôle moteur en Europe, avec le soutien d’autres pays européens, a la volonté de rester maître de son destin alors nous saurons relever les défis et poursuivre cette formidable histoire industrielle qui dure depuis bientôt 100 ans, celle de l’aviation et de l’aviation de combat en particulier. Le remplacement des flottes aujourd’hui en service ne se fera pas avant 30 ou 40 ans. Mais la préparation du futur, le développement des nouvelles technologies et des systèmes de demain doit s’anticiper dès maintenant pour que la France et l’Europe conservent leur autonomie stratégique. L’industrie française dispose des compétences nécessaires pour écrire cet avenir. En décembre 2012, le nEUROn a fait son premier vol dans le ciel européen. Il poursuit en ce moment même avec succès sa campagne d’essais. En moins de dix ans, nous avons avec nos cinq partenaires industriels européens réalisé le premier drone de combat furtif en Europe dans une enveloppe d’un peu plus de 400 millions d’euros là où les Etats-Unis dépensent dix fois plus. Ce projet est un véritable laboratoire où ont infusé les technologies stratégiques de l’aviation de combat futur. Je crois dans des coopérations soutenues par des Etats animés par une ambition commune, servie par des budgets et qui partagent de mêmes engagements opérationnels. Dans le domaine des avions de combat, la coopération avec les britanniques doit s’inscrire dans cette logique. C'est pourquoi je me félicite du lancement d’une coopération sur le Système de Combat Aérien Futur que vous avez annoncé Monsieur le Ministre avec votre homologue britannique à Farnborough. Cette première phase de faisabilité a été confiée à Dassault Aviation, à BAES et leurs partenaires Thalès, Selex, Snecma et Rolls Royce. BORDEAUX & MERIGNAC 2014 63 Elle préfigure l’équipe qui demain réalisera des drones de combat complémentaires des appareils pilotés aujourd’hui en service. Elle est une étape extrêmement importante dans notre stratégie de préparation du futur. Elle montre surtout l’ambition de la France et de la Grande Bretagne de rester des puissances aéronautiques de premier plan. !! Enfin, dans le domaine des drones MALE, stratégique parce qu’ils concernent le recueille de l’information et éventuellement le tir d’une arme, il est important que l’Europe lance des développements. Si l’interopérabilité avec l’OTAN est en effet une nécessité comme le démontre le RAFALE, cela ne doit pas pour autant être la porte ouverte à l’américanisation de nos moyens, au-delà de la nécessité de répondre à un besoin capacitaire temporaire. C’est pourquoi, l’initiative franco allemande d’un MALE 2020 entre Dassault Aviation et Airbus, que les italiens pourraient également rejoindre, doit permettre à notre filière de répondre aux besoins des opérationnels. Il ne faudrait pas que ce domaine soit abandonné aux seuls Etats-Unis et à leur Reaper qui est au drone ce que le JSF est aux avions de combat : un moyen pour développer leur industrie et l’emploi associé, étendre leur marché et ce au détriment de nos industries. Évolutions du RAFALE et son exportation, lancement du programme francobritannique d’UCAV, projet de drone MALE 2020 armable, modernisation des ATL2, poursuite des développements des avions de surveillance maritime, développement des écoles d’entrainement du futur, voici autant de chantiers qui montrent que l’aviation de combat reste bien au cœur des stratégies de défense et de puissance de la France et de certains états européens. La France dispose d’industriels compétents, qui ont toujours tenu leurs engagements techniques, financiers et calendaires. Elle peut s’appuyer sur une DGA attachée à la préparation du futur et sur des forces armées dont l’excellence n’’est plus à démontrer. Cet ensemble cohérent dispose d’une expérience cumulée qui est unique au monde. Mais notre activité malgré ses atouts ne sera pérenne sans vision, sans stabilité budgétaire et engagements programmatiques sur le moyen et long terme. Je me réjouis de voir que des perspectives se dessinent dans notre secteur tant en franco-britannique qu’en franco-allemand. C’est ainsi que les industriels de la défense pourront continuer à être au service des armées en produisant et soutenant les meilleurs matériels et, plus globalement à celui de la Nation, en contribuant comme ils le font aujourd’hui à son développement économique et social à l’instar de ce qui prévaut dans cette région aquitaine qui nous accueille aujourd’hui. Depuis les années 30 un écosystème aéronautique et défense s’est développé ici. Ce pôle a été encore renforcé par la présence de la SIMAD et du CSFA qui font qu’un grand centre de la maintenance aéronautique est ainsi constitué. L’Aquitaine concentre un bassin d’emplois à forte valeur ajoutée où l’on trouve des ingénieurs, des techniciens et compagnons de qualités bénéficiant d’une formation de haut niveau. Cet éco système s’appuie sur les nombreuses initiatives des élus locaux, de la région à la CUB, comme en témoigne le salon du soutien et des UAV qui ouvrira ses portes cet après-midi. Les Etats européens, s’ils veulent peser sur les affaires du monde, d'un poids conforme à leur histoire et à leurs ambitions, doivent accepter de consentir les efforts nécessaires pour soutenir leur défense, tant il est vrai qu'il n'y a pas de diplomatie crédible qui ne s'appuie sur un outil de défense efficace. L’aviation de combat peut dans les décennies qui s’annoncent continuer à être un de ses garants indispensables à l’influence internationale et à la sécurité collective de l’Europe. 64 Université d’été de la Défense BORDEAUX – Mardi 9 septembre 2014 Discours de Jean-Yves LE DRIAN Ministre de la Défense Madame la Présidente, chère Patricia Adam, Monsieur le Président Carrère, Monsieur le Chef d’Etat-major des Armées, Mesdames et Messieurs les parlementaires, Mesdames et Messieurs les Officiers généraux, Mesdames et Messieurs, chers amis, nous nous retrouvons dans un contexte international et stratégique d’une exceptionnelle gravité. Merci, monsieur, pour vos encouragements à mon égard. Et pour prolonger nos échanges, je voudrais partager avec vous ma vision de notre environnement de sécurité et les enseignements que j’en tire pour l’action que j’ai l’honneur de conduire. La France, et au-delà l’Europe, sont interpellées aujourd'hui, simultanément, sur trois fronts d’insécurité majeure, et trois fronts d’insécurité désormais inévitables. Le premier, c’est le terrorisme djihadiste, celui que j’appelle volontiers le terrorisme djihadiste de deuxième génération, après la génération de Ben Laden. En Irak et en Syrie, l’organisation Daech, qui se prétend Etat Islamique, atteint des niveaux de maîtrise territoriale, d’organisation, de capacité financière et d’équipement encore jamais vus. Elle a déjà pris le monde à témoin d’actes barbares, au quotidien elle terrorise des populations entières, elle déstabilise une région déjà très fragilisée, et ambitionne de constituer un Etat terroriste dans le voisinage de l’Europe. Et plus largement, la menace djihadiste s’étend, pour ce qui nous concerne, du Pakistan au Moyen-Orient et au Levant, de la Corne de l’Afrique au Maghreb, de la Libye au golfe de Guinée, et la question qui est posée est celle de la connexion. La France prend toute sa part dans la mobilisation internationale qui s’esquisse désormais car à cette menace globale et multidimensionnelle, nous devons répondre par une stratégie globale, et c'est tout le sens de l’initiative qui a été lancée par le Président de la République sous la forme d’une conférence internationale pour améliorer la coordination de l’action internationale contre l’Etat Islamique. Je dis à la fois Daech et Etat Islamique, mais il faudrait trouver un mot qui puisse bien identifier cette organisation terroriste, et ne pas la laisser s’approprier les mots Etat et islamique, car c’est de l’usurpation et une forme d’injure à l’égard de la religion musulmane. En tout cas, l’initiative de la conférence internationale est indispensable pour coordonner l’action à la fois au plan humanitaire, au plan sécuritaire, au plan militaire et au plan politique. Le Général de Villiers a fait référence à Newport, le sommet de l’Alliance Atlantique. J’ai été extrêmement frappé au cours de ces deux jours de l’inquiétude suscitée par ce nouveau terrorisme, y compris chez nos amis et alliés de la région Asie-Pacifique qui ont souligné combien ils se sentaient eux-mêmes directement concernés par cette évolution. BORDEAUX & MERIGNAC 2014 65 Pour leur part, nos armées agissent déjà au plan humanitaire, dans le domaine de la coopération avec des actions de formation, dans le domaine du renseignement, et ont contribué à fournir des armements aux groupes qui tentent de résister et qui combattent en première ligne, en particulier au Kurdistan. Le Président de la République a annoncé à Newport l’intention de la France d’assumer pleinement ses responsabilités dans la coalition qui est en train de se mettre en œuvre, et donc nous le ferons. Cette action sera réalisée à la demande du gouvernement de l’Irak et dans le cadre des décisions du Conseil de Sécurité, en particulier la résolution 21-70 du 15 août dernier. Mais cette mobilisation contre l’Etat Islamique doit s’inscrire dans une démarche globale, à la fois au plan de la lutte, mais aussi au plan géopolitique. Cette action est cohérente avec notre engagement direct au Sahel contre les réseaux d’AlQaïda, avec aussi notre volonté de contenir les groupes terroristes en Libye et en Tunisie. Cette action est cohérente avec l’opération Barkhane qui a pris la suite de Serval, et avec notre appui à la lutte contre Boko Haram au Nigeria, mais aussi au Cameroun, en accord avec tous les Etats de la région. Cette action contre Daech doit nous conduire à aider les pays les plus menacés. Je pense en particulier à la Jordanie ou au Liban où, vous le savez, nous avons pris la décision de livrer aux forces armées libanaises, avec l’appui de l’Arabie Saoudite, des moyens opérationnels indispensables pour assurer la sécurité du pays. Le deuxième front que le livre blanc a appelé, sans se tromper au moment de sa rédaction, les risques de la faiblesse, est celui de la disparition d’Etats, de l’émergence de plusieurs Etats en faillite. Du fait de l’absence ou de l’extrême faiblesse des structures étatiques, des régions entières deviennent un terreau favorable aux crises, à la guerre civile et à tous les trafics. Cette vulnérabilité constitue un risque majeur, surtout lorsque des mouvements armés s’en emparent, leur capacité d’action étant encore démultipliée par les moyens technologiques et financiers dont ils peuvent disposer. Je pense en premier lieu à la République Centrafricaine, où nous avons dû intervenir en décembre dernier ; je pense à des régions entières du Soudan ou de la Corne de l’Afrique ; je pense enfin à la Libye. La situation en Libye nous préoccupe tout particulièrement, et le Président de la République l’a affirmé très clairement à la Conférence des ambassadeurs et je le redis à mon tour, comme je l’ai dit dans mon interview ce matin. Nous ne pouvons pas nous permettre d’attendre pour agir. La situation se dégrade jour après jour, le chaos s’installe, et le menace se précise, menace pour la stabilité du Sahel, menace pour les pays voisins et certains nous sont très chers, et je pense en particulier à la Tunisie, menace pour les Européens. Agir mais agir comment ? Je pense que cette action doit d’abord être globale. L’heure aujourd'hui est à la mobilisation diplomatique et politique. Laurent Fabius prend les initiatives nécessaires. A l’Assemblée générale des Nations unies, nous aurons l’opportunité d’aborder cette question sur l’initiative du Président de la République. Je me rends tout à l’heure à Milan pour une réunion des 28 ministres de la Défense de l’Union européenne, qui sera en partie consacrée à ce sujet. Dimanche, je dois me rendre aux Emirats pour le même sujet. L’heure est à la mobilisation, à l’alerte, et cette action à venir doit être collective et concertée au premier chef avec les pays voisins de la Libye, je pense à l’Egypte, à l’Algérie et aux pays du sud libyen. Le troisième front est celui que le livre blanc a pressenti sous la forme des menaces de la force. Là encore, l’actualité donne dramatiquement raison à ces analyses. Je pense à ces régions du monde, l’Asie en particulier, où nous assistons à une montée en puissance, parfois même exponentielle, des dépenses militaires. Et nous assistons en même temps à l’attisement des sentiments nationalistes et des tensions territoriales, la stratégie des neuf traits développée par la Chine. Dans ces régions désormais clés pour l’économie mondiale, l’affirmation de politiques de puissance susceptibles de s’affranchir du droit international, c’est le cas des neuf traits, pourrait se révéler demain catastrophique s’il n’y a pas une prévention des sources de conflit à temps. Je pense évidemment dans ce troisième front à la situation en Ukraine, à la politique d’affirmation de puissance de la Russie. L’annexion de la Crimée, la pression directe à l’est de l’Ukraine, au cœur du continent européen, constituent une rupture par 66 Université d’été de la Défense rapport aux vingt dernières années. Des décennies de paix, la fin de la guerre froide, avaient conduit l’Europe à penser que la guerre n’était plus possible sur son territoire et sur ses abords immédiats, les événements de ces six derniers mois nous ramènent brutalement en arrière. Et pour la première fois depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, un pays européen, l’Ukraine, dont la souveraineté était garantie par des accords internationaux et par des engagements des membres permanents du Conseil de Sécurité, dont la Russie, vient de perdre une partie de son territoire après usage illégal et illégitime de la force militaire. Les principes même qui font notre sécurité collective en Europe sont atteints, et il ne peut y avoir d’ordre international stable si les grandes puissances, qui ont une responsabilité éminente comme garantes de la paix, s’affranchissent des règles du jeu et agissent en contradiction avec les principes qu’elles affirment. Lors du sommet de Newport, le Président de la République a donc développé la position de la France, recherche constante des voies de dialogue avec Moscou pour trouver une solution politique à la crise, mais fermeté face au comportement sur le terrain et aux oscillations de la situation diplomatique et militaire. A cet égard, il y a eu conclusion pendant le week-end d’un cessez-le-feu en douze points, d’une feuille de route qui peut initier un processus politique. Il s’agit d’un premier pas qu’il faut saluer, mais dont nous connaissons tous la fragilité. Un mécanisme de contrôle a été mis en place sous l’égide de l’OSCE, la France y prend une part active avec ses partenaires et nous souhaitons que d’autres avancées puissent intervenir dans le sens d’un règlement politique de cette crise. J’en profite pour bien repréciser les choses sur la livraison du Mistral Vladivostok. La position de la France est simple. Nous avons toujours dit que la question de l’autorisation de l’exportation se poserait au moment de la livraison. La livraison est prévue fin octobre, donc la question se posera fin octobre. Il n’y a pour l’instant ni suspension ni rupture. Le Président de la République a simplement dit que si d’aventure, à cette date, les conditions étaient les mêmes qu’aujourd'hui, il ne donnerait pas l’autorisation. Appelez cela avertissement, anticipation, mettez le mot que vous souhaitez, mais voilà quelle est la réalité des choses, et il était important de le préciser ici pour qu’il n’y ait aucune ambiguïté. Nous souhaitons les uns et les autres qu’un processus politique permette d’aboutir à ce que ces mesures ne soient pas mises en œuvre. J’ai évoqué les trois fronts, et je voudrais vous dire que ces crises majeures nous concernent toutes et tous. Ce qui se passe en Ukraine, en Libye, en Irak, en Syrie, au Sahel, au Nigeria, pour ne s’en tenir qu’à ces fronts-là, met directement en jeu la sécurité des Français et la sécurité des Européens. Et en cela, ces crises sont un test de notre capacité commune à répondre aux menaces qui pèsent sur nous. Chacun le ressent bien, depuis quelques semaines nous avons changé d’échelle dans la nature de la menace. Le thème de cette université était finalement très bien choisi, agir et réagir. Il y a un an, la volonté d’action de la France en Syrie dans le contexte de la crise syrienne se heurtait à des pesanteurs qui ne sont jamais loin de nous, et cet épisode a fait la tragique démonstration du coût sécuritaire et humanitaire de l’inaction. Nous mesurons aujourd'hui les conséquences de l’incapacité de la communauté internationale à agir pour régler la situation dans ce pays et empêcher de nouveaux massacres. Devant la facilité de l’inaction, la frilosité de certains partenaires, la conviction que je partage avec le Chef de l’Etat, c'est que la France doit prendre ses responsabilités en mobilisant ses capacités de défense. Depuis deux ans, la France a pris ses responsabilités chaque fois que cela s’est avéré nécessaire, et elle continuera de le faire. Dans ce contexte grave, et inédit à bien des égards, notre première obligation est de garantir les choix que nous avons faits pour notre défense en matière de programmation, car ils sont plus cruciaux que jamais. Chacun voit bien que notre outil de défense est extraordinairement sollicité, et dans ces moments de tension et d’incertitude, nous avons au moins la satisfaction de constater que la matrice stratégique du livre blanc était la bonne. Le livre blanc n’avait pas prédit ce qui se passerait en Irak ou en Ukraine, mais il avait donné le cadre BORDEAUX & MERIGNAC 2014 67 conceptuel pour appréhender ces bouleversements, si bien qu’aujourd'hui nous ne sommes pas démunis pour agir ou réagir. Et l’effort du livre blanc se prolonge dans la Loi de Programmation Militaire qu’il nous faut respecter intégralement. Nous n’avons les uns et les autres qu’un seul mot d’ordre, la LPM, toute la LPM, rien que la LPM. Et c’est ce qu’il faut garantir à tout moment. Les choix ont été faits de maintenir la dissuasion, de faire en sorte que nous ayons la capacité d’interventions extérieures, de protéger notre territoire national, de ne renoncer à aucune capacité critique, et en même temps d’affirmer d’autres priorités nouvelles parce que le champ tactique et stratégique nous l’imposait, comme le renforcement des forces spéciales, la cyberdéfense ou le renseignement, tout cela nécessitant la garantie des engagements budgétaires. Maintenir ces capacités militaires pour qu’elles soient les premières dans le monde n’est pas un enjeu de prestige, mais une nécessité vitale et d’urgence pour la France. J’ai constaté avec d’autres qu’au sommet de Newport, l’ensemble des membres de l’Alliance a décidé de faire en sorte que nous puissions tendre vers l’objectif de 2% du PIB national consacré à l’effort de défense à horizon dix ans et consacrer 20% de l’effort de défense à la recherche. C’est très bien, nous sommes quasiment au rendezvous et cela conforte les choix de la Loi de Programmation Militaire, mais c'est une raison supplémentaire d’accroître notre vigilance et notre détermination. Je sais que je peux compter sur l’ensemble des parlementaires. Je voudrais dire quelques mots sur l’armée de l’air puisque nous sommes sur les terres de l’armée de l’air. Je tiens à adresser un salut particulier à nos forces aériennes qui ont été particulièrement mobilisées sur les récents théâtres d’aviation. La réactivité a toujours été au rendez-vous. La réorganisation de l’armée de l’air conduite par le Général Mercier, que je salue, est tournée vers cette capacité à agir et réagir au mieux et au plus vite. C’est notamment l’enjeu de l’optimisation du MCO aéronautique que j’ai visité hier soir avec beaucoup d’intérêt. Je souhaite faire une observation supplémentaire sur l’armée de l’air. Elle célèbre cette année les 50 ans des forces aériennes stratégiques, et la composante aérienne de la dissuasion nucléaire est parfois questionnée, voire remise en cause. Je rappelle que le Président de la République a tranché la question en maintenant les deux composantes, et j’observe que les débats parlementaires qui ont été mis en œuvre sur l’initiative de la Présidente Patricia Adam autour de la dissuasion, débats sans précédent et sans tabou, ont confirmé à quel point la composante aérienne était indispensable. J’évoquais tout à l’heure la préservation essentielle de notre autonomie stratégique dans le contexte grave que nous traversons. La crise ukrainienne a montré que nous ne sommes pas à l’abri d’une surprise stratégique et que la fin de la guerre froide n’a pas fait disparaître des menaces de conflits interétatiques, y compris en Europe, et notre dissuasion nucléaire dans ces deux composantes représente toujours la garantie fondamentale de notre souveraineté et de notre liberté d’appréciation et de décision. Ce coup de chapeau à l’armée de l’air me permettait de clarifier cette position, s’il en était besoin. Au terme de cette université d’été, je tiens à remercier les organisateurs de ces journées, à saluer CEIS, Olivier Darrason pour sa compétence et son savoir-faire, saluer le Président Alain Rousset, et adresser un coup de chapeau amical à mes deux présidents de commission préférés, Patricia Adam et Jean-Louis Carrère. Patricia que je connais depuis longtemps, et Jean-Louis Carrère avec qui j’ai le plaisir de travailler depuis deux ans dans cette commission très active du Sénat. Je voudrais saluer en lui un véritable homme politique qui a su, au moment de la Loi de Programmation Militaire, créer des unanimités sans ambiguïté sur des sujets majeurs. Cheikh Gadio a rappelé tout à l’heure que parmi les orientations du sommet de l’Elysée en décembre dernier, celle d’organiser un forum permanent sur la sécurité en Afrique. Avec l’aide de nos amis sénégalais, et en particulier du Président Macky Sall, nous sommes en train de concrétiser cette prise de décision et ce premier forum aura lieu à Dakar les 15 et 16 décembre prochain. Nous parlerons de l’avenir de l’Afrique et de la manière dont ce continent peut assurer sa propre sécurité. Je pense que nous serons toujours au cœur de l’actualité. 68 Université d’été de la Défense BORDEAUX – Mardi 9 septembre 2014 Allocution de clôture de Jean-Louis CARRERE Sénateur des Landes, Président de la Commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs les Parlementaires, Messieurs les chefs d’état-major et Officiers généraux, Mesdames et Messieurs, Quelques mots pour remercier, après Patricia Adam, tout ceux qui ont participer à l’organisation de cette douzième édition des universités d’été de la défense : la ville et la communauté urbaine de Bordeaux, le conseil général et le conseil régional – mais aussi l’Armée de l’Air, la CEIS,, et les industriels si présents dans notre belle Aquitaine, pour la qualité de leur accueil et de l’organisation. Je voudrais aussi saluer l’ensemble des participants, notamment les représentants des pays alliés, de l’OTAN et de l’Union européenne, et ceux de nos partenaires africains. La dimension internationale est essentielle à nos travaux. Permettez-moi, en conclusion de partager avec vous la conviction qui a guidé, au cours de ces trois dernières années, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, dont j’ai eu l’honneur et le bonheur d’assurer la présidence. Nous sommes convaincus qu’une des conditions nécessaires au développement de la démocratie est la capacité pour un Etat de garantir sa sécurité, intérieure et extérieure. Le Président de la République a rappelé dans son interview au journal « Le Monde » le 20 août, puis dans son discours d’ouverture de la conférence des ambassadeurs, le 28, la nécessité de disposer d’un outil militaire efficace et, en conséquence, sa décision de maintenir les crédits de la loi de programmation militaire. Les mots lorsqu’ils sont prononcés par le chef de l’État, chef des armées ont un sens. L’actualité devrait ramener ceux qui feignent de ne pas comprendre la réalité. Nous vivons dans un mode dangereux et notre défense est le garant de notre sécurité. L’exécution de la LPM demandera des sacrifices, nous le savons, mais l’essentiel est préservé. Cela a été la ligne directrice et consensuelle de l’action de la commission pour la préparation des travaux du Livre blanc et lors de l’examen de la LPM, Notre vigilance est totale dans le contrôle de son exécution. Nous devons nous y tenir, il serait inacceptable qu’à l’occasion d’un triennum budgétaire ou d’une loi de finances annuelle de beaux esprits viennent remettre en question cette décision. Je crois pouvoir dire que nous partageons largement cette conviction avec nos collègues députés. La concertation, la démarche consensuelle associant tous les groupes politiques, est sans doute perfectible, mais elle a été globalement efficace. Ce débat est clos. Il ne devrait pas être rouvert à chaque occasion. BORDEAUX & MERIGNAC 2014 69 Dans un contexte international qui s’assombrit cette condition est d’autant plus nécessaire. Nos armées et nos industriels ont besoin de visibilité et de se concentrer sur leurs missions. Notre vigilance et notre réflexion doivent porter désormais sur les réponses à apporter aux nouvelles menaces, le développement des capacités pour y faire face et, dès que la situation économique le permettra, sur les moyens de solidifier et de conforter notre outil de défense. Cela est, demeure et sera, je le souhaite, notre ambition première.