Textes eaf 2016 - Français Littérature

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Textes eaf 2016 - Français Littérature
Textes EAF 2016 (Professeur : Mme HUDRISIER)
Séquence 1 : Zucco par lui-même : du serial killer au mythe
Tableau 2 : le meurtre de la mère
ZUCCO - Je veux mon treillis.
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LA MÈRE. - Ne crie pas, Roberto, ne crie pas, tu me fais peur; ne crie pas, tu vas
réveiller les voisins. Je ne peux pas te le donner, c'est impossible : il est sale, il
est dégueulasse, tu ne peux pas le porter comme cela. Laisse-moi le temps de le
laver, de le faire sécher, de le repasser.
ZUCCO. - Je le laverai moi-même. J'irai à la laverie automatique.
LA MÈRE. - Tu dérailles, mon pauvre vieux. Tu es complètement dingue.
ZUCCO . - C'est l'endroit du monde que je préfère.
tranquille, et il y a des femmes.
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C'est calme, c'est
LA MÈRE. - Je m'en fous. Je ne veux pas te le donner. Ne m'approche pas,
Roberto. Je porte encore le deuil de ton père, est-ce que tu vas me tuer à mon
tour ?
ZUCCO - N'aies pas peur de moi, maman. J'ai toujours été doux et gentil avec
toi. Pourquoi aurais-tu peur de moi? Pourquoi est-ce que tu ne me donnerais pas
mon treillis ? J'en ai besoin, maman, j'en ai besoin.
LA MÈRE. - Ne sois pas gentil avec moi, Roberto. Comment veux-tu que j'oublie
que tu as tué ton père, que tu l'as jeté par la fenêtre, comme on jette une
cigarette ? Et maintenant, tu es gentil avec moi. Je ne veux pas oublier que tu as
tué ton père, et ta douceur me ferait tout oublier, Roberto.
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ZUCCO.-Oublie, maman. Donne-moi mon treillis, ma chemise kaki et mon
pantalon de combat ; même sales, même froissées, donne-les moi. Et puis je
partirai, je te le jure.
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LA MÈRE. – Est-ce moi, Roberto est-ce moi qui t'ai accouché ? Est-ce de
moi que tu es sorti ? Si je n'avais pas accouché de toi ici, si je t'avais pas
vu sortir, et suivi des yeux jusqu'à ce qu'on te pose dans ton berceau ; si
je n'avais pas posé, depuis le berceau, mon regard sur toi sans te lâcher, et
surveillé chaque changement de ton corps au point que je n'ai pas vu les
changements se faire et que je te vois là, pareil à celui qui est sorti de moi
dans ce lit, je croirais que ce n'est pas mon fils que j'ai devant moi.
Pourtant, je te reconnais, Roberto. Je reconnais la forme de ton corps, ta
taille, la couleur de tes cheveux, la couleur de tes yeux, la forme de tes
mains, ces grandes mains fortes qui n'ont jamais servi qu'à caresser le cou
de ta mère, qu'à serrer celui de ton père, que tu as tué. Pourquoi cet
enfant, si sage pendant vingt-quatre ans, est-il devenu fou brusquement ?
Comment as-tu quitté les rails, Roberto ? Qui a posé un tronc d'arbre sur
ce chemin si droit pour te faire tomber dans l'abîme ? Roberto, Roberto,
une voiture s'est écrasée au fond d'un ravin, on ne la répare pas. Un train
qui a déraillé, on n'essaie pas de le remettre sur ces rails. On l'abandonne,
on l'oublie. Je t'oublie, Roberto, je t'ai oublié.
ZUCCO.- Avant de m'oublier, dis-moi où est mon treillis.
LA MÈRE. – Il est là, dans le panier. Il est sale et tout froissé. (Zucco
sort le treillis.) Et maintenant va-t'en, tu me l'as juré.
ZUCCO.- Oui, je l'ai juré.
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Il s'approche, la caresse, l'embrasse, la serre ; elle gémit.
Il la lâche et elle tombe, étranglée.
Zucco se déshabille, enfile son treillis et sort.
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Tableau 10 : l’Otage
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Tableau 15 : Roberto au soleil
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Corpus autour des expositions au théâtre
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Britannicus de RACINE
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Albine.
Quoi ? Tandis que Néron s' abandonne au sommeil,
faut-il que vous veniez attendre son réveil ?
Qu' errant dans le palais sans suite et sans escorte,
la mère de César veille seule à sa porte ?
Madame, retournez dans votre appartement.
Agrippine.
Albine, il ne faut pas s' éloigner un moment.
Je veux l' attendre ici. Les chagrins qu' il me cause
m' occuperont assez tout le temps qu' il repose.
Tout ce que j' ai prédit n' est que trop assuré :
contre Britannicus Néron s' est déclaré ;
l' impatient Néron cesse de se contraindre ;
las de se faire aimer, il veut se faire craindre.
Britannicus le gêne, Albine ; et chaque jour
je sens que je deviens importune à mon tour.
Albine.
Quoi ? Vous à qui Néron doit le jour qu' il respire,
qui l' avez appelé de si loin à l' empire ?
Vous qui déshéritant le fils de Claudius,
avez nommé César l' heureux Domitius ?
Tout lui parle, madame, en faveur d' Agrippine :
il vous doit son amour.
Agrippine.
Il me le doit, Albine :
tout, s' il est généreux, lui prescrit cette loi ;
mais tout, s' il est ingrat, lui parle contre moi.
Albine.
S' il est ingrat, madame ! Ah ! Toute sa conduite
marque dans son devoir une âme trop instruite.
Depuis trois ans entiers, qu' a-t-il dit, qu' a-t-il fait
qui ne promette à Rome un empereur parfait ?
Rome, depuis deux ans, par ses soins gouvernée,
au temps de ses consuls croit être retournée :
il la gouverne en père. Enfin Néron naissant
a toutes les vertus d' Auguste vieillissant.
Agrippine.
Non, non, mon intérêt ne me rend point injuste :
il commence, il est vrai, par où finit Auguste ;
mais crains que l' avenir détruisant le passé,
il ne finisse ainsi qu' Auguste a commencé.
Il se déguise en vain : je lis sur son visage
des fiers Domitius l' humeur triste et sauvage.
Il mêle avec l' orgueil qu' il a pris dans leur sang
la fierté des Nérons qu' il puisa dans mon flanc.
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Toujours la tyrannie a d' heureuses prémices :
de Rome, pour un temps, Caïus fut les délices ;
mais sa feinte bonté se tournant en fureur,
les délices de Rome en devinrent l' horreur.
Que m' importe, après tout, que Néron, plus fidèle,
d' une longue vertu laisse un jour le modèle ?
Ai-je mis dans sa main le timon de l' état
pour le conduire au gré du peuple et du sénat ?
Ah ! Que de la patrie il soit, s' il veut, le père ;
mais qu' il songe un peu plus qu' Agrippine est sa mère.
De quel nom cependant pouvons-nous appeler
l' attentat que le jour vient de nous révéler ?
Il sait, car leur amour ne peut être ignorée,
que de Britannicus Junie est adorée ;
et ce même Néron, que la vertu conduit,
fait enlever Junie au milieu de la nuit.
Que veut-il ? Est-ce haine, est-ce amour qui l' inspire ?
Cherche-t-il seulement le plaisir de leur nuire ?
Ou plutôt n' est-ce point que sa malignité
punit sur eux l' appui que je leur ai prêté ?
Albine.
Vous leur appui, madame ?
Agrippine.
Arrête, chère Albine.
Je sais que j' ai moi seule avancé leur ruine ;
que du trône, où le sang l' a dû faire monter,
Britannicus par moi s' est vu précipiter.
Par moi seule, éloigné de l' hymen d' Octavie,
le frère de Junie abandonna la vie,
Silanus, sur qui Claude avoit jeté les yeux,
et qui comptoit Auguste au rang de ses aïeux.
Néron jouit de tout ; et moi, pour récompense,
il faut qu' entre eux et lui je tienne la balance,
afin que quelque jour, par une même loi,
Britannicus la tienne entre mon fils et moi.
Albine.
Quel dessein !
Agrippine.
Je m' assure un port dans la tempête.
Néron m' échappera, si ce frein ne l' arrête.
Albine.
Mais prendre contre un fils tant de soins superflus ?
Agrippine.
Je le craindrois bientôt, s' il ne me craignoit plus.
Albine.
Une injuste frayeur vous alarme peut-être.
Mais si Néron pour vous n' est plus ce qu' il doit être,
du moins son changement ne vient pas jusqu' à nous,
et ce sont des secrets entre César et vous.
Quelques titres nouveaux que Rome lui défère,
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Néron n' en reçoit point qu' il ne donne à sa mère.
Sa prodigue amitié ne se réserve rien.
Votre nom est dans Rome aussi saint que le sien.
à peine parle-t-on de la triste Octavie.
Auguste votre aïeul honora moins Livie.
Néron devant sa mère a permis le premier
qu' on portât les faisceaux couronnés de laurier.
Quels effets voulez-vous de sa reconnoissance ?
Agrippine.
Un peu moins de respect, et plus de confiance.
Tous ces présents, Albine, irritent mon dépit :
je vois mes honneurs croître, et tomber mon crédit.
Non, non, le temps n' est plus que Néron, jeune encore,
me renvoyoit les voeux d' une cour qui l' adore,
lorsqu' il se reposoit sur moi de tout l' état,
que mon ordre au palais assembloit le sénat,
et que derrière un voile, invisible et présente,
j' étois de ce grand corps l' âme toute-puissante.
Des volontés de Rome alors mal assuré,
Néron de sa grandeur n' étoit point enivré.
Ce jour, ce triste jour frappe encor ma mémoire,
où Néron fut lui-même ébloui de sa gloire,
quand les ambassadeurs de tant de rois divers
vinrent le reconnoître au nom de l' univers.
Sur son trône avec lui j'allois prendre ma place.
J'ignore quel conseil prépara ma disgrâce :
quoi qu' il en soit, Néron, d' aussi loin qu' il me vit,
laissa sur son visage éclater son dépit.
Mon coeur même en conçut un malheureux augure.
L'ingrat, d'un faux respect colorant son injure,
se leva par avance, et courant m' embrasser,
il m' écarta du trône où je m' allois placer.
Depuis ce coup fatal, le pouvoir d'Agrippine
vers sa chute, à grands pas, chaque jour s'achemine.
L'ombre seule m'en reste, et l' on n' implore plus
que le nom de Sénèque et l' appui de Burrhus.
Albine.
Ah ! Si de ce soupçon votre âme est prévenue,
pourquoi nourrissez-vous le venin qui vous tue ?
Daignez avec César vous éclaircir du moins.
Agrippine.
César ne me voit plus, Albine, sans témoins.
En public, à mon heure, on me donne audience.
Sa réponse est dictée, et même son silence.
Je vois deux surveillants, ses maîtres et les miens,
présider l' un ou l' autre à tous nos entretiens.
Mais je le poursuivrai d' autant plus qu' il m' évite.
De son désordre, Albine, il faut que je profite.
J' entends du bruit ; on ouvre. Allons subitement
lui demander raison de cet enlèvement.
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Surprenons, s' il se peut, les secrets de son âme.
Mais quoi ? Déjà Burrhus sort de chez lui ?
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On ne badine pas avec l’amour de MUSSET
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 Une place devant le château.
MAITRE BLAZIUS, DAME PLUCHE,
LE CHOEUR
LE CHŒUR : Doucement bercé sur sa mule fringante, maître Blazius s'avance dans les
bluets fleuris, vêtu de neuf, l'écritoire au côté. Comme un poupon sur l'oreiller, il se
ballotte sur son ventre rebondi, et les yeux à demi fermés, il marmotte un Pater noster
dans son triple menton. Salut, maître Blazius ; vous arrivez au temps de la vendange,
pareil à une amphore antique.
MAITRE BLAZIUS : Que ceux qui veulent apprendre une nouvelle d'importance
m'apportent ici premièrement un verre de vin frais.
LE CHŒUR : Voilà notre plus grande écuelle ; buvez, maître Blazius ; le vin est bon ; vous
parlerez après.
MAITRE BLAZIUS : Vous saurez, mes enfants, que le jeune Perdican, fils de notre
seigneur, vient d'atteindre à sa majorité, et qu'il est reçu docteur à Paris. Il revient
aujourd'hui même au château, la bouche toute pleine de façons de parler si belles et si
fleuries, qu'on ne sait que lui répondre les trois quarts du temps. Toute sa gracieuse
personne est un livre d'or ; il ne voit pas un brin d'herbe à terre, qu'il ne vous dise
comment cela s'appelle en latin ; et quand il fait du vent ou qu'il pleut, il vous dit tout
clairement pourquoi. Vous ouvririez des yeux grands comme la porte que voilà, de le voir
dérouler un des parchemins qu'il a coloriés d'encres de toutes couleurs, de ses propres
mains et sans rien en dire à personne. Enfin c'est un diamant fin des pieds à la tête, et
voilà ce que je viens annoncer à M. le baron. Vous sentez que cela me fait quelque
honneur, à moi, qui suis son gouverneur depuis l'âge de quatre ans ; ainsi donc, mes bons
amis, apportez une chaise, que je descende un peu de cette mule-ci sans me casser le
cou ; la bête est tant soit peu rétive, et je ne serais pas fâché de boire encore une
gorgée avant d'entrer.
LE CHŒUR : Buvez, maître Blazius, et reprenez vos esprits. Nous avons vu naître le petit
Perdican, et il n'était pas besoin, du moment qu'il arrive, de nous en dire si long.
Puissions-nous retrouver l'enfant dans le coeur de l'homme.
MAITRE BLAZIUS : Ma foi, l'écuelle est vide ; je ne croyais pas avoir tout bu. Adieu ;
j'ai préparé, en trottant sur la route, deux ou trois phrases sans prétention qui plairont à
monseigneur ; je vais tirer la cloche.
Il sort.
LE CHŒUR : Durement cahotée sur son âne essoufflé, dame Pluche gravit la colline ; son
écuyer transi gourdine à tour de bras le pauvre animal, qui hoche la tête, un chardon
entre les dents. Ses longues jambes maigres trépignent de colère, tandis que, de ses
mains osseuses, elle égratigne son chapelet. Bonjour donc, dame Pluche, vous arrivez
comme la fièvre, avec le vent qui fait jaunir les bois.
DAME PLUCHE : Un verre d'eau, canaille que vous êtes ! un verre d'eau et un peu de
vinaigre !
LE CHŒUR : D'où venez-vous, Pluche, ma mie ? vos faux cheveux sont couverts de
poussière ; voilà un toupet de gâté, et votre chaste robe est retroussée jusqu'à vos
vénérables jarretières.
DAME PLUCHE : Sachez, manants, que la belle Camille, la nièce de votre maître, arrive
aujourd'hui au château. Elle a quitté le couvent sur l'ordre exprès de monseigneur, pour
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venir en son temps et lieu recueillir, comme faire se doit, le bon bien qu'elle a de sa mère.
Son éducation, Dieu merci, est terminée ; et ceux qui la verront auront la joie de respirer
une glorieuse fleur de sagesse et de dévotion. Jamais il n'y a rien eu de si pur, de si ange,
de si agneau et de si colombe que cette chère nonnain, que le Seigneur Dieu du ciel la
conduise ! Ainsi soit-il.
Rangez-vous, canaille ; il me semble que j'ai les jambes enflées.
LE CHŒUR : Défripez-vous, honnête Pluche, et quand vous prierez Dieu, demandez de la
pluie ; nos blés sont secs comme vos tibias.
DAME PLUCHE : Vous m'avez apporté de l'eau dans une écuelle qui sent la cuisine ;
donnez-moi la main pour descendre ; vous êtes des butors et des malappris.
Elle sort.
LE CHŒUR : Mettons nos habits du dimanche, et attendons que le baron nous fasse
appeler. Ou je me trompe fort, ou quelque joyeuse bombance est dans l'air d'aujourd'hui.
Ils sortent.
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HERNANI de Victor HUGO
LE ROI, SARAGOSSE, Une chambre à coucher. La nuit. Une lampe sur une table.
DOÑA JOSEFA DUARTE, vieille, en noir, avec le corps de sa jupe cousu de jais à la mode
d’Isabelle-la-catholique ; DON CARLOS.
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
Doña Josepha, seule.
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
Elle ferme les rideaux cramoisis de la fenêtre et met en ordre quelques fauteuils. On frappe à
une petite porte dérobée à droite. Elle écoute. On frappe un second coup.

Serait-ce déjà lui.

C’est bien à l’escalier
Dérobé.
Un nouveau coup.
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
Un quatrième coup.
 Vite, ouvrons.
 Elle ouvre la petite porte masquée. Entre don Carlos, le manteau sur le visage et le chapeau sur
les yeux.


Bonjour, beau cavalier.

Quoi ! Seigneur Hernani, ce n’est pas vous ! — Main-forte !
Au feu !
Elle l’introduit. Il écarte son manteau, et laisse voir un riche costume de velours et de soie à la
mode castillane de 1519. Elle le regarde sous le nez et recule.
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 Don Carlos, lui saisissant le bras.
Deux mots de plus, duègne, vous êtes morte !
 Il la regarde fixement. Elle se tait effrayée.
Suis-je chez doña Sol ? fiancée au vieux duc
De Pastraña, son oncle, un bon seigneur, caduc,
Vénérable et jaloux ? dites ! La belle adore
Un cavalier sans barbe et sans moustache encore,
Et reçoit tous les soirs, malgré les envieux,
Le jeune amant sans barbe à la barbe du vieux.
Suis-je bien informé ?
 Elle se tait. Il la secoue par le bras.
Vous répondrez peut-être.
 Doña Josepha.
Vous m’avez défendu de dire deux mots, maître.
 Don Carlos.
Aussi n’en veux-je qu’un. — Oui, — non. — ta dame est bien
Doña Sol De Silva ? Parle.
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


Oui. — Pourquoi ?
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Doña Josepha.
Don Carlos.
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Pour rien.
Le duc, son vieux futur, est absent à cette heure ?
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Oui.
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Sans doute elle attend son jeune ?
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Oui.
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Que je meure !
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Oui.
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Oui.
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Cache-moi céans.
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Vous !
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Moi.
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Pourquoi ?
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Pour rien.
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Moi, vous cacher !
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Ici.
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Don Carlos.
Doña Josepha.
Don Carlos.
Doña Josepha.
 Don Carlos.
Duègne, c’est ici qu’aura lieu l’entretien ?
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


Doña Josepha.
Doña Josepha.
Don Carlos.
Doña Josepha.
Don Carlos.
Doña Josepha.
Don Carlos.
Doña Josepha.
Don Carlos.
Doña Josepha.
Jamais.
 Don Carlos, tirant de sa ceinture un poignard et une bourse.
— Daignez, madame,
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Choisir de cette bourse ou bien de cette lame.
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Doña Josepha, prenant la bourse.
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Vous êtes donc le diable ?
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
Oui, duègne.
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
Entrez ici.
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Cette boîte ?
Doña Josepha, ouvrant une armoire étroite dans le mur.
Don Carlos, examinant l’armoire.



Don Carlos.

Va-t’en, si tu n’en veux pas.
Doña Josepha, refermant l’armoire.

Don Carlos, rouvrant l’armoire.

Si !

Serait-ce l’écurie où tu mets d’aventure
Le manche du balai qui te sert de monture ?





Il s’y blottit avec peine.
Ouf !



L’examinant encore.
Un homme ici !
Doña Josepha, joignant les mains avec scandale.
 Don Carlos, dans l’armoire restée ouverte.
C’est une femme, est-ce pas,
Qu’attendait ta maîtresse ?


 Doña Josepha.
Ô ciel ! j’entends le pas
De doña Sol. — Seigneur, fermez vite la porte.
 Elle pousse la porte de l’armoire qui se referme.

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
 Don Carlos, de l’intérieur de l’armoire.
Si vous dites un mot, duègne, vous êtes morte.
 Doña Josepha, seule.
Qu’est cet homme ? Jésus mon Dieu ! si j’appelais ?…
Qui ? Hors madame et moi, tout dort dans le palais.
Bah ! l’autre va venir. La chose le regarde.
Il a sa bonne épée, et que le ciel nous garde
De l’enfer !
 Pesant la bourse.
Après tout, ce n’est pas un voleur.
 Entre doña Sol, en blanc. Doña Josefa cache la bourse.
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Ubu Roi d’Alfred JARRY
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PÈRE UBU
Merdre!
MÈRE UBU
Oh ! voilà du joli, Père Ubu, vous estes un fort grand voyou.
PÈRE UBU
Que ne vous assom'je, Mère Ubu!
MÈRE UBU
Ce n'est pas moi, Père Ubu, c'est un autre qu'il faudrait assassiner.
PÈRE UBU
De par ma chandelle verte, je ne comprends pas.
MÈRE UBU
Comment, Père Ubu, vous estes content de votre sort ?
PÈRE UBU
De par ma chandelle verte, merdre, madame, certes oui, je suis content. On le serait à moins :
capitaine de dragons, officier de confiance du roi Venceslas, décoré de l'ordre de l'Aigle Rouge
de Pologne et ancien roi d'Aragon, que voulez-vous de mieux ?
MÈRE UBU
Comment ! après avoir été roi d'Aragon vous vous contentez de mener aux revues une
cinquantaine d'estafiers armés de coupe-choux, quand vous pourriez faire succéder sur votre
fiole la couronne de Pologne à celle d'Aragon ?
PÈRE UBU
Ah ! Mère Ubu, je ne comprends rien de ce que tu dis.
MÈRE UBU
Tu es si bête !
PÈRE UBU
De par ma chandelle verte, le roi Venceslas est encore bien vivant ; et même en admettant qu'il
meure, n'a-t-il pas des légions d'enfants ?
MÈRE UBU
Qui t'empêche de massacrer toute la famille et de te mettre à leur place ?
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En Attendant Godot de Samuel BECKETT
Route à la campagne, avec arbre.
Soir.
Estragon, assis sur une pierre, essaie d'enlever sa chaussure. Il s'y acharne des deux mains, en
ahanant. Il s'arrête, à bout de forces, se repose en haletant, recommence. Même jeu.
Entre Vladimir.
ESTRAGON (renonçant à nouveau) : Rien à faire.
VLADIMIR (s'approchant à petits pas raides, les jambes écartées) : Je commence à le croire.
(Il s'immobilise.) J'ai longtemps résisté à cette pensée, en me disant, Vladimir, sois
raisonnable. Tu n'as pas encore tout essayé. Et je reprenais le combat. (Il se recueille,
songeant au combat. A Estragon.) Alors, te revoilà, toi.
ESTRAGON : Tu crois ?
VLADIMIR : Je suis content de te revoir. Je te croyais parti pour toujours.
ESTRAGON : Moi aussi.
VLADIMIR : Que faire pour fêter cette réunion ? (Il réfléchit.) Lève-toi que je t'embrasse. (Il
tend la main à Estragon.)
ESTRAGON (avec irritation) : Tout à l'heure, tout à l'heure.
Silence.
VLADIMIR (froissé, froidement) : Peut-on savoir où monsieur a passé la nuit ?
ESTRAGON : Dans un fossé.
VLADIMIR (épaté) : Un fossé ! Où ça ?
ESTRAGON (sans geste) : Par là.
VLADIMIR : Et on ne t'a pas battu ?
ESTRAGON : Si... Pas trop.
VLADIMIR : Toujours les mêmes ?
ESTRAGON : Les mêmes ? Je ne sais pas.
Silence.
VLADIMIR : Quand j'y pense... depuis le temps... je me demande... ce que tu serais devenu...
sans moi... (Avec décision) Tu ne serais plus qu'un petit tas d'ossements à l'heure qu'il est, pas
d'erreur.
ESTRAGON (piqué au vif) : Et après ?
VLADIMIR (accablé) : C'est trop pour un seul homme. (Un temps. Avec vivacité.) D'un autre
côté, à quoi bon se décourager à présent, voilà ce que je me dis. Il fallait y penser il y a une
éternité, vers 1900.
ESTRAGON : Assez. Aide-moi à enlever cette saloperie.
VLADIMIR : La main dans la main on se serait jeté en bas de la tour Eiffel, parmi les premiers.
On portait beau alors. Maintenant il est trop tard. On ne nous laisserait même pas monter.
(Estragon s'acharne sur sa chaussure.) Qu'est-ce que tu fais ?
ESTRAGON : Je me déchausse. Ça ne t'est jamais arrivé, à toi ?
VLADIMIR : Depuis le temps que je te dis qu'il faut les enlever tous les jours. Tu ferais mieux
de m'écouter.
ESTRAGON (faiblement) : Aide-moi !
VLADIMIR : Tu as mal ?
ESTRAGON : Mal ! Il me demande si j'ai mal !
VLADIMIR (avec emportement) : Il n'y a jamais que toi qui souffres ! Moi je ne compte pas. Je
voudrais pourtant te voir à ma place. Tu m'en dirais des nouvelles.
ESTRAGON : Tu as eu mal ?
VLADIMIR : Mal ! Il me demande si j'ai eu mal !
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ESTRAGON (pointant l'index) : Ce n'est pas une raison pour ne pas te boutonner.
VLADIMIR (se penchant) : C'est vrai. (Il se boutonne.) Pas de laisser-aller dans les petites
choses.
ESTRAGON : Qu'est-ce que tu veux que je te dise, tu attends toujours le dernier moment.
VLADIMIR (rêveusement) : Le dernier moment... (Il médite) C'est long, mais ce sera bon. Qui
disait ça ?
ESTRAGON : Tu ne veux pas m'aider ?
VLADIMIR : Des fois je me dis que ça vient quand même. Alors je me sens tout drôle. ( Il ôte
son chapeau, regarde dedans, y promène sa main, le secoue, le remet.) Comment dire ? Soulagé
et en même temps... (il cherche) ...épouvanté. (Avec emphase.) E-POU-VAN-TE. (Il ôte à
nouveau son chapeau, regarde dedans.) Ca alors ! (Il tape dessus comme pour en faire tomber
quelque chose, regarde à nouveau dedans, le remet.) Enfin... (Estragon, au prix d'un suprême
effort, parvient à enlever sa chaussure. Il regarde dedans, y promène sa main, la retourne, la
secoue, cherche par terre s'il n'en est pas tombé quelque chose, ne trouve rien, passe sa main à
nouveau dans sa chaussure, les yeux vagues.) Alors ?
ESTRAGON : Rien
VLADIMIR : Fais voir.
ESTRAGON : Il n'y a rien à voir.
En attendant Godot - Samuel Beckett - Scène d'exposition (extrait)
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Textes complémentaires : Corpus autour de la place du public p224 et 225 du
manuel
Antonin Artaud, Le théâtre et son double, 1938
Tout ce qui est dans l’amour, dans le crime, dans la guerre, ou dans la folie, il faut que
le théâtre nous le rende, s’il veut retrouver sa nécessité. (…)Nous voulons faire du
théâtre une réalité à laquelle on puisse croire, et qui contienne pour le cœur et les
sens cette espèce de morsure concrète que comporte toute sensation vraie. (…)C’est
pour prendre la sensibilité du spectateur sur toutes ses faces, que nous préconisons
un spectacle tournant, et qui au lieu de faire de la scène et de la salle deux mondes
clos, sans communication possible, répande ses éclats visuels et sonores sur la masse
entière des spectateurs (…) Une communication directe sera rétablie entre le
spectateur et le spectacle, entre l’acteur et le spectateur, du fait que le spectateur
placé au milieu de l’action est enveloppé et sillonné par elle (…) Une communication
directe sera rétablie
Yoshi Oïda, L’Acteur flottant, 1992
J’ambitionne de créer un théâtre où le public puisse recréer lui-même, à partir des
suggestions des acteurs, l’histoire proposée. Il faut s’adresser à l’imagination des
spectateurs, tout faire pour favoriser leur participation active dans le développement
des thèmes du spectacle. Le meilleur moyen d’y parvenir est de limiter l’information,
d’adopter, à tous les niveaux, une attitude minimaliste dans le jeu, comme dans
l’expression des détails, comme dans le décor, les accessoires et les costumes. C’est
ainsi seulement qu’on peut créer cette sensation d’« espace vide », qui permet à
l’imagination du public de s’épanouir. Il ne faut pas traiter le public comme un groupe
de touristes dont la curiosité superficielle est facilement satisfaite.
Joël Pommerat, Théâtre en présence, 2007
Quand je travaille je cherche à replacer le spectateur dans un temps précis, concret.
Un temps qui puisse rassembler spectateurs et acteurs dans un lieu donné. Un temps
capable de relier fortement des êtres les uns aux autres. Et c’est cela que j’appelle
l’espace réel qui est l’espace commun de l’acteur au spectateur (…) Je cherche à
rendre l'intensité du temps qui passe, seconde après seconde comme aux moments de
notre vie les plus essentiels, pendant une expérience qui nous confronte à nous-même,
au plus profond. En même temps, je choisi des situations ordinaires, et je cherche à
l’intérieur de ce cadre ordinaire la tension la plus forte, l’intensité la plus grande.
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« Judith et Holopherne » par Artémisia Gentileschi
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 Judith et Holopherne, d’Artemisia Gentileschi (vers 1593-1652) 1611,
163x126cm, Musée national de Capodimonte, Naples.
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Séquence 2 : « Je tiens ce monde pour ce qu'il est [...]: un théâtre où chacun
doit jouer son rôle [..] » Shakespeare
Le personnage de l’acteur au théâtre.
Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand 1898 : acte I scène 4 la tirade du Nez
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Ah ! Non ! C' est un peu court, jeune homme !
On pouvait dire... oh ! Dieu ! ... bien des choses en somme...
en variant le ton, -par exemple, tenez :
agressif : " moi, monsieur, si j' avais un tel nez,
il faudrait sur le champ que je me l' amputasse ! "
amical : " mais il doit tremper dans votre tasse :
pour boire, faites-vous fabriquer un hanap ! "
descriptif : " c' est un roc ! ... c' est un pic... c' est un cap !
Que dis-je, c' est un cap ? ... c' est une péninsule ! "
curieux : " de quoi sert cette oblongue capsule ?
D' écritoire, monsieur, ou de boîte à ciseaux ? "
gracieux : " aimez-vous à ce point les oiseaux
que paternellement vous vous préoccupâtes
de tendre ce perchoir à leurs petites pattes ? "
truculent : " ça, monsieur, lorsque vous pétunez,
la vapeur du tabac vous sort-elle du nez
sans qu' un voisin ne crie au feu de cheminée ? "
prévenant : " gardez-vous, votre tête entraînée
par ce poids, de tomber en avant sur le sol ! "
tendre : " faites-lui faire un petit parasol
de peur que sa couleur au soleil ne se fane ! "
pédant : " l' animal seul, monsieur, qu' Aristophane
appelle hippocampelephantocamélos
dut avoir sous le front tant de chair sur tant d' os ! "
cavalier : " quoi, l' ami, ce croc est à la mode ?
Pour pendre son chapeau c' est vraiment très commode ! "
emphatique : " aucun vent ne peut, nez magistral,
t' enrhumer tout entier, excepté le mistral ! "
dramatique : " c' est la Mer Rouge quand il saigne ! "
admiratif : " pour un parfumeur, quelle enseigne ! "
lyrique : " est-ce une conque, êtes-vous un triton ? "
naïf : " ce monument, quand le visite-t-on ? "
respectueux : " souffrez, monsieur, qu' on vous salue,
c' est là ce qui s' appelle avoir pignon sur rue ! "
campagnard : " hé, ardé ! C' est-y un nez ? Nanain !
C' est queuqu' navet géant ou ben queuqu' melon nain ! "
militaire : " pointez contre cavalerie ! "
pratique : " voulez-vous le mettre en loterie ?
Assurément, monsieur, ce sera le gros lot ! "
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enfin parodiant Pyrame en un sanglot :
" le voilà donc ce nez qui des traits de son maître
a détruit l' harmonie ! Il en rougit, le traître ! "
-voilà ce qu' à peu près, mon cher, vous m' auriez dit
si vous aviez un peu de lettres et d' esprit :
mais d' esprit, ô le plus lamentable des êtres,
vous n' en eûtes jamais un atome, et de lettres
vous n' avez que les trois qui forment le mot : sot !
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L’Echange de Claudel (la tirade de Lechy) 1893
Dans l'Échange, pièce créée en 1893-1894 et dont l'action se passe en Amérique, Paul
Claudel (1868-1955) met en scène une actrice, Lechy Elbernon.
LECHY ELBERNON
Je suis actrice, vous savez. Je joue sur le théâtre. Le théâtre. Vous ne savez pas ce que c'est ?
MARTHE
Non.
LECHY ELBERNON
Il y a la scène et la salle. Tout étant clos, les gens viennent là le soir, et ils sont assis par
rangées les uns derrière les autres, regardant.
MARTHE
Quoi ? Qu'est-ce qu'ils regardent, puisque tout est fermé ?
LECHY ELBERNON
Ils regardent le rideau de la scène. Et ce qu'il y a derrière quand il est levé. Et il arrive quelque
chose sur la scène comme si c'était vrai.
MARTHE
Mais puisque ce n'est pas vrai ! C'est comme les rêves que l'on fait quand on dort.
LECHY ELBERNON
C'est ainsi qu'ils viennent au théâtre la nuit.
THOMAS POLLOCK NAGEOIRE
Elle a raison. Et quand ce serait vrai encore, qu'est-ce que cela me fait ?
LECHY ELBERNON
Je les regarde, et la salle n'est rien que de la chair vivante et habillée.
Et ils garnissent les murs comme des mouches, jusqu'au plafond.
Et je vois ces centaines de visages blancs.
L'homme s'ennuie, et l'ignorance lui est attachée depuis sa naissance.
Et ne sachant de rien comment cela commence ou finit, c'est pour cela qu'il va au théâtre.
Et il se regarde lui-même, les mains posées sur les genoux.
Et il pleure et il rit, et il n'a point envie de s'en aller.
Et je les regarde aussi, et je sais qu'il y a là le caissier qui sait que demain.
On vérifiera les livres, et la mère adultère dont l'enfant vient de tomber malade.
Et celui qui vient de voler pour la première fois, et celui qui n'a rien fait de tout le jour.
Et ils regardent et écoutent comme s'ils dormaient.
MARTHE
L’œil est fait pour voir et l'oreille
Pour entendre la vérité.
LECHY ELBERNON
Qu'est-ce que la vérité? Est-ce qu'elle n'a pas dix-sept enveloppes, comme les oignons ?
Qui voit les choses comme elles sont ? L’œil certes voit, l'oreille entend.
Mais l'esprit tout seul connaît. Et c'est pourquoi l'homme veut voir des yeux et connaître des
oreilles.
Ce qu'il porte dans son esprit, - l'en ayant fait sortir.
Et c'est ainsi que je me montre sur la scène.
MARTHE
Est-ce que vous n'êtes point honteuse ?
LECHY ELBERNON
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Je n'ai point honte ! mais je me montre, et je suis toute à tous.
Ils m'écoutent et ils pensent ce que je dis ; ils me regardent et j'entre dans leur âme comme
dans une maison vide.
C'est moi qui joue les femmes :
La jeune fille, et l'épouse vertueuse qui a une veine bleue sur la tempe, et la courtisane
trompée.
Et quand je crie, j'entends toute la salle gémir.
Paul Claudel, l'Échange (1ère version, 1893-1894), Mercure de France.
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Comédies tragiques de Catherine Anne (page 190/191 du manuel) 2012
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 Corpus sur l’acteur
Hamlet III2, de Shakespeare.(1601)
La grande salle du château
Au fond, La scène dressée.
Entrent Hamlet et trois des comédiens
HAMLET, au premier comédien.
« Dites ce texte à la façon dont je vous l’ai lu, n’est-ce pas, d’une voix déliée et
avec aisance, car si vous le déclamiez comme font tant de nos acteurs, mieux
vaudrait que je le confie au crieur public. Et n’allez pas fendre l’air avec votre main
comme ceci, mais soyez mesurés en tout, car dans le torrent, dans la tempête, dans
l’ouragan, dirai-je même, de la passion, vous devez trouver et faire sentir une sorte
de retenue qui l’adoucisse. Oh ! cela me blesse jusque dans l’âme, d’entendre ces
grands étourneaux sous leurs perruques mettre en pièces, oui en lambeaux, et
casser les oreilles du parterre qui ne sait d’ailleurs apprécier le plus souvent que
les pantomimes inexplicables et le fracas ! Je voudrais le fouet pour ces gaillards
qui en rajoutent à Termagant (1) et qui renchérissent sur Hérode (1). Evitez cela,
je vous prie.
LE PREMIER COMEDIEN
J’en fais la promesse à Votre Honneur.
HAMLET
Ne soyez pas non plus trop guindés, fiez-vous plutôt à votre jugement et réglez le
geste sur la parole et la parole sur le geste en vous gardant surtout de ne jamais
passer outre à la modération naturelle car tout excès de cette sorte s’écarte de
l’intention du théâtre dont l’objet a été dès l’origine, et demeure encore, de
présenter pour ainsi dire un miroir à la nature et de montrer à la vertu son
portrait, à l’ignominie son visage, et au siècle même et à la société de ce temps
quels sont leur aspect et leurs caractères. ».
1) Termagant, un prétendu Dieu des Musulmans et Hérode, roi de Judée étaient
des personnages des mistères (pièces religieuses qui retraçaient des épisodes
de la Bible).
Saint Genest Rotrou II4,(1647)
Genest est un acteur païen. Il doit jouer un drame retraçant le martyre du chrétien Adrien,
devant l'empereur romain Dioclétien, qui persécute les chrétiens. Genest va s'identifier au cours
de cette scène à son personnage, Adrien.
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GENEST, seul, repassant son rôle, et se promenant.
Il serait, Adrien, honteux d'être vaincu
Si ton dieu veut ta mort, c'est déjà trop vécu ;
J'ai vu (Ciel, tu le sais, par le nombre des âmes
Que j'osai t'envoyer, par des chemins de flammes)
Dessus les grils ardents, et dedans les taureaux 1,
Chanter les condamnés, et trembler les bourreaux.
Il répète ces quatre vers.
J'ai vu (Ciel, tu le sais, par le nombre des âmes
Que j'osai t'envoyer, par des chemins de flammes)
Dessus les grils ardents, et dedans les taureaux,
Chanter les condamnés, et trembler les bourreaux.
Et puis ayant un peu rêvé, et ne regardant plus son rôle, il dit :
Dieux, prenez contre moi ma défense et la vôtre ;
D'effet, comme de nom, je me trouve être un autre ;
Je feins moins Adrien, que je ne le deviens,
Et prends avec son nom, des sentiments Chrétiens ;
Je sais (pour l'éprouver) que par un long étude2,
L'art de nous transformer, nous passe en habitude ;
Mais il semble qu'ici, des vérités sans fard,
Passent3, et l'habitude, et la force de l'art,
Et que Christ me propose une gloire éternelle,
Contre qui ma défense est vaine et criminelle ;
J'ai pour suspects vos noms de Dieux et d'immortels ;
Je répugne aux respects qu'on rend à vos autels ;
Mon esprit à vos lois secrètement rebelle,
En conçoit un mépris qui fait mourir son zèle
Et comme de profane, enfin sanctifié,
Semble se déclarer, pour un crucifié;
Mais où va ma pensée, et par quel privilège
Presque insensiblement, passé4-je au sacrilège,
Et du pouvoir des Dieux, perds-je le souvenir ?
II s'agit d'imiter, et non de devenir.
1. Il arrivait qu'on martyrisât les chrétiens en les faisant brûler dans des taureaux de bronze.
Toutes ces références renvoient à des pratiques de supplices qui leur étaient infligés.
2 étude : masculin au XVII" siècle.
3 Passent : surpassent.
4 passé-je : inversion de « je passe ».
L’Impromptu de Versailles Molière I1,(1662)
MOLIÈRE: J'avais songé une comédie où il y aurait eu un poète, que j'aurais représenté moi-
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même, qui serait venu pour offrir une pièce à une troupe de comédiens nouvellement arrivés de la
campagne. "Avez-vous, aurait-il dit, des acteurs et des actrices qui soient capables de bien faire
valoir un ouvrage, car ma pièce est une pièce. - Eh! Monsieur, auraient répondu les comédiens,
nous avons des hommes et des femmes qui ont été trouvés raisonnables partout où nous avons
passé. - Et qui fait les rois parmi vous? - Voilà un acteur qui s'en démêle parfois. - Qui? ce jeune
homme bien fait? Vous moquez-vous? Il faut un roi qui soit gros et gras comme quatre, un roi,
morbleu! qui soit entripaillé comme il faut, un roi d'une vaste circonférence, et qui puisse remplir
un trône de la belle manière. La belle chose qu'un roi d'une taille galante! Voilà déjà un grand
défaut; mais que je l'entende un peu réciter une douzaine de vers." Là-dessus le comédien aurait
récité, par exemple, quelques vers du roi de Nicomède:
Te le dirai-je, Araspe? Il m'a trop bien servi;
Augmentant mon pouvoir.
le plus naturellement qu'il aurait été possible. Et le poète: "Comment? Vous appelez cela réciter?
C'est se railler: il faut dire les choses avec emphase. écoutez-moi.
(Imitant Montfleury, excellent acteur de l'Hôtel de Bourgogne.)
Te le dirai-je, Araspe?. Etc.
Voyez-vous cette posture? Remarquez bien cela. Là, appuyez comme il faut le dernier vers. Voilà
ce qui attire l'approbation, et fait faire le brouhaha.
Les Acteurs de bonne foi Marivaux 1757
Si le comédien était sensible, de bonne foi lui serait-il permis de jouer deux fois de suite
un même rôle avec la même chaleur et le même succès ? Très chaud à la première
représentation, il serait épuisé et froid comme un marbre à la troisième. Au lieu
qu’imitateur attentif et disciple réfléchi de la nature, la première fois qu’il se présentera
sur la scène sous le nom d’Auguste, de Cinna, d’Orosmane, d’Agamemnon, de Mahomet,
copiste rigoureux de lui-même ou de ses études, et observateur continu de nos sensations,
son jeu, loin de s’affaiblir, se fortifiera des réflexions nouvelles qu’il aura recueillies ; il
s’exaltera ou se tempérera, et vous en serez de plus en plus satisfait. S’il est lui quand il
joue, comment cessera-t-il d’être lui ? S’il veut cesser d’être lui, comment saisira-t-il le
point juste auquel il faut qu’il se place et s’arrête ?
Ce qui me confirme dans mon opinion, c’est l’inégalité des acteurs qui jouent d’âme. Ne vous
attendez de leur part à aucune unité ; leur jeu est alternativement fort et faible, chaud et
froid, plat et sublime. Ils manqueront demain l’endroit où ils auront excellé aujourd’hui ; en
revanche, ils excelleront dans celui qu’ils auront manqué la veille. Au lieu que le comédien
qui jouera de réflexion, d’étude de la nature humaine, d’imitation constante d’après quelque
modèle idéal, d’imagination, de mémoire, sera un, le même à toutes les représentations,
toujours également parfait : tout a été mesuré, combiné, appris, ordonné dans sa tête ;
[…]
Quel jeu plus parfait que celui de la Clairon ? cependant suivez-la, étudiez-la, et vous
serez convaincu qu’à la sixième représentation elle sait par cœur tous les détails de son jeu
comme tous les mots de son rôle. Sans doute elle s’est fait un modèle auquel elle a d’abord
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cherché à se conformer, sans doute elle a conçu ce modèle le plus haut, le plus grand, le
plus parfait qu’il lui a été possible ; mais ce modèle qu’elle a emprunté de l’histoire, ou que
son imagination a créé comme un grand fantôme, ce n’est pas elle ; si ce modèle n’était que
de sa hauteur, que son action serait faible et petite ! Quand, à force de travail, elle a
approché de cette idée le plus près qu’elle a pu, tout est fini se tenir ferme là, c’est une
pure affaire d’exercice et de mémoire.
Le Paradoxe du comédien de Diderot 1773
La scène est dans une maison de campagne de Madame Argante. [Merlin, Colette, Lisette et
Blaise répètent puis jouent une comédie écrite par le premier. Du moins ils essayent.]
Merlin, Colette, (Lisette et Blaise, assis.)
Merlin. - Bonjour, ma belle enfant : je suis bien sûr que ce n'est pas moi que vous cherchez.
Colette. - Non, Monsieur Merlin ; mais ça n'y fait rien ; je suis bien aise de vous y trouver.
Merlin. - Et moi, je suis charmé de vous rencontrer, Colette.
Colette. - Ca est bien obligeant.
Merlin. - Ne vous êtes-vous pas aperçu du plaisir que j'ai à vous voir ?
Colette. - Oui, mais je n'ose pas bonnement m'apercevoir de ce plaisir-là, à cause que j'y en
prenrais aussi.
Merlin, interrompant. - Doucement, Colette ; il n'est pas décent de vous déclarer si vite.
Colette. - Dame ! comme il faut avoir de l'amiquié pour vous dans cette affaire-là, j'ai cru qu'il
n'y avait point de temps à perdre.
Merlin. - Attendez que je me déclare tout à fait, moi.
Blaise, interrompant de son siège. - Voyez en effet comme alle se presse : an dirait qu'alle y va
de bon jeu, je crois que ça m'annonce du guignon.
Lisette, assise et interrompant. - Je n'aime pas trop cette saillie-là, non plus.
Merlin. - C'est qu'elle ne sait pas mieux faire.
Colette. - Eh bien ! velà ma pensée tout sens dessus dessous ; pisqu'ils me blâmont, je sis trop
timide pour aller en avant, s'ils ne s'en vont pas.
Merlin. - Eloignez-vous donc pour l'encourager.
Blaise, se levant de son siège. - Non, morguié, je ne veux pas qu'alle ait du courage, moi ; je veux
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tout entendre.
Lisette, assise et interrompant. - Il est vrai, m'amie, que vous êtes plaisante de vouloir que nous
nous en allions.
Colette. - Pourquoi aussi me chicanez-vous ?
Blaise, interrompant, mais assis. - Pourquoi te hâtes-tu tant d'être amoureuse de Monsieur
Merlin ? Est-ce que tu en sens de l'amour ?
Colette. - Mais, vrament ! je sis bien obligée d'en sentir pisque je sis obligée d'en prendre dans la
comédie. Comment voulez-vous que je fasse autrement ?
Lisette, assise, interrompant. - Comment ! vous aimez réellement Merlin !
Colette. - Il faut bien, pisque c'est mon devoir.
Merlin, à Lisette. - Blaise et toi, vous êtes de grands innocents tous deux ; ne voyez-vous pas
qu'elle s'explique mal ? Ce n'est pas qu'elle m'aime tout de bon ; elle veut dire seulement qu'elle
doit faire semblant de m'aimer ; n'est-ce pas, Colette ?
Colette. - Comme vous voudrez, Monsieur Merlin.
Merlin. - Allons, continuons, et attendez que je me déclare tout à fait, pour vous montrer
sensible à mon amour.
Colette. - J'attendrai, Monsieur Merlin ; faites vite.
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Lecture de l'image : « Au théâtre » de DAUMIER (vers 1860) 96cm x88cm
Honoré Daumier « Au théâtre », 1860
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Les enfants du paradis de Marcel Carné
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Séquence 3 : La servitude volontaire « Penser, c’est dire non » ALAIN
La Boétie, Discours de la servitude volontaire « Pauvres gens et
misérables(…) tomber de son propre poids et se rompre. »(1576)
Pauvres gens et misérables, peuples insensés, nations opiniâtres en votre mal et aveugles en
votre bien, vous vous laissez enlever, sous vos propres yeux, le plus beau et le plus clair de
votre revenu, piller vos champs, dévaster vos maisons et les dépouiller des vieux meubles de
vos ancêtres ! vous vivez de telle sorte que rien n'est plus à vous. Il semble que vous
regarderiez désormais comme un grand bonheur qu'on vous laissât seulement la moitié de vos
biens, de vos familles, de vos vies. Et tout ce dégât, ces malheurs, cette ruine enfin, vous
viennent, non pas des ennemis, mais bien certes de l'ennemi et de celui-là même que vous
avez fait ce qu'il est, pour qui vous allez si courageusement à la guerre et pour la grandeur
duquel vous vous offrez vous-mêmes à la mort. Ce maître n'a pourtant que deux yeux, deux
mains, un corps et rien de plus que n'a le dernier des habitants du nombre infini de nos villes.
Ce qu'il a de plus que vous, ce sont les moyens que vous lui fournissez pour vous détruire.
D'où tire-t-il les innombrables yeux qui vous épient, si ce n'est de vos rangs ? Comment a-t-il
tant de mains pour vous frapper, s'il ne vous les emprunte? Les pieds dont il foule vos cités, ne
sont-ils pas aussi les vôtres ? A-t-il pouvoir sur vous, qui ne soit de vous-même ? Comment
oserait-il vous courir sus, s'il n'était d'intelligence avec vous ? Quel mal pourrait-il vous faire
si vous n'étiez le receleur du larron qui vous pille, le complice du meurtrier qui vous tue, et les
traîtres de vous-mêmes ? Vous semez vos champs, pour qu'il les dévaste ; vous meublez et
remplissez vos maisons pour fournir ses pilleries, vous élevez vos filles afin qu'il puisse
assouvir sa luxure ; vous nourrissez vos enfants, pour qu'il en fasse des soldats dans le
meilleur des cas, pour qu'il les mène à la guerre, à la boucherie, qu'il les rende ministres de
ses convoitises et les exécuteurs de ses vengeances. Vous vous usez à la peine, afin qu'il puisse
se mignarder en ses délices et se vautrer dans ses sales plaisirs. Vous vous affaiblissez, afin
qu'il soit plus fort, plus dur et qu'il vous tienne la bride plus courte : et de tant d'indignités,
que les bêtes elles-mêmes ne supporteraient pas si elles les sentaient, vous pourriez vous en
délivrer, sans même tenter de le faire, mais seulement en essayant de le vouloir. Soyez donc
résolus à ne plus servir et vous serez libres. Je ne veux pas que vous poussiez, ni que vous
l'ébranliez, mais seulement ne le soutenez plus, et vous le verrez, tel un grand colosse dont on
dérobe la base, tomber de son propre poids et se rompre.
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La Fontaine : « Le loup et le chien » Fables, livre I, (1668)
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Un Loup n’avait que les os et la peau,
Tant les chiens faisaient bonne garde.
Ce Loup rencontre un Dogue1 aussi puissant que beau,
Gras, poli2, qui s’était fourvoyé3 par mégarde.
L’attaquer, le mettre en quartiers,
Sire Loup l’eût fait volontiers ;
Mais il fallait livrer bataille,
Et le Mâtin était de taille
A se défendre hardiment.
Le Loup donc l’aborde humblement,
Entre en propos4, et lui fait compliment
Sur son embonpoint5, qu’il admire.
“Il ne tiendra qu’à vous beau sire,
D’être aussi gras que moi, lui repartit le Chien.
Quittez les bois, vous ferez bien :
Vos pareils y sont misérables,
Cancres6, haires7, et pauvres diables,
Dont la condition est de mourir de faim.
Car quoi ? rien d’assuré : point de franche lippée8 :
Tout à la pointe de l’épée9.
Suivez-moi : vous aurez un bien meilleur destin. “
Le Loup reprit : “Que me faudra-t-il faire ?
- Presque rien, dit le Chien, donner la chasse aux gens
Portants10 bâtons, et mendiants ;
Flatter ceux du logis, à son Maître complaire :
Moyennant quoi votre salaire
Sera force reliefs de toutes les façons11 :
Os de poulets, os de pigeons,
Sans parler de mainte caresse. “
Le Loup déjà se forge une félicité
Qui le fait pleurer de tendresse.
Chemin faisant, il vit le col du Chien pelé.
“Qu’est-ce là ? lui dit-il. – Rien. – Quoi ? rien ? – Peu de chose.
- Mais encor ? – Le collier dont12 je suis attaché
De ce que vous voyez est peut-être la cause.
- Attaché ? dit le Loup : vous ne courez donc pas
Où vous voulez ? – Pas toujours ; mais qu’importe ?
- Il importe si bien, que de tous vos repas
Je ne veux en aucune sorte,
Et ne voudrais pas même à ce prix un trésor. “
Cela dit, maître Loup s’enfuit, et court encor.
1 « Gros chien, mâtin qui sert à garder les maisons ou à combattre les taureaux » (Dictionnaire de Furetière,
1690) ; puissant : corpulent.
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2 Au poil luisant : signe de bonne santé.
3 Egaré. Littéralement : sorti de sa voie.
4 Entre en conversation.
5 Bon état de santé (en bon point) ; mine florissante.
6 Littéralement crabe ou écrevisse (lat. cancer), d’où : être ridicule ; le mot ne désigne pas encore un mauvais
élève.
7 Hère ou haire : à peu près synonyme de pauvre diable.
8 De lippe, mot familier pour lèvre, d’où : bon repas qui ne coûte rien.
9 Comme un soldat d’aventure, qui doit conquérir la fortune avec sa seule épée.
10 Au XVIIème siècle, les participes présents s’accordent avec le nom, comme les adjectifs.
11 Des restes.
12 Avec lequel.
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Montesquieu, Lettres persanes lettre XIV, 1721
USBEK AU MEME.
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Comme le peuple grossissait tous les jours, les Troglodytes crurent qu'il était à propos de se
choisir un roi: ils convinrent qu'il fallait déférer la couronne à celui qui était le plus juste; et ils
jetèrent tous les yeux sur un vieillard vénérable par son âge et par une longue vertu. Il n'avait
pas voulu se trouver à cette assemblée ; il s'était retiré dans sa maison, le cœur serré de
tristesse.
Lorsqu'on lui envoya des députés pour lui apprendre le choix qu'on avait fait de lui : A Dieu
ne plaise, dit-il, que je fasse ce tort aux Troglodytes, que l'on puisse croire qu'il n'y a personne
parmi eux de plus juste que moi ! Vous me déférez la couronne, et, si vous le voulez
absolument, il faudra bien que je la prenne ; mais comptez que je mourrai de douleur d'avoir
vu en naissant les Troglodytes libres, et de les voir aujourd'hui assujettis. A ces mots, il se mit
à répandre un torrent de larmes. Malheureux jour! disait-il; et pourquoi ai-je tant vécu ? Puis il
s'écria d'une voix sévère : Je vois bien ce que c'est, ô Troglodytes ! votre vertu commence à
vous peser. Dans l'état où vous êtes, n'ayant point de chef, il faut que vous soyez vertueux
malgré vous ; sans cela vous sauriez subsister, et vous tomberiez dans le malheur de vos
premiers pères. Mais ce joug vous paraît trop dur : vous aimez mieux être soumis à un prince,
et obéir à ses lois, moins rigides que vos moeurs. Vous savez que pour lors vous pourrez
contenter votre ambition, acquérir des richesses, et languir dans une lâche volupté ; et que,
pourvu que vous évitiez de tomber dans les grands crimes, vous n'aurez pas besoin de la vertu.
Il s'arrêta un moment, et ses larmes coulèrent plus que jamais. Et que prétendez-vous que je
fasse ? Comment se peut-il que je commande quelque chose à un Troglodyte ? Voulez-vous
qu'il fasse une action vertueuse parce que je la lui commande, lui qui la ferait tout de même
sans moi, et par le seul penchant de la nature ? O Troglodytes ! je suis à la fin de mes jours,
mon sang est glacé dans mes veines, je vais bientôt revoir vos sacrés aïeux: pourquoi voulezvous que je les afflige, et que je sois obligé de leur dire que je vous ai laissés sous un autre
joug que celui de la vertu ?
D'Erzeron, le 10 de la lune de Gemmadi 2, 1711.
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Beckett, En Attendant Godot : « Pozzo et Lucky », 1948
Pages 47 à 50 «Mais demande-lui, voyons. » à « En réalité, il porte comme un porc. Ce n'est
pas son métier. / VLADIMIR : Vous voulez vous en débarrasser ?
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VLADIMIR Mais demande-lui, voyons.
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POZZO Vous me demandez pourquoi il ne dépose pas ses bagages, comme vous dites ?
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VLADIMIR Voilà.
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POZZO Vous êtes bien d'accord ? Je vais vous répondre. Mais restez tranquille, je vous en supplie,
vous me rendez nerveux.
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VLADIMIR Viens ici.
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ESTRAGON Qu'est-ce qu'il y a ?
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VLADIMIR Il va parler.
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POZZO C'est parfait. Tout le monde y est ? Tout le monde me regarde ? Regarde-moi ! Parfait. Je
suis prêt. Tout le monde m'écoute ? Avance ! Là ! Tout le monde est prêt ? Alors quoi ? Je n'aime pas
parler dans le vide. Bon. Voyons.
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ESTRAGON Je m'en vais.
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POZZO Qu'est-ce que vous m'avez demandé au juste ?
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VLADIMIR
Pourquoi il ...
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POZZO
Ne me coupez pas la parole ! Si nous parlons tous en même temps nous n'en sortirons jamais. Qu'estce que je disais ? Qu'est-ce que je disais ?
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ESTRAGON (avec force) : Bagages ! (il pointe son doigt vers Lucky.) Pourquoi ? Toujours tenir. (il
fait celui qui ploie, en haletant.) Jamais déposer. (il ouvre les mains, se redresse avec soulagement.)
Pourquoi ?
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POZZO : J'y suis. II fallait me le dire plus tôt. Pourquoi il ne se met pas à son aise. Essayons d'y voir
clair. N'en a-t-il pas le droit ? Si. C'est donc qu'il ne veut pas ? Voilà qui est résonné. Et pourquoi ne
veut-il pas ? (Un temps) Messieurs, je vais vous le dire.
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VLADIMIR : Attention !
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POZZO : C'est pour m'impressionner, pour que je le garde.
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ESTRAGON :Comment ?
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POZZO : Je me suis peut-être mal exprimé. Il cherche à m'apitoyer, pour que je renonce à me séparer
de lui. Non, ce n'est pas tout-à-fait ça.
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VLADIMIR : Vous voulez vous en débarrasser ?
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POZZO : Il veut m'avoir, mais il ne m'aura pas.
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VLADIMIR :Vous voulez vous en débarrasser ?
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POZZO : Il s'imagine qu'en le voyant bon porteur je serai tenté de l'employer à l'avenir dans cette
capacité.
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ESTRAGON :Vous n' en voulez plus ?
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POZZO : En réalité, il porte comme un porc. Ce n'est pas son métier.
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VLADIMIR : Vous voulez vous en débarrasser
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Textes complémentaires sur la servitude volontaire :
Rabelais, Quart Livre, Chapitre VIII, « Comment Panurge fit en mer noyer le
marchand et ses moutons ».
Chapitre VIII
Chapitre VIII
Soubdain, je ne sçay comment, le cas feut
subit, je ne eu loisir le consydérer, Panurge
sans autre chose dire, jette en pleine mer son
mouton criant et bellant. Tous les aultres
moutons, crians et bellans en pareille
intonation, commencèrent soy jecter et
saulter en mer après, à la file. La foule estoit
à qui premier saulteroit après leur
compaignon. Possible n'estoit les en guarder,
comme vous sçavez du mouton le naturel,
tousjours suyvre le premier, quelque part
qu'il aille. Aussi le dict Aristoteles, lib. IX. de
Histo. animal. estre le plus sot et inepte
animant du monde.
Soudain, je ne sais comment la chose arriva
si vite, je n’eus le loisir de le considérer,
Panurge, sans dire autre chose, jette en pleine
mer son mouton criant et bêlant. Tous les
autres moutons, criant et bêlant avec la même
intonation, commencèrent à se jeter et sauter
en mer à sa suite, à la file. C’était à qui
sauterait le premier après leur compagnon. Il
n’était pas possible de les en empêcher,
comme vous connaissez le naturel du
mouton, qui est de toujours suivre le premier,
en quelque endroit qu'il aille. Aristote le dit
aussi au livre 9 de L’Histoire des animaux,
c’est l’animal le plus sot et inepte du monde
Le marchant, tout effrayé de ce que davant
ses yeulx périr voyoit et noyer ses moutons,
s'efforçoit les empescher et retenir tout de
son povoir. Mais c'estoit en vain. Tous à la
file saultoient dedans la mer, et périssoient.
Finablement, il en print un grand et fort par
la toison sus le tillac de la nauf, cuydant ainsi
le retenir, et saulver le reste aussi
conséquemment. Le mouton feut si puissant
qu'il emporta en mer avecques soy le
marchant, et feut noyé en pareille forme que
les moutons de Polyphemus le borgne
Cyclope emportèrent hors la caverne Ulyxes
et ses compaignons. Autant en feirent les
aultres bergiers et moutonniers, les prenens
uns par les cornes, aultres par les jambes,
aultres par la toison. Lesquelz tous feurent
pareillement en mer portéz et noyez
misérablement.
Le marchand, tout effrayé de ce que devant
ses yeux il voyait périr et noyer ses moutons,
s'efforçait de les en empêcher et de les retenir
autant qu’il le pouvait. Mais c'était en vain.
Tous à la file sautaient dans la mer, et
périssaient. Finalement, il en prit un grand et
fort par la toison sur le tillac (1) du navire,
pensant ainsi le retenir, et conséquemment
sauver le reste aussi. Le mouton fut si
puissant qu'il emporta dans la mer avec lui le
marchand qui se noya, de la même façon que
les moutons de Polyphème le Cyclope
borgne
emportèrent
Ulysse
et
ses
compagnons hors de la caverne. Les autres
bergers et gardiens en firent autant, les
prenant les uns par les cornes, les autres par
les pattes, les derniers par la toison. Tous
furent pareillement emportés et noyés
misérablement en mer.
Panurge, à cousté du fougon, tenent un
aviron en main, non pour ayder aux
moutonniers, mais pour les enguarder de
grimper sus la nauf et évader le naufraige, les
preschoit éloquentement, comme si feust un
petit frère Olivier Maillard, ou un second
frère Jan Bourgeoys, leurs remonstrant par
Panurge, à côté de la cuisine, tenant un
aviron (2) en main, non pour aider les
bergers, mais pour les empêcher de grimper
sur le navire et échapper au naufrage. Il les
exhortait avec éloquence, comme s’il était un
petit frère d’Olivier Maillard (3) ou un
second frère Jean Bourgeois (4), leur
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lieux de rhétoricque les misères de ce monde,
le bien et l'heur de l'aultre vie, affermant les
plus heureux estre les trespasséz que les
vivans en ceste vallée de misère, et à un
chascun d'eulx promettant ériger un beau
cénotaphe et sépulchre honoraire au plus
hault du mont Cenis, à son retour de
Lanternoys ; leurs optant ce néantmoins, en
cas que vivre encores entre les humains ne
leurs faschat et noyer ainsi ne leur vînt à
propous, bonne adventure et rencontre de
quelque baleine, laquelle au tiers jour
subséquent les rendist sains et saulves en
quelque pays de satin, à l'exemple de Jonas.
démontrant par lieux de rhétorique (5) les
misères de ce monde, le bien et le bonheur de
l'autre vie, affirmant que les trépassés (6)
sont plus heureux que les vivants dans cette
vallée de misère, et promettant à chacun
d'eux d’ériger un beau cénotaphe (7) et
sépulcre (8) en leur honneur au plus haut du
Mont-Cenis, à son retour du Lanternois. Il
leur souhaitait néanmoins, au cas où vivre
encore parmi les humains ne leur déplût pas
et où il ne leur vînt pas à l’idée de se noyer,
bonne aventure et rencontre de quelque
baleine, laquelle au troisième jour les
rendrait sains et saufs en quelque doux pays,
à l'exemple de Jonas (9)
[...]
Notes :
1 - Le tillac : pont supérieur d’un navire.
2 - Aviron : rame.
3 - Olivier Maillard : prédicateur célèbre par ses sermons sous Louis XI, Charles VIII et Louis XII.
4 - Jean Bourgeois : autre célèbre prédicateur.
5 - La rhétorique est l’art de bien parler et de convaincre avec éloquence.
6 - Les trépassés : les morts.
7 - Cénotaphe : tombeau élevé à la mémoire d’un mort et qui ne contient pas son corps.
8 - Sépulcre : tombeau.
9 - Jonas, pris dans une tempête, passe trois jours dans le ventre d’une baleine (voir Le livre de Jonas dans
L’Ancien Testament).
Jean de La Bruyère : «Du Souverain» (Les Caractères, fragment XXIX, 1688) ;
Quand vous voyez quelquefois un nombreux troupeau qui, répandu sur une colline vers le
déclin d'un beau jour, paît1 tranquillement le thym et le serpolet, ou qui broute dans une
prairie une herbe menue et tendre qui a échappé à la faux du moissonneur, le berger, soigneux
et attentif, est debout auprès de ses brebis; il ne les perd pas de vue, il les suit, il les conduit, il
les change de pâturage; si elles se dispersent, il les rassemble; si un loup avide paraît, il lâche
son chien, qui le met en fuite; il les nourrit, il les défend; l'aurore le trouve déjà en pleine
campagne, d' où il ne se retire qu'avec le soleil : quels soins ! quelle vigilance ! quelle
servitude ! Quelle condition vous paraît la plus délicieuse et la plus libre, ou du berger ou des
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brebis ? Le troupeau est-il fait pour le berger, ou le berger pour le troupeau ? Image naïve des
peuples et du Prince qui les gouverne, s'il est bon Prince. Le faste et le luxe dans un
souverain, c'est le berger habillé d'or et de pierreries, la houlette2 d'or entre ses mains; son
chien a un collier d'or, il est attaché avec une laisse d'or et de soie : que sert3 tant d'or à son
troupeau ou contre les loups ?
1. du verbe paître : manger.
2. bâton de berger.
3. A quoi sert.
Alain, Penser, c'est dire non, dans Propos sur les pouvoirs, « L’homme devant
l’apparence », 19 janvier 1924.
"Penser, c'est dire non. Remarquez que le signe du oui est d'un homme qui s'endort ; au
contraire le réveil secoue la tête et dit non. Non à quoi ? Au monde, au tyran, au prêcheur ? Ce
n'est que l'apparence. En tous ces cas-là, c'est à elle-même que la pensée dit non. Elle rompt
l'heureux acquiescement. Elle se sépare d'elle-même. Elle combat contre elle-même. Il n'y a
pas au monde d'autre combat. Ce qui fait que le monde me trompe par ses perspectives, ses
brouillards, ses chocs détournés, c'est que je consens, c'est que je ne cherche pas autre chose.
Et ce qui fait que le tyran est maître de moi, c'est que je respecte au lieu d'examiner. Même
une doctrine vraie, elle tombe au faux par cette somnolence. C'est par croire que les hommes
sont esclaves. Réfléchir, c'est nier ce que l'on croit. Qui croit ne sait même plus ce qu'il croit.
Qui se contente de sa pensée ne pense plus rien".
Jean Anouilh, Antigone, extrait (1944).
[Créon, roi de Thèbes, va devoir mettre à mort sa nièce Antigone parce qu'elle veut enfreindre
la loi en enterrant son frère Polynice, traître à l'État. Créon, après avoir tenté de la dissuader,
lui justifie sa décision par les contraintes du métier de roi.]
CRÉON, sourdement. - Eh bien, oui, j'ai peur d'être obligé de te faire tuer si tu t'obstines. Et je
ne le voudrais pas.
ANTIGONE - Moi, je ne suis pas obligée de faire ce que je ne voudrais pas! Vous n'auriez pas
voulu non plus, peut-être, refuser une tombe à mon frère ? Dites-le donc, que vous ne l'auriez
pas voulu ?
CRÉON - Je te l’ai dit.
ANTIGONE - Et vous l’avez fait tout de même. Et maintenant, vous allez me faire tuer sans
le vouloir. Et c'est cela, être roi !
CRÉON - Oui, c'est cela !
ANTIGONE - Pauvre Créon ! Avec mes ongles cassés et pleins de terre et les bleus que tes
gardes m'ont fait aux bras, avec ma peur qui me tord le ventre, moi je suis reine.
CRÉON - Alors, aie pitié de moi, vis. Le cadavre de ton frère qui pourrit sous mes fenêtres,
c'est assez payé pour que l'ordre règne dans Thèbes. Mon fils t'aime. Ne m'oblige pas à payer
avec toi encore. J'ai assez payé.
ANTIGONE - Non. Vous avez dit « oui ». Vous ne vous arrêterez jamais de payer maintenant
!
CRÉON, la secoue soudain, hors de lui. - Mais, bon Dieu ! Essaie de comprendre une minute,
toi aussi, petite idiote ! J'ai bien essayé de te comprendre, moi. Il faut pourtant qu'il y en ait
qui disent oui. Il faut pourtant qu'il y en ait qui mènent la barque. Cela prend l'eau de toutes
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parts, c'est plein de crimes, de bêtise, de misère… Et le gouvernail est là qui ballotte.
L'équipage ne veut plus rien faire, il ne pense qu'à piller la cale et les officiers sont déjà en
train de se construire un petit radeau confortable, rien que pour eux, avec toute la provision
d'eau douce, pour tirer au moins leurs os de là. Et le mât craque, et le vent siffle, et les voiles
vont se déchirer, et toutes ces brutes vont crever toutes ensemble, parce qu’elles ne pensent
qu'à leur peau, à leur précieuse peau et à leurs petites affaires. Crois-tu, alors, qu'on a le temps
de faire le raffiné, de savoir s'il faut dire « oui » ou « non », de se demander s'il ne faudra pas
payer trop cher un jour, et si on pourra encore être un homme après ? On prend le bout de
bois, on redresse devant la montagne d'eau, on gueule un ordre et on tire dans le tas, sur le
premier qui s'avance. Dans le tas ! Cela n'a pas de nom. C'est comme la vague qui vient de
s'abattre sur le pont devant vous; le vent qui vous gifle, et la chose qui tombe devant le groupe
n'a pas de nom. C'était peut-être celui qui t'avait donné du feu en souriant la veille. Il n'a plus
de nom. Et toi non plus tu n'as plus de nom, cramponné à la barre. Il n'y a plus que le bateau
qui ait un nom et la tempête. Est-ce que tu le comprends, cela ?
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Les temps modernes de Chaplin : le début : aliénation par le travail à la chaine
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Le Martyre de Saint Sébastien de Mantegna
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Séquence 4 : «L'être ou le néant, voilà le problème. Monter, descendre,
aller, venir, tant fait l'homme qu'à la fin il disparaît »
Zazie dans le métro de Raymond Queneau (1949)
« Quasi-incipit » de Zazie dans le métro
Gabriel regarde dans le lointain ; elles, elles doivent être à la traîne, les femmes c’est toujours
à la traîne ; mais non, une mouflette surgit qui l’interpelle :
« Chsuis Zazie, jparie que tu es mon tonton Gabriel.
– C’est bien moi, répond Gabriel en anoblissant son ton. Oui, je suis ton tonton. »
La gosse se marre. Gabriel, souriant poliment, la prend dans ses bras, il la transporte au
niveau de ses lèvres, il l’embrasse, elle l’embrasse, il la redescend.
« Tu sens rien bon, dit l’enfant.
– Barbouze de chez Fior, explique le colosse.
– Tu m’en mettras un peu derrière les oreilles ?
– C’est un parfum d’homme.
– Tu vois l’objet, dit Jeanne Lalochère s’amenant enfin. T’as bien voulu t’en charger, eh bien,
le voilà.
– Ça ira, dit Gabriel.
– Je peux te taire confiance ? Tu comprends, je ne veux pas qu’elle se fasse violer par toute la
famille.
– A rvoir, ma chérie. A rvoir, Gaby.
Elle se tire.
Zazie commente les événements :
– Elle est mordue.
Gabriel hausse les épaules. Il ne dit rien. Il saisit la valoche à Zazie.
Maintenant, il dit quelque chose.
– En route, qu’il dit.
Et il fonce, projetant à droite et à gauche tout ce qui se trouve sur sa trajectoire. Zazie galope
derrière.
– Tonton, qu’elle crie, on prend le métro ?
– Non.
– Comment ça, non ?
Elle s’est arrêtée. Gabriel stope également se retourne, pose la valoche et se met à espliquer.
– Bin oui : non. Aujourd’hui, pas moyen. Y a grève.
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– Y a grève.
– Bin oui : y a grève. Le métro, ce moyen de transport éminemment parisien, s’est endormi
sous terre, car les employés aux pinces perforantes ont cessé tout travail.
– Ah les salauds, s’écrie Zazie, ah les vaches. Me faire ça à moi.
– Y a pas qu’à toi qu’ils font ça, dit Gabriel parfaitement objectif.
– Jm’en fous. N’empêche que c’est à moi que ça arrive, moi qu’étais si heureuse, si contente
et tout de m’aller voiturer dans lmétro. Sacrebleu, merde alors.
– Faut te faire une raison, dit Gabriel dont les propos se nuançaient parfois d’un thomisme
légèrement kantien.
Et, passant sur le plan de la cosubjectivité, il ajouta :
Et puis faut se grouiller : Charles attend.
– Oh ! celle-là je la connais, s’esclama Zazie furieuse, je l’ai lue dans les Mémoires du
général Vermot.
– Mais non, dit Gabriel, mais non, Charles, c’est un pote et il a un tac. Je nous le sommes
réservé à cause de la grève précisément, son tac. T’as compris ? En route.
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chap XVII Le combat au Nictalope
C’était maintenant des troupeaux de loufiats qui surgissaient de toutes parts.
Jamais on upu croire qu’il y en u tant. Ils sortaient des cuisines, des caves, des
offices, des soutes. Leur masse serrée absorba Gridoux puis Turandot aventuré
parmi eux. Mais ils n’arrivaient pas à réduire Gabriel aussi facilement. Tel le
coléoptère attaqué par une colonne myrmidonne, tel le bœuf assailli par un banc
hirudinaire, Gabriel se secouait, s’ébrouait, s’ébattait, projetant dans des
directions variées des projectiles humains qui s’en allaient briser tables et
chaises ou rouler entre les pieds des clients.
Le bruit de cette controverse finit par éveiller Zazie. Apercevant son oncle en
proie à la meute limonadière, elle hurla : courage, tonton ! et s’emparant d’une
carafe la jeta au hasard dans la mêlée.
Tant l’esprit militaire est grand chez les filles de France. Suivant cet exemple, la
veuve Mouaque dissémina des cendriers autour d’elle. Tant l’esprit d’imitation
peut faire faire de choses aux moins douées. S’entendit alors un fracas
considérable : Gabriel venait de s’effondrer dans la vaisselle, entraînant parmi
les débris sept loufiats déchaînés, cinq clients qui avaient pris parti et un
épileptique.
D’un seul mouvement se levant, Zazie et la veuve Mouaque s’approchèrent du
magma humain qui s’agitait dans la sciure et la faïence. Quelques coups de siphon
bien appliqués éliminèrent de la compétition quelques personnes au crâne fragile.
Grâce à quoi, Gabriel put se relever, déchirant pour ainsi dire le rideau formé par
ses adversaires, du même coup révélant la présence abîmée de Gridoux et de
Turandot allongés contre le sol. Quelques jets aquagazeux dirigés sur leur
tronche par l’élément féminin et brancardier les remirent en situation. Dès lors,
l’issue du combat n’était plus douteuse.
Tandis que les clients tièdes ou indifférents s’éclipsaient en douce, les acharnés
et les loufiats, à bout de souffle, se dégonflaient sous le poing sévère de Gabriel,
la manchette sidérante de Gridoux, le pied virulent de Turandot. Lorsque
ratatinés, Zazie et Mouaque les effaçaient de la surface d’Aux Nyctalopes et les
traînaient jusque sur le trottoir, où des amateurs bénévoles, par simple bonté
d’âme, les disposaient en tas. Seul ne prenait pas part à l’hécatombe Laverdure,
dès le début de la bigorne douloureusement atteint au périnée par un fragment
de soupière. Gisant au fond de sa cage, il murmurait en gémissant : charmante
soirée, charmante soirée ; traumatisé, il avait changé de disque.
Même sans son concours, la victoire fut bientôt totale.
Le dernier antagoniste éliminé, Gabriel se frotta les mains avec satisfaction et
dit :
– Maintenant, je me taperais bien un café-crème.
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excipit chap XIX
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Jeanne Lalochère s’éveilla brusquement Elle consulta sa montre-bracelet posée
sur la table de nuit ; il était six heures passées.
– Faut pas que je traîne.
Elle s’attarda cependant quelques instants pour examiner son jules qui, nu,
ronflait. Elle le regarda en gros, puis en détail, considérant notamment avec
lassitude et placidité l’objet qui l’avait tant occupée pendant un jour et deux
nuits et qui maintenant ressemblait plus à un poupard après sa tétée qu’à un vert
grenadier.
– Et il est d’un bête avec ça.
Elle se vêtit en vitesse, jeta divers objets dans son fourre-tout, se rafistola le
visage.
– Faudrait pas que je soye en retard. Si je veux récupérer la fille. Comme je
connais Gabriel. Ils seront sûrement à l’heure. A moins qu’il lui soit arrivé quelque
chose.
Elle serra son rouge à lèvres sur son cœur.
– Pourvu qu’il lui soit rien arrivé.
Maintenant, elle était fin prête. Elle regarda son jules encore une fois.
– S’il revient me trouver. S’il insiste. Je dirai peut-être pas non. Mais c’est plus
moi qui courrai après.
Elle ferma doucement la porte derrière elle. L’hôtelier lui appela un taxi et à la
demie elle était à la gare. Elle marqua deux coins et redescendit sur le quai. Peu
après, Zazie s’amenait accompagnée par un type qui lui portait sa valoche.
– Tiens, dit Jeanne Lalochère. Marcel.
– Comme vous voyez.
– Mais elle dort debout !
– On a fait la foire. Faut l’escuser. Et moi aussi, faut m’escuser si je me tire.
– Je comprends. Mais Gabriel ?
– C’est pas brillant. On s’éclipse. A rvoir, petite.
– Au revoir, meussieu, dit Zazie très absente.
Jeanne Lalochère la fit monter dans le compartiment.
– Alors tu t’es bien amusée ?
– Comme ça.
– T’as vu le métro ?
– Non.
– Alors, qu’est-ce que t’as fait ?
– J’ai vieilli.
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Jardin d’hiver de Dubuffet
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Zazie dans le métro Film de Louis Malle (étude de quelques séquences)
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Séquence 5 : L’héroïsme en question
“Le masque tombe, l'homme reste, et le héros s'évanouit.” De Serge
Gainsbourg
Alain-René Lesage, Histoire de Gil Blas de Santillane, 1715-1735
L’Histoire de Gil Blas de Santillane est un roman picaresque publié par Lesage de
1715 à 1735. A peine a-t-il pris le chemin de Salamanque que Gil Blas se retrouve
prisonnier d'une troupe de brigands. Leur capitaine Rolando le contraint à
participer à la vie de voleurs de grand chemin.
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A ces mots, que je prononçai d’un air menaçant, le religieux sembla
craindre pour sa vie. Attendez, me dit-il, je vais donc vous satisfaire, puisqu’il le
faut absolument. Je vois bien qu’avec vous autres, les figures de rhétorique sont
inutiles. En disant cela, il tira de dessous sa robe une grosse bourse de peau de
chamois, qu’il laissa tomber à terre. Alors je lui dis qu’il pouvait continuer son
chemin, ce qu’il ne me donna pas la peine de répéter. Il pressa les flancs de sa
mule, qui, démentant l’opinion que j’avais d’elle, car je ne la croyais pas meilleure
que celle de mon oncle, prit tout à coup un assez bon train. Tandis qu’il s’éloignait,
je mis pied à terre. Je ramassai la bourse qui me parut pesante. Je remontai sur
ma bête et regagnai promptement le bois, où les voleurs m’attendaient avec
impatience, pour me féliciter de ma victoire. A peine me donnèrent-ils le temps
de descendre de cheval, tant ils s’empressaient de m’embrasser. Courage, Gil
Blas, me dit Rolando, tu viens de faire des merveilles. J’ai eu les yeux sur toi
pendant ton expédition. J’ai observé ta contenance. Je te prédis que tu
deviendras un excellent voleur de grand chemin. Le lieutenant et les autres
applaudirent à la prédiction et m’assurèrent que je ne pouvais manquer de
l’accomplir quelque jour. Je les remerciai de la haute idée qu’ils avaient de moi et
leur promis de faire tous mes efforts pour la soutenir.
Après qu’ils m’eurent d’autant plus loué que je méritais moins de l’être, il leur prit
envie d’examiner le butin dont je revenais chargé. Voyons, dirent-ils, voyons ce
qu’il y a dans la bourse du religieux. Elle doit être bien garnie, continua l’un
d’entre eux, car ces bons pères ne voyagent pas en pèlerins. Le capitaine délia la
bourse, l’ouvrit, et en tira deux ou trois poignées de petites médailles de cuivre,
entremêlées d’agnus Dei, avec quelques scapulaires1. A la vue d’un larcin si
nouveau, tous les voleurs éclatèrent en ris immodérés.
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La Chartreuse de Parme (1839) (notre héros était bien peu héros),
LA tableau Waterloo
Nous avouerons que notre héros était fort peu héros en ce moment. Toutefois, la peur ne venait chez
lui qu'en seconde ligne; il était surtout scandalisé de ce bruit qui lui faisait mal aux oreilles.
L'escorte prit le galop; on traversait une grande pièce de terre labourée, située au-delà du canal, et
ce champ était jonché de cadavres.
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- Les habits rouges ! les habits rouges ! criaient avec joie les hussards de l'escorte, et d'abord
Fabrice ne comprenait pas; enfin il remarqua qu'en effet presque tous les cadavres étaient vêtus de
rouge. Une circonstance lui donna un frisson d'horreur; il remarqua que beaucoup de ces
malheureux habits rouges vivaient encore; ils criaient évidemment pour demander du secours, et
personne ne s'arrêtait pour leur en donner. Notre héros, fort humain, se donnait toutes les peines du
monde pour que son cheval ne mît les pieds sur aucun habit rouge. L'escorte s'arrêta; Fabrice, qui ne
faisait pas assez d'attention à son devoir de soldat, galopait toujours en regardant un malheureux
blessé.
- Veux-tu bien t'arrêter, blanc-bec ! lui cria le maréchal des logis. Fabrice s'aperçut qu'il était à vingt
pas sur la droite en avant des généraux, et précisément du côté où ils regardaient avec leurs
lorgnettes. En revenant se ranger à la queue des autres hussards restés à quelques pas en arrière, il
vit le plus gros de ces généraux qui parlait à son voisin, général aussi, d’un air d’autorité et presque
de réprimande ; il jurait. Fabrice ne put retenir sa curiosité ; et, malgré le conseil de ne point parler,
à lui donné par son amie la geôlière, il arrangea une petite phrase bien française, bien correcte, et dit
à son voisin :
– Quel est-il ce général qui gourmande son voisin ?
– Pardi, c’est le maréchal !
– Quel maréchal ?
– Le maréchal Ney, bêta ! Ah çà ! où as-tu servi jusqu’ici ?
Fabrice, quoique fort susceptible, ne songea point à se fâcher de l’injure ; il contemplait, perdu dans
une admiration enfantine, ce fameux prince de la Moskova, le brave des braves. Tout à coup on
partit au grand galop. Quelques instants après, Fabrice vit, à vingt pas en avant, une terre labourée
qui était remuée d’une façon singulière. Le fond des sillons était plein d’eau, et la terre fort humide,
qui formait la crête de ces sillons, volait en petits fragments noirs lancés à trois ou quatre pieds de
haut. Fabrice remarqua en passant cet effet singulier ; puis sa pensée se remit à songer à la gloire du
maréchal. Il entendit un cri sec auprès de lui : c’étaient deux hussards qui tombaient atteints par des
boulets ; et, lorsqu’il les regarda, ils étaient déjà à vingt pas de l’escorte. Ce qui lui sembla horrible,
ce fut un cheval tout sanglant qui se débattait sur la terre labourée, en engageant ses pieds dans ses
propres entrailles ; il voulait suivre les autres : le sang coulait dans la boue.
« Ah ! m’y voilà donc enfin au feu ! se dit-il. J’ai vu le feu ! se répétait-il avec satisfaction. Me voici
un vrai militaire. » A ce moment, l’escorte allait ventre à terre, et notre héros comprit que
c’étaient des boulets qui faisaient voler la terre de toutes parts. Il avait beau regarder du côté d’où
venaient les boulets, il voyait la fumée blanche de la batterie à une distance énorme, et, au milieu du
ronflement égal et continu produit par les coups de canon, il lui semblait entendre des décharges
beaucoup plus voisines ; il n’y comprenait rien du tou
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Un homme qui dort de PEREC, 1967
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Corpus autour de l’évolution du héros de roman
-HOMERE (VIIIème siècle avant J.-C.), Odyssée, chant XXII,
CORPUS : LE HEROS DE ROMAN
De retour à Ithaque, Ulysse retrouve son palais occupé par les prétendants de Pénélope qui
cherchent à prendre sa place. Après l’épisode de l’arc, au cours duquel il dévoile sa
véritable identité, il clame son désir de vengeance.
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Eurymaque1. – Amis, vous l’entendez ! rien ne peut arrêter ses mains infatigables ;
puisqu’il tient le carquois et l’arc aux beaux polis, il va, du haut du seuil luisant, tirer ses
flèches tant qu’il lui restera l’un de nous à abattre !… Ne pensons qu’à lutter !… Allons !
glaives au vent ! contre la pluie de mort, prenons pour boucliers nos tables et, fondant sur lui
tous à la fois, tâchons de le chasser du seuil et de la porte et courons vers la ville appeler au
secours : cet homme aurait tiré pour la dernière fois !
A ces mots, Eurymaque avec un cri sauvage sortait son glaive à pointe. Mais le divin
Ulysse le prévint et tira : la flèche, sous le sein, entra dans la poitrine et courut se planter dans
le foie ; Eurymaque laissa tomber son glaive et, plongeant de l’avant, le corps plié en deux
s’abattit sur la table, en renversant avec les mets la double coupe ; le front frappa le sol ; le
souffle devint rauque ; le fauteuil, sous le choc des talons, culbuta ; puis les yeux se voilèrent.
Alors, tirant son glaive à pointe, Amphinomos bondit pour attaquer le glorieux Ulysse et
dégager la porte. Mais déjà Télémaque2 lui plantait dans le dos, entre les deux épaules, sa
lance, dont le fer sortit par la poitrine. Amphinomos tomba ; on l’entendit donner du front
contre le sol, tandis que, vers le seuil, Télémaque courait sans voir retiré sa lance à la grande
ombre, car le risque était fort que l’un des Achéens 3 l’assaillît de son glaive ou s’en vînt
l’assommer quand il se baisserait.
Il courut ; en deux bonds, il rejoignit son père et, montant sur le seuil, lui tint ces mots
ailés :
Télémaque. – Mon père, je reviens ! je vais chercher pour toi un bouclier, deux piques,
un bonnet tout en bronze qui t’entre bien aux tempes, je m’armerai moi-même et j’armerai
aussi Eumée et le bouvier ; il vaut mieux nous couvrir.
Ulysse l’avisé lui fit cette réponse :
Ulysse. – Cours, pendant que j’ai là mes flèches pour défense ; mais apporte des armes
avant que, de la porte où je vais être seul, ils ne m’aient délogé.
Il disait : Télémaque obéit à son père. Il s’en fut au trésor et, dans les nobles armes, prit
quatre boucliers, quatre paires de piques, quatre bonnets de bronze à l’épaisse crinière et
revint, tout courant aux côtés de son père avec son chargement. Ce fut lui qui, d’abord, se
revêtit du bronze ; puis les deux serviteurs prirent les belles armes pour s’en couvrir aussi, et
leur groupe se tint autour du sage Ulysse aux fertiles pensées.
Mais lui, tant qu’il avait ses flèches pour défense, il tirait dans la salle, abattant chaque
fois quelqu’un des prétendants qui tombaient côte à côte. A force de tirer, les flèches lui
manquèrent. Alors, déposant l’arc contre l’un des montants de la salle trapue, il le laissa
dressé au mur resplendissant, puis couvrit ses épaules d’un bouclier plaqué de cuir en quatre
couches et sa tête vaillante d’un bonnet de métal ; enfin, il prit en mains les deux robustes
piques à la coiffe de bronze…
HOMERE (VIIIème siècle avant J.-C.), Odyssée, chant XXII,
traduit du grec par V. Bérard pour Gallimard.
-Marie-Madeleine de LA FAYETTE - La Princesse de Clèves - 1678
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Il parut alors une beauté à la cour, qui attira les yeux de tout le monde, et l'on doit croire que c'était une
beauté parfaite, puisqu'elle donna de l'admiration dans un lieu où l'on était si accoutumé à voir de belles
personnes. Elle était de la même maison que le vidame de Chartres, et une des plus grandes héritières de France.
Son père était mort jeune, et l'avait laissée sous la conduite de madame de Chartres, sa femme, dont le bien, la
vertu et le mérite étaient extraordinaires. Après avoir perdu son mari, elle avait passé plusieurs années sans
revenir à la cour. Pendant cette absence, elle avait donné ses soins à l'éducation de sa fille ; mais elle ne travailla
pas seulement à cultiver son esprit et sa beauté ; elle songea aussi à lui donner de la vertu et à la lui rendre
aimable. La plupart des mères s'imaginent qu'il suffit de ne parler jamais de galanterie devant les jeunes
personnes pour les en éloigner. Madame de Chartres avait une opinion opposée ; elle faisait souvent à sa fille des
peintures de l'amour ; elle lui montrait ce qu'il a d'agréable pour la persuader plus aisément sur ce qu'elle lui en
apprenait de dangereux ; elle lui contait le peu de sincérité des hommes, leurs tromperies et leur infidélité, les
malheurs domestiques où plongent les engagements ; et elle lui faisait voir, d'un autre côté, quelle tranquillité
suivait la vie d'une honnête femme, et combien la vertu donnait d'éclat et d'élévation à une personne qui avait de
la beauté et de la naissance. Mais elle lui faisait voir aussi combien il était difficile de conserver cette vertu, que
par une extrême défiance de soi-même, et par un grand soin de s'attacher à ce qui seul peut faire le bonheur d'une
femme, qui est d'aimer son mari et d'en être aimée.
Cette héritière était alors un des grands partis qu'il y eût en France ; et quoiqu'elle fût dans une extrême jeunesse,
l'on avait déjà proposé plusieurs mariages. Madame de Chartres, qui était extrêmement glorieuse, ne trouvait
presque rien digne de sa fille ; la voyant dans sa seizième année, elle voulut la mener à la cour. Lorsqu'elle
arriva, le vidame alla au-devant d'elle ; il fut surpris de la grande beauté de mademoiselle de Chartres, et il en fut
surpris avec raison. La blancheur de son teint et ses cheveux blonds lui donnaient un éclat que l'on n'a jamais vu
qu'à elle ; tous ses traits étaient réguliers, et son visage et sa personne étaient pleins de grâce et de charmes
Marie-Madeleine de LA FAYETTE - La Princesse de Clèves - 1678
-ANONYME, La Vie de Lazarillo de Tormès (1554)
La Vie de Lazarillo de Tormès, a été publié anonymement en Espagne. Cette histoire
commence à Salamanque au début du XVIe siècle. Lazare raconte sa vie et qui furent ses
parents. Voici le début de cette œuvre.
PREMIER CHAPITRE
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Lazare raconte sa vie et qui furent ses parents
Sachez, Monsieur, avant toute chose, que mon nom est Lazare de Tormès, fils de
Thomas Gonzales et d’Antona Pérez, natifs de Tejares, village de Salamanque. Ma naissance
eut lieu dans la rivière Tormès, ce qui me valut mon surnom. Voici ce qui advint : mon père
(Dieu lui pardonne) avait la charge de pourvoir la mouture 1 d’un moulin situé sur le bord de
cette rivière, où il fut meunier plus de quinze ans. Une nuit que ma mère, enceinte de moi, se
trouvait au moulin, les douleurs la prirent, et c’est là qu’elle me mit au monde. De telle sorte
qu’en vérité je peux dire que je suis né dans le ruisseau.
Or, comme j’avais atteint l’âge de huit ans, mon père fut accusé de certaines saignées 2
malicieusement faites aux sacs de ceux qui venaient moudre au moulin. Il fut alors mis en
prison, il confessa, ne nia point, et il souffrit persécution à cause de la justice. J’espère en
Dieu qu’il est dans la gloire Éternelle, car ceux-là, selon l’Évangile, sont déclarés
bienheureux. En ce temps-là, on lança une expédition contre les Maures3, à laquelle participa
mon père, alors puni d’exil pour ladite infortune, comme muletier d’un gentilhomme qui y
partit aussi ; et là-bas, avec son maître, en loyal serviteur, sa vie prit fin.
Ma mère, veuve, se voyant sans mari ni protecteur, décida de s’attacher aux gens de
bien afin d’être des leurs. Elle vint donc vivre à la ville, y loua une maisonnette, et se mit à
faire la cuisine pour des écoliers, et à laver le linge pour des palefreniers 4 du Commandeur5 de
la Madeleine ; elle en vint de la sorte à fréquenter les écuries.
.
Anonyme, La Vie de Lazarillo de Tormès, publiée en Espagne, en castillan, en 1554
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Traduit de l’espagnol par Bernard Sesé.
1.
2.
3.
4.
5.
Pourvoir la mouture : alimenter la meule
Saignées : prélèvements, vols
Maures : terme désignant les Arabes ou plus largement les Musulmans
Palefreniers : hommes qui s’occupent des chevaux
Commandeur : titre honorifique accordé aux chevaliers de certains ordres militaires ou religieux.
-CERVANTES Don Quichotte de la Manche, Première partie, (1605)
Don Quichotte croise un groupe de prisonniers emmené aux galères. Il interroge tour à tour
différents captifs.
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Derrière tous ceux-là venait un homme d’environ trente ans, bien fait et de bonne
mine, si ce n’est cependant que lorsqu’il regardait il mettait l’un de ses yeux dans l’autre. Il
était attaché bien différemment de ses compagnons ; car il portait au pied une chaîne si
longue, qu’elle lui faisait, en remontant, le tour du corps, puis deux forts anneaux à la gorge,
l’un rivé à la chaîne, l’autre comme une espèce de carcan1 duquel partaient deux barres de fer
qui descendaient jusqu’à la ceinture et aboutissaient à deux menottes où il avait les mains
attachées par de gros cadenas ; de manière qu’il ne pouvait ni lever ses mains à sa tête, ni
baisser sa tête à ses mains. Don Quichotte demanda pourquoi cet homme portait ainsi bien
plus de fers que les autres. Le gardien répondit que c’était parce qu’il avait commis plus de
crimes à lui seul que tous les autres ensemble, et que c’était un si hardi et si rusé coquin, que,
même en le gardant de cette manière, ils n’étaient pas très-sûrs de le tenir, et qu’ils avaient
toujours peur qu’il ne vînt à leur échapper.
« Mais quels grands crimes a-t-il donc faits, demanda don Quichotte, s’ils ne méritent
pas plus que les galères ?
– Il y est pour dix ans, répondit le gardien, ce qui emporte la mort civile. Mais il n’y a
rien de plus à dire, sinon que c’est le fameux Ginès de Passamont, autrement dit Ginésille de
Parapilla.
– Holà ! seigneur commissaire, dit alors le galérien, tout doucement, s’il vous plaît, et
ne nous amusons pas à épiloguer sur les noms et surnoms. Je m’appelle Ginès et non
Ginésille ; et Passamont est mon nom de famille, non point Parapilla, comme vous dites. Et
que chacun à la ronde se tourne et s’examine, et ce ne sera pas mal fait.
– Parlez un peu moins haut, seigneur larron 2 de la grande espèce, répliqua le
commissaire, si vous n’avez envie que je vous fasse taire par les épaules.
– On voit bien, reprit le galérien, que l’homme va comme il plaît à Dieu ; mais,
quelque jour, quelqu’un saura si je m’appelle ou non Ginésille de Parapilla.
– N’est-ce pas ainsi qu’on t’appelle, imposteur ? s’écria le gardien.
– Oui, je le sais bien, reprit le forçat ; mais je ferai en sorte qu’on ne me donne plus ce
nom, ou bien je m’arracherai la barbe, comme je le dis entre mes dents. Seigneur chevalier, si
vous avez quelque chose à nous donner, donnez-nous-le vite, et allez à la garde de Dieu, car
tant de questions sur la vie du prochain commencent à nous ennuyer ; et si vous voulez
connaître la mienne, sachez que je suis Ginès de Passamont, dont l’histoire est écrite par les
cinq doigts de cette main.
– Il dit vrai, reprit le commissaire ; lui-même a écrit sa vie, et si bien, qu’on ne peut
rien désirer de mieux. Mais il a laissé le livre en gage dans la prison pour deux cents réaux 3.
– Et je pense bien le retirer, s’écria Ginès, fût-il engagé pour deux cents ducats4.
– Est-il donc si bon ? demanda don Quichotte.
– Si bon, reprit le galérien, qu’il fera la barbe à Lazarille de Tormès, et à tous ceux du
même genre écrits ou à écrire. Ce que je puis dire à Votre Grâce, c’est qu’il rapporte des
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vérités, mais des vérités si gracieuses et si divertissantes, qu’aucun mensonge ne peut en
approcher.
– Et quel est le titre du livre ? demanda don Quichotte.
– La vie de Ginès de Passamont, répondit l’autre.
– Est-il fini ? reprit don Quichotte.
– Comment peut-il être fini, répliqua Ginès, puisque ma vie ne l’est pas ? Ce qui est
écrit comprend depuis le jour de ma naissance jusqu’au moment où l’on m’a condamné cette
dernière fois aux galères.
Cervantès Don Quichotte de la Manche, Première partie, (1605)
1.
2.
3.
4.
Carcan : Autrefois, collier de fer pour attacher un criminel au poteau d'exposition ; cette peine.
Larron : Brigand, voleur.
Réaux : Terme générique désignant des monnaies royales de différents pays :
Ducats : Monnaie frappée par des ducs, en particulier monnaie d'or des doges de Venise.
-Jean de La VILLE de MIRMONT, Les dimanches de Jean Dézert, 1914
Jean Dézert ne parle jamais de sa famille. J'ai su qu'il vit le jour dans une
grande ville du Sud-Ouest. Son père occupait l'emploi de sous-directeur de
l'usine à gaz. De l'autre côté de la rue, il y avait le cimetière protestant. Il a plu
des escarbilles sur une enfance bornée par un horizon de cyprès. Ce
renseignement nous serait précieux pour une étude du caractère de Jean
Dézert. Du moins nous aiderait-il à comprendre la patience et la résignation de
son âme, la modestie de ses désirs et la paresse triste de son imagination. Car,
notez-le bien, Jean Dézert n'a jamais fait de long voyage en rêve. Pense-t-il
même qu'il existe une étoile où l'on s'aime toujours ?
Ses yeux ne quittent pas la terre, ses regards ne s'élèvent pas au-dessus de ce
monde, où, si certains sont acteurs et d'autres spectateurs, lui n'est que
figurant. Oh ! ça lui serait égal d'être déguisé en paysan suisse, en gentilhomme
huguenot ou en guerrier égyptien ! Il ressemble, en effet, à ces choristes des
théâtres d'opéra, qui, tout en songeant à leurs affaires personnelles, ouvrent la
bouche en même temps que les autres pour avoir l'air de chanter avec eux. Il
exécute tous les gestes nécessaires et ne recule devant aucune concession.
Lorsqu'il pleut, il ouvre un parapluie et retrousse le bas de son pantalon.
Il évite les voitures et ne répond pas aux mots un peu vifs des cochers.
Il salue son concierge et s'informe de sa santé.
Il se mêle aux groupes qui entourent les camelots ou les marchands de chansons.
Il a servi plusieurs fois de témoin dans des accidents de voiture.
Corpus autour du picaro [Texte]
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Mais, surtout, Jean Dézert a fait sienne une grande vertu: il sait attendre.
Toute la semaine, il attend le dimanche. A son Ministère il attend de
l'avancement, en attendant la retraite. Une fois retraité, il attendra la mort. Il
considère la vie comme une salle d'attente pour voyageurs de troisième classe.
Du moment qu'il a pris son billet, il ne lui reste plus, sans bouger davantage, qu'à
regarder passer les hommes d'équipe sur le quai. Un employé l'avertira lorsque le
convoi partira; mais il ignore encore vers quelle autre station.
Jean Dézert n'est pas ambitieux. Il a compris que les étoiles sont innombrables.
Aussi, se borne-t-il, faute de mieux, à compter les réverbères des quais, les
soirs d'ennui.
Jean Dézert n'est pas envieux, même de ceux qui détiennent la vérité. Il aurait
lieu, pourtant, de jalouser à ce point de vue son ami Léon Duborjal (un cerveau
bien équilibré), lauréat de l'École Pigier, qui connaît la sténographie, progresse
chaque jour en espéranto, saura saisir la vie par le bon bout, et réussira dans le
commerce.
Oui, Jean Dézert est un résigné. Il a fait — sans trop de hâte — le tour de ses
domaines et perdu toute illusion sur l'étendue de son jardin, la fertilité de ses
massifs et le pittoresque de ses perspectives. Il en prend son parti et lorsqu'il
sera las de cracher dans le bassin — pour se distraire — il se promènera, les
mains dans les poches, le long des plates-bandes, sans s'occuper du reste et sans
penser à mal.
-KAFKA, La Métamorphose, 1915
Un matin, au sortir d'un rêve agité, Grégoire Samsa s'éveilla transformé dans
son lit en une véritable vermine. Il était couché sur le dos, un dos dur comme une
cuirasse, et, en levant un peu la tête, il s'aperçut qu'il avait un ventre brun en
forme de voûte divisé par des nervures arquées. La couverture, à peine retenue
par le sommet de l'édifice, était près de tomber complètement, et les pattes de
Grégoire, pitoyablement minces pour son gros corps, papillotaient devant ses
yeux.
" Que m'est-il arrivé ? " pensa-t-il. Ce n'était pourtant pas un rêve : sa
chambre, sa vraie chambre d'homme, quoique un peu petite à vrai dire, se tenait
bien sage entre ses quatre murs habituels. Au-dessus de la table où s'étalait sa
collection d'échantillons de tissus -- Grégoire était voyageur de commerce -- on
pouvait toujours voir la gravure qu'il avait découpée récemment dans un magazine
et entourée d'un joli cadre doré. Cette image représentait une dame assise bien
Corpus sur le héros moderne
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droit, avec une toque et un tour de cou en fourrure : elle offrait aux regards des
amateurs un lourd manchon dans lequel son bras s'engouffrait jusqu'au coude.
Grégoire regarda par la fenêtre ; on entendait des gouttes de pluie sur le zinc ;
ce temps brouillé le rendit tout mélancolique : " si je me rendormais encore un
peu pour oublier toute ces bêtises ", pensa-t-il, mais c'était absolument
impossible : il avait l'habitude de dormir sur le côté droit et ne pouvait parvenir
dans sa situation présente à adopter la position voulue. Il avait beau essayer de
se jeter violemment sur le flanc, il revenait toujours sur le dos avec un petit
mouvement de balançoire. Il essaya bien cent fois, en fermant les yeux pour ne
pas voir les vibrations de ses jambes, et n'abandonna la partie qu'en ressentant
au côté une sorte de douleur sourde qu'il n'avait jamais éprouvée.
" Quel métier, pensa-t-il, quel métier suis-je allé choisir ! Tous les jours en
voyage ! Des ennuis pires que dans le commerce de mes parents ! et par-dessus le
marché cette plaie des voyages : les changements de trains, les correspondances
qu'on rate, les mauvais repas qu'il faut prendre n'importe quand ! à chaque
instant des têtes nouvelles, des gens qu'on ne reverra jamais, avec lesquels il n'y
a pas moyen d'être camarade ! Que le diable emporte la boîte. "
-CELINE, Voyage au bout de la nuit, 1932
Avec Voyage au bout de la nuit, Céline dénonce les horreurs de la guerre,
de la colonisation, de l’exploitation capitaliste. Adepte du « parler vrai », il
s’attaque aux représentations idéalisées des combats et aux idéologies. Le
protagoniste du roman, Ferdinand Bardamu, incarne, en effet, un individu très
ordinaire, qui séduit par une parade militaire, s’engage dans l’armée sur un coup
de tête. Il se retrouve confronté aux dures réalités des combats qui se
déchaînent dans l’est de la France, durant la Première Guerre mondiale.
Donc pas d’erreur ? Ce qu’on faisait à se tirer dessus, comme ça, sans
même se voir, n’était pas défendu ! Cela faisait partie des choses qu’on peut faire
sans mériter une bonne engueulade. C’était même reconnu, encouragé sans doute
par les gens sérieux, comme le tirage au sort, les fiançailles, la chasse à courre !
… Rien à dire. Je venais de découvrir d’un coup la guerre tout entière. J’étais
dépucelé. Faut être à peu près seul devant elle comme je l’étais à ce moment-là
pour bien la voir la vache, en face et de profil. On venait d’allumer la guerre
entre nous et ceux d’en face, et à présent ça brûlait ! Comme le courant entre les
deux charbons, dans la lampe à arc. Et il n’était pas près de s’éteindre le
charbon ! On y passerait tous, le colonel comme les autres, tout mariole qu’il
semblerait être, et sa carne ne ferait pas plus de rôti que la mienne quand le
courant d’en face lui passerait entre les deux épaules.
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Il y a bien des façons d’être condamné à mort. Ah ! combien n’aurais-je pas
donné à ce moment-là pour être en prison au lieu d’être ici, moi crétin ! Pour
avoir, par exemple, quand c’était si facile, prévoyant, volé quelque chose, quelque
part, quand il en était temps encore. On ne pense à rien ! De la prison, on en sort
vivant, pas de la guerre. Tout le reste, c’est des mots.
Si seulement j’avais encore eu le temps, mais je ne l’avais plus ! Il n’y avait plus
rien à voler ! Comme il ferait bon dans une petite prison pépère, que je me disais,
où les balles ne passent pas ! Ne passent jamais ! J’en connaissais une toute
prête, au soleil, au chaud! Dans un rêve, celle de Saint-Germain précisément, si
proche de la forêt, je la connaissais bien, je passais sou vent par là, autrefois.
Comme on change ! J’étais un enfant alors, elle me faisait peur la prison. C’est
que je ne connaissais pas encore les hommes. Je ne croirai plus jamais à ce qu’ils
disent, à ce qu’ils pensent. C’est des hommes et d’eux seulement qu’il faut avoir
peur, toujours.
Alain ROBBE-GRILLET (1922-2008), Pour un nouveau roman, 1963
Dans Pour un nouveau roman (ensemble d'études écrites entre 1956 et 1963), Robbe-Grillet dénonce les
notions, qu'il juge "périmées", de personnage, d'histoire ou d'engagement. Reconnaissant sa dette à l'égard de
Sartre ou de Camus, il définit néanmoins le nouveau roman comme une recherche qui ne propose pas de
signification toute faite et ne reconnaît pour l'écrivain qu'un engagement : la littérature.
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Nous en a-t-on assez parlé du « personnage » ! Et ça ne semble, hélas, pas près de finir. Cinquante années
de maladie, le constat de son décès enregistré à maintes reprises par les plus sérieux essayistes, rien n'a encore
réussi à le faire tomber du piédestal où l'avait placé le XIXe siècle. C'est une momie à présent, mais qui trône
toujours avec la même majesté quoique postiche au milieu des valeurs que révère la critique traditionnelle.
C'est même là qu'elle reconnaît le « vrai » romancier : « il crée des personnages »...
Pour justifier le bien-fondé de ce point de vue, on utilise le raisonnement habituel : Balzac nous a laissé
Le Père Goriot, Dostoïesvski a donné le jour aux Karamazov, écrire des romans ne peut plus donc être que cela :
ajouter quelques figures modernes à la galerie de portraits que constitue notre histoire littéraire.
Un personnage, tout le monde sait ce que le mot signifie. Ce n'est pas un il quelconque, anonyme et
translucide, simple sujet de l'action exprimée par le verbe. Un personnage doit avoir un nom propre, double si
possible : nom de famille et prénom. Il doit avoir des parents, une hérédité. Il doit avoir une profession. S'il a des
biens, cela n'en vaudra que mieux. Enfin il doit posséder un « caractère », un visage qui le reflète, un passé qui a
modelé celui-ci et celui-là. Son caractère dicte ses actions, le fait réagir de façon déterminée à chaque
événement. Son caractère permet au lecteur de le juger, de l'aimer, de le haïr. C'est grâce à ce caractère qu'il
léguera un jour son nom à un type humain, qui attendait, dirait-on, la consécration de ce baptême.
Car il faut à la fois que le personnage soit unique et qu'il se hausse à la hauteur d'une catégorie. Il lui faut
assez de particularité pour demeurer irremplaçable, et assez de généralité pour devenir universel. On pourra,
pour varier un peu, se donner quelque impression de liberté, choisir un héros qui paraisse transgresser l'une de
ces règles : un enfant trouvé, un oisif, un fou, un homme dont le caractère incertain ménage çà et là une petite
surprise... On n'exagérera pas, cependant, dans cette voie : c'est celle de la perdition, celle qui conduit tout droit
au roman moderne.
Aucune des grandes œuvres contemporaines ne correspond en effet sur ce point aux normes de la critique.
Combien de lecteurs se rappellent le nom du narrateur dans La Nausée ou dans L'Étranger ? Y a-t-il là des types
humains ? Ne serait-ce pas au contraire la pire absurdité que de considérer ces livres comme des études de
caractère ? Et Le Voyage au bout de la nuit, décrit-il un personnage ? Croit-on d'ailleurs que c'est par hasard que
ces trois romans sont écrits à la première personne ? Beckett change le nom et la forme de son héros dans le
cours d'un même récit. Faulkner donne exprès le même nom à deux personnes différentes. Quant au K. du
Château, il se contente d'une initiale, il ne possède rien, il n'a pas de famille, pas de visage ; probablement même
n'est-il pas du tout arpenteur.
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On pourrait multiplier les exemples. En fait, les créateurs de personnages, au sens traditionnel, ne
réussissent plus à nous proposer que des fantoches auxquels eux-mêmes ont cessé de croire. Le roman de
personnages appartient bel et bien au passé, il caractérise une époque : celle qui marqua l'apogée de l'individu.
Peut-être n'est-ce pas un progrès, mais il est certain que l'époque actuelle est plutôt celle du numéro
matricule. Le destin du monde a cessé, pour nous, de s'identifier à l'ascension ou à la chute de quelques hommes,
de quelques familles. Le monde lui-même n'est plus cette propriété privée, héréditaire et monnayable, cette sorte
de proie, qu'il s'agissait moins de connaître que de conquérir. Avoir un nom, c'était très important sans doute au
temps de la bourgeoisie balzacienne. C'était important, un caractère, d'autant plus important qu'il était davantage
l'arme d'un corps-à-corps, l'espoir d'une réussite, l'exercice d'une domination. C'était quelque chose d'avoir un
visage dans un univers où la personnalité représentait à la fois le moyen et la fin de toute recherche.
Notre monde, aujourd'hui, est moins sûr de lui-même, plus modeste peut-être puisqu'il a renoncé à la
toute-puissance de la personne, mais plus ambitieux aussi puisqu'il regarde au-delà. Le culte exclusif de «
l'humain » a fait place à une prise de conscience plus vaste, moins anthropocentriste. Le roman paraît chanceler,
ayant perdu son meilleur soutien d'autrefois, le héros. S'il ne parvient pas à s'en remettre, c'est que sa vie était
liée à celle d'une société maintenant révolue. S'il y parvient, au contraire, une nouvelle voie s'ouvre pour lui,
avec la promesse de nouvelles découvertes.
Alain ROBBE-GRILLET (1922-2008), Pour un nouveau roman, 1963
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Le Pied-bot de José de Ribera, 1642, Musée du
Louvre, 164x92cm
Le Jeune mendiant de Bartolomé Esteban
Murillo, vers 1650, Musée du Louvre,
113x110cm.
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Le picaro en peinture (Le Pied-bot de José de Ribera, Le Jeune mendiant
de Bartolomé Esteban Murillo)

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Etude de la séquence d’ouverture d’A bout de souffle de Godard et des deux
dernières minutes du film.
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Séquence 6 : La poésie ou la quête du sens : « le grand combat »
Clément MAROT « Petite épitre au roi », 1518
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En m’ébattant je fais rondeaux en rime,
Et en rimant bien souvent je m’enrime ;
Bref, c’est pitié d’entre nous rimailleurs,
Car vous trouvez assez de rime ailleurs,
Et quand vous plaît mieux que moi rimassez,
Des biens avez et de la rime assez :
Mais moi, à tout ma rime et ma rimaille,
Je ne soutiens (dont je suis marri) maille.
Or ce me dit (un jour), quelque rimart :
« Viens çà, Marot, trouves-tu en rime art
Qui serve aux gens, toi qui as rimassé ?
- Oui vraiment (réponds-je) Henri Macé ;
Car vois-tu bien la personne rimante
Qui au jardin de son sens la rime ente,
Si elle n’a des biens en rimoyant,
Elle prendra plaisir en rime oyant ;
Et m’est avis, qui si je ne rimois,
Mon pauvre corps ne seroit nourri mois
Ne demi-jour : car la moindre rimette
C’est le plaisir où fault que mon ris mette".
Si vous supplie qu’à ce jeune rimeur
Fassiez avoir un jour par sa rime heur,
Afin qu’on dise, en prose ou en rimant ;
« Ce rimailleur qui s’en ailloit enrimant,
Tant rimassa, rima et rimonna,
Qu’il a connu quel bien par rime on a."
Le tombeau d’Edgar Poe de MALLARME, 1876
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Tel qu'en Lui-même enfin l'éternité le change
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Le Poète suscite avec un glaive nu
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Son siècle épouvanté de n'avoir pas connu
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Que la mort triomphait dans cette voix étrange !
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Eux, comme un vil sursaut d'hydre oyant jadis l'ange
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Donner un sens plus pur aux mots de la tribu,
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Proclamèrent très haut le sortilège bu
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Dans le flot sans honneur de quelque noir mélange.
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Du sol et de la nue hostiles, ô grief !
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Si notre idée avec ne sculpte un bas-relief
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Dont la tombe de Poe éblouissante s'orne
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Calme bloc ici-bas chu d'un désastre obscur
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Que ce granit du moins montre à jamais sa borne
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Aux noirs vols du Blasphème épars dans le futur.
« Le grand combat » de MICHAUX, 1927
«Il l'emparouille et l'endosque contre terre ;
Il le rague et le roupète jusqu'à son drâle ;
Il le pratèle et le libucque et lui barufle les ouillais ;
Il le tocarde et le marmine,
Le manage rape à ri et ripe à ra.
Enfin il l'écorcobalisse.
L'autre hésite, s'espudrine, se défaisse, se torse et se ruine.
C'en sera bientôt fini de lui ;
Il se reprise et s'emmargine... mais en vain.
Le cerceau tombe qui a tant roulé.
Abrah ! Abrah ! Abrah !
Le pied a failli !
Le bras a cassé !
Le sang a coulé !
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Fouille, fouille, fouille,
Dans la marmite de son ventre est un grand secret
Mégères alentour qui pleurez dans vos mouchoirs ;
On s'étonne, on s'étonne, on s'étonne
Et vous regarde,
On cherche aussi, nous autres, le Grand Secret.»
« S’exercer » d’O SALON, 2007
S’exercer, c’est tenter ces vers, les révérer ;
C’est penser et tester le verbe de l’enchère.
Détecte les déchets de l’échec délétère,
Cesse de regretter et de désespérer.
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Repense ce revers et prétends préférer
Respecter derechef cette règle sévère.
En esthète effréné, resserre et persévère ;
En cette lettre-fée entends le vent errer.
Redresse tes pensées et sens l’effet se tendre
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Pénètre ces secrets : créer, c’est entreprendre.
Recherche ce reflet et permets l’émergence
De textes très serrés ; pressé, le sens s’élève,
Egrène lentement cette belle sentence :
Réel est éphémère, éternel est le Rêve.
Groupements de textes : La figure du poète
Victor Hugo « Peuples ! Ecoutez le poète ! »
Peuples ! écoutez le poète !
Peuples ! écoutez le poète !
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Écoutez le rêveur sacré !
Dans votre nuit, sans lui complète,
Lui seul a le front éclairé !
Des temps futurs perçant les ombres,
Lui seul distingue en leurs flancs sombres
Le germe qui n’est pas éclos.
Homme, il est doux comme une femme.
Dieu parle à voix basse à son âme
Comme aux forêts et comme aux flots !
C’est lui qui, malgré les épines,
L’envie et la dérision,
Marche, courbé dans vos ruines,
Ramassant la tradition.
De la tradition féconde
Sort tout ce qui couvre le monde,
Tout ce que le ciel peut bénir.
Toute idée, humaine ou divine,
Qui prend le passé pour racine
A pour feuillage l’avenir.
Il rayonne ! il jette sa flamme
Sur l’éternelle vérité !
Il la fait resplendir pour l’âme
D’une merveilleuse clarté.
Il inonde de sa lumière
Ville et désert, Louvre et chaumière,
Et les plaines et les hauteurs ;
À tous d’en haut il la dévoile ;
Car la poésie est l’étoile
Qui mène à Dieu rois et pasteurs !
Baudelaire « L’albatros »
Charles BAUDELAIRE (1821-1867) L'albatros
Souvent, pour s'amuser, les hommes d'équipage
Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers,
Qui suivent, indolents compagnons de voyage,
Le navire glissant sur les gouffres amers.
A peine les ont-ils déposés sur les planches,
Que ces rois de l'azur, maladroits et honteux,
Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches
Comme des avirons traîner à côté d'eux.
Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule !
Lui, naguère si beau, qu'il est comique et laid !
L'un agace son bec avec un brûle-gueule,
L'autre mime, en boitant, l'infirme qui volait !
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Le Poète est semblable au prince des nuées
Qui hante la tempête et se rit de l'archer ;
Exilé sur le sol au milieu des huées,
Ses ailes de géant l'empêchent de marcher.
Supervielle Poèmes de l'humour triste, « Soyez bons pour le poète ! » 1919
Soyez bon pour le Poète,
Le plus doux des animaux.
Nous prêtant son cœur, sa tête,
Incorporant tous nos maux,
Il se fait notre jumeau;
Au désert de l'épithète,
Il précède les prophètes
Sur son douloureux chameau;
Il fréquente très honnête,
La misère et ses tombeaux,
Donnant pour nous, bonne bête,
Son pauvre corps aux corbeaux;
Il traduit en langue nette
Nos infinitésimaux.
Ah! donnons-lui, pour sa fête,
La casquette d'interprète !
Corpus : le renouveau poétique manuel p 282 à 288
« Muse malade » de BAUDELAIRE, Les Fleurs du mal (1857)
Ma pauvre muse, hélas ! qu'as-tu donc ce matin ?
Tes yeux creux sont peuplés de visions nocturnes,
Et je vois tour à tour réfléchis sur ton teint
La folie et l'horreur, froides et taciturnes.
Le succube verdâtre et le rose lutin
T'ont-ils versé la peur et l'amour de leurs urnes ?
Le cauchemar, d'un poing despotique et mutin,
T'a-t-il noyée au fond d'un fabuleux Minturnes ?
Je voudrais qu'exhalant l'odeur de la santé
Ton sein de pensers forts fût toujours fréquenté,
Et que ton sang chrétien coulât à flots rythmiques,
Comme les sons nombreux des syllabes antiques,
Où règnent tour à tour le père des chansons,
Phoebus, et le grand Pan, le seigneur des moissons
« Art poétique » de VERLAINE Jadis et Naguère (1884)
De la musique avant toute chose,
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Et pour cela préfère l'Impair
Plus vague et plus soluble dans l'air,
Sans rien en lui qui pèse ou qui pose.
Il faut aussi que tu n'ailles point
Choisir tes mots sans quelque méprise :
Rien de plus cher que la chanson grise
Où l'Indécis au Précis se joint.
C'est des beaux yeux derrière des voiles,
C'est le grand jour tremblant de midi,
C'est, par un ciel d'automne attiédi,
Le bleu fouillis des claires étoiles !
Car nous voulons la Nuance encor,
Pas la Couleur, rien que la nuance !
Oh ! la nuance seule fiance
Le rêve au rêve et la flûte au cor !
Fuis du plus loin la Pointe assassine,
L'Esprit cruel et le Rire impur,
Qui font pleurer les yeux de l'Azur,
Et tout cet ail de basse cuisine !
Prends l'éloquence et tords-lui son cou !
Tu feras bien, en train d'énergie,
De rendre un peu la Rime assagie.
Si l'on n'y veille, elle ira jusqu'où ?
O qui dira les torts de la Rime ?
Quel enfant sourd ou quel nègre fou
Nous a forgé ce bijou d'un sou
Qui sonne creux et faux sous la lime ?
De la musique encore et toujours !
Que ton vers soit la chose envolée
Qu'on sent qui fuit d'une âme en allée
Vers d'autres cieux à d'autres amours.
Que ton vers soit la bonne aventure
Eparse au vent crispé du matin
Qui va fleurant la menthe et le thym...
Et tout le reste est littérature.
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« Lettre du voyant » A RIMBAUD (1871)
- Voici de la prose sur l'avenir de la poésie –
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Toute poésie antique aboutit à la poésie grecque ; Vie harmonieuse. ─ De la
Grèce au mouvement romantique, - moyen-âge, - il y a des lettrés, des
versificateurs. D'Ennius à Théroldus, de Théroldus à Casimir Delavigne, tout est
prose rimée, un jeu, avachissement et gloire d'innombrables générations idiotes :
Racine est le pur, le fort, le grand. - On eût soufflé sur des rimes, brouillé ses
hémistiches, que le Divin Sot serait aujourd'hui aussi ignoré que le premier venu
auteur d'Origines. - Après Racine, le jeu moisit. Il a duré deux mille ans !
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Ni plaisanterie, ni paradoxe. La raison m'inspire plus de certitudes sur le
sujet que n'aurait jamais eu de colères un Jeune-France. Du reste, libre aux
nouveaux ! D’exécrer les ancêtres : on est chez soi et l'on a le temps.
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On n'a jamais bien jugé le romantisme ; qui l'aurait jugé ? les critiques ! ! Les
romantiques, qui prouvent si bien que la chanson est si peu souvent l'œuvre,
c'est-à-dire la pensée chantée et comprise du chanteur ?
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Car Je est un autre. Si le cuivre s'éveille clairon, il n'y a rien de sa faute.
Cela m'est évident : j'assiste à l'éclosion de ma pensée : je la regarde, je
l'écoute : je lance un coup d'archet : la symphonie fait son remuement dans les
profondeurs, ou vient d'un bond sur la scène.
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Si les vieux imbéciles n'avaient pas trouvé du Moi que la signification fausse,
nous n'aurions pas à balayer ces millions de squelettes qui, depuis un temps infini
! ont accumulé les produits de leur intelligence borgnesse, en s'en clamant les
auteurs !
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En Grèce, ai-je dit, vers et lyres rythment l'Action. Après, musique et rimes
sont jeux, délassements. L'étude de ce passé charme les curieux : plusieurs
s'éjouissent à renouveler ces antiquités : - c'est pour eux. L'intelligence
universelle a toujours jeté ses idées, naturellement ; les hommes ramassaient
une partie de ces fruits du cerveau : on agissait par, on en écrivait des livres :
telle allait la marche, l'homme ne se travaillant pas, n'étant pas encore éveillé, ou
pas encore dans la plénitude du grand songe. Des fonctionnaires, des écrivains :
auteur, créateur, poète, cet homme n'a jamais existé !
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La première étude de l'homme qui veut être poète est sa propre
connaissance, entière ; il cherche son âme, il l'inspecte, il la tente,
l'apprend. Dès qu'il la sait, il doit la cultiver, cela semble simple : en tout cerveau
s'accomplit un développement naturel ; tant d'égoïstes se proclament auteurs ; il
en est bien d'autres qui s'attribuent leur progrès intellectuel ! - Mais il s'agit de
faire l'âme monstrueuse : à l'instar des comprachicos, quoi ! Imaginez un homme
s'implantant et se cultivant des verrues sur le visage.
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Je dis qu'il faut être voyant, se faire voyant.
Le Poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de
tous les sens. Toutes les formes d'amour, de souffrance, de folie ; il
cherche lui-même, il épuise en lui tous les poisons, pour n'en garder que les
quintessences. Ineffable torture où il a besoin de toute la foi, de toute la
force surhumaine, où il devient entre tous le grand malade, le grand
criminel, le grand maudit, - et le suprême Savant ! - Car il arrive à
l'inconnu ! Puisqu'il a cultivé son âme, déjà riche, plus qu'aucun ! Il arrive à
l'inconnu, et quand, affolé, il finirait par perdre l'intelligence de ses visions, il les
a vues ! Qu'il crève dans son bondissement par les choses inouïes et
innombrables : viendront d'autres horribles travailleurs ; ils commenceront par
les horizons où l'autre s'est affaissé !
Sonnets dénaturés « Académie Médrano » de Blaise Cendrars (1919)
ACADEMIE MEDRANO
A Conrad Moricand
Danse avec ta langue, Poète, fais un entrechat
Un tour de piste
sur un tout petit basset
noir ou haquenée(1)
Mesure les beaux vers mesurés et fixe les formes fixes
Que sont LES BELLES LETTRES apprises
Regarde :
Les affiches se fichent de toi te
mordent avec leurs dents
en couleur entre les doigts
de pied
La fille du directeur a des lumières électriques
Les jongleurs sont aussi les trapézistes
xuellirép tuaS
teuof ed puoC
aç-emirpxE
Le clown est dans le tonneau malaxé
Il faut que ta langue
les soirs où
Les Billets de faveur sont supprimés.
Novembre 1916.
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(1) haquenée : cheval ou jument d'allure douce, généralement montée par les
dames.
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L’inspiration facile en HIDA
Le Parnasse de Raphaël
« L’inspiration du poète » de Poussin,
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« Jeune fille thrace portant la tête d’Orphée » G Moreau,
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Gustave Moreau, Hésiode et la muse, 1891 huile sur bois, 59 x 34,5 cm
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Dionysos et les Satyres. vers 480 avant J.C
Signature de l’élève
Signature du professeur
Signature du Proviseur
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Eurymaque, Amphinomos : deux des prétendants
Télémaque : fils d’Ulysse
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les Achéens : les Grecs
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