L`insertion de circonstants dans les groupes nominaux prédicatifs

Transcription

L`insertion de circonstants dans les groupes nominaux prédicatifs
Supports et prédicats non verbaux dans les langues du monde,
A. H. Ibrahim éd., Paris: CRL, pp.138-147, 2010.
L’insertion de circonstants dans les groupes nominaux prédicatifs
Jean Royauté et Paul Sabatier
Laboratoire d’Informatique Fondamentale, Marseille,
CNRS, Aix-Marseille Université
{Jean.Royaute,Paul.Sabatier}@lif.univ-mrs.fr
1. Introduction
Dans le cadre de différents modèles théoriques (lexique-grammaire, grammaire générative,
théorie de la valence, …), le phénomène de la nominalisation en français a fait l’objet de
plusieurs études comme (Labelle 1974), (Giry-Schneider 1978, 1987), (Danlos 1980),
(Meunier 1981), (Gross 1981), (Milner 1982) et (Stage 1997). Dans (Pasero et al. 2004), nous
avons défini un ensemble de propriétés syntaxiques et sémantiques caractérisant les noms
prédicatifs (Npréd) et les groupes nominaux complexes dont le nom de tête est un Npréd : les
GN prédicatifs (GNpréd). Dans (Royauté et Sabatier 2006), nous avons mis en évidence les
formes et les positions que peuvent prendre les arguments des Npréd dans la structure des
GNpréd. Dans cet article, nous nous intéressons à la question de l’insertion dans le GNpréd de
constituants analysables comme circonstants verbaux dans la phrase verbale associée.
2. Cadre théorique et problématique
Nous commençons par définir le cadre théorique et descriptif de notre étude. A cet effet, nous
rappelons les distinctions entre compléments verbaux et compléments adverbiaux. Nous
définissons ce que nous entendons par circonstant. Nous rappelons ensuite les propriétés
caractéristiques des noms prédicatifs et des groupes nominaux prédicatifs. Nous formulons un
ensemble de questions liées à l’insertion dans le GNpréd de constituants analysables comme
circonstants verbaux dans la phrase verbale associée.
2.1 Circonstants verbaux vs circonstants phrastiques
M. Gross (1986, 11-22) fait la distinction, d’un point de vue fonctionnel, entre compléments
verbaux (ou « objets ») et compléments adverbiaux (ou « adverbes »), et regroupe sous le
même terme d’adverbe les traditionnelles catégories grammaticales disjointes que sont les
adverbes proprement dits, les compléments circonstanciels et les propositions subordonnées
circonstancielles. Nous souscrivons à cette distinction et à ce regroupement. Ainsi, dans :
Max ira demain à Paris
[demain] est un complément adverbial et [à Paris] est un complément verbal.
Compatible avec la notion d’adverbe généralisé de M. Gross, nous reprenons et appliquons la
distinction que fait Molinier (1990) entre adverbes de phrase et adverbes intégrés à la
proposition. Les premiers sont définis par la conjonction des deux propriétés
suivantes (op.cit. : 28) :
et
possibilité de figurer en position détachée en tête de phrase négative
impossibilité d’extraction dans C’est ... que.
Les seconds vérifient l’une et/ou l’autre des deux propriétés suivantes (ibid. : 29) :
impossibilité de figurer en position détachée en tête de phrase négative
et/ou possibilité d’extraction dans C’est ... que
Nous appellerons dorénavant circonstant de phrase (ou circonstant phrastique) tout adverbe
(au sens de M. Gross) qui porte sur la phrase (au sens de Molinier) et circonstant de verbe (ou
circonstant verbal) tout adverbe (au sens de M. Gross) intégré à la proposition et qui porte sur
le verbe de cette proposition (au sens de Molinier). Ainsi dans :
Max viendra apparemment demain
[apparemment] est un circonstant phrastique car nous avons :
et
Apparemment, Max ne viendra pas demain
* C’est apparemment que Max viendra demain
[demain] est un circonstant verbal car nous avons :
et
Demain, Max ne viendra pas apparemment
C’est demain que Max viendra apparemment
2.2 Nom prédicatif et groupe nominal prédicatif
Un groupe nominal prédicatif (GNpréd) est une structure prédicative formée d’un nom
prédicatif (Npréd), – le prédicat –, et de ses arguments. Dans (Pasero et al. 2004), nous avons
fait l’hypothèse qu’un nom avec un emploi prédicatif1 dénote un fait : un état ou un processus.
Un GNpréd peut être alors paraphrasé par le groupe nominal [le fait que Prop] où Prop est une
proposition (ou une conjonction de propositions). Ex. :
Npréd associé à un verbe (corrosion - corroder) :
[La corrosion du fer par le sel]GNpréd est attestée
Le fait que [le sel corrode le fer]Prop est attesté
1
Certains noms peuvent avoir un emploi prédicatif (ce sont alors des Npréd) ou un emploi non prédicatif. Par
exemple, le nom construction a un emploi prédicatif dans [Luc filme la construction de la maison par Max]
(processus de construction) et un emploi non prédicatif dans [La maison de Max est une belle construction],
(objet résultant du processus de construction). Par ailleurs, construction a un autre emploi non prédicatif dans
[La construction souffre de la crise financière] (où construction désigne un secteur d’activité où processus et
résultat(s) du processus sont confondus.
2
Npréd associé à une construction adjectivale (transparence - transparent)
[La transparence du processus]GNpréd est mise en cause
Le fait que [le processus soit transparent]Prop est mis en cause
Npréd associé à une construction verbale avec support (effet - avoir un effet)
[L’effet du traitement]GNpréd est bien connu
Le fait que [le traitement ait un effet]Prop est bien connu
Un GNpréd se paraphrase dans certains cas par le groupe nominal [le fait que Prop de cette
façon] (ou [la façon dont Prop]). Ex. :
[L’argumentation de Max]GNpréd ne satisfait pas Luc
⇒ [Le fait que [Max argumente de cette façon]Prop]GN ne satisfait pas Luc
On peut représenter la relation entre un GNpréd et le GN [le fait que Prop (de cette façon)]
par le schéma général suivant :

[… Npréd …]GNpréd

[ … 
 … ]Ph
↓
 [le fait que [ … V …]Prop ]GN GN
Les arguments d’un Npréd sont d’un point de vue fonctionnel des compléments du Npréd. Si
on associe le GNpréd à la phrase verbale correspondante, on peut selon les cas distinguer le
complément du Npréd correspondant au sujet de la phrase verbale et les compléments du
Npréd correspondant aux compléments verbaux (Compl) de la phrase verbale. Ainsi, nous
pouvons proposer les analyses suivantes :
La [venue]Npréd [de Max]Sujet
le fait que [Max vienne] Prop
le fait que [Max lutte contre Luc] Prop
La [lutte]Npréd [de Max]Sujet [contre Luc]Compl
L’ [invitation]Npréd [de Léa]Compl [par Max]Sujet le fait que [Max invite Léa] Prop
2.3 Circonstant et construction à verbe support
Z. Harris (1976) a montré l’intérêt d’analyser un adverbe (ce que nous nous appelons ici
circonstant) comme un prédicat construit avec un verbe support (Vsup). M. Gross (1986)
montre la diversité des supports possibles pour l’analyse des adverbes. Dans le cadre de cette
hypothèse, nous reprenons sa proposition et celle de Balibar (1990) selon laquelle les Vsup
sont, entre autres, être, arriver, se produire ou avoir lieu. Ainsi la phrase :
Le sel corrode le fer à température constante
est obtenue à partir de la dérivation suivante :
Le sel corrode le fer, [le fait que le sel corrode le fer] se produit à température constante
[Pronomin] →
Le sel corrode le fer, cela se produit à température constante
[Pron Vsup z.] →
Le sel corrode le fer à température constante
3
En appliquant l’équivalence (Pasero et al. 2004) <le fait que Prop ≡ GNpréd>, nous avons
alors pour le GNpréd la dérivation suivante :
Le fait que le sel corrode le fer, cela se produit à température constante
La corrosion du fer par le sel, cela se produit à température constante
La corrosion du fer par le sel à température constante
2.4 Problématique
La question qui nous intéresse ici est celle de l’insertion dans le GNpréd de constituants
analysables comme circonstants (tel que nous avons défini ce terme) dans la phrase verbale
associée. On peut prédire que dans le cadre de la structure du groupe nominal [le fait que
Prop] un circonstant peut porter soit sur Prop, soit sur tout le groupe nominal [le fait que
Prop]. Un circonstant portant sur Prop s’analyse comme un circonstant verbal. Ainsi de
l’emploi de sottement dans :
Max répond sottement à la question de Luc
qui s’analyse comme « adverbe verbal de manière orienté vers le sujet » (classe Advms,
Molinier et Levrier 2000). Dans le GNpréd va y correspondre l’adjectif sotte.
La réponse sotte de Max à la question de Luc
⇒ Le fait que Max réponde sottement à la question de Luc
Le circonstant adjectival porte sur le nom prédicatif. Un circonstant qui porte sur le groupe
nominal [le fait que Prop] s’analyse lui à la manière d’un circonstant phrastique. Ainsi de
l’emploi de sottement dans :
Sottement, Max répond à la question de Luc
⇒ Le fait que Max réponde à la question de Luc est {sot, une sottise}
qui s’analyse comme un « adverbe phrastique disjonctif d’attitude orienté vers le sujet »
(classe Advpas, Molinier et Levrier 2000). A l’adverbe sottement va correspondre le
circonstant nominal (quelle) sottise (que) qui porte alors sur le GNpréd, et non sur le seul nom
prédicatif :
{(Quelle) sottise (que)} [la réponse de Max à Luc]GNpréd
Nous nous intéresserons plus particlièrement dans cet article aux circonstants qui portent sur
un nom prédicatif. Un GNpréd contenant un circonstant portant sur le nom prédicatif, c’est-àdire :
[… Npréd … Circ …] GNpréd
peut être analysé (cf. infra) comme la transformation de la proposition suivante :
[ [… Npréd …] GNpréd {être, avoir lieu, se produire, …}Vsup Circ ] Prop
4
Ex. :
La corrosion du fer par le sel {a lieu, se produit} à température constante
→ La corrosion du fer par le sel à température constante
Les questions essentielles que l’on se pose ici sont alors les suivantes : Quels types de
circonstants un GNpréd peut-il contenir ? Quelles positions peuvent-ils occuper ? En matière
d’expression de circonstants, qu’est-ce qui distingue un GNpréd de la phrase verbale associée,
et qu’est-ce qui distingue un GN prédicatif d’un GN non prédicatif ?
3. Circonstants portant sur un Npréd
M. Gross (1986) a recensé et étudié dans le détail les formes que les circonstants (ou
adverbes) figés ou libres peuvent prendre. Nous nous intéressons ici aux formes des
circonstants qui portent sur les noms prédicatifs. Nous examinerons tour à tour les
circonstants dont les formes sont transposables à l’identique dans le GNpréd et dans la phrase
verbale associée, les circonstants qui nécessitent une transformation et ceux enfin qui ne sont
pas transposables.
3.1 Circonstants transposables à l’identique
Des circonstants peuvent se réaliser à l’identique dans le GNpréd et dans la phrase verbale
associée (Ph). C’est le cas des groupes nominaux introduits ou non par une préposition, des
propositions subordonnées (complètes ou réduites) et de certains adverbes de temps (demain,
hier, ...). Ex. :
[Max a répondu [Circonstant] ]Prop
[La réponse de Max [Circonstant] ]GNpréd a troublé Luc
(Le fait que Max ait répondu [Circonstant] a troublé Luc)
avec [Circonstant] = {hier, ce matin, sans conviction, à tort et à travers, pour provoquer Léa,
dès qu’on l’interroge, dans un quotidien du soir, en regardant le ciel étoilé}
Ces différents constituants expriment, selon le cas, les différentes valeurs, – temps (quand ?),
manière (comment ?), lieu (ou ?), cause ou un but (pourquoi ?), – que peut prendre un
circonstant.
3.2 Circonstants transformables
Il s’agit des circonstants qui ne peuvent être transposés à l’identique. C’est le cas des adjectifs
et des adverbes en -ment qui ont la propriété d’être en distribution complémentaire avec une
équivalence de sens. Les premiers portent sur les noms prédicatifs et les seconds portent sur
les verbes des phrases verbales associées. Nous les appelons circonstants transformables car
on peut voir les premiers comme transformés des seconds et inversement. Ex :
Max répond spontanément
La réponse spontanée de Max
5
La forme adjectivale peut être généralisée
[de {façon, manière} Adj]. Ainsi on a :
Max répond de façon spontanée
en
ayant
recours
à
la
structure
La réponse (de façon) spontanée de Max
Cette structure permet de pallier dans certains cas l’absence d’un adverbe qui correspondrait à
l’adjectif. Ex :
Max répond {de façon inédite, *inéditement}
La réponse inédite de Max
3.3 Circonstants non transposables
C’est le cas où le GNpréd présente un circonstant portant sur un Npréd mais la transposition
de ce circonstant dans la phrase verbale associée est impossible. Dans ce cas de figure, nous
observons trois formes possibles présentant un comportement adjectival et qui s’analysent
avec le support être :
N0 être ADJ
avec ADJ = {Adj, Vé, à Vinf}
Le fait que Max invite Léa est {inédit, reporté, à méditer}
L’invitation {inédite, reportée, à méditer} de Léa par Max
On observe qu’une seule des trois formes (inédite) est transposable dans la phrase verbale
associée, et cela en ayant recours à la structure [de {façon, manière} Adj] . L’absence
d’ancrage verbal pour les deux autre formes (reportée et à méditer) nécessite la formation de
deux phrases. Ex :
Max invite Léa de façon {inédite, * reportée, * à méditer}
Max invite Léa. Cela est {reporté, à méditer}
Envisageons le cas où la transposition d’un circonstant de la phrase verbale vers le GNpréd
associé serait impossible, situation qu’illustre le couple de schémas de phrase suivants :
[... [Circonstant] ]Prop
* [... [Circonstant] ]GNpréd ...
Il semblerait que les seuls exemples que l’on trouve concernent en fait des circonstants qui
portent sur la proposition entière et non sur le verbe de la proposition, c’est-à-dire des
circonstants phrastiques, comme par exemple l’adverbe pourtant :
Max approuve pourtant le projet
* [L’approbation par Max pourtant du projet] est incompréhensible
([Le fait que Max approuve pourtant le projet] est incompréhensible)
ou encore l’adverbe précisément dans son emploi phrastique (avec un sens conjonctif selon
Molinier 1990) :
Max a précisément approuvé le projet
qui ne peut être transposé dans le GNpréd en de façon précise, à la différence de son emploi
6
dans :
Max répond {précisément, de façon précise} à la question
La réponse précise de Max à la question
On peut faire l’hypothèse que c’est parce qu’ils sont des circonstants phrastiques que pourtant
et précisément (dans son premier emploi) ne peuvent être transposés dans le GNpréd. En
effet, nous avons pu observer que les Npréd sélectionnent préférentiellement des circonstants
non phrastiques. D’une façon générale, les adverbes phrastiques en –ment (comme on l’a vu
avec précisément) ont souvent un emploi phrastique et un emploi non phrastique. C’est ce
dernier emploi qui est sélectionné dans le GNpréd. Par contre, quand l’adverbe et l’adjectif
dérivé partagent le même sens, et que l’adverbe a un emploi phrastique, on retrouve alors ce
même emploi phrastique préférentiellement en position détachée (notée Gx dans le schéma
topologique du GNpréd de la section 4.0). La position Gx semble suggérer une interprétation
phrastique du GNpréd, tout en laissant possible une interprétation non phrastique. Exemples :
Curieuse, la réponse de Max à la question
Curieux, l’assemblage des pierres par Max
Dans ces exemples, l’interprétation phrastique porte sur l’attitude de Max, c’est-à-dire sur le
fait qu’il ait pu réaliser ces actions : répondre à la question ou assembler les pierres.
L’interprétation non phrastique porte sur la manière dont l’action est réalisée, sur son résultat
qualifié de curieux.
Nous avons pu vérifier ces faits dans les classes et tables de Molinier et Levrier (2000) qui
concernent les adverbes phrastiques et que nous commentons brièvement.
Les adverbes disjonctifs de style (Advps), comme officiellement ou confidentiellement,
semblent pouvoir trouver leur place dans le GNpréd sous la forme d’adjectifs, tout en
conservant leur emploi phrastique :
{Officiellement, confidentiellement}, Max approuve le projet
= {Officielle, confidentielle}, l’approbation du projet par Max
= Le fait que Max approuve le projet est {officiel, confidentiel}
L’effet phrastique dans la phrase et le GN associé peut se paraphraser de la façon suivante :
« ce qui est vrai habituellement et pourrait ne pas l’être en d’autres circonstances », cela dans
la mesure où ils induisent un commentaire sur l’énoncé.
De la même façon les adverbes disjonctifs d’attitude dénotant une habitude (classe Advpah de
Molinier et Levrier) bien établie comme coutumièrement ou rituellement ne semblent pas
changer d’emploi lorsqu’ils sont utilisés comme adjectifs dérivés :
{Coutumièrement, rituellement}, Max approuve le projet
= {Coutumière, rituelle}, l’approbation du projet par Max
= Le fait que Max approuve le projet est {coutumier, rituel}
Avec les adverbes disjonctifs d’attitude évaluatifs (classe Advpae), comme bizarrement ou
curieusement :
{Bizarrement, curieusement}, Max approuve le projet
7
= {Bizarre, curieuse}, l’approbation du projet par Max
= Le fait que Max approuve le projet est {bizarre, curieux}
nous retrouvons tant dans la phrase que dans le GNpréd, le sens qu’en donnent Molinier et
Levrier, c'est-à-dire le caractère favorable ou défavorable que revêt un évènement. Cependant,
ici encore, un second sens non phrastique est possible pour le GNpréd qui ne porte plus sur
l’attitude de Max, mais sur la nature même de son approbation.
Selon Molinier et Levrier, les adverbes disjonctifs d’attitude modaux (classe Advpam) ont la
particularité de pouvoir évaluer le degré de vérité d’une proposition dans les phrases
affirmatives. Ex :
{Probablement, nécessairement, vraisemblablement}, Max approuvera le projet
= {Probable, nécessaire, vraisemblable}, l’approbation du projet par Max
= Le fait que Max approuve le projet est {probable, nécessaire, vraisemblable}
Nous retrouvons ces particularités dans le GNpréd.
En ce qui concerne les adverbes disjonctifs d’attitude orientés vers le sujet (classe Advpas),
outre le fait que ces adverbes ne portent que sur la phrase et ne modifient pas le verbe, ils ont
également la propriété d’être associés à des phrases du type N0 être Adj. Cette propriété
assure une identité de sens entre les formes adjectivale et adverbiale de ce type de circonstant
pour l’ensemble de ces adverbes. Pour :
Max est {adroit, astucieux, audacieux}
il est possible d’avoir :
{Adroitement, astucieusement, audacieusement}, Max approuve le projet
= {Adroite, astucieuse, audacieuse}, l’approbation du projet par Max
= Le fait que Max approuve le projet est {adroit, astucieux, audacieux}
Quant aux adverbes de phrase conjonctifs (classe Advpc) dont la principale propriété est de
relier deux phrases, ils ne sont pas transposables pour relier deux GNpréd au moyen
d’adjectifs dérivés.
Il ressort de ces observations que les impossibilités d’insertion de circonstants sous forme
dérivée sont liées au fait que ces adverbes sont phrastiques. Cela ne signifie pas pour autant
que tous les adverbes phrastiques ne peuvent pas s’insérer dans la structure d’un GNpréd,
comme nous avons pu le montrer. Concernant cette dernière classe, où ce comportement
phrastique coexiste dans les deux structures, phrase et GNpréd, une étude reste à réaliser pour
expliquer ces différences.
4. Circonstants et contraintes d’ordre
Dans (Royauté et Sabatier 2006), nous nous sommes intéressés aux contraintes qui régissent
l’ordre des constituants dans un GNpréd. Nous avons montré qu’il existait pour cette structure
un schéma topologique particulier à cinq positions :
Gx G2 G1 Npréd D1 D2
avec deux positions singulières : la position initiale détachée (Gx) et une position finale (D2)
qui est la moins contraignante pour l’insertion des actants et des circonstants. Notre étude des
8
circonstants dans le GNpréd nous amène à affiner notre description.
D1, position immédiatement à droite du Npréd, concerne principalement les arguments
adjectivés. L’adjectif peut être un argument sujet ou objet du Npréd (corrosion du sel =
corrosion saline) ou un circonstant (corrosion rapide). Qu’ils soient de nature actancielle ou
circonstancielle, les éléments adjectivaux semblent régulièrement se placer en tête de D1
(* corrosion du métal rapide, * corrosion du métal saline). D’autre part, les éléments
adjectivaux, circonstant ou actant peuvent difficilement être présents conjointement
(? corrosion rapide saline ? corrosion saline rapide).
D’une façon générale, tous les circonstants de plusieurs mots dont nous avons donné une
description peuvent occuper cette position. Des configurations particulières peuvent
cependant se présenter :
– une suite de circonstants peut être insérée dans cette position :
corrosion [à température constante, en atmosphère humide, en bord de mer, l’été, …]Circ
de … par ...
Cette insertion peut donner lieu à coordination sous différentes formes :
corrosion [à température constante et en atmosphère humide…]Circ
– adjectif + circonstant : dans ce cas, l’adjectif occupe préférentiellement la première
position à droite :
corrosion lente en bord de mer …
? corrosion en bord de mer lente …
D2 est la position privilégiée des actants qui apparaissent sous formes prépositionnelles. D2
peut recevoir également des circonstants qui peuvent soit s’insérer dans la séquence des
actants :
[corrosion du fer, en bord de mer, par le sel]
soit se retrouver en fin de cette séquence, qui semble être une place plus naturelle :
[corrosion du fer par le sel, en bord de mer]
G1, position symétrique à D1, est celle des circonstants adjectivaux :
[la (très) lente corrosion …]
G2 est une position spécifique pour la pronominalisation des actants réalisée au moyen de
déterminants possessifs : sa corrosion par le sel, ou le possessif sa est coréférent à l’objet du
fer.
Gx est une position plus hétérogène et difficile à spécifier. Nous avons montré dans (Royauté
et Sabatier 2006) que cette position était dépendante de la position du GNpréd dans la phrase
et que la position sujet du GNpréd, si possible en tout début de phrase, était plus convenable.
Cette contrainte s’exerce de façon plus nette pour les circonstants qui pourraient occuper cette
position ; la position objet du GNpréd dans la phrase doit être évitée afin que le circonstant du
GNpréd puisse apparaître comme portant sur le verbe :
A température constante, la corrosion du fer par le sel est un processus …
9
Nous observons, à température constante, la corrosion du fer par le sel
Nous percevons dans la seconde phrase une ambiguïté qui tient au fait que le circonstant à
température constante peut se rattacher soit au verbe (observer) de la phrase soit au Npréd
(corrosion).
Enfin, pour tous les cas où la position Gx n’entraine pas d’ambiguïté dans la phrase, nous
avons pu vérifier (à partir des exemples tirés des tables de Molinier et Levrier) que cette
position permet d’insérer un circonstant phrastique dans la structure du GNpréd.
5. Circonstants : GN prédicatif vs GN non prédicatif
Un GN prédicatif et un GN non prédicatif se différencient sur de nombreux points (Pasero et
al. 2004). Dans la mesure où un GN prédicatif peut être paraphrasé par la construction [le fait
que Prop (de cette façon)], on peut prédire que le Npréd peut hériter d’un certain nombre de
propriétés du verbe de Prop. Ainsi, le verbe peut être à la forme négative, et pour tout Npred
N, on peut alors produire le Npréd « négatif » non N. Par contre si N n’est pas un Npréd alors
non N est impropre. Une modalité M (nécessaire, (im)possible, (im)probable, …) peut être
associée à Prop. Pour tout Npréd, on peut alors produire M N. Par contre si N n’est pas un
Npréd alors M N est impropre. Ex :
la {non, possible} {corrosion, ? voiture}
Un GN prédicatif et un GN non prédicatif se distinguent par la nature des compléments de
leur nom (prédicatif ou non prédicatif) de tête. Lorsqu’ils sont réalisés, les compléments d’un
Npréd correspondent aux actants (sujet et compléments) de la phrase verbale associée. Les
compléments d’un nom non prédicatif s’analysent eux comme des compléments de nom.
Qu’en est-il maintenant de la distinction des deux types de GN en matière de circonstants ?
Dans la mesure où, en règle générale, un circonstant temporel substituable au pronom
interrogatif quand peut porter sur le verbe d’une proposition, sachant que l’on peut associer à
un Npréd la construction [le fait que Prop], on peut prédire que ce type circonstant devrait
apparaître tel quel dans le GN prédicatif. Ex :
Luc a apprécié [la venue de Max Circ1] GNpréd
Luc a apprécié [le fait que Max soit venu Circ1]
avec Circ1 = {hier, pendant les vacances, le jour où il a neigé, quand Léa est partie, tous les
dimanches, il y a quelques jours}
Parmi les circonstants temporels, certains adverbes proprement dits ne se prêtent pas à
l’exercice. Ex :
* Luc apprécie [la venue de Max Circ2] GNpréd
Luc apprécie [le fait que Max vienne Circ2]
avec Circ2 = {jamais, parfois, souvent, toujours}
Un circonstant temporel ne peut apparaître tel quel dans un GN non prédicatif parce que la
10
construction [le fait que Prop] ne peut être associée à un nom non prédicatif. Ex :
* Le chien hier appartient à Luc
La seule possibilité est d’introduire une proposition avec un verbe sur lequel le circonstant
peut porter :
Le chien [{dont il a été question, rencontré, …} hier] appartient à Luc
La proposition peut se réduire à un groupe prépositionnel en de complément du nom non
prédicatif :
Le chien d’hier appartient à Luc
sous certaines conditions. On remarque en particulier :
AdvTps = {aujourd’hui, hier, ...} et AdvTps ≠ {toujours, ...}.
6. Conclusion
Dans cet article, nous avons formulé et tenté de répondre à plusieurs questions sur l’insertion
dans le GNpréd de constituants analysables comme circonstants verbaux dans la phrase verbale
associée. Nous avons pu observer que les mécanismes tranformationnels permettant d’accueillir
un circonstant dans une phrase semblent être les mêmes pour un GNpréd. Nous avons montré
quels types de circonstants un GNpréd est suceptible d’accueillir, quelles positions ces
circonstants peuvent occuper et en quoi ils se différencient dans le GNpréd et dans la phrase
associée. C’est ainsi que nous avons pu distinguer trois classes de circonstants : ceux
transposables à l’identique dans la phrase et dans le GNpréd (hier, demain, sans conviction, ...) ;
ceux qui nécessitent une transformation pour apparaître dans la phrase (les adjectifs :
spontané/spontanément, inédit/de façon inédite) et ceux pour lesquels il n’existe pas de
transformation leur permettant d’apparaître dans la phrase équivalente (Vé : reporté, à Vinf : à
méditer, ...). Pour les adverbes en -ment, en reprenant la distinction de Molinier entre circonstant
phrastique et circonstant intégré à la proposition, nous avons observé que la très grande majorité
des circonstants propres au GNpréd sont de nature non phrastique. Seul un petit nombre de
circonstants phrastiques sont suceptibles de trouver leur place en position détachée (Gx) dans la
structure du GNpréd. Cette étude nous a naturellement conduits à nous interroger sur la
distinction entre GNpréd et GN non prédicatif et à mettre en évidence certaines propriétés qui les
différencient.
7. Références
Balibar-Mrbati, Antoinette, 1990, Analyse des adverbes en dans, Langue française, 86, 65-74.
Danlos, Laurence, 1980, Représentation d’informations linguistiques : Constructions N être
Prép X, Thèse de 3ème cycle, Paris : Université de Paris 7 et LADL.
Giry-Schneider, Jacqueline, 1978, Les nominalisations en français, Genève : Droz.
Giry-Schneider, Jacqueline, 1987, Les prédicats nominaux en français : Les phrases simples à
verbe support, Genève : Droz.
11
Gross, Maurice, 1981, Les bases empiriques de la notion de prédicat sémantique, Langages, 63,
Paris : Larousse, 7-52.
Gross, Maurice, 1986, Grammaire transformationnelle du français : syntaxe de l’adverbe, Paris :
Asstril.
Harris, Zellig, 1976, Notes du cours de syntaxe, Paris : Seuil.
Labelle, Jacques, 1974, Étude de constructions avec opérateur Avoir (nominalisations et
extensions), Thèse de doctorat : Université de Paris 7 et LADL.
Meunier, Annie, 1981, Nominalisations d’adjectifs par verbes supports, Thèse de 3ème cycle,
Paris : Université de Paris 7 et LADL.
Milner, Jean-Claude, 1982, De l’existence du sujet dans les groupes nominaux, Ordres et raisons
de langue, Paris : Seuil, 123-139.
Molinier, Christian, 1990, Une classification des adverbes en -ment, Langue française, 88, Paris :
Larousse, 22-40.
Molinier, Christian, Levrier, Françoise, 2000, Grammaire des adverbes, Genève : Droz.
Pasero, Robert, Royauté, Jean, Sabatier, Paul, 2004, Sur la syntaxe et la sémantique des groupes
nominaux à tête prédicative, Lingvisticæ Investigationes, 27 :1, Amsterdam : J.
Benjamins, 84-124.
Royauté, Jean, Sabatier, Paul, 2006, Contraintes d’ordre dans les groupes nominaux prédicatifs,
Lingvisticæ Investigationes, 29 :1, Amsterdam : J. Benjamins, 163-171.
Stage, Lilian, 1997, La transposition des actants dans le syntagme nominal, Revue Romane, 32 :1,
51-86.
12