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T R I B U N E
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L I B R E
LE POINT DE VUE DES ÉTUDIANTS
QUELLES innovations POUR DEMAIN ?
Nous avons demandé à nos huit étudiants de partager avec nous leurs avis sur le monde qui se dessinE,
modelé par les innovations et les nouvelles technologies. Quelles sont les tendances qui les motivent,
les interpellent ou les fascinent ? ET celles qui les inquiètent, les alertent ou même les répugnent ?
voici leurS points de vue, sans concession.
J’en veux +
Désormais, un ordinateur peut « reconnaître » une image et la rendre intelligible en
l’associant à des mots-clés. La marge d’erreur reste encore importante et les modèles
perfectibles, mais l’amélioration promet d’être rapide et exponentielle puisqu’il s’agit de
machines programmées pour apprendre de leurs erreurs.
Camille Chalons
Les organisations modernes
Je veux plus d’organisations qui privilégient : la recherche de sens à la poursuite du
profit, l’organisation en réseau à celle en silos, une approche lean et adaptative à la
tyrannie du planning et des process. Je veux que la créativité et la disponibilité soient
reconnues comme facteurs de succès, plus que les procédures et la hiérarchie.
Florentin Aquenin
Open Data
Ouvrir les données de l’État c’est l’ouvrir à l’innovation et à un modèle où le citoyen
s’engage dans la société en tirant profit de données libres. On peut déjà voir les effets
bénéfiques de la plateforme d’échange de données française Etalab, qui apporte de la
transparence et permet à de nombreuses initiatives de voir le jour.
Julien Morganti
Le management 3.0
En tant qu’élève-ingénieur, j’ai un penchant naturel pour tout ce qui relève de
l’innovation technologique. Mais en tant qu’élève-stagiaire ayant déjà eu affaire au
monde du travail, je reste convaincu que c’est dans le domaine du management que tout
rester à inventer. Comment faire converger une organisation vers un état d’intelligence
et d’épanouissement collectif ? Voilà le vrai challenge de demain.
Léo Jacquemin
Plus de transparence dans les données
Il faudrait pouvoir savoir de manière simple et transparente ce que Facebook,
WhatsApp, Twitter, Google et autres services font de nos données personnelles.
Cela passerait par des conditions d’utilisation plus simples à comprendre, sachant
qu’aujourd’hui la plupart d’entre nous valident ces conditions sans prendre
la peine de les lire.
Yacine Najji
Management « lean et participatif »
Il est nécessaire d’arrêter de créer des positions de middle management sans fin, car cela
crée une dissolution de la responsabilité qui empiète aussi sur l’efficacité et la qualité du
travail. Une autre facette du management lean est qu’il faut remplacer toutes les activités
de mesure par des activités d’action. Cela redonnera de la valeur au travail collaboratif.
Célia Mebroukine
Financer les bonnes idées
Adobe a décidé de booster l’innovation en finançant toutes les idées de ses employés,
quel que soit leur poste dans l’entreprise. La Kickbox contient une liste de conseils et une
carte de crédit prépayée de 1 000 dollars. Vous pouvez utiliser ce budget comme bon il
vous semble pour développer votre idée, sans avoir de comptes à rendre.
Florian Gagnadre
J’ai récemment testé les premiers exemplaires à domicile et j’ai été fasciné par la
complexité des objets designés. Au regard du potentiel de ces machines, je suis
persuadé que cette technologie apporte une rupture en termes de créativité et favorise
un développement socio-économique plus équilibré.
Emeric Dhelens
Une sécurité en péril
« Nous autres Français avons un attachement émotionnel aux données, les Américains ont
un attachement transactionnel » (Yseult Costes, pionnier du marketing interactif). Parce
qu’elles sont reliées à un numéro de téléphone, les applications ont accès à nos données
personnelles d’une précision inouïe, au détriment de notre sécurité.
Camille Chalons
Les organes artificiels
Je préfère 80 ans vécus à fond à une course aveugle à l’espérance de vie. Je suis
favorable aux augmentations du corps humain qui peuvent augmenter le niveau de vie,
mais sans que cela se transforme en un évitement névrosé de la mort. Bref, Ray Kurzweil
et son « intelligence non-biologique » : à consommer avec modération.
Florentin Aquenin
Une France en retard technologique
La polémique ouverte par Uber est à mon sens le signal d’un problème profond. Notre
environnement économique ne nous permet pas d’intégrer facilement les changements
de paradigmes. Si on ne peut pas les intégrer, comment les générer ? Je ne veux pas d’un
pays où les règles incitent à l’immobilisme et les entrepreneurs à partir.
Julien Morganti
L’intelligence artificielle
L’intelligence artificielle me rend assez sceptique, et pour être complètement honnête,
me fait un peu peur. Si nous sommes capables de générer de l’intelligence, qui peut
prédire ce qu’elle sera à son tour capable de générer ? De manière assez étrange,
l’être humain du futur, mi-homme, mi-machine, m’apparaît comme quelque chose de
fantastique. Une intelligence artificielle en revanche, me fait froid dans le dos.
Léo Jacquemin
La cybercriminalité
Conséquence immédiate d’un réseau internet comprenant des failles, la cybercriminalité
a connu une expansion exponentielle sur les vingt dernières années. Les institutions
législatives sont mal équipées pour trouver les cybercriminels et les lois actuelles sont
loin d’être adaptées à ce type de criminalité, qui continuera d’évoluer.
Yacine Najji
Le développement d’une IA sans garde-fous
Développer des programmes d’intelligence artificielle qui nous permettent d’améliorer
notre quotidien et de vivre mieux et plus longtemps, je suis pour ! Mais attention aux
dérives, à partir du moment où nous faisons un grand saut dans l’inconnu, il faut s’assurer
d’avoir défini démocratiquement des règles éthiques à respecter.
Célia Mebroukine
Le milk-shake du futur
Manger varié est-il si important? Non, d’après des américains qui développent Soylent,
une boisson permettant de couvrir tous les besoins nutritionnels quotidiens et de servir
ainsi d’alimentation principale ou unique. Une boisson économique et bonne pour la
santé. En revanche, adieu le plaisir de manger et la convivialité à table.
Florian Gagnadre
Des technologies (trop) prédictives
Le Big Data ouvre un champ inimaginable de modélisations sur les comportements
sociétaux et individuels avec la promesse d’anticiper le moindre de nos choix. Si je
conçois l’intérêt pour une société de réduire le risque, j’aurais le sentiment de me voir
déposséder de ma liberté, de mes capacités électives et surtout de perdre toute notion
de hasard et de découverte. Comme si la machine me connaissait mieux que moi.
Emeric Dhelens
Chaque édition, l’USI réunit des speakers inspirés
venus partager leur vision de nos sociétés et de l’impact
des technologies sur nos vies. Cette année - grâce aux
écoles Centrale et ESSEC - nous avons voulu inclure
à ces échanges une génération qui aura la charge de
construire le monde de demain. En start-ups, travailleurs
indépendants ou dans les grandes entreprises, leur avenir
se jouera dans un contexte de disruption (technologique,
du travail, culturelle). Il est plus que jamais temps de leur
demander leur avis sur le digital et sur son héritage !
Nelly Grellier, Directrice de la communication
OCTO et USI.
l’ I nnov a tion pou r tous
S i l e x i d : u n m a g a z i n e , u n n e w s p a p e r , d e s c o n f é r e n c e s , u n e c o m m u n a u t é , u n e p l a t e f o r m e w e b
ESSEC BUSINESS SCHOOL
Le développement de l’ESSEC est guidé par la conviction
que le leader moderne doit combiner les compétences de
l’ingénieur et celles du manager. Si, depuis notre alliance
stratégique avec Centrale-Supélec, nous avons lancé un
Centre d’Excellence pour le Business Digital et développé
des programmes communs, c’est parce que nous pensons
que c’est en croisant les perspectives que nous pourrons
mieux comprendre le monde digital. La vision d’USI va
dans le même sens. Cette édition spéciale articule des
regards croisés et donne à nos étudiants l’opportunité
de prendre dès à présent un rôle de thought leader en
s’appropriant les idées qui feront le monde de demain.
Nicolas Glady, Directeur du Centre pour le Business
Digital de l’ESSEC.
L’INTELLIGENCE
ARTIFICIELLE
Julien Escribe, en charge de l’enseignement IT Business
à l’École Centrale Paris.
Silex ID Newspaper est une publication de Silex ID – Directeur de la publication : Matthieu Vetter – Directeur des contenus : Daniel Geiselhart – Directeur Artistique : Yann Taeger – Stagiaire : Anais Bozino – Community Manager : Olivia Chevallier –
Rédacteurs : Florentin Aquenin, Camille Chalons, Emeric Dhelens, Florian Gagnadre, Léo Jacquemin, Célia Mebroukine, Julien Morganti, Yacine Najji – Illustrations : Sophie Delronge, Tonu – Imprimé en France par Imprimerie Léonce Deprez - Distribution
MLP – Textes, illustrations et photos copyright Silex ID, 16, rue Saulnier, 75009 Paris – SAS au capital de 9 000€ – Fondateurs : Léonce Deprez et Matthieu Vetter – Contact : 06 81 83 55 07 [email protected][email protected][email protected]
– Dépôt légal à parution – Commission paritaire : en cours – Abonnement : www.silex-id.com.
été 2015
1 eur
w w w. s i l e x - i d. c o m
INTERVIEWS-FLASH
3 QUESTIONS À :
« La technologie nous
rend plus humain. »
C éd r ic V ill a ni
Salim Ismail
Il va vous faire aimer
les chiffres ! P A G E 2
La superstar
des maths
PA G E 2
D É C R Y P TA G E D E T E N D A N C E S
1 . O P E N D ATA
2. MANAGEMENT 3.0
3. GROWTH HACKING
O pen D a t a
Quoi ? L’Open Data rend accessible au public un grand
nombre de données provenant des institutions publiques
ou des entreprises.
Quand ? En 2011, la France lance la plateforme de partage
de données publiques data.gouv.fr. La société civile peut
enrichir les données publiées par l’État et les entreprises
en créant de l’information utile à l’intérêt général.
La plateforme a vu naître récemment un simulateur,
OpenFisca, pour prévoir ses obligations fiscales.
Pourquoi ? L’Open Data renforce la démocratie, stimule
l’innovation pour remédier à des inefficacités prouvées par
l’analyse des données et modernise l’État en rendant plus
facile la transmission des données entre les institutions.
M a n a gement 3 . 0
Quoi ? Le Management 3.0 est un concept redéfinissant
la notion de leadership. Pour devenir Manager 3.0,
appuyez-vous sur l’intelligence collective afin d’atteindre
les objectifs de votre organisation. Et surtout, faites du
bonheur de vos collaborateurs une priorité !
C ent r a le S U P É L ec
Les étudiants de l’École Centrale Paris sont conscients de
la place qu’ils ont à jouer dans notre économie digitale,
dans un monde connecté. La participation d’élèves de
l’option Informatique de 3e année à l’événement USI 2015,
aux côtés d’OCTO Technology, est très importante pour
l’école. Éclairés par les conférences de ces deux jours,
leur regard curieux et candide (mais toujours acéré et
pertinent !) sur les évolutions numériques de notre société
leur permettra d’apporter leur pierre à l’édifice lorsqu’ils
entreront dans la vie active dans quelques mois. Nous
comptons sur eux pour être des digital managers avertis dès
demain !
#02
Un numéro spécial écrit par des
étudiants en partenariat avec
Unexpected Sources of Inspiration
D U M Y T H E à l a r é a lité ?
Quand ? Développé par Jurgen Appelo en 2010 dans
nos partenaires
O C TO T E C H N O LO GY
newspaper
J’en veux
La reconnaissance visuelle
L’impression 3D
1T
2 0 1 5
nouveau
É T É
newspaper
ON THE ROAD AGAIN
L’AVENIR
DE LA MOBILITÉ
La circulation des personnes et des informations semble
ne connaître aucune limite dans un monde sans frontière.
5 500 ans après l’invention de la roue, il est temps pour
nous de reconsidérer la manière dont nous nous déplaçons. Alors, serons-nous de pieux sédentaires ou d’illustres
voyageurs ? Ou peut-être les deux en même temps ?
S uite P A G E 6
sile x g r a phie
Découvrez notre jeu de l’oie
du futur !
PA G E S 4 - 5
l’un de ses best-sellers, le Management 3.0 est désormais
adopté par des organisations de toute taille, qui essaient de
l’intégrer à leurs structures.
Pourquoi ? Le but du Management 3.0 est d’augmenter
la productivité, d’attirer et de garder les jeunes talents au
sein de son organisation, en étant soucieux plus que ses
prédécesseurs de l’ambiance au travail.
G r o w th H a c k ing
Quoi ? Pourquoi avez-vous donné votre adresse mail à
ce site que vous ne connaissiez pas il y a dix minutes?
Ne cherchez pas, vous venez d’être victime de Growth
Hacking, et vous n’êtes pas le seul. Une équipe a testé
méthodiquement tous les outils du webmarketing pour
faire en sorte de vous attirer.
Quand ? Les start-ups de la Silicon Valley sont à la pointe.
Airbnb a « hacké » légalement le site de petites annonces
Craiglist, très populaire aux États-Unis, pour publier les
siennes et gagner en visibilité.
Pourquoi ? Générer de la croissance exponentielle à
moindre coût grâce à l’utilisation des données. Une
croissance du nombre d’utilisateurs, de clients, de
followers... Les objectifs sont infinis.
M i k k o H ypp ö nen
Le shérif
du Web
Les cybercriminels n’ont
qu’à bien se tenir ! PA G E 6
édito
Une collaboration de passionnés
Il y a quelques mois, les équipes d’OCTO Technology
ont décidé de nous inviter, nous, huit étudiants de
l’Essec Business School et de Centrale Supélec, aux
journées de conférences USI – Unexpected Sources
of Inspiration. Quelques semaines après avoir reçu
cette nouvelle, nous avons rencontré l’équipe de
Silex ID qui nous a proposé de collaborer pour écrire
et publier notre expérience, nos impressions avec
eux et nos questionnements. Le numéro que vous
tenez entre vos mains est donc le résultat de quatre
mois de travail et de collaboration entre étudiants
et professionnels passionnés de l’innovation et des
nouvelles technologies.
Nous représentons une jeune génération connectée
qui côtoie au quotidien des innovations en
bourgeonnement, en essor pour la grande majorité
mais parfois aussi sur le déclin. C’est dans cet
environnement bouillonnant que notre curiosité nous
pousse à toujours vouloir en savoir plus sur ce que
sera le monde de demain. Et dans ce numéro, nous
voulons partager avec vous ce qui nous fascine, ce
qui nous fait rêver mais aussi ce qui fait peur dans
ce monde de demain qui arrive à toute vitesse.
Grâce à l’aide des journalistes de Silex ID, et en
participant aux conférences USI les 2 et 3 juillet
derniers, nous avons réussi à communiquer sous une
forme simple, accessible et parfois même ludique
les sujets que nous considérons comme les grandes
avancées et les grands défis technologiques et
éthiques des années à venir. Joli programme, non ?
Célia, Florian, Yacine, Léo, Emeric, Julien,
Camille et Florentin.
L 12793 - 2 - F: 1,00 € - RD
2
É T É
newspaper
L’ intelligence a r tificielle
Du my the à la réalité
Texte : Célia Mebroukine & Julien Morganti
L’intelligence artificielle, un thème de blockbuster américain? Déjà présente
dans notre quotidien et étonnamment performante, elle représente une
rupture technologique majeure qui pose de nombreuses questions éthiques.
D’autant que personne n’est capable de savoir à quoi elle ressemblera demain...
al, Skynet, Jarvis,
GLaDOS. Qu’ont donc
ces quatre noms en
commun ? Ce sont des
intelligences artificielles
(IA) de fiction. Parfois
gentilles, souvent
cinglées et dénuées de
sentiments, leur présence dans la littérature,
le cinéma et les jeux vidéo confirment les
mythes que nous créons et les questions que
nous nous posons sur leur apparition dans
nos vies. Ces angoisses sont-elles fondées ?
Avant qu’une IA ne se retourne contre
nous comme dans un film hollywoodien, le
chemin à parcourir reste long…
H
Une idée qui ne date pas d’hier
© Universal Pictures
L’IA est avant tout le prolongement naturel
d’une histoire qui a commencé lorsque nous
avons créé les premiers outils pour nous
aider dans nos tâches quotidiennes. Cette
évolution de la technique s’est fortement
accélérée depuis le XIXe siècle au travers
des révolutions industrielles qui nous ont
apporté les machines et les ordinateurs.
Selon Chris Anderson, CEO de 3D Robotics
et ancien rédacteur en chef de Wired, nous
approchons d’une troisième révolution
industrielle où il suffira de « presser un bouton
pour que la machine travaille pour nous ».
Le développement de l’ordinateur a permis
de créer et d’imaginer des algorithmes
de plus en plus complexes, qui d’après la
définition de Cédric Villani, directeur de
l’Institut Henri-Poincaré et lauréat de la
Médaille Fields, « est une suite d’opérations
élémentaires destinées à résoudre un certain
problème. La multiplication, l’addition avec
retenue en sont aussi ». Dans les années
60 grâce à l’apparition des premiers
ordinateurs, des algorithmes de plus en plus
sophistiqués ont été créés afin de résoudre
des problèmes complexes. Gordon Moore
a énoncé des lois stipulant que les capacités
de calcul des machines doublaient tous
les dix-huit mois. Cette loi s’est vérifiée
lors des cinquante années suivantes et a
été largement reprise par les fondateurs
de la Singularity University, en particulier
Raymond Kurzweil, directeur de l’innovation
Dans Ex Machina, Caleb, l’un des plus brillants codeurs du monde, fait la rencontre d’Ava, une intelligence artificielle prenant la
forme d’une femme-robot. Et si un jour les IA nous regardaient comme si nous étions des primates en voie d’extinction ?
de Google et grand penseur de l’IA. À
travers son concept de « Law of Accelerating
Returns », Kurzweil considère que la loi de
Moore peut en réalité s’appliquer non pas
seulement à l’informatique mais à tous les
domaines touchés par les technologies de
l’information et atteindre une croissance de
100 % tous les dix-huit mois.
Machines et algorithmes AU
quotidien
Aujourd’hui, il existe deux principaux types
d’IA. Celle de la Google Car décrite par
Yann LeCun, directeur de la recherche en
IA chez Facebook, est une IA faible, comme
les algorithmes de publicité en ligne, les
moteurs de recherche Google ou Bing et
même les programmes d’assistance à la
conduite de nos voitures. Ces intelligences
ont pour but de remplir des objectifs précis
et sont parfois capables d’apprendre de
leurs expériences pour s’améliorer. Elles
ne font donc que ce pour quoi elles sont
conçues et Yann LeCun le confirme : « les
systèmes automatiques piloteront sans doute mieux
que nous, mais ils ne feront que ça ». L’IA forte,
quant à elle inexistante dans l’état actuel de
la technique, est censée apprendre, évoluer
et s’adapter au changement comme le ferait
un humain. Deux jalons importants sont
identifiés dans son évolution : l’atteinte
d’une « IA générale » aux capacités
intellectuelles similaires à celles de l’Homme
et l’étape de la « super-IA » qui sonnerait
l’heure d’une intelligence grandement
supérieure à l’Homme et en constante
progression.
La forme la plus répandue de cette IA
faible est le machine learning. Bernard
Ourghanlian, CTO de Microsoft France,
explique qu’ « à travers le développement du
machine learning, il y a eu l’idée de croiser
deux domaines qui n’avaient jusqu’à présent
pas beaucoup travaillé ensemble : l’informatique
et les statistiques ». Le machine learning
« remplace un algorithme classique informatique
par un problème d’optimisation, qui détermine
la probabilité qu’un modèle élaboré à partir
de données représente une réalité ». Ainsi la
machine améliore sa capacité à résoudre
des problèmes en collectant des données
à chaque évènement pour résoudre plus
2 0 1 5
efficacement le problème suivant. La
lutte contre le spam est un des premiers
exemples de machine learning, qui utilise des
méthodes statistiques simples, « qui datent
du XVIIIe siècle », que l’on apprend « au
lycée ou en début de scolarité dans le supérieur,
mais qui permettent de prédire si un message
est un spam ou pas ». Aujourd’hui, Google
et Facebook travaillent sur des systèmes
intelligents de reconnaissance d’image qui
se basent sur des outils statistiques inspirés
des réseaux neuronaux inspirés eux-mêmes
des neurosciences. À travers ces travaux,
Yann LeCun s’attend à une « révolution de
l’apprentissage du langage naturel grâce aux
réseaux de neurones ». Il observe ainsi que,
comme pour l’Homme, une machine qui
a déjà appris un langage en apprend plus
facilement un second. Le principal frein
à l’autonomisation complète de ce type
d’intelligence réside en réalité dans le fait
que l’Homme doit toujours intervenir pour
aider la machine à apprendre. Aujourd’hui,
sans l’Homme, « on ne sait pas faire et c’est un
énorme obstacle », même s’il est vraisemblable
que cette limite soit un jour dépassée.
Frey et Michaël Osborne, deux chercheurs
d’Oxford, de nombreux métiers sont
voués à être remplacés par des machines
intelligentes à moyen terme. C’est ce
potentiel d’application qui encourage les
entreprises à se lancer dans l’IA afin de
profiter de la croissance exponentielle
qu’elle permet. L’écosystème de start-ups
aux États-Unis et en Europe est largement
basé sur des systèmes d’IA qui proposent
d’automatiser des services à la personne, tels
que le diagnostic médical, ou l’analyse et la
prédiction du trafic routier.
Les forces se rassemblent pour développer
une IA aussi puissante que l’intelligence
humaine. Et cela en fait rêver plus d’un !
Depuis maintenant une vingtaine d’années,
de nombreux scientifiques ont attendu
l’avènement de l’IA que nous connaissons
aujourd’hui et prédisent, Raymond Kurzweil
le premier, que l’humanité connaîtra avant
2050 un évènement charnière inévitable : la
singularité technologique. Pierre angulaire
de la philosophie transhumaniste, qui prône
l’usage des sciences et des technologies
pour améliorer les capacités physiques et
intellectuelles de l’Homme, Kurzweil la
définit comme « un point où la technique
progressera si vite qu’une intelligence humaine
non améliorée ne sera pas capable de la suivre ».
Mais pourquoi Google et Facebook sontils à la pointe de la recherche dans ce
domaine ? Quel intérêt ont-ils à développer
des programmes d’IA ? Aux États-Unis,
Facebook identifie automatiquement ses
utilisateurs et cette reconnaissance visuelle
permet à la fois d’en reconnaître le visage
mais aussi de comprendre le contexte d’une
photo grâce à la reconnaissance des objets
et de l’environnement. Facebook recueille
ainsi des données sur les hobbies de ses
utilisateurs. Comme le dit Mikko Hyppönen,
expert en sécurité informatique finlandais,
« la seule manière de payer nos services sur le
web, c’est avec nos données ». Celles-ci gagnent
en valeur lorsqu’elles sont fiables, et quoi
de mieux qu’une IA développée pour les
extraire et les comprendre ?
L’évolution rapide de la technologie
provoque l’enthousiasme, mais aussi
l’inquiétude de nombreux intellectuels et
pose la question de l’avenir de l’Homme
face à des machines toujours plus
intelligentes. Les premiers à s’inquiéter sont
des personnalités éminentes du domaine
comme Bill Gates, Elon Musk et Stephen
Hawking. Ce dernier avait d’ailleurs partagé
son inquiétude dans un entretien avec la
BBC en expliquant que « les formes primitives
d’IA que nous avons déjà se sont montrées très
utiles. Mais je pense que le développement d’une
IA complète pourrait mettre fin à l’humanité ».
Mais pour Salim Ismail, entrepreneur et
porte-parole de la Singularity University,
ce scénario hollywoodien qui verrait les
machines gouverner n’a pas lieu d’être car
l’Homme et la machine sont incomparables.
Il ajoute que « l’intelligence humaine a développé
des capacités d’adaptabilité et de flexibilité, or on
observe que l’IA évolue de manière complémentaire
et non à l’identique ». Selon Salim Ismail,
l’IA est donc avant tout complémentaire
et bénéfique. « Je ne peux pas sortir de chez
moi sans mes objets technologiques. Sans eux je
ne pourrais pas communiquer avec mes amis ni
savoir ce qu’ils font et je perdrais une partie de ma
mémoire : en d’autres termes, cette technologie me
rend plus humain » assure-t-il.
La « super-IA »
sonnerait l’heure
d’une intelligence
grandement
supérieure à l’Homme
et en constante
progression.
Face à l’augmentation des systèmes
intelligents et des robots dans notre
quotidien, certains préconisent d’acter
leur existence à travers la création d’un
statut juridique spécifique, nécessaire
à l’encadrement des interactions entre
l’Homme et les IA. C’est notamment ce
que propose Alain Bensoussan, avocat
spécialisé dans le droit des technologies
Une intelligence capable de
surpasser celle de l’Homme ?
En y regardant de plus près, cette utilisation
peut paraître anecdotique lorsque l’on
sait que la majorité des entreprises sont
intéressées par l’IA pour l’automatisation
de leur processus. D’après Carl Benedict
3
A R T I C L E
avancées. Sur son blog, il explique le
concept de « personnalité-robot », un statut
juridique qui permettrait de recenser
tous les programmes d’IA en activité et de
mettre en jeu une responsabilité (celle du
robot lui-même, de son fabricant ou de son
propriétaire) afin de donner à ceux qui
interagissent avec lui des recours possibles
en justice en cas de litige ou d’accident.
Ce statut juridique donnerait aussi des droits
aux robots et aux programmes intelligents
tels que le droit à l’intimité et à la protection
des données, notamment pour les robots qui
interagissent avec des personnes malades
et utilisent leurs données privées pour
fonctionner.
La disruption est à vos portes…
D’autres initiatives voient le jour pour
accompagner le développement de l’IA et
relèvent d’un état d’esprit tout de même
« La technologie nous
rend plus humains. »
Salim Ismail
positif face au développement de l’IA. En
effet, d’autres voient encore plus loin et
réfléchissent à un projet de société construit
autour de l’interaction entre l’Homme
et la machine. C’est notamment le cas de
l’Association française transhumanisteTechnoProg qui milite pour que le débat
sur le transhumanisme prenne place sur la
scène publique et qui cherche à « promouvoir
les technologies qui permettent ces transformations
tout en prônant une préservation des équilibres
environnementaux, une attention aux risques
sanitaires, le tout dans un souci de justice
sociale ». Dans un contexte où l’Homme
a de plus en plus la main sur le futur de
son évolution, l’AFT-TechnoProg propose
d’analyser tous les scénarios possibles de
manière démocratique et de choisir un
projet de société optimal afin de ne pas
laisser les évènements décider à notre
place. Les personnalités qui s’inquiètent de
l’avenir de l’IA lancent aussi des initiatives
positives, comme Elon Musk qui a investi
dix millions de dollars dans le Future of Life
Institute dont l’objectif est de « garder l’IA
fiable et bénéfique ».
Loin d’être la seule affaire des
scientifiques et des experts, le débat sur le
transhumanisme et la place des machines
dans notre société intéresse aussi la société
civile, et doit faire l’objet d’une réflexion
publique large. Lorsque l’on met cette
évolution en perspective, l’Histoire nous
prouve que la fin de l’Humanité a souvent
été prédite.
Cependant, nous avons toujours réussi
à intégrer le progrès dans une logique
d’amélioration et non de dénaturation de
nos capacités physiques, intellectuelles et
émotionnelles.
3 questions à… Cédric Villani
Directeur de l’Institut de recherches
mathématiques Henri-Poincaré à Paris,
Cédric Villani a reçu la médaille Fields
(2010), récompense la plus prestigieuse en
mathématiques. Accessible et compréhensible,
il intrigue autant qu’il passionne.
Les mathématiques vont-elles un jour réfléchir
à la place de l’Homme ?
Les humains ont toujours peur que la créativité
leur échappe ! Mais ce n’est pas pour demain, et
je ne pense pas le voir de mon vivant. On peut
penser qu’on se rapproche de mécanismes
comme ceux à l’œuvre dans nos cerveaux, mais
même sur des tâches simples on est très loin
des mêmes performances.
La musique peut-elle être considérée comme
une structure mathématique ?
Ce qui est mathématique dans la musique, ce
sont les combinaisons de hauteurs de notes, les
rapports de durée, ou la théorie des gammes.
Mais le lien reste relativement superficiel, le
musicien ne pense pas en mathématiques. C’est
vrai qu’en général, la musique est clairement
l’art préféré des mathématiciens ; plus que les
autres, la musique est un art abstrait par nature.
En cela, ça va bien avec les mathématiques.
Rejoignez la communauté
Faut-il tuer les littéraires ?
Vous me faites bien rigoler, le littéraire est
dominant en ce qui concerne la culture
scientifique et la façon de parler. Dans notre
système scolaire, la voie S est une voie
généraliste déguisée en filière scientifique.
Il faut une vraie filière scientifique, dans
laquelle même les forts en lettres seront obligés
d’aller, une vraie filière littéraire, et une vraie
filière techno. On les oublie toujours, ils sont
méprisés mais pas moins importants. C’est un
scandale qu’il n’y ait pas de filière pour ceux
qui font le choix des sciences ou du travail
manuel tout en laissant de côté la philosophie
et l’histoire.
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© Laurence Honnorat
par Florentin Aquenin & Camille Chalons
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Silex ID #2 (Dossier sur le Transport)
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Silex ID #4 (Dossier sur la Ville de Demain)
Silex ID #5 automne 2015
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A R T I C L E
F r e a k y Te c h D a y - l e s l é g e n d e s
1. Dérèglement de ta mise en sommeil électronique, tu ouvres
les yeux avec trois semaines de retard. Tu peux passer ton tour.
2. Tu te réveilles aux côtés d’un androïde rencontré sur
AdopteUnRobot la veille au LinkedInPark. Avance donc de 5 cases.
3. Les e-news t’apprennent que la Société Géniale a fait faillite
et été rachetée 4x en une nuit. Tu regrettes les années 2008.
4. Ton tweet de la veille a résolu le conflit en Somalie, on te
décerne le prix Nobel de la paix. Respire, et avance de 5 cases.
9. Mauvaise programmation de tes chaussures de running
connectées, ton jogging se transforme en marathon. Passe ton
tour !
10. Le RER-B24 est down. Tu en profites et dépasses le niveau
3000 à Tétriste. Félicitations, avance de deux cases.
11. Tu as oublié de recharger ton robot domestique qui n’a pas
pu laver ton linge. Le code des robots est formel : recule d’une
case.
16. Après analyse graphico-légale de tes posts Facebook, le
service client d’Amazon est heureux de t’envoyer un Bescherelle.
23. Weird : Airbnb a loué ton appart à un drone Dreezer pendant
ton absence sans autorisation. Tu perds le procès, recule de 3 cases.
17. Ton robogynéco a fait une segmentation fault,
l’accouchement de ta cousine a lieu quatre mois plus tôt,
et tu recules de 3 cases.
24. Il faut faire tes valises, mais ton imprimante 3D ne veut plus
imprimer ce modèle de valise car selon elle, il est démodé.
18. Ta cigarette intelligente refuse que tu la fumes car tu
risques d’avoir un cancer. Avance de 2 cases.
19. Formation Management 3.0 au dernier étage. Ton n+2,8
te croise dans un couloir et t’invite boire un verre. Avance de 5
cases.
5. Pas le temps de petit-déjeuner, heureusement qu’il te reste
des apple-meal-calorigum. Te voilà au top, avance d’une case.
12. Aujourd’hui, c’est Black Friday : shopping en ligne, un drone
t’aide et vient déposer tes nouvelles affaires directement chez
toi.
6. Coupure d’eau pour avoir consommé plus que la dose de
Nutello autorisée. Le lobby écolo martien a encore frappé.
13. Tu oublies tes clés chez toi. Ta smart-door le tweete et tu te
sens con. Tu ripostes par un contre-tweet. Passe ton tour.
20. Une idée de génie te vient pendant ton repos. Tu regardes
ton rêve en replay en boucle, puis tu crées ta start-up. Avance
d’une case.
7. Ton compte YouTube s’est fait hacker et te filme à ton insu
sous la douche. Ok le ridicule ne tue pas, mais passe ton tour !
14. Tu tombes sur un jeu de l’oie des années 2000 et mets une
heure à comprendre les règles. Tu te donnes un tour avant de
reprendre.
21. Ta start-up décolle en trois heures. Google fait une offre à
5 milliards mais tu attends deux heures de plus qu’elle soit en
bourse. Business is business !
15. Tes supérieurs voient que tu joues à X-Tweetch pendant les
réunions. Et en plus, tu y joues mal. Recule donc d’une case.
22. Une notif t’informe que ton robot a une indigestion. Les
soins à distance, c’est galère, tu passes ton tour !
8. Tu testes le dentifrice de Google sur un coup de tête, et te
dis que le Siri-White d’Apple était quand même beaucoup
mieux.
25. Enfin ! Tu postes sur Facebook que tu es enfin en vacances
et que c’est bien mérité. Personne ne like, tu passes 2 tours.
26. Quelqu’un a hacké le système IT du train et vous a emmené
à San Francisco au lieu de Limoges, tu recules de 5 cases.
27. Damn! Tes nouvelles jambes bioniques ne sont pas
compatibles avec la dernière mise à jour de tes poumons.
Recule de 3 cases.
28. Tu découvres que ton passeport interspatial est arrivé à
expiration hier. Ce n’était vraiment pas ta journée. Recommence
à zéro.
29. Tu commandes un Blabladrone sur ton iPhone 13.2,
Schumabot aux commandes, mets ta ceinture, et profite de tes
vacances !
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on the r o a d a g a in
ils ont dit
Yann Le Cun, directeur de la recherche
en IA chez Facebook
« Chacun d’entre-nous a dans sa
poche un objet qui est plus puissant
que ce qui nous a emmené sur
la lune. »
Aaron Dignan, CEO d’Undercurrent
« Même lorsque vous avez
la bonne idée, qu’elle est prête à
envahir le monde, ça ne se passe
pas forcément comme prévu. »
Cédric Villani, mathématicien
« Nous sommes designers parce que
nous adorons créer, mais la création
sans responsabilité, ça amène à la
destruction. »
Mike Monteiro, designer
« Semer la pagaille,
on ne dit pas ça en
entreprise, on dit : il
faut innover ! »
Philippe Gabilliet, spécialiste de la motivation
et des stratégies mentales de la réussite
« Parfois j’ai l’impression qu’en
connectant tous les objets que nous
avons à Internet, nous sommes en
train de construire un monstre ! »
Mikko Hyppönen,
spécialiste de la cybercriminalité
qu’il contient d’exploration et de hasard ?
Dirk Ahlborn, responsable du programme
Hyperloop, semble paradoxalement prédire
une sédentarisation des hommes : « avec le
progrès des moyens de transport, les villes ont
grandi et les hommes ont gravité vers les mêmes
espaces. De grands changements vont encore
avoir lieu dans ce sens et en termes de travail,
on estime que 40 % des Américains travailleront
en freelance avant 2020. De plus en plus
travailleront de chez eux, pour une ou plusieurs
entreprises. »
e-mobilité ou
(im)mobilité ?
« Il n’y a aucune raison
pour que des machines
aient un instinct de
survie ! »
Texte : Florentin Aquenin & Emeric Dhelens
Efficacité, sécurité et utilisation des ressources de manière responsable…
tels sont les maîtres-mots de la mobilité aujourd’hui. Jamais autant
d’outils n’ont été déployés dans les villes pour capter des indicateurs tels
que le trafic, la pollution et l’organisation des flux. Ces données peuvent
être exploitées pour nous faire passer moins de temps dans les transports
et décongestionner l’espace public.
’après IBM, qui déploie
dans le monde l’initiative
« Smarter Cities », le
coût économique des
embouteillages en
Union européenne ne
représente pas moins
de 1 % du PIB, sans
parler du gaspillage en carburants. Dans les
villes, IBM propose des solutions se basant
sur l’utilisation massive des données pour
rendre les villes plus ergonomiques.
Mais alors que l’expression « Smart City »
semble être utilisée à toutes les sauces,
d’autres attaquent le problème de manière
plus radicale. Partant du constat que le plus
gros problème dans une voiture est situé
quelque part entre le siège du conducteur
et le volant, Chris Urmson, à la tête du
programme Google Cars, nous montre
de manière déconcertante comment une
voiture peut prévoir le comportement
de son environnement pour adapter sa
trajectoire et sa vitesse. Les trois millions
de miles réalisés chaque jour dans les
simulateurs de Google et l’interconnexion
des voitures entre elles permet un
apprentissage collectif des machines. Si
la voiture sans conducteur fait encore
beaucoup de sceptiques – les textes de la
Convention de Vienne indiquent encore
qu’un être humain doit être à tout moment
en mesure de contrôler son véhicule – des
militants comme Salim Ismail de l’Université
de la Singularité insistent sur les gains en
termes de temps et de sécurité : « si vous êtes
bon pour écrire des textos et mauvais au volant,
vous devriez passez tout votre temps au téléphone
et laisser tomber le volant ».
Rationaliser la mobilité, ce n’est pas tant
une affaire d’innovation technologique
que d’utilisation optimale des ressources
actuelles. De ce point de vue, l’enjeu
devient de mettre de manière appropriée
la demande en relation avec l’offre, encore
plus que de rechercher à tout prix la
disruption technologique. Aaron Dignan,
CEO de Undercurrent, nous rappelle à ce
D
titre que « nous avons trop de technologies et
nous ne savons pas quoi en faire. Une entreprise
comme Uber n’a fait qu’intervenir sur un
pourcentage infime de la chaîne de valeur de
l’industrie, en s’insérant dans un interstice entre
les plateformes et les réseaux déjà existants. »
Les exemples similaires sont nombreux,
surtout dans le domaine du transport avec
la multiplication des acteurs du covoiturage.
Frédéric Mazzella, fondateur de Blablacar,
se félicitait, lors d’une intervention devant
l’establishment de l’Automobile Club de
France, des milliers de tonnes de CO2
économisées et d’autant de rencontres et
d’échanges au sein de la communauté des
utilisateurs.
L’explosion de l’e-mobilité…
Des mobilités plus écolos, plus économes
et moins onéreuses seraient-elles alors
porteuses de nouvelles aventures pour les
grands explorateurs ? On ne peut nier que
l’histoire de la modernité ait été portée par
les rêves d’exploration et une quête infinie
de la vitesse, renforçant l’image popularisée
par Jacques Attali d’un « Homme nomade
depuis ses origines ». L’exemple des première
et deuxième révolutions industrielles nous
montre l’impact que peuvent avoir les
ruptures technologiques sur l’occupation
de l’espace et nos mobilités : en substituant
la vapeur et le pétrole à la force humaine
et animale, le train, la voiture, l’avion ont
décuplé la mobilité des hommes et des
marchandises et permis de spécialiser des
territoires autrefois distants en des lieux de
production ou de consommation. À l’heure
de la mondialisation, l’homme moderne
est devenu grand voyageur, s’appropriant
des territoires toujours plus lointains et
consacrant jusqu’à une heure trente de
son quotidien au transport. Non contents
des multiples opportunités déjà existantes
en termes de mobilité, de nombreux
projets, entrepreneuriaux le plus souvent,
ambitionnent de révolutionner à nouveau
les transports pour réaliser les utopies les
plus folles et offrir à l’homme nomade
la possibilité de se déplacer toujours plus
vite et plus loin. Dans l’aéronautique,
traditionnel secteur d’innovation, malgré
l’échec commercial du Concorde, les projets
de supersoniques fleurissent à nouveau
pour gagner la bataille de la vitesse. La
compagnie américaine Aerion projette ainsi
de commercialiser à l’horizon 2022 un jet
privé capable d’atteindre les 2 000 km/h.
Airbus travaille de son côté sur ZEHST,
un hypersonique écologique capable
de relier Paris à Tokyo en deux heures
trente minutes. Sans oublier les projets du
Pentagone visant à atteindre les 26 000 km/h
avec son projet d’avion militaire Falcon
Hypersonic Technology Vehicle 2. L’espace
devient la nouvelle terre de conquête,
alors que le tourisme spatial est déjà pour
l’homme explorateur une réalité. Le
fondateur de Tesla et SpaceX, Elon Musk,
s’est ainsi fixé comme objectif d’« inventer des
technologies capables de transporter des millions
de personnes sur Mars ».
Les transports terrestres ne sont d’ailleurs
pas en reste avec le projet Hyperloop du
même Elon Musk. Ce projet, qui projette
d’envoyer des capsules hermétiques de
vingt-huit personnes en lévitation sur
des coussins d’air pressurisé, requiert la
construction d’un long tube à basse pression
pour atteindre une vitesse de pointe de 1 200
km/h. L’ingénieur Marco Villa résume en
quelques mots l’impact engendré par un tel
saut technologique en termes de mobilité :
« si l’on peut demain aller de Los Angeles à San
Francisco en trente minutes, déjeuner avec un ami
avant de revenir à 15h pour un rendez vous chez
le dentiste, comment définit-on les frontières d’une
ville ? »
« Citius, Altius, Fortius ». Plus vite, plus haut,
plus fort. À l’heure des utopies quasi réelles,
on ne trouverait pas meilleure métaphore
que la devise olympique pour décrire
la course à la performance poursuivie
par l’Homme hypernomade. Mais cette
recherche de l’efficacité ne signe-t-elle pas
précisément la fin du nomadisme dans ce
…Et de l’(Im)mobilité
Les bouleversements technologiques que
nous connaissons pourraient en réalité
être porteurs de perspectives radicalement
différentes pour l’humanité : celles d’une
nouvelle forme de sédentarité. Car si les
premières révolutions industrielles ont
poussé l’Homme à élargir toujours plus
son espace de travail, rien ne dit que ce
mouvement soit éternel. Certains penseurs
imaginent même désormais le contraire.
Dans son ouvrage fondateur Makers, le
journaliste et entrepreneur américain
Chris Anderson décrit l’émergence d’une
nouvelle révolution industrielle autour de
la démocratisation de l’imprimante 3D
à domicile et promet une rupture socioéconomique tout aussi importante que celle
de l’ordinateur. Le concept n’est certes pas
nouveau : Hergé en prêtait déjà l’invention
au professeur Tournesol dans Tintin et le
lac aux requins et les premiers prototypes
remontent aux années 1980. Grâce à un
procédé additif, l’objet est construit en
trois dimensions par la superposition de
L’enjeu devient de mettre
de manière appropriée
la demande en relation
avec l’offre, encore plus
que de rechercher à
tout prix la disruption
technologique.
couches successives à partir de matériaux
bruts fondus (plastique, résine, céramique
et même métal). La vraie révolution porte
néanmoins davantage sur la combinaison
du procédé avec notre nouvel écosystème
numérique : demain, chacun pourra
télécharger sur le cloud un fichier
numérique modélisant la fabrication de
l’objet 3D.
L’impact sur la mobilité est potentiellement
considérable, chacun, en tant que
« proconsommateur », étant capable de
produire, travailler et consommer depuis
son salon. Dans son livre La Nouvelle Société
du coût marginal zéro, Jeremy Rifkin estime
3 questions à… Mikko Hyppönen
Ce Finnois de 45 ans est l’un des grands
spécialistes de la sécurité sur Internet.
Personnage charismatique doté d’un cynisme
qui fait froid dans le dos, il a accepté de
répondre à nos questions.
Vous dites que la cybercriminalité va continuer
de progresser, pourquoi tant de pessimisme ?
La cybercriminalité est le secteur informatique
qui a crû le plus sur les vingt dernières années. Il
y a beaucoup d’argent à gagner, et le risque de
se faire attraper est faible. Même si vous vous
faites attraper, le risque de vous retrouver en
face d’un tribunal est faible. Même si vous vous
retrouvez en face d’un tribunal, le risque que
vous écopiez d’une peine est faible. Et même si
vous écopiez d’une peine, celle-ci sera légère
dans la plupart des pays du monde. Le seul
pays prenant la cybercriminalité au sérieux et où
vous risquez de finir derrière les barreaux sont
les États-Unis.
Pensez-vous qu’il serait possible d’avoir un
réseau internet 100 % sécurisé ?
Jamais. Il n’y aura jamais de réseau ou
d’ordinateur sécurisé à 100 %. La raison ? Les
programmes sont écrits par des êtres humains.
Les Hommes ont toujours commis des erreurs et
vont continuer à en commettre. Le seul moment
où l’on devrait pouvoir s’approcher d’un réseau
totalement sécurisé sera le moment où les
programmes seront écrits par des machines.
Cela pourrait être la fin de l’humanité.
Les citoyens veulent que le gouvernement
combatte le terrorisme tout en conservant le
contrôle sur leurs données personnelles…
Il faut trouver le juste milieu. Les citoyens ont
besoin de savoir ce qui est fait de leurs données
personnelles, et comment elles sont traitées par
les services secrets, le gouvernement. Je ne dis
pas que les gouvernements ne devraient pas du
tout récolter nos données en ligne puisque c’est
L’avenir de la mobilité passe par des moyens de transport qui nous permettront d’optimiser notre temps et de ne plus considérer les déplacements comme du temps perdu. Ils nous permettront de nous reposer
aussi bien que dans un vrai lit, de travailler aussi bien qu’au bureau, de nous former et passer des diplômes, de jouer…
que les « domiciles et lieux de travail ne seront
plus séparés par de longs trajets. Puisque les
travailleurs vont devenir progressivement
propriétaires et les consommateurs, producteurs,
il est même imaginable que la circulation
baisse sur les réseaux routiers aujourd’hui
surchargés ». Lors de la conférence USI,
Chris Anderson considère que cette
révolution est en marche puisque « ces
technologies sont déjà présentes dans les écoles,
les maisons, les entreprises » et ne requièrent
aucune compétence particulière. Certaines
compagnies comme le français eMotion
Tech proposent ainsi des imprimantes 3D
pour particuliers à partir de 400 euros et
le chinois WinSun a réussi à imprimer dix
villas de 6x10x40m3 en moins d’un jour,
pour un prix unitaire de 5 000 dollars. En
se projetant à long terme, l’Institut pour
le Futur implanté dans la Silicon Valley
imagine même des « cités containers »
libérées des contraintes de transport car
équipées d’imprimantes 3D pour subvenir
aux besoins essentiels de l’individu (médical,
alimentaire…).
Le monde de demain à portée
d’un clic
Il serait pourtant vain d’imaginer que
demain s’annonce comme un monde
sans usine et dépourvu de tout besoin
logistique. Mais là encore, les technologies
existent pour organiser le monde autour
de l’Homme sédentarisé, et les drones
sont déjà bien partis pour rendre l’usage
des transports et de l’automobile quasi
exceptionnel. Si les initiatives en cours sont
encore de l’ordre de l’expérimentation,
plusieurs acteurs se sont d’ores et déjà
positionnés sur le secteur. Depuis mars
2015, Amazon est ainsi autorisé à tester
aux États-Unis la livraison par drones, ces
aéronefs sans passager ni pilote. Et tandis
que Google expérimente toujours de son
côté des solutions, l’allemand DHL a déjà
créé un service de livraison de médicaments
sur des îles reculées. Un système généralisé
de livraison à domicile est désormais
envisageable à l’image de ce qu’entreprend
la start-up californienne Matternet dans
le domaine des réseaux de distribution à
grande échelle. Pour Andreas Raptopoulos,
son fondateur, l’entreprise serait capable
de couvrir un espace de livraison de
médicaments de 362 km2 avec seulement
cent cinquante drones fonctionnant sur la
base de la combinaison de « trois technologiesclés : des véhicules volants autonomes, des stations
au sol automatisées et un système intelligent pour
opérer le réseau intégral ».
Libéré de toutes les contraintes matérielles
et logistiques, on pourrait envisager
que l’Homme dit « hypernomade » se
consacre dans ces conditions davantage
aux voyages, aux loisirs et à l’exploration.
Cette hypothèse n’implique cependant
pas nécessairement de quitter son lieu de
vie domestique car un jour viendra peutêtre où le virtuel se confondra avec le réel.
La réalité virtuelle, cette technologie qui
permet une simulation interactive et en
temps réel de la réalité, a en effet réalisé
des progrès spectaculaires ces dernières
années notamment par le biais des casques
de simulation à 360° comme l’Oculus
Rift (racheté par Facebook en 2014),
Morpheus de Sony ou encore l’HoloLens
de Microsoft. Au regard du potentiel
d’immersion dans un environnement
totalement distancié, le secteur du tourisme
a commencé à développer des services
permettant d’anticiper ou de prolonger
son expérience de voyage. Thomas Cook
offre ainsi déjà la possibilité d’explorer
Manhattan en hélicoptère ou la Statue de
coup de cœur
par Camille Chalons
e x pé r imente z l a
musique soci a l E !
© DR
par Léo Jacquemin & Yacine Najji
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A R T I C L E
© AIRBUS S.A.S.
6
nécessaire pour combattre la cybercriminalité
et le terrorisme. Mais je ne pense pas que les
citoyens considèrent le terrorisme comme une
menace existentielle au point qu’ils soient prêts
à abandonner tous leurs droits. Aujourd’hui,
nous avons surtout besoin de transparence.
é
couter de la musique avec le casque rivé
sur ses oreilles lorsqu’on est seul dans
les transports, à la terrasse des restaurants,
ou en marchant dans la rue est entré dans
les nouvelles habitudes du début du XXIe
siècle. Mais le partage de la musique au
moment où elle se joue dans les écouteurs
est resté lettre morte, à l’époque même où
le partage en réseau est devenu un système
de communication à part entière. Or ne vous
êtes-vous jamais demandé quelle musique
écoutent vos voisins alentours ? Ou quelle
musique écoutent vos amis ou parents à un
instant précis ? C’est le pari que relève Catch
My Song, une application lancée en juin 2015
par deux étudiants de l’ESSEC. L’objectif
est simplement de transformer l’expérience
musicale en expérience sociale : individuelle
avec les écouteurs, elle devient collective grâce
à l’application. C’est qu’en effet, Catch My Song
permet, entre autres, d’écouter la musique de
ses amis, mais surtout celle des utilisateurs
situés à proximité, de découvrir de nouveaux
morceaux, d’enrichir sa liste de lecture. Plus
encore, cette dimension sociale est approfondie
grâce à la possibilité de communiquer avec
lesdits voisins et de lancer une conversation
basée sur l’intérêt musical. En somme, à l’heure
où l’homme de la rue déplore une déperdition
du caractère humain des relations par une
préférence pour les smartphones ou autres
objets connectés, voilà une application qui va
nous permettre de relever la tête et de renouer
le lien social, motivé par une curiosité autre que
celle des photos de profil savamment bien
choisies.
Ergonomique, graphiquement confortable,
innovante, Catch My Song est notre pari de
demain ! Application disponible gratuitement
sur l’Apple Store, et adaptée pour l’iPhone et
l’iPad. Pour en savoir plus :
www.catchmysong.com
Libéré de toutes les
contraintes matérielles
et logistiques, on pourrait
envisager que l’Homme
dit hypernomade se
consacre davantage aux
voyages, aux loisirs et à
l’exploration.
la Liberté en bateau. La chaîne d’hôtels
Marriott propose quant à elle de s’évader
sur une plage d’Hawaï ou de tester ses
chambres à Londres tandis que la Colombie
Britannique vous fait découvrir la diversité
de ses paysages naturels. Ces casques,
combinés aux technologies d’intelligence
artificielle, permettraient-ils d’imaginer de
partir en voyage sans quitter sa chambre à
coucher ou son salon ? Peut-on envisager
qu’elle participe à l’érosion de tout désir de
mobilité ? Le monde à portée d’un clic est
peut-être pour demain.
La facilité croissante à se déplacer et la
circulation sans obstacle de l’information
nous donnent l’impression d’un monde plus
mobile. Mais à force de rationaliser cette
mobilité et d’aller à l’efficace, nous perdons
le sens de la découverte et de l’errance
productrices de rencontres. Au fond,
plutôt que de rechercher l’ultramobilité, la
question est peut-être de chercher à injecter
de la vie dans nos espaces. Suivant le conseil
de Carlos Moreno afin de ne pas finir
transformés en « zombies geeks », nous devons
faire de nos espaces des lieux de vie et
d’identité pour « reconquérir l’hyperproximité ».