Traitement par l`EMDR d`états comorbides d

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Traitement par l`EMDR d`états comorbides d
Traitement par l’EMDR d’états comorbides d’ESPT
et de dépendance à l’alcool : un exemple de cas
Nancy J. Abel
South Portland, Maine
John M. O’Brien
Portland, Maine
L’EMDR (désensibilisation et retraitement par les mouvements oculaires) est une thérapie qui a démontré son efficacité dans le traitement de l’état de stress post-traumatique (ESPT). Une littérature clinique
encore relativement réduite, mais croissante, montre que l’EMDR peut aussi être un traitement complémentaire efficace de la toxicomanie. Le présent article passe en revue les divers protocoles qui ont été
développés dans ce but, avec les protocoles de Vogelmann-Sine et al., Omaha, Popky et Hase. Une étude
de cas intégrant certaines de ces interventions est présentée afin d’illustrer la réussite du traitement par
l’EMDR d’une femme souffrant de longue date d’une dépendance à l’alcool et d’un ESPT comorbides.
Le suivi, deux ans plus tard, a montré que cette femme restait sobre et que l’ESPT était en rémission
complète. Après une discussion des aspects importants de ce cas, les auteurs explorent de futures directions de recherche.
Mots-clés : EMDR ; toxicomanies ; dépendance à l’alcool ; traitement ; ESPT ; troubles comorbides
L
a désensibilisation et le retraitement par les
mouvements oculaires (EMDR) est une thérapie
développée à l’origine en 1987 par Francine
Shapiro pour le traitement des souvenirs traumatiques
(Shapiro, 1989). Depuis ses débuts, l’EMDR est passée
d’une technique de désensibilisation à une approche
intégrée de traitement psychothérapeutique (Solomon
& Shapiro, 2008). L’efficacité de l’EMDR, concernant
à la fois le traitement de l’état de stress aigu et celui
de l’état de stress post-traumatique (ESPT), est désormais établie (American Psychiatric Association [APA],
2004). La version la plus récente des directives de pratique de la Société Internationale d’Etude du Stress
Traumatique cite les traitements cognitifs et comportementaux (y compris la thérapie par exposition et la
thérapie de traitement cognitif) et l’EMDR parmi les
traitements de l’ESPT présentant le plus grand support empirique (Foa, Keane, Friedman & Cohen,
2009). Des recherches récentes, comparant l’EMDR
aux traitements traditionnels du traumatisme fondés
sur l’exposition, ont souvent établi une efficacité égale
ou supérieure de l’EMDR (Ironson, Freund, Strauss, &
Williams, 2002 ; Lee, Taylor, & Drummond, 2006).
Bien que la littérature existante décrive le traitement EMDR de nombreuses autres difficultés,
parmi lesquelles divers troubles anxieux, les conflits
de couple ou les problèmes relatifs à la performance
(Shapiro & Forrest, 1997), on manque encore
d’études sur son efficacité dans ces domaines. On
trouve, cependant, certaines preuves préliminaires
tendant à montrer que l’EMDR peut être efficace
en tant que thérapie complémentaire dans le traitement des troubles toxicomaniaques. L’utilité possible
de l’EMDR concernant ces troubles pourrait ­trouver
son origine dans les niveaux élevés d’exposition
traumatique et d’ESPT dans la population des toxicomanes. L’incidence de l’exposition traumatique chez
les individus souffrant de troubles toxicomaniaques
est désormais bien connue des psychothérapeutes
(Peirce, Kindbom, Waesche, Yuscavage & Brooner,
This article originally appeared as Abel, N. J. & O’Brien, J. M. (2010). EMDR Treatment of Comorbid PTSD and Alcohol
­Dependence : A Case Example. Journal of EMDR Practice and Research, 4(2), 50-59. Translated by François Mousnier-Lompré.
Journal of EMDR Practice and Research, Volume 6, Number 2, 2012
© 2012 Springer Publishing Company http://dx.doi.org/10.1891/1933-3196.6.2.E1
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2008). Des recherches ont montré que 22% à 43%
des personnes vivant avec un ESPT ont un taux de
prévalence permanente de troubles toxicomaniaques
et que ce taux atteint même 75% chez les vétérans
(Jacobsen, Southwick, & Kosten, 2001). La littérature montre la complexité du traitement de patients
atteints d’ESPT et de toxicomanie comorbides. Ces
clients ont souvent plus de difficultés à rester sobre,
et à guérir de leurs souvenirs traumatiques (Ford,
Hawke, Alessi, Ledgerwood & Petry, 2007 ; Peirce,
Kindbom, Waesche, Yuscavage & Brooner, 2008 ;
Schumacher, Coffey & Stasiewicz, 2006).
De nombreuses approches ont été tentées dans
le traitement de l’addiction (van Wormer & Davis,
2008). Selon leurs besoins individuels, les clients utilisent des combinaisons de médicaments, un service
de désintoxication, la thérapie individuelle, la thérapie
familiale, la thérapie de groupe et/ou les groupes
d’entraide tels que les Alcooliques Anonymes (AA)
(Allen & Litten, 1999). En dépit de ces options et de
ces tentatives pour développer de nouveaux moyens
de traiter la dépendance, les taux de rechute peuvent
être de 90% (Gracer, 2007 ; Marlatt & Gordon, 1985).
Cliniciens et chercheurs continuent de développer des
protocoles de traitement qui seront les plus efficaces
dans le travail avec des clients divers. Par exemple,
Project Match (1997) appariait des clients particuliers
et des approches de traitements spécifiques. Il a été
constaté que les trois traitements examinés donnaient
de bons résultats, indépendamment du contexte. Des
traitements plus récents ont inclus une approche
de « réduction du mal », reconnaissant que tant
l’abstinence que la réduction de l’usage de substance
pouvaient être considérées comme un bon résultat du
traitement (Marlatt & Gordon, 1998).
Traitement de l’addiction par l’EMDR
Shapiro, Vogelmann-Sine et Sine (1994) ont rédigé
un rapport sur les premières utilisations de l’EMDR
avec l’addiction, à toutes les étapes du traitement de
la toxicomanie. Selon ces auteurs : « Pour des effets
thérapeutiques optimaux, les clients doivent être personnellement et systématiquement stabilisés, inscrits
dans un groupe de soutien en 12 étapes, et abstinents depuis une durée suffisante pour empêcher les
symptômes physiques du manque” (p. 379). Ils avançaient l’idée qu’un traitement efficace doit cibler aussi
bien les stimuli internes (c’est-à-dire les émotions,
les souvenirs traumatiques) que les stimuli externes
(c’est-à-dire le groupe de pairs, le matériel de prise
de drogue, certains environnements) susceptibles de
déclencher la rechute.
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Plus récemment, plusieurs approches EMDR ont
été développées pour les clients souffrant de troubles
addictifs. Toutes proposent une approche commune,
qui utilise la désensibilisation pour réduire la réactivité du client aux situations qui pourrait déclencher
l’usage de substance. Toutefois, les cibles utilisées
afin de réduire cette réactivité diffèrent énormément.
De plus, ces protocoles diffèrent également en ce qui
concerne l’exigence (ou l’absence d’exigence) d’une
abstinence du client vis-à-vis de la substance.
Omaha (1998) a créé le protocole “Chemotion
and EMDR” pour le traitement de la dépendance
chimique. Le modèle d’Omaha cherche à aborder les
déficits d’identité, sur la base d’une conceptualisation
de l’addiction en termes de relations d’objet (Omaha,
1998). Après le traitement des résistances à la guérison,
il utilise le protocole EMDR standard pour cibler les
incidents traumatiques que l’on pense à l’origine de la
dépendance. Après le ciblage de toutes les drogues utilisées par le client et des pensées/sentiments associés au
traumatisme, le protocole recommande de faire entrer
le client dans un groupe de parole au sein duquel un
traitement verbal supplémentaire des traumatismes
de l’enfance résoudra ces problèmes (Omaha, 1998).
Le protocole appelé DeTUR (Desensitization of
Triggers and Urge Reprocessing : désensibilisation des
déclencheurs et retraitement des envies du produit Popky, 2005) cherche à renforcer la gestion positive en
concentrant l’attention des clients tant sur les objectifs
du traitement que sur l’apaisement des déclencheurs.
Dans la première partie du protocole DeTUR, le client
se concentre sur ce qu’on nomme l’objectif positif de
traitement. Il développe une image de ce que serait sa
vie une fois les changements effectués dans sa consommation d’alcool et/ou de drogue, que ces changements
visent l’abstinence ou la réduction du problème. Après
avoir accentué cet objectif par le biais d’une imagerie
visuelle renforcée par des stimulations bilatérales, le
clinicien travaille avec son client au développement
de ressources internes et externes pour soutenir le
changement. Ils travaillent ensuite à désensibiliser
chaque déclencheur de consommation de substances.
On apprend aux clients à utiliser tout seuls la stimulation bilatérale si les sensations d’envie reviennent.
Vogelmann-Sine, Sine, Smyth et Popky (1998)
ont publié un manuel d’utilisation de l’EMDR dans
le cadre d’un plan global de traitement de la dépendance chimique. Ils recommandent une évaluation
la plus large possible du cadre de vie et du fonctionnement courant du client, en particulier sur le point
de savoir si celui-ci montre « une tolérance aux affects,
une capacité à contenir ses affects et une capacité à
la pleine conscience » (p. 8). Ces auteurs intègrent à
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la fois le protocole DeTUR (Popky, 2005) et le protocole EMDR standard afin d’aborder et de traiter les
déclencheurs, c’est à dire les pensées, les sentiments
et les situations et les souvenirs traumatiques qui
peuvent conduire à la prise de substance. La réussite
du client dans la gestion des déclencheurs depuis la
­séance précédente est renforcée par les mouvements
oculaires au début de chaque séance.
Zweben et Yeary (2006) ont décrit comment on peut
intégrer l’EMDR à différentes phases du ­traitement des
addictions. Après avoir exposé ce qu’est l’EMDR et ce
qu’est le traitement de l’addiction, les auteurs décrivent comment l’exercice du « lieu sûr » (Shapiro, 2001) et
le développement de ressources (Korn & Leeds, 2002)
peuvent être mis en œuvre lorsqu’un client est au début
de son rétablissement et est encore trop instable pour
passer au ­traitement du traumatisme (pré-EMDR).
Le protocole du ­traumatisme peut alors être mis en
œuvre afin de cibler les traumatismes plus anciens
qui sous-tendent l’addiction. Les auteurs notaient
que l’abstinence n’est pas nécessaire pour le travail
sur le traumatisme, dans la mesure où « de nombreux
­clients ne peuvent être sobres avant qu’une partie de la
charge émotionnelle de leur passé traumatique ne leur
soit enlevée » (p. 121). Ils donnent des exemples de cas
pour illustrer leurs recommandations.
Hase, Schallmayer et Sack (2008) ciblent le « souvenir de la dépendance » dans le traitement. Ces auteurs
affirment que le souvenir de la dépendance (un épisode réel de prise du produit, une rechute ou une
envie du produit) peut être ciblé et retraité. Le protocole utilisé est semblable au protocole standard, mais
on cible le souvenir de l’envie et on se sert de l’échelle
d’évaluation du niveau d’envie (LOU—Level of Urge)
au lieu de l’échelle d’unités subjectives de perturbation (SUDS— Subjective Units of Disturbance Scale).
Le ciblage et le traitement du manque/de la rechute
doivent aussi mener jusqu’à la raison originelle qui a
conduit le client à l’usage de substances (Hase, 2006).
Dans l’idéal, les clients verront une réduction de leur
envie du produit ainsi qu’une réduction des tendances
à rechuter (Hase, Schallmayer & Sack, 2008). Hase
(2010) a défini davantage ce protocole, qu’il a renommé
CravEx, en l’accompagnant de ­descriptions détaillées
sur la manière de l’utiliser dans le traitement. Cela
peut être une adjonction utile au traitement EMDR,
en aidant le client à arriver à la ­sobriété, en préparation au protocole standard.
Recherches sur l’EMDR et l’addiction
La recherche sur l’efficacité clinique de l’EMDR concernant l’addiction est limitée. Hase, Schallmayer et
Sack (2008) ont publié le seul essai de contrôle randomisé qu’on trouve dans la littérature. L’EMDR a été
mise en œuvre avec ou sans « le traitement ­habituel ».
Celui-ci intégrait la désintoxication, des aspects
d’entretien motivationnel, une évaluation du soutien/de l’ajustement social, un traitement de groupe,
un entraînement à la relaxation et de l’art-thérapie. Le
traitement s’étendait sur une période de 14–21 jours
au terme desquels les clients étaient orientés vers un
programme de réadaptation et encouragés à assister,
dans leur quartier, à des réunions de programme en
12 étapes.
Les patients du groupe expérimental recevaient
le traitement habituel plus deux séances d’une ­heure
d’EMDR qui ciblait le souvenir de l’addiction, consi­
déré comme le principal déclencheur de rechute. Lors
de la comparaison des groupes, à des ­intervalles d’un
et six mois, respectivement, leurs résultats ­suggèrent
que l’EMDR a amélioré le traitement de l’addiction en
réduisant le manque autant que les rechutes.
Cox et Howard (2007) ont rapporté une étude de cas
portant sur l’utilisation de l’EMDR pour une addiction
sexuelle. Les auteurs décrivaient comment l’EMDR
pouvait être utilisé afin de traiter les traumatismes
précoces qui sous-tendent l’addiction sexuelle autant
que les situations du présent qui déclenchent la rechute. Une étude de cas illustrait comment on pouvait
combiner l’EMDR, l’éducation autour de l’addiction
sexuelle, la participation aux réunions des 12 étapes et
un travail en parrainage pouvaient être combinés afin
de traiter ce trouble. Après avoir traité un abus sexuel
passé, le client a été guidé dans le ciblage des situations de la vie courante qui déclenchaient de la honte
et des envies de passer à l’acte sexuellement. L’EMDR
était intégrée à d’autres techniques thérapeutiques (la
rédaction d’une lettre, la technique de la chaise vide,
les compétences de prévention de rechute) afin de
soutenir le rétablissement en cours.
Marich (2009) rapporte un cas d’utilisation de
l’EMDR sur la polytoxicomanie d’une femme ayant
subi une agression sexuelle et remplissant à la fois les
critères de la dépendance à l’alcool, au cannabis et
aux sédatifs, et les critères de l’ESPT. Cette cliente se
présentait pour un traitement après sa troisième condamnation pour conduite en état d’ébriété, n’ayant
jamais réussi à rester sobre que de façon limitée (la
­période la plus longue ayant été de 4 mois), et après
avoir tenté d’autres traitements (en ­hospitalisation et en
consultation externe) sur une période de 12 ans. Après
avoir préparé sa cliente au traitement par l’EMDR par
la technique du « lieu sûr », l’auteur a utilisé le protocole
EMDR standard afin de cibler les expériences de honte
qui faisaient obstacle à son rétablissement. Un travail
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sur l’avenir fut ensuite utilisé afin de ­renforcer les
cognitions positives ­nouvellement développées. Les
entretiens de suivi, 18 mois plus tard, indiquaient que
la cliente était restée abstinente.
Etude de cas
Introduction
Cette étude de cas montre combien il est important
d’aborder l’usage et l’abus de substance, et illustre de
plus le dilemme clinique de nombreux thérapeutes :
savoir si et quand utiliser le protocole du traumatisme
chez un toxicomane actif. Les auteurs exposent les facteurs qui ont été pris en compte dans l’élaboration de
la formulation clinique et du plan de traitement pour
utiliser l’EMDR pour ce cas précis. La cliente présentait initialement une dépendance active à l’alcool et un
ESPT consécutif au suicide de son mari. Certains détails non essentiels ont été changés afin de dissimuler
l’identité de la cliente et de préserver son anonymat.
Présentation du problème. Margo, une femme
blanche de 45 ans, veuve, mère de trois filles, a été
orientée vers ce thérapeute par un autre thérapeute
de la région. Ce dernier suivait Margo et son petit
ami dans le cadre d’un traitement de couple lorsqu’il
découvrit l’alcoolisme de Margo. Il l’orienta alors sur
un traitement pour sa toxicomanie, pressentant que
ce problème était de première importance. Margo se
présenta à son nouveau thérapeute avec des inquiétudes concernant sa consommation croissante d’alcool.
Dans le passé, elle avait consulté plusieurs thérapeutes, sollicitant leurs conseils sur sa toxicomanie, mais
sans succès. Elle avait également essayé un traitement
en consultation ambulatoire intensive. Elle rechutait
après chaque thérapie. Elle se montrait à la fois extrêmement frustrée, mais aussi extrêmement motivée
à changer ces schémas de consommation. C’était une
femme instruite et très intelligente. Elle avait un emploi à plein temps. Elle se disait isolée et déprimée,
mais elle n’avait pas de traitement médicamenteux.
Elle était anxieuse et présentait d’autres symptômes
d’ESPT, y compris des réactions de sursaut. Elle rapporta qu’elle « ne savait pas qui elle était ».
Histoire de la patiente. Margo était l’aînée de trois
enfants qui avaient grandi sur la côte ouest des EtatsUnis. Le père était décrit comme un alcoolique qui
avait cessé de boire à l’université: cela correspond
au syndrome de la “cuite sèche” c’est-à-dire un alcoolique non traité, abstinent, mais qui continue de
manifester les comportements négatifs associés à la
prise d’alcool. Margo disait qu’il était dominateur,
négatif et très intelligent. La mère était “gentille” et
décrite comme soumise à son mari. Margo avait une
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sœur de 4 ans son aînée qui était, d’après elle, une alcoolique active. Son frère, plus jeune de 2 ans, avait
arrêté l’alcool un an avant que Margo ne rencontre
ce thérapeute, mais continuait à fumer régulièrement
de la marijuana. Il y avait très peu de communication
dans sa famille d’origine et pas de modèle de gestion
des émotions. La famille pratiquait une religion conservatrice. Grandir dans cet environnement religieux
conservateur avait été une « horreur » pour elle; on lui
apprenait qu’il était bon de souffrir. Au lycée, Margo
passa 6 mois dans un foyer de groupe religieux ­parce
qu’elle était « incorrigible ». Elle rapporta qu’elle
n’avait rien de commun avec les toxicomanes et les
prostituées qu’elle y rencontra.
Après le lycée, Margo entra directement à
l’université, où elle connut son mari. Elle se maria immédiatement après son diplôme. Elle eut trois filles,
âgées de 17, 15 et 12 ans. Son mari se suicida six ans
avant le début de son traitement EMDR. Le mari était
déprimé depuis quelque temps, mais son suicide était
complètement inattendu. Margo, rentrant chez elle,
le trouva dans le garage, mort d’un empoisonnement
au monoxyde de carbone. Ce fut très traumatisant
pour elle. Elle se sentit écrasée de chagrin et incapable d’assumer l’éducation de ses filles. Démunie des
compétences qui lui auraient permis de faire face à la
situation, elle augmenta immédiatement sa consommation d’alcool. Ce qu’elle décrivit comme un gros
usage social de l’alcool devint rapidement plus régulier, plus lourd et plus abusif. Elle développa une
dépendance psychologique à l’alcool et devint incapable de s’arrêter, en dépit de plusieurs tentatives
thérapeutiques et d’un traitement anti-alcoolique en
consultation ambulatoire intensive. Sa consommation
d’alcool continua d’augmenter et elle avait envie de
mourir, ne voyant pas comment sortir du désespoir et
de la dépression liés au suicide de son mari.
Déroulement du traitement
Lorsque Margo commença le traitement avec ce
thérapeute, il fut décidé de se concentrer sur sa
dépendance à l’alcool car c’était pour ce problème
qu’elle se présentait. Au moment où elle commença
le traitement, elle avait déjà consulté plusieurs autres
thérapeutes et avait été en consultation ambulatoire
intensive. Aucun de ces épisodes thérapeutiques
n’avait eu de succès. Elle buvait presque tous les jours
des quantités importantes d’alcool et présentait des
symptômes cohérents avec les diagnostics d’ESPT et
de dépendance à l’alcool (APA, 1994).
Pour un thérapeute ayant affaire à un client qui est
déjà passé sans succès par de nombreux types différents
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de traitements, trouver une nouvelle approche du
problème représente un défi. Cette cliente était particulièrement motivée à changer et extrêmement
frustrée par son incapacité à y parvenir. Le thérapeute,
devant cette situation, décida d’aborder la question
différemment de ce qui avait été tenté auparavant :
la décision fut prise de procéder à des interventions
pré-EMDR et EMDR en plus d’une approche plus traditionnelle de traitement de la toxicomanie. La cliente
n’étant pas physiquement dépendante à l’alcool, il n’y
avait pas de problème à travailler en ambulatoire.
Le traitement, qui va être abordé plus en détail,
inclut le lieu sûr, l’objectif positif de traitement du
protocole DeTUR, le développement de ressources,
le protocole standard et le protocole de Hase sur le
souvenir de l’addiction, en plus d’interventions et de
groupes d’entraide non-EMDR.
Concentration du traitement sur la stabilisation/
préparation et sur la dépendance à l’alcool
Le premier objectif du traitement fut la ­stabilisation
de la cliente et la préparation au travail EMDR qui ­allait
suivre. Il était clair dès le début que le traumatisme
non résolu et la culpabilisation entourant le suicide
de son mari jouaient un rôle dans le besoin de boire
de Margo. En conséquence, il fut décidé de travailler
avec des techniques pré-EMDR et des techniques
­traditionnelles de traitement de la toxicomanie.
Ainsi que le recommande Shapiro (2001), le traitement commença par l’exercice du lieu sûr. On s’en
servit pour tester la capacité de Margo à utiliser les
techniques EMDR et pour évaluer sa réactivité à ces
techniques. Elle en était au point où elle était prête à
faire pratiquement n’importe quoi. Elle eut quelque
difficulté à trouver un endroit où elle se sentît en sécurité, mais elle visualisa l’image d’une plage voisine.
Son ancre verbale était « vague ». Cette image établie,
elle s’en servit et se sentit plus détendue que par le
passé; elle put progressivement l’utiliser pour faire
face à son anxiété, en séance et chez elle.
On mit ensuite en œuvre une partie du protocole
DeTUR: l’objectif positif de traitement. Ce protocole
aide les clients à se concentrer sur leurs objectifs de
traitement. L’installation des objectifs par les stimulations bilatérales les renforce et offre au client l’image
d’une autre façon nouvelle et différente de vivre.
Margo était très claire sur son désir d’arrêter de boire.
Elle se visualisait abstinente, menant sa vie quotidienne sans alcool. Le thérapeute renforçait cette
visualisation avec de brefs sets de stimulations bilatérales, en utilisant l’Audiotac™ et les tapotements.
Le protocole DeTUR inclut également une aide au
développement de ressources tant internes qu’externes.
Le développement de ressources (Korn & Leeds, 2002)
fut utilisé afin d’étayer sa capacité à rester sobre. Ce
protocole aide le client à développer la force du Moi
nécessaire à la réalisation des changements qui sont
si importants dans l’apprentissage d’un mode de vie
sobre. Les qualités que Margo choisit de développer
étaient « la force » et « la volonté ». Elle fut capable de
retrouver des moments de sa vie où elle avait démontré
ces qualités, et l’Audiotac fut utilisé pour les renforcer.
Elle visualisa de nouveau une vie libérée de l’alcool.
De plus, des techniques de rétablissement sans lien
avec l’EMDR ou le pré-EMDR furent utilisées. Margo
fut encouragée à fréquenter les AA, à trouver un parrain, à pratiquer des techniques de bonne gestion
des affects, et à identifier les déclencheurs de sa consommation d’alcool et les techniques lui permettant
d’apprendre à gérer ses pulsions de boire.
Margo continuait de rechuter en dépit de ses efforts
pour mettre un terme à sa consommation d’alcool.
Après 2 mois, elle était extrêmement inquiète et frustrée d’être incapable d’arrêter de boire. Un autre client
n’aurait peut-être pas été aussi frustré et il lui aurait
peut-être fallu plus de temps pour en arriver là, mais
Margo n’en était pas à sa première thérapie. Elle était
particulièrement inquiète parce que, malgré sa motivation, elle ne parvenait pas encore à changer. Après
de longues discussions, elle et son thérapeute déterminèrent que le traumatisme du suicide de son mari
interférait avec sa capacité à rester sobre. Elle consommait de l’alcool pour gérer les émotions résultant
de ce traumatisme, et sa consommation avait considérablement augmenté après le suicide. Sa capacité
à tolérer les affects s’était quelque peu améliorée, de
même que ses ressources internes et externes (Leeds,
2001), mais elle ne maîtrisait pas ces compétences.
Son thérapeute détermina qu’elle ne réussirait pas à
rester sobre sans un travail sur le suicide de son mari.
Un facteur important dans cette décision était le fait
que Margo avait une forte alliance thérapeutique avec
son thérapeute et qu’elle pouvait s’en servir comme
d’une ressource. Sa sobriété était vacillante, mais elle
était fortement motivée à changer.
Traitement centré sur l’événement traumatique
Au début de la sixième séance, Margo et son thérapeute
décidèrent de commencer à travailler avec le protocole du traumatisme. Plus tard, Margo rapporta qu’ils
avaient ainsi “plongé” dans le travail sur le trauma et
qu’elle en était contente. Il fallut trois séances d’une
heure pour élaborer tous les aspects de cet événement. Il était clair que le problème organisateur était
le sentiment de responsabilité de Margo envers le
­suicide de son mari.
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Traitement par l’EMDR d’états comorbides d’ESPT et de dépendance à l’alcool : un exemple de cas
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La cible était le suicide de son mari.
Image : La vue du corps de son mari dans la voiture
dans le garage.
Cognition négative : C’est ma faute.
Cognition positive : Ce n’est pas ma faute.
Validité de la cognition (VoC) : 3
Emotions : peur, panique, un besoin de s’enfuir.
SUD : 10
Corps : de la tête à la poitrine.
Lors du traitement EMDR initial, Margo commença par passer chronologiquement en revue les
événements du jour du suicide. Elle exprima une émotion considérable. Elle traita aussi des événements qui
avaient eu lieu plus tôt dans la semaine, notamment
l’anniversaire de son mari et le regret qu’elle avait de
ne pas lui avoir demandé comment il allait. Elle commença à s’apercevoir qu’elle s’était sentie piégée dans
la relation et se souvint qu’elle avait pensé à divorcer.
Les épisodes dépressifs de son mari devenaient plus
évidents à ses yeux. Grâce à un tissage thérapeutique,
elle fut capable de voir qu’elle n’était pas responsable
de sa mort. A la fin de la séance, l’échelle SUD était à
7 sur 10.
Lors de la réévaluation au début de la deuxième
séance, les SUD avaient chuté à 5. Elle rapporta que
bien qu’elle se sente triste, cela n’avait plus le même
impact. Pendant cette séance, elle continua de ­traiter
les événements entourant le suicide ainsi que les
­réactions de ses enfants et de sa famille. Le traitement
progressait doucement. L’échelle SUD indiquait 3 à la
fin de la deuxième séance.
Au début de la troisième séance d’utilisation du
protocole standard, Margo rapporta que sa semaine
avait été très chargée en émotion. Elle s’était sentie
seule et blessée, mais également satisfaite d’avoir
si bien travaillé en EMDR. Elle avait pu rester abstinente entre les séances. Cela avait été difficile,
mais elle était allée voir les AA, qu’elle n’avait pas
accepté de fréquenter jusque-là ; elle avait beaucoup
marché, avait appelé de nombreuses personnes et
s’était permis de ressentir ses propres sentiments,
ce qu’elle décrivit comme une expérience étrange
et nouvelle. En début de séance, l’échelle SUD indiquait un 2. Au cours du traitement, elle se vit sortir
d’un lieu sombre et abandonner ses peurs de se rapprocher des autres. Elle commença à se voir faire
tomber des murs autour d’elle. Elle faisait face à un
dilemme: boire ou prendre le risque de changer et
de vivre sainement. Le thérapeute utilisa alors le tissage à deux mains de Robin Shapiro (Shapiro, 2006).
Ce tissage cognitif peut être particulièrement utile
lorsqu’un client est ambivalent, déchiré entre deux
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aspects d’un problème, ou lorsqu’il a le sentiment
d’être bloqué. Margo visualisa dans une main le fait
de boire et dans l’autre, une vie différente, plus risquée. Le thérapeute fit des stimulations bilatérales.
La cliente se mit à rire. Elle dit qu’il n’y avait “pas
photo” : boire signifiait mourir, ne plus boire ­voulait
dire grandir et devenir responsable. L’échelle de
SUD, à la fin de cette séance, était à 0 et la cognition
positive fut installée. (On notera que lors de réévaluations ultérieures au cours du traitement, l’échelle
SUD est restée à 0.)
Traitement centré sur la sobriété et sur la
prévention des rechutes
Au cours des six mois suivants, Margo poursuivit
ce traitement hebdomadaire avec son thérapeute.
Elle travailla sur le maintien de sa sobriété, sur des
problèmes familiaux et relationnels et développa un
réseau de pairs et une vie sociale qu’elle n’avait jamais
eus avant. Margo commença à s’occuper sérieusement de sa sobriété. Elle fréquentait régulièrement
les AA, collaborait avec son parrain de manière appropriée, et commença à travailler sur les 12 étapes.
Margo resta sobre pendant 6 mois, jusqu’au jour où
elle rendit visite à sa famille pendant les vacances. Les
interactions entre elle et sa famille furent un puissant
déclencheur de rechute. A son retour, elle se rendit
à l’épicerie, acheta une bouteille de rince-bouche et
la but.
Traitement centré sur le souvenir de l’addiction
Lors de la première séance après la rechute de Margo,
le thérapeute utilisa le protocole développé par Hase
(2006) pour traiter le souvenir de l’addiction. Dans
le cas de Margo, il y avait une rechute particulière à
traiter. Il décida de se servir de ce protocole parce que
celui-ci avait été particulièrement mis au point pour
les cas de rechute ou d’envie pressante de rechuter. Le
traitement du souvenir de l’addiction ramène le client
à la cause de celle-ci, et peut être très précieux dans le
cours de la thérapie en cours. Il était opportun, vu la
récente rechute de Margo, de s’en servir ici.
Incident: l’épisode de rechute avec le rince-bouche
Image: se voir à l’épicerie, prête à acheter le
rince-bouche
LOU: 10
Cognition négative: je suis stupide.
Cognition positive: je prends des décisions saines.
VoC: 4
Emotion: la honte
Corps: centre.
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Abel and O’Brien
Au début du travail, Margo fut submergée
d’émotions. Ses difficultés liées à l’abandon se révélèrent. Elle se sentait extrêmement effrayée à l’idée
de s’ouvrir aux autres et de prendre le risque d’être
abandonnée; elle buvait pour gérer ces émotions.
Elle attirait des personnes qui avaient besoin d’aide,
s’investissait dans ses relations avec elles et ne ­pouvait
donc pas s’occuper d’elle-même correctement. Elle
avait grandi en se sentant niée par les autres et continuait à se nier elle-même. Après 11 sets de stimulations
bilatérales, l’échelle LOU indiquait 0 et la cognition
positive fut installée.
Traitement centré sur la prévention
permanente des rechutes
Ce fut la dernière rechute de Margo. Lors des séances
suivantes, elle rapporta cependant qu’elle ressentait
occasionnellement de fortes envies de consommer
de l’alcool. Le protocole Hase (2006) fut utilisé quatre
fois pour traiter ces envies. Ce qui suit est l’exemple
d’une séance, après une conversation qu‘elle avait eue
avec son petit ami et qui avait déclenché une de ces
envies :
Image: elle-même assise dehors après avoir raccroché le téléphone à la suite d’une conversation avec
son petit ami.
LOU: 8
Cognition négative: on ne peut pas m’aimer.
Cognition positive: je peux m’aimer suffisamment.
VoC: 2
Émotions: dégoût
Corps: partout
Margo traita cette pulsion à consommer de l’alcool
en 12 sets de stimulation bilatérale. De nouveau,
d’anciennes pertes et d’anciennes déceptions
émergèrent, de même que des sentiments de faible
estime de soi. Elle vit qu’elle avait pris l’habitude de
boire pour gérer ces sentiments. Elle prit également
conscience de sa capacité à faire des choix et à choisir
des réponses saines. A la fin de la séance, l’échelle
LOU indiquait 0 et le VoC fut installe.
Suivi
La cliente avait utilisé avec succès le traitement EMDR,
et était satisfaite des résultats obtenus. Elle a poursuivi sa thérapie jusqu’à l’écriture du présent article.
Le traitement a évolué, se centrant sur des problèmes
d’ordre familial passés ainsi que sur des difficultés
­relationnelles actuelles. Margo écrivit une déclaration qu’on lut lors d’une réunion de l’Association
­Internationale d’EMDR, où ces informations furent
présentées. Elle a donné aux auteurs l’autorisation
d’en inclure un extrait ici :
“Après quelques séances [du protocole EMDR
pour les traumatismes], j’ai noté une énorme
différence. C’était comme une porte s’était ouverte dans une pièce noire où je m’étais enfermée moi-même. Pendant très longtemps, j’ai
été incapable d’en sortir, terrifiée par les émotions que j’allais inévitablement rencontrer et
qui allaient me submerger et m’emprisonner de
nouveau. Depuis que j’ai commencé à travailler
avec [mon thérapeute], ma vie a complètement
changé. Cela a été un travail difficile [...] mais je
n’ai plus envie de mourir et je suis [...] complètement sobre.”
Margo est restée sobre et son envie de boire a
diminué de façon significative. Au jour où nous écrivons, elle est abstinente depuis plus de 2 ans. De
plus, elle n’éprouve plus aujourd’hui, dit-elle, que peu
de douleur à propos du suicide de son mari. Il lui arrive encore d’éprouver un chagrin normal lorsque les
vacances arrivent, lors des anniversaires et d’autres
événements importants, mais elle ne se fait plus de
reproches et ne sent plus responsable de son suicide.
Discussion
La thérapie avec les clients souffrant
d’addiction
L’addiction est une question particulièrement complexe pour les cliniciens, en raison de la multitude
des facteurs impliqués pour chaque client, avec des
inquiétudes aux plans physique, psychologique et social. Traiter la dépendance et l’ESPT (ou tout autre
diagnostic comorbide) rend le tableau clinique plus
complexe encore. C’est un domaine changeant et en
croissance; il n’y a pas une seule manière de traiter
cette population. Il est important de traiter chaque client individuellement afin de maximiser les résultats.
Discussion autour du cas
Margo s’est présentée en thérapie avec des inquiétudes
concernant sa consommation grandissante d’alcool.
Elle se définissait elle-même comme une alcoolique.
Elle présentait également des symptômes d’ESPT, en
rapport avec le suicide de son mari. Bien qu’elle bût
déjà beaucoup avant, elle se servait depuis sa mort
de l’alcool comme d’un remède à certains de ces
symptômes. Il était clair que ces deux points ­allaient
devoir être abordés au cours de la thérapie. De plus,
Margo avait fait antérieurement plusieurs tentatives
Journal of EMDR Practice and Research, Volume 6, Number 2, 2012
Traitement par l’EMDR d’états comorbides d’ESPT et de dépendance à l’alcool : un exemple de cas
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De nombreux facteurs furent pris en compte lors
de cette prise de décision :
l’évaluation que, si Margo buvait beaucoup, elle
n’était pour autant pas physiquement dépendante
et qu’elle n’avait pas besoin d’un programme de
désintoxication. De plus, bien qu’elle ait bu avant
le suicide de son mari, ce traumatisme avait exacerbé sa consommation, qui augmenta de façon
notable à la suite de cet événement.
2. Les tentatives antérieures du client de mettre un
terme à son alcoolisme. Margo avait essayé à plusieurs reprises d’y mettre fin, sans succès. Cela la
frustrait et elle voulait essayer quelque chose de
nouveau et de différent.
3. La motivation du client. En dépit de sa frustration,
Margo était extrêmement motivée.
4. L’historique traumatique du client. Margo avait subi
des négligences pendant son enfance mais ne voyait
pas celle-ci comme traumatique. Le suicide de son
mari semblait être le traumatisme majeur de sa vie.
Si son histoire traumatique avait été plus complexe,
une approche plus lente, mettant l’accent sur le
développement de ressources, aurait été nécessaire.
5. Le fonctionnement actuel du client et son niveau
de stress. En dépit de son alcoolisme, Margo était
très active. Elle travaillait à plein temps et maintenait un certain contact avec les autres. Son stress
provenait essentiellement du suicide et de sa consommation d’alcool.
6. Les ressources internes et externes du client et sa
tolérance aux affects. C’était le seul domaine où le
thérapeute avait quelques inquiétudes. Margo commençait à être capable d’identifier et de tolérer ses
propres sentiments. Bien qu’elle ait entrepris de
fréquenter les AA, ses sources de soutien et ses relations extérieures étaient réduits. Intérieurement,
Margo commençait tout juste à développer la sensation d’avoir un peu de force en elle, mais c’était
minime. Leeds (2001) souligne combien il est important le client ait des ressources internes et externes,
ainsi qu’une tolérance suffisante aux affects, avant
d’entamer le protocole standard. Toutefois, dans
ce cas précis, le clinicien était un thérapeute expérimenté qui considérait qu’il aurait été dommageable
pour la cliente de ne pas passer au traitement.
7. L’utilisation par le client de la relation thérapeutique. C’était le facteur déterminant pour décider
d’utiliser ou non le protocole standard. Margo avait
une alliance solide avec son thérapeute. Celui-ci
savait créer pour elle un sentiment de sécurité lors
des séances, et elle savait que le thérapeute serait
son allié au cours du traitement.
1. L’historique de l’addiction du client et ses schémas de consommation. Il fut déterminé lors de
Utilisation du protocole de Hase sur le souvenir de
l’addiction. On notera que lorsque le thérapeute
thérapeutiques, notamment un programme intensif en ambulatoire, qui n’avaient pas réussi et ne lui
avaient apporté, disait-elle, aucune aide.
La décision d’utiliser les protocoles EMDR
Comme dans toutes les thérapies, un clinicien EMDR
doit décider de la manière de procéder et du traitement
qui sera le plus efficace. La décision d’utiliser l’EMDR
avec cette cliente fut prise, en partie, pour tenter de faire
autre chose que les thérapies auxquelles elle avait déjà
eu recours. Dans le domaine de l’EMDR, il faut faire de
nombreux choix concernant la manière de procéder et le
protocole à utiliser. La souplesse du clinicien est peut-être
la chose la plus importante pour le client. Dans le cas de
Margo, c’est pour cette raison que le thérapeute décida
d’utiliser différentes parties de plusieurs protocoles.
Stabilisation/préparation. Margo bénéficia du travail préliminaire avec l’exercice dulieu sûr. Elle put
s’en servir pour se calmer et comme ressource pour
trouver un peu plus de quiétude dans sa vie. L’objectif
positif de traitement (protocole DeTUR) l’aida à
se concentrer sur ses objectifs aussi bien qu’à se
représenter activement un autre style de vie. Le protocole de développement des ressources étaya encore
davantage son Moi et l’aida à se préparer au travail sur
le traumatisme qui allait suivre.
Utilisation du protocole standard sur le traumatisme.
Le traitement avançait, mais Margo n’était toujours
pas en mesure de rester sobre : il devint clair pour son
thérapeute et pour elle-même qu’elle était hantée par le
suicide de son mari. Bien que de nombreux thérapeutes spécialisés dans la toxicomanie considèrent qu’un
client doit être abstinent avant qu’on passe au travail
sur les traumatismes (Hase, 2010 ; Zweben, Clark, &
Smith, 1994), nous avons estimé qu’elle ne pourrait pas
se libérer de sa dépendance sans faire d’abord ce travail.
Cette position est soutenue par Shapiro qui écrivait :
“Le traitement EMDR requiert que les cliniciens
reconnaissent qu’un traumatisme non résolu
joue fréquemment un rôle important dans la
persistance d’une toxicomanie ou d’une dépendance... l’EMDR est utilisé pour traiter ces
souvenirs antérieurs, fournissant au client une
perspective plus adaptée des événements passés
et, par voie de conséquence, une attitude plus
fonctionnelle à l’égard du passé et du futur.”
(Shapiro, Vogelmann-Sine & Sine, 1994, p. 383)
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Journal of EMDR Practice and Research, Volume 6, Number 2, 2012
Abel and O’Brien
commença le travail avec cette cliente, il ne connaissait pas familier le travail de Michael Hase ni du
traitement du souvenir de l’addiction. Cela aurait pu
être une bonne option de traitement avant le traitement du traumatisme. Il fut cependant utilisé après
le travail sur le trauma pour réduire les envies de
Margo de consommer de l’alcool et afin de traiter
la rechute.
La décision d’utiliser le protocole de Hase à ce
moment-là était logique, parce que Margo venait
de faire une rechute : cela paraissait plus efficace
que de traiter chaque déclencheur, comme dans le
protocole DeTUR. Il semble qu’il y ait eu un effet
de généralisation, car, après trois utilisations de ce
protocole, la cliente n’a plus rapporté d’envie de consommer de l’alcool.
Discussion concernant les protocoles
Margo a bien réagi à tous les protocoles qui ont
été utilisés. Par conséquent, elle est parvenue à
changer nettement de comportement et à devenir
abstinente. Un autre client aurait pu avoir plus de
difficultés ou aurait pu trouver bénéfice à ce que les
protocoles soient utilisés dans un ordre différent.
Il y a place pour beaucoup d’autres recherches sur
ce point. Le thérapeute travaillant en EMDR avec
un client présentant des troubles comorbides doit
évaluer avec soin chaque client, ses besoins propres et son historique particulier, afin de prendre
la meilleure décision clinique concernant la procédure qu’il va suivre. Il doit aussi être assez flexible
pour changer le cours du traitement si cela devient
nécessaire : par exemple, si le client éprouve des
difficultés à faire le travail sur les traumas avec le
protocole standard, un travail complémentaire sur
les ressources pourrait s’avérer utile. Le protocole
de Hase pourra parfois être utilisé de façon plus
fréquente avec certains clients.
Traitement de la toxicomanie
Le domaine du traitement des addictions continue à
évoluer par rapport à la question de savoir quelles interventions donneront de bons résultats, pour quels
clients et sous quelles conditions. Jusqu’à récemment, le « succès » du traitement des dépendances à
l’alcool et aux autres drogues était défini en termes
d’abstinence à l’égard de l’alcool et des psychotropes
(Marlatt & Gorden, 1998). Les publications récentes
reconnaissent que la notion de « réduction du mal »,
c’est-à-dire le fait d’aider les clients à consommer
ces produits d’une façon qui réduise les risques pour
eux-mêmes et pour leur entourage, gagne du terrain.
L’EMDR est très prometteur en tant que traitement
de l’alcoolisme et des autres toxicomanies.
Recommandations pour de futures recherches
La recherche, tant sur l’EMDR que sur le traitement
de la dépendance, va continuer à se développer. Il
faudra définir des procédures, tant qualitatives que
quantitatives, pour explorer des façons d’aider les clients souffrant de toxicomanie. Des modèles de traitement variés pourraient être utilisés.
Des études quantitatives pourraient explorer la
façon dont l’EMDR peut améliorer le traitement
des addictions dans toutes sortes de niveaux de soin
(Brown, 2003; Hase, Schallmayer, & Sack, 2008) : des
études à venir pourraient ainsi examiner la mise en
œuvre de différents protocoles en milieu hospitalier, en traitement de jour, en consultation intensive
ambulatoire et en traitement ambulatoire, et déterminer si et quand il faut utiliser quels protocoles, et
dans quels cadres. Des recherches pourraient être
également explorer la prise de décision clinique concernant le moment où il faut utiliser le protocole
DeTUR ou le protocole CraveEx selon les clients,
de même que des combinaisons d’interventions de
développement de ressources et de tolérance aux
affects.
Une option pourrait être d’observer deux groupes
de clients présentant une dépendance à l’alcool et un
ESPT. Le traitement d’un groupe inclurait le protocole standard et l’autre non. Quelle différence cela
apporterait-il par rapport à l’accès à l’abstinence et au
maintien à long terme de celle-ci ?
Une autre option serait d’étudier l’utilisation de
différents types de stimulation bilatérale. Les mouvements oculaires, les sons et les tapotements pourraient
être comparés. Quel type de stimulation bilatérale est
le plus efficace avec les clients souffrant d’addiction?
Une recherche qualitative pourrait être menée
afin d’explorer et de documenter les aspects particuliers de l’utilisation de l’EMDR dans le traitement des
individus présentant des troubles toxicomaniaques.
Voici quelques-unes des questions qui pourraient être
­envisagées :
1. De quelle manière la motivation du client à faire
de l’EMDR et sa disposition à changer ses comportements de consommation affectent-elles les décisions relatives au traitement?
2. De quelle manière différents types d’histoire
traumatique (un événement traumatique unique
par rapport à des traumatisations chroniques)
affectent-ils le traitement de la toxicomanie et le
rétablissement
Journal of EMDR Practice and Research, Volume 6, Number 2, 2012
Traitement par l’EMDR d’états comorbides d’ESPT et de dépendance à l’alcool : un exemple de cas
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3. Dans quels cas le clinicien doit-il utiliser d’abord
le Protocole Standard ou d’abord les protocoles
orientés vers l’addiction? Comment le clinicien
prend-il la décision d’utiliser quelle partie de quel
protocole, avec quel client, et à quel moment? Ce
point mériterait beaucoup d’autres recherches.
4. Quand le clinicien doit-il insister sur l’abstinence
chez son client avant d’aborder le travail traumatique ou travailler avec une perspective de
réduction du mal? Les clients peuvent-ils tirer un
quelconque bénéfice de l’EMDR s’ils sont toujours
consommateurs?
Résumé
Dans cet article, les auteurs ont discuté de la manière
dont l’EMDR est utilisé dans le traitement de la
dépendance à l’alcool et de l’ESPT comorbides. Le
cas présenté illustre certaines des questions cliniques explorées pour déterminer quand utiliser les
protocoles EMDR pour l’addiction et quand utiliser
le protocole standard avec un toxicomane actif. La
cliente a très bien réagi à l’EMDR et est parvenue
à atteindre et à maintenir sa sobriété. La question
de savoir si et quand utiliser ces protocoles reste
cependant une décision clinique compliquée, qui
mérite d’être étudiée davantage. Nous sommes
dans un moment passionnant dans le domaine de
l’addiction et du traitement de l’ESPT. Les occasions seront nombreuses, au cours du XXIe siècle,
d’explorer les possibilités de traitement dans ces
deux domaines.
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Toute correspondance concernant cet article devrait
être adressée à Nancy J. Abel, Independent Practice, PO
Box 2749, South Portland, ME 04116-2749. Courriel :
[email protected]
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