Traitement par l`EMDR d`états comorbides d
Transcription
Traitement par l`EMDR d`états comorbides d
Traitement par l’EMDR d’états comorbides d’ESPT et de dépendance à l’alcool : un exemple de cas Nancy J. Abel South Portland, Maine John M. O’Brien Portland, Maine L’EMDR (désensibilisation et retraitement par les mouvements oculaires) est une thérapie qui a démontré son efficacité dans le traitement de l’état de stress post-traumatique (ESPT). Une littérature clinique encore relativement réduite, mais croissante, montre que l’EMDR peut aussi être un traitement complémentaire efficace de la toxicomanie. Le présent article passe en revue les divers protocoles qui ont été développés dans ce but, avec les protocoles de Vogelmann-Sine et al., Omaha, Popky et Hase. Une étude de cas intégrant certaines de ces interventions est présentée afin d’illustrer la réussite du traitement par l’EMDR d’une femme souffrant de longue date d’une dépendance à l’alcool et d’un ESPT comorbides. Le suivi, deux ans plus tard, a montré que cette femme restait sobre et que l’ESPT était en rémission complète. Après une discussion des aspects importants de ce cas, les auteurs explorent de futures directions de recherche. Mots-clés : EMDR ; toxicomanies ; dépendance à l’alcool ; traitement ; ESPT ; troubles comorbides L a désensibilisation et le retraitement par les mouvements oculaires (EMDR) est une thérapie développée à l’origine en 1987 par Francine Shapiro pour le traitement des souvenirs traumatiques (Shapiro, 1989). Depuis ses débuts, l’EMDR est passée d’une technique de désensibilisation à une approche intégrée de traitement psychothérapeutique (Solomon & Shapiro, 2008). L’efficacité de l’EMDR, concernant à la fois le traitement de l’état de stress aigu et celui de l’état de stress post-traumatique (ESPT), est désormais établie (American Psychiatric Association [APA], 2004). La version la plus récente des directives de pratique de la Société Internationale d’Etude du Stress Traumatique cite les traitements cognitifs et comportementaux (y compris la thérapie par exposition et la thérapie de traitement cognitif) et l’EMDR parmi les traitements de l’ESPT présentant le plus grand support empirique (Foa, Keane, Friedman & Cohen, 2009). Des recherches récentes, comparant l’EMDR aux traitements traditionnels du traumatisme fondés sur l’exposition, ont souvent établi une efficacité égale ou supérieure de l’EMDR (Ironson, Freund, Strauss, & Williams, 2002 ; Lee, Taylor, & Drummond, 2006). Bien que la littérature existante décrive le traitement EMDR de nombreuses autres difficultés, parmi lesquelles divers troubles anxieux, les conflits de couple ou les problèmes relatifs à la performance (Shapiro & Forrest, 1997), on manque encore d’études sur son efficacité dans ces domaines. On trouve, cependant, certaines preuves préliminaires tendant à montrer que l’EMDR peut être efficace en tant que thérapie complémentaire dans le traitement des troubles toxicomaniaques. L’utilité possible de l’EMDR concernant ces troubles pourrait trouver son origine dans les niveaux élevés d’exposition traumatique et d’ESPT dans la population des toxicomanes. L’incidence de l’exposition traumatique chez les individus souffrant de troubles toxicomaniaques est désormais bien connue des psychothérapeutes (Peirce, Kindbom, Waesche, Yuscavage & Brooner, This article originally appeared as Abel, N. J. & O’Brien, J. M. (2010). EMDR Treatment of Comorbid PTSD and Alcohol Dependence : A Case Example. Journal of EMDR Practice and Research, 4(2), 50-59. Translated by François Mousnier-Lompré. Journal of EMDR Practice and Research, Volume 6, Number 2, 2012 © 2012 Springer Publishing Company http://dx.doi.org/10.1891/1933-3196.6.2.E1 E1 2008). Des recherches ont montré que 22% à 43% des personnes vivant avec un ESPT ont un taux de prévalence permanente de troubles toxicomaniaques et que ce taux atteint même 75% chez les vétérans (Jacobsen, Southwick, & Kosten, 2001). La littérature montre la complexité du traitement de patients atteints d’ESPT et de toxicomanie comorbides. Ces clients ont souvent plus de difficultés à rester sobre, et à guérir de leurs souvenirs traumatiques (Ford, Hawke, Alessi, Ledgerwood & Petry, 2007 ; Peirce, Kindbom, Waesche, Yuscavage & Brooner, 2008 ; Schumacher, Coffey & Stasiewicz, 2006). De nombreuses approches ont été tentées dans le traitement de l’addiction (van Wormer & Davis, 2008). Selon leurs besoins individuels, les clients utilisent des combinaisons de médicaments, un service de désintoxication, la thérapie individuelle, la thérapie familiale, la thérapie de groupe et/ou les groupes d’entraide tels que les Alcooliques Anonymes (AA) (Allen & Litten, 1999). En dépit de ces options et de ces tentatives pour développer de nouveaux moyens de traiter la dépendance, les taux de rechute peuvent être de 90% (Gracer, 2007 ; Marlatt & Gordon, 1985). Cliniciens et chercheurs continuent de développer des protocoles de traitement qui seront les plus efficaces dans le travail avec des clients divers. Par exemple, Project Match (1997) appariait des clients particuliers et des approches de traitements spécifiques. Il a été constaté que les trois traitements examinés donnaient de bons résultats, indépendamment du contexte. Des traitements plus récents ont inclus une approche de « réduction du mal », reconnaissant que tant l’abstinence que la réduction de l’usage de substance pouvaient être considérées comme un bon résultat du traitement (Marlatt & Gordon, 1998). Traitement de l’addiction par l’EMDR Shapiro, Vogelmann-Sine et Sine (1994) ont rédigé un rapport sur les premières utilisations de l’EMDR avec l’addiction, à toutes les étapes du traitement de la toxicomanie. Selon ces auteurs : « Pour des effets thérapeutiques optimaux, les clients doivent être personnellement et systématiquement stabilisés, inscrits dans un groupe de soutien en 12 étapes, et abstinents depuis une durée suffisante pour empêcher les symptômes physiques du manque” (p. 379). Ils avançaient l’idée qu’un traitement efficace doit cibler aussi bien les stimuli internes (c’est-à-dire les émotions, les souvenirs traumatiques) que les stimuli externes (c’est-à-dire le groupe de pairs, le matériel de prise de drogue, certains environnements) susceptibles de déclencher la rechute. E2 Plus récemment, plusieurs approches EMDR ont été développées pour les clients souffrant de troubles addictifs. Toutes proposent une approche commune, qui utilise la désensibilisation pour réduire la réactivité du client aux situations qui pourrait déclencher l’usage de substance. Toutefois, les cibles utilisées afin de réduire cette réactivité diffèrent énormément. De plus, ces protocoles diffèrent également en ce qui concerne l’exigence (ou l’absence d’exigence) d’une abstinence du client vis-à-vis de la substance. Omaha (1998) a créé le protocole “Chemotion and EMDR” pour le traitement de la dépendance chimique. Le modèle d’Omaha cherche à aborder les déficits d’identité, sur la base d’une conceptualisation de l’addiction en termes de relations d’objet (Omaha, 1998). Après le traitement des résistances à la guérison, il utilise le protocole EMDR standard pour cibler les incidents traumatiques que l’on pense à l’origine de la dépendance. Après le ciblage de toutes les drogues utilisées par le client et des pensées/sentiments associés au traumatisme, le protocole recommande de faire entrer le client dans un groupe de parole au sein duquel un traitement verbal supplémentaire des traumatismes de l’enfance résoudra ces problèmes (Omaha, 1998). Le protocole appelé DeTUR (Desensitization of Triggers and Urge Reprocessing : désensibilisation des déclencheurs et retraitement des envies du produit Popky, 2005) cherche à renforcer la gestion positive en concentrant l’attention des clients tant sur les objectifs du traitement que sur l’apaisement des déclencheurs. Dans la première partie du protocole DeTUR, le client se concentre sur ce qu’on nomme l’objectif positif de traitement. Il développe une image de ce que serait sa vie une fois les changements effectués dans sa consommation d’alcool et/ou de drogue, que ces changements visent l’abstinence ou la réduction du problème. Après avoir accentué cet objectif par le biais d’une imagerie visuelle renforcée par des stimulations bilatérales, le clinicien travaille avec son client au développement de ressources internes et externes pour soutenir le changement. Ils travaillent ensuite à désensibiliser chaque déclencheur de consommation de substances. On apprend aux clients à utiliser tout seuls la stimulation bilatérale si les sensations d’envie reviennent. Vogelmann-Sine, Sine, Smyth et Popky (1998) ont publié un manuel d’utilisation de l’EMDR dans le cadre d’un plan global de traitement de la dépendance chimique. Ils recommandent une évaluation la plus large possible du cadre de vie et du fonctionnement courant du client, en particulier sur le point de savoir si celui-ci montre « une tolérance aux affects, une capacité à contenir ses affects et une capacité à la pleine conscience » (p. 8). Ces auteurs intègrent à Journal of EMDR Practice and Research, Volume 6, Number 2, 2012 Abel and O’Brien la fois le protocole DeTUR (Popky, 2005) et le protocole EMDR standard afin d’aborder et de traiter les déclencheurs, c’est à dire les pensées, les sentiments et les situations et les souvenirs traumatiques qui peuvent conduire à la prise de substance. La réussite du client dans la gestion des déclencheurs depuis la séance précédente est renforcée par les mouvements oculaires au début de chaque séance. Zweben et Yeary (2006) ont décrit comment on peut intégrer l’EMDR à différentes phases du traitement des addictions. Après avoir exposé ce qu’est l’EMDR et ce qu’est le traitement de l’addiction, les auteurs décrivent comment l’exercice du « lieu sûr » (Shapiro, 2001) et le développement de ressources (Korn & Leeds, 2002) peuvent être mis en œuvre lorsqu’un client est au début de son rétablissement et est encore trop instable pour passer au traitement du traumatisme (pré-EMDR). Le protocole du traumatisme peut alors être mis en œuvre afin de cibler les traumatismes plus anciens qui sous-tendent l’addiction. Les auteurs notaient que l’abstinence n’est pas nécessaire pour le travail sur le traumatisme, dans la mesure où « de nombreux clients ne peuvent être sobres avant qu’une partie de la charge émotionnelle de leur passé traumatique ne leur soit enlevée » (p. 121). Ils donnent des exemples de cas pour illustrer leurs recommandations. Hase, Schallmayer et Sack (2008) ciblent le « souvenir de la dépendance » dans le traitement. Ces auteurs affirment que le souvenir de la dépendance (un épisode réel de prise du produit, une rechute ou une envie du produit) peut être ciblé et retraité. Le protocole utilisé est semblable au protocole standard, mais on cible le souvenir de l’envie et on se sert de l’échelle d’évaluation du niveau d’envie (LOU—Level of Urge) au lieu de l’échelle d’unités subjectives de perturbation (SUDS— Subjective Units of Disturbance Scale). Le ciblage et le traitement du manque/de la rechute doivent aussi mener jusqu’à la raison originelle qui a conduit le client à l’usage de substances (Hase, 2006). Dans l’idéal, les clients verront une réduction de leur envie du produit ainsi qu’une réduction des tendances à rechuter (Hase, Schallmayer & Sack, 2008). Hase (2010) a défini davantage ce protocole, qu’il a renommé CravEx, en l’accompagnant de descriptions détaillées sur la manière de l’utiliser dans le traitement. Cela peut être une adjonction utile au traitement EMDR, en aidant le client à arriver à la sobriété, en préparation au protocole standard. Recherches sur l’EMDR et l’addiction La recherche sur l’efficacité clinique de l’EMDR concernant l’addiction est limitée. Hase, Schallmayer et Sack (2008) ont publié le seul essai de contrôle randomisé qu’on trouve dans la littérature. L’EMDR a été mise en œuvre avec ou sans « le traitement habituel ». Celui-ci intégrait la désintoxication, des aspects d’entretien motivationnel, une évaluation du soutien/de l’ajustement social, un traitement de groupe, un entraînement à la relaxation et de l’art-thérapie. Le traitement s’étendait sur une période de 14–21 jours au terme desquels les clients étaient orientés vers un programme de réadaptation et encouragés à assister, dans leur quartier, à des réunions de programme en 12 étapes. Les patients du groupe expérimental recevaient le traitement habituel plus deux séances d’une heure d’EMDR qui ciblait le souvenir de l’addiction, consi déré comme le principal déclencheur de rechute. Lors de la comparaison des groupes, à des intervalles d’un et six mois, respectivement, leurs résultats suggèrent que l’EMDR a amélioré le traitement de l’addiction en réduisant le manque autant que les rechutes. Cox et Howard (2007) ont rapporté une étude de cas portant sur l’utilisation de l’EMDR pour une addiction sexuelle. Les auteurs décrivaient comment l’EMDR pouvait être utilisé afin de traiter les traumatismes précoces qui sous-tendent l’addiction sexuelle autant que les situations du présent qui déclenchent la rechute. Une étude de cas illustrait comment on pouvait combiner l’EMDR, l’éducation autour de l’addiction sexuelle, la participation aux réunions des 12 étapes et un travail en parrainage pouvaient être combinés afin de traiter ce trouble. Après avoir traité un abus sexuel passé, le client a été guidé dans le ciblage des situations de la vie courante qui déclenchaient de la honte et des envies de passer à l’acte sexuellement. L’EMDR était intégrée à d’autres techniques thérapeutiques (la rédaction d’une lettre, la technique de la chaise vide, les compétences de prévention de rechute) afin de soutenir le rétablissement en cours. Marich (2009) rapporte un cas d’utilisation de l’EMDR sur la polytoxicomanie d’une femme ayant subi une agression sexuelle et remplissant à la fois les critères de la dépendance à l’alcool, au cannabis et aux sédatifs, et les critères de l’ESPT. Cette cliente se présentait pour un traitement après sa troisième condamnation pour conduite en état d’ébriété, n’ayant jamais réussi à rester sobre que de façon limitée (la période la plus longue ayant été de 4 mois), et après avoir tenté d’autres traitements (en hospitalisation et en consultation externe) sur une période de 12 ans. Après avoir préparé sa cliente au traitement par l’EMDR par la technique du « lieu sûr », l’auteur a utilisé le protocole EMDR standard afin de cibler les expériences de honte qui faisaient obstacle à son rétablissement. Un travail Journal of EMDR Practice and Research, Volume 6, Number 2, 2012 Traitement par l’EMDR d’états comorbides d’ESPT et de dépendance à l’alcool : un exemple de cas E3 sur l’avenir fut ensuite utilisé afin de renforcer les cognitions positives nouvellement développées. Les entretiens de suivi, 18 mois plus tard, indiquaient que la cliente était restée abstinente. Etude de cas Introduction Cette étude de cas montre combien il est important d’aborder l’usage et l’abus de substance, et illustre de plus le dilemme clinique de nombreux thérapeutes : savoir si et quand utiliser le protocole du traumatisme chez un toxicomane actif. Les auteurs exposent les facteurs qui ont été pris en compte dans l’élaboration de la formulation clinique et du plan de traitement pour utiliser l’EMDR pour ce cas précis. La cliente présentait initialement une dépendance active à l’alcool et un ESPT consécutif au suicide de son mari. Certains détails non essentiels ont été changés afin de dissimuler l’identité de la cliente et de préserver son anonymat. Présentation du problème. Margo, une femme blanche de 45 ans, veuve, mère de trois filles, a été orientée vers ce thérapeute par un autre thérapeute de la région. Ce dernier suivait Margo et son petit ami dans le cadre d’un traitement de couple lorsqu’il découvrit l’alcoolisme de Margo. Il l’orienta alors sur un traitement pour sa toxicomanie, pressentant que ce problème était de première importance. Margo se présenta à son nouveau thérapeute avec des inquiétudes concernant sa consommation croissante d’alcool. Dans le passé, elle avait consulté plusieurs thérapeutes, sollicitant leurs conseils sur sa toxicomanie, mais sans succès. Elle avait également essayé un traitement en consultation ambulatoire intensive. Elle rechutait après chaque thérapie. Elle se montrait à la fois extrêmement frustrée, mais aussi extrêmement motivée à changer ces schémas de consommation. C’était une femme instruite et très intelligente. Elle avait un emploi à plein temps. Elle se disait isolée et déprimée, mais elle n’avait pas de traitement médicamenteux. Elle était anxieuse et présentait d’autres symptômes d’ESPT, y compris des réactions de sursaut. Elle rapporta qu’elle « ne savait pas qui elle était ». Histoire de la patiente. Margo était l’aînée de trois enfants qui avaient grandi sur la côte ouest des EtatsUnis. Le père était décrit comme un alcoolique qui avait cessé de boire à l’université: cela correspond au syndrome de la “cuite sèche” c’est-à-dire un alcoolique non traité, abstinent, mais qui continue de manifester les comportements négatifs associés à la prise d’alcool. Margo disait qu’il était dominateur, négatif et très intelligent. La mère était “gentille” et décrite comme soumise à son mari. Margo avait une E4 sœur de 4 ans son aînée qui était, d’après elle, une alcoolique active. Son frère, plus jeune de 2 ans, avait arrêté l’alcool un an avant que Margo ne rencontre ce thérapeute, mais continuait à fumer régulièrement de la marijuana. Il y avait très peu de communication dans sa famille d’origine et pas de modèle de gestion des émotions. La famille pratiquait une religion conservatrice. Grandir dans cet environnement religieux conservateur avait été une « horreur » pour elle; on lui apprenait qu’il était bon de souffrir. Au lycée, Margo passa 6 mois dans un foyer de groupe religieux parce qu’elle était « incorrigible ». Elle rapporta qu’elle n’avait rien de commun avec les toxicomanes et les prostituées qu’elle y rencontra. Après le lycée, Margo entra directement à l’université, où elle connut son mari. Elle se maria immédiatement après son diplôme. Elle eut trois filles, âgées de 17, 15 et 12 ans. Son mari se suicida six ans avant le début de son traitement EMDR. Le mari était déprimé depuis quelque temps, mais son suicide était complètement inattendu. Margo, rentrant chez elle, le trouva dans le garage, mort d’un empoisonnement au monoxyde de carbone. Ce fut très traumatisant pour elle. Elle se sentit écrasée de chagrin et incapable d’assumer l’éducation de ses filles. Démunie des compétences qui lui auraient permis de faire face à la situation, elle augmenta immédiatement sa consommation d’alcool. Ce qu’elle décrivit comme un gros usage social de l’alcool devint rapidement plus régulier, plus lourd et plus abusif. Elle développa une dépendance psychologique à l’alcool et devint incapable de s’arrêter, en dépit de plusieurs tentatives thérapeutiques et d’un traitement anti-alcoolique en consultation ambulatoire intensive. Sa consommation d’alcool continua d’augmenter et elle avait envie de mourir, ne voyant pas comment sortir du désespoir et de la dépression liés au suicide de son mari. Déroulement du traitement Lorsque Margo commença le traitement avec ce thérapeute, il fut décidé de se concentrer sur sa dépendance à l’alcool car c’était pour ce problème qu’elle se présentait. Au moment où elle commença le traitement, elle avait déjà consulté plusieurs autres thérapeutes et avait été en consultation ambulatoire intensive. Aucun de ces épisodes thérapeutiques n’avait eu de succès. Elle buvait presque tous les jours des quantités importantes d’alcool et présentait des symptômes cohérents avec les diagnostics d’ESPT et de dépendance à l’alcool (APA, 1994). Pour un thérapeute ayant affaire à un client qui est déjà passé sans succès par de nombreux types différents Journal of EMDR Practice and Research, Volume 6, Number 2, 2012 Abel and O’Brien de traitements, trouver une nouvelle approche du problème représente un défi. Cette cliente était particulièrement motivée à changer et extrêmement frustrée par son incapacité à y parvenir. Le thérapeute, devant cette situation, décida d’aborder la question différemment de ce qui avait été tenté auparavant : la décision fut prise de procéder à des interventions pré-EMDR et EMDR en plus d’une approche plus traditionnelle de traitement de la toxicomanie. La cliente n’étant pas physiquement dépendante à l’alcool, il n’y avait pas de problème à travailler en ambulatoire. Le traitement, qui va être abordé plus en détail, inclut le lieu sûr, l’objectif positif de traitement du protocole DeTUR, le développement de ressources, le protocole standard et le protocole de Hase sur le souvenir de l’addiction, en plus d’interventions et de groupes d’entraide non-EMDR. Concentration du traitement sur la stabilisation/ préparation et sur la dépendance à l’alcool Le premier objectif du traitement fut la stabilisation de la cliente et la préparation au travail EMDR qui allait suivre. Il était clair dès le début que le traumatisme non résolu et la culpabilisation entourant le suicide de son mari jouaient un rôle dans le besoin de boire de Margo. En conséquence, il fut décidé de travailler avec des techniques pré-EMDR et des techniques traditionnelles de traitement de la toxicomanie. Ainsi que le recommande Shapiro (2001), le traitement commença par l’exercice du lieu sûr. On s’en servit pour tester la capacité de Margo à utiliser les techniques EMDR et pour évaluer sa réactivité à ces techniques. Elle en était au point où elle était prête à faire pratiquement n’importe quoi. Elle eut quelque difficulté à trouver un endroit où elle se sentît en sécurité, mais elle visualisa l’image d’une plage voisine. Son ancre verbale était « vague ». Cette image établie, elle s’en servit et se sentit plus détendue que par le passé; elle put progressivement l’utiliser pour faire face à son anxiété, en séance et chez elle. On mit ensuite en œuvre une partie du protocole DeTUR: l’objectif positif de traitement. Ce protocole aide les clients à se concentrer sur leurs objectifs de traitement. L’installation des objectifs par les stimulations bilatérales les renforce et offre au client l’image d’une autre façon nouvelle et différente de vivre. Margo était très claire sur son désir d’arrêter de boire. Elle se visualisait abstinente, menant sa vie quotidienne sans alcool. Le thérapeute renforçait cette visualisation avec de brefs sets de stimulations bilatérales, en utilisant l’Audiotac™ et les tapotements. Le protocole DeTUR inclut également une aide au développement de ressources tant internes qu’externes. Le développement de ressources (Korn & Leeds, 2002) fut utilisé afin d’étayer sa capacité à rester sobre. Ce protocole aide le client à développer la force du Moi nécessaire à la réalisation des changements qui sont si importants dans l’apprentissage d’un mode de vie sobre. Les qualités que Margo choisit de développer étaient « la force » et « la volonté ». Elle fut capable de retrouver des moments de sa vie où elle avait démontré ces qualités, et l’Audiotac fut utilisé pour les renforcer. Elle visualisa de nouveau une vie libérée de l’alcool. De plus, des techniques de rétablissement sans lien avec l’EMDR ou le pré-EMDR furent utilisées. Margo fut encouragée à fréquenter les AA, à trouver un parrain, à pratiquer des techniques de bonne gestion des affects, et à identifier les déclencheurs de sa consommation d’alcool et les techniques lui permettant d’apprendre à gérer ses pulsions de boire. Margo continuait de rechuter en dépit de ses efforts pour mettre un terme à sa consommation d’alcool. Après 2 mois, elle était extrêmement inquiète et frustrée d’être incapable d’arrêter de boire. Un autre client n’aurait peut-être pas été aussi frustré et il lui aurait peut-être fallu plus de temps pour en arriver là, mais Margo n’en était pas à sa première thérapie. Elle était particulièrement inquiète parce que, malgré sa motivation, elle ne parvenait pas encore à changer. Après de longues discussions, elle et son thérapeute déterminèrent que le traumatisme du suicide de son mari interférait avec sa capacité à rester sobre. Elle consommait de l’alcool pour gérer les émotions résultant de ce traumatisme, et sa consommation avait considérablement augmenté après le suicide. Sa capacité à tolérer les affects s’était quelque peu améliorée, de même que ses ressources internes et externes (Leeds, 2001), mais elle ne maîtrisait pas ces compétences. Son thérapeute détermina qu’elle ne réussirait pas à rester sobre sans un travail sur le suicide de son mari. Un facteur important dans cette décision était le fait que Margo avait une forte alliance thérapeutique avec son thérapeute et qu’elle pouvait s’en servir comme d’une ressource. Sa sobriété était vacillante, mais elle était fortement motivée à changer. Traitement centré sur l’événement traumatique Au début de la sixième séance, Margo et son thérapeute décidèrent de commencer à travailler avec le protocole du traumatisme. Plus tard, Margo rapporta qu’ils avaient ainsi “plongé” dans le travail sur le trauma et qu’elle en était contente. Il fallut trois séances d’une heure pour élaborer tous les aspects de cet événement. Il était clair que le problème organisateur était le sentiment de responsabilité de Margo envers le suicide de son mari. Journal of EMDR Practice and Research, Volume 6, Number 2, 2012 Traitement par l’EMDR d’états comorbides d’ESPT et de dépendance à l’alcool : un exemple de cas E5 La cible était le suicide de son mari. Image : La vue du corps de son mari dans la voiture dans le garage. Cognition négative : C’est ma faute. Cognition positive : Ce n’est pas ma faute. Validité de la cognition (VoC) : 3 Emotions : peur, panique, un besoin de s’enfuir. SUD : 10 Corps : de la tête à la poitrine. Lors du traitement EMDR initial, Margo commença par passer chronologiquement en revue les événements du jour du suicide. Elle exprima une émotion considérable. Elle traita aussi des événements qui avaient eu lieu plus tôt dans la semaine, notamment l’anniversaire de son mari et le regret qu’elle avait de ne pas lui avoir demandé comment il allait. Elle commença à s’apercevoir qu’elle s’était sentie piégée dans la relation et se souvint qu’elle avait pensé à divorcer. Les épisodes dépressifs de son mari devenaient plus évidents à ses yeux. Grâce à un tissage thérapeutique, elle fut capable de voir qu’elle n’était pas responsable de sa mort. A la fin de la séance, l’échelle SUD était à 7 sur 10. Lors de la réévaluation au début de la deuxième séance, les SUD avaient chuté à 5. Elle rapporta que bien qu’elle se sente triste, cela n’avait plus le même impact. Pendant cette séance, elle continua de traiter les événements entourant le suicide ainsi que les réactions de ses enfants et de sa famille. Le traitement progressait doucement. L’échelle SUD indiquait 3 à la fin de la deuxième séance. Au début de la troisième séance d’utilisation du protocole standard, Margo rapporta que sa semaine avait été très chargée en émotion. Elle s’était sentie seule et blessée, mais également satisfaite d’avoir si bien travaillé en EMDR. Elle avait pu rester abstinente entre les séances. Cela avait été difficile, mais elle était allée voir les AA, qu’elle n’avait pas accepté de fréquenter jusque-là ; elle avait beaucoup marché, avait appelé de nombreuses personnes et s’était permis de ressentir ses propres sentiments, ce qu’elle décrivit comme une expérience étrange et nouvelle. En début de séance, l’échelle SUD indiquait un 2. Au cours du traitement, elle se vit sortir d’un lieu sombre et abandonner ses peurs de se rapprocher des autres. Elle commença à se voir faire tomber des murs autour d’elle. Elle faisait face à un dilemme: boire ou prendre le risque de changer et de vivre sainement. Le thérapeute utilisa alors le tissage à deux mains de Robin Shapiro (Shapiro, 2006). Ce tissage cognitif peut être particulièrement utile lorsqu’un client est ambivalent, déchiré entre deux E6 aspects d’un problème, ou lorsqu’il a le sentiment d’être bloqué. Margo visualisa dans une main le fait de boire et dans l’autre, une vie différente, plus risquée. Le thérapeute fit des stimulations bilatérales. La cliente se mit à rire. Elle dit qu’il n’y avait “pas photo” : boire signifiait mourir, ne plus boire voulait dire grandir et devenir responsable. L’échelle de SUD, à la fin de cette séance, était à 0 et la cognition positive fut installée. (On notera que lors de réévaluations ultérieures au cours du traitement, l’échelle SUD est restée à 0.) Traitement centré sur la sobriété et sur la prévention des rechutes Au cours des six mois suivants, Margo poursuivit ce traitement hebdomadaire avec son thérapeute. Elle travailla sur le maintien de sa sobriété, sur des problèmes familiaux et relationnels et développa un réseau de pairs et une vie sociale qu’elle n’avait jamais eus avant. Margo commença à s’occuper sérieusement de sa sobriété. Elle fréquentait régulièrement les AA, collaborait avec son parrain de manière appropriée, et commença à travailler sur les 12 étapes. Margo resta sobre pendant 6 mois, jusqu’au jour où elle rendit visite à sa famille pendant les vacances. Les interactions entre elle et sa famille furent un puissant déclencheur de rechute. A son retour, elle se rendit à l’épicerie, acheta une bouteille de rince-bouche et la but. Traitement centré sur le souvenir de l’addiction Lors de la première séance après la rechute de Margo, le thérapeute utilisa le protocole développé par Hase (2006) pour traiter le souvenir de l’addiction. Dans le cas de Margo, il y avait une rechute particulière à traiter. Il décida de se servir de ce protocole parce que celui-ci avait été particulièrement mis au point pour les cas de rechute ou d’envie pressante de rechuter. Le traitement du souvenir de l’addiction ramène le client à la cause de celle-ci, et peut être très précieux dans le cours de la thérapie en cours. Il était opportun, vu la récente rechute de Margo, de s’en servir ici. Incident: l’épisode de rechute avec le rince-bouche Image: se voir à l’épicerie, prête à acheter le rince-bouche LOU: 10 Cognition négative: je suis stupide. Cognition positive: je prends des décisions saines. VoC: 4 Emotion: la honte Corps: centre. Journal of EMDR Practice and Research, Volume 6, Number 2, 2012 Abel and O’Brien Au début du travail, Margo fut submergée d’émotions. Ses difficultés liées à l’abandon se révélèrent. Elle se sentait extrêmement effrayée à l’idée de s’ouvrir aux autres et de prendre le risque d’être abandonnée; elle buvait pour gérer ces émotions. Elle attirait des personnes qui avaient besoin d’aide, s’investissait dans ses relations avec elles et ne pouvait donc pas s’occuper d’elle-même correctement. Elle avait grandi en se sentant niée par les autres et continuait à se nier elle-même. Après 11 sets de stimulations bilatérales, l’échelle LOU indiquait 0 et la cognition positive fut installée. Traitement centré sur la prévention permanente des rechutes Ce fut la dernière rechute de Margo. Lors des séances suivantes, elle rapporta cependant qu’elle ressentait occasionnellement de fortes envies de consommer de l’alcool. Le protocole Hase (2006) fut utilisé quatre fois pour traiter ces envies. Ce qui suit est l’exemple d’une séance, après une conversation qu‘elle avait eue avec son petit ami et qui avait déclenché une de ces envies : Image: elle-même assise dehors après avoir raccroché le téléphone à la suite d’une conversation avec son petit ami. LOU: 8 Cognition négative: on ne peut pas m’aimer. Cognition positive: je peux m’aimer suffisamment. VoC: 2 Émotions: dégoût Corps: partout Margo traita cette pulsion à consommer de l’alcool en 12 sets de stimulation bilatérale. De nouveau, d’anciennes pertes et d’anciennes déceptions émergèrent, de même que des sentiments de faible estime de soi. Elle vit qu’elle avait pris l’habitude de boire pour gérer ces sentiments. Elle prit également conscience de sa capacité à faire des choix et à choisir des réponses saines. A la fin de la séance, l’échelle LOU indiquait 0 et le VoC fut installe. Suivi La cliente avait utilisé avec succès le traitement EMDR, et était satisfaite des résultats obtenus. Elle a poursuivi sa thérapie jusqu’à l’écriture du présent article. Le traitement a évolué, se centrant sur des problèmes d’ordre familial passés ainsi que sur des difficultés relationnelles actuelles. Margo écrivit une déclaration qu’on lut lors d’une réunion de l’Association Internationale d’EMDR, où ces informations furent présentées. Elle a donné aux auteurs l’autorisation d’en inclure un extrait ici : “Après quelques séances [du protocole EMDR pour les traumatismes], j’ai noté une énorme différence. C’était comme une porte s’était ouverte dans une pièce noire où je m’étais enfermée moi-même. Pendant très longtemps, j’ai été incapable d’en sortir, terrifiée par les émotions que j’allais inévitablement rencontrer et qui allaient me submerger et m’emprisonner de nouveau. Depuis que j’ai commencé à travailler avec [mon thérapeute], ma vie a complètement changé. Cela a été un travail difficile [...] mais je n’ai plus envie de mourir et je suis [...] complètement sobre.” Margo est restée sobre et son envie de boire a diminué de façon significative. Au jour où nous écrivons, elle est abstinente depuis plus de 2 ans. De plus, elle n’éprouve plus aujourd’hui, dit-elle, que peu de douleur à propos du suicide de son mari. Il lui arrive encore d’éprouver un chagrin normal lorsque les vacances arrivent, lors des anniversaires et d’autres événements importants, mais elle ne se fait plus de reproches et ne sent plus responsable de son suicide. Discussion La thérapie avec les clients souffrant d’addiction L’addiction est une question particulièrement complexe pour les cliniciens, en raison de la multitude des facteurs impliqués pour chaque client, avec des inquiétudes aux plans physique, psychologique et social. Traiter la dépendance et l’ESPT (ou tout autre diagnostic comorbide) rend le tableau clinique plus complexe encore. C’est un domaine changeant et en croissance; il n’y a pas une seule manière de traiter cette population. Il est important de traiter chaque client individuellement afin de maximiser les résultats. Discussion autour du cas Margo s’est présentée en thérapie avec des inquiétudes concernant sa consommation grandissante d’alcool. Elle se définissait elle-même comme une alcoolique. Elle présentait également des symptômes d’ESPT, en rapport avec le suicide de son mari. Bien qu’elle bût déjà beaucoup avant, elle se servait depuis sa mort de l’alcool comme d’un remède à certains de ces symptômes. Il était clair que ces deux points allaient devoir être abordés au cours de la thérapie. De plus, Margo avait fait antérieurement plusieurs tentatives Journal of EMDR Practice and Research, Volume 6, Number 2, 2012 Traitement par l’EMDR d’états comorbides d’ESPT et de dépendance à l’alcool : un exemple de cas E7 De nombreux facteurs furent pris en compte lors de cette prise de décision : l’évaluation que, si Margo buvait beaucoup, elle n’était pour autant pas physiquement dépendante et qu’elle n’avait pas besoin d’un programme de désintoxication. De plus, bien qu’elle ait bu avant le suicide de son mari, ce traumatisme avait exacerbé sa consommation, qui augmenta de façon notable à la suite de cet événement. 2. Les tentatives antérieures du client de mettre un terme à son alcoolisme. Margo avait essayé à plusieurs reprises d’y mettre fin, sans succès. Cela la frustrait et elle voulait essayer quelque chose de nouveau et de différent. 3. La motivation du client. En dépit de sa frustration, Margo était extrêmement motivée. 4. L’historique traumatique du client. Margo avait subi des négligences pendant son enfance mais ne voyait pas celle-ci comme traumatique. Le suicide de son mari semblait être le traumatisme majeur de sa vie. Si son histoire traumatique avait été plus complexe, une approche plus lente, mettant l’accent sur le développement de ressources, aurait été nécessaire. 5. Le fonctionnement actuel du client et son niveau de stress. En dépit de son alcoolisme, Margo était très active. Elle travaillait à plein temps et maintenait un certain contact avec les autres. Son stress provenait essentiellement du suicide et de sa consommation d’alcool. 6. Les ressources internes et externes du client et sa tolérance aux affects. C’était le seul domaine où le thérapeute avait quelques inquiétudes. Margo commençait à être capable d’identifier et de tolérer ses propres sentiments. Bien qu’elle ait entrepris de fréquenter les AA, ses sources de soutien et ses relations extérieures étaient réduits. Intérieurement, Margo commençait tout juste à développer la sensation d’avoir un peu de force en elle, mais c’était minime. Leeds (2001) souligne combien il est important le client ait des ressources internes et externes, ainsi qu’une tolérance suffisante aux affects, avant d’entamer le protocole standard. Toutefois, dans ce cas précis, le clinicien était un thérapeute expérimenté qui considérait qu’il aurait été dommageable pour la cliente de ne pas passer au traitement. 7. L’utilisation par le client de la relation thérapeutique. C’était le facteur déterminant pour décider d’utiliser ou non le protocole standard. Margo avait une alliance solide avec son thérapeute. Celui-ci savait créer pour elle un sentiment de sécurité lors des séances, et elle savait que le thérapeute serait son allié au cours du traitement. 1. L’historique de l’addiction du client et ses schémas de consommation. Il fut déterminé lors de Utilisation du protocole de Hase sur le souvenir de l’addiction. On notera que lorsque le thérapeute thérapeutiques, notamment un programme intensif en ambulatoire, qui n’avaient pas réussi et ne lui avaient apporté, disait-elle, aucune aide. La décision d’utiliser les protocoles EMDR Comme dans toutes les thérapies, un clinicien EMDR doit décider de la manière de procéder et du traitement qui sera le plus efficace. La décision d’utiliser l’EMDR avec cette cliente fut prise, en partie, pour tenter de faire autre chose que les thérapies auxquelles elle avait déjà eu recours. Dans le domaine de l’EMDR, il faut faire de nombreux choix concernant la manière de procéder et le protocole à utiliser. La souplesse du clinicien est peut-être la chose la plus importante pour le client. Dans le cas de Margo, c’est pour cette raison que le thérapeute décida d’utiliser différentes parties de plusieurs protocoles. Stabilisation/préparation. Margo bénéficia du travail préliminaire avec l’exercice dulieu sûr. Elle put s’en servir pour se calmer et comme ressource pour trouver un peu plus de quiétude dans sa vie. L’objectif positif de traitement (protocole DeTUR) l’aida à se concentrer sur ses objectifs aussi bien qu’à se représenter activement un autre style de vie. Le protocole de développement des ressources étaya encore davantage son Moi et l’aida à se préparer au travail sur le traumatisme qui allait suivre. Utilisation du protocole standard sur le traumatisme. Le traitement avançait, mais Margo n’était toujours pas en mesure de rester sobre : il devint clair pour son thérapeute et pour elle-même qu’elle était hantée par le suicide de son mari. Bien que de nombreux thérapeutes spécialisés dans la toxicomanie considèrent qu’un client doit être abstinent avant qu’on passe au travail sur les traumatismes (Hase, 2010 ; Zweben, Clark, & Smith, 1994), nous avons estimé qu’elle ne pourrait pas se libérer de sa dépendance sans faire d’abord ce travail. Cette position est soutenue par Shapiro qui écrivait : “Le traitement EMDR requiert que les cliniciens reconnaissent qu’un traumatisme non résolu joue fréquemment un rôle important dans la persistance d’une toxicomanie ou d’une dépendance... l’EMDR est utilisé pour traiter ces souvenirs antérieurs, fournissant au client une perspective plus adaptée des événements passés et, par voie de conséquence, une attitude plus fonctionnelle à l’égard du passé et du futur.” (Shapiro, Vogelmann-Sine & Sine, 1994, p. 383) E8 Journal of EMDR Practice and Research, Volume 6, Number 2, 2012 Abel and O’Brien commença le travail avec cette cliente, il ne connaissait pas familier le travail de Michael Hase ni du traitement du souvenir de l’addiction. Cela aurait pu être une bonne option de traitement avant le traitement du traumatisme. Il fut cependant utilisé après le travail sur le trauma pour réduire les envies de Margo de consommer de l’alcool et afin de traiter la rechute. La décision d’utiliser le protocole de Hase à ce moment-là était logique, parce que Margo venait de faire une rechute : cela paraissait plus efficace que de traiter chaque déclencheur, comme dans le protocole DeTUR. Il semble qu’il y ait eu un effet de généralisation, car, après trois utilisations de ce protocole, la cliente n’a plus rapporté d’envie de consommer de l’alcool. Discussion concernant les protocoles Margo a bien réagi à tous les protocoles qui ont été utilisés. Par conséquent, elle est parvenue à changer nettement de comportement et à devenir abstinente. Un autre client aurait pu avoir plus de difficultés ou aurait pu trouver bénéfice à ce que les protocoles soient utilisés dans un ordre différent. Il y a place pour beaucoup d’autres recherches sur ce point. Le thérapeute travaillant en EMDR avec un client présentant des troubles comorbides doit évaluer avec soin chaque client, ses besoins propres et son historique particulier, afin de prendre la meilleure décision clinique concernant la procédure qu’il va suivre. Il doit aussi être assez flexible pour changer le cours du traitement si cela devient nécessaire : par exemple, si le client éprouve des difficultés à faire le travail sur les traumas avec le protocole standard, un travail complémentaire sur les ressources pourrait s’avérer utile. Le protocole de Hase pourra parfois être utilisé de façon plus fréquente avec certains clients. Traitement de la toxicomanie Le domaine du traitement des addictions continue à évoluer par rapport à la question de savoir quelles interventions donneront de bons résultats, pour quels clients et sous quelles conditions. Jusqu’à récemment, le « succès » du traitement des dépendances à l’alcool et aux autres drogues était défini en termes d’abstinence à l’égard de l’alcool et des psychotropes (Marlatt & Gorden, 1998). Les publications récentes reconnaissent que la notion de « réduction du mal », c’est-à-dire le fait d’aider les clients à consommer ces produits d’une façon qui réduise les risques pour eux-mêmes et pour leur entourage, gagne du terrain. L’EMDR est très prometteur en tant que traitement de l’alcoolisme et des autres toxicomanies. Recommandations pour de futures recherches La recherche, tant sur l’EMDR que sur le traitement de la dépendance, va continuer à se développer. Il faudra définir des procédures, tant qualitatives que quantitatives, pour explorer des façons d’aider les clients souffrant de toxicomanie. Des modèles de traitement variés pourraient être utilisés. Des études quantitatives pourraient explorer la façon dont l’EMDR peut améliorer le traitement des addictions dans toutes sortes de niveaux de soin (Brown, 2003; Hase, Schallmayer, & Sack, 2008) : des études à venir pourraient ainsi examiner la mise en œuvre de différents protocoles en milieu hospitalier, en traitement de jour, en consultation intensive ambulatoire et en traitement ambulatoire, et déterminer si et quand il faut utiliser quels protocoles, et dans quels cadres. Des recherches pourraient être également explorer la prise de décision clinique concernant le moment où il faut utiliser le protocole DeTUR ou le protocole CraveEx selon les clients, de même que des combinaisons d’interventions de développement de ressources et de tolérance aux affects. Une option pourrait être d’observer deux groupes de clients présentant une dépendance à l’alcool et un ESPT. Le traitement d’un groupe inclurait le protocole standard et l’autre non. Quelle différence cela apporterait-il par rapport à l’accès à l’abstinence et au maintien à long terme de celle-ci ? Une autre option serait d’étudier l’utilisation de différents types de stimulation bilatérale. Les mouvements oculaires, les sons et les tapotements pourraient être comparés. Quel type de stimulation bilatérale est le plus efficace avec les clients souffrant d’addiction? Une recherche qualitative pourrait être menée afin d’explorer et de documenter les aspects particuliers de l’utilisation de l’EMDR dans le traitement des individus présentant des troubles toxicomaniaques. Voici quelques-unes des questions qui pourraient être envisagées : 1. De quelle manière la motivation du client à faire de l’EMDR et sa disposition à changer ses comportements de consommation affectent-elles les décisions relatives au traitement? 2. De quelle manière différents types d’histoire traumatique (un événement traumatique unique par rapport à des traumatisations chroniques) affectent-ils le traitement de la toxicomanie et le rétablissement Journal of EMDR Practice and Research, Volume 6, Number 2, 2012 Traitement par l’EMDR d’états comorbides d’ESPT et de dépendance à l’alcool : un exemple de cas E9 3. Dans quels cas le clinicien doit-il utiliser d’abord le Protocole Standard ou d’abord les protocoles orientés vers l’addiction? Comment le clinicien prend-il la décision d’utiliser quelle partie de quel protocole, avec quel client, et à quel moment? Ce point mériterait beaucoup d’autres recherches. 4. Quand le clinicien doit-il insister sur l’abstinence chez son client avant d’aborder le travail traumatique ou travailler avec une perspective de réduction du mal? Les clients peuvent-ils tirer un quelconque bénéfice de l’EMDR s’ils sont toujours consommateurs? Résumé Dans cet article, les auteurs ont discuté de la manière dont l’EMDR est utilisé dans le traitement de la dépendance à l’alcool et de l’ESPT comorbides. Le cas présenté illustre certaines des questions cliniques explorées pour déterminer quand utiliser les protocoles EMDR pour l’addiction et quand utiliser le protocole standard avec un toxicomane actif. La cliente a très bien réagi à l’EMDR et est parvenue à atteindre et à maintenir sa sobriété. La question de savoir si et quand utiliser ces protocoles reste cependant une décision clinique compliquée, qui mérite d’être étudiée davantage. Nous sommes dans un moment passionnant dans le domaine de l’addiction et du traitement de l’ESPT. Les occasions seront nombreuses, au cours du XXIe siècle, d’explorer les possibilités de traitement dans ces deux domaines. Bibliographie Allen, J. P., & Litten, R. Z. (1999). Treatment of drug and alcohol abuse. An overview of major strategies and effectiveness. In B. S. McCrady & E. E. Epstein (Eds.), Addictions: A comprehensive textbook (pp. 385–395). New York: Oxford University Press. American Psychiatric Association. (1994). Diagnostic and statistical manual of mental disorders (4th ed.). Washington, DC: Auteur. American Psychiatric Association. (2004). Practice guidelines for the treatment patients with acute stress disorder and posttraumatic stress disorder. Arlington, VA: Auteur. Brown, S. (2003). The missing piece: The case of EMDR-based treatment for post traumatic stress disorder and co-occurring substance abuse disorder. Relevé le 27 juin 2009 de http://www.lifeforceservices.com/article_detail. php?recordid=5 Cox, R. P., & Howard, M. D. (2007). Utilization of EMDR in the treatment of sexual addiction: A case study. Sexual Addiction and Compulsivity, 14, 1–20. E10 Foa, E. B., Keane, T. M., Friedman, M. J., & Cohen, J. A. (2009). Effective treatments for PTSD, second edition: Practice guidelines from the International Society for Traumatic Stress Studies. New York: Guilford. Ford, J., Hawke, J., Alessi, S., Ledgerwood, D., & Petry, N. (2007). Psychological trauma and PTSD symptoms as predictors of substance dependence treatment outcomes. Behavior Research and Therapy, 45, 2417–2431. Gracer, R. I. (2007). A new prescription for addiction (Gracer Behavioral Health Services). San Ramon, CA: Auteur. Hase, M. (2006, September). Reprocessing of the addiction memory. Présentation lors du congrès annuel d’EMDRIA, Philadelphie, PA. Hase, M. (2010). CraveEx: An EMDR approach to treat substance abuse and addiction. In M. Luber (Ed.), EMDR scripted protocols (pp. 467–488). New York: W. W. Norton. Hase, M., Schallmayer, S., & Sack, M. (2008). EMDR reprocessing of the addiction memory: Pretreatment, posttreatment and 1-month follow up. Journal of EMDR Practice and Research, 2, 170–179. Ironson, G., Freund, B., Strauss, J. L., & Williams, J. (2002). Comparison of two treatments for traumatic stress: A community-based study of EMDR and prolonged exposure. Journal of Clinical Psychology, 58, 113–128. Jacobsen, L., Southwick, S., & Kosten, T. (2001). Substance use disorders in patients with post-traumatic stress disorder: A review of the literature. American Journal of Psychiatry, 158, 1184–1190. Korn, D. L., & Leeds, A. M. (2002). Preliminary evidence of efficacy for EMDR resource development and installation in the stabilization phase of treatment and complex posttraumatic stress disorder. Journal of Clinical Psychology, 58, 1465–1487. Lee, C. W., Taylor, G., & Drummond, P. D. (2006). The active ingredient in EMDR: Is it traditional exposure or dual focus of attention? Clinical Psychology and Psychotherapy, 13, 97–107. Leeds, A. M. (2001). Strengthening the self: Principles and procedures for creating successful treatment outcomes for adult survivors of neglect and abuse (Enregistrement audio et manuel). Santa Rosa, CA: Auteur. Marich, J. (2009). EMDR in the addiction continuing care process. Journal of EMDR Practice and Research, 3, 98–106. Marlatt, G. A., & Gordon, J. R. (1985). Relapse prevention. New York: Guilford. Marlatt, G. A., & Gordon, J. R. (1998). Harm reduction: Pragmatic strategies for managing high risk behaviors. New York: Guilford. Omaha, J. (1998, July). Chemotion and EMDR: An EMDR treatment protocol based on a psychodynamic model for chemical dependency. Présentation lors du congrès EMDRIA 1998, Baltimore, MD. Peirce, J. M., Kindbom, K. A., Waesche, M. C., Yuscavage, A. S., & Brooner, R. K. (2008). Post-traumatic stress disorder, gender and problem profiles in substance dependent patients. Substance Use and Misuse, 43, 596–611. Journal of EMDR Practice and Research, Volume 6, Number 2, 2012 Abel and O’Brien Popky, A. J. (2005). DETUR, an urge reduction protocol for addictions and dysfunctional behavior. In R. Shapiro (Ed.), EMDR solutions: Pathways to healing (pp. 167–188). New York: W. W. Norton and Company. Project Match Research Group. (1997). Project Match secondary a priori hypotheses. Addiction, 92, 1671–1698. Schumacher, J. A., Coff ey, S. F., & Stasiewicz, P. R. (2006). Symptom severity, alcohol craving, and age of trauma onset in childhood and adolescent trauma survivors with comorbid alcohol dependence and posttraumatic stress disorder. The American Journal of Addictions, 15, 422–425. Shapiro, F., Vogelmann-Sine, S., & Sine, L. (1994). Eye movement desensitization and reprocessing: Treating trauma and substance abuse. Journal of Psychoactive Drugs, 26, 379–391. Shapiro, F. (1989). Eye movement desensitization: A new treatment for post-traumatic stress disorder. Journal of Behavior Therapy and Experimental Psychiatry, 20, 211–217. Shapiro, F. (2001). Eye movement desensitization and reprocessing (EMDR): Basic principles, protocols, and procedures (2nd ed.). New York: Guilford. Shapiro, R. (2006). The two-hand interweave. In R. Shapiro (Ed.), EMDR solutions: Pathways to healing (pp. 160–166). New York: W.W. Norton. Shapiro, F., & Forrest, M. S. (1997). Eye movement desensitization and reprocessing (EMDR): The breakthrough eye movement therapy for overcoming anxiety, stress, and trauma. New York: Basic. Solomon, R., & Shapiro, F. (2008). EMDR and the adaptive information processing model: Potential mechanisms of change. Journal of EMDR Practice and Research, 2, 315–325. van Wormer, K., & Davis, D. R. (2008). Addiction treatment: A strengths perspective. Belmont, CA: Thomson Brooks/ Cole. Vogelmann-Sine, S., Sine, L. F., Smyth, N. J., & Popky, A. J. (1998). EMDR chemical dependency treatment manual. Honolulu, HI: EMDR Humanitarian Assistance Program. Zweben, J. E., Clark, H. W., & Smith, D. E. (1994). Traumatic experiences and substance abuse: Mapping the territory. Journal of Psychoactive Drugs, 26, 327–344. Zweben, J., & Yeary, J. (2006). EMDR in the treatment of addiction. Journal of Chemical Dependency Treatment, 8, 115–127. Toute correspondance concernant cet article devrait être adressée à Nancy J. Abel, Independent Practice, PO Box 2749, South Portland, ME 04116-2749. Courriel : [email protected] Journal of EMDR Practice and Research, Volume 6, Number 2, 2012 Traitement par l’EMDR d’états comorbides d’ESPT et de dépendance à l’alcool : un exemple de cas E11