Les partis islamistes du Maghreb et leurs liens avec l

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Les partis islamistes du Maghreb et leurs liens avec l
Octobre 2006
55
Les partis islamistes
du Maghreb
et leurs liens avec l’Europe :
Influences croisées et
dynamiques de démocratisation
Amel Boubekeur
Samir Amghar
Remerciements
Cette étude a été conduite sous les auspices du Center for European Policy Studies (CEPS), Bruxelles, et du Centre
d’Études et des Recherches en Sciences Sociales (CERSS), Rabat, dans le cadre du dispositif d’échange d’EuroMeSCo.
Amel Boubekeur est doctorante à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales – École Normale Supérieure, Paris et
Samir Amghar est chercheur associé au Center for European Policy Studies CEPS, Bruxelles.
Ce rapport, élaboré avec le soutien financier de la Commission européenne sous le contrat MED-2005/109-063, n’engage que ses auteurs et ne reflète en
aucun cas l’opinion officielle de la Commission.
Sommaire Résumé
4
Introduction
5
Des islamistes ?
5
Historique du MSP
6
Historique du PJD
8
Chapitre 1 : Doctrines et organisation
9
Idéologies : constantes et évolutions
9
Renoncer à la violence
9
Intégrer le jeu politique national
9
Structures et organisation
10
Vers une professionnalisation politique
10
Des partis populaires ?
11
Rester islamistes dans l’État : zones grises et relations à la démocratie
12
Chapitre 2 : L’implication des partis islamistes en Europe
15
Une relation privilégiée avec l’Europe : terre d’exil et tribune politique
15
Acteurs de la réislamisation : défense et représentation des musulmans d’Europe
17
Le travail de relations extérieures
19
Chapitre 3 : L’islamisme dans les politiques de l’Union européenne : États des lieux 21
Les relations UE-partis islamiques depuis 1995
21
Le tournant économique et sécuritaire des politiques européennes
23
Le rôle des États-Unis
24
Une démocratisation islamique ?
26
Conclusions et recommandations
28
Bibliographie
30
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Résumé
Les partis islamistes du Maghreb et leurs liens avec l’Europe :
influences croisées et dynamiques de démocratisation L’un des volets de la nouvelle Politique de Voisinage de l’Union européenne auprès des
pays du Maghreb réside dans le renforcement du processus de démocratisation. Longtemps
cantonnés dans l’opposition, les partis islamistes maintenant officiels comme le Mouvement
de la Société pour la Paix (MSP) en Algérie et le Parti de la justice et du développement (PJD)
au Maroc, apparaissent de plus en plus comme des acteurs pouvant jouer un rôle dans
le processus de démocratisation au Maghreb. Ce changement de perspective est renforcé
par les transformations qu’a connu l’islam politique depuis une dizaine d’années. En effet,
les partis islamistes des années 70 et 80 ont abandonné la rhétorique révolutionnaire et
opté pour le légalisme au début des années 90. En intégrant le jeu politique officiel, ils
sont devenus des partis conservateurs et centristes : à un niveau politique en s’inscrivant
dans les cadres institutionnels de la royauté et de la nation, et à un niveau économique en
plaidant pour le libéralisme. En se présentant comme des soutiens critiques aux pouvoirs
en place, ils désirent participer aux différentes coalitions gouvernementales tout en
satisfaisant une partie de leur électorat séduit par leur argumentaire contestataire.
Le changement politique des partis islamistes affecte également les relations que ceuxci entretiennent avec l’Europe et ses Etats membres. Dans les années 80, l’Europe était
uniquement considérée comme une terre d’exil et une tribune politique occasionnelle.
Depuis le milieu des années 90, ces partis ont tenté d’encadrer les musulmans d’Europe
selon trois modalités : se poser en défenseurs des droits des minorités musulmanes
européennes, mener des campagnes électorales auprès de leurs ressortissants nationaux
installés en Europe lors des élections au Maroc et en Algérie, et enfin, engager une
politique de relations extérieures à l’adresse des pouvoirs publics de l’Union européenne,
néanmoins sans grand succès.
En effet, depuis les années 90, le contexte d’instabilité politique au Maghreb ainsi que
l’émergence de la question du terrorisme a poussé l’Union européenne à marginaliser
les partis islamistes, privilégiant un Partenariat euro-méditerranéen axé sur la question
sécuritaire et la stabilité de la région, le rendant peu enclin à intégrer les partis islamistes
dans les négociations et initiatives concernant la région. Cependant, la politique de
partenariat engagée par les Etats-Unis avec un certain nombre de partisans de l’islam
politique légaliste au Maroc et en Algérie semble avoir de plus en plus d’impact sur l’Union
européenne, cherchant actuellement à définir des modalités d’intégration plus souples
de ces acteurs politiques islamistes, notamment dans l’objectif d’un renouvellement du
processus de démocratisation.
Les partis islamistes du Maghreb et leurs liens avec l’Europe :
influences croisées et dynamiques de démocratisation Dans ses relations avec ses voisins du Maghreb, l’Union européenne privilégie depuis un
certain temps maintenant la problématique de la démocratisation. L’intérêt du facteur
« religieux », à savoir l’utilisation de l’islam comme ressource de légitimation des
politiques nationales, n’a été quant à lui que très peu abordé officiellement entre les deux
partenaires. Les questions de la démocratisation et de la mobilisation de la ressource
islam ont pourtant toujours été profondément liées dans l’histoire des relations euroméditerranéennes et particulièrement au sein du Partenariat euro-méditerranéen (PEM)1.
Qu’il s’agisse côté européen de voir dans la pratique majoritaire de l’islam de ces pays la
raison de leur retard économique et sociétal2, ou du côté des dirigeants arabes d’opposer
l’entité musulmane aux « politiques impérialistes » de l’Europe, comme on a pu le voir lors
de l’épisode des caricatures3, ces deux éléments sont primordiaux dans les dynamiques
d’échanges politiques, identitaires et culturels prenant place entre le Nord et le Sud. Au
cœur de la nouvelle Politique Européenne de Voisinage de l’Union européenne (PEV)4,
la question de la démocratisation se fait particulièrement cruciale concernant les pays
du Maghreb. Cependant parler de démocratisation implique également de prendre en
compte les mouvements d’opposition existant dans la région. Les mouvements islamistes,
particulièrement au Maroc et en Algérie, ont longtemps représenté l’une des principales
dynamiques d’opposition dans ces pays. Cependant, là aussi, l’idée selon laquelle les
Etats du Maghreb seraient des régimes laïcs confrontés à des mouvements religieux
doit être repensée à la lumière de l’utilisation politique de ces mouvements islamistes
par les Etats depuis les années 70, notamment dans leurs négociations avec l’UE. Il faut
également prendre en compte les développements récents des politiques des islamistes,
leurs attitudes nouvelles vis-à-vis de l’Europe, et leurs stratégies d’inclusion à la vie
politique de leur pays. Ce travail s’intéressera donc au rôle que peuvent avoir les partis
islamistes officiels du Maroc et de l’Algérie dans la Politique Européenne de Voisinage, et
plus spécialement concernant la question de la démocratisation dans la région. L’exemple
de la Turquie, pays voisin de l’UE dirigé par un parti islamiste, et les discussions autour de
son accession sont assez révélatrices de l’importance qu’a aujourd’hui pour l’Europe la
question de l’inclusion d’un modèle politique inspiré d’une identité islamique5.
Les pays du Sud ainsi que les Etats membres de l’Union eux-mêmes font l’expérience
de l’islamisme depuis plusieurs décennies maintenant. Les acteurs se réclamant de
l’islamisme ne sont pas homogènes et orientent leurs revendications et modes d’action
selon le cadre politique au sein duquel ils s’expriment. Cette diversité est souvent peu prise
en compte dans les politiques européennes notamment celles visant à la prévention du
terrorisme et de la radicalisation religieuse. Dans cette recherche nous nous intéresserons
à l’islamisme politique, défini par la « promotion active de croyances, lois et politiques
devant avoir un cachet islamique »6. Nous nous intéresserons plus particulièrement à
deux partis politiques islamistes, le Parti de la Justice et de du Développement (PJD) au
Maroc, et le Mouvement de la Société pour la Paix (MSP) en Algérie, et leur intérêt pour
les questions de démocratisation, de bonne gouvernance, des droits de l’homme et de la
participation de la société civile. Nous employons le terme islamiste pour définir ces deux
partis en ce sens que leurs croyances politiques reposent sur le fait que la constitution et
les lois de l’Etat doivent être basées sur les principes du Coran tout en épousant un cadre
démocratique (le Maroc et l’Algérie sont déjà, par ailleurs, deux pays où l’islam est religion
d’Etat). Il est à noter que le terme d’islamisme est contesté par ces acteurs politiques
eux-mêmes qui préfèrent se définir en tant que « musulmans démocrates », allusion faite
aux partis européens de tendance « chrétiens démocrates », ou encore comme acteurs
politiques à référent islamique ou religieux, voire comme parti traditionnel dont la seule
spécificité serait d’évoluer dans un pays musulman. Sans négliger leur propre évolution
idéologique interne, il semble que leur évolution de la catégorie « islamiste », avec ses
tendances oppositionnelles et parfois agressives, à celle de « musulmans démocrates »,
avec ses aspects d’ouverture et d’acceptation du jeu démocratique, résulte souvent des
dynamiques de répression ou d’inclusion dont ils sont l’objet. Ainsi, l’Algérie et le Maroc
ayant expérimenté une certaine ouverture du jeu politique depuis la fin des années 90, on
assiste à un changement profond de la nature politique de ces partis islamistes notamment
avec leur participation aux élections, souvent couronnée de succès7.
Notre argument est ici celui de l’absence d’une nature politique islamiste, laissant place
à l’idée d’un recours plus ou moins problématique au religieux qui s’exprimera de façon
différente selon les cadres politiques disponibles. L’islamisme politique (nous ne ferons
pas ici référence aux mouvements jihadi ou salafi, dont le rapport avec la politique ne
s’aligne pas sur des logiques démocratiques), est donc un processus historique ayant
connu des évolutions importantes depuis 50 ans. D’abord positionné sur une opposition
catégorique à l’Etat jusque dans les années 90 qui a par ailleurs échoué (notamment avec
l’exemple algérien du FIS)8 , on observe aujourd’hui chez ses acteurs une capacité nouvelle
d’accommodation et de prise en charge des préoccupations quotidiennes de la société
55 Octobre 2006
Introduction
Des islamistes ?
1 Inauguré en 1995 à Barcelone, le Partenariat euro-méditerranéen concerne les pays
de l’Union européenne et douze pays tiers
méditerranéens (PTM) à savoir le Maroc,
l’Algérie, la Tunisie, Malte, l’Egypte, Israël,
l’Autorité palestinienne, la Jordanie, la Syrie, la Turquie, Chypre et le Liban. Organisé
selon des lignes bilatérales et régionales, il
permet à l’Union l’application de sa politique
étrangère dans la région. Il est structuré en
trois volets : le volet politique, le volet économique et financier et enfin le volet social,
culturel et humain.
Il a pour outil la mise en place d’accords d’association entre l’UE et ses partenaires méditerranéens, ainsi qu’un certain nombre de
rencontres telles que celle des ministres des
Affaires Etrangères de la région, des conférences thématiques regroupant des officiels
ainsi que des membres de la société civile,
des forums parlementaires et de la société
civile, des réseaux de recherche sur les questions économiques ou de politique étrangère,
des fédérations industrielles et des programmes concernant les médias, la jeunesse, ou
encore le patrimoine.
2 Shireen T. Hunter, Huma Malik (eds.), Modernization, Democracy and Islam, Praeger/CSIS,
2005.
3 Olivier Roy, “Géopolitique de l’indignation”
in Le Monde, 9/02/2006.
4 La Politique Européenne de Voisinage fut
développée dans le cadre de l’élargissement
de l’UE en 2004 avec pour objectif le maintien
de la stabilité et de la sécurité de l’Europe et
de ses voisins. Pensée comme le versant sud
de la politique d’élargissement proposée aux
pays de l’Est, elle a aussi pour ambition de
relancer le statu quo du PEM. En mai 2004
fut rédigé le « Strategy Paper on the European Neighbourhood Policy », reprenant les
grandes lignes du rapprochement entre l’UE
et ses pays voisins. Ce programme consiste
en un partage des valeurs telles que la démocratie et les droits de l’homme, la bonne
gouvernance, les principes du marché économique et le développement durable. Cette
politique de voisinage souhaite offrir un
partenariat politique et une intégration économique plus avancés, en mettant en place
une sorte de « conditionnalité positive » qui
consiste en une plus grande accession au
marché économique ainsi qu’une intégration
aux réseaux de transports, d’énergie et de
télécommunications, en cas de respect des
valeurs citées plus haut par les Etats du Sud.
Elle n’est pas un processus d’élargissement
et n’offre pas de perspectives d’accession
aux pays voisins. Son principal outil est
celui des plans d’action, sorte de feuille de
route, établissant pour chaque pays un état
de l’avancement en termes d’accession aux
valeurs commune ainsi que les réformes
sectorielles que l’UE juge nécessaires dans
le pays concerné. Voir http://ec.europa.eu/
world/enp/index_en.htm.
5 Nilüfer Göle, Interpénétrations : L’islam et
l’Europe, Paris, Galéade, 2006.
6 “The active assertion and promotion of beliefs, prescriptions, laws, or policies that are
held to be Islamic in character” in International
Crisis Group, Understanding Islamism, Middle
East/North Africa Report, n°. 37, March 2005.
7 Pour une description du débat autour de la
catégorie de « musulmans démocrates » voir
Vali Nasr, « The Rise of Muslim Democracy »
in Journal of Democracy, April 2005.
8 Sur la question de l’échec de l’islamisme
politique à imposer à l’Etat un nouveau régime de gouvernance islamique voir entre
autres Olivier Roy, L’échec de l’islam politique, Paris, Seuil, 1992. Kepel Gilles, Jihad, expansion et déclin de l’islamisme, Gallimard,
Paris, 2000. Pour une description des dynamiques d’évolution des partis islamistes voir
entre autres Eickelman Dale, Piscatori James,
Muslim Politics, New Jersey, Princeton University Press, 1996. Beinin, Joel and Stork Joe
(eds.), Political Islam, Berkeley, University
of California Press, 1997. Hafez Mohammed,
Why Muslims Rebel?, Boulder,Lynne Rienner,
2003. Wiktorowicz Quintan (ed.), Islamic activism. A social movement theory. Bloomington, Indiana University Press, 2004.
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Les partis islamistes du Maghreb et leurs liens avec l’Europe :
influences croisées et dynamiques de démocratisation civile, les faisant sortir de leur posture révolutionnaire. On voit ainsi comment l’islamisme
en tant que mouvement social est aujourd’hui l’une des plus importantes forces de
changement dans la région, s’étant étendu après son échec politique de renversement de
l’Etat à différents secteurs tels que les syndicats, les associations de femmes, de jeunes et
d’étudiants, les réseaux de businessmen etc.
Les changements que peut connaître l’islam politique sont donc conditionnés par
les opportunités politiques qui se présentent (répression ou inclusion, ouverture ou
fermeture du système des élections), et les demandes changeantes des populations qui
s’y reconnaissent. Les interactions que les acteurs islamistes peuvent avoir avec différents
acteurs politiques ou sociaux (et de plus en plus avec l’UE) sont aussi un facteur de
changements importants. Pour comprendre la force dynamique de l’islamisme dans la
région euro-méditerranéenne aujourd’hui, il faut la penser en tant que processus et non
pas seulement comme un projet politique limité dans le temps9.
Cette question de l’inclusion des mouvements islamistes aux relations EuroMed ne
se cantonne pas à la nécessité pour l’UE de repenser ses relations avec un certain type
d’acteurs politiques, mais elle met également en exergue la capacité de l’UE à proposer
dans la région un programme de démocratisation plus crédible pour la société civile dans
son ensemble, crédibilité mise à mal par le relatif échec du processus de Barcelone, qui a
fêté ses 10 ans en novembre 2005.
Qui sont les islamistes maghrébins aujourd’hui ? Quelles influences croisées peuton observer entre l’UE et les mouvements islamistes, après 15 ans de promotion de la
démocratie et du dialogue Nord-Sud ? Peut-on encore parler d’islamisme dans le cas
de partis politiques officiels utilisant le religieux, évoluant dans un cadre de transition
démocratique après s’être positionnés face à des régimes autoritaires ?
Les deux partis du PJD et du MSP auxquels nous avons choisi de nous intéresser sont
assez représentatifs des évolutions des partis islamistes dans la région et de l’enjeu que
représente leur inclusion au processus de démocratisation qui est au cœur de la Politique
Européenne de Voisinage. Dans le même temps, le fait que l’Algérie et le Maroc aient des
relations assez différentes avec l’UE, nous permettra également de mettre en exergue les
spécificités nationales de ces mouvements.
Historique du Mouvement
de la Société pour la Paix
(MSP) en Algérie
En Algérie, trois partis officiels structurent l’islamisme politique légalisé en partis :
Le MNR, le Mouvement de la Réforme Nationale (Harakat al-Islah al-Watani), fondé par
Abdallah Djaballah en 1999. Ce parti est désormais la première force politique islamiste
d’opposition et la troisième force parlementaire du pays, après avoir remporté 43 sièges aux
élections législatives de 2002 et 5 % des voix lors des élections présidentielles de 2004.
Le deuxième parti islamiste officiel est En-Nahda (Mouvement de la Renaissance Islamique),
aujourd’hui dirigé par Lahbib Adami et disposant d’un siège au Parlement. Ce parti, créé
en 1990 sous forme d’association par Abdallah Djaballah, est en fait le fruit d’une scission
avec les actuels membres du parti Islah.
Le troisième parti islamiste algérien est le Mouvement de la Société pour la Paix (Harakat al
-Moujtama’ al-Silm), créé en 1990, dont l’appellation arabe HaMaS, reprend les premières
lettres. Il est actuellement dirigé par Aboujerra Soltani. L’histoire du MSP est intimement
liée à celle de son fondateur, le feu Mahfoudh Nahnah. Né en 1938, ce professeur d’arabe
commence ses activités de prédicateur dès la fin des années 70 et s’oppose au régime
du président de l’époque, Houari Boumedienne. En 1977, il mène des opérations de
sabotage en sciant des poteaux électriques et est condamné à 15 ans de prison. Gracié
par le président suivant, Chadli Bendjedid, Nahnah se serait engagé, selon de nombreuses
sources, auprès des services de sécurité militaire à plus de réserve dans sa prédication. Il
se serait également abstenu de s’associer à des groupes islamistes critiquant le pouvoir.
9 Salwa Ismail, “The Paradox of Islamist Politics” in Middle East Report, Winter 2001.
Au lendemain des émeutes d’octobre 1988 menées à Alger par la jeunesse du pays, il est
sollicité par Ali Belhadj, jeune prédicateur, afin de participer à la création du Front Islamique du
Salut. Il refuse cette proposition en arguant du fait qu’il existait suffisamment d’associations
islamiques et qu’il était inutile d’en créer une nouvelle. Il préfère par conséquent fonder sa
propre association : Guidance et Réforme (Al-Irshad wa-l-Islah), en grande partie financée par
l’Organisation des Frères musulmans à laquelle Nahnah appartient idéologiquement, qu’il
imagine comme une organisation de prédication, d’éducation religieuse et de bienfaisance
Les partis islamistes du Maghreb et leurs liens avec l’Europe :
influences croisées et dynamiques de démocratisation 55 Octobre 2006
à caractère non politique. Sans s’opposer de façon polémique au FIS à l’époque très
populaire mais souhaitant se poser comme la seule force islamiste du pays, l’association de
Nahnah tenait à affirmer ses spécificités idéologiques. Se présentant comme une alternative
islamiste au FIS, Nahnah diffusait à travers ses nombreuses conférences et son journal
Al-Irshad des positions moins radicales que celle d’Abassi Madani, alors n°1 du FIS. Son
discours se différenciant de celui du FIS, affirmait sa lecture réformiste de l’islam et prônait
la modération politique à travers son association.
Tout en préconisant la mise en place d’un Etat islamique, l’organisation de Nahnah
entendait à l’époque mener une activité autonome face à la stratégie monopolitique
du FIS, qui souhaitait fédérer l’ensemble de l’activité islamique algérienne à travers
une logique révolutionnaire. Nahnah disait défendre une vision de l’islam ouvert sur le
monde, demandant la poursuite des réformes politiques et économiques, et insistant sur
le respect des droits de l’homme. L’association se prononçait pour le travail des femmes,
ayant par ailleurs l’une des plus importantes sections « femmes » du pays, contrairement
au FIS qui estimait que le rôle de la femme était de s’occuper de son foyer. Elle demandait
l’amendement du code de la famille par de nouvelles dispositions garantissant une
meilleure protection de la femme. La section féminine de l’association déclarait condamner
la violence contre les femmes et exigeait la réduction des heures de travail de celles-ci, afin
de permettre une meilleure prise en charge de leur double mission au travail et au foyer.
En 1990 l’association devient parti politique et se nomme Mouvement de la Société
Islamique (MSI-Hamas). A cette occasion, l’association s’est prévalue de disposer de 4
centres, d’une quarantaine de sections de wilayas et de 916 bureaux dans les communes,
dont 133 bureaux féminins. Ses activités politiques s’accompagnaient d’un travail social
important couvrant l’emploi, l’aide aux familles, aux veuves et nécessiteux, et l’accès aux
soins médicaux.
Hamas se présentait donc comme un concurrent direct du FIS en prônant un islam qui ne
rejetterait ni les notions de démocratie et de droits de l’homme, ni le travail de la femme
et l’égalité des sexes. Il préconisait l’instauration d’un Etat islamique par étapes : un Etat
fondé sur le dialogue, éloigné de la violence, du terrorisme politique et religieux. Dans une
logique de distinction politique et idéologique, Hamas, et ce, malgré une longue période
de clandestinité, privilégie dès le début des années 90 la coopération avec l’Etat. Tout en
soutenant la décision gouvernementale d’arrêt du processus électoral de 1992 (il n’avait
obtenu aux législatives de 1991 que 5,3 % des voix), le parti condamnera tout autant la
violence terroriste de l’Armée Islamique du Salut (la branche armée du FIS) et des Groupes
Islamiques Armés, que la politique répressive des services de sécurité algériens. Cet entredeux a valut à Hamas la mort de près de 50 cadres du parti, tués lors d’actes terroristes.
A partir de 1995, Nahnah répond à l’invitation de l’Etat algérien pour relancer le processus
démocratique et décide de participer aux différentes élections, notamment présidentielles,
mettant en exergue une stratégie d’entrisme politique. Il se présente aux élections
présidentielles de 1995 où il recueille officiellement 25,38% des voix, arrivant en seconde
position après le candidat de l’Armée algérienne, le général Zeroual. Le Hamas devient le
«Mouvement de la Société pour la Paix» - MSP (Harakat al-Mujtama’ al-Silm) en 1997 suite
à la loi sur les partis politiques qui interdit notamment toute récupération idéologique de
l’Islam. Il troque alors son slogan «l’Islam c’est la solution» pour «la paix, c’est la solution ».
Tout en défendant une « autre » solution politique de négociation à la guerre civile qui sévit
alors, il s’oppose à la lutte armée des islamistes terroristes et à l’absence de dialogue
de l’Etat algérien. Le MSP n’a pas non plus signé le «Contrat National», l’appel pour la
démocratie et la paix lancé en 1995 à San Egidio par des représentants du FIS, du FFS et du
Parti des Travailleurs. Aux élections législatives de 1997, le MSP obtint officiellement près
de 7% des voix au parlement et ainsi, 69 sièges, devenant la quatrième force politique du
pays. L’Etat algérien ne donnera pas au MSP l’opportunité de se présenter aux élections
présidentielles de 1999. Depuis 1997, le parti MSP participe aux différentes coalitions
gouvernementales et est aujourd’hui membre de l’Alliance présidentielle réunissant les
trois partis de la majorité parlementaire : le MSP, le Front de Libération National (FLN) et
le Rassemblement National Démocratique (RND). Cette logique participationniste coûtera
cependant cher au MSP, ne parvenant lors des élections législatives de 2002 à ne gagner
que 7 % des voix et 38 sièges, soit la moitié des sièges dont il disposait en 1997.
Mahfoud Nahnah décédera en 2003 et sera remplacé à la tête du parti par Aboujerra
Soltani. Depuis 2002, le MSP a disposé de 5 portefeuilles ministériels : celui des petites et
moyennes entreprises avec le ministre Mustapha Benbada, El Hachemi Djaaboub ministre
de l’industrie, Smaïl Mimoun ministre de la Pêche, Amar Ghoul ministre des Travaux publics
et Aboujerra Soltani ministre d’Etat sans portefeuille10.
10 Pour une liste plus complète et « officielle » des membres et de leur programme
cf. le site du MSP (en arabe) http://www.
hmsalgeria.net/.
55 Octobre 2006
Historique du Parti
de la Justice et du
Développement (PJD)
Les partis islamistes du Maghreb et leurs liens avec l’Europe :
influences croisées et dynamiques de démocratisation Le paysage islamiste au Maroc semble plus diversifié idéologiquement que son voisin
algérien. Aujourd’hui trois partis islamiques sont reconnus au Maroc :
Le premier parti est le Parti de la Justice et du Développement (PJD), dont nous allons
décrire l’historique plus bas.
Le second parti est celui de l’«Alternative civilisationnelle» (Al-Badil al-Hadari). Association
créée en 1995 et légalisée en parti politique en juin 2005, elle est présidée par Mustapha
Mouatassim. Ce parti se veut proche de la gauche socialiste et écologique et se présente
comme une alternative modérée aux partis islamistes existants, notamment à travers une
politique d’alliance avec les partis laïcs.
Le troisième est le Parti de la Renaissance et de la Vertu (En-Nahda Wal-Fadila) créé en
décembre 2005 et dirigé par Mohamed Khalidi. Souhaitant se positionner entre le PJD qu’il
juge trop à droite, et Al-Badil al-Hadari, jugé lui trop à gauche, le Parti de la Renaissance et
de la Vertu est en réalité pensé comme une alternative pour les déçus du PJD, la majorité de
ses membres étant d’anciens militants de Justice et Développement.
Bien qu’il ne s’agisse pas d’un parti islamiste officiel, il faut mentionner l’existence de
l’association islamo-soufiste Justice et Bienfaisance (JB - Al ‘Adl wal-Ihsane), nommée
ainsi en 1987 mais ayant pour héritage une série d’associations antérieures, toutes créées
par Abdessalam Yassine depuis 1973. La fille de Abdessalam Yassine, Nadia Yassine,
est l’actuelle guide du mouvement, succédant à son père. De 1989 à 2000, le Cheikh
Yassine fut assigné à résidence surveillée par le Royaume du Maroc pour ses positions
révolutionnaires (toujours d’actualité au sein du mouvement), visant entre autres à
l’abolition de la monarchie au Maroc et l’instauration d’un califat islamique. Parfois tolérée
par le Royaume, parfois violemment réprimée, l’association serait composée au Maroc de
25 000 membres actifs et de plus de 140 000 sympathisants11. Représentant le principal
adversaire de l’islamisme politique légaliste, elle a pour autant toujours déclaré refuser
de participer aux élections et souhaiter se concentrer sur les activités de prédication, de
bienfaisance et d’éducation12. Les trois principes de JB portent sur le refus de la violence,
de la clandestinité, et du financement extérieur, elle est composée de plusieurs soussecteurs consacrés aux nouvelles technologies, aux étudiants, aux femmes, aux syndicats
professionnels…13
11 Source : Ahmed R. Benchemsi, Le peuple
des rêveurs, TelQuel, n° 194.
12 Pour une description historique de la mouvance islamiste au Maroc voir Malika Zeghal,
Les islamistes marocains. Le défi à la monarchie, La Découverte, 2005.
13 On peut en trouver un descriptif sur le site
internet de l’association (en arabe) http://
www.aljamaa.info voir aussi le site dédié au
« cheikh » http://www.yassine.net/
14 Pour une analyse historique de la recomposition de diverses tendances de l’islamisme marocain au sein du MPDC puis du PJD
voir Khadija Mohsen-Finan, Malika Zeghal,
« Opposition islamiste et pouvoir monarchique au Maroc. Le cas du Parti de la Justice et
du Développement au Maroc » in Revue Française de Science Politique, vol 56, n°1, 2006.
L’histoire du Parti de la Justice et du Développement (PJD), de création plus récente et
moins liée à l’histoire politique d’un fondateur, est différente. Créé en 1998, le PJD
est né de la rencontre de deux personnages. D’une part, Abdelkrim Khatib, proche
de la monarchie marocaine, qui créa en 1957 le Mouvement populaire démocratique et
constitutionnel (MPDC). D’autre part Abdelillah Ben Kirane appartenant au mouvement
de la Jeunesse Islamique, la Shabiba Islamiyya, mouvement social révolutionnaire jihadi
accusé d’avoir assassiné le syndicaliste Omar Ben Jelloul. En 1981-82, Ben Kirane met sur
pied l’Association du Groupe Islamique et se convertit au légalisme politique. En 1992, la
structure change de nom pour devenir Islah wa Tajdid, Réforme et Renouveau. Il demande
en 1992 l’autorisation de créer un parti politique, ce que le pouvoir refuse. Ne pouvant créer
sa propre structure, il cherche d’autres formations politiques qui pourraient accueillir ses
militants. De tous les partis déjà existants, celui qui est le plus proche de Ben Kirane est le
MPDC qui voit chez ce nouveau venu le moyen de retrouver un second souffle politique. Le
MPDC accueille alors les militants de l’association. La fusion des islamistes et du MPDC se
réalise au cours de l’année 1996. Ben Kirane est élu secrétaire adjoint du parti, devenant
le second de Khatib. Lors des élections législatives de 1997, le MPDC obtient neuf sièges
parlementaires. En 1998, le parti prend le nom de Parti de Justice et du Développement,
PJD14. En 2004, Saadeddine Othmani devient le secrétaire général du parti. Lors des
élections législatives de 2002, le PJD gagne 42 sièges sur 295. Apparaissant comme une
force politique importante, la question de leur participation effective au gouvernement se
pose dès lors.
Les partis islamistes du Maghreb et leurs liens avec l’Europe :
influences croisées et dynamiques de démocratisation Les idéologies des dirigeants du MSP et du PJD ont grandement évolué tant au niveau
de leur méthode que de leur option politique. Auparavant partisans de l’action directe et
révolutionnaire et opposés à leur régime respectif, ils étaient très marqués par le modèle
révolutionnaire iranien et leur objectif était d’instaurer un Etat islamique. Une large part de
ceux qui se réclament aujourd’hui de l’islamisme modéré (PJD et MSP) étaient des militants
de l’action violente et radicale dans les années 70 et 80, moyen qu’ils estimaient être le
seul capable d’établir un Etat islamique dans un contexte de fermeture et de répression
politique de toute forme d’opposition. Mahfoud Nahnah, fondateur du mouvement Hamas
s’est illustré par des opérations de sabotages. Abdelillah Ben Kirane qui fut à l’origine
du PJD a fait ses premières armes au sein de la Shabiba Islamiyya que l’on estime être
responsable de plusieurs assassinats. Progressivement, ces mouvements qui mettaient
en avant la dimension révolutionnaire de leur activisme renoncent à la violence et optent
pour l’action légale au fur et à mesure que ceux-ci intègrent de manière officielle le
paysage politique algérien et marocain. Dans les années 80, en s’engageant dans l’action
violente, ils voulaient détruire de l’intérieur les institutions qu’ils considéraient comme
anti-islamiques, mais étaient trop faibles pour y parvenir. Il faut également ajouter à la
clarification définitive de leur rapport à la violence ces dernières années, l’expérience
internationale du 11 septembre 2001 ou des attentats de Casablanca en 2003, ayant eu
une sorte d’effet « régulateur » pour la majorité des mouvements islamistes du monde
arabe15.
Peu à peu, leurs dirigeants se sont pris au jeu politique. D’un discours révolutionnaire, ils
sont passés à des revendications contestataires avant de se muer en pilier conservateur
de la société et de l’Etat. Le modèle d’intégration politique du MSP et du PJD mobilise,
avec l’aval des différents gouvernements, un subtil jeu d’auto-inclusion et d’auto-exclusion
du système parlementaire dont le but est, tout en voulant apparaître aux yeux des autres
partis et de la monarchie comme des acteurs fréquentables et un facteur de stabilisation,
rassurer sa base séduite par la dimension contestataire de l’idéologie du parti. L’objectif est
de se constituer en force politique de stabilisation, non perturbatrice, tout en conservant
leur potentiel contestataire. A la différence du FIS et de Al ‘Adl wal-Ihsan, autre grande
association islamiste marocaine non légalisée, le MSP et le PJD sont légalistes. Le premier
a participé à tous les scrutins depuis 1997, acceptant des portefeuilles ministériels. Le
second est entré au Parlement la même année. Loin d’appeler à une remise en cause du
système politique déjà existant (Parlement, monarchie…), ils exhortent leurs électeurs et
membres au strict respect des institutions républicaines et monarchiques. Le PJD apparaît
dès lors comme pro-monarchique et le MSP comme pro-nationaliste. Le MSP est ainsi très
sensible à la teneur islamique de l’identité de l’Etat algérien et de ses institutions et se
présente maintenant comme le défenseur des constantes nationales du pays.
55 Octobre 2006
Chapitre 1
Doctrines
et organisation
Idéologie : constantes
et évolutions
Renoncer à la violence
Intégrer le jeu
politique national
Afin de conquérir des suffrages au-delà de leur base originelle et de conclure d’indispensables
alliances avec des formations non islamistes, le MSP et le PJD ont accepté des compromis,
modéré leurs discours et changé peu à peu de valeurs. Ceux que l’on pourrait qualifier
d’islamistes légalistes ont abandonné leurs anciennes méthodes révolutionnaires, fondées
sur le radicalisme politique, pour une stratégie pragmatique axée sur la négociation et le
dialogue. Ainsi, en se lançant dans des logiques partisanes et électorales et en délaissant
l’idée qu’ils sont les dépositaires de la vérité religieuse, ils ont développé une culture du
compromis politique. On assiste chez les dirigeants de ces partis à l’abandon de l’idée de
l’établissement de l’Etat islamique au motif que l’Algérie et le Maroc sont déjà des pays
respectant les prescriptions islamiques. En effet, ces partis politiques avaient à la fin des
années 90 l’objectif de créer un Etat islamique où la shari’a serait appliquée. Ils estimaient
que l’islam pouvait régler les problèmes économiques, sociaux et politiques que connaissaient
l’Algérie et le Maroc. Autrement dit, l’islam était la solution et le Coran contenait les moyens
pour résoudre les crises que subissaient les sociétés marocaine et algérienne. Petit à petit, le
modèle islamiste présentant l’islam comme la solution à tous les problèmes entra dans une
phase de crise et d’inadaptabilité aux réalités politiques du moment. Ils ne contestent plus
comme auparavant les cadres politiques nationaux existants comme la monarchie marocaine
appelant au respect de ceux-ci : « Le PJD est islamique comme toutes les institutions au
Maroc » nous affirme un cadre du parti. « L’Algérie est un pays musulman, on entend l’appel
à la prière, on respecte le Ramadan les femmes portent de plus en plus le voile, donc parler
de l’islamisation de la société alors que le pays est un pays musulman est un faux problème »
nous déclare l’ex-député du MSP de la wilaya de Béjaïa.
Il faut également ajouter que ces partis se sont professionnalisés, notamment via leur
entrée au parlement, entraînant un changement de leur nature politique. D’abord, leur
entrée dans le jeu politique national leur a permis d’être au contact d’autres acteurs
15 Isabelle Werenfels, Between Integration
and Repression -Government responses to
Islamism in the Maghreb, SWP Research Paper, 2005.
55 Octobre 2006
Les partis islamistes du Maghreb et leurs liens avec l’Europe :
influences croisées et dynamiques de démocratisation politiques et de former des alliances qui ont amené d’autres enjeux que celui du cliché de
l’Etat islamique. Ensuite, la transformation du lien qui les unissait à leur base, passant du
rôle d’acteurs associatifs de terrain à celui de leaders politiques parlementaires, a entraîné
une inscription dans la durée de la question du changement et sécularisé leurs thèmes
d’intérêt.
A la crise interne du modèle islamiste les poussant à repenser les cadres politiques de
leur action, il faut ajouter la volonté conjoncturelle d’intégration, ou plutôt de cooptation,
de ces partis par les pouvoirs en place. Il existe deux raisons principales à cette nouvelle
ouverture :
La première concerne bien entendu la domestication et la neutralisation de la charge
protestataire et radicale de ces partis par l’Etat afin de mieux les contrôler. Cette théorie
avance que l’Etat continue de contrôler directement ou indirectement les résultats
électoraux des islamistes qui, suivant les indications du pouvoir, peuvent décider de limiter
eux-mêmes leurs ambitions électorales (comme ce fut le cas pour le PJD qui décida de
limiter le nombre de ses candidats lors des législatives de 2002, évitant une trop grande
victoire). L’Etat réduisant alors ces partis « au rôle d’appareil en les empêchant d’acquérir
le pouvoir d’Etat par les élections »16.
La seconde réside dans la mise en place par les Etats d’un climat de transition démocratique
superficiel, appelé libéralisation politique, faisant notamment suite aux demandes de l’UE
et de la primauté donnée au thème de la transition démocratique au sein du Partenariat
euro-méditerranéen. La participation des partis islamistes et d’autres partis d’opposition
donnerait ainsi corps à l’idée d’une nouvelle ère politique. De nombreux observateurs
objectent cependant que n’étant pas accompagnée de changements structurels et
institutionnels, cette idée de transition démocratique permettrait surtout aux Etats de
consolider la légitimité de leur présence au pouvoir tout en continuant de limiter l’influence
des nouveaux venus, de durer dans le changement en somme.
Structure
et organisation
Vers une
professionnalisation
politique
10
16 Sur cette théorie voir Lahouari Addi, « Les
partis politiques en Algérie » in Revue des
mondes musulmans et de la Méditerranée,
n° 111-112, Avril 2006. Pour le Maroc, Haddadi
Said, “The EMP and Morocco: Diverging Political Agendas?”, in Jünemann Annette (ed.),
Euro-Mediterranean Relations After September 11 – International, Regional and Domestic
Dynamics, London: Frank Cass, 2004. Michael
Willis, “Morocco, Islamists and the Legislative Elections of 2002: The Strange Case of the
Party That Did Not Want to Win” in Mediterranean Politics, Vol.9, No.1, 2004.
17 Noura Hamladji, “Co-optation, repression
and authoritarian regime’s survival : the case
of the Islamist MSP-Hamas in Algeria », SPS
Working Papers, European University Institute, 2002.
Cette « instrumentalisation » des partis par les Etats n’est pas considérée comme un obstacle
par les partis eux-mêmes. Au contraire, le fait que les élites islamistes soient cooptées
par les Etats à travers les élections législatives principalement, renforce leur politique de
mousharaka (de partenariat) qui est au cœur de leur stratégie politique actuelle17. Cette
politique leur permet d’apprendre à gouverner sans en avoir pour le moment véritablement
les moyens, en se lançant dans un exercice pratique d’apprentissage de la gestion de la
politique plus quotidienne et moins révolutionnaire.
En effet, l’islamisme, nous l’avons vu, doit être pensé comme un processus et non pas
comme une nature politique. Ainsi, avec l’institutionnalisation de ces partis à travers
leur reconnaissance par l’Etat, leurs structures organisationnelles et leur mode de
fonctionnement se modifient. Auparavant concentrés essentiellement sur les activités de
prédication religieuse, ces mouvements vont se professionnaliser sur la chose politique.
On observe chez les deux partis une division du travail de l’identité islamiste. D’une part,
on trouvera des acteurs chargés de représenter la position officielle du parti et d’autre
part une multitude d’associations et de réseaux s’agrégeant à la dynamique du parti sans
y appartenir officiellement. Ainsi, Mahfoud Nahnah avant de constituer le parti politique
Hamas était à la tête d’une multitude d’associations religieuses qui lui procureront par la
suite un soutien très utile ainsi qu’une assise populaire importante pour diffuser et séduire
de potentiels électeurs. Ces associations leur permettent également d’avoir une visibilité
concrète auprès du peuple dont ne disposent pas forcément les autres partis d’opposition,
comme on a pu le voir lors des actions de certains sympathisants du Hamas lors du
tremblement de terre algérien de 2003 ou des inondations du quartier de Bab el Oued en
2001 à Alger. La position d’indépendance dont peuvent jouir certains militants non élus et
qui peuvent aussi appartenir à la mouvance associative qui supporte le parti, leur permet
également de porter en leur nom propre les déclarations sur des thèmes polémiques de
l’identité islamiste (mœurs, droits de l’homme…), laissant aux élus le soin d’un discours
politique consensuel et professionnel.
Concernant le PJD, Mounia Bennani-Chraïbi remarque que « le PJD occupe, certes, le créneau
du religieux et de l’éthique, en conformité avec son identité de parti à référentiel islamique ;
cependant, il le valorise plutôt dans les interactions avec les masses. Dans les rencontres
avec les cadres, il cherche à montrer qu’il a produit un programme global, embrassant
tous les secteurs, empruntant la terminologie la plus en vogue des droits de l’homme,
du développement solidaire et durable, y insérant quelques grains seulement de morale
Les partis islamistes du Maghreb et leurs liens avec l’Europe :
influences croisées et dynamiques de démocratisation 55 Octobre 2006
islamique (…) ils ne sont plus dans la « conscientisation » de type révolutionnaire mais dans
l’alphabétisation politique18 ». La raison de cette division entre thèmes islamistes et profanes,
consiste, d’une part, à expliquer les mécanismes politiques aux masses sympathisantes et
d’autre part, à transformer le soutien gagné dans leurs activités de « Da’wa» (prédication
religieuse) dans le champ politique. En s’organisant en partis, ils délèguent leurs anciennes
activités religieuses à des associations telles que le Mouvement de l’Unité et de la Réforme
(MUR) et son journal Al-Tajdid, qui permet à certains membres du PJD d’avoir des déclarations
sur la morale et l’identité islamique, intenables sur le plan politique au sein du parti. Les
mosquées sont également un lieu important de diffusion du message politique, bien que les
partis ne formulent pas de demandes auprès de ces mosquées, beaucoup de leurs militants y
sont imams et y font passer leur message. Une prise en compte de la multitude d’associations
caritatives et religieuses qui gravitent autour des ces partis est donc indispensable dans les
liens que l’UE pourraient établir avec eux.
La question de l’argent est un autre élément important de la professionnalisation de ces
partis. Dans les années 80, ces mouvements, semi-révolutionnaires et plus ou moins
radicaux dans leur opposition aux Etats, avaient un fonctionnement opaque. Aujourd’hui,
ils jouent avec l’argent la carte de la transparence et de l’ouverture. Dans leur rapport à
l’Etat d’abord, ils perçoivent en tant que partis légalisés un financement de sa part. « Notre
financement provient de deux sources : l’État, d’abord, qui nous alloue comme à tous les
partis une subvention proportionnelle à notre représentation au Parlement (42 sièges),
soit 1,2 millions de DH (environ 120 000 euros) par an. Ensuite, les contributions de nos
parlementaires. Sur les 30 000 DH qu’ils touchent chaque mois, ils en versent 6 000 au
parti, qui sont ensuite équitablement répartis entre les instances nationales et provinciales.
Au total, le montant de ces contributions avoisine 1,4 millions de DH par an. Il faut encore
mentionner les contributions des adhérents (200 DH par personne et par an), qui vont
aux structures locales »19. Même fonctionnement au MSP avec un budget qui tournerait
annuellement, selon son second responsable Menasra, « autour de 20 à 30 millions de
dinars. Le parti reçoit une contribution de l’Etat, mais également une somme annuelle de
200 000 DA par député20 ».
Cependant, leur ligne de conduite est là aussi prise par le dilemme d’une distinction en
tant que parti islamiste ainsi que son cachet religieux et, dans le même temps, d’une
nécessaire acclimatation aux règles du jeu politique. Concernant le PJD, l’accent sera mis
sur la lutte implacable contre la corruption au sein du parti, un parti islamiste étant, selon
les responsables, plus sujet aux critiques en cas de corruption, cela lui serait fatal sur le
plan de sa crédibilité électorale. En Algérie, il faut souligner l’immense reconversion de la
majorité des islamistes de tout bord en businessmen à la fin des années 90. Ce soutien
du MSP par de gros commerçants sympathisants lui est essentiel, et constitue souvent
le centre décisionnel du mouvement. Ici, on est loin d’un intérêt pour des questions
théologico-morales sur la place de l’argent dans l’Islam. Sur la lignée du modèle du parti
islamiste turc de l’AKP, actuellement au pouvoir, on observe un éloignement d’une utopie
révolutionnaire au profit d’une vision plus efficiente, où l’argent a largement remplacé les
idées dans leur défense de l’islam. Il faut donc noter aussi l’émergence d’un nouveau type
de militant islamiste répondant à la figure de « l’entrepreneur », remplaçant de plus en plus
la figure du leader associatif reconvertit en leader politique. Ce nouveau profil appartient
souvent aux cercles de la finance et amène aux partis islamistes d’autres réseaux qui leur
sont souvent plus utiles dans la gestion politique de leur mission quotidienne que les seuls
acteurs religieux ou associatifs.
Dans sa volonté d’établir un dialogue avec les partis islamistes, l’Europe les a souvent
présentés comme représentatifs des masses. S’il est vrai que les acteurs laïcs actuellement
associés au dialogue EuroMed n’ont que peu de liens avec la société civile, il faudrait
néanmoins rester prudent sur la capacité de représentation de l’opinion politique de
l’homme de la rue par ces partis. Leur principe et conception de l’adhésion au parti sont en
effet très élitistes, basés sur un petit nombre de cooptés. De plus, dans des stratégies de
rééquilibrage du pouvoir face aux Etats, aux acteurs laïcs, ou à l’UE elle-même, ils n’hésitent
pas à faire valoir le fait que la majorité de leurs sympathisants fassent principalement partie
des classes moyennes ascendantes. On y trouve représentés en grand nombre des femmes,
des étudiants et des professions libérales (commerçants, avocats, médecins, ingénieurs…).
Le PJD déclare compter plus de dix mille adhérents et autant de sympathisants21. Face à cet
embourgeoisement islamiste, beaucoup d’anciens militants se tournent vers le salafisme22,
mouvement qui, ne se mêlant pas de politique, peut-être occasionnellement encouragé par
les Etats pour contrecarrer l’islamisme légaliste23. En réalité, il faut différencier le succès
électoral de ces partis, des raisons qui poussent les militants à s’y engager. Ces mouvements
Des partis populaires ?
18 Mounia Bennani-Chraïbi, « Mobilisations
électorales à Derb Soltan et Hay Hassani (Casablanca) in Mounia Bennani-Chraïbi (ed.),
Scènes et coulisses de l’élection au Maroc, les
legislatives 2002, Karthala/IREMAM, 2004.
19 Présentation du parti sur le site du PJD :
http://www.pjd.ma/.
20 «Voyage à l’intérieur des partis, Hamas ou l’islamisme en costume» in El Watan, 11/04/2006.
21 Entretien avec un cadre du PJD.
22 Youridoun moughadarat al-bilad wa bad’
safha jadda : Shabab Jazairiyoun tarakou al-silah ila al-Ouslah wa Khaybat al-Amal (Ils veulent
quitter le pays et tourner la page : Les jeunes
algériens abandonne les armes pour la solitude
et le désespoir) in Al-Hayat, 23/05/2000.
23 Lahouari Addi, « En Algérie, du conflit
armé à la violence sociale » in Le Monde Diplomatique, Avril 2006.
11
55 Octobre 2006
Les partis islamistes du Maghreb et leurs liens avec l’Europe :
influences croisées et dynamiques de démocratisation sont aujourd’hui les seuls véritables réceptacles des votes de protestation du peuple
face aux frustrations générées par le mépris ressentit de l’Occident et par l’autoritarisme
des Etats. Ils ont, en outre, auprès du peuple le bénéfice de n’avoir jamais véritablement
exercé le pouvoir, et ce qu’ils dénoncent est en fait très consensuel dans les cadres actuels
algériens et marocains (lutte contre la pauvreté, la corruption, les inégalités…).
Le fait que ces partis mettent souvent l’accent sur la participation active de leurs cellules
femmes et jeunes, la cellule femmes du MSP est la plus importante en nombre dans le
paysage des partis algériens, permet par exemple aux populations algérienne et marocaine
de trouver dans ces partis une alternative a l’inexistence d’ouverture politique pour eux
dans ces pays. On n’y milite pas forcément pour des raisons politiques ou idéologiques
mais pour des raisons plus pragmatiques. Ainsi le PJD comme le MSP donne la possibilité
d’apprendre la chose politique à travers des cellules de formations fortement inspirées
du modèle Frères Musulmans (Ousra). Il s’agit de programmes d’éducation politique que
les militants ne retrouvent pas ailleurs. Ces partis organisent également des meetings
pour commenter l’actualité, font des comptes rendus de livres lus individuellement. Le PJD
organise également chaque année un forum national qui réunit toutes les sections jeunes
du pays. On trouve dans ce programme des cours pédagogiques, des conférences, des
ateliers, une lecture collective du Coran, des rencontres avec les responsables du parti,
faisant dire à une jeune militante de 19 ans : « Au sein du PJD, je profite d’une formation
politique et d’une culture générale que je ne pourrais avoir nulle part ailleurs. C’est le
PJD qui nous ramène des intellectuels du monde entier pour nous éclairer sur ce qui se
passe 24».
L’université est également un lieu important de sensibilisation pour le MSP et le PJD.
Ainsi, l’Union des Etudiants Nationale au Maroc et l’Union Générale des Etudiants Libres
en Algérie, toutes deux déçues par la gauche et passées aux islamistes, organisent
régulièrement sur les campus des conférences autour de la place de l’islam et des peuples
musulmans, des manifestations de soutien aux étudiants nécessiteux, elles diffusent de
la littérature religieuse ou encore organisent des grèves de protestation devant tel ou tel
projet de loi…
Les militants et sympathisants trouvent également dans ces partis un aspect socialisant
qui leur permet à travers un réseau de solidarité entre membres de se marier, de monter
des commerces à travers des tontines, ou encore de trouver un logement. Enfin, ces partis
bénéficient également souvent du vote de militants d’autres partis islamistes interdits ou
mal tolérés par l’Etat, comme ce fut le cas pour les votes de l’association Al ‘Adl wal-Ihsane
de Nadia Yacine en faveur du PJD en 200225.
L’idée donc que ces partis auraient une nature intrinsèquement populaire et émaneraient
du peuple lui-même doit être revue. Le soutien qu’ils peuvent recevoir est en effet relié à la
structuration même de l’accès au politique pour le peuple dans ces pays. Il faut également
prendre en compte le changement de génération qui est en train de s’opérer au sein de ces
partis, où l’on observe que les jeunes sont plus enclins à s’exprimer à travers la constitution
de réseaux et d’associations para-professionnelles sans forcément rechercher au sein du
monde politique la possibilité d’être influents et de changer les choses. Ces nouveaux
acteurs pourraient également changer le visage de ces partis de l’intérieur.
Rester islamistes dans
l’État : zones grises et
relation à la démocratie
12
24 « Rencontre. Ces jeunes du PJD » in Telquel, Novembre 2005.
25 Interview de Nadia Yassine in Arab Reform
Bulletin, Volume 4, Issue 6, Carnegie Endowment for International Peace, Juillet 2006.
Cette accommodation pose tout de même le problème suivant : comment rester des
opposants et se démarquer en tant qu’islamistes tout en jouant la carte de l’inclusion ? Le
PJD et le MSP dénoncent fréquemment tout projet de mesure portant atteinte au caractère
musulman de l’Etat ou de la monarchie. Dans le cas algérien, la langue arabe, marginalisée
selon le MSP, par la pratique courante du français dans l’administration est régulièrement
défendue. Pour cet exemple, le MSP a joué un rôle de parti-pression mobilisant, en cas de
besoin, tous ceux qui, dans la société et dans l’administration, craignent que l’on remette
en cause l’identité arabo-islamique du pays. Le parti recrute essentiellement dans les
couches moyennes urbaines, parmi les fonctionnaires et les enseignants. Le MSP tente
donc de faire preuve d’un soutien critique au gouvernement. Il s’implique dans le champ de
la majorité tout en critiquant le gouvernement sur certains points, se réservant la possibilité
de s’exprimer quand il juge que l’identité islamique est en jeu.
Au lieu de définir avec précision un programme politique qui leur serait spécifique en tant
qu’islamiste (la crise interne du modèle de l’ancienne utopie islamiste ayant du mal à
s’adapter à la réalité quotidienne et non révolutionnaire des citoyens), ces partis préfèreront
se présenter comme les défenseurs de la vertu islamique en insistant sur la défense de la
Les partis islamistes du Maghreb et leurs liens avec l’Europe :
influences croisées et dynamiques de démocratisation 55 Octobre 2006
morale. Ainsi, les députés du MSP ont réussi à interdire en Algérie la diffusion de l’émission
de variétés libanaise « Star Academiya » au motif que cette émission présentait à la jeunesse
algérienne des jeunes chanteurs « dépravés ». Le MSP dénonce aussi l’évangélisation de la
Kabylie et reste flou sur le droit des minorités religieuses. Il s’est également élevé contre
la suppression de la filière coranique au bac en déclarant que cela était « en contradiction
flagrante avec la démarche du gouvernement de faire comprendre le bon Islam ».
Le PJD (tout comme le MSP) a également demandé l’interdiction de vente de vin et de
consommation d’alcool aux musulmans, avec la menace de peines sévères, et la restriction
de leur commerce dans les zones touristiques. La question de la moralité de la vie publique
fut aussi abordée en août 2000 au sujet des plages et des comportements des Marocains. Le
PJD estimait qu’il s’y déroulait des pratiques « qui défient la morale, les mœurs générales et
contredisent les jugements de la religion islamique et ses valeurs », faisant ainsi référence
à la mixité et au port du maillot de bain. Le PJD a également réclamé l’interdiction puis
appelé au boycott du film « Marock » et du festival de musique gnawa d’Essaouira. Dans le
même esprit il a déclaré dans le journal du MUR, Al-Tajdid, que le tsunami était une punition
divine qui pourrait ne pas épargner le Maroc en raison de la débauche qui y sévit…
Cette grande visibilité en matière de défense de la moralité islamique constitue pour ces
partis un moyen d’apparaître comme les défenseurs des valeurs islamiques à moindre
frais, et de façon consensuelle, puisque ces positions convergent avec une partie de
l’opinion conservatrice et traditionaliste du pays. Ces critiques ont pour objectif de gagner
en popularité auprès des masses, spécialement en périodes électorales où les déclarations
sur le caractère islamique de la société sont les plus fréquentes, mais n’empêchent pas
des stratégies d’alliances plus complexes avec l’Etat ou d’autres partis sur la défense de
l’identité islamique « nationale ». Ainsi, Menasra, le numéro 2 du MSP, a expliqué que le
parti s’entend avec le RND quand il s’agit d’économie parce qu’il prône l’ouverture totale
du marché. Ses divergences avec le FLN portent beaucoup plus sur la religion et les libertés.
Côté PJD, son secrétaire général déclare : « Nous demandons simplement l’application de
la loi et rien que la loi. Vous savez, le PJD n’est pas une police des mœurs et la loi ne
peut pas tout régler, ni résoudre tous les problèmes. De plus, les phénomènes sociaux ne
peuvent pas être traités uniquement par des moyens juridiques ou répressifs, il faut recourir
essentiellement à des remèdes sociaux par le biais de l’information et de la sensibilisation
(…) D’ailleurs, pour tous les projets de loi ayant une charge religieuse (casinos, alcool,
IVG...), le Parlement devrait solliciter l’expertise religieuse du Conseil des Oulémas et se
fonder dessus pour trouver le compromis acceptable. Au Maroc, c’est Amir Al-Mouminine
qui garantit la conformité des lois avec le référentiel islamique de l’Etat (…) Nous n’avons
pas à l’édifier (l’Etat islamique) puisqu’il existe déjà. La Constitution elle-même affirme que
le Maroc est un Etat islamique26 ». En réalité, il semble que le PJD et le MSP répartissent
habilement les tâches concernant « la défense de la morale islamique » au sein de leur
parti. On trouvera ainsi d’un côté certains élus chargés d’incarner l’aile radicale du parti et
de le rendre visible à travers l’émergence de polémiques sur les questions d’identité et de
mœurs, et d’un autre côté, des stratégies d’alliances avec l’Etat sur le caractère islamique
de la Nation, visant à l’établissement de réformes dans la modération27.
La question classique qui consiste à savoir où se situent leur sincérité ou leur duplicité28 face
à certaines « zones grises29 » telles que l’application de la shari’a et des Houdud (punitions
corporelles), l’usage de la violence, le multipartisme (pluralisme politique), les libertés
religieuses des minorités, le droit des femmes ou leur position sur ce que l’UE appelle
les « valeurs européennes de la démocratie », doit être résolue de façon pragmatique,
principalement parce qu’en premier lieu, leurs opinions sur ces zones grises évoluent.
En se constituant en partis politiques dans les années 90 et en participant aux
différentes élections (locales, présidentielles ou législatives) et aux différentes coalitions
gouvernementales (dans le cas de l’Algérie), la nature politique de ces partis a changé.
L’expérience parlementaire et gouvernementale a conduit leurs dirigeants à renouveler
leurs discours. Ils délaissent le religieux pour des thématiques plus politiques et profanes.
De plus, ils adaptent également leur programme aux politiques publiques de leur
gouvernement. Aussi est-il difficile de définir avec précision le programme politique du
PJD et du MSP. En effet, le pragmatisme politique l’emporte sur la définition claire d’une
idéologie, qui se caractériserait plutôt sous la forme d’un ensemble de principes généraux
qui pourrait évoluer en fonction des circonstances politiques. Le programme politique
de ces partis islamistes dits modérés n’est pas issu d’une ligne de pensée homogène
qui serait le résultat d’une théorie fondamentale islamiste développée par les dirigeants
et intellectuels du mouvement. Leur identité politique islamique reste dès lors flexible,
capable d’épouser quand il le faut les différentes politiques gouvernementales, tout en
se distinguant comme « islamiques » pour continuer à apparaître comme une ressource
26 « PJD : si nous étions au gouvernement ...
Entretien avec Saadeddine El Othmani » in La
vie économique, 28/05/2004.
27 “Two Countries: Who is Using Whom in
Egypt and Morocco?” in The Economist,
16/12/2004.
28 Graham E. Fuller, « Islamists in the Arab
world: The dance around democracy », Carnegie Papers, September 2004, n° 49.
29 Nathan J. Brown, Amr Hamzawy, Marina
Ottaway, « Islamist movements and the democratic process in the Arab World : Exploring the gray zones », Carnegie Papers,
March 2006, n° 67.
13
55 Octobre 2006
Les partis islamistes du Maghreb et leurs liens avec l’Europe :
influences croisées et dynamiques de démocratisation protestataire pour les militants. Ainsi, le programme politique du MSP et du PJD est assez
imprécis. Il insiste essentiellement sur le principe de l’islamisation de la société par le
travail institutionnel et législatif. Mais cette thématique reste assez floue et se résume plus
à une position de principe et à une profession de foi auprès des masses qu’à un véritable
travail de théologie politique. Dans de nombreux cas, l’idéologie de ces partis islamistes
se recoupe avec les positions et la politique religieuse gouvernementale des ministères
des affaires religieuses. Il s’agit d’un discours basique fondé sur la probité et la morale.
Cette imprécision en matière de programme politique se retrouve également en matière
économique où seulement de grandes lignes portant sur la justice sociale et le libéralisme
sont développées. « Chez le MSP, l’économie est importante : nous voulons défendre le
libéralisme sans tomber dans les vices du capitalisme et défendre la justice sociale sans
tomber dans les choses négatives du capitalisme, ces deux éléments résument la politique
économique du MSP si nous arrivons un jour au pouvoir, mais il est clair que nous n’y avons
pas encore réfléchi avec précision30».
Ces partis semblent en fait piégés par une double contrainte, celle externe, d’adaptation
idéologique aux programmes d’Etat, et celle interne, de crise du modèle islamiste
traditionnel aujourd’hui désuet. Ainsi, on a pu observer comment le PJD après avoir
condamné les attentats de Casablanca en 2003, s’est vu obligé d’autolimiter sa participation
aux élections, et ainsi un possible raz-de-marée électoral en sa faveur. Dans ce cadre,
bien que défendant une religion qu’ils qualifient d’universaliste, leurs revendications
s’inscrivent dans des préoccupations politiques en réalité structurellement liées au climat
national. C’est encore une fois la nature profondément politique de l’islamisme, nature donc
changeante selon les cadres de l’actualité et les demandes du peuple, qui devra répondre
à la question de leur sincérité vis-à-vis des valeurs démocratiques. C’est le cadre de
l’énonciation de leur idéologie (opposition à l’autoritarisme puis inclusion aux constantes
nationales) qui détermine leur relation à la démocratie. La volonté de démocratisation
promue aujourd’hui par l’Algérie et le Maroc, fait émerger un phénomène de cooptation
contrôlée des élites islamistes au sein des gouvernements, notamment par les dynamiques
parlementaires, dont le pouvoir est plus symbolique que réellement dangereux pour la
configuration politique du pays qui ne risque pas ainsi de voir l’émergence frontale d’un
succès électoral islamiste31. Les zones grises ne seront pas déterminées par leur idéologie
mais bien par le cadre politique disponible du moment. La question de la compatibilité des
islamistes et de la démocratie n’est donc pas très pertinente et nous lui préfèrerons celle
de la participation des islamistes au processus de démocratisation en cours, fortement
contrôlé par les Etats. Pour répondre à cette interrogation, il sera alors nécessaire de
prendre en compte deux éléments. Sous quelles conditions la nature politique changeante
de l’islamisme appréhende-t-elle les zones grises et la relation à la démocratie ? Quel type
de cadres institutionnels concrets et neutres, et quelles normes professionnelles politique
et parlementaire, en lieu et place du concept vague et large de la démocratisation, doivent
être aujourd’hui promus pour circonscrire l’action des islamistes ?
Leur présence dans le jeu politique est aujourd’hui le signe d’opportunités politiques
nouvelles en termes de représentation multiple propres aux climats algérien et marocain.
Mais cela ne signifie pas pour autant que des changements structurels aient lieu, et
c’est là la véritable clé de leur relation à la démocratie. Côté Etats, on peut tout de même
souligner les politiques de grâce des prisonniers politiques menées simultanément par
le Maroc, l’Algérie, la Tunisie et la Libye, et la dédiabolisation de ces partis par la presse
et les gouvernements au Maghreb. A ces changements nationaux, s’ajoutent également
une réflexion de leur part sur leur relation à l’Europe. Ces acteurs politiques ont en effet
conscience de leur importance politique et des interrogations qu’ils suscitent, notamment
après la victoire du Hamas en Palestine et la poussée électorale des Frères Musulmans en
Egypte. Ainsi, entreprennent-ils de nombreuses démarches diplomatiques d’entretien de
contacts en Europe et aux USA, où ils se rendent afin de présenter leur programme, établir
un dialogue interreligieux, ou encore, participer à des rencontres sur les réformes arabes.
14
30 Entretien avec un responsable du MSP.
31 Jean-Nöel Ferrié, « La parlementarisation
de l’islam politique : la dynamique des modérés », Euromesco Papers, n° 41.
Les partis islamistes du Maghreb et leurs liens avec l’Europe :
influences croisées et dynamiques de démocratisation Depuis longtemps, les islamistes maghrébins ont développé un intérêt pour une action
politique liée d’une manière ou d’une autre à l’Europe. Leur implantation est d’abord en partie
le produit de la fermeture du champ politique des régimes arabes. C’est ainsi que l’arrêt du
processus électoral de 1991 en Algérie qui empêcha le Front islamique du salut (FIS) d’accéder
au pouvoir, conduisit une partie de ses dirigeants, militants et sympathisants, à quitter le
pays et à s’installer en France, en Grande-Bretagne, en Allemagne et en Belgique. Entre
1984 et 1988, de nombreux militants et responsables du parti islamiste tunisien An-Nahda
(en français Mouvement de la Tendance Islamique – MTI) fuirent la politique répressive des
présidents Bourguiba et Ben Ali pour s’établir en Europe (l’actuel dirigeant et fondateur du
parti An-Nahda, Rachid Ghannouchi, vit aujourd’hui en Grande-Bretagne). C’est parce qu’ils
pouvaient en partie s’y exprimer librement que l’Occident et particulièrement l’Europe était
perçus par les islamistes comme un refuge naturel. Historiquement, la relation à l’Europe fut
dans un premier temps purement instrumentale. Il s’agissait de se servir de cette région du
monde comme d’une tribune politique. En France, certains membres exilés du FIS créèrent
la Fraternité Algérienne de France (la FAF). Fondée en 1990, la FAF, dirigée par des étudiants
algériens dont Moussa Kraouche, se voulait être la représentante du FIS en France. A la
fin des années 70, un groupe d’étudiants tunisiens fut lui en charge de fonder en France
une branche du Mouvement de la tendance islamique (MTI) de Rachid Ghannouchi. Ce
groupement constituera plus tard la clef de voûte de l’Union des Organisations Islamiques
de France (l’UOIF), principale fédération d’associations islamiques en France, et pilier du
Conseil Français du Culte Musulman (CFCM), conseil visant à la représentation des intérêts
des musulmans de France et structuré par le Ministère de l’Intérieur en 2003. Au sein du
CFCM, on retrouve également des membres et sympathisants du parti islamiste marocain
du Parti de la Justice et du Développement (PJD)
55 Octobre 2006
Chapitre 2
L’implication des
partis islamistes
en Europe
Une relation privilégiée
avec l’Europe :
terre d’exil et tribune
politique
A la fin des années 90, c’est au tour du mouvement de cheikh Yassine, Justice et
Bienfaisance (JB) d’envisager l’Europe comme terre d’exil et tribune politique. Constatant
le développement de leur idéologie limité voire bloqué par le royaume, les islamistes
de JB, indésirables au Maroc, décident « d’exporter » leurs courants en dehors de leurs
frontières nationales. Cette exportation va se faire à travers la création d’une association
dont on retrouve des annexes en Europe et aux USA, l’association « Participation et
Spiritualité Musulmane » (PSM). L’implantation de ce mouvement est l’œuvre d’une part,
de l’activisme de réfugiés politiques ayant fuit la répression de leur pays, mais également
de l’engagement politique d’étudiants venus poursuivre des études supérieures dès le
début des années 90. S’exprimant de l’extérieur sur la situation marocaine et ainsi espérant
faire pression sur la monarchie, PSM essaie de se servir de sa présence en Europe pour
obtenir la légalisation de la structure marocaine de JB et poser des garanties en matière
des droits de l’homme et de démocratie. Pour les islamistes de Justice et Bienfaisance, leur
installation en Europe répond ainsi à une stratégie de contournement de leur pays comme
seul lieu de l’engagement politique. Il n’est plus par conséquent nécessaire d’agir dans le
pays concerné pour s’opposer politiquement à son Etat. La lutte politique des islamistes
peut se faire dès lors sur le mode de l’opposition transnationale. Ici, on assiste à une
déterritorialisation32 et à un décentrage de l’activité islamiste vers l’Europe, dont l’objectif
est d’éviter la répression en cours au Maroc et l’accumulation en Europe de ressources
utilisables dans de futures négociations avec la monarchie.
En devenant en Europe une force d’opposition contre le monopole du régime marocain
en matière d’expression politique et religieuse, le mouvement JB-PSM apparaît mutadis
mutandis comme un agent de démocratisation. Régulièrement, les branches française
et belge de PSM organisent des manifestations dénonçant la situation politique au
Maroc. Le responsable de la communication de PSM en France Abderrahman Makhlouf
affirme que « personne ne parle du contexte politique catastrophique au Maroc. Nous,
avec nos moyens, nous avons voulu alerter l’opinion publique française de la situation
très mauvaise au Maroc pour le mouvement de notre cheikh Yassine. C’est la raison pour
laquelle nous avons décidé de faire un article sur le sujet sur notre site internet ». Dans
le même ordre d’idée, Nadia Yassine se rend régulièrement en Europe pour dénoncer elle
aussi, la situation politique de son pays et la répression que son mouvement subit. Ainsi,
le 17 juin 2006, « Nouvelle Amitié Europe Maroc », une association proche du mouvement
islamiste de cheikh Yassine s’est fait l’écho de la politique répressive du gouvernement
marocain à l’égard du mouvement, en organisant une conférence à Bruxelles, animée par
la fille du Cheikh, Nadia, sur le thème « Droits de l’Homme bafoués au Maroc ». Un mois
plus tard, alors que Justice et Bienfaisance continuait à subir des exactions au Maroc,
Nadia Yassine entama une tournée européenne pour dénoncer la répression policière
dont son mouvement faisait l’objet. Lors de l’une de ses interventions en France, elle
déclara : « Les conditions d’une participation politique et démocratique au Maroc ne sont
pas réunies. Comment voulez-vous que les gens votent et choisissent leurs responsables
alors qu’une partie importante du peuple souffre d’analphabétisme ? Parler d’élections
32 Olivier Roy, L’islam mondialisé, Seuil, 2002.
15
55 Octobre 2006
Les partis islamistes du Maghreb et leurs liens avec l’Europe :
influences croisées et dynamiques de démocratisation libres dans ces conditions est une blague. Le jeu politique est verrouillé et toutes les
élections au Maroc ne sont qu’une farce ». Malgré une structure présentée comme
autonome, PSM reste pilotée par la fille de Cheikh Yassine y distillant l’idéologie de son
parti, notamment à travers des conférences portant sur la compatibilité de l’islam et de
la modernité (démocratie, laïcité, droits des femmes…). Les sites internet musulmans
francophones très largement consultés par les jeunes musulmans en Europe tels que
saphirnews33 ou oumma.com, relaient également ses positions. «La France, contrairement
à d’autres pays comme l’Espagne, la Belgique et même les Etats-Unis, respecte si peu ces
Droits de l’Homme dont elle est fière, surtout en ce qui nous concerne. Droits de l’Homme
à sens unique, choisis et à mériter dans le politiquement correct occidental. La France
serait si proche de la monarchie marocaine qu’elle en oublierait ses principes les plus
forts, les plus essentiels ! Je pense qu’elle va se ressaisir et prouver au monde que tous les
opprimés peuvent encore et toujours compter sur elle » déclare t-elle sur le site internet
musulman oumma.com.
En outre, il est intéressant de remarquer comment les mouvements islamistes épousent en
Europe le cadre politique disponible (à travers des conseils comme le CFCM, la présence
d’imams dans les mosquées locales ou encore s’insérant dans le paysage associatif
islamique). Ainsi, Justice et Bienfaisance a décidé de placer sa politique de critique du
régime chérifien à travers PSM, non pas sur la question de l’illégitimité de la monarchie,
mais sur le terrain des droits de l’homme et des libertés publiques. Des sympathisants du
mouvement PSM installés en Belgique et en France ont créé cette année une association
loi 1901, l’Alliance for Freedom and Dignity (AFD), en charge de défendre et de promouvoir
les droits de l’Homme et la démocratie dans les pays musulmans, notamment au Maroc, à
travers différentes manifestations et conférences. Nadia Yassine a bien entendu été invitée
à s’exprimer au sein de cette association sur sa vision des droits de l’homme.
Alors que le mouvement de Cheikh Yassine se sert de l’Europe comme d’une tribune
politique (chose qu’il ne peut pas faire aussi librement au Maroc), pour le MSP et le PJD,
deux partis participant aux élections dans leurs pays et reconnus comme des mouvements
officiels par leur régime, la présence en Europe est avant tout motivée par des logiques
électorales. En effet, près de 3 millions de Marocains, soit près de 10% de la population
totale marocaine, résident à l’étranger dont une part importante en Europe (France,
Belgique, Pays-Bas, Espagne et Italie…), et plus d’un million de ressortissants algériens
y vivent, principalement en France. Le MSP et le PJD perçoivent donc ces immigrés et
leurs enfants binationaux comme un réservoir électoral non négligeable, mobilisable en
période de campagnes. Les campagnes électorales de ces partis seront donc également
menées auprès de leurs compatriotes vivant en Europe afin de recueillir leurs voix. « Il y
a un contingent de députés réservé aux Algériens en France. Le pouvoir organise dans les
consulats des élections pour nommer ces députés. Donc, au MSP, nous faisons campagne
en France auprès des ressortissants algériens en distribuant des tracts ou en organisant des
petits meetings. Le but est de séduire l’électorat immigré. Nous faisons de la politique ici
en France pour gagner les élections ; on essaie d’avoir un réseau au sein de la communauté
algérienne en Europe. D’ailleurs, nous disposons d’un représentant du parti dans chaque
consulat » nous déclare l’un des responsables du réseau MSP en France34.
16
33 Interview de Nadia Yassine « La meilleure
façon d’avancer se trouve dans la résistance
pacifique » http://www.saphirnews.com
34 En effet, les voix et les bulletins de votes
de ces ressortissants sont comptabilisés pour
les différentes élections locales et nationales
qui se déroulent en Algérie et au Maroc, et un
contingent de parlementaires est réservé aux
nationaux algériens. Le PJD fait en plus régulièrement des tournées en Europe afin de recruter de nouveaux militants et de présenter
son programme aux immigrés marocains
35 Le FIS bien que dissous depuis 1992, essaie également d’orienter les votes des algériens à l’étranger. Rabah Kébir, chef de la
délégation exécutive du Front islamique du
salut, longtemps réfugié en Allemagne les
avait ainsi appelés à voter pour le candidat
Abdellaliz Bouteflika lors des élections présidentielles de 2002. Il a également invité
les différents islamistes et terroristes vivant
en Europe à se présenter aux consulats algériens à l’étranger afin de bénéficier de la loi
sur la concorde civile, promulguée en 2000,
et visant à amnistier les responsables de crimes durant la guerre civile.
Compte tenu de la puissance électorale des ressortissants marocains vivant à l’étranger,
le PJD a même fait récemment pression pour que l’on tienne compte d’une meilleure façon
du vote de ces derniers. Ainsi, celui-ci avec d’autres formations politiques, a signé en 2006
un communiqué dans lequel il dit constater, « la marche arrière du gouvernement quant à
l’organisation d’élections associant les Marocains de l’étranger... ». Dans le cas du MSP, il s’agit également d’entretenir chez les ressortissants algériens le
sentiment d’appartenance nationale et de mener une politique de développement culturel
entre les deux pays. Selon un responsable du MSP, « la politique du MSP au sein de
l’immigration est de servir de pont entre les immigrés et leur pays d’origine. On veut aussi
participer au rapprochement de la France et de l’Algérie, personnellement, j’ai essayé de
jumeler deux villes, l’une algérienne et l’autre française. On a fait des rencontres entre
médecins français et algériens, entre chercheurs etc. Avoir un réseau, c’est vraiment notre
premier objectif. Tous les musulmans modérés en France, même s’ils ne sont pas des
adhérents, votent pour nous parce qu’ils se reconnaissent dans notre discours. Maintenant
auprès des beurs, il est vrai que tous les partis algériens ne remporte pas vraiment leur
adhésion, ils sont beaucoup plus intéressés par la politique française, nous-mêmes on
préfère qu’ils s’intéressent à la France mais s’ils peuvent faire les deux tant mieux ». Lors
des élections présidentielles de 1997, le candidat du MSP, Mahfoud Nahnah, est arrivé en
première position dans les consulats algériens de Strasbourg, Nice et Grenoble, bien avant
le candidat gagnant la présidentielle Liamine Zeroual35.
Les partis islamistes du Maghreb et leurs liens avec l’Europe :
influences croisées et dynamiques de démocratisation Les activités des partis islamistes maghrébins à l’égard de l’Europe ne se fondent pas
seulement sur un travail de mobilisation électorale des musulmans européens et le vieux
continent n’est pas seulement perçu comme une tribune politique pour des islamistes
indésirables dans leurs pays. Au début des années 80, les islamistes en exil considéraient
l’espace politique européen comme un espace politique contestataire à l’adresse des
régimes autoritaires du monde arabe. Les militants islamistes pensaient leur présence
en Europe comme le moyen de concevoir à l’abri la réforme des régimes autoritaires du
monde arabe, dans l’hypothèse d’un retour une fois les régimes en question renversés. A
l’origine, ces mouvements se constituaient donc comme la base arrière d’une opposition
islamiste multinationale. L’Europe leur apparaissait comme un territoire politique vierge où
des militants pourraient être formés, dans l’attente d’une libéralisation du champ politique
de leur pays pour y établir un Etat islamique. A la contestation des régimes autoritaires
du monde arabe, s’ajoutait un rapport critique sur l’Europe en dénonçant l’impérialisme
culturel, politique et éthique de l’Occident que les sociétés musulmanes étaient censées
subir. La lecture de l’islam par ces mouvements en exil reposait alors d’une part, sur la
réislamisation des pratiques sociales des immigrés en Europe, pratiques perçues comme
perverties par les sociétés européennes (au regard de la perte de la langue arabe, de la
pratique religieuse et de la difficile transmission de cette identité à leurs enfants nés en
Europe), et d’autre part, sur la politisation du fait religieux, présenté comme un système
global capable de résoudre les problèmes politiques, sociaux et économiques des
musulmans.
55 Octobre 2006
Acteur
de la réislamisation :
défense et représentation
des musulmans d’Europe
Néanmoins, dans les années, 80 l’influence du discours des islamistes sur les populations
immigrées resta marginale et ne toucha que certains segments de la communauté
musulmane européenne (réfugiés islamistes et étudiants). Cette indifférence s’explique
par le fait que les immigrés étaient encore largement encadrés dans leur pratique religieuse
par les consulats marocains et algériens, chargés tacitement par l’Europe de l’organisation
du culte des immigrés. Les immigrés pensaient aussi leur présence en Europe comme
temporaire, tout juste tolérée par les Etats « hôtes », et n’étaient pas favorables à des
actions politiques pouvant troubler l’ordre public. En outre, les aspirations révolutionnaires
des islamistes quant à la politisation de l’islam ne trouvaient que peu d’écho dans les
pratiques cultuelles plus pragmatiques et quotidiennes des immigrés. Devant cet insuccès,
une partie de ceux qui défendaient l’instauration d’un Etat islamique auprès des immigrés
va changer d’argumentaire. C’est aussi le moment où émerge une nouvelle génération de
musulmans, née en Europe et en demande d’islam.
Les islamistes du monde arabe exilés en Europe vont donc s’activer dès le début des
années 90, à des degrés et des formes différentes, dans la défense et la représentation
des musulmans d’Europe via de nombreuses structures islamiques. Le répertoire d’action
de ce nouvel islam va principalement être puisé dans l’héritage des Frères musulmans
(certains responsables y resteront d’ailleurs liés organiquement) à travers l’organisation
de camps religieux estivaux, de manifestations culturelles où seront donnés des pièces
de théâtre et chants religieux moralisateurs, des conférences d’enseignement du fait
islamique... Ce n’est pas la matrice du parti politique mais le système associatif qui sera
alors privilégié. Ces associations vont quadriller les activités des nouveaux militants,
jeunes musulmans nés en Europe, de manière spécifique et hiérarchisée, comme cela
était fait dans le monde arabe (création de sections « jeunes », « étudiants », « femmes »,
« formation théologique », « humanitaire », « culture »…). Si les structures vont donc
fortement s’inspirer des expériences de contestation islamistes dans le monde arabe, le
discours va s’adapter au sens politique bien différent des musulmans nés et vivant en
Europe. Ces associations vont donc militer pour une intégration des musulmans dans le
paysage politique et social européen, en appelant par exemple les militants à s’inscrire sur
les listes électorales et à voter.
L’Union des organisations islamiques de France (UOIF)36 est l’exemple de l’association
qui, au départ d’héritage islamiste, se convertit à des activités portant sur la défense et
l’intégration des musulmans d’Europe. Structure militante fondée en 1983 par un groupe
de réfugiés politiques et d’étudiants islamistes tunisiens et moyen-orientaux, l’UOIF
était destinée à devenir l’organisation d’accueil d’islamistes exilés. Liée à l’organisation
internationale des Frères musulmans, l’UOIF était d’abord marquée par sa filiation
islamiste et n’était que peu intéressée par l’action au sein du pays d’accueil. Vers la fin des
années 80, elle changea d’orientation et se persuada de la pertinence et de la nécessité
d’inscrire son action en France et en Europe. L’Union s’engagea ainsi aux côtés des jeunes
filles voilées expulsées de leur collège en France en 1989, organisant des manifestations
et monopolisant les médias sur cette question. Elle tenta également dans le même esprit
d’interdire la parution en français des Versets sataniques de Salman Rushdie. Plus
récemment, elle a appelé les membres de la communauté musulmane à se mobiliser à
36 Engagée dans une stratégie d’encadrement associatif à l’échelle nationale et européenne, l’UOIF est devenue un acteur central
de la réislamisation en proposant une multitude de services sociaux (soutien scolaire,
assistance psychologique ou juridique aux
familles…) et religieux. Elle fait partie d’une
structure supranationale dont le siège se
situe au Royaume-Uni, l’Union des Organisation Islamiques en Europe (UOIE) dirigée par
un Britannique d’origine Irakienne, Ahmed
al-Rawi. L’UOIF dirige une trentaine de mosquées à travers toute la France dont celles
de Bordeaux (800 places) et de Lille (1200
places). Elle organise en France chaque année au printemps une grande manifestation,
le congrès du Bourget, rassemblant près de
50000 personnes venues de toute l’Europe.
Les représentants du MSP et de la branche
associative du PJD, le Mouvement pour l’Unité et la Réforme (MUR - Harakat al-Tawhid wal
Islah) participent à ce rassemblement. Ainsi,
chaque année Mahfoud Nahnah, le fondateur du MSP y donnait une conférence. Actuellement, c’est Aboujerra Soltani, l’actuel
président du MSP qui s’exprime au nom de
son mouvement lors de ce congrès. En 2006,
son intervention portait sur « l’Ethique du
dialogue ». Il nous expliquera alors le sens
de son intervention en affirmant que «cela
ne sert à rien d’aller vers la polémique. Il est
profitable pour tous d’aller vers le dialogue
civilisationel ». Enfin, ajoutons que de nombreux imams qui officient dans les mosquées
françaises sont liés au MSP ou au PJD.
17
55 Octobre 2006
Les partis islamistes du Maghreb et leurs liens avec l’Europe :
influences croisées et dynamiques de démocratisation travers des pétitions, manifestations et boycotts afin de faire cesser les représentations
islamophobes du prophète Mohammed lors de la récente affaire des caricatures.
Parmi les cadres de l’UOIF, on compte un certain nombre de militants et sympathisants du
MSP comme Okacha Ben Ahmed, Secrétaire Général de l’UOIF, ou encore Fethi Belabdelli,
ancien président de la section étudiante de l’UOIF appelée Etudiants musulmans de
France (EMF). D’origine algérienne, ils ont milité en Algérie au sein de l’Union général des
étudiants libres (UGEL), syndicat d’étudiants algérien proche du MSP, avant de s’installer
en France pour y poursuivre des études supérieures. En arrivant en France, ils ont poursuivi
leur militantisme au sein d’EMF, présents sur une vingtaine d’Universités françaises. Ils ont
ensuite intégré les structures dirigeantes de l’UOIF37.
Ces partis politiques ne sont pas présents en tant que tels en Europe, ils se sont fondus
pour nombres d’entre eux dans le paysage islamique européen en privilégiant le plus
souvent la forme d’association à vocation culturelle, soit en créant ex nihilo des structures
associatives, soit en intégrant des organisations déjà existantes.
De nombreux cadres de la Fédération Nationale des Musulmans de France (FNMF) 38,
autre fédération d’associations islamiques en France et concurrente de l’UOIF, sont des
membres et sympathisants du PJD à l’exemple d’Anouar Kbibech, président du Conseil
Régional du Culte Musulman (CRCM, branche régionale du CFCM) Ile de France Est. Celui-ci
est à l’origine de la création d’un nouveau mouvement musulman, le Rassemblement des
Musulmans de France (RMF) qui a tenu ses premières assises au mois de juin 2006 à Paris,
rassemblant environ 200 responsables de mosquées et associations. Pour le président du
CRCM Ile-de-France Est, Anouar Kbibech, cette initiative se veut «complémentaire et non
concurrente du Conseil français du culte musulman ».
Plus récemment installée que l’UOIF et la FNMF, Participation et spiritualité musulmane
(PSM)39 se réclame du mouvement soufi et islamiste marocain Justice et Bienfaisance Al ‘Adl wal-Ihsan fondé au Maroc par Abdessalam Yassine. Cette association représente
l’antenne européenne de JB (majoritairement en France et en Belgique). Implantée par des
étudiants marocains venus poursuivre leur cursus universitaire en Europe au début des
années 90, elle a connu un certain développement au cours des années 2000 qui en fait
aujourd’hui l’une des associations les plus actives de l’islam engagé en Europe. Beaucoup
plus discrète sur ses activités que l’UOIF, avec qui elle entre en concurrence, elle recrute
comme celle-ci une partie des classes moyennes réislamisées émergeantes (étudiants,
jeunes professionnels…).
18
37 En termes d’influences croisées, il est
également intéressant de noter que les structures associatives musulmanes existantes
en Europe peuvent constituer le point de
départ de création de nouveaux mouvements
politiques dans les pays maghrébins. C’est
ainsi que l’UOIF, actuellement dirigée par des
français d’origine marocaine, Fouad Alaoui
et Lhaj Thami Breze, a tenté de s’implanter
politiquement au Maroc à travers la création
d’une branche des Frères musulmans. Cette
initiative a cependant échoué compte tenu de
l’opposition du PJD, voyant d’un mauvais œil
l’arrivée d’un concurrent islamiste « frèriste »
sur ses terres.
38 La FNMF fut créée en 1985 regroupant
selon ses responsables près de 500 associations. Réputée proche du Maroc, elle est
membre du Conseil français du culte musulman1 (CFCM). Le Conseil français du culte
musulman créé par le Ministère de l’intérieur
français regroupe les structures religieuses
représentatives du paysage islamique en
France. Il a pour fonction de servir d’interface
entre les pouvoirs publics et les musulmans
de France et de gérer l’ensemble des questions liées à la question de la pratique du
culte.39 PSM se distingue par l’originalité de
sa filiation doctrinale. Ses modes de mobilisation s’inspirent de ceux initiés par l’islam
politique tout en se réclamant du soufisme.
Alors que l’UOIF s’inscrit plus ou moins dans
la filiation doctrinale des Frères musulmans.
PSM séduit car elle fonctionne comme un
groupe refuge pour ses membres sans leur
demander une exclusivité d’appartenance
militante et les encourage à occuper des positions politiques à un niveau local, à s’investir dans diverses associations de défense des
droits citoyens sans leur demander de faire
explicitement référence au mouvement dans
leurs interactions au sein de l’espace public.
En se considérant comme des structures en charge de défendre les intérêts des musulmans
d’Europe, l’ensemble de ces structures va proposer une offre d’islam permettant d’être
un bon musulman engagé sans remettre en cause son intégration dans les sociétés
européennes. L’islam prôné par ses structures ne se veut pas en rupture avec les valeurs
politiques et sociales européennes, et la religion musulmane selon les responsables de
ces associations constitue un moyen de s’affirmer au sein de la société européenne. Ces
mouvements affichent un discours de respect des normes politiques européennes autour
de valeurs comme la citoyenneté, et souhaitent promouvoir un islam tenant compte des
réalités sociales occidentales. En ce sens, ils tentent de mettre en place une « citoyenneté
islamique » se proposant d’être les interlocuteurs privilégiés des acteurs publics locaux et
nationaux sur des questions aussi diverses que le religieux, le racisme ou les problèmes
de délinquance en banlieue. Alors que les premières générations d’immigrés musulmans
ne se sentaient pas attirées par cette forme de militance islamique en préférant s’organiser
autour de projets de construction et de gestion de mosquées, une partie de leurs enfants,
pour l’essentiel nés et scolarisés en Europe, vont trouver dans cette idéologie un moyen de
se réaliser pleinement comme musulman pratiquant et engagé sans renier une intégration
économique et sociale réussie. PSM s’est ainsi investie activement en France contre
le projet de loi portant sur l’interdiction des signes religieux à l’école en participant au
collectif « Une école pour toutes et tous », permettant de façon originale, l’émergence
d’une contestation réunissant des associations musulmanes et laïques.
Les partis islamistes eux-mêmes se mobilisent depuis leur pays pour défendre les musulmans
européens. Ainsi, Aboujerra Soltani a proposé, lors de la 33ème session en 2006 des ministres
des Affaires Etrangères des pays membres de l’Organisation de la Conférence Islamique,
la création d’un mécanisme de lutte contre l’islamophobie qui sévit selon lui surtout en
Occident. « Son objectif est d’amener les États islamiques à édicter des lois dissuasives
pour lutter contre ce phénomène et à œuvrer en vue d’adopter une résolution internationale
par l’ONU pour protéger l’islam et ses symboles. La proposition algérienne appelle à créer
un fonds islamique visant à soutenir les efforts de lutte contre l’islamophobie dans les
Les partis islamistes du Maghreb et leurs liens avec l’Europe :
influences croisées et dynamiques de démocratisation 55 Octobre 2006
pays occidentaux et promouvoir les valeurs de dialogue et de tolérance entre les cultures,
les religions et les civilisations. Elle met également l’accent sur le nécessaire engagement
des pays islamiques, dans leurs législations, envers le boycottage économique des pays
encourageant l’islamophobie. Une série de mesures a été prise telles que la mobilisation
des ONG musulmanes travaillant en Europe et le renforcement de la coopération avec le
Conseil de l’Europe et l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE). Il
faut également un dialogue accru avec les partis politiques, les décideurs et les ONG pour
influencer sur le contenu des programmes scolaires qui véhiculent, une “image déformée”
de l’islam qui passe de génération en génération40 ».
Alors que l’Occident, et en particulier les Etats-Unis, est presque unanimement condamné
par « l’opinion publique arabe » pour sa politique menée dans le grand Moyen-orient (guerre
en Irak, soutien à Israël sur la question palestinienne et libanaise…), les administrations
européennes ont opté depuis les attentats du 11 septembre 2001 pour une réflexion sur
leurs relations plus ou moins officielles avec les représentants de la mouvance islamiste
légaliste au Maghreb et au Moyen-orient. Comment, en l’espace d’une décennie, des acteurs
islamistes considérés comme ennemis, sont-ils désormais perçus comme des partenaires
de dialogue ? Ce changement relève d’une part d’un changement de stratégie dans la
gestion du phénomène islamiste de la part des chancelleries occidentales et d’autre part,
de l’évolution des positionnements des islamistes eux-mêmes à l’égard de l’Occident.
Le travail de relations
extérieures
À l’origine de ce débat, un constat fait par les Américains : la démocratisation des pays
arabes amènera inéluctablement la victoire des islamistes. « Mieux vaut, dès lors, préparer
le terrain en discutant avec les plus modérés d’entre eux plutôt que de voir cette région
basculer dans le terrorisme », nous explique un diplomate américain. Le but est d’encourager
la « démocratisation des régimes » concernés, car c’est « l’arab despotism » qui a favorisé
le ressentiment des populations et le recours à la violence politique. Les islamistes du
monde arabe semblent également convaincus par cette prophétie et entreprennent depuis
le début des années 2000 un important travail semi-diplomatique de relations extérieures
avec les USA et les Etats membres de l’UE.
Mais ce changement de relation entre les pays occidentaux et les islamistes est aussi
le résultat de l’évolution des positionnements des islamistes eux-mêmes à l’égard de
l’Occident. Ces derniers qui voyaient auparavant dans l’Occident un ennemi à abattre le
perçoivent désormais comme un partenaire de dialogue. Il s’agit pour eux de développer
un réseau extra-national à travers des rencontres, des participations à des conférences
ou séminaires où se rencontrent diplomates, hommes politiques, hauts fonctionnaires
et responsables des partis islamistes. En développant ce type de relations, ils peuvent
à l’extérieur de leur pays présenter leur programme souvent mal connu, et à l’intérieur
apparaître comme des acteurs politiques centraux, capables de disposer de réseaux et
soutiens internationaux. Alors que le travail diplomatique du MSP est encore timide, se
résumant à quelques rencontres et conférences au sein de l’Union européenne et de ses
think tanks, les activités diplomatiques du PJD et de Justice et Bienfaisance sont quant
à elles plus développées. Parmi les initiatives récentes du PJD, se trouve un voyage en
Espagne du 26 mai au 1er avril 2005, afin d’y rencontrer plusieurs responsables politiques.
Cinq membres du secrétariat général du parti, dont le Secrétaire général Saaddine Othmani,
ont été reçus par la vice-présidente du PSOE (Parti socialiste espagnol) et le président
du Parti Populaire (classé à droite). Cette délégation s’est également entretenue avec le
président du Parlement espagnol. Ce genre de visite ne néglige pas d’autres acteurs-clé
du secteur public et pendant ce séjour, les responsables du PJD ont rencontré les cadres
de l’Association des travailleurs et immigrés marocains en Espagne (ATIME), ils ont
aussi été reçus par le président du patronat espagnol, José Maria Cuevas, président de la
Confédération espagnole des organisations d’entreprises ; enfin, ils se sont entretenus
avec le Président du Congrès espagnol, Manuel Marin sur le rôle que pouvait jouer le
PJD dans la lutte contre le terrorisme islamique notamment à travers la question de la
formation des imams. La délégation du PJD a même participé à une cérémonie à la mémoire
des victimes des attentats du 11 mars 2004 à Madrid. Cette visite entrait alors dans le cadre
d’un programme établi par le secrétariat général du parti islamiste, ayant pour objectif de
visiter plusieurs capitales européennes jusqu’aux élections législatives de 2007 au Maroc.
Dans le cadre de cette tournée européenne, la délégation du PJD s’est également rendue du
6 au 12 avril à Paris où elle a rencontré plusieurs représentants des principales formations
politiques françaises. Parmi eux, un représentant de l’Union pour un Mouvement Populaire
(UMP-droite), François Bayrou, président du parti UDF (centre), Jean-Pierre Chevènement
et Gérard Chenel, responsable des questions méditerranéennes pour le Parti socialiste
(PS). Là aussi, les visites aux formations politiques se sont accompagnées d’un ciblage
40 Abdelkamel K., Aboujerra Soltani se
met à la diplomatie islamique, Liberté,
21/06/2006.
19
55 Octobre 2006
Les partis islamistes du Maghreb et leurs liens avec l’Europe :
influences croisées et dynamiques de démocratisation des communautés musulmanes puisque certains responsables du PJD, dont Abubakr
Belkora, maire de Meknès, et Réda Benkhaldoun, responsable des relations extérieures du
parti, ont donné une conférence à l’adresse des militants d’associations musulmanes de la
communauté marocaine vivant en France41. Lors de ce meeting le PJD disait opter pour une
transparence des actions politiques et pour l’implication des citoyens marocains dans la
vie publique vis-à-vis des pays européens. Mettant en avant le « désintérêt des marocains
pour la politique », le parti a affirmé compter attirer les votes des marocains à l’étranger
par « le règlement de sujets hyper concrets, concernant directement le citoyen par une
politique de proximité ».
Le cadre politique qui est le leur dans le pays d’origine conditionne aussi le type d’approches
que ces partis choisissent pour intervenir en Europe. Alors que le travail de relations
extérieures du PJD s’effectue à l’adresse des partis politiques et institutionnels européens,
compte tenu de sa représentativité électorale et de son statut de parti politique officiel
reconnu par la monarchie marocaine, le mouvement de Cheikh Yassine préfère, quant à
lui, l’établissement de relations semi-diplomatiques avec l’Europe à travers des réseaux
politiques alternatifs ainsi que l’intervention « d’opinion » dans les milieux universitaires
et intellectuels. Nadia Yassine participe ainsi à toute une série de forums et rencontres
organisés par la tendance des mouvements altermondialistes tels que le 4ème Forum Social
Européen, organisé à Athènes du 4 au 7 mai 2006, ou encore, le premier congrès sur le
féminisme islamique tenu à Barcelone, du 27 au 29 octobre 2005. S’exprimer en tant que
« penseur » ou « universitaire » est aussi une voix d’entrée possible pour ce type d’acteur
non reconnu officiellement par leurs Etats et donc par les Etats membres de l’UE. Nadia
Yassine encore une fois participe souvent à des conférences universitaires où elle est invitée
en tant qu’intellectuelle à exprimer ses vues sur l’état de la pensée politique islamique
aujourd’hui, comme ce fut le cas en mai 2003, lors du sixième International Congress of the
Mediterranean Studies Association à Budapest, en juin 2004, à San Sebastian, ou la même
année, à Amsterdam, à l’initiative de l’institution « Al Bayt al arabi ».:
L’Europe est donc pour les mouvements islamistes du Maghreb, et ce depuis le début
des années 2000, un lieu stratégique de diffusion de leurs idées et programme politique.
Aux communautés musulmanes présentes en Europe, s’ajoute un effort d’établissement
d’un dialogue politique avec les institutions des Etats membres tant sur le plan structurel
(partis politiques, syndicats) qu’intellectuel ou semi-politique (think tank, fondations,
universités…). Comment l’Union européenne répond-elle à ces demandes et quelle est sa
politique « officielle » vis-à-vis de ces formations islamistes du Maghreb ?
20
41 Il est à noter que les membres du PJD peuvent également intervenir en Europe sans
mettre en avant leur couleur politique et préférer l’aspect du dialogue entre les cultures à
l’image de cette conférence sur les droits de la
femme au Maghreb tenue à l’Institut du Monde Arabe à Paris en Novembre 200 3 à laquelle
avait participé Mme Benkhaldoun du PJD.
Les partis islamistes du Maghreb et leurs liens avec l’Europe :
influences croisées et dynamiques de démocratisation Il n’existe pas aujourd’hui au sein de l’Union européenne de politique visant de façon
spécifique à ouvrir un dialogue avec les partis islamistes. Cependant, parmi les acteurs et
programmes potentiellement engagés sur la zone Maghreb et pouvant être intéressés par
la question de l’islam politique, on retrouve le Conseil de l’Europe (notamment à travers
sa Politique Etrangère et de Sécurité, PESC), le Parlement (avec ses groupes politiques
de différentes tendances, sa commission parlementaire sur les affaires étrangères, ses
délégations interparlementaires et sa délégation à l’Assemblée parlementaire euroméditerranéenne). Ajoutons également les délégations de la Commission européenne au
Maghreb, les chancelleries des Etats membres au Maghreb et enfin la Commission européenne
(principalement le directorat des Relations extérieures – RELEX) et ses programmes tels
que le Partenariat euro-méditerranéen (avec son instrument de financement « MEDA », ses
accords d’association comportant un volet dédié au dialogue politique42 et ses fondations
axées sur les droits de l’homme, la démocratisation et la participation de la société civile et
de la jeunesse) et la nouvelle Politique européenne de voisinage – PEV (dont l’outil est celui
des Plans d’action, devant être mutuellement agréés par l’UE et le pays partenaire et visant
à mettre en place un agenda de réformes économiques et politiques43).
55 Octobre 2006
Chapitre 3
L’islamisme dans
les politiques
de l’Union
Européenne :
État des lieux
L’ensemble de ces instruments européens n’est donc pas officiellement dirigé vers les
islamistes, et dans les faits, les islamistes en tant que tels y sont d’ailleurs majoritairement
marginalisés. On peut souligner cependant que nombre des élus de ces partis au sein de
leur Parlement sont amenés à représenter leur pays et font donc déjà partie par exemple,
de groupes politiques d’amitié parlementaire avec les Etats membres. Il existe également
au niveau des ministères des affaires étrangères de certains Etats membres des cellules
de discussion et de réflexion, oeuvrant officiellement autour du « monde islamique44 ».
Les ministres des affaires étrangères européens se sont également réunis en avril 2005 au
Luxembourg afin de discuter officieusement des possibilités de coopération avec les partis
islamistes. L’aspect du dialogue avec les islamistes reste dont informel et ne prend pas
place au sein d’une structure institutionnalisée, malgré l’intérêt croissant manifesté par
l’Union Européenne sur la question de l’islam politique.
Plusieurs facteurs peuvent expliquer la prudence de l’UE à ce sujet. La question terroriste
(spécialement après les attentats de Londres et de Madrid), la présence monopolistique
des associations laïques et des élites du gouvernement dans les programmes associant le
Maghreb et l’UE, et enfin, la difficulté à inventer et/ou mobiliser des outils de coopération
correspondant à l’émergence officielle de ces nouveaux acteurs politiques islamistes.
L’inclusion des partis islamistes à la politique méditerranéenne de l’UE et des Etats membres
peut-elle être un facteur de stabilité dans la région ? Comment l’UE et ses Etats membres,
notamment ceux ayant déjà une expérience de dialogue avec ces partis, peuvent-ils préserver
les équilibres de la région à travers une sorte de diplomatie triangulaire entre l’Europe, les
gouvernements algériens et marocains ainsi que les partis islamistes45 ? Comment la Politique
Européenne de Voisinage peut-elle conjuguer la promotion des partis islamistes avec
l’argument d’une ouverture démocratique pour les Etats du Maghreb ? Comment sur le terrain,
améliorer la visibilité de l’Europe et ses programmes de développement (recherche, jeunesse,
campagne médias, contacts entre les partis politiques, entre les fondations…) ? Cette visibilité
est particulièrement cruciale au Maghreb pour matérialiser le partenariat EuroMed et le rendre
attractif, notamment auprès des jeunes militants et sympathisants des partis islamistes.
La prise en compte par l’UE des mouvements islamistes dans la région s’est d’abord faite
à travers un regard largement sécuritaire, ces mouvements étant considérés comme ayant
une relation équivoque avec le terrorisme. Il faut en effet rappeler que dans les années 90,
ce n’est pas l’image de partis politiques institutionnalisés qui prévaut auprès des décideurs
européens mais plutôt celle des attentats dans le métro parisien ou du détournement
de l’avion Air France, revendiqués par le Groupe Salafi pour la Prédication et le Combat
algérien. Exception faite de l’organisation de la conférence de Sant’Egidio en janvier 95
visant à la signature d’un contrat national de sortie de crise par différents partis algériens
et notamment le FIS46, l’UE et ses Etats membres ont plutôt tout au long des années 90
soutenus implicitement les politiques de répression des Etats du sud face aux mouvements
islamistes47. Rappelons la fin de non recevoir opposée par l’Algérie sur une plus grande
implication de l’Europe concernant la question islamiste dans les années 90. Par exemple, la
très controversée visite à Alger les 19 et 20 janvier 1998 de la Troïka48de l’UE, proposée par le
ministre des Affaires étrangères allemand de l’époque Klaus Kinkel, et visant à la constitution
d’une commission d’enquête sur les massacres de civils algériens. Cette initiative s’était
soldée par un échec, l’Etat algérien ayant refusé à cette Troika la possibilité de discuter avec
des représentants (notamment islamistes) de la société civile. Le rôle du Parlement européen
Les relations UE – partis
islamistes depuis 95
21
55 Octobre 2006
22
42 L’accord d’association entre le Maroc et
l’UE a été signé en 1996 et celui avec l’Algérie
en 2002.
43 Le plan d’action pour le Maroc a été finalisé en 2005. Celui de l’Algérie serait encore
en développement et sa publication prévue
pour 2007, malgré le désintérêt pour le processus de la PEV manifesté officiellement par
l’Algérie. Voir « L’Algérie et la «dictée européenne» », Le Quotidien d’Oran, 12/11/2006.
44 Citons ainsi l’initiative britannique du
Foreign and Commonwealth Office, intitulée
« Engaging with the Islamic World » ou celle
du ministère des affaires étrangères allemand
« Dialog mit der islamischen Welt ».
45 Une diplomatie bilatérale parallèle entre
les partis islamistes et l’UE risquerait en effet
d’être source de conflits et de suspicion entre
les différents acteurs.
46 On peut trouver la version complète du
texte adopté dans la revue Confluences.
« Plate-forme pour une solution politique et
pacifique de la crise algérienne, Document de
Sant Egidio, 13 janvier 1995 » in Confluences,
n°14, Printemps 1995.
47 Annette Jünemann, “Support for democracy or fear of Islamism? Europe and Algeria” in: Hafez Kai (ed.), The Islamic World and
the West: An Introduction to Political Cultures and International Relations, London, Brill
Academic Publishers, 2000.
48 Cette Troïka, était à l’époque composée
des membres des anciennes présidences de
l’UE, à savoir le Luxembourg, le Royaume-Uni
et l’Autriche.
49 Commission des affaires étrangères, de
la sécurité et de la politique de défense,
Rapport de la délégation ad hoc pour l’Algérie (8-12 février 1998), Parlement Européen,
Bruxelles, 1998.
50 http://ccfis.fisweb.org/dispcol.asp?art=
411&ccolumn=6.
51 Fouad Ammor, “Morocco’s Perspectives
towards the EMP” in Haizam Amirah Fernández, Richard Youngs, (eds.), The Euro-Mediterranean Partnership: Assessing the First
Decade, Fundación para las Relaciones Internacionales y el Diálogo Exterior (FRIDE) and
the Real Instituto Elcano de Estudios Internacionales y Estratégicos, Octobre 2005.
52 Entretiens avec plusieurs membres de différents partis islamistes.
53 Olfa Lamloum, « L’enjeu de l’islamisme au
cœur du processus de Barcelone », Critique
Internationale, n°18, janvier 2003.
54 Euromed Report, “Conséquences économiques éventuelles des évènements du 11
septembre 2001. Eléments d’appréciation
pour la Méditerranée », n° 50, 26 juin 2002.
55 Olfa Lamloum, Op. cit.
56 Concernant les islamistes se trouvant en
Europe, l’UE évite soigneusement d’inscrire
leur participation dans une dimension politique, mettant l’accent sur le dialogue interculturel. Tariq Ramadan, intellectuel suisse
proche de la pensée des Frères musulmans, a
participé au groupe des sages créé à l’initiative de Romano Prodi en 2004. Voir le rapport
qui en est issu : Group of Policy advisers, Dialogue between peoples and cultures in the
Euro-Mediterranean area, European Commission, Luxembourg, Office for Official Publications of the European Communities, 2004.
57 L’Organisation de la Conférence Islamique a été fondée en 1970 et compte 55 pays
membres. Son siège est à Jeddah en Arabie
saoudite.
58 Le premier dialogue avec l’OCI a eu lieu à
Helsinki en décembre 1999, puis a été suivi
d’une réunion de 30 ministres des Affaires
Etrangères de l’UE et de l’OCI au sein d’un
forum commun OIC-UE à Istanbul en février
2002 sur les questions d’harmonie civilisationelle, de résolution des conflits, de droits
de l’homme en Islam, de collaboration sur la
lutte contre le terrorisme. Ce forum a été organisé à l’invitation du ministère des Affaires
Etrangères turc.
Source : site Internet du MAE turc : http://
www.mfa.gov.tr/OIC_EU_cdrom/index.htm.
Les partis islamistes du Maghreb et leurs liens avec l’Europe :
influences croisées et dynamiques de démocratisation a toujours été sensiblement différent, bien que souvent marginalisé. En effet, c’est en son
sein que Mahmoud Nahnah, alors président du MSP, intervint sur le sujet de la guerre civile
algérienne. Une autre visite de neuf parlementaires européens en Algérie entre le 8 et le 12
février 1998, avec l’objectif de supporter l’assemblée nationale en Algérie et le processus de
démocratisation, fut organisée. Malgré leur insistance pour s’entretenir avec des membres
de la société civile et du FIS, les parlementaires reçurent la même réponse faite à la Troïka. La
délégation parlementaire, bien que rejetant toute sympathie pour le FIS et, notamment, une
lettre ouverte que ce dernier lui avait adressée, plaida pour une intégration du FIS dans toute
solution politique pour mettre fin à la guerre civile. Ici, c’est le processus de sélection de ses
partenaires politiques par l’UE au détriment, entre autres, des islamistes, qui fut fortement
critiqué par les parlementaires49. L’UE stigmatisera donc longtemps les partis islamistes, vus
comme des organisations terroristes nuisant à la stabilité et à la sécurité de la région, et ne
les considérera pas comme des partenaires politiques. Toute association ou ONG de la société
civile ayant une sensibilité islamiste sera exclue du Partenariat EuroMed. Cette stigmatisation
a également amené une surreprésentation des associations laïques et progouvernementales
ainsi qu’une relative indifférence des islamistes concernant le partenariat EuroMed. Seul le
FIS dissout, dont l’Europe est depuis les années 90 le principal refuge, viendra se plaindre
auprès du Parlement européen dans une missive datée du 2 juillet 2001, du rôle de l’Union
Européenne dans la résolution du conflit, qui « multipliait son aide politique, diplomatique
et financière au régime et renforçait sa coopération sécuritaire avec lui à travers le forum
méditerranéen, la conférence des ministres de l’Intérieur des pays de la Méditerranée et
autre conférence euro-méditerranéenne50 ». Les islamistes marocains ont été quant à eux
particulièrement critiques vis-à-vis des politiques menées dans le cadre du Partenariat euroméditerranéen, critiquant la volonté supposée de l’Europe d’imposer ses propres valeurs à
travers ses programmes de coopération, notamment sur la question du droit des femmes51.
Une autre critique fréquente émanant des islamistes argue du fait que l’Europe devrait
s’attacher au respect et à la défense des droits de ses musulmans européens, plutôt que de
vouloir orienter les sociétés civiles musulmanes du monde arabe52.
Au début des années 2000 va s’opérer un changement majeur concernant la place des
partis islamistes dans les politiques européennes. Il concerne la position de monopole
qu’avait la France dans les années 90 concernant l’orientation des relations UE-partis
islamistes et celle de la question de la démocratisation dans les pays du Maghreb,
dont elle fut longtemps le partenaire privilégié. L’idée alors mise en avant était celle de
mouvements terroristes populaires prenant leur source dans les difficultés économiques
des pays concernés53. Le 11 septembre d’abord viendra profondément bouleverser cette
vision54, ainsi que l’expérience du terrorisme faite par des pays membres autres que la
France, tels que l’Espagne et le Royaume-Uni. Ces pays ont en effet amené une vision
du terrorisme beaucoup moins liée à un islam politique déstabilisant les régimes de la
région, et ont au contraire établi une séparation claire entre les conditions économiques
et politiques des pays concernés, et la lutte sécuritaire contre le terrorisme international.
Paradoxalement, le fait que « le sécuritaire ait absorbé le politique55 » offre peut-être
aujourd’hui de nouvelles opportunités de dialogues purement politiques avec les partis
islamistes, et donc, une plus grande intégration aux politiques de l’UE, de plus en plus
distingués de la question de la nébuleuse terroriste. L’émergence de pays membres tels
que le Royaume-Uni, l’Allemagne et l’Espagne sur cette question, va amener à un niveau
bilatéral, des initiatives plus pragmatiques de dialogue auprès des partis islamistes56. Ce
qui n’existe pas à un niveau européen, est donc déjà une réalité aux niveaux nationaux.
Nombre de parlementaires islamistes font en effet partie de groupes parlementaires
à un niveau binational, ou encore prennent part à travers leurs positions d’élus à des
projets interrégionaux ou intercommunaux avec certains Etats membres. La raison de
ces collaborations se trouve sans doute dans le fait que ces activités s’inscrivent dans les
logiques nationales des pays auxquels ils appartiennent et ne leur permettent de mettre
que très peu en avant leur « spécificité » islamiste. De la même manière, des initiatives
telles que la convention de l’Organisation de la Conférence Islamique57 sur la lutte conte
le terrorisme international signée à Ouagadougou le 1 juillet 1999, ainsi que les dialogues
que cette dernière mène avec l’UE depuis 199958, associent certains islamistes légaux au
dialogue avec l’UE, mais toujours en tant que représentants de leur entité nationale.
La problématique de la démocratisation telle qu’elle a été encore traitée lors du 10 ème
anniversaire du partenariat EuroMed en novembre 2005 ne fonctionne plus, y compris auprès
des pouvoirs en place. En conséquence, l’absence de nouveaux outils de dialogue vis-à-vis
des nouveaux acteurs politiques du monde arabe (et parmi eux les islamistes) a amené
une focalisation consensuelle des acteurs en place sur la lutte contre le terrorisme et sa
définition (seul consensus obtenu entre le Nord et le Sud lors du 10ème sommet EuroMed).
Ce consensus sécuritaire remplaçant la question de la démocratisation éloigne-t-il encore
une fois l’UE d’un véritable débat sur la place des islamistes dans ses politiques ?
Les partis islamistes du Maghreb et leurs liens avec l’Europe :
influences croisées et dynamiques de démocratisation Si les politiques européennes n’ont pas jusqu’à présent véritablement pensé à la manière
d’endiguer l’exclusion des islamistes dans le partenariat EuroMed (PEM), la question du
terrorisme a, quant à elle, permis à un certain nombre de pays arabes de se servir de la
situation sécuritaire post 11 septembre comme outil de négociation avec l’UE, notamment
pour l’obtention de fonds59. Quelle est la réalité actuelle des relations entre l’UE, l’Algérie
et le Maroc sur les questions sécuritaires, aujourd’hui grilles de lectures les plus influentes
sur la place des islamistes que la question de la démocratisation ?
55 Octobre 2006
Le tournant économique
et sécuritaire des
politiques européennes
L’Algérie et le Maroc ont tous deux ratifié l’accord de Barcelone du Partenariat euroméditerranéen en 1995. Dans ce cadre, l’Algérie a signé un accord d’association avec l’UE
en avril 2002 à Valencia en Espagne. Cet accord d’association a pour objectif principal
de régler la coopération économique entre les deux parties. Cependant, certains acteurs
de la société civile algérienne ont protesté contre la manière dont les demandes de l’UE
concernant les droits de l’homme en Algérie (liberté d’association, d’expression, torture,
disparition) y ont été minimisées au profit d’une plus grande intégration économique,
énergétique et sécuritaire, à laquelle les islamistes du MSP se disent par ailleurs tout à fait
favorables. Côté européen, la peur du terrorisme et de la radicalisation des partis islamistes
semble être l’une des raisons de ce type de négociations.
La Politique Européenne de Voisinage, au sein de laquelle l’Europe souhaite désormais
inscrire ses relations avec le Maghreb, est venue en 2004 résorber l’échec du Partenariat
EuroMed. Sa méthodologie différente du PEM semble pourtant également éviter la question
des réformes politiques au profit des axes économiques et sécuritaires. Ainsi, le fait que
la PEV offre aux pays voisins de partager de façon bilatérale les marchés, la circulation
des personnes, les normes etc., sans un accès aux institutions communautaires, amène un
primat des questions économiques sur les questions de démocratisation. De la même façon,
les programmes relatifs à la démocratisation et à la bonne gouvernance au sein du PEM
se sont beaucoup plus concentrés sur la formation des fonctionnaires gouvernementaux
(police, magistrats…) que sur une inclusion des associations de la société civile et des ONG.
Cette situation ne semble pas être changée par la nouvelle PEV qui semble faire primer
le caractère « stable » de cette bonne gouvernance sur de réelles réformes politiques60.
Pourtant la PEV, en introduisant le principe de «positive conditionality», remplaçant en
cela les sanctions amenées par la « political conditionality » du PEM61 , pourrait permettre
à l’Europe de proposer une inclusion graduelle des minorités politiques telles que les
femmes, les jeunes ou les islamistes.
Les relations de coopération entre l’Algérie et l’UE sont pourtant en nette amélioration avec un
taux de paiement ayant atteint à la fin 2003 28% des sommes engagées sous MEDA, comparé à
un taux de 14% fin 2001. Entre 95-2003 l’Algérie a perçu dans le cadre des programmes MEDA
345,8 millions d’euros et le Maroc 1181,3 millions d’euros62. Malgré l’absence de nouveaux
outils de coopération, l’UE déclare vouloir augmenter en Algérie les programmes de bonne
gouvernance, de l’état de droit et de la société civile : Justice, ONG, Média63, qui restent pour
l’instant modestes. Même si elle ne s’exprime en aucune manière de façon officielle, ce désir
de l’UE de voir se développer ce type de programme est aussi lié au devenir de la question
islamiste et terroriste notamment dans le cadre de la concorde civile : « Le développement
de la société civile, encore fragile en Algérie, est essentiel en vue d’animer le dialogue et
les mécanismes de réconciliation. La Commission appuie le renforcement institutionnel d’un
nombre d’associations de développement sous Meda ; en complément, les activités des ONG
locales pourront être soutenues notamment dans les domaines des droits de l’homme, des
effets du terrorisme, de la démocratisation (ligne budgétaire spécifique)64 ».
Le Maroc quant à lui a signé un accord d’association avec l’UE en 1996, entré en vigueur
en 2000. Le Maroc est, parmi les partenaires méditerranéens, le principal bénéficiaire de
l’aide communautaire. De 1995 à 2004, 1,1 milliard d’euros a été engagé. Dans le plan
d’action de la PEV qui lui est dédié, on retrouve également en filigrane l’intérêt de l’UE
pour le développement de la relation entre démocratisation et répression sécuritaire de
l’islamisme : « Aussi, la Commission pertinente de l’ONU et des ONG signalent à nouveau
des cas de torture, surtout dans certains cas de détention arbitraire dans le cadre
d’investigations liées à la lutte contre le terrorisme, notamment de matrice islamiste.65 »
Comme on peut le voir, la position de l’UE à travers la PEV et le PEM reste ambivalente
faute d’outils institutionnels pertinents à proposer aux Etats du Sud. Officiellement, la
politique mixte de l’UE consiste à long terme en la promotion de programmes concernant
la démocratie et les droits de l’homme, ces programmes amenant une stabilité politique
et un développement économique consolidant l’établissement d’un consensus sécuritaire
dans la région Méditerranéenne. Cependant, la manière dont ces deux discours, politique
et sécuritaire, sont conjugués à travers le processus de Barcelone, et désormais via la PEV,
59 Le repositionnement de l’Algérie sur la
coopération sécuritaire est ici particulièrement frappant. Voir Luis Martinez, « La sécurité en Algérie et en Libye après le 11 septembre », Euromesco Papers, n° 22, avril 2003.
60 Juan José Escobar Stemmann , «The challenges of democratisation and political reform
in the Middle East: Between Autocracy, Islamism and Liberalism», FRIDE, Février 2005.
61 La « political conditionality » du Partenariat EuroMed, prévoyait des sanctions économiques et politiques en cas de manquement
au respect des droits de l’homme par les pays
partenaires. La « positive conditionality »
prévue par la Politique de Voisinage permet
elle d’étendre l’accession aux marchés en
cas de « bons résultats » des pays membres
concernant le respect des droits de l’homme
et des principes démocratiques. Voir European Commission, « Wider Europe-Neighbourhood: A New Framework for Relations
with our Eastern and Southern Neighbours
», Communication from the Commission to
the Council and the European Parliament, 11
Mars 2003. Neighbourhood Policy – Strategy
Paper, (Communication from the Commission
to the Council and the European Parliament)
COM, 2004, 373, 12 May 2004.
62 European Commission, Europe Aid Cooperation Office, Mediterranean Program (statistics). Http://www.europa.eu.int/comm/europeaid/projects/med/financial/1995-2003.pdf.
63 http://ec.europa.eu/comm/external_relations/algeria/csp/algerie_nip05_06_fr.pdf.
64 http://ec.europa.eu/comm/external_relations/algeria/csp/02_06_fr.pdf.
65http://ec.europa.eu/world/enp/pdf/country/
morocco_enp_country_report_2004_fr.pdf.
23
55 Octobre 2006
Les partis islamistes du Maghreb et leurs liens avec l’Europe :
influences croisées et dynamiques de démocratisation amène plutôt à considérer que ces derniers entrent souvent en concurrence62. Le primat
de l’angle sécuritaire et des échanges économiques permet de minimiser le manque de
proposition nouvelle en terme de démocratisation et de participation à la vie politique de
la société civile et des acteurs islamistes. Les politiques bilatérales menées par les Etats membres auprès de l’Algérie et du Maroc
sont révélatrices de cette dichotomie. Ainsi, le Royaume-Uni a procédé à la signature en avril
2006 d’un accord sur « l’extradition des terroristes et des criminels » visant l’éventuelle
extradition de réfugiés politiques islamistes. Un autre accord britano-algérien signé en
2006 porte sur l’entraide judiciaire en matière pénale entre Alger et Londres. L’Espagne a
également approuvé l’extradition d’Algériens ayant des liens avec le terrorisme. La France,
quant à elle, aurait demandé à l’Algérie la réincarcération de certains prisonniers graciés
dans le cadre de la concorde civile, et réclamé une liste de l’ensemble de ces graciés afin
de ne pas leur distribuer de visas.
Ce primat du sécuritaire dans la coopération avec les Etats du Sud s’accompagne d’une
vision sur la question de la démocratisation liée à d’autres problématiques telles que
le dialogue interculturel. De nouvelles initiatives ont été mises en place depuis peu,
présentées par l’UE comme partie prenante de sa stratégie de promotion de la démocratie
dans la région. Parmi elles : le Dialogue sur les Cultures et les Civilisations, l’Assemblée
Parlementaire Euromed, la Plateforme Euro-Méditerranéenne Non-Gouvernementale, des
réseaux et forums économiques Euromed, la Plateforme Jeunesse Euromed, la Fondation
Ana Lindh, le programme Euromed Heritage visant à la préservation du patrimoine. On
assiste donc à l’évitement du traitement politique des questions de démocratisation au
profit de l’intégration économique et sécuritaire promut par la PEV, et à l’absence d’espace
autonome pour des programmes de démocratisation indépendants de la dynamique
interculturelle au sein du processus de Barcelone.
La Politique Européenne de Sécurité et de Défense (PESD66), occupe également une place
importante dans les relations que l’UE entretien avec les pays du Sud, particulièrement
après le 11 septembre67. Concernant le rôle des partis islamistes dans cette configuration,
la PESD devrait proposer plus efficacement et de façon positive des clés aux conflits de la
région, la question du conflit israélo-palestinien et de l’invasion israélienne du Liban en
juillet 2006 ayant toujours été des thèmes majeurs pour les partis islamistes de la région et
une source récurrente de déception des sociétés civiles arabes face aux politiques de l’UE.
L’impératif sécuritaire devrait donc s’accompagner d’un outil de résolution des crises qui
inclut plus efficacement les opinions des sociétés civiles arabes afin d’éviter la radicalisation
éventuelle de ces populations crainte par l’UE. Cette représentation pourrait se faire,
entre autres, à un niveau interétatique, les parlements algériens et marocains pouvant
trouver ainsi l’occasion d’inclure les partis islamistes de façon contrôlée aux politiques
européennes dans la région68. Même si cette inclusion de l’opinion des partis islamistes
aux politiques de défense reste délicate et parfois problématique, leur exclusion, au même
titre que l’ensemble de la société civile, ne saurait être positive. La participation qui leur
est actuellement proposée par les USA, est également un élément nouveau que l’Europe
doit prendre en compte dans les relations qu’elle entretient avec ces partis. “Les régimes
arabes sont sans doutes plus sensibles aux critiques européennes parallèles qu’ils ne l’ont
jamais été durant l’existence69 du PEM et ce à cause d’un regard plus dur des Etats-Unis ”.
Le rôle des États-Unis
24
66 La politique européenne de sécurité et de
défense (PESD), projet consistant à développer une politique européenne de sécurité et
de défense (PESD) indépendante fut lancée
par le Conseil européen de Cologne les 3 et 4
juin 1999, en tant que composante distincte
de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) de l’UE. L’objectif central de la
PESD est de renforcer la capacité de l’UE à
agir sur le plan externe à travers le développement de ses capacités civiles et militaires
en matière de prévention des conflits internationaux et de gestion des crises.
Une analyse des politiques européennes sur la question islamiste ne peut se passer d’un
éclairage sur la politique actuellement menée par les USA vis-à-vis de ces acteurs. Cette
approche est avant tout conditionnée par l’expérience du 11 septembre faite par les USA et leur
volonté d’instaurer un processus de démocratisation dans l’ensemble du monde musulman,
censé conduire à la résorption du terrorisme70. Alors que l’Europe considère la question
islamiste à travers le regard et les attentes des Etats du Sud, suivant, selon les politiques
de ces derniers, leurs dynamiques de libéralisation ou de clôture du champ politique, les
USA eux, s’adressent au monde musulman de façon (trop) globale, souhaitant à travers ce
qu’ils perçoivent désormais comme le « Greater Middle East », influencer l’opinion publique
musulmane, pensée majoritairement comme anti-américaine. Cet anti-américanisme est
compris aux USA comme la résultante de l’influence des mouvements radicaux dits islamistes
et de leur bataille contre le monde libre, notamment au regard du rôle des USA dans les
conflits en Palestine, en Irak et plus récemment au Liban. L’islam dans le monde musulman
est donc largement une affaire de politique étrangère non avouée pour les USA, menée après
l’énonciation par Georges Bush en 2003 du « Muslim World Outreach » et du « Middle East
Partnership Initiative (MEPI) », plan de coopération avec le monde musulman, venant succéder
à la « National Strategy for Combating Terrorism », élaborée par la Maison Blanche.
Les partis islamistes du Maghreb et leurs liens avec l’Europe :
influences croisées et dynamiques de démocratisation 55 Octobre 2006
Parmi les projets menés dans le cadre de cette politique et dans le but de promouvoir un
islam favorable aux dynamiques de démocratisation américaines, Washington a financé
dans l’ensemble du monde musulman de nombreuses émissions de radio et TV islamiques,
des publications auxquelles ont participé des membres de partis islamistes, des think tank
dirigés par des membres de partis islamistes, des cours dans les écoles coraniques, des
workshops pour les militants islamistes sur des questions politiques et aidé à restaurer
des mosquées, des collections d’anciens corans71… En Algérie, des workshops pour
militants islamistes ont été organisés et plus de 1000 anciens manuscrits islamiques ont
été restaurés. Une représentation du National Démocratic Institute a été ouverte à Alger
en 2003 afin de faciliter les programmes de formations, rencontres et consultations avec
les acteurs islamistes. Au Maroc, le PJD a également bénéficié de programmes de training,
dirigés par ailleurs vers l’ensemble des partis politiques marocains.
Ces relations sont néanmoins particulièrement poussées avec le parti islamiste marocain
du PJD. L’assurance d’un succès électoral en faveur du PJD aux élections de 2007 a amené
les USA à soutenir le PJD après les attentats du 16 mai 2003, alors que la classe politique
marocaine réclamait sa dissolution. En échange le PJD ne manqua pas d’encourager les
perspectives de coopération économiques entre le Maroc et les USA. Nadia Yassine, du
mouvement Al ‘Adl wal-Ihsan avait également pu bénéficier du soutien américain lors de
l’affaire de justice qui l’opposait à la Monarchie, après qu’elle eut remis en cause son
existence au Maroc. Une politique de formation des élites islamistes (universitaires,
politiques ou économiques) est menée par les USA, à l’image du rédacteur en chef de la
principale publication islamiste en langue arabe At-Tajdid du MUR, accueillit à l’université
John Hopkins de Washington afin d’y poursuivre des études en sciences politiques et un
cycle de formation au congrès américain. Le PJD a été également invité à intervenir en mai
2006 par le think tank américain Carnegie Endowment for International Peace sur le thème
« Un parti islamique relève le défi de démocratie et de développement ». Ainsi, alors que
les relations entre l’UE et les islamistes légalistes n’en sont qu’à leurs débuts, les relations
tissées entre les Etats-Unis et les partisans de l’islam politique surtout pour les partis
marocains, ont déjà acquis une certaine solidité. Les 31 mars et 1er avril 2006, le PJD a
organisé au Maroc une rencontre intitulée «La prise de décision américaine et son impact
sur les relations américano-marocaines », réunissant des hommes politiques américains
et islamistes marocains du PJD. Le secrétaire général du PJD Saadedine Othmani affirme
que « le but de ce colloque est de comprendre comment la prise de décision est élaborée
aux Etats-Unis, afin de découvrir des alliés potentiels pour notre cause nationale et
pour les affaires arabes et islamiques. Nous voulons sensibiliser les acteurs politiques
et la société civile à assimiler ce mécanisme complexe qu’est le lobbying et la prise de
décision américaine (…) nous voulons explorer d’éventuels partenaires qui peuvent être
nos interlocuteurs, voire même nos partenaires pour un éventuel lobbying en faveur du
Maroc72 ».
Cette stratégie ne se matérialise pas uniquement sur les territoires marocain et algérien à
travers les chancelleries américaines, mais permet aussi aux partis islamistes de se déplacer
à l’étranger souvent dans les chancelleries américaines en Europe ou les administrations
centrales aux USA tels que le Département d’état, le National Security Council (NSC) et le
Congrès, multipliant les réunions avec les islamistes dans le but de connaître leur point de
vue sur l’occupation américaine en Irak, le conflit israélo-palestinien, ou encore la situation
politique de leur pays73.
Pour les USA, l’intérêt pour la question islamiste est également, à l’image de l’Europe,
empreint d’un impératif sécuritaire et d’une volonté de stabilisation politique de la
région. Cependant le cadre de la « bataille des cœurs et des esprits » permet lui aux USA
d’appréhender l’opinion des sociétés civiles, et de favoriser un dialogue avec les partis
islamistes sur les questions politiques internationales. Malgré l’avance prise par les USA
en termes de dialogue avec les partis islamistes du monde musulman, le revers de cette
politique pourrait bien être son aspect globalisant. En effet, les islamistes tout comme le
« Greater Middle East » sont pensés comme un groupe homogène, sans prise en compte de
la diversité de leur environnement politique national et l’enjeu plus large de leur inclusion.
C’est beaucoup plus une demande de partenariat idéologique que font les USA aux partis
islamistes, les interrogeant sur leurs positions normatives74, et leur demandant d’épouser
l’idée d’un rôle accru des USA dans la région, sans réel intérêt pour leurs dynamiques
nationales. Hors nous avons vu de quelle manière ils doivent être considérés comme
des acteurs purement politiques dont les opinions peuvent changer selon la conjoncture
politique du moment. Malgré leur spécificité « islamique », il serait dangereux de les
considérer comme des acteurs religieux, chargés de se prononcer « religieusement » sur
les politiques des USA ou de l’UE, sans se concentrer sur l’enjeu institutionnel d’un plus
grand pluralisme politique dans la région.
67 Sur ce phénomène voir Euromesco Working
Group III, « European Defense – Perceptions
vs. Realities », First Year Report, Paper 16,
2002. Annette Jünemann, “Repercussions of
the Emerging European Security and Defence
Policy on the Civil Character of the Euro-Mediterranean Partnership” in Annette Jünemann
(ed.), Euro-Mediterranean Relations after
September 11. International, Regional and Domestic Dynamics, London, Frank Cass, 2003.
68 Erwan Lannon. «Parlements et société civile
dans la sécurité euro-méditerranéenne », Euromesco working. Papers, n°19, November 2002.
69 Irene Menéndez, Richard Youngs, « The
Euro-Mediterranean Partnership Turns Ten:
Democracy’s Halting Advance? » in Relações
Internacionais, nº 9, 13/03/2006.
70 Yahia Zoubir, “Algeria and US Interests:
Containing Radical Islamism and Promoting Democracy,” Middle East Policy, 9/1, Spring 2002.
71 Pour une liste complète des projets menés
par pays, voir le site du National Endowment
for Democracy, U.S. Agency for International
Development, U.S. Department of State.
http://www.usnews.com/usnews/news/
articles/050425/25roots_11.htm.
72 Mohamed El Hamraoui, « Le PJD veut comprendre le lobyying » in Le reporter, 9/04/2006.
73 « Stratégie : Bush drague nos islamistes »
in Tel Quel, n°177, 21/5/2005.
74 Dans cet esprit, on peut trouver une intéressante description de la « Muslim World
Initiative » menée par l’ United States Institute of Peace aux USA. Retranscrivant une
réunion avec plusieurs responsables islamistes et leurs vues, sous le titre « What Do
Islamists Really Want? » http://www.usip.
org/pubs/usipeace_briefings/2006/0522_
islamists.html.
25
55 Octobre 2006
Une démocratisation
islamique ?
Les partis islamistes du Maghreb et leurs liens avec l’Europe :
influences croisées et dynamiques de démocratisation L’épisode de la non-reconnaissance par l’UE de la victoire démocratiquement acquise
par le Hamas, parti islamiste palestinien, a largement faussé la crédibilité des discours
que l’UE pouvaient tenir sur la démocratisation des pays musulmans tant auprès des
sociétés civiles que des partis islamistes. Aujourd’hui, de nombreux dirigeants de partis
islamistes et leurs militants se posent la question de la possibilité d’une « démocratie
islamique », i.e. un système démocratique s’inspirant fortement du modèle démocratique
européen et de l’islam, mais ayant une trajectoire originale et indépendante des velléités
européennes en la matière75. Dans nos entretiens la majorité des acteurs islamistes ont
en effet déclaré ne pas rejeter la possibilité de se démocratiser « grâce à l’Europe » et son
soutien mais non pas « comme l’Europe ». Ce qui est remis en cause c’est la nécessité
d’être en continuité avec les demandes européennes et de passer exclusivement par les
programmes de démocratisation que l’Europe propose, et dont ils sont souvent exclus, pour
accéder à la démocratie. Les islamistes contestent également, concernant la dynamique de
démocratisation dans les pays du Sud, la promotion par l’UE d’une démocratie à visées
externes, c’est à dire visant à stabiliser et sécuriser les échanges directs de l’Europe avec
ses partenaires (qu’illustre bien l’actuelle direction prise par la Politique Européenne de
Voisinage concernant l’économie, l’énergie, la sécurité, la lutte contre le terrorisme ou
encore la question israélo-palestinienne), au détriment d’une démocratie à visées internes,
à savoir ayant des effets directs sur la société civile et les partis d’opposition (notamment à
travers la liberté d’expression, l’accès des masses à la sphère politique etc.).
Les USA et l’Europe voudraient donc une démocratisation qui leur est propre, se rendant
compte que la dynamique de démocratisation qu’ils ont longtemps promue ne mènera pas
forcément au résultat politique qu’ils souhaitent pour la stabilité de leurs échanges dans la
région, à savoir l’éviction des islamistes, notamment dans le cas du Hamas palestinien76.
Un des signes pouvant témoigner de la volonté naissante de l’UE de prendre en compte
l’ensemble de ces facteurs se trouve dans les recommandations du rapport final du
« Partenariat Stratégique de l’UE avec les pays méditerranéen et du Moyen-orient »,
appelant l’UE à s’engager « avec des organisations politiques non violentes ainsi que des
mouvements à tous les niveaux de la société civile, ce tel engagement étant ouvert à toutes
les organisations dédiées aux moyens77 non-violents et démocratiques ». La négligence
par l’UE des cas de torture et de détention abusive de militants islamistes, l’exclusion
des syndicats professionnels dominés par les islamistes des réseaux EuroMed, ainsi que
l’aspect interculturel donné au dialogue interreligieux ont également renforcé l’idée auprès
des acteurs arabes d’une conception européenne de la démocratie profondément séculière,
ne laissant que très peu de place à l’expression d’identités religieuses78.
26
75 Bobby Sayyid, Fundamental Fear: Eurocentrism and the Emergence of Islamism,
London & New York, Zed Books, 1997.
76 Gregory Causse III, “Can democracy stop
terrorism?” in Foreign Affairs, Septembre-Octobre 2005.
77 See the final report of the EU Strategic
Partnership with the Mediterranean and the
Middle East, The European Commission,
Euromed Report, issue no.78, 24 June 2004.
78 Voir Commission of the European Communities, “Wider Europe Neighbourhood: A New
Framework for Relations with our Eastern and
Southern Neighbours”, Communication from
the Commission to the Council and the European Parliament 11 Mars 2003.Commission
of the European Communities, “Reinvigorating EU Actions on Human Rights and Democratisation with Mediterranean Partners”,
Communication from the Commission to the
Council and the European Parliament: Strategic Guidelines, 21 Mai 2003.
79 Richard Gillespie, Richard Youngs, “Democracy and the EMP: European and Arab Perspectives, Euromesco Brief, n° 6, 2003.
80 Bassam Tibi, “Islam, Freedom and Democracy in the Arab World » in Michael Emerson
(ed..), Democratisation in the European Neighborhood, Center for European Policy Studies (CEPS), Brussels, Octobre 2005.
81 Richard Youngs, “Europe’s Uncertain Pursuit of Middle East Reform”, Carnegie Papers,
No.45, Juin 2004.
Les initiatives de démocratisation promues par l’UE n’inspireraient donc plus confiance à
des acteurs islamistes qui peineraient à s’y identifier. Pour beaucoup d’observateurs, une
réflexion au sein de l’Union sur les valeurs politiques et sociales islamiques, spécialement
concernant la question de la démocratie, aurait pour effet de dissiper le sentiment
d’impérialisme culturel que les pays musulmans peuvent avoir vis-à-vis de l’Europe
dans ses tentatives de démocratisation de la région79. C’est l’idée que les islamistes
seraient un rempart aux dictateurs et un vecteur de démocratisation, en développant
« une éthique islamique de démocratie80» qui ne gère pas le gouvernement mais qui la
soutient, sachant que la démocratie est une culture politique qui peut avoir ces spécificités
culturelles notamment dans le contexte musulman. Puiser dans le patrimoine islamique
des ressources de soutien à la démocratie et aux droits de l’homme, tel que le concept
de shoura (consultation équitable dans un processus de décision politique), le respect
de la loi, la centralité de valeurs morales telles que l’égalité, la justice sociale ou encore
les droits sociaux et politiques des femmes, n’a en effet jamais été envisagé par l’Europe
et une réflexion doit être amorcée sur ces possibilités. L’intégration d’éléments de la
philosophie islamique dans le plaidoyer pour la démocratie ne veut cependant pas dire
rendre exceptionnelle cette question et l’enfermer dans un cadre islamique. Ce qui doit
être évité dans ce genre d’approches, c’est que l’Europe réduise la démocratisation du Sud
à une sorte de dialogue interculturel entre les deux parties, y légitimant l’emploi de normes
politiques différentes de celles dont peuvent bénéficier les acteurs politiques au Nord. C’est
justement l’argument de la « spécificité culturelle islamique » qui a permis à l’autoritarisme
de certains pays arabes de monopoliser la ressource islam et de réprimer toute tentative
d’opposition et de changement. Etre à l’écoute des demandes des sociétés civiles et de ce
qu’elles tentent de construire et ainsi assurer leur représentativité au sein des institutions
dans ces pays, sera dès lors plus efficace que l’obsession actuelle qu’a le Nord pour la
question de la « Réforme arabe », sans arriver par ailleurs à cibler les réformateurs. Il serait
également illusoire et superficiel de considérer les islamistes comme les nouveaux acteurs
politiques miracles de la région, après avoir été pendant longtemps les « intouchables de
l’aide mondiale pour la démocratie81”.
Les partis islamistes du Maghreb et leurs liens avec l’Europe :
influences croisées et dynamiques de démocratisation 55 Octobre 2006
Un renouvellement des élites prenant part tant au Partenariat EuroMed qu’à la Politique
Européenne de Voisinage est aujourd’hui impératif. Le soutien indéfectible aux aspects
autoritaires de certains pays du Sud ainsi que la surreprésentation de leurs élites dans
les programmes de coopération menés par l’UE ne seront pas efficaces afin de résorber
le sentiment que l’Europe est illégitime pour discuter des questions de démocratisation,
opinion de plus en plus présente dans le monde arabe.
L’intérêt que présentent les partis islamistes et les associations de la société civile qui
entrent dans leur dynamique, ne tient pas exclusivement à la question de l’islam. Ce n’est
d’ailleurs sans doute pas le rôle de l’UE d’exacerber l’aspect religieux de ces partis, par
ailleurs extrêmement conjoncturel. Ce qui est sans doute plus intéressant, c’est la possibilité
pour l’UE d’engager une nouvelle dynamique sur les questions de démocratisation à travers
de nouveaux acteurs politiques, assez légitimes aux yeux d’une partie des sociétés civiles
arabes. Il est cependant nécessaire que ces partis islamistes de leur côté s’engagent à
clarifier leur rapport au pluralisme politique et autres valeurs promues par l’UE, non pas de
façon normative selon ce qu’en dirait l’islam, mais bien de façon pragmatique à travers des
programmes de formation conjointement approuvés par l’UE, les Etats et ces partis.
27
55 Octobre 2006
Conclusions et
recommandations
Les partis islamistes du Maghreb et leurs liens avec l’Europe :
influences croisées et dynamiques de démocratisation Tout au long de cette étude nous avons pu voir que le résultat de l’entrée officielle en
politique des acteurs islamistes est double : l’évitement de la radicalisation et la
professionnalisation de ces acteurs politiques. Désacraliser, et en ce sens dédiaboliser,
l’approche que l’UE a de ces partis semble nécessaire pour permettre aux décideurs
européens de se concentrer sur les questions politiques que la présence des islamistes a
fait émerger. Ces partis sortis de leur posture révolutionnaire et engagés dans une gestion
politique des problèmes quotidiens de leurs électeurs doivent être préparés à prendre part
aux programmes de coopération desquels l’UE, au regard de l’opinion d’une grande partie
des sociétés civiles arabes, ne peut désormais plus les exclure.
Le partenariat que l’UE peut avoir avec les partis islamistes doit épouser la dimension
sectorielle des programmes existants dans la région, notamment en y différenciant les
axes politiques, sociaux et économiques. Il n’est pas nécessaire de penser de nouveaux
programmes spécifiquement créés pour les acteurs et organisations islamistes, mais
d’encourager leur inclusion au sein de programmes déjà existants. Cependant, ce travail
d’inclusion nécessite de prendre en compte les points suivants :
1) Entamer un dialogue avec les islamistes :
Les nations auxquelles appartiennent les islamistes en Algérie et au Maroc ont une longue
histoire de coopération avec l’Europe. Par conséquent, leur intérêt pour les politiques
de l’Europe et de ses Etats membres est important, contrairement à d’autres formations
islamistes du Moyen-Orient. Malgré cela les politiques européennes en lien avec la région sont
encore mal connues des islamistes. Il est donc nécessaire que l’UE, notamment à travers ses
délégations dans les pays concernés, entreprenne un travail d’intensification et d’explication
de ses principaux programmes tels que le Partenariat euro-méditerranéen et la Politique
Européenne de Voisinage. Il sera particulièrement important d’associer les militants de base et
les associations islamiques de la société civile à ces formations sur ce qu’est l’Europe.
2) La coopération avec les acteurs politiques :
L’accent doit être mis sur le caractère politique des acteurs islamistes et de leurs
partis, et en cela, il faut différencier l’approche politique des islamistes d’une approche
religieuse ou interculturelle. Ce dont ont besoin les membres de ces partis c’est acquérir
des compétences concrètes et une mise à niveau de leur expérience avec les pratiques
politiques internationales. Les échanges d’expériences entre partis islamistes maghrébins
et fondations / partis politiques européens doivent être promus tant par les Etats membres
à un niveau national que par l’UE dans le cadre des échanges euro-méditerranéens
(notamment à travers l’Assemblée Parlementaire EuroMed).
Dans l’objectif des élections de 2007 qui auront lieu au Maroc et en Algérie, des formations
techniques sur la gestion de projets politiques, sur la conduite de campagnes électorales,
et sur les modalités de coopération avec les institutions nationales et internationales
devraient être mises à disposition des candidats islamistes. Ces formations devront être
aussi pensées à plus long terme et être ouvertes par la suite aux militants de ces partis et
non pas seulement à leurs leaders.
3) La coopération avec les institutions nationales :
L’UE doit favoriser dans ces pays un travail sur le renforcement des institutions nationales
qui n’exclut pas les partis islamistes. Seuls les fonctionnaires choisis par les gouvernements
ont en effet jusqu’ici bénéficié des programmes MEDA de renforcement des institutions.
Les normes professionnelles, notamment à travers la dynamique parlementaire, doivent
être renforcées et la coopération avec les partis laïcs favorisée.
28
La question de la démocratisation, omniprésente dans le Partenariat avec l’UE, devrait aussi
laisser place à un travail commun sur des poins concrets de prise en charge des problèmes
sociaux par les institutions. Cette coopération à travers le cadre concret des institutions
permettra également aux islamistes de gagner en crédibilité, en clarifiant leurs positions
sur ce qui est appelé les « zones grises » (droits des femmes, des minorités religieuses,
moralisation de la vie publique…).
Les partis islamistes du Maghreb et leurs liens avec l’Europe :
influences croisées et dynamiques de démocratisation 55 Octobre 2006
Pour que le Partenariat évolue et continue d’intéresser les acteurs du Sud, l’UE doit favoriser
l’existence de structures nationales indépendantes permettant d’évaluer, de critiquer et de
proposer des ajustements aux politiques européennes sur la région. Engager les islamistes
dans ce type de structures, permettrait de dissiper le sentiment que l’UE ne propose qu’une
démocratisation euro-centrée, qui n’anticipe pas les attentes des principaux concernés.
4) Le rôle des structures islamiques (« religieuses ») :
Les islamistes ne sont donc pas des acteurs religieux et leur inclusion au sein d’un partenariat
doit se concentrer sur la politique. Néanmoins, une multitude d’ONG de la société civile et
d’associations caritatives et humanitaires se sentent proches de leurs idées et ont des
liens structurels avec ces partis. Ces associations que l’on peut qualifier d’islamiques au vu
de leur base religieuse sont aujourd’hui également exclues du Partenariat avec l’UE. Elles
peuvent cependant jouer un rôle utile dans les initiatives interculturelles promues par l’UE,
notamment en relayant les programmes euro méditerranéens pour une culture de paix et
de dialogue dans les mosquées, les écoles coraniques et les associations religieuses. Leur
inclusion au sein de la Plateforme Non Gouvernementale d’EuroMed leur permettrait de
développer des réseaux avec d’autres ONG non islamiques de la région. En retour, une
réflexion pourrait être menée par l’UE sur la possibilité d’utiliser les références islamiques
comme ressource de protection des populations les plus vulnérables. Dans le cadre des
Nations Unies, des initiatives ont ainsi été menées en collaboration avec des associations
caritatives islamiques du monde arabe, chargées de sensibiliser sur la santé reproductive,
la responsabilisation des pères dans la famille, l’usage des drogues chez les jeunes, la
protection des femmes isolées ou encore la condamnation de l’usage de la violence dans
l’islam. Il ne s’agit pas d’islamiser les problèmes sociaux de ces sociétés, mais de considérer
ces acteurs islamiques de terrain comme une ressource potentielle supplémentaire, et non
monopolistique, dans la concrétisation du Partenariat de l’UE dans la région.
5) La question sécuritaire
Les islamistes légalistes sont souvent partisans des positions sécuritaires aujourd’hui prises
par l’UE et leur gouvernement. Si l’impératif sécuritaire est une réalité, ce consensus UEgouvernements-partis islamistes ne doit pas occulter les répercussions que la guerre ou le
terrorisme ont en premier lieu sur les populations, et la préoccupation sécuritaire ne doit pas
rester l’affaire de l’élite politique (dont les islamistes font également aujourd’hui partie). La
société civile doit participer aux débats sur les conflits, le terrorisme ou la radicalisation.
Les sections jeunes des partis islamistes pourraient être invitées à un niveau euroméditerranéen à s’exprimer librement sur les peurs générées par l’insécurité dans la région
et y apporter des solutions tirées de leur expérience quotidienne.
La coopération EuroMed audiovisuelle peut également avoir un rôle important, notamment
en organisant des séminaires de formations entre la presse arabe et européenne sur le
traitement des questions de l’islamisme, du terrorisme et des conflits.
6) La coopération avec la société civile (jeunes et femmes)
Les partis islamistes, sont désormais confrontés à l’émergence de nouveaux profils de
militants notamment parmi les jeunes et les femmes, un défi auquel ils ne savent pas
toujours répondre. Très nombreux au niveau de la base, ils sont largement minoritaires dans
les instances représentatives des partis ou des parlements. Il y a donc d’abord une réforme
interne des partis à promouvoir afin de conférer aux jeunes et aux femmes une place plus
centrale. Le second chantier concerne l’inclusion de ces jeunes dans la Plateforme Jeunesse
d’EuroMed et la sensibilisation de ces femmes aux programmes européens favorisant
l’aspect des genres. Le troisième point se réfère à la transformation actuelle des réseaux
islamistes, notamment avec l’émergence de nouveaux groupes de « business leaders » et
de syndicats professionnels proches de cette tendance. Les programmes de l’UE devraient
également encourager leur participation aux Forum Economique et Forum Syndical
d’Euromed. Le renouvellement des élites islamistes à travers l’existence de ces nouveaux
réseaux, aura très certainement dans les dix prochaines années un effet important sur la
transformation structurelle et idéologique des partis islamistes.
29
55 Octobre 2006
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Les partis islamistes du Maghreb et leurs liens avec l’Europe :
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55 Octobre 2006
Précédentes
Publications
EuroMeSCo
Daniela Pioppi, Nathalie Tocci, Karam Karam, Politiques intérieures et conflit dans les cas
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Eduard Soler i Lecha, Debora Miralles, Ümit Cizre, Volkan Aytar, Réformes du secteur de la
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Roberto Aliboni, Yasar Qatarneh, Le futur du PEM dans un contexte de relations
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